Mathias Lair, Quel est ce bonheur enfoui

Un petit livre massicoté à l'ancienne, une véritable plongée dans l'ascendance par un auteur épris de mémoire, de généalogie et de ferveur.

En quête des parents et ancêtres, le poète, dans les quatre sections de son beau livre de mémoire, tente de retrouver "l'éternité du tombeau" (il "a perdu ses parents dans les dédales").

C'est aussi une quête de consolation par celle des origines. Le poète calcule même les générations et le nombre de personnes qui "forniquèrent en 1644" pour lui donner, de loin, vie et présence.

Il faut "retrouver" pour éviter en soi "saccage et désolation".

De quoi être "réaccordé à soi-même" comme il le dit si bien.

Le détour par la maison familiale est comme un passage obligé dans cette recherche, les choses ont un peu changé mais le "muret reste du même vert".

Les poèmes sont brefs et ont la beauté d'une tension sensible qui doit beaucoup à une écriture fluide sans point ni virgule comme le tissage d'une mémoire - en continu.

il s'agit de trouve
l'incertaine origine
l'instant de la conception du sens
d'un coup jailli dans le désir

Et le "regain" du dernier poème est comme la vie même - rejaillie, retrouvée.

Mathias Lair, Quel est ce bonheur enfoui, Rougier V, coll. ficelle et plis urgents n°156, 2024, 40 p., 13 euros.

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Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut, L’invention des couleurs

Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut aiment écrire ensemble, notamment sous l’égide des « saisons » qui, ici, entrent dans la composition du titre de la première section du livre. Comment ne pas songer à l’un de leurs autres livres communs, La grande année (L’Herbe qui tremble, 2018), où le poète commençait également par dialoguer avec les photographies d’Isabelle Lévesque, avant de laisser celle-ci s’exprimer par les mots ? À cette différence près qu’à cette première partie de L’invention des couleurs succède un dialogue entre les deux poètes, sans l’intervention des images.  

Des couleurs, il n’en manque pas, dans cet ouvrage, d’abord manifestées dans les sept clichés d’Isabelle Lévesque : ces images en offrent une large palette, du rouge du coquelicot qui ouvre et clôt le livre au noir vespéral flottant sur la flambée du crépuscule, en passant par le vert des mousses et des herbes, le jaune et le mauve des genêts et des bruyères et le blanc du givre qui trace avec délicatesse le contour de feuilles colorées - sans oublier, bien entendu, le bleu du ciel. À ces images vibrantes de la nature répondent, dans une première section, les poèmes en italiques de Pierre Dhainaut, chacun correspondant à l’une des « cinq saisons » égrenées (qui sont aussi des mois). Très vite, le poète évoque à son tour la couleur, pour l’associer à une sorte de mélodie cosmique : « Fluide, la couleur autant que la musique / dans les arbres, dans la perspective, / les sons prenant plaisir à miroiter / se multiplient, la blanche, la verte, la bleue, // laquelle accueille ou recrée le mieux la lumière ? » Si la poésie est étymologiquement un faire (une création),   la couleur devient dans cet ouvrage un pouvoir alchimique puisqu’elle « recrée » « la lumière », au point que l’on s’interroge sur la valeur exacte du déterminant « des », dans le titre : s’agit-il d’inventer les couleurs ou, inversement, de révéler leur pouvoir d’invention ?

J’aime cette idée selon laquelle les couleurs inventeraient le « jour », « au-devant » duquel « va » lui-même « le jour » ou « le poème », à l’infini, comme l’indiquent la répétition de la formule et les points de suspension, dans ces vers de Pierre Dhainaut. De son côté, Isabelle Lévesque écrit : « La petite voix des couleurs change l’atmosphère : / ciel et soleils à l’envers. » Sons, couleurs et mots forment les vibrations chatoyantes qui nous ouvrent le monde, comme dans les cosmologies anciennes : « à l’œuvre où le sang se change en lumière », « le bleu rejoint les souffles de la mer ». Jadis, on écrivit : Et la lumière fut… 

Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut, L’invention des couleurs, poèmes accompagnés par les photographies d’Isabelle Lévesque, collection `coquelicot, éditions L’Ail des ours, 2024, 55 pages, 14 €.

Celle-ci entre en scène après l’œuvre du Verbe où tout est rassemblé, toutes les résonances et les potentialités contenues dans l’éventail qui va du noir au blanc et d’où l’univers naît, « Au point du jour, au bord du monde… » L’ensemble de ce livre me semble en quête de ces ondes primitives, à la fois sonores et colorées, qui précèdent la lumière : « l’écho faisant frémir les branches, / se déployant aussi vert que les feuilles » ; « la syllabe nue, premier flocon, / traverse nos vies : neige, nuage de neige » ; « les syllabes brillent encore ce soir ». Le « verbe » lui-même est « pourpre » et le « murmure », « bleu ». Ainsi les couleurs possèdent-elles leur propre voix, qui leur confère une puissance neuve. Elles revisitent la matière, les perceptions et les sensations : « le givre est vert, le givre est rouge » ; « laissons le feu, celui qui vient des rêves, / nous envahir en donnant un contour // insoumis, une couleur incertaine, / à la brûlure ». Le blanc semble créer une forme d’espérance : « la blanche, la secourable, l’heure initiale ». C’est parce qu’il est « Noir et nu » que l’arbre, « l’éveilleur », « nous oblige à mieux voir comme à dire ». Ailleurs, un rouge sonore paraît enfanter le coquelicot : « la fleur qui se hisse / au-dessus de ses syllabes rouges ». Chaque couleur déborde, sans origine ni fin, aussi vaste et accueillante que la conscience ou la parole primordiale : « Infini, le bleu, infini, le rouge »…

Nul doute, cependant, que cette lecture du titre de l’ouvrage ne puisse être renversée. En effet, les couleurs contemplées sont réciproquement inventées par le poème. Celui-ci les révèle au sein d’une trame universelle, en les reliant aux sons, aux mouvements, à la matière : ainsi l’arbre « danse rouge au ciel » ; « la branche cousue rejoint le pourpre ». Parfois, il les défait de leur nom, il ne sait plus les décrire, les laissant palpiter en silence : « comment ces fleurs se nomment-elles / et ces couleurs disséminées, allègres ? » Ou au contraire il interprète et redéchiffre les teintes déployées : « Lis le blanc sur la lisière : il trace / la frontière entre mars & avril / […] / Les pétales blancs / portent des indices ». Les sonorités des mots transforment et transfigurent la couleur blanche : « en flocons d’air et d’or ». Mieux encore, le poème savoure la couleur à l’égale d’un goût : « tu peux / goûter la couleur / elle s’offre. »

Échangeant les richesses de couleurs éprouvées au plus vif, les deux poètes célèbrent ensemble la danse des mois, le sacre des papillons et des saisons, dans un voyage ébloui qui commence à Lajoux, dans le Jura, et se prolonge en Bretagne, sur les côtes d’Armor. Pour autant, aucun nom de lieu n’enferme la promenade et l’espace ne cesse de s’élargir :

Soyons à l’heure exacte
de la perte du repère. 

[…] Les fleurs se multiplient
en secret, chacune son murmure bleu
pour éloigner l’horizon d’un pouce. 

De nuance en éclat, dans la métamorphose synesthésique d’un paysage partagé, toujours nous sommes dans l’« Orée » où tout devient à la fois lumière et reflet :

Et nous entrons, nous n’arrêterons plus,
en ces lieux juillet nous approuve,   
clairière, silence, miroitement de feuilles …

                                                     

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Daniel Kay, Vies héroïques Portraits, sentences et anecdotes

Il y a une poétique du fragment et le livre de Daniel Kay l’illustre à merveille, lui qui cultive l’art des miscellanées. Ces mélanges littéraires de portraits, sentences et anecdotes.

Dans ce nouveau livre du poète, l’on peut commencer par la dernière page. Celle où l’on voit Francis Bacon, dans son atelier, s’inspirant de Vélasquez pour peindre Innocent X poussant son cri extravagant et tragique. Au vrai, le peintre, écrit Daniel Kay, n’avait jamais réussi à peindre le sourire, se mit donc à peindre le cri. « Ce qui fit de cet artiste un des plus grands tragiques par défaut ». Ce « par défaut » de l’existence peut s’appliquer à « l’héroïsme minimaliste, cet éternel combat contre le quotidien, corps-à-corps avec ce gouffre dans lequel se débattent femmes et hommes depuis leur naissance », évoqué par Daniel Kay dans le court avant-propos.

Dans ce monde de peu de lumière qui est le nôtre, il ne s’agit pas de masquer le négatif de la vie mais de l’affronter. Le fantôme de Nietzsche est passé par là. Regarder le négatif sans grandiloquence, à la manière des anonymes ou des figures célèbres qui traversent ces pages. Ainsi, le bibliothécaire « qui aimait les livres sans en avoir jamais lu aucun ». Figure à la Bouvard et Pécuchet qui trouvait que la classification de Dewey était le plus beau des poèmes. Ne pas tenter de canaliser la négativité, l’assumer au contraire, c’est peut-être là qu’est le vrai héroïsme humain trop humain. Ainsi au début du livre, deux fragments se font face en un percutant vis-à-vis : d’un côté, Dalida, l’ancienne reine d’Egypte descendant pleine de vie les marches de Montmartre, ignorante pour l’heure des tourments à venir et, en page de droite, Empédocle, sur l’Etna, déposant méticuleusement ses sandales au bord du volcan en feu, pensant une toute dernière fois aux quatre éléments mais décidé à accomplir son geste de suicide. Bel exemple d’association qu’affectionne Daniel Kay entre la culture populaire et l’érudition, jamais pesante pourtant.

Daniel Kay,Vies héroïques Portraits, sentences et anecdotes, Gallimard, 2024. 114 p. 15,50 €.

Car tout se déploie chez lui dans la plus subtile ironie. Ainsi, de Balzac : « Il écrivit plus d’une centaine de romans et but des milliers de tasses de café, alliance héroïque de la plume et de la cafetière ». Où se niche malicieusement l’héroïsme au quotidien ? Le jeu, l’écart, la dissonance s’entremêlent pour la grande joie du lecteur. Des fragments de la première partie entrent en résonance avec des variations qui se font écho dans la seconde. Ou avec d’autres livres, tel Le Perroquet de Blaise Pascal. Tout comme ces bribes de la vie mécaniquement réglée d’Alfonso de Almeda à Lisbonne, clin d’œil amusé qui fait penser à un pastiche de Pessoa.

 L’on sent clairement chez Daniel Kay une attention au petit détail signifiant qui rappelle que le poète est un grand contemplatif des choses. C’est le ballon d’or de Diego Maradona ou les pleurs de Nietzsche à Turin devant le cheval malmené par le cocher et sombrant dans la folie. Daniel Kay sait retrouver l’acuité de Proust souvent empreinte de drôlerie, celle des peintres, Baugin et son dessert des gaufrettes, Rembrandt âgé et son énigmatique sourire qui ont inspiré d’autres de ses livres.

Bel éloge du « divers ». Avec la boiterie du père Gaston ou l’œillet emblématique d’un poète portugais opposant à Salazar, le nez de Cléopâtre inspirant Pascal, s’exprime l’audacieuse liberté du fragment chez Daniel Kay. Pascal, Cioran, Valéry, les présocratiques, les maîtres en cet art sont ici convoqués. Tout comme le poète alsacien Jean-Paul de Dadelsen et Bach. En fin de compte Daniel Kay s’adresse à notre fragilité, celle qui, entre l’intranquillité qui anime sa sensibilité et un certain apaisement, lui permet d’offrir, sous les mots, une dialectique généreuse, jubilatoire parfois, pour le bonheur du lecteur.

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Jacqueline Merville, Passage en Rhénanie, André Breton, Manifestes du surréalisme, Gilbert Bourson, Plancher du Ciel

Jacqueline Merville : traversée

Jacqueline Merville écrit avec sa respiration, rompue et libre, mentale et proche des ressorts d’un inconscient qui trouve en une suite de lieux une série de correspondances baudelairiennes. Etriquée en partie cette respiration permet d’effacer et d’ouvrir ce qu’elle a vécu sous forme d’apprentissage parfois forcé parfois actif. Dans le contexte de sa vie, ce « Passage » comme son nom l’indique est une traversée. Le tout dans une façon de percevoir où la sensibilité et l’intellect sont indissolublement liés, qui ne peut se réduire à la seule compréhension et qui s’adresse autant à une personne qu’à l’ensemble des femmes auquel elle appartient.

Ce mode de perception  tire sa force et sa faiblesse au-delà des catégories utilitaristes et des lieux (usines Henkel, Bayer Leverkusen) qui ouvrent et découvrent ce qui rapproche la propre psyché de l’auteure à son vécu d’hier et d’aujourd’hui étendue plus largement qu’à sa personne.
Existent de nombreux lieux, libres des codes comme des apparats économique. Êtres et objets demeurent étrangers, violeurs ou grabataires mais aussi des invitations à l’existence et au courage pour se réapparaître même où rôde des souffrances et douleurs d’ici et d’hier en de divers passés .
 
Ce passage devient un consentement à soi-même. Nul égarement romantique bien au contraire. La vérité est crue et redonne son dans une langue de sensations. L’ange se réveille en oubliant les brûlures de cigarettes des monstres. Et beaucoup de femmes aussi se souviennent des salauds. Un tel livre permet de retrouver à l’auteure  ce qui n’a pas cessé d’être : un papillon aux ailes déchiquetées.  Mais l’écriture est une inconnue apprivoisable qui étouffe le désespoir. Des pages s’éclairent jusque dans le silence des mères.
La précision du langage touche par un don d’exactitude, un caractère aigu de l’expression. Se dessinent les contours nets, la ligne très précise du destin. S’agit du langage poétique ? – Oui, mais il n’a rien vague car  un tel langage est premier dans la reconstruction qu’il invente au fil du désordre d’un « passage » qui retrouve son unité.
 
Jacqueline Merville, Passage en Rhénanie, des femmes, Editions Antoinette Fouque, Paris, 2024, 64 p., 12 €.
 
Tout ce qui est écrit par Jacquelin Merville est nécessaire pour élaborer de la poésie là où le langage de tous les jours peut nous amener à des réfections comme celles de la Bible : au commencement a été le mot…  L’obliger à se soumettre à de telles exigences c’est plutôt nager contre le courant, avancer en ce qui devient une  revendication à l’existence qui certes est  le fruit hasardeux d’une d’injustice. Elle est inhérente au travail textuel, qui demande une rage d’expression en développements, de dépliements horizontaux ou verticaux.
 
Ainsi, l’explication (si explication il y a ) est inséparable de la création, le mouvement inséparable aux lieux et leurs variantes successives publiées qui répondent bien à une intention et à une conception relevant d’un composition musicale particulière, fixe et mobile, traditionnel et moderne… Au long du temps et jusque dans ce voyage l’auteur a sous mes yeux un long du temps, son  sacs à dos et son histoire.

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Breton l'énergumène

Cette édition centenaire des Manifestes du Surréalisme de Breton est un recensement de tirage spécial parfait.  C’est là se rapprocher de ce Kamtchatka théorique écrit à la fois au télescope comme au microscope. Cette édition documente ces textes de combat de 1924 à 1962 (pour leur édition définitive). Mais La Pléiade ajoute quelques ouvertures intéressantes sur cde tels brulots parfois encore salués, parfois oubliés ou critiqués. Se prolongent la mobilité de la pensée de Breton et la perpétuelle diversité de ses convictions.

Son premier manifeste du Surréalisme.  Fut publié le 15 octobre 1924 au Sagittaire chez Simon Kra à Paris. Et Breton fonde son école (dont il allait devenir « Pape »),  et précise « un certain automatisme psychique qui correspond assez bien à l’état de rêve, état qu’il est aujourd’hui fort difficile de limiter ».  Mais cette judicieuse édition crée des effet de pans et de reflets, d'un texte à l'autre dans la pensée de Breton en particulier chez les versions d’après-guerre.
Certes il serait il est vain de chercher grief au créateur. Mais à chacun de se battre avec ces textes et non sur des attitudes supposées.. Ce qui n’empêcha pas au surréaliste belge Paul Nougé exclu sine die du groupe germanopratin d’estimer  dans les Manifestes des précipités « théoriquards  histoire de ne pas rire ». Et de rappeler que la bourgeoisie intellectuelle et parfois universitaire trouva une forme de liberté entretenue  au gratin marxiste.
Néanmoins cette nouvelle édition nettoie tes nos lunettes en zieutant sur le lit défait des Manifestes leur charnu et parfois des éboulis ou des aisselles négligées. Il n’empêche que l’ensemble reste des successions  d’étoiles nues toujours près sur la bureau d’un écrivain  là où s’allume cette nouvelle édition en plafonnier.
 
Les manifestes, vu leur âge, sont  d’une certaine manière vieux dans le secteur de l’art et de la poésie. Mais ils sont loin de commencer à fatiguer. Les créateurs et lecteurs font leurs griffes dessus. Preuve que les vivants le restent sans s'asseoir sur de tels textes. Ce qu’a émis Breton reste constant progrès et  sans préjudice dans cette accumulation de théories  en un tel livre ouvert sur un certain cristal. Il ne suffit pas d'y mettre un pied dehors et ne jamais oublier de garder les clés de Breton. Elles ont ouvert un monde.

André Breton, « Manifestes du surréalisme »,  Tirage spécial, Préface de Philippe Forest, Collection Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,  19-09-2024, 1184 p., 64 €.

Un tel évènement le "re-présente". Avec en conséquence, des « usines » de la création  en face des antennes qui vibrent dedans et dehors pour penser le non-sens de certaines raisons. Breton a donc construit un monument. C’est encore quelque chose de la joie qui débarque on ne sait pas parfois pourquoi. Mais il importe que tout l’espace artistique et littéraire cueille un brin de son éternité par  halos de lumière et fait trembler la table non seulement ce l’éros mais de la création-énergumène.

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Affutages et tremblements de Gilbert Bourson

Gilbert Bourson explore des lieux et des livres pour en extraire, par son écriture, d’étranges parfums de fleurs montées vers l’espace à partir de son « plancher du ciel ». Existent une suite de textes abîmes  « pour venir à bout du ciel tombé en plein vol d’un cheveu avec voracité ».

L’auteur a la chance de connaître "des jours à idées".  Ceux-là laissent jaillir ses pensées des moindres occasions, « c’est-à-dire de Rien ». C’est-à-dire aussi toujours d’un encore et voire de tout.
 
Au besoin l’auteur taille dans le jour, referme une fenêtre-sécateur mais ouvre de nombreux matins , d’autres matins.  Ses textes sont de petits chantiers. Ypointent parfois des « draps météorites bégayées d’orteils ». Il existe là des oracles où le moi de l’auteur grouille à foison pour découvrir des fleurs , du pain, des auteurs, des musiciens de Jarry à Breton, de Ravel à Dusapin   à travers de visions sonores ( prises parfois  au mot Rimbaud) ou visuelles.
 
Tout ce qui est dit est autre chose que ce que nous sommes. Et nous suivons le fil avec de multiples tentacules et tentations où « se veut une fleur aux semelles de vent ». Rien ici ne grince chez ce porteur d'une prose assurée par sa chair et ses os sur plusieurs chemins taupiers. Les textes lézardent, serpentent et muent à vue dans la boue et les mauvaises herbes qui se transforme en or et argent mais aussi en frissons.
 
Bourson ne récrit jamais le double de ce qui a déjà été écrit et ne tire jamais la laisse du chien de la mélancolie (ou de Goya lui-même). Chez lui une odeur de neuf relie la terre au c

Gilbert Bourson, Plancher du Ciel, Editions Douro,  Chaumont, 2024, 120 p., 18 €.

Une telle affaire est entendue en touches « sur les toits d’un goût de chose lue dans l’aboiement de l’air ». Toutefois l’auteur ne joue ni l’ange ni la bête. Il lessive le connu pour extraire d’un tel essorage  les « volupté des voluptés ». Le lecteur n’en demande pas plus.
 
Oubliant les mots d’hier, Bourson retrouve une relation entres les choses et leurs mots. En conséquence « dans le trou duc du mot donc du monde », une telle prose dit au dire du monde un glissando mais sans la moindre vaseline.
Tirée par les cheveux l’écriture ose l’explosif (neurones comprises) façon satin froissé à la Henri Michaux Chez ces deux auteurs rarissimes les titillations sont des phrases expurgées de mondanités idiosyncrasiques.
 
Parfois la tête _ pratiquement cou coupée par Bourson lui-même - frise la catastrophe. Mais à fleur de peau toute lame capote si ce n’est celle de fond qui fouaille l’âme jusqu’à celle de l’ange excessif  comme du diable.
 
Dans le genre c’est bien mieux que bien. Le style a ôté son slip mais non pour devenir exhibitionniste. De la première à la dernière ligne un tel livre palpite :  Et c’est ça écrire mieux qu’un écrivain lamda. Ici à pleine voix et «  rougie de doigts au goût de chair vers le tendon grimpant comme n’importe » tout avance.
 
Il y a ici parfois du Blake et du Dante mais aussi du Vachey et du Jarry. Les mots de chambre sont exclus et le brasier de moines ont fait leur habit. L'auteur devient le bavard même dans les champs qui se transforment en chants : ici hors de combines, tout est affûtage et tremblement.

Présentation de l’auteur

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Guillaume Métayer, Mains positives

Mains positives  est un livre de poésie et de délicatesse. L’auteur, Guillaume Métayer, est un traducteur prolixe et polyglotte. On lui doit entre autres la traduction complète des poèmes de Nietzsche, du  Verdict de Kafka… Il traduit, depuis le hongrois, des poètes et écrivains modernes et romantiques (Gyula Krúdy, Attila József, Sándor Petőfi…), mais aussi contemporains, comme István Kemény ;  des poètes slovènes, comme Aleš Šteger. De ce dernier, un article d’En attendant Nadeau a récemment présenté Au-delà du ciel sous la terre, traduit par : Guillaume Metayer. Il a consacré un livre à la traduction :  A comme Babel, qu’on peut lire avec bonheur comme des notes d’atelier. Il est aussi spécialiste de Voltaire, d’Anatole France, chercheur... et poète. 

C’est assez de classer mes papiers », écrit-il, ce qui donne le ton, l’un des multiples tons de ce livre.  Comme si la lecture critique tenait le milieu - entre éternité et classement - il faudrait  dire ici combien la traduction est au centre de son travail de poète ou comme ceux qu’il traduit influencent  ce qu’il écrit.  Plus simplement : un certain esprit de l’Europe centrale a forcément soufflé sur lui… ou de « lEurope, centrale », pour reprendre le titre de deux numéros de la revue Po&sie qu’il a dirigés.

Il est sûr en tous cas que l’humour de Dezsö Kosztolànyi a rencontré le sien ; l’humour, comme une échelle possible où se mesure le grand sérieux. De cet auteur hongrois, « Le contrôleur bulgare » ou  « Le traducteur cleptomane » sont, on en est sûr, deux nouvelles encourageantes et d’heureuses nouvelles, pour un lecteur traducteur, comme pour un qui ne l’est pas.

Un portrait de Guillaume Metayer en traducteur et une évocation de la poésie, comme essentielle traduction… si l’on continuait sur cette lancée, on en arriverait vite à cette chute ou ascension : qu’il soit poète. Or, il l’est, sans doute déjà  en ce que son livre redoute le cadre, le portrait, la définition de ce qu’est un poète. Un texte intitulé « rôle » le dit, transposé au théâtre. Comme dans un mauvais rêve, « je n’ai appris que mes répliques », écrit-il. « Je dépose délicatement mon manteau sur un fauteuil du premier rang, le long des leurs ( ceux de la metteuse en scène et de l’actrice), mon fantôme, et nous partons ». 

Guillaume Métayer, Mains positives, Éditions La rumeur libre, Février 2024. 104 pages. 17 euros.

Un danger est de « faire poète » au sens de ne pas l’être en le voulant trop ; simplement, en tenant le rôle. On voit même l’idéal virer au suicide. Imaginez :« Une vie soumise à l’anagramme ». La proposition se trouve dans un poème intitulé « Roulette ». Russe, bien sûr.

Mains positives est une suite de poèmes en prose. Dans ses deux précédents recueils, Guillaume Métayer écrivait en vers. « Faire n’est pas refaire ». Et le troisième est sans versification. Sauf que… l’on y retrouve des alexandrins clandestins, avec effet immédiat de souvenir. Et échange de bons procédés : dans le livre précédent, Libre jeu, la versification dépaysait le prosaïque. Imaginez un poème en vers intitulé « CIC », qui reprend « Ce sont souvent les actions / qui apportent le plus de satisfactions », auxquelles il oppose sa propre action. Dans ce recueil-ci, le vers, la cadence, le sens de la chute pour clôturer un texte ont le même effet de trouble. La prose et le vers ont trouvé d’autres placements.

Il y avait dans le précédent recueil des lieux de prédilection : rue, café, parc, toits… On les retrouve ici mais le temps a changé. Le temps qu’il fait  et le temps qui est. Le premier est à dominante grise ou brumeuse. D’ailleurs, « il y a rarement eu plus brume que moi », dit l’auteur. Le second, explicite  dans « Trotteuse », n’est pas celui qu’on croit. Certes, il est ce qui grise, au sens de ce qui vieillit :

Allongé aussi longtemps face au silence du plafond, le corps se jette dans la seule issue            
possible, la vieillesse. L’âme le suit comme son ombre et pour un peu on la verrait passer                     
comme un cambrioleur entre les deux fenêtres si au siècle dernier la radiographie avait              
mieux progressé.

 Mais le temps est aussi ce que dit le poème « Minute » :

Une minute peut durer soixante ans sous l’espèce d’une louche dans le bouillon. De grandes     
histoires d’amour tiennent en une minute.

La suite joue l’œil sur la soupe. Après un passage lyrique, rupture de ton :

Mais quand la minute a été bien étirée, c’est toujours la même histoire. L’élastique claque, la    
longue minute vous revient au nez.

 La dérision, la possible image clownesque rééquilibre et dégrise ; à plus forte raison, une possible auto-dérision le fait-elle. Une certaine légèreté est une réponse, parfois de sur-vie, parfois de vie ; une réponse authentique dans un contexte général hostile où il ne s’agit surtout pas de participer aux entreprises d’où «  on… sort plus gris ».

Le gris du temps météo et politique rencontre le gris de la vie amoureuse. Et Guillaume Metayer ne s’interdit pas de parler à la première personne, de s’adresser à une femme - rencontrée, ou/ et s’éloignant - : « Ne pose jamais sur nous ce beau sourire gris ». Le « tu » est aussi présent, qui   renvoie à un être aimé ou à soi-même dans un dialogue intérieur, comme dans « Chenil » où un moment de colère noire rencontre Juvénal et Anubis. La violence d’un moment passe par l’Antiquité et  disparaît sur ces mots : « fin de la version ».

 Il faut le dire, en pensant sans peser, le gris est celui du monde comme il va : « l’antivol au volant pourrait être à la gorge ». Ou encore, « on peut tuer quelqu’un en lui enfonçant un soufflet dans le coeur ». Ou : « il nous faudra bientôt importer autant d’armes que de douceurs. Introduire le droit de tirer à vue, pour protéger le sucre et augmenter la peur ». Mais, attention au survol, à un « bien-entendu » de connivence. «  Il ne s’agit pas de faire de l’air du temps une allusion ».

Une veine satirique traverse le livre, avec des formules saisissantes : « Certains assoient sur vos yeux leurs grosses fesses grises. Ils vous couvent, disent-ils… » ou encore « rien de tel pour bloquer une entrée qu’être le château gonflable ». Cours et courtisans sont toujours là. Et le poème est accessoire. « Mes poèmes ressemblent à des cravates » et la cravate est « tolérée uniquement chez quelques dignitaires du parti ».

Sur ce fond gris, il y a des retournements héroïques. Une lucidité propre au poème dégrise des crédos faussaires. Ainsi, sur un ton satirique - l’époque l’a bien cherché - :

Les scientifiques sont formels : il est possible de tout revoir passer, sans la moindre                   
nostalgie, dans un tout autre confort lin
éaire que la mort… 

Le poème conclut :

 Seules resteront douloureuses les arrivées et leurs chignons .

Les arrivées et les départs ont un rôle majeur. Cela donne le très beau poème « trains » et ce cadre, « la porte des trains ». « Les arrivées et leur chignons », c’est un enchaînement poétique, comme « chignon » est  une chaîne de montagnes. Un jardin, avec « le lent mouvement de taïchi », recueille les paroles de celle qui vient de s’éloigner et inspire cette conclusion :

 Je ne saurai jamais pourquoi choisir ces allées pour figurer un départ.

Répond au gris la joie possible. Il y a déjà de l’amusement à signaler quelques marottes et inventions de l’époque, à écrire un poème sur le « Dimsum », à  comprendre la playlist, où « le retour redevient départ » ; à  s’arrêter au jeûne, « grossesse messianique d’autrefois d’où tout à chacun peut renaître ». C’est un livre qui fait sourire et rire, ce qui ne peut être sans la peine : « au moment du chagrin l’oreille s’ouvre ». « Et le deuil (est) notre dictionnaire favori ». Un décalage très singulier, une sorte d’apparent mouvement de côté avant l’impact de l’émotion permet de regarder en face ce qui la provoque.

 Il y a une joie possible à voir les choses telles qu’elles sont. Comme dans ce très beau poème « Piscine » où l’on revient au sujet principal « Le temps qui passe dans les piscines n’est pas le même. »Et des rampes d’émotions : « la neige. Sa gangue fait date », la présence du passé, la force de « il y avait », l’enfance,  et le rappel du Temps qui joue en poussant des pions. On croise ici des jeux, le bonneteau, les cartes, le bréchet, et même le petit os de poulet en forme de Y, avec lequel on fait un vœu…Traversent aussi des éléments de conte.

On ne finira pas sans évoquer la rencontre poème-récit, une forme libre, une réussite, qui rebat les cartes et accueille la fantaisie. Deux exemples : le poème Her, avec sa trottinette connectée :

 Je l’appelai Her et elle me nommait early bird.

Et « Wishbone », où se raconte une guerre projetée sur la plage, pendant l’enfance. Une sorte de Guerre des boutons, avec des ennemis…

Mais au moment de ravager leur oasis de posidonies  et de barbelés, une voix nous arrêta,        
comme d’un décalogue.

 C’est la voix d’un pêcheur admiré, un malheureux… Convergent ici une expérience forte, une scène, un événement de son et de sens (impossibles à séparer) où condensent le mystère « les oasis de posidonies et de barbelés ».

Pour le poème aussi « le son est l’un des treuils des choses mais il n’est pas le seul ». Et la distance qu’il parcourt et révèle, il la voit à même les choses sensées rapprocher ; ainsi, le portable.

En m’étirant vers lui chaque matin j’approche la mesure du chagrin.

Le poème est la mesure vraie.

On terminera cette présentation trop sommaire, qui trace, incertain, un contour du livre, quand le poème, lui, est main positive, plein, plénitude… dans l’émotion d’un poème très singulier, intitulé « Aujourdhui (virgule) ». Il finit sur un deuil. Ce texte est une suite d’images, réelles et rêvées, sans séparation possible. Une suite de phrases comme des pièces d’or. Guillaume Métayer arrive à ce comble : une prouesse de formalisme - au lieu d’inscrire la ponctuation, il l’écrit en toutes lettres (point), (virgule) et cela fait un rythme -  et l’éclat du simple. Dans cette étrange Dictée ( d’école, de poésie),  il ne prononce pas et cependant dit  « point final » comme jamais on ne le fit entendre.

 

 

Armelle Cloarec

Présentation de l’auteur




Cécile Guivarch, Si elles s’envolent

L'auteure de ces beaux livres de mémoire ("Renée en elle", "Sans Abuelo Petite", "Cent au printemps", "Sa mémoire m'aime") prolonge sa réflexion humaniste avec ce bouquet de textes adressés à ses mère, grand-mère, grand-tante, aux poètes (Marina Tsvetaeva), aux vedettes de l'écran (Marilyne, Brigitte, Françoise, Simone) et à toutes ces femmes qui ont tant oeuvré pour que leur sort soit moins funeste.

On retrouve la grâce, la finesse, et l'empathie de la poète qui sait si bien parler du temps révolu, de toutes les tâches ingrates, de tous ces corps appelés à travailler sans peur de suer ni de courber le corps sous la peine.

En brèves inflexions, sous la bannière de Denise Desautels ou de Denise Le Dantec, Cécile honore le labeur sous toutes ses formes, au temps où les moissons se faisaient à la main, et "recommençaient chaque printemps/ les mêmes gestes d'élan et de coeur", quand "c'était dur" de vivre, de travailler, femmes ou hommes même combat.

"Ma grand-mère comptait ses couches/ comme un oignon" : que de lessive à couler en rivière, que de linge à curer au soleil pour qu'il soit plus blanc.

Les usages du temps, les affres du corps, la splendide mémoire des corps : tout ici relève d'une ethnographie singulière, menée par une poète qui ne fait pas fi de ce qu'elle a vu des anciens, mais en garde rigoureusement les traces.

D'ailleurs, elle se niche, petite, dans certains fragments : "mes jambes comme des ailes/ j'avale le vent bouche ouverte" (p.18).

Cécile Guivarch, Si elles s'envolent, éd. Au Salvart, 2024, 74 p., 12 euros.

L'écriture fluide, nerveuse, qui ne s'embarrasse pas d'images, retrace avec force la période ("ce village sous Franco/ cinquante ans en arrière") .

Un très beau livre.

Présentation de l’auteur




Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy

J’aime en ce moments les formes courtes. Foin des bavardages enthousiastes, des fastidieuses illuminations toujours entachées de bondieuseries, des élans qui s’évaporent dans le firmament.

J’aime que chaque mot compte, que chacun d’entre eux soit un objet de méditation. Voilà pourquoi, d’abord, j’aime L’âge du regard de Danielle Terrien. Dans ce poème elle file en sourdine la métaphore d’un mythe ancien. Voilà ce qu’elle nous propose :

Lire entre les lignes
Voir dans les silences :
Entendre sa voix

Tel est son art poétique, qui nous invite à sous-entendre. Donc entre les lignes je lis :

Danielle Terrien, L’âge du regard, dessin de Marie Alloy, Cahiers du Loup bleu, éd. Les Lieux-Dits, 2024, 7 €.

Dans une première partie titrée Infinitifs, qui est une scène d’exposition, Thésée tue le Minotaure dont le sang colore la mer, il s’embarque, délaissant Ariane qui l’avait par amour guidé dans le labyrinthe.

Dans la partie L’âge du regard 1, le Minotaure est amoureux de la voix d’Ariane, Thésée tient son fil entre ses doigts.

Dans la partie L’âge du regard 2 : le Minotaure pleure l’amour d’Ariane, il sait que Thésée au beau visage le vaincra, il l’accepte, lui qui souffre de sa bestialité...

… Mais voilà que je tente de pister, à la manière de Charles Mauron, les métaphores obsédantes de l’auteure au lieu de laisser agir sur moi le poème… serai-je atteint du mal universitaire ? Ou d’une curiosité malsaine qui me conduirait à interroger Danielle Terrien : quelle est cette histoire d’amour impossible ? Cet amant bestial sacrifié ? Ce beau ténébreux volage ? Cette Ariane abandonnée ? Quel événement est à la source du drame ? Qui furent les protagonistes anciens qui, tels Pasiphaé et le taureau blanc, pratiquèrent un monstrueux accouplement ?

…  au lieu de laisser agir sur moi le mystère du poème, alors que  c’est ce mystère qui m’a attaché à sa lecture. Qu’on en juge, s’il vous est possible de capter l’impalpable :  

1

Rouge
le sang
éclabousse le bleu
jusqu’au lointain rivage.

2

Remontant les marches 
brûlées de soleil
le sacrifice
encore visible
dans les vagues.

Tout est dit, comme rien. Tout est vu, perçues les couleurs, la chaleur, les vagues… Leur présence reste intacte, brute, hors du temps. Tel est le miracle du poème, qui parfois oublie la gratuité du signe (puisqu’on sait que le mot ne réfère pas à la chose dé-signée). Qui serait comme une pierre remontée du noyau d’une terre :

Mourir encore une fois
afin que l’écrit vive.
Écrin granitique
surgi du souterrain.

Je pourrais répéter le poème en entier, comme si le dire et le redire renouvelait à chaque fois le miracle.  

Présentation de l’auteur




Antonia Pozzi, Un fabuleux silence

 Voix majeure de la poésie italienne, Antonia Pozzi (1912-1938) est aujourd’hui publiée intégralement en France grâce à une traduction de Thierry Gillyboeuf chez l’éditeur Arfuyen. Voici après La vie rêvée (Arfuyen, 2016), la deuxième partie de son Journal de poésie, publiée sous le titre Un fabuleux silence et couvrant la période 1933-1938.

Si l’on devait résumer en deux mots le contenu de l’œuvre poétique d’Antonia Pozzi, on dirait « Montagne » et « Amour » (mais un amour désespéré). La montagne parce que la poétesse italienne lui a voué un véritable culte. Fidélité à l’enfance, elle qui connut ses premiers émois d’alpiniste à partir du village de Pasturo, dans la vallée de Valsassina, non loin du lac de Côme, où sa famille avait une résidence. On la découvre ainsi, dans ses poèmes, ardente arpenteuse des Dolomites où elle trouve un véritable refuge spirituel. « Oh ! Les montagnes/ombres de géants, / comme elles oppriment/mon petit cœur ».

La montagne, donc, mais aussi l’amour (coup de foudre) qu’elle portera très tôt – elle n’avait que 15 ans – à son professeur de latin et de grec, Antonio Cervi, de quatorze ans son aîné. La liaison prendra fin en 1934 sous les coups de boutoir d’une famille peu disposée à accepter ce genre de liaison. « Tu étais le ciel en moi/le grand soleil qui transforme/en feuilles transparentes les mottes de terre », écrit Antonia Pozzi dans un poème du 11 novembre 1933. « Je ne verrai donc plus jamais tes yeux/purs comme je les vis/le premier soir, blonds/comme des cheveux – et clairs/comme de faibles lampes ».

Ce chagrin amoureux sera-t-il à l’origine de sa tentative de suicide par barbituriques les 2 décembre 1938 ? On peut le penser quand on la découvrit inconsciente dans un fossé de la banlieue de Milan. Elle devait mourir le lendemain et fut enterrée dans le petit cimetière de Pasturo.

Antonia Pozzi, Un fabuleux silence, Journal de poésie, 1933-1938, édition bilingue, Arfuyen, 275 pages, 22 euros.

En présentant ce Journal de poésie d’Antonia Pozzi, Thierry Gilliboeuf fait opportunément le lien entre cet amour contrarié et l’appétit qu’elle avait pour les versants abrupts. « Antonia Pozzi, écrit-il, avait fait de la montagne un refuge spirituel où il lui était possible de s’affranchit d’un monde où la place qu’elle recherchait lui était toujours refusée ».

Des poètes italiens, parmi les plus grands, et notamment Vittorio Sereni et Eugenio Montale ne manqueront pas de souligner la force et l’originalité d’une œuvre placée sous le signe de la limpidité, de la pureté et probité d’esprit.

Présentation de l’auteur




Claudine Bohi, Je cherche un enfant

Que penser des sociétés dont les structures sociales, qu’elles soient économiques, culturelles, ou encore religieuses, permettent que soient maltraités les enfants ? Je laisse la question en suspens et je reviens sur la première page du livre écrit par Claudine Bohi que les peintures sensibles de Germain Roesz accompagnent en proposant des images où l’on retrouve l’enfance, ses couleurs, mais aussi des nuages pleins de neige. 

Je lis : « Je marche dans la neige et je cherche un enfant ». On le sait, la neige revient souvent dans les écrits de Claudine Bohi. On se souvient de Une saison de neige avec thé, (paru aux Éditions Le Dé bleu), on se souvient surtout de L’Enfant de neige, paru en 2020 aux éditions L'herbe qui tremble. Encore une fois Claudine Bohi fait appel à la neige, matière blanche virginale, symbole de candeur, mais qui recouvre, enfouit, cache, et bien que substance capable de faire isolant, elle est froide, humide, elle est aussi linceul, drap d’hôpital. Pourtant on peut aussi imaginer la neige comme une page blanche où les empreintes de pas de l’autrice font figure de mots et finissent par inviter à lire une parole.

Claudine Bohi, Je cherche un enfant, éditions les Lieux Dits-collection bas de page. Peintures de Germain Roesz.

Et pourquoi chercher un enfant ? Quel enfant ? N’importe lequel ? Celui que nous avons été et qui continue de vivre en nous ? Celui que nous avons trahi ? Celui que nous avons accompagné en tant que parents ? Celui qu’on nous a confié à l’école ? En colonie de vacances ? En crèche, en garderie ? Celui avec lequel nous avons parfois tant de mal à nous connecter une fois arrivés à l’âge dit adulte, un âge qui nous fait traverser quelques drames personnels inévitables, sinon des drames collectifs. « Les guerres rassemblent leurs petits dans la même douleur » nous rappelle Claudine Bohi. Et immédiatement surgies de nos mémoires les images d’enfants déportés, envoyés dans des pensionnats pour amérindiens, poussés sur les routes de l’exil pour échapper à un génocide,  ou encore à Auschwitz … ceux qui étaient dirigés vers la chambre à gaz traversaient une étendue de neige … neige de cendres et de flocons mêlés. Claudine Bohi ne veut pas, ne peut pas oublier combien d’enfants ont souffert, souffrent, lors des conflits auxquels ils ne comprennent rien, et puis jusqu’à quel point un enfant peut vivre dans la peur, la terreur, le traumatisme et l’incompréhension ? Quelles sociétés sont donc celles qui ne sont pas capables de protéger leurs enfants ? Qui sont capables de sacrifier les enfants au nom d’une raison d’état, au nom d’un dieu, au nom de la loi du plus fort, au nom du patriarcat, au nom d’une supposée loi naturelle … ?

« Je cherche un enfant brisé » écrit Claudine Bohi comme une évidence, comme si on en venait toujours à cette conclusion qui rebondit à la page suivante : « je cherche un enfant tout au fond de moi-même ». Un enfant dans le sombre, où il se cache, où il se terre. Mais il a laissé des empreintes dans la neige, figure de son innocence violée, cette enfant excisée, mariée de force, cet enfant universellement perdu que la vie, comme on dit, que le pouvoir mal exercé devrait-on dire, jette sur les routes de l’exil, dans le champ de tir de snippers ou de canons ou de bombes, sur des embarcations de fortune, pour finir noyé, échoué sur des plages en pays étranger qui n’accueille pas, qui rejette, qui enferme en des centres de rétention qui n’ont rien à voir avec une résidence secondaire. Claudine Bohi amorce cette marche dans la neige sur la page afin de secourir toutes les petites filles et les petits garçons aux allumettes du monde qui « tremblent » à cause du manquement de tous et de chacun, trop faible, trop lâche, trop perdu, trop indifférent, trop égoïste ou hypocrite, trop cynique et Claudine Bohi le dit bien : « personne n’est innocent ». Au final, c’est une multitude d’enfants, de petits Mozart qu’on assassine. Il faudrait se souvenir et citer leurs noms, petits martyrs de la folie ou de la perversion des humains incapables de construire un monde où les enfants ne seraient plus les victimes d’adultes inconscients ou indifférents au mal qu’ils font, et qu’ils se font parfois aussi, en ne voyant pas comme ils compromettent leur propre bonheur en refusant aux enfants leur droit à l’insouciance, à l’amour et à la protection. Aucun espoir n’est possible s’il n’y a pas d’espoir en nos enfants, il n’y a d’espoir qu’en la lumière de leurs yeux quand ils sont heureux.

Un « petit » livre discret mais fort comme c’est toujours le cas des livres de Claudine Bohi, un livre qui résonne avec l’actualité la plus récente et le lecteur ne peut faire à la fin qu’un seul constat : l’humanité a-t-elle vraiment fait des progrès en matière de bien-être de ses jeunes ?

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Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Jacques Reda, Le Trot-du-renard

Les étoiles filées d'Etienne Paulin

Entre passagers et passages du destin. L'auteur parle au besoin de dorures et de malfaçons et il est avant tout manique avec un accent aigu moins de la dérision sue l'humour sous cape.

Par exemple un arbitre a quittté le rectangle vert pour des monuments funéraires. Le réel a battu les cartes, de l'arènevtant il a perdu et vigueur et audace. Pour autant les natures dites mortes sont rares dans ce livre là où des versions voire même par défaut sont emportés sous un swing qui devient le vecteur d’harmonie d’un ensemble a priori disparate.
Un tel opus ne peut pas laisser indifférent : un tel voyage vaut le détour. Il est euphorisant et paradoxal par rapport à la poésie banale et vade mucum. Un tel style est impeccable et fait d'un tel oiuvrage un véritable ovni.
A partir de l'orange jusqu’àu canasson repus dans un pré mousseux (de peinture) tout devient double, euphorisant. Même l'absence au besoin prend une réalité. D'autant que des choses et être vus Etienne Paulin tranche et qui plus est étonne. 
Tout idée, après tout de ce qui pourrait rester des procès verbaux sont rafistolés au fil d’où de l'imaginaire. Bref ici nous touchons du doigt le réel différemment. Quitte à le coincer dans une bielle a&vant qu'avec les autres il peut préparer des gaufres à fon marin quitte à les transformer en contes ou odes.
Le réel est donc toujours en fuite, mais ici il n'est jamais dans le silence et ne connaît pas les vacances. Pas plus qu'un tel auteur connaisse ne l'oubli. Il a dû apprendre la musique. Pas n'importe laquelle : celle du verbe là où l'existant (même mort) n'est jamais émondé .
Etienne Paulin, Le Bourriquet Vlan-Vlan, Les écrits du Nord, Editions Henry, 2024, 80 p., 13 €.

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Jacques Reda en derviche

Surprise : Jacques Réda joue ici le mélomane là où, et pour cause, la question du rythme est essentielle. Elle ne se limite pas ici à la musique classique et officiel. Pour preuve – et non ici sans ironie (dont l’auteur est spécialiste) - : le Trot-du-Renard.

Il garde encore son importance puisque saisissant l’opportunité de nous rappeler que la Terre, sphérique et tournoyante, il  "n’en est pas moins comme un boulevard, certes accidenté, qui se déroule plutôt sous nos jambes et n’a d’autre fin brutale que notre propre épuisement". 
 
D’autant que, plus généralement, la valse est une preuve et une démonstration. Avec elle  « nous vivions dans une immense salle de bal où la Gravité fait en effet valser toute une population de corps célestes et autres, étroitement enlacés ». Dès lors et ici le rythme est cosmique. Selon Réda il dirige tout :  des atomes aux grandes figures astrales. Bref le mouvement de l’univers est une scansion. 
Dès lors our les bipèdes terrestres que sont les hommes, la danse, profane ou religieuse qui est célébré et libère les corps. Du  fox-trot du Jazz, des envolées de la valse, des acrobaties du Hip-hop et des cadences battantes du Rock, Réda rappelle que comparables aux vers des poètes, la danse reste de l’ordre du sacré là où dans de tels rites l’élémentaire et le naturel sont restés toujours présents et évolutifs. Face au progrès scientifique et aux hauts rendements des êtres, sous chacun de leur pas se révèle un principe premier et absolu  de l’existence.
Il y a là pourtant un véritable retour au premiers temps selon une ironie et une virtuosité exceptionnelle. L’auteur fait resurgir de manière volcanique, ample et dérisoire au sein des danses une approche aussi imprévue, drôle que sublime. Une nouvelle aventure poétique recommence avec lui.

Jacques Réda, Le Trot-du-renard, Fata-Morgana, Fontfroide le Haut, 2024, 64 p., 16 €.

Présentation de l’auteur

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