Nicolas Dieterlé, Journal de Baden

Après la mort de Nicolas Diéterlé, sa famille a retrouvé les textes réunis dans le nouvel ouvrage intitulé Journal de Baden. L’auteur s’est consacré à l’écriture et à la peinture au détriment d’un métier plus lucratif avant de trouver un travail répondant à ses besoins au journal

Témoignage chrétien. Revenu en France après une enfance en Afrique, sans doute devait-il se sentir en exil. Cet Etre est en perpétuelle recherche de ce que l’on pourrait imaginer une essence. Aucune date ne ponctue le journal. Dans la préface au livre, Yves Leclair note que « si l’encre du stylo ou les couleurs du pinceau ont été chez Dierterlé le sang de sa plaie, le poète-peintre sut aussi, par intuition intime, que le poème et le tableau, certes inachevables, sont les seuls antidotes, provisoires, contre le venin du mal, de la mélancolie, de l’exil durable. »

Des notations sur la nature et la perception qu’il en a reflètent ses états d’âme du moment. La forêt est comme un grand retour à l’origine. Il y est nu dans la nudité. Et « plus rien ne s’interpos[e] entre elle et [lui] ». Le motif de la caverne lui fait suite. Non loin de ces lieux, l’araignée et sa toile reviennent obstinément dans l’imaginaire avec l’angoisse que cela suppose et presque en opposition avec les lieux de prédilection où « tout vibr[e] de nudité ».

Diéterlé nous rappelle la nécessité de rejoindre son Etre. Ainsi est-il possible de se sentir « pacifié » et « abandonné » en harmonie avec la nature simple : les oiseaux « se perchent sur [ses] épaules ». S’identifiant à la nature ou y projetant ses joies, ce sont aussi ses angoisses qui transparaissent comme avec ces « feuilles sur le sol » qui deviennent dans le regard du poète des « cœurs brûlés ». Dans cette recherche d’une tranquillité de l’âme, d’un état libéré et reposé, l’auteur vacille sans cesse entre deux âmes, l’une « enténébrée », l’autre « lumineuse ».

Nicolas Dieterlé, Journal de Baden, Arfuyen, collection Les vies imaginaires n°6, 2021, 16 €.

Cette double postulation est un fil conducteur de l’œuvre. En lui, deux forces semblent s’opposer voire rivaliser entre elles comme dans ce poème explicite et puissant où l’identité négative est interpellée à travers des nominations visant la disqualification dans l’espoir que le « Faucon » et la « Rose » s’unissent. « En moi tu es celui/qui romps sans cesse les attaches/du cœur, si bien qu’il/dépérit. Masque de guerre et de folie, crâne aux durs rebords/de haine, source fétide. » Parfois s’identifiant à une « maison en ruines » ou un « puits sombre » dans lequel il est tombé, il lui faut réveiller l’antidote de la chute, celui du vol. Les oiseaux sont en effet nombreux dans l’univers poétique de Diéterlé jusque dans deux titres de recueils publiés il y a quelques années.

Les identités sont nombreuses avec des motifs exprimant la force, l’unité et la totalité. La globalité est capable d’être évoquée dans un espace d’insécurité. Devenir « Lumière », « Amour », « Volcan », « Vague » et « Immensité » sont des vœux pour ce poète troué qui, dans un poème, rejoint la liesse suprême que représente « la danse ». Cependant, sans la part sombre de la vie, la transparence de l’âme et sa lumière ne pourraient pas être mises en relief de manière aussi expressive. L’écriture de ce journal est celle de la profondeur contre celle de la surface, celle qui cherche toujours à comprendre les mouvements de l’Etre, sa complexité, sa fragilité et sa force.

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Etienne Faure, Et puis prendre l’air

Le livre d’Étienne Faure, Et puis prendre l’air, porte en première de couverture l’indication générique : « poèmes en prose ». Voilà qui surprend : non pas tant qu’on puisse annexer de la prose à la poésie, ou appeler « poésie » un travail d’écriture en prose :  la chose est admise et elle prend aujourd’hui une multiplicité de formes. Mais « poèmes en prose » renvoie à un genre précis, né avec Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand et avec les Petits poèmes en prose. Le Spleen de Paris. de Baudelaire.

S’y illustreront Rimbaud, puis Pierre Reverdy et Max Jacob, entre autres. Genre à référer à une époque de l’histoire de la poésie, donc : né au XIXe siècle, pleinement instauré dans le premier XXe siècle. Je ne vois guère que Christophe Hanna, dans ses Petits poèmes en prose de 1998, à avoir repris l’appellation générique : mais il s’agissait d’un titre, d’une référence spécifiquement à Baudelaire, et d’une pratique n’ayant rien à voir avec celle qui nous occupe à présent. « Poèmes en prose », donc : ce qui nomme un autre genre d’écriture chez Étienne Faure, qui compose par ailleurs – et principalement – des poèmes en vers. Mais la distance historique qu’on vient d’indiquer n’est pas de pure forme : c’est le ton du livre dans son ensemble et un aspect central de la poétique de son auteur qui sont ainsi impliqués, me semble-t-il.

Car ces poèmes sont véritablement des poèmes en prose, au sens historique du terme, dans lequel différents types de prose sont repris et travaillés par le langage poétique : la chronique, le portrait, la méditation, la note de voyage sont ainsi des modèles d’écriture sous-jacents. La mise en page, qui n’isole pas le poème mais le présente en séquences, tend à renforcer ce caractère de notation : il s’agit pourtant bien de poèmes en prose, isolables comme tels, malgré la relative brièveté de certains d’entre eux. 

Etienne Faure, Et puis prendre l'air, Gallimard, collection Blanche, 2020, 136 pages, 14 € 50.

Vers et proses avancent ainsi à revers et à vitesse différente de part et d’autre du pli qui les ajointe :

Usant d’un carnet tête-bêche pour écrire, le remplir à l’endroit de ceci, à l’envers de cela, il sait qu’un jour les deux gageures, vers et prose qui progressent, vont se rencontrer, former un front redouté. L’une gagne du terrain – elle en est presque à la moitié du calepin –, quand l’autre ne hâte pas le pas. […]

La prose d’Étienne Faure est ainsi travaillée par son envers versifié, et si les rythmes diffèrent, dans les deux cas l’idée du poème est la même : il faut que ça tienne, du début à la fin, qu’il se constitue une unité de sens et de forme, que manifeste dans les deux cas tout un art de la chute.

Le recueil se structure en dix sections, et l’on retrouve le poète dans la particulière qualité d’attention qu’il porte au proche, êtres et choses, dans une poétique de la flânerie (la ville et ses alentours, dans les sections « Éloge appuyé des bancs », et « Prendre l’air »), mais aussi au lointain, car le voyage est présent, comme dans d’autres livres du même auteur (section « Aux coins du globe ») : « Tropicale humide est ma vie ». Cependant, plus que l’espace, c’est le temps qui est la matière première de cette poésie. Il n’y a rien là que de banal, dira-t-on : c’est qu’il faut préciser. Baudelaire cherchait la modernité, c’est-à-dire à saisir une qualité particulière du présent, propre à chaque époque ; ce n’est pas qu’Étienne Faure la refuse, mais sa quête est autre : ce sont plutôt des rémanences du passé dans le présent, des bulles de durée dans le temps, des formes touchantes d’anachronisme qui l’attirent au premier chef et provoquent l’écriture. La poésie retient ce qui est passé ou mieux encore le tout juste passé, qui se trouve encore là, provisoirement, et que volontiers on néglige. Sa temporalité est complexe : le thème du « décalage horaire », qui intervient dans le recueil, a valeur de figure.

C’est ainsi que le panta rhéi urbain trouve à se tempérer dans l’usage des bancs, qui offrent une provisoire possibilité de station. La section consacrée à ces objets publics donne un bon exemple de l’art du poète. Car le banc est véritablement une scène, sur laquelle se jouent nombre de saynètes quotidiennes où figurent tous genres de gens. Ces saynètes nous sont présentées dans une esthétique du croquis. Il faut saisir, en quelques traits, le mouvement, le sens, l’esprit d’une situation. Ainsi de ces enfants aidant un chat à redescendre d’un arbre :

[…] The cat, ici, serait plutôt un cas parmi les taillis taillés où les enfants se sont ameutés. Taïaut ! Perchés sur le banc ils l’attrapent et le redescendent par la peau du cou, sous la rumeur des oiseaux. Arrière-petit-fils d’un chat de gouttière, il s’accroche, vertige, puis détale, de nouveau chatoyant. Minou, minou !

 

Autres lieux de station provisoire, ce sont les hôtels, fréquentés au cours des voyages (section « Hôtels et retour »), lieux de réflexion solitaire, dans lesquels on s’absorbe un temps : « des murs, en faire partie, faire partie des murs, être aussi meuble que la chaise ou la lampe qui me voient d’un bon œil – miroir – puis ne me voient plus, tellement je suis fondu dedans ». Ce sont plutôt les petits hôtels de province qui sont objets de poésie, et la remarque suivante a valeur emblématique : « L’Hôtel Moderne est souvent ancien. » Le goût des choses discrètement désuètes, que j’évoquais plus haut, s’y concentre ; de la même manière dans : « Comestibles : aux vieilles enseignes vaguement épargnées par le temps, on pouvait lire de tels mots pour annoncer la chair mangeable et un peu recherchée » ; ou encore : « basané se disait naguère, vocabulaire passé dans les livres jaunis ». Ces choses ne vont pas sans les mots qui les disent, et c’est une qualité toute particulière de la poésie d’Étienne Faure que de les saisir et de les conserver pour nous, nous permettant d’en goûter la saveur :

 

[…] Les enfants, eux, avaient droit aux bonbons fourrés à la menthe, au cassis, à la mandarine, au café, à tout et n’importe quoi de la grand-tante. Elle conservait dans une soupière de vieux bombecs collés à leurs papiers, impossibles à arracher, et qu’il fallait sucer comme ça, calés entre langue et palais. Avec leurs peaux recrachées après.

 

« Bombecs », « cloper », « pioncer », « illico », « rédacs », « clopin-clopant », entre autres vocables ; « toi qui as de bons yeux… tu seras mignonne de m’apporter… tant que tu es debout… » entre autres expressions, dans le recueil : on peut faire poésie de ces mots surannés, charmants, qui furent les nôtres et donc qui furent nos vies, et qui passent. Quant aux « mots liftés » de l’air du temps, il leur en faudra peut-être un peu pour livrer leur saveur, si ce n’est dans une perspective satirique :

 

 […] Elle emporte sa lunch box isotherme à deux cuves, l’une pour la viande, l’autre pour la salade. Dotée d’un clip, elle est hyper hermétique et conserve le chaud et le froid pendant cinq heures. […]

 

Objet emblématique et contraire, puisqu’il s’agit de conservation, la veste aux poches emplies « des cueillettes de l’an dernier » : « un vrai poème, ce paletot ».

Il serait facile dès lors de taxer cette poésie elle-même de désuétude, considérant qu’elle se détourne des questions brûlantes qui doivent nous occuper, et de la langue littéraire contemporaine. Elle fait un pas de côté, elle sait nous arrêter, à contempler par exemple ce tas de choses anciennes, cave vidée sur un trottoir :

[…] des guéridons et des sellettes, des cache-pots, des passe-plats, des tabourets, des escabeaux sans marches, des abat-jour et des squelette de chaises, des ciels de lit, des paravents crevés, des rideaux en nylon, en cretonne, en organdi. Tout cela promis à l’asphalte où les pas maintenant se hâtent – ok ça marche –, en quête d’avenir.

 

Ce n’est pas seulement que la poésie d’Étienne Faure nous rappelle que ce que nous aimons et à quoi nous tenons si fort à présent deviendra cela, ce bric-à-brac promis à la décharge : c’est aussi qu’elle nous laisse soupçonner ce dont elle se détourne. C’est-à-dire les signes dans le présent d’un avenir fort incertain, dans lequel nous avons de plus en plus de mal à nous projeter avec quelque confiance. Mais d’une part, elle nous rappelle qu’il y a tant de choses à voir et à éprouver, tant de choses diverses et de points de vue divers sur le monde ; et d’autre part, il y subsiste un espoir d’émancipation véritable. Il faut simplement y prêter attention :

 

L’année dernière il était au cimetière, ce petit œillet trouvé dans les poubelles près du mur des Fédérés, qui tient tête et relève le défi de vivre. C’est désormais une tripotée de ressuscités qui occupent la croisée : rien que des bras cassés, issus de pots en terre et en plastique, des dépotés ressurgis d’entre les morts. Et qui fleurissent post mortem la fenêtre dans un devoir de mémoire, dirait-on.

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Denis EMORINE, Vers l’est ou dans l’ornière du temps / Verso l’est o nel solco del tempo

Que de textes graves, mélancoliques, tristes et tragiques ! De l'Est évoqué par les « barbelés » de l'histoire , les « bouleaux » de Wajda et les références à la poétesse russe Marina Tsvetaiëva, Emorine nous conduit au plus intime de la violence subie. Sans s'appesantir, il nous donne à lire les séparations, les blessures, les violences de la guerre, à l'Est et ailleurs.

Dans des poèmes assez brefs, en deux sections « Détours » et « Insomnies », le poète grave sa poésie dans le terreau des victimes et les souvenirs âpres. On sent une proximité avec ces noms qui courent les pages, autant de deuils, on le pressent : Nora, Jacques, d'autres anonymes. La force de la poésie est sans doute de décaper l'atroce et d'en rendre compte dans la lumière même du poème : 

 

Pieds et poings liés
tu ne peux plus articuler un mot
ton sang coule aussi
sur des lettres d'amour

(p.48)

Dans l'ornière du temps
règne l'obscurité
les jours ont déteint sur toi
tes vêtements et ta peau sont devenus gris
tes mots se sont échappés dans la nuit

(p.76)

 

Denis EMORINE, Vers l'est ou dans l'ornière du temps / Verso l'est o nel solco del tempo, Giuliano Ladolfi editore, 2021, 128p. 12 euros ; Traduction en italien par Giuliano Ladolfi. Préface d'Isabelle Poncet-Rimaud.

Il y est question d'amour, de séparation : le passé est lourd à supporter, et les souvenirs laissent d'intimes traces blessantes. Le talent d'Emorine est de nous livrer une vision de l'histoire proche et tout à la fois inscrite dans la grande histoire et ses fossés tragiques.

Ce livre bilingue, très bien présenté, suggère au lecteur toutes les peines endurées, sans jamais y être démonstratif ou pesant, parfois la tête est trop lourde pour subir et il faut donc la légèreté grave du poème pour alerter l'âme. Ce que le poète fait très bien. Au sang, au rouge répondent les lumières du poème.

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Piet Lincken, Edith Södergran, Å Itinéraire suédois

« Je ne suis rien qu'une volonté illimitée » écrivait la poétesse Edith Södergran vers 1919. Une vie brève passée dans les sanatoriums, existence étroite à l'orée d'un siècle qui lancera des tunnels et des ponts pour aplanir les montagnes et rapprocher les îles, et croira poser le pied sur le quai de l'éternité.

Mais vie dense, les « ongles en sang (cassés) au mur des jours ordinaires ». Le sang bouillait dans ce corps entravé par la tuberculose :

 

J'existe rouge. Je suis mon sang
Je n'ai pas renié Eros.

 

Plus de quatre-vingt-dix ans après, Piet Lincken voyage, avec le sang d'Edith qui lui bout dans les veines. Le voyage qu'elle n'avait pu faire ?

Piet Lincken, Edith Södergran, Å Itinéraire suédois (nouvelle édition augmentée), Atelier de l'agneau, 2020, 104 pages, 17€.

Ouvre. C'est un livre carnet, un journal de bord pas systématique où se répondent les poèmes d'Edith en bilingue (1) et poèmes et proses de Piet. Quelques notes climatiques ou ethnographiques, des cartes, des photos, détails saturés. Il y a des lieux éloignés. Tu vérifies sur l'application Plan. Ce n'est pas linéaire. Si les oies sauvages sont évoquées, on est loin de leur clair tracé pédagogique.

Piet décape ses rêves, et ses mots :

 

À l'infini, libre, la route du Nord
lâche son cordeau 
(…) on a peur, mais tant pis, personne ne prête attention à personne.
(…) l'observation échoue : manque de temps,
manque de distance,
et excès de point de vue. Croisons les fers :
mutisme et cri, glace et lave, point final.

 

Désenchantée, l'époque ? Foin des sages oiseaux migrateurs de Lagerlöf, le cercle polaire est à portée de bagnole ! À Vik, d'une Land Rover sort une silhouette d'oiseau de proie qui t'assène un « …il n'y a rien à voir ici ». Époque ironique où le désenchantement est devenu une composante du confort :

 

Décrassé dans l'agréable piscine d'eau chaude, je ne renie plus mon chemin de croix.

 

Piet met à l'épreuve sa fidélité à Edith. Va-t-il au désert intérieur pour retrouver le vent incendiaire qui la dévorait ? Et même ces mots flamboyants (mes autoroutes lyriques !) que je viens d'employer, Piet n'en voudrait pas. Ce livre est plus sobre, âpre aussi mais sans la volupté du désespoir :

 

j'offre aux regards du monde cette terre merveilleuse
sublime et morose (…)

 

écrivait-il déjà dans des éléments premiers, publié par le même éditeur en 2004. Cet itinéraire suédois a simplement commencé ainsi :

 

D'une seule enjambée on peut s'éloigner de l'autoroute.
Le soir à la pénombre, dans les eaux au-dessous du pont, je fouille.
Et pour retrouver quoi ?

 

Retrouver « le bas (…) à portée de main / (l'ange aussi est descendu)/ ne point tant user de mots». Itinéraire, initiation à ce « petit (qui) comble ». Voyage de lecture, de mémoration, de traduction, qui redonne sa bonne place à l'homme et lui offre à nouveau la chance d'une contemplation biface du pays qui est et de celui qui n'est pas (2).

Et ce cabanon sur plusieurs photos ? Piet y retrouve l'espace étroit qui dilate l'expérience. Après qu'Edith s'est couchée dans « le hamac des fées » et rêve à « des choses curieuses », tout près d'elle Piet dit :

 

… tel un petit arbre rabougri,
quelque chose a humé le ciel.
Il n'en faut pas plus pour que le buisson brûle,
que la mer s'ouvre,
que le rideau se déchire.

 

Libre à toi de penser au Sacrifice d'Andrei Tarkovski.

 

 

°°°°°°°

Notes :

  1. Les poèmes d'Edith Södergran sont traduits par Piet Lincken
  2. Titre du recueil d'Edith Södergran, Le pays qui n'est pas, 1925, traduction en français par C.G. Bjurström et L. Albertini, chez Orphée La différence, 1997.

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Louis Adran, Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin

Il est des textes qui résistent… Entre les règles qui s'appliquent à tous et la liberté grande de l'intime, ce choix de privilégier l'espace et les manières les moins courues. Des textes dont il serait hasardeux de tenter de mesurer la portée.

Dès le titre de l’ensemble, les paradoxes sont de mise et ils parlent fort, déjà : le recueil qui viendra en second est annoncé dès l’abord et celui qui le précède voit son titre présenté ensuite ; de plus, ce dernier est légèrement amoindri par le mot « précédé de », comme s’il ne s’agissait que d’un hors-d’œuvre. Tout cela joue déjà sur le futur lecteur et lui suggère comment le poète a considéré ses textes, leur hiérarchie, du moins leur mise en relation.

Pour Suzanne et Au tombeur, voici les deux dédicataires de ces deux recueils réunis ; Pour Suzanne « Traquée comme jardin » et Au tombeur, « Nu l'été sous les fleurs ». La première dédicace présente un prénom féminin et le second, un type d’homme qui se définirait par son pouvoir de séduction voire sa force physique. Dès l'abord, ces deux dédicaces peuvent permettre un éclairage, une élucidation du moins, peut-être un chemin, lequel s'ouvrirait d’une part sur cette quête du féminin, deux femmes apparaissant dans « Traquée comme jardin », « toi » (Suzanne ?) et « elle », sans qu'on sache très bien s'il s'agit d'un même personnage vu sous deux angles différents ou deux entités indépendantes, alors que, d’autre part, « Nu l'été sous les fleurs » évoque la complicité entre trois hommes l'ami de l'oncle (le tombeur ?), l'oncle et le narrateur poète.

Louis Adran Nu l’été sous les fleurs précédé de Traquée comme jardin, Cheyne éditeur, 2021, 96 pages, 17 €.

Ces jeux sont fort subtils puisque les deux titres semblent être, de ce point de vue, en miroir, le premier commençant par un participe au féminin « traquée » pour se terminer par un nom masculin : « jardin », le second commençant par un groupe de mots (au) masculin « nu l’été » et se finissant par un nom féminin « fleurs ». Ce chiasme semblant annoncer l’une des problématiques du recueil, ces faux-semblants, ces faux-fuyants, ces ambiguïtés de genre.

Quoi qu'il en soit, les deux textes se présentent comme deux récits, deux épopées du quotidien, exploitant tous deux l'ouverture infinie que permet le temps verbal de l'imparfait avec une généreuse abondance (on en redemande), « tu gagnais les chambres » … « tu rêvais peindre » … « tu disais revenir » … des récits où n'ont lieu que des non-événements ne dérangeant presque rien à la continuité des jours. Le continuum que permet l’imparfait fait passer le lecteur d’un poème à l’autre avec fluidité, les verbes « Verbes surtout avait dit l'homme » marquant les successions d'états, les actes imperceptibles, les pas de danse se succédant en une continuité temporelle harmonieuse. Comme le dit la citation de Jean Genet, au début de « Traquée comme jardin », « une chorégraphie qui transformait sa vie en ballet perpétuel » … (Jean Genet Notre-Dame-des-Fleurs)

On entend bien que ces deux recueils doivent se lire ainsi, comme une succession de pas de danse, transformant la vie, ses imperceptibles événements, en un ballet. Ainsi doit s’entendre, peut-être, la dislocation de la syntaxe, comme le déhanchement d’un corps en mouvement ? On a soudain ce désir, à la lecture de ce bel ouvrage, de faire de même et poser « des actes nécessités non par l'acte mais par une chorégraphie ». Et que la beauté du geste (et la parole ici en est un) préside aux choix de vie faisant même « de la pauvreté des couleurs une danse ». Ainsi, de secrètes mais rythmiques parentés viennent se faire écho dans le texte, comme par exemple l'adjectif « cuivré », dès la première page de l'ouvrage « Fut le jardin cuivré » puis au début de la seconde partie « de vieux objets cuivrés » et vers la fin « certaines bêtes au dos cuivré ». Il y a d'ailleurs une unité de temps dans ce recueil, ses deux parties parlant de l'été, la seconde se terminant « début septembre ».

« Traquée comme jardin » célèbre une femme, à la deuxième personne « Belle trempée de nuit » et la souplesse énigmatique de la syntaxe rend infiniment bien le mystère cru d'une présence : « toi collée bleue dans l'ombre, nue terriblement, longue et lente, à reprendre sans cesse les jambes fines de douleurs endormies » (...) « Et ta jambe nouvelle après août, au-devant des sous-bois des allées, recousue comme une lèvre de prière, ronde, saine et faite très blanche » ; celle-ci est parfois appelée « ma sœur », mais encore « l'épousée, la voyeuse, la diseuse solitaire de draps perdus »... Néanmoins, à ce « tu » se rajoute parfois une « elle » sans qu'on sache très bien s'il s'agit d'un même personnage, vu sous un autre angle, d'une rivale ou d'une entité abstraite, telle une Madone « en sa robe claire terminée d'églises » ... En tout cas, ce trio mystérieux porte avec lui beaucoup de sens possibles, fécondant de multiples hypothèses de lecture. Mais qu’il nous soit permis d’en privilégier une, celle qui nous parut la plus touchante sinon la plus évidente, une sœur malade (le champ lexical de la maladie surabonde), décédée peut-être, et dont il est fait l’éloge :

 

Et se parant d’une dernière
nuit, du carré trouble des feuilles
comme une robe

elle. 

 

Il en va de même du second recueil « Nu l'été sous les fleurs » qui, lui, suggère, à travers un second trio, des amours plutôt homosexuelles entre « ton oncle » « le visage de ton oncle », « l'ami de ton oncle » et le narrateur poète, qui rejoint le couple. « Quelqu'un -dont on avait vu le bras enserrant la taille de ton oncle sur une photo » ... La sensualité est discrète mais présente « sa main gauche lâchait la taille de ton oncle » (...) « le corps de l'ami de ton oncle passait, repassait, viril » surtout dans l'évocation du couple, peut-être travesti : « Je les revois en juillet sans un faux pli, dans deux costumes légers deux robes peut-être, et leurs visages très lisses encore très beaux, et leurs nuques leur patience ». Là encore, on peut se demander à quel passé appartiennent ces deux hommes, s’ils sont encore vivants ou non, s’il ne s’agit pas d’un éloge funèbre. L’insistance obsédante de l’imparfait laisse la question sans réponse.

Mais ce qui unifie surtout les deux recueils, c'est la question qu’il s'y pose, de façon lancinante. Que signifie parler, que signifie écrire ? « Parler avait été la nuit depuis toujours » « Quelle nuit s'était tue en nous » « je reprenais sans cesse dans ma tête Terrain vague ou Cinq lèvres couchées noires » « Je rêvais de phrases aux visages précieux (...) je rentrais toujours noir au matin, sans que rien jamais ne fût écrit » « J'écrivais Gravats ou Mur nord... » « Je n'écrivais pas Pavillon noir » « j'ai vu, sans oser l'écrire pourtant » « Vestiges des cahiers noirs, avais-je pensé très vite, délaissés un à un et les mots, lentement par la nuit d'été sous les arbres, à dire voir, dire toucher les jardins ou les corps barrés de feuilles, ébahis »

Que font la parole, l'écriture ? Enferment-elles la vie ? La réduisent-elles au silence ? Parlent-elles, au contraire, fort bien de la douleur qu’elle provoque ? Ici, tout reste ouvert. On pense parfois, tout de même, à la poésie de Saint John-Perse, même si l'écriture se fait apparemment modeste et surtout singulière, afin de mieux s'effacer, peut-être, devant la splendeur tragique du jardin des êtres. « me suis mis à ne plus jamais écrire » dit le poète à l’extrême fin de son texte. La seule écriture qui vaille serait-elle celle qui n'imprime pas ? Surtout, devant l’énigmatique beauté d’un tel texte et devant celle du monde, se garder d'en rien conclure. À relire, néanmoins, sans modération.

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Nohad Salameh, Baalbek les demeures sacrificielles

Ils sont rares, trop rares, les livres de Nohad Salameh. Celui-ci, paru à L'Atelier du Grand Tétras, s'offre comme une somme des paroles de l'enfance, en même temps que celle de la femme grandie là, dans cette ville du Liban, anciennement nommée Héliopolis, « Cité du Soleil » nom donné au Baalbek de l’époque hellénistique, car les Grecs associaient Hélios, dieu du Soleil, à Adad, divinité mésopotamienne de l'Orage et de la Fertilité. 

Autant dire que cette ville se confond avec les visages de l'énonciatrice, tout comme elle motive la langue, les langues, car le texte est proposé dans ce volume en arabe traduit par Antoine Maalouf et en anglais par Suzanna Lang.

Héliopolis, éternelle et multiple dans le souvenir de la poète, qui dans une prose poétique tout en retenue cisèle le poème telle une orfèvre le joyau brut du langage. Le texte liminaire met le lecteur sur ce chemin de la réminiscence, mais aussi d'une somme, celle d'une vie où les racines plongée dans le sol de l'enfance ont aidé à pousser au-delà du territoire qui a nourri la croissance de l'être. 

Le corps brodé de brisures, saupoudré de génie, de lait et de luxure, compose un paysage sur le ligne du songe. Et l'œil, lame de fond, avaleur de ciels, hèle le poète qui arpente le domaine des dieux.

Nohad Salameh, Baalbek les demeures sacrificielles, avec les traductions d'Antoine Maalouf pour l'arabe et de Suzanne Lang pour l'anglais, collages de Nohad Salameh, L'Atelier du Grand Tétras, 2021, 144 pages, 15 €.

Ce poète, père réel, et père du songe demeuré tel qu'autrefois, main tendue pour guider la petite fille et lui transmettre l'amour des mots, mais aussi 

...Jupiter-Hélios, Soleil des soleils, fils aîné de l'Immense, quêteur d'un brin de caresse, tu vides le jour de ses éclairs, tandis que la cité, oblique à même ton épaule, verse sa récolte de pavots et de blé sur les crêtes stériles.

Premiers textes du  chapitre liminaire titré "L'Invitée d'Hélios", où il n'est pas difficile de constater que le masculin prédomine, du père au fils, du symbole solaire qui imprègne le nom d'une ville dédiée à la vie des hommes. A cet égard l'emploi du  substantif "brisures" dès la première ligne est éloquent. La narratrice est l'Invitée d'Hélios, et elle a grandi dans sa demeure, celle de cette chaîne d'instances masculines dont dépendent les femmes. Le titre du recueil revient alors en mémoire, "Les demeures sacrificielles". "L'invitée d'Hélios" s'efface, devient observatrice, énonciatrice du songe dans le songe, elle décrit cet univers dans lequel elle a grandi et qu'elle a quitté lorsque la guerre l'a chassée de sa terre natale. Plus aucune allusion au féminin dans les deux premières parties du poème. La poète reste alors en retrait et se laisse entrevoir parfois dans le pronom personnel de la première personne, de manière lointaine, comme si elle n'osait pas mêler sa propre énonciation aux réminiscences de ces instants où elle a existé en essayant de trouver une place dans cet univers  patriarcal. Elle se souvient et dans une poésie descriptive absolument somptueuse elle devient la parole qui rapporte cet univers masculin, exactement comme toutes les femmes sont le corps qui enfante les hommes. Créatrices et observatrices, la genèse des êtres et des langues leur appartient.

La poète décrit Baalbek avec le regard de l'enfant qui voit ce monde riche de soie et de symboles odorants de l'orient évoluer autour d'elle. Dans les deux premières parties se succèdent l'évocation de la ville, ses odeurs, ses couleurs, restituées dans l'épaisseur d'une langue poétique d'une grande puissance, riche de symboles et d'images. Une seconde partie intitulée "Ceux qui vivent à l'étroit dans la rose" décrit la vie des habitants de la ville, fidèles à ce rythme séculaire qui ponctue les jours des sociétés qui portent encore la prégnance de ces souches ancestrales. Le titre bien entendu laisse planer l'ambivalence entre le sens littéral ou imagé voire métaphorique du substantif "rose" : quintessence du féminin, une rose évoque bien entendu la ville mais aussi la femme. Et du matin au soir la vie des hommes étendue dans des gestes alourdis de figures mythiques, dans une évocation tissée de symboles qui laisse entrevoir combien est fragile la certitude d'exister, et combien est prégnante la peur de la mort. Comme si une quête incessante et vaine présidait à l'édification de leur existence, chaine séculaire de traditions visant à rassurer ces éternels enfants enfermés dans la rose perdue d'une mère qu'il a fallu quitter. 

Jusqu'au dernier matin
ils tentent de forcer la chambre close
où s'arrête la mer.
La nostalgie aux plis du ventre
ils se souviennent de leur couleur d'ombre
qui jetait sur leur chair
l'étoffe de la finitude.

Puis dans la dernière partie un "je" prend le relai. Il s'affirme dans cette troisième partie du recueil, "Gardienne du troupeau du désert". Le féminin affleure alors, se fait jour, dans l'évocation des paysages et la présence de l'entité féminine, gardienne de la sagesse, déesse effrayante au point qu'on la cache, qu'on la relègue à une place où elle doit se taire, comme la narratrice qui peu à peu pourtant libère son verbe et devient cette poète immense et gardienne de ce troupeau du désert que sont les mots. Comme passent les année sur la ville et dans la vie de l'enfant, le texte peu à peu dégage cette femme des décombres du songe et de la geôle séculaire érigée par les hommes. Elle s'énonce et devient déesse, de sa parole, apprise dans le silence abandonné aux femmes. Au sacrifice se substitue la transcendance poétique, au masculin du poème le verbe enfin appartenu, celui de Nohad Salameh, qui enfin s'énonce dans le dernier poème du recueil.

Accablante et troublante ainsi qu'une croyance.
Je te thésaurise au fond de moi, cité qui me donnas
le jour. Attentive à compter et recompter sans
cesse tes soleils, je mesure la valeur de ton inégalable
monnaie - bonheur réitéré lorsque tes
bras pluriels, fatigués d'élévation, de bienvenue
et d'accueils le long des journées, se déterminent
à lâcher ce fardeau de complaisance au profit
d'un regard de tendresse. Et soudain, tous les
dieux ici présents tombent à ma rencontre depuis
les chapiteaux - averse d'olives à l'heure de la
cueillette.

 

Présentation de l’auteur




Gabrielle Althen, La fête invisible

Arpenter un ouvrage de Gabrielle Althen révèle parfois bien des surprises. Poétesse reconnue au sein de la petite galaxie poétique chloroformée, elle a été notamment professeur des universités (Paris X Nanterre) sous le nom romancé de Colette Astier. Membre de l’Académie Mallarmé et du jury du Prix féminin Louise Labé, avec à son actif une vingtaine d’ouvrages dont certains propices à la promenade intérieure.

« Je n’ai jamais reçu de prix littéraire hormis un je crois » affirme- t-elle, mais ce n’est  pas une fatalité en soi lorsque l’œuvre est solide. La quête des glorieux lauriers est souvent l’expression d’un manque ou d’un mal-être profond, la reconnaissance passe bien souvent par des chemins plus subtils et plus durables fort heureusement d’ailleurs…Dans son nouveau recueil intitulé majestueusement « La fête invisible », un titre éloquent sinon flamboyant, la poétesse dont on connait l’exigence et la rigueur verbales nous entraine dans un monde à la fois visible et invisible dans lequel la mémoire instaure un compromis volontaire, entre un réalisme engagé, et une rêverie palpable, oserais-je dire féérique où la Beauté à venir semble déjà présente et s’imposer pleinement. Une Beauté spontanée qui se livre intégralement et intrépidement, sans masque. Une Beauté délicate, élégante,  qui définit l’instant présent –fugace (sans jamais renier la charge du passé préexistant).

Gabrielle Althen, La Fête invisible, Gallimard, 128 pages, 14, 50 euros.

Une centaine de courts poèmes, alliant verticalité et horizontalité dans un jeu transversal et qui délimitée un parcours ou plutôt une cartographie insondable (toute cartographie est un lieu transitoire, inachevé) dans laquelle l’inexprimable côtoie habilement le révélé, à tel point que l’on se demande, s’il n’y a pas derrière ces mots « ouverts » à une plénitude engageante, comme un artifice singulier qui se déploie et se déplace ici et là dans une langue  abrupte et  lisse  à la fois et qui convoite une instance plus souterraine:

Depuis les friches du moment
Car
(L’œil cherchant l’œil où s’inscrire)
J’erre où tu me manques
Bien que je ne sache au juste qui manque (P.13)

Une lumière aussi dont il faut cependant se prémunir de l’incertain éclat qui parfois là encore peut se révéler retors, voire dévastateur, car la poétesse qui tantôt se veut sereine, ou tantôt tourmentée, sait pertinemment que les rayons invisibles du soleil sont parfois meurtriers. A trop vouloir sonder certains objets impalpables pour en percer je ne sais quel étourdissant mystère, on finit par devenir aveugle. Or Gabrielle Althen a toujours été une femme un peu secrète, mais également obstinée. Il n’est donc pas étonnant que :

Le silence a encore les dents jaunes (…) Qui donc avait.. (P.12)

Qui donc avait éteint le jour en se trompant de manque ? (P.13)

Et qui résonne dans le cas présent comme une sorte d’alerte. L’imprévisible est au cœur d’une parole toujours en devenir,

Et le vent fait sonner la couleur de ce vide (13)

Fulgurant cependant et cheminant lentement à travers les masques de la nuit qui corrompent l’âme et la chair en toute impunité. Et on l’aura compris, cette Beauté (est-elle fatale au juste ?) qui semble en apparence explicite et transparente, peut également contenir des aspects plus sombres que la poétesse se garde bien de révéler et d’infléchir au risque de tromper son Esprit.  Or ce manque qui s’est naturellement établi dans la conscience (ou l’absence de conscience) se distingue lui –même comme un simple exercice- d’ordre linguistique ? – et mental ; une hyperbole catalysée en quelque sorte,  mais d’une plus grande plénitude lorsqu’on va le chercher, Amour ! Ö Amour ! Est-ce bien de toi dont il s’agit lorsque,

Des enfants jouent sous le ciel fastueux (P.27)

Il n’est plus alors certain (mais ?) que le langage comble un vide plus grand encore – comme si la fluidité des mots n’était que le pâle reflet d’un abîme refoulé. Aussi la poétesse se garde bien une fois de plus et ce vraisemblablement pour se protéger (mais de qui ?) de dire et d’écrire, le CORPS qui l’occupe et qui d’une certaine manière la traverse, mais cette fois-ci sans laisser de béantes cicatrices. Gabrielle Althen a force d’efforts et de patience conjugués, a appris au cours du temps à maîtriser le mauvais sort. Comme « l’éclat rétractile » elle ne se confond (se meut) ni dans le bleu du ciel, ni avec le sommet de la montagne, et encore moins dans leur excavation.  Tout se joue ailleurs, dans un ailleurs fécond qui fait que « le ciel reste ciel »,  et que la montagne peut parfois s’effacer  miraculeusement;

Le ventre du ciel racle encore la montagne et les points
cardinaux continuent de se taire : (P.35)

Ainsi,

Dans le jardin qui enlaidit
La chose déjà fanée se pose et se repose (P.37)

La chose ? Voilà donc où le regard s’évide (P. 41),, en se perdant vraisemblablement dans un tumulte plus ancien où l’œil n’a plus vraiment de prise sur le dicible/indicible, avec en arrière plan, la folie de croire que la fusion instantanée recouvre l’AMOUR perdu dans les méandres de la terre, ou bien encore dans l’espace/temps,

Falloir ! Mais qu’il y faille, qu’il y faille mériter le désir ! (P.45)

Une véritable et implacable injonction. La poétesse, qui soudain se réveille après une longue  et âpre insomnie,  entend bien dès lors, ne plus se laisser pervertir, engloutir, par toutes sortes de fadaises, (« La sincérité est une escroquerie »), au contraire elle entend bien lutter contre ce qui depuis tout temps l’obsède :

Beauté : le ciel a forcé les fenêtres. Les phrases sont dissoutes (P.59)

Beauté., nue comme une lame, pur lys de ciel, - et ordre de couteau ! (P.72)

Ainsi toute la force du présent recueil repose t-il principalement et paradoxalement sur cette fragilité acquise au cœur de l’expérience personnelle, et intime, aussi bien que fortement maîtrisée depuis le début d’une longue aventure poétique. Les mots n’ont pas « dévié» de leur lieu originel, et ne s’offrent guère plus à la vue, même si :

La tentation n’est guère ordinaire pour beaucoup de savoir que le monde est une chance (P.86)

Avec l’errance qui se brise contre la promesse, pour finalement s’exclamer :

Suis-je heureuse ?  (P.114)

 

 

Présentation de l’auteur




Philippe Mathy, Dans le vent pourpre

Les lecteurs qui aiment les livres « de chair et d’encre » sont comblés : si la beauté des publications des éditions L’Herbe qui tremble ne fait aucun doute, les peintures d’André Ruelle (peintre avec lequel Philippe Mathy a déjà collaboré) font de la présente publication un livre remarquable.

Le recueil comporte sept séquences de poèmes soit versifiés soit en prose, chacune introduite par une peinture, à l’exception de la dernière composée de poèmes de circonstance. Bien que l’écriture prenne source lors d’occasions diverses, la voix du poète assure une profonde unité.

Violence et recueillement pour la première partie intitulés Verdun – écrite lors d'une résidence d'auteurs en mars 2016 – qui évoque le champ de bataille dans un paysage où l’âpreté du souvenir se mêle à la douceur du printemps et de la lumière, une dualité qui se retrouve au cœur des images : « une sueur de gel », « la mort vit encore », le « brasier bleu » des souvenirs…

la Meuse serpente immobile
les poches emplies de terre
de cailloux
de poussières d'homme. 

Philippe Mathy, Dans le vent pourpre, Gouaches d’André Ruelle, Éditions L’Herbe qui tremble, pages 124, prix 16 euros.

Suit la séquence intitulée Jours de cendre qui sont des poèmes sur l'acte même d’écrire, une méditation tout en délicatesse sur la fuite du temps et à la monotonie des jours avec  « si peu de fenêtres ouvertes sur l'inconnu »,  des jours gris où tout est noir et froid, au cours desquels le poète, en proie à la solitude, la tristesse et l’ennui, las de « ramer à contre-courant », s’interroge

Que sommes-nous ?
Si peu de brouillard de vivre
Un amour qui s’efface- un autre qui perdure

ou encore

Qui ai-je été ?

Quelques pas essoufflés dans le fracas de vivre
cherchant le feu d’un amour
la vigne d’un rêve où goûter à l’ivresse des jours

La séquence suivante donne son nom au recueil, son illustration figure donc sur la couverture et c’est sans doute la plus belle des six : on y retrouve le rouge violacé qui caractérise la couleur pourpre du vin, celui du Val de Loire où vit le poète une partie de l’année. Le vin, présent dans le verre que l’on entrevoit entre les pieds de la chaise, posé à même le sol. Une grande douceur émane de la peinture d’André Ruelle aux couleurs de bois rougeâtre, de tissu couleur de nuit, de feuilles et de soleil où l’on voit un homme assis tenant dans ses bras une femme aux trois-quarts dévêtue, une invitation à l’ivresse, à l’amour.  Des nuances feutrées à l’exception, en haut du tableau, du vert cru des grains de raisin auquel répond, dans le bas du tableau, le rouge pourpre du vin dans le verre, comme deux symboles qui s’interpellent et insufflent une vie au souvenir.  

Attendre
sur la rive de ce fleuve
où le matin
vient déposer sa chevelure
pour chanter le désir
de plonger dans la tienne

Quatorze poèmes que le poète traverse dans des pages hantées de paradoxes (« si lointain le proche/ si proche l'absence ») qui, avec grâce et subtilité, disent l’amour, le désir d’infini et de liberté. La nature s’invite dans le quotidien de l’auteur : « la nappe du ruisseau », « le ciel glisse un drap bleu »… Entre visible et invisible, le poète trace un chemin sur lequel le passé vit dans le présent, où « le cœur peut s'ouvrir/ comme un fruit » dans la lumière tamisée.

 Dehors, mains ouvertes est peuplée de voix, de reflets, de parfums de fleurs, de tremblements de feuilles, d’oiseaux « qui cachent l’invisible sous leurs ailes ».

Dans Rive de Loire, où l’on assiste à une véritable symbiose entre le poète et la nature, la concision du style s’intensifie, le désir se fait de plus en plus présent et se lit dans le choix des mots « frisson », « étreinte », « toison », « pénètre », « langueur », « enfanter »… bien que le poète, accordant au lecteur une totale liberté d’interprétation (les mots cités sont attribués à la brume, la lumière) reste dans une discrète retenue, à l’image de l’eau :

L’eau, elle aussi, ne laisse rien paraître.

Belle île, lieu « où le futur devient possible » est composée de poèmes en prose. La séquence s'ouvre sur l'image maternelle et apaisante d'un paysage de quiétude où sommeille un bateau « couché sur la peau de la mer » , les vagues des jours « caressent les fenêtres », laissant apparaître en filigrane la silhouette d'une jeune fille absente (disparue ?) que « seul le soleil peut voir ». La tristesse ne saurait cependant s'imposer. Le passé, sans lequel l'avenir ne serait pas, s’avère de fait indispensable.

Tu parles et ce ne sont pas des débris du passé mais le lever d'arc-en-ciel d'une parole après la nuit.

L’île est un lieu de renaissance où le souffle des profondeurs est autant celui de l’océan que celui du poète.

Le livre se termine sur des textes de circonstance dont les dédicataires sont des personnes chères à l’auteur. Mais le livre n’est-il pas tout entier une longue dédicace ?

Ce vent pourpre nous offre « des mots sans grillage » qui s’écoulent avec fluidité (peu de ponctuation, aucun point final excepté dans les poèmes en prose), un vent qui souffle sur la beauté tranquille des fleuves (La Meuse, la Loire) en attisant le feu des paroles qui embrase le cœur, un livre qui réchauffe comme ce « bol de porcelaine à la soupe bien chaude. Impossible d'y boire encore, mais on s’y réchauffera les mains dans les jours ou le froid nous assaillira ».

 

Présentation de l’auteur




Philippe Pratx, KARMINA VLTIMA – La vie anthologique et névrotique du dernier Mangbetu

Découvrant le titre du livre je n’ai pu m’empêcher d’évoquer le film de Gabriel Pelletier, Karmina, film culte au Québec, qui raconte les aventures loufoques d’une vampire qui grâce à une potion magique redeviendra « normale » et saura faire face à l’amour entre autres choses humaines. Ce dernier des Mangbetus résonne avec le dernier des Mohicans ou encore avec Ishi le dernier Yahi, dernier de sa tribu, monde en voie d’extinction.

Mangbetu comme originaire de l’ancienne Nubie, à présent vivant dans le nord-est du Congo. Rappelons que karmina (ou carmina signifie hymne, chanson, c’est aussi un prénom féminin (Carmina, d’où Carmen) que Bizet a adopté pour nommer son héroïne.

Le livre, qui se déclare chanson ultime, s’ouvre sur une citation de Fréderic Nietzsche : le poème a pour titre (non cité)  un fou au désespoir, poème inclus dans l’appendice  intitulé Chansons du prince Vogelfrei, à la fin de l’ensemble connu comme le Gai Savoir, terme qui renvoie aux troubadours, à l’art de composer une poésie lyrique. Sans étonnement donc on découvre  un livre composé de chants, et l’on ne peut s’empêcher alors de penser aux chefs d’œuvre littéraires tels que l’Odyssée ou la divine comédie de Dante (d’ailleurs Dona Beatriz comme la cruelle Béatrice n’apparaissent-elles pas dans ce livre !)  : On s’attend donc à un voyage, et il y a fort à parier qu’il soit initiatique.

Il s’agit donc du dernier mangbetu qui au terme de son périple, comme labyrinthique vers un ailleurs, lui qui a quitté son village en ruine, raconte « ses souffrances ».

Philippe Pratx, KARMINA VLTIMA – La vie anthologique et névrotique du dernier Mangbetu, éditions le Coudrier (collection coudraie), 147 pages, 20 euros.

Dès le chant liminaire le lecteur est averti : « Mais c’est une fin de siècle, d'un siècle futur, il y a beau temps que les livres sont morts, et l'univers malade des vivants est une plaie qui se referme ; ses rives rejointes, ses lèvres retournées au silence referont une chair lisse et vierge, guérie de nous.

Cela sentira l'éternelle paix du vide. » Nous sommes plongés dans un monde ravagé où des rescapés « vaquent en silence à des tâches saugrenues ». Et c’est dans les livres (« mon seul vrai gîte » dit le narrateur) que se tient la clé de la survie, c’est dans l’écriture d’un livre que se construit « une maison plus intime, un corps pour mon esprit, une existence pour ma vie. »

Alternance de récits en prose et de vers, nous entrons dans un univers fait de «pléthorique solitude », de rêves, de descriptions réalistes, de réflexions s’apparentant à la philosophie ou bien à la sagesse, nous traversons cette « catastrophe universelle » et apprenons la difficulté qu’il y a à se connaître et à rester soi-même, que le voyage, on pourrait aussi bien dire errance, soit effectué à travers le monde ou en soi-même.

Sans doute le voyage ne termine jamais, puisque les chants sont interrompus et repris plus loin, ils se développent et construisent la maison du livre qui abrite notre narrateur : Chant de la Dame des montagnes ; chant de la jolie paysanne folle ; chant du vaisseau fantôme (et comment ne pas entendre Wagner alors !) ; chant des oracles du Pays (où sont évoqués les dix plaies de l’Egypte du livre de l’Exode ainsi que les catastrophes s’abattant sur des villes « maudites » comme Thèbes ou Ys) ; chant de la sainte noire ; chant du voyage en Morte-Terre ; chant du bon homme Nikétas, chant du voyage aux Îles de la Nuit ; chant du voyage aux contrées de la Brume où l’album de Bod Dylan Honky Tonk Blues est cité, où une ambiance de road trip façon beat generation est créée.

On s’aperçoit en lisant que nous voyageons autant dans des références mythologiques, livresques, musicales, picturales, historiques, géopolitiques etc., si ce n’est dans les souvenirs des nombreux voyages entrepris par l’auteur lui-même, que dans un univers purement d’imagination. Dans la luxuriance des images, que je qualifierais de prophétiques, il y aurait presque du William Blake et c’est ici qu’il faut parler des illustrations qui accompagne le livre, réalisées par  Odona Bernard qui semble être nourrie et inspirée par : aussi bien les livres pour enfants que les univers mythologiques et fantastiques. Quelque chose de très frais et de délicat s’en dégage.

On ferme le livre en ayant vogué sur des flots d’images et de langage. On ferme le livre en sachant que les maux de notre temps soulevés dans le livre (déracinements, massacres), qui ne revendiquent aucun temps ni aucun repère, restent brûlants, que la question de la condition humaine tourmente et tourmentera encore … Et la question ultime concerne toujours bien le sens de la vie, comment ne pas se sentir, nous humains capables du meilleur et du pire, ballotés au gré des tempêtes, menacés de folie, aculés au désespoir … et forts de toutes les connaissances, de toutes les expériences, de toutes les méditations, la seule morale à tirer serait : « Se réveiller est, chaque jour, savoir que le monde est perpétuellement dans son agonie interminable. » Alors, de ce constat tragique, prendre la ferme résolution de vivre en plénitude, et comment sinon dans et par l’écriture ! (De cette façon la boucle est n’est-elle pas bouclée !)  

Présentation de l’auteur




Giuliano Ladolfi, Au milieu du gué

Comme je ne pratique pas la langue de Dante, j’ai vérifié dans un dictionnaire le sens attribué en français au mot italien : attestato, qui donne son nom au recueil de Giuliano Ladolfi.

Ce terme se traduit littéralement certificat ou attestation. L’auteur, qui a assuré lui-même la translation de son ouvrage d’une langue à l’autre, propose pour la version française un titre qui diffère profondément du titre originel italien : Au milieu du gué.

Voici qui le place dans une posture singulière. On se souvient de la fameuse expression : Traduttore, traditore, soit : Traducteur, traître. Cette paronomase — une expression qui joue sur la ressemblance entre deux mots — stipule que traduire c’est trahir. Le poète se trahirait-il lui-même ou voudrait-il apporter une précision — un éclaircissement — au mot abrupt dont il se sert dans son idiome natal pour nommer son recueil ? En effet, si le mot certificat se révèle réaliste et donc sans ambiguïté, l’expression Au milieu du gué, possède un potentiel poétique et symbolique. Ce que va confirmer la lecture du livre.

Giuliano Landolfi entend en fait éprouver les possibilités (les impossibilités ?) du langage à traduire l’histoire de son pays. Sa patrie a subi une métamorphose radicale lors du siècle écoulé, à savoir l’abandon d’une civilisation essentiellement rurale au profit d’un modèle industrialisé, voué au modernisme le plus effréné. Ce constat concerne bien d’autres nations.

D’ailleurs, entre toutes, les deux régions du globe qui ont connu une des mutations les plus radicales du vingtième siècle, la Russie et la Chine, présentaient une économie agricole et non industrielle. Ce qui déjouait les prévisions de Karl Marx.

Giuliano Ladolfi : Au milieu du gué (Attestato)Edition bilingue italien - français. Traduction de l’auteur, © janvier 2021 Editions Laborintus, Lille, 126 pages.

« Il y a des périodes dans l’histoire de l’humanité dans lesquelles le temps semble accélérer le rythme et les contours du monde deviennent plus incertains, indéchiffrables ; alors la pensée se révèle incapable de diriger l’histoire et chaque prédiction est contrecarrée par une réalité obscure. »

Le livre se divise en deux parties. A l’image des deux rives d’un même fleuve qui jamais ne se rejoignent. Chaque rive limite un territoire. Le voyageur doit compter sur l’existence d’un pont ou d’un gué pour pouvoir traverser le courant. Si l’on admet que ce fleuve symbolise l’histoire dans l’esprit du poète (le temps qui coule), les terres que bornent ses berges représentent le passé et l’avenir. Le gué désigne alors la possibilité d’un parcours malaisé, voire dangereux (on imagine des pierres glissantes). Le titre en français évoque donc un passage difficile à vivre, un parcours initiatique entre les rives du destin. On s’attend à une œuvre lyrique. Or, le style des poèmes s’avère sans fioritures. On ressent un refus de l’épanchement. Pas ou très peu d’images. Cette manière d’écrire est plus proche de la phraséologie du constat, de l’attestation, ce qui renvoie au titre en italien. « Ici nous naissons et mourrons sans laisser de traces. »

La première partie est consacrée à l’adieu au passé. « En deux générations il nous semble avoir passé des siècles ou peut-être des millénaires. » Adieu à la terre, à la fois natale et pastorale, aux ancêtres, à une certaine insouciance, aux valeurs traditionnelles — aussi. « On a déplacé l’orgue du chœur : / les filles ne viennent pluschanter, mais la Noël va tomber / toujours le 25 décembre. » Et, plus loin : « Le mot Art en patois n’existe pas. / Ici on parle de soupe et de travail […] »

L’auteur écrit à la première personne. Il s’interroge mais questionne également un interlocuteur non nommé, peut-être un membre de sa famille, sans doute son futur lui-même. « Quelle vérité veux-tu que je te dise ?  La tienne ? La mienne ? / Je ne pourrais pas choisir. » Ce contradicteur vit déjà sur l’autre rive. Il habite la ville. Il sait la modernité, la technologie, les nouveaux conflits. « Tu es en l’an 2000, ajoutes-tu. / Illumine la maison / avec des brochures publicitaires ».

Cette partie du livre se termine cependant par une affirmation : le travail poétique sur la langue doit permettre une sorte de réconciliation entre passé et avenir. « Mais j’utilise les mots du pays, / je contemple le monde sous son profil,  /  je sais ce qui germe du sol, / des souvenirs ... » Ce besoin de travailler se confirme par la création de la revue L’Atelier, au nom si évocateur. Giuliano Landolfi se fera aussi éditeur. Enfin, une petite Silvia voit le jour, symbole d’espérance pour son père de soixante ans. Une naissance difficile puisque le bébé manque de mourir. Une nouvelle vie commence.

La seconde partie de l’ouvrage met en scène l’auteur, encore l’interlocuteur (sa conscience ?) mais aussi son fils aîné, âgé de vingt ans.

Ce dernier est totalement coupé de l’univers de son géniteur. « Il n’y a aucune possibilité d’accord avec le père : ils semblent se déplacer en différentes époques de l’évolution. » Le jeune homme vit pleinement la postmodernité. Il ne connaît rien de l’histoire qui précède son existence, le passé antérieur de sa famille. « Monfils n’a pas vu le communisme, /  Il est né après le mur de Berlin, / il ne connaît pas l’angoisse / du terrorisme,quand chaque mot / de dissidence était un coup de feu. » Il a fait sien le manque d’idéal de la société de consommation et ne comprend pas la nostalgie qui semble habiter le poète. « La culture humaniste a été mise en décharge et les valeurs du plaisir, de l’argent, de la mode et du divertissement règnent en maître. » On songe à l’atmosphère factice dans laquelle évoluent les protagonistes de La Dolce Vita, le chef-d’œuvre de Federico Fellini.

Le passage du gué semble déboucher sur un échec : incommunicabilité et difficulté à se dire, à faire comprendre l’histoire : « Pardonne-moi si ma langue est silencieuse... /  il est juste qu’elle s’éteint / parce que je me suis liquéfié  /  en passant l’eau du ruisseau. »

Giuliano Ladolfi insiste sur la vision consumériste du monde postmoderne,  qu’il estime dangereuse parce qu’à la fois globalisante et réductrice : « consumérisme signifie placer le marché au centre du système des relations humaines, des rapports personnels, publics, sociaux, nationaux et internationaux, y compris les modèles culturels (théoriques, philosophiques, éthiques et esthétiques), ainsi que les modèles pratiques et pragmatiques. »

L’auteur cependant refuse de céder au désespoir. Il croie au miracle de la vie, à un avenir toujours possible. Et qui d’autre peut mieux incarner cette espérance sinon l’enfant dont la vie a été menacée puis épargnée (par qui, par quoi) ?  « Silvia est un miracle : / si le parfum explosé se dissipe,  / reste la garantie / d’avoir perçu / pendant un instant au moins l’infini. »

Le parcours en tout cas d’un homme qui doute, qui espère et désespère, le constat d’un monde à la dérive, en déshérence, que quelques grandes âmes (où sont-elles ? Existent-elles ?) pourraient / voudraient encore sauver…

Présentation de l’auteur