Bonnes feuilles offertes par Al Manar

Jacques Viallebesset, Sous l'étoile de Giono
(extraits)

 

 

Avec toi

Je suis avec toi âme sincère et cœur pur
Egaré dans le dédale de ta forêt obscure
Cherchant en aveugle la clairière de l’être
Je suis le compagnon qui a travaillé comme toi
A qui tu peux dire tes espoirs et désirs secrets
Je t’apporte les forêts les mers les montagnes
Je suis avec toi quelles que soient tes erreurs
Dans tes yeux sont gravés tes rêves ta nostalgie
Toute l’innocence perdue depuis l’enfance
Cette absence de pureté que tu ne vois plus
C’est ainsi que la mort arrive avant l’heure
Je suis ton compagnon en perpétuelle révolte
Et si la société a tué en toi cette faculté
Je te dis que les prés fleuris t’appartiennent
Je suis avec toi partout où tu es esseulé
Je t’attends aux estuaires de ta résignation
Tu imagines les routes du vent les joies du monde
Au nom de l’espoir je t’offre amour et amitié
Pour soumettre ton désir au rythme du cosmos
Je suis avec le berger qui t’attend près de ta source .

 

 

**********

 

Pour saluer Giono (7)

 

S’il devait venir ce serait une nuit extraordinaire
Les touffes d’étoiles brillaient avec des racines d’or
Quand il me montra du doigt la constellation d’Orion
Je reconnus le professeur d’espérance que j’attendais

La jeunesse c’est la passion de l’inutile nous dit-il
Et il ensemença de pervenche les champs et les cœurs 
Si nous savions vivre conscients nous ne serions malades
De ce trop de sang amer au lieu du sang de miel doux

Il ramena un cerf qui courait libre parmi nous
Et des biches aux cils pleurant de manque d’amour
Dans la tendresse des herbes et l’humus des forêts
Parce qu’il voulait que la joie demeure pour tous

Il fit sourdre aux corps des tambours de danse
Comme la cadence forte  du sang dans les artères
Et l’on sentit la joie aussi inépuisable que l’air
Réveillant en nous le trop grand appétit de vivre  

Une bergère seule savait sans vraiment savoir
Elle portait en elle la joie des gestes naturels
Ne parlait pas la langue menteuse des hommes
Mais en initiée celle des agneaux et des oiseaux

Chacun ne peut atteindre que la joie qu’il comprend
Les passions humaines ont encore les batailles au cœur
Et la violence toujours engendre la mort et le malheur
Il faudrait pourtant  que la joie fût  tranquille et paisible

Alors lucidement désespéré il avança dans l’orage
La foudre lui planta un arbre d’or dans les épaules
Et il éclata dans la nuit comme une étoile perdue
Je l’attendrais pour revivre espérant son retour.
 

 

*********

Dans la marge (7)

 

J’aurais voulu être celui-là qui vient
Porteur d’une joie d’être à partager
Avec tous les humains qui saignent
De leurs rêves lourds d’espoirs blessés
Je porte en moi les sucs de la terre
La danse de flamme du sang au cœur
Ma poitrine se gonfle du vent des astres
J’halète de la sève de tout ce qui vibre
Frémit palpite et vit au rythme des saisons

Je voudrais être celui-là qui vient
Un arc-en-ciel doux dans les tempêtes
Un magma de joie monte de mon ventre
Je t’ai retrouvée et te tresse dans mes bras
Tes yeux font chanter toutes les sources
La joie est là bruissant dans ton feuillage
Bourgeon tendre gorgé de résine vivante
Tu es en moi comme le noyau dans son fruit
Ma joie ne demeurera  que si elle est tienne. 

 

 




Premiers poèmes d’hier et de maintenant chez Recours au Poème éditeurs

 

La collection Premiers poèmes s'ouvre sur la réédition des premiers textes de Gérard Bocholier et Pascal Boulanger

 

Page  de la collection ici

 

 

L’Ordre du silence propose un choix établi parmi les premiers recueils
 de Gérard Bocholier

 

extrait

 

La ville s’est coupée les veines
Et son cœur bat
Une horloge sous la mer
Sonne le glas
Tout est désert

La campagne s’est peuplée de vent
Voici que l’on apprend l’usage du silence

 

 

Gérard Bocholier est né en 1947. Auteur de plusieurs recueils de poèmes, dont Psaumes du bel amour (Ad Solem, 2010), préfacé par Jean-Pierre Lemaire, il contribue régulièrement à la NRF et à la Revue des Belles Lettres (Genève). Gérard Bocholier dirige la très belle revue de poésie Arpa.

 

 

Pour accéder au livre

 

 

Septembre déjà est la réédition du tout premier recueil de Pascal Boulanger

 

 

extrait

 

Printemps 1981

L’amour a triché
avec le velours des saisons
Chaque matin le ciel a trois clous
plantés sur sa chair
Quand l’amant fait glisser tes bas
la dernière lueur épelle
nos prénoms sous les décombres

 

 

Pour accéder au livre

 

Pascal Boulanger, né en 1957, vit et travaille comme bibliothécaire en banlieue parisienne. Parallèlement à son travail d’écriture, il cherche depuis une trentaine d’années, à interroger autrement et à resituer historiquement le champ poétique contemporain qui, pour lui, passe aussi par la prose. Marqué par la poésie rimbaldienne et le verset claudélien, il a donné de nombreuses rubriques à des revues telles que Action poétiqueArtpressLe cahier critique de poésieEuropeFormes poétiques contemporainesLa Polygraphe et sur des sites comme Les carnets d’Eucharis. Il a été responsable de la collection Le corps certain aux éditions Comp’Act. Il participe à des lectures, des débats et des conférences en France et à l’étranger sur la littérature et il a mené des ateliers d’écriture dans un lycée de Créteil en 2003 et 2004. Il a publié des textes poétiques dans les revues : Action poétique, Le Nouveau Recueil, Petite, Po&sie, Rehauts, Triages, Recours au Poème. Certains de ses textes ont été traduits en allemand et en croate. Pascal Boulanger donne aujourd’hui des chroniques au magazine de poésie en ligne Recours au Poème. Il est par ailleurs l’architecte de l’anthologie de référence consacrée à Action Poétique (Flammarion). Il est l’auteur de recueils poétiques et d’essais. Derniers titres parus aux éditions de Corlevour : Le Lierre la foudre, Au commencement des douleurs et Faire la vie : entretien avec Jacques Henric.

 

Recours au Poème éditeurs




Les premiers livres de Recours au Poème éditeurs sont disponibles

 

Extension du domaine de la poésie
RECOURS AU POEME

 

recoursaupoemeediteurs.com

 

La revue Recours au Poème est entrée dans sa troisième année d’existence. C’est un succès, essentiellement grâce à vous tous, lecteurs, collaborateurs et amis.
 

Le moment est venu de prolonger l’action poétique menée dans les pages de la revue en créant une maison d’édition associée à la revue, Recours au Poème éditeurs, dédiée exclusivement à la poésie et au format numérique.

 


 

La revue et la maison d’édition, deux actions menées conjointement et ayant pour seul objet une extension du domaine de la poésie. Car nous croyons profondément en la nécessité contemporaine de la poésie.
 

La revue Recours au Poème demeure librement accessible ici et poursuit son aventure hebdomadaire.
 

La librairie virtuelle de la maison d’édition Recours au Poème éditeurs est accessible ici. Rien de plus facile que de lire des livres numériques, toutes les explications sur cette page.
 

Recours au Poème éditeurs, c’est huit collections à découvrir ici. Quatre de ces collections proposent déjà des ouvrages numériques : Poètes des profondeurs, L’Atelier du poème, Premiers poèmes et Ailleur (s). Nous vous laissons le plaisir de découvrir leurs spécificités éditoriales, ainsi que les autres collections à venir sous peu.


 

Nos six premiers livres numériques sont disponibles et à découvrir ici, ainsi qu’un autre mode de relation entre lecteurs et éditeurs grâce à deux formules d’abonnements aux livres édités : abonnement découverte et  abonnement illimité Recours au Poème éditeurs publiera soixante livres cette année.

 


 

Notre revue et notre maison d’édition en ligne sont deux modes simultanés et indissociables de l’action poétique que nous croyons nécessaire dans ce monde comme il ne va pas :
 

« Tout est à recommencer », Octavio Paz.

 

Les éditeurs
Matthieu Baumier & Gwen Garnier-Duguy




Andréï Tarkovski : ce qu’il nous dit de la poésie

     « Je me suis toujours ressenti plus poète que cinéaste ». C’est l’aveu d’Andreï Tarkovski dans son livre Le temps scellé, qui vient aujourd’hui d’être réédité. Un livre où il développe ses conceptions de l’art et de la création. Et où, surtout, il donne sa propre vision de la destinée humaine, loin du matérialisme mais, au contraire, tournée vers la recherche spirituelle.

     Andreï Tarkovski (1932-1986), fils du poète russe Arseni Tarkovski, est un immense cinéaste de l’époque soviétique, exilé en France à la fin de sa vie, auteur de films qui font date dans l’histoire du cinéma : Andrei Roublev, Le Miroir, Stalker, Nostalghia, Le Sacrifice… « Mon but principal, affirme-t-il, a été de poser, dans toute sa nudité, les questions fondamentales à notre vie sur terre ». En campant le personnage de Gortchakov dans son film Nostalghia, il souligne ainsi l’importance de la « responsabilité individuelle » et du « libre arbitre ». Dans Stalker, il défend la « faiblesse » comme « seule vraie valeur » (Les enfants, les hommes en marge, les « fols en Christ  sont les personnages favoris de ses films) Dans Le Miroir, il médite sur les valeurs de l’enfance et des racines. Tarkovski le dit tout net : « Il n’y a jamais eu de héros dans mes films, mais des personnages dont la force était la conviction spirituelle et qui prenaient sur eux la responsabilité des autres ».

    Tarkovski conçoit donc l’artiste comme un « explorateur de la vie »  mais aussi comme un « créateur de valeurs spirituelles et de cette beauté que seule la poésie peut faire naître ». Au lieu du stylo, c’est la caméra qui a été, pour lui, l’outil d’une vraie démarche poétique.

    Mais qu’est-ce qu’un poète, selon le cinéaste russe : « C’est un homme qui a l’imagination et la psychologie d’un enfant, écrit-il. Sa perception du monde est immédiate, quelles que soient les idées qu’il peut en avoir. Autrement dit, il ne décrit pas le monde, il le découvre ».

    On comprend alors l’intérêt que Tarkovski manifeste pour la forme traditionnelle de l’ancienne poésie japonaise (le haïkaï), plusieurs fois évoquée dans son livre, dont il souligne « la précision, la pureté, le soin porté à l’unité dans l’observation ». Au point d’affirmer que « l’exemple de cette poésie est proche de l’essence du cinéma ». Car, comme les auteurs de haïkaï, Tarkovski se garde du superflu, de l’effet appuyé ou de la généralisation. Si ses références littéraires sont Bounine et Pouchkine, sa référence cinématographique est Robert Bresson. « Son principe de base, dit-il à propos du cinéaste français,  est l’élimination de tout ce qu’on appelle l’expressivité, en ce sens qu’il efface toute frontière entre l’image et la réalité afin de rendre expressive la vie elle-même ». Tarkovski écrit encore : « Plus l’observation est précise, plus elle est unique, et plus elle se rapproche de l’image ».

   Dans ces conditions, aucun besoin de recourir aux symboles ou aux métaphores, alors que son auditoire persistait à l’interroger sur la signification de la pluie, de l’eau, du vent ou du feu à l’intérieur de ses films. « La pluie est une caractéristique de la nature au milieu de laquelle j’ai grandi, et les pluies russes sont parfois longues, tristes, interminables », se contente de répondre le cinéaste/poète.

    Sa quête spirituelle l’amène, à la fin de son livre, à tourner son regard vers l’Orient (notamment vers le taoïsme) « qui ne souffle mot sur lui-même, totalement ouvert à Dieu, à la nature, au temps » (par opposition à un Occident tourné vers le moi). On imagine donc le merveilleux échange que le cinéaste russe aurait pu avoir, sur ce thème, avec l’écrivain François Cheng. Le temps scellé de Tarkovski a d’étranges et étonnantes parentés avec l’auteur des Cinq méditations sur la beauté. « La fonction de l’art, écrit Tarkovski, n’est pas, comme le croient même certains artistes, d’imposer des idées ou de servir d’exemple. Elle est de préparer l’homme à sa mort, de labourer et d’irriguer son âme, et de le rendre capable de se tourner vers le bien ». Mission qu’il assigne à la poésie. Sur le papier comme sur la pellicule.




Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs : Pierrick de Chermont

FAUT-IL

Faut-il se livrer à ce travail introspectif sur sa propre œuvre, donner des repères, des indices sur son travail ? Comment se situe-t-on vis-à-vis de lui ? Et encore, inciter, encourager cet autre, le lecteur ou le simple curieux, à se lancer vers un ailleurs, hors des poèmes qu’on lui confie ? Un sentiment d’injustice monte alors : « Quoi, j’ai déjà fait effort de vie pour ces textes, choisi de répondre à cet appel intérieur, de m’y unir tandis que tant d’autres choisissaient de se disperser dans les jours, il faudrait en plus que je fasse un geste vers eux, que je me risque et me soumette à leurs jugements. Déjà ils me jugeaient et se moquaient tandis que je m’éloignais pour parler au silence, il faudrait aussi que je rende des comptes après, encore et encore ? Quand cela cessera-t-il ? Existe-t-il donc un espace où l’on peut s’efforcer d’être soi sans avoir à s’expliquer ? »

Non. Non, il n’existe pas d’espace sans la présence d’autrui. L’humanité qu’on porte est toujours un lieu ou un moment de partage au mieux, de déchirement et de blessure le plus souvent. Vouloir être soi, c’est accepter de communier à l’autre et de laisser l’autre communier à soi. Oui, en te donnant à la poésie, tu t’es mis en marche et il n’est plus possible de reculer. Il faudra te dépouiller jusqu’au bout. Il te faudra accepter l’humiliation, le mensonge, l’aveu de tes faiblesses. Tu te contrediras. Oui, tes vertiges, tes illusions seront mis à nu. Dans le poème et dans cet ailleurs qu’est ta vie de poète, que tu la taises ou la dises, tu seras consommé. Et tu devras t’avouer dans ce que tu te caches à toi-même et que les autres pointeront jusqu’à ce que tu saignes. Nulle échappatoire. Les yeux du poème désormais se retournent contre toi par le moyen du lecteur. Écrire des poèmes n’était rien, à peine le commencement. Il te faudra encore être brûlé par eux. Tu croyais leur donner que des heures, en vérité tu leur as confié ta vie. Tu croyais jouer en répondant à leur appel, ils te forceront à avouer que tu cherchais la vérité, quand bien même tu ne comprends pas ce que tu dis. Tu t’es mis à leur service et ils agissent désormais. Oui, tu seras poète jusqu’à la nausée de toi-même.

J’ai donc voulu avancer sur ce chemin inexorable. J’ai repris les textes publiés depuis vingt ans. Je les ai lus en m’appuyant sur cette longue durée pour essayer de découvrir des chemins qui permettraient de circuler entre eux. Trop tôt, ou peut-être au-delà de mes forces. Je n’ai pas pu passer de l’autre côté et les lire comme je lis d’autres poètes. Surtout, ils m’apparaissent comme une clôture impossible à traverser, grandissante, toujours plus haute, toujours plus proche, me repoussant davantage vers ce néant que je suis ; me resserrant auprès d’un mystère ou d’un abîme qui m’effraie, m’attire autant qu’il me blesse. Malgré le dérangement, je m’efforce pourtant de rester homme, d’assumer cet état de vie, de le confier pour ce qu’il est à qui m’interroge. Oui, cette vie de poète anonyme est mienne, puisqu’elle est la seule aventure que j’ai choisie de plein gré. Elle est tout entière dans ce oui à l’existence que j’ai donné et qui me déborde. Peut-être que cette acceptation participe et colore mes poèmes. Peut-être pas. Je ne m’en soucie guère. Ces poèmes que j’ai écrits me sont étrangers. Après s’être nourris de ma chair et de mes os, ils m’ont chassé. Depuis, nous ne nous fréquentons plus. Ils me sont plus lointains que tous les poèmes que je lis. Sauf un seul, qui me préoccupe encore : le suivant qui déjà a entrepris ma chair et mon âme, et va s’en nourrir, se l’approprier, réduisant encore un plus l’être que je suis hors de la poésie.




Martin Harrison vient de nous quitter

 

Fence Posts

The ribbon of black snake (maybe 60 centimetres long) threads itself round some dry clumps of grass, moving across a rock, its head held high, jiggling around as if it’s in a cartoon. It’s young. It’s been hatched only a few days. It’s the puppy dog of snakes. I saw it from the kitchen window this morning and went out to watch as it moved through the centre of a grevillea and then, surprised by us, it turned back disappearing up the bank.  It goes so fast it looks like the end of a piece of rope quickly pulled away.  It moves faster than someone could run, panicked, trying to get distant from the house.  Not a tree-snake, yet this little red-bellied black arches over the grevillea’s twigs like a miniature roller-coaster, dipping and climbing.  How it did so momentarily took our breath away. I say “us” because you’d come down to see it, too.  I’d thought (remembering a biblical curse, something about dust and heels) they mostly had to stick along the ground:

the snake
like a train in the mountains
in the shrub

why tell it?
why call to you
about its apparition?

why speak its

  --

A rare kind of pleasure is the pleasure of realising that you’ve got over a shock.  It’s similar to, in some ways more than, the sense of recovery from serious illness, though that too (like the end of shock) is a feeling that the horizon broadens like mist clearing from a tree-covered hillside and of increasing immersion, day after day, in lightness. in easy movement and pleasure. As if some new bright fluid inhabits the air, as if sharpness returns in things.  I remember looking out once through a fifth floor hospital window at the darkness of the street’s plane-trees down through a wet winter dusk in Sydney and thinking that I’d never seen anything as darkly sad as that, as gloomy and depressed as the waves of darkness in their branches and the blocked miserableness of the stone wall behind them.  I knew, at the same time, that these bleak feelings were also an effect of the slowness of recovery.  The very fact I could measure my response to the trees was a sign, in other words, that things were turning for the better.  The darkness, the empty wet night, the scatter of golden leaves on the pavement, the unusual “inner city” concentration of plane-trees and high sandstone wall: these all acted as a net in which I caught the effects of my still very shallow energy, the unbearable muscular weakness I felt, the numbing effects of drugs and painkillers. Even so I remember realising half-consciously (“somewhere,” so to speak, in a half-worked out way) that for any human being to have died in that state of mind would have required that he or she acknowledge so much unaccounted for unhappiness that the sick person would do anything to keep alive, to move through.  To sort out unhappiness.  The legacy of  sadness (strange, weak, powerful word) is too difficult for others to cope with, for friends and family.  I kept having that involuntary thought, again and again.  Perhaps it was a realisation, and a fear: how would it feel to think you would never rejoin the daylight

Each poem’s an event, moment by moment.  That’s why it’s ultimately pointless to compare poetry with music.  Poetry has its own event-structure and, despite the poets’ arguments, music is a precise language, precise in ways in which vocal language is not.  Of course I’m muttering this because it’s obvious and there’s no point in keeping these old arguments alive.  But a poet and a philosophy teacher I had lunch with yesterday after driving into town went on about it together and I didn’t say what I wanted to - namely, I don’t want all pleasures collapsed into one. I like the way colour, tone, reference can be picked out, chosen again, changed, placed here and there, in a piece of music: with precision and meaning way beyond words.  How blackness of trees and snakes lightens into light on water, into light in dark.  And no, those words aren’t literal.  And yes, that doesn’t mean that things don’t exist or that we anti-literalists don’t care for things, for objects, for natural worlds.  Have either of them ever played a note?  I suppose not.  It’s part and parcel of the struggle with the shape of a future poem where even transparency’s a wall.  And it’s why, walking back along the dirt road to the house, I was thinking about the transformation of places in memory, how objects are under attack.  The mind dissolves and loses them. You can climb right through at any place.  More than just tracing the immediacy of sense in a phrase like “the lightness of dust and a storm’s passing rain,” some deep structure has to come forward in case we lose the object.  It could just be a shimmer, a mark. A silver shimmer, for instance, on old wood.  Or dry cropped grass, stained with green after rains have come at last.  Or the array of boundaries.  Their rusted, taut wires.  Or the rough-cut humaneness of those fence posts

 

Poteaux de Clôture

Le ruban de serpent noir (peut-être long de 60 cm ) passait tel un fil autour de quelques touffes d'herbe sèche, traversant un rocher, la tête haute, se trémoussant  comme dans un dessin animé. Il est jeune. Eclos depuis peu de jurs. C'est le bébé chiot des serpents. Je l'ai vu de la fenêtre de la cuisine ce matin et je suis sorti pour le regarder tandis qu'il bougeait au coeur d'un grevillea et soudain, surpris par nous, il  a disparu en remontant  la pente. Il va si vite qu'il semble l'extrémité d'une corde brusquement tirée. Il bouge plus vite qu'on ne pourrait courir, paniqué, e, ssaya,t de s'éloigner de la maison. Pas un serpent arboricole, même si cette petite couleuvre à ventre rouge se cambre ur les branches du grevillea comme un grand huit minuscule, plongeant et grimpant. Comme  il  nous a coupé le souffle brusquement. Je dis “nous” parce que tu es descendu pour le voir, toi aussi. J'avais  pensé (souvenir d'une malédiction biblique, quelque chose à propos de poussière et d'anguilles) qu'il devait en général ramper au sol :

le serpent
comme un train dans les montagnes
dans le buisson

pourquoi le dire?
Pourquoi en appeler à toi
à propos de son apparition?

Pourquoi dire son
...

C'est une espèce de plaisir rare que de réaliser que vous avez surmonté un choc. Cela ressemble, et même parfois plus, à la sensation de guérison d'une grave maladie, bien que ce soit également (comme la fin du choc) le sentiment que l'horizon s'élargit comme la brume  quitte une colline boisée, tandis qu'on plonge de plus en plus, jour après jour, dans la légéreté, les mouvements faciles et le plaisir. Comme si quelque fluide neuf et brillant habitait l'air, comme si l'acuité revenait aux choses. Je me souviens avoir regardé une fois, d'une fenêtre au cinquième étage de l'hôpital, l'obscurité des platanes de la rue à travers le crépuscule d'un hiver humide à Sidney et d'avoir pensé que je n'avais jamais rien vu de plus sombrement triste que ça, aussi lugubre et déprimé que les vagues d'obscurité dans leurs branches et la muraille misérable de pierres derrière eux. Je savais, en même temps, que ces sentiments désolés étaient aussi une conséquence de la lente guérison. Le fait même que je puisse mesurer ma réponse aux arbres était un signe, en d'autre termes, que les choses s'amélioraient. L'obscurité, le vide humide de la nuit, l'or des feuilles éparses sur le sol, l'inhabituelle concentration “en centre ville” de platanes et de hauts murs de pierre : tout ceci fonctionnait comme un filet dans lequel je capturais les retombées de mon énergie encore bien fragile, l'insupportable faiblesse musculaire que je ressentais, l'engourdissement dû aux médicaments et aux antidouleurs. Même ainsi je me souviens d'avoir réalisé à demi-consciemment (“quelque part”, pour ainsi dire, d'une façon à demi- exprimée) que pour tout être humain, mourir dans cet état d'esprit
aurait exigé qu'il ou elle reconnaisse une telle part d'inexpliqué à son chagrin que la personne malade aurait fait n'importe quoi pour rester vivante, s'en sortir. Eliminer le chagrin. L'héritage de la tristesse(étrange mot, faible, puissant) est trop dur à assumer pour les autres, les amis, la famille. Je ne cessais d'avoir cette pensée involontaire, encore et encore. C'était peut-être une prise de conscience, et une peur : qu'éprouverait-on à penser qu'on ne rejoindrait jamais le jour

Chaque poème est un évènement, à chaque instant. C'est pourquoi il est finalement tellement inutile de comparer poésie et musique. La poésie a sa propre structure événementielle et, malgré les arguments du poète, la musique est un langage précis, précis dans des cas  pour lesquels le langage vocal ne l'est pas. Bien sûr, je bredouille ceci parce qu'il c'est évident et qu'il n'y a nulle raison de continuer à faire vivre ces vieux débats. Mais un poète et professeur de philosophie avec qui je déjeunais hier après avoir traversé la ville en voiture le reprit, et je n'ai pas dit ce que je voulais – c'est à dire, je ne veux pas que tous les plaisirs s'effacent en un sul. J'aime la façon dont les couleurs, les tonalités, les références peuvent être cueillies, choisies de nouveau, changées, placées ici et là, dans un morceau de musique : avec une précision et un sens bien au-delà des mots. Comme la noirceur des arbres et des serpents s'éclairent en lumière sur l'eau, en lumière dans l'obscurité. Et non, ces mots n'ont pas un sens littéral. Et oui, ceci ne signifie pas que les choses n'existent pas ou que nous, anti-littéralistes, ne soyions pas attentifs aux choses. Est-ce que l'un d'entre eux a jamais joué une note? Je suppose que non. Cela fait partie de la lutte avec la forme d'un futur poème, où même la transparence est un mur. Et c'est pourquoi, remontant le chemin de terre vers la maison, je  pensais à la transformation des lieux dans la mémoire, à la façon dont les objets sont attaqués. L'esprit les dissoud et les perd. Vous pouvez grimper directement n'importe où. Plutôt  que se contenter de chercher le sens immédiat d' une phrase telle que“la légèreté de la poussière et la pluie passagère d'un orage”, il faut qu'une structure profonde apparaisse au cas où nous perdions l'objet. Ce pourrait n'être qu'un reflet, une marque. Un reflet d'argent, par exemple, sur un vieux bois. Ou de l'herbe coupée qui sèche, tachée de vert après que les pluies soient finalement arrivées. Ou le déploiement  des limites. Leurs fils rouillés tendus. Ou l'ébauche d'humanité de ces poteaux de clôture

 

Rainbow Snake

 

The blue vase keeps winking at me.
Painted blueness does that to the eye.
Its blueness is a wilder sea, obscured
by curves and sheen. Blueness back of the surf,
with a gull hovering on water's moody heave.

Past sunset streaks, the vase gapes into air,
all ear to what might drown in it,
now turning sapphire in the shifting reds
which race across this gathering dark.
Now it gleams with lamp-light like a snake

camouflaged in the glitter of midday heat.
It takes the passing wings of flickering steps.
The vase stands there, shining, on the table.
Parts are like islands in a shadowy wash.
The body's razor-bright in changing dusk.

Sunset behind it deepens with a mallee glow.
Re-fired by skylines, it comes from the earth,
a bulb, taut, marked, sinuous. Each side's
again that snake. It bends time. Until about to soar,
pure thing, burnished as desert, it builds rock-towers.

 

Serpent arc-en-ciel

 

Le vase bleu me cligne de l'oeil avec insistance.
Peint, le bleu crée cet effet optique.
Son bleu est une mer plus sauvage, assombrie
de courbes luisantes. Dos bleu des vagues,
une mouette planant sur la houle maussade.

Dans les derniers rayons du crépuscule, le vase baye aux corneilles,
tout ouïe à ce qui pourrait se noyer en lui,
devenant de saphir dans la course des rouges changeants
contre le noir qui s'amoncelle.
Maintenant, il luit à la lumière électrique, comme un serpent

camouflé dans l'éclatante chaleur de midi.
Ephémère, un pas dansant s'y reflète comme une aile.
Le vase est là, luisant, sur la table.
Semblable par endroits à des îles badigeonnées d'ombre.
D'un brillant de rasoir dans le crépuscule changeant.

Derrière lui, l'ombre s'épaissit avec une lueur de mallee.
Flamboyant sur l'horizon en feu, montant de la terre,
le gonflement précis, sinueux, d'un bulbe. De chaque côté,
le serpent. Il incurve le temps. Avant de prendre son vol,
pur, comme un désert bruni, dressant une tour de rochers.

 

Martin Harrison - traduction Marilyne Bertoncini

 

Lire d’autres textes du poète dans Recours au Poème : ici

 




Grenier du Bel Amour (14)

La poésie ou le voyage de l'âme

 

 

Qui, parmi nos lecteurs, ne connaît le nom de Matthieu Baumier ? Aussi bien parmi les amateurs de romans, que parmi ceux de nouvelles, ou ceux qui s’intéressent à la spiritualité française du XVII° siècle…

Mais pouvait-on deviner qu’il était un tel poète, habité par tous les territoires de l’au-delà et par les moyens d’y parvenir ?

Bien sûr, on savait son passage par ce que l’on appelle couramment le « post-surréalisme ». Et si l’on se souvient des intérêts les plus réels de Breton, ou des « curiosités » de Benjamin Péret, on ne peut que comprendre un tel parcours… Après tout, je me le demande ouvertement, qu’est-ce que Matthieu Baumier a trouvé aux pieds de la tour Saint-Jacques à Paris, et serait-ce tout à fait pour rien qu’il a élu domicile dans l’un des lieux les plus chargés spirituellement de toute l’histoire de France ?

(Car André Breton n’était pas tout à fait l’ « athée militant » que l’on croit d’habitude, et, quoi qu’il en eût par ailleurs, sa poésie touche souvent à une appréhension « mystique » des choses : il n’est que de relire les premiers paragraphes de « L’Amour fou » pour s’en rendre compte.. .).

Toujours est-il que, à l’évidence, Matthieu Baumier est habité jusqu’au plus profond de lui-même par la présence de dieux qui ne sauraient le laisser en paix. Et que sa réflexion sur le « silence des pierres », nous fait aller d’un silence inaugural au silence auquel nous serons acculés lorsque nous découvrirons le principe de toutes choses.

Du coup, je me pose la question : et si la poésie était un essai (malhabile ? Pas toujours.. .), de cerner ce silence qui nous dépasse de partout et – suprême ruse ? – d’y amener peu à peu en essayant de le « dire » ?

Ce que confie l’auteur à la presque fin de ses pages :

 

« Je rédige le monde

Et de mes ratures émerge le secret de l’oeuvre » -

 

Et :

 

« Je retiens ceci :

Le Poème est rouge du sang de la neige

 

Il est encore temps de proclamer

La solution finale du problème de la prose »

 

Pour se terminer sur l’évocation de l’horreur de la « solution finale » - évocation marquée comme écrite dans un cimetière juif, à Berlin…

Alors, je ne peux m’empêcher de me demander : et si le silence des pierres était cette mutité à laquelle nous pourrions un jour parvenir lorsque nous aurons réalisé notre pierre intérieure, cette lapis philosophale que nous cherchons tous peu ou prou et qui donne sens à notre vie en la réinscrivant dans le grand jeu de la Vie ?




ALAIN BRETON

 

Après avoir été éditeur à l’enseigne du Milieu du Jour éditeur (1989-1996), Alain Breton (né le 24 février 1956, à Paris) a codirigé à Paris, de 1996 à 2006, avec Elodia Turki, les éditions Librairie-Galerie Racine, dont il est aujourd’hui le directeur littéraire. Editeur, revuiste, illustrateur, peintre, poète et critique littéraire (il a collaboré aux deux séries de la revue Poésie 1), Alain Breton est membre du comité de rédaction, depuis 1997, de la troisième série de la revue Les Hommes sans Épaules, dont il a dirigé la deuxième série de 1989 à 1994.

Œuvres d’Alain Breton : Chute et parfums (éditions G.D, 1979), Tout est en ordre, sûrement (Le Méridien, 1979), La Vraie Jeune Poésie, anthologie (La Pibole, 1980), Les Nouveaux Poètes maudits, anthologie, préface d’André Pieyre de Mandiargues (le cherche midi éditeur, 1981), Ça y est, le monde (Galerie Racine, 1990), Juste la terre (Froissart, 1991), Bivouacs (La Bartavelle, 1992), Une chambre avec légende (Librairie-Galerie Racine, 1999), Pour rassurer le fakir (Librairie-Galerie Racine, 2000), Infimes prodiges (Librairie-Galerie Racine, 2009), Poèmes (Maison de la Poésie de Haute-Normandie, 2009), Les Éperons d'Éden, Tombeau, (Les Hommes sans Épaules éditions, 2014).

Une anthologie de poèmes d'Alain Breton a paru sous l'égide du Nouvel Athanor dans la collection Poètes trop effacés : Ici




La Poésie dans l’œuvre d’Antoine VOLODINE.

La Poésie dans l’œuvre d’Antoine VOLODINE

 

 

 

« Tu es comme nous, comme tout le monde. À moitié humain, à moitié animal. Tout le monde est pareil. Toi, moi… Moi non plus, je ne peux pas affirmer à cent pour cent que je suis vraiment une personne. Je n’en sais rien. »

Antoine Volodine
(Bardo or not Bardo, Editions du Seuil, 2004.)

 

C’est secret.
Ou confiné.
Ou interdit.
C’est brûlant.
Offensif.
Dangereux.
Brouiller les pistes ou se taire.
Brouiller les pistes.
On ne doit pas parler de la poésie post-exotique.
On ne parle pas du fleuve caché, mythique et vénéneux.
On se jette.
On ne reste pas sur la berge.
On se noie.
Dans l’eau noire.
Remplie de présences et de mémoires.
Celles de ceux qui ont lutté et perdu.
La défaite.
Les remous, les courants, les marécages de la défaite.
L’âme des insurgés qui remonte comme un seul cri et vient hanter la nuit.
La nuit de celles et ceux qui lors de la révolution mondiale (1) se sont battus pour l’égalitarisme.
La nuit de celles et ceux dont le gémissement  tremble encore sur le barbelé des camps.
La nuit de celles et ceux qui ont donné leur vie pour tuer le capitalisme et les légions de mafias qui gouvernent ce monde.
Mais.
Si l’on se dit en respect des âmes qui planent encore dans les quartiers de haute sécurité, on se tait. Mais la bouche tremble.
Alors on aimerait rejoindre l’ombre et ne pas avoir à décrire l’ombre. Le mieux serait de s’allonger dans l’amnésie, à la frange du réel, les yeux mi-clos.
Car rien ne doit être dit ou écrit sur le sujet.
Ou plutôt rien d’essentiel qui pourrait être récupéré par la littérature officielle.
Par les traditions littéraires ou autres conformismes ou anticonformismes officiels.
Par toutes les jongleries boutiquières des avant-gardes institutionnelles.
C’est une des règles d’or du post-exotisme.
Toujours faire subsister une part d’ombre au moment des explications ou des aveux en les modifiant au point de les rendre inutilisables par l’ennemi.
Où sommes-nous ?
Quel âge est-il ?
Quelle heure sur la planète ?
Combien d’humains encore ?
Et cette ville.
Banlieue du monde.
Ville carcérale.
Cosmopolite et indéterminée.
Totalitaire.
Semblable aux concentrations urbaines post-atomiques.
Guérillas.
Les agents du malheur ont gagné.
Il fait chaud.
Il fait toujours trop chaud sous les néons moribonds des rues sombres et désolées du post-exotisme.
Ville morte.
Agonisante.
Peuplées d’âmes qui ne savent plus ce qu’elles font là.
Qui cherchent à s’en aller en prenant le dernier rêve, le dernier cauchemar, le dernier souffle d’un être encore vivant, ou presque.
Lumières sales, opaques.
Suintant le crime.
Jetant leurs lueurs jaunâtres et épuisées sur des insectes grouillants et des remugles de déchets, de corps sales et de pensées malades.
Est-ce que le ciel ?
Mais il n’y a plus de ciel.
Juste un bloc d’encre solide.
Juste une toile noirâtre et figée.
Zébrée d’éclairs électromagnétiques.
Enfers troubles de chaos politique et de rituels obscurs.
Propagande et mensonge.
Barbarie intellectuelle.
Dérives.
Vers la folie.
Ou vers.
Où sommes-nous ?
Peut-être dans les labyrinthes tortueux d’une mémoire.
Celle d’un écrivain post-exotique.
Ou en pleine hallucination.
Au carrefour d’une métempsychose qui lutte et se débat, engluée dans une implosion de souvenirs. Ceux de poètes oubliés, inconnus, torturés.
En marge de toute convention littéraire, sociale, humaine.
En marge de tout.
Morts.
Ou n’arrivant pas à mourir.
Ou condamnés à revivre.
Portant en eux toute la poésie et la douleur des combats qui ne cesseront de hanter leur éternité.
Les âmes se parlent.
Les murs saignent.
Rien ne peut plus mourir dans les couloirs de la mort ou de l’après-mort.
Couloirs hantés de manuscrits anonymes et collectifs.
Manuscrits prenant les formes improbables et insaisissables de romånces, entrevoûtes, murmurats, shaggås…
Manuscrits groupuscules.
Fédérant une construction intérieure, une secrète terre d’accueil participant au complot à mains nues de quelques individus contre l’univers capitaliste et contre ses ignominies sans nombre.
Cataclysme lépreux éructé d’une spiritualité blessée.
Qu’on a frappée, battue.
Mysticisme sublime et repoussant.
Où sommes-nous ?
Au cœur d’un verbe fantomatique éructant une littérature partie de l’ailleurs et allant vers l’ailleurs.
Vers un plus loin que l’ailleurs.
Une littérature étrangère.
Étrangère à tout.
Comment entrer ?
Comment entrer quand chaque repère temporel est une tromperie, une ruse, un enchevêtrement de passés et de présents. Quand l’infiniment bref côtoie l’éternité et même réussit à la distendre ?
Quand chaque situation géographique est une embuscade pour les liseurs de mappemondes et autres détenteurs de boussoles.
Tout existe en même temps et partout.
À quelle région de l’âme s’adresse la poésie post-exotique ?
Quels territoires du grand inconscient ?
Quelles généalogies obscures ?
Quelles dérives transgénérationnelles ?
Quelles filiations reptiliennes et sauvages ?
Des clefs suggèrent que des vérités existent.
Vérités essentielles, monstrueusement violentées et cachées.
Suggestions filigranées conçues pour toucher l’inconscient de préférence à l’intelligence.

Où sommes-nous ?
Qui sommes-nous ?
Des noms.
Des noms il y en a.
Il y en a des listes entières au fil des pages et des interrogatoires.
Des noms phonétiquement trop proches les uns des autres pour espérer y voir clair.
Des noms : Zwogg, Kwong, Yong, Schlumm, Schlutz… Volodine peut-être ?
Mais Volodine est un passeur.
Un porte-parole.
Un passeur d’âmes et de mots.
Un passeur de mémoires et de visions.
Un dépositaire des constellations post-exotiques.
De la vengeance sociale et du châtiment égalitariste.
Constellations clandestines.
Fraternelles.
Impalpables.
Mortes.
Éternelles.
Il y a des passerelles entre les âmes.
Volodine se connecte.
Volodine écoute.
Volodine retranscrit.
Parfois il écrit.
Comment entrer ?
Dissidence – mutisme – autisme – violence.
Chercher un allié, un ouvreur compatissant.
Un ouvreur de portes.
Un liseur de silences.
Un guerrier et ses chants capables de nous mener sur l’autre rive du grand fleuve.
L’autre rive.
Celle de l’imaginaire.
Celle où tout est plus réel.
Accoster les plages et les pages post-exotiques.
Passer de l’autre côté.
Un allié.
Un chamane.
Le chamanisme et ses incantations.
Ses tambours.
Ses prières.
Son livre, Le Livre des Morts.
Sa transe.
Car dans un endroit comme la cité il y a toujours une cérémonie en cours ou une danse chamanique à l’arrière d’on ne sait quel dédale non éclairé et insituable.
La poésie de Volodine et de tous les écrivains post-exotiques est une transe.
Dans le long couloir du Bardo.
Dans ce monde d’avant la vie et d’après la mort.
Cet état flottant dans lequel se réveillent celles et ceux qui viennent de décéder.
Dans le passage obscur.
Noir.
Aveugle.
Mais les moines bouddhistes nous aident à traverser.
Ils nous aident à bien mourir pour enfin s’envoler et ne jamais renaître.
Encore faut-il savoir écouter.
Encore faut-il.
C’est là que se situe l’errance.
C’est de là qu’on peut vivre ou mourir la poésie post-exotique.
C’est de là qu’on voit, qu’on touche, qu’on entend vraiment.
Vraiment ?
Cela laisserait il supposer qu’il y ait une réalité plus réelle, une vérité plus vraie ?
Erreur, nous nous égarons.
En sortant de notre égarement, nous nous égarons.
Aucun repère ne peut et ne doit prendre place.
C’est le principe de la non-opposition des contraires.
La victime est bourreau, le passé est présent, l’achèvement de l’action est son début, l’immobilité est un mouvement, l’auteur est un personnage, le rêve est réalité, le non-vivant est vivant, le silence est parole.

Réel, irréel, surréel, sous-réel, mémoires, noms, prénoms, morts, vivants, tout se confond en une seule et même agonie portée par les vents.
Des vents chauds, suppurants.
Des vents noirs, oppressants.
Fouettant les sombres quais d’un monde de carnage, de puanteur, de sueur.
De sueur et de sueur.
La défaite.
Le ratage.
L’illusoire.
L’illusion.
Des humains recouverts de pelages d’oiseaux, des blattes, des cafards, des araignées.
Des araignées ?
Est-ce vrai Golpiez que les caranguejeiras sont des araignées très puissantes aux pattes démesurées ?
Est-ce vrai que les Indiens Cocambos prétendent qu’elles ont une intelligence supérieure et des aptitudes à la vie collective, et que dans certains territoires de la forêt elles mettent en place des utopies plus révolutionnaires et plus réussies encore que celles de nous autres ?
Est-ce vrai Mevlido que ce sont elles qui ont maintenant pris la place de l’homme et règnent sur la planète ?
Est-ce vrai ?
Mais qui parle ?
Qui questionne ?
Qui répond ?
Narrateur, sur-narrateur ou lecteur ?
Peu importe, le post-exotisme c’est une seule voix.
Une seule voix faite de centaines et de centaines de voix, de centaines et de centaines de noms.
De noms anonymes.
Vertige.
Tourbillons d’images et de senteurs, de villes détruites et de déserteurs, de criminels et de frères anarchistes, de temples, de gares désaffectées et de rituels éthérés, de poussières chargées de fer et d’angoisse, de derniers souffles et de réincarnations animales.
Mais les chamanes sont là.
Elles sont femmes souvent.
Asiates immortelles, inquiétantes et belles.
Elles officient dans les steppes immenses d’une lointaine Sibérie.
D’une lointaine Mongolie.
Ou juste au bout de la rue.
Ou juste dans ce qu’il me reste d’esprit.
Elles partagent de la nuit, du silence et du langage.
C’est grâce à leurs musiques que l’on peut ressusciter les présences.
Elles ont quatre ou cinq cent ans.
Elles sont décharnées, décrépites et hideuses.
Elles sont belles.
Divinement belles.
Elles entonnent des chants qui nous conduisent vers.
Psalmodies envoûtées.
Envoûtantes.
Vers des mondes parallèles.
Des failles de l’espace-temps où s’entrecroisent et se déchirent des bourreaux et des victimes, des égarés, des insanes, des  psychopathes, des écrivains reniés, humiliés et détruits.
Elles fabriquent un enfant avec des chiffons dans un vieux pensionnat perdu aux confins d’un autre ailleurs encore.
La poésie post-exotique.
Lente suffocation sous les flots d’une mélopée ineffable, spectrale, à la fois éphémère et éternelle.
Poésie qu’on ne peut menotter sous les fers de l’analyse puisqu’elle naît de l’enfermement.
Poésie incarcérée.
Murmurée d’une cellule à l’autre.
À travers les tuyaux, les canalisations de la prison.
À travers les milliards de vaisseaux qui s’entremêlent au tumulte de nos cerveaux.
À travers les murs et les fissures.
À travers cicatrices et blessures.
Les non-frontières de l’imaginaire.
Les lointains.
L’intérieur.
Musique de l’illisible passant à travers les consciences, les rêves et les réminiscences.
Mélodie ondulant le désespoir avec la violence propre aux buveurs d’absolu.
Mélodie portée par cette horde d’écrivains terroristes et résistants formant avec nous et avec leurs propres personnages un moi insoluble.
Utopie flottant entre les âmes comme un lien indestructible.
Le combat de ceux.
Transmission à travers les âges et les générations.
Car dans le post-exotisme les signatures se mêlent comme dans l’amitié on mêle le sang.
Magie absurde d’une parole en feu.
Libre.
Alors la poésie post-exotique c’est la liberté.
Alors la poésie post-exotique c’est notre cœur qui va vers ces hommes et ces femmes en pleine décomposition ou déjà morts.
Ces criminels de criminels.
Ces criminels en lutte incessante contre la pègre capitaliste et milliardaire habitant les quelques îlots de la décision mondiale dans les vastes océans de famine.
Alors la poésie post-exotique c’est l’espoir.
Comme une prise de conscience violente et salutaire en plein cœur du marasme.
Cet élan de révolte humaniste qui à force de silences et d’agonies, de mots et de cris, jaillit de nos tripes et de nos rêves.
Comme une lueur salvatrice dans l’opacité résignée de l’holocauste mercantile.
Lueur faisant dériver le chagrin vers des nouvelles raisons de combattre ensemble et de durer.

 

Jean-Philippe Gonot,
Manoir de Vérizet, Septembre 2014.

 

[1] Note fondamentale et inutile de l’auteur de ce texte ou d’un autre auteur qui. Les phrases en italiques ont peut-être été volées à certains auteurs post-exotiques, certains narrateurs ou sur-narrateurs post-exotiques. Elles ont peut-être été crachées lors d’interrogatoires ou d’agonies diverses et variées. Elles ont, en tout cas, été volontairement torturées et saignées. Toutes les références sont littéralement incomplètes, erronées et anonymes.




Regards sur la poésie française contemporaine des profondeurs : Mathieu Hilfiger

     

     L’écriture, Mathieu Hilfiger la découvre et la pratique, comme tous ses semblables, dans la tiède obscurité du milieu aquatique primitif. Il y fait en 1979 ses premiers et plus authentiques gestes d’écrivains : frôler, palper, glisser, caresser – errer dans les pages animales, analphabètes, du livre de contes archaïques de l’espèce humaine.
     Enfant, les rudiments de sa poétique s’inscrivent en lui en même temps que le sentiment de l’irréversibilité du perdu, et la vie, elle, est vécue avec une joie mélancolique. Il est vrai que chez lui la nostalgie semble innée.
     Adolescent, la rencontre enthousiaste de la poésie (Rimbaud, Apollinaire, Baudelaire) lui fait son don initial : celui du sentiment d’un espace où pourrait être recomposée une part de cette douceur animale qui s’est soudainement échappée avec la perte des eaux amniotiques. Le premier recueil Lettres Touchées retrace cette genèse poétique dans un contexte de crise familiale extrême.
     Parallèle à l’étude des lettres, des langues anciennes et de la philosophie (essentiellement grecque), cette redécouverte de l’écriture par les mots le conduit effectivement à élaborer un rapport privilégié à la langue et une poétique tout à fait singulière, où se retrouvent, naturellement faudrait-il dire, l’origine et l’enfance, la nuit et le rêve, la plante et l’animal – tout ce qui, finalement, prétend constituer la dimension d’un monde. La proximité des œuvres de Saint-John Perse, de Grosjean, de Rilke, et surtout celle de Celan, lue quotidiennement pendant des années, encourage un lyrisme à l’aura « nocturne » chantant cette profondeur.
     Les paysages, eux, sont ceux à l’Ouest de sa région d’adoption, la Normandie, et de la matière de Bretagne, et ceux à l’Est de sa région natale, l’Alsace, et des réminiscences de la Mitteleuropa – tous anamorphosés par la rêverie et les générations.
     Toutes les ressources, tous les mystères, peuvent être interrogés dans ce chemin d’ombres qui ne saurait prendre une autre courbe que celle d’une longue initiation (Pierre Dhainaut l’a bien saisi dans sa préface aux recueils de 2009 D’une craie qui s’efface et Reflets et Disgrâce) : un chemin retour impossible et passionnant, alors même qu’une vie sans écriture serait une réclusion.
     En 2001, Mathieu Hilfiger crée la revue décennale Le Bateau Fantôme, dont les thèmes reprennent métaphoriquement les grandes étapes de l’existence humaine. Les apports des sciences humaines complètent créations et articles littéraires.
     Il ne cesse d’écrire des poèmes, aussi bien en vers qu’en prose, qui paraissent en livres et régulièrement en revues (récemment : Phoenix, Nunc, Arpa, Écrits du Nord) ; des entretiens et des lettres avec des amis poètes – Yves Bonnefoy (plusieurs rééditions de leur entretien sur le livre), Pierre Dhainaut (co-signature de De jour comme de nuit), Jean Maison, Jean-Marc Sourdillon, Jacques Dupin ; des proses en fragments (en particulier le triptyque sur l’origine intitulé Vestiges et son premier volet Nuit Primitive) ; des articles littéraires et philosophiques, ainsi que des notes de lectures ; de plus en plus, des textes en échos d’œuvres d’artistes ; du théâtre, plus récemment.
     Le Bateau Fantôme renaît fin 2013 sous la forme d’une petite maison d’édition littéraire tournée vers la pratique même de l’écriture et les marges de la création, et dont les livres seront conçus et imprimés en France sur des papiers écologiques d’excellence.
     Parmi les autres auteurs qui comptent le plus : Homère, Platon, Chrétien de Troyes, Shakespeare, Kafka, Quignard, auxquels il ne faudrait omettre d’ajouter des noms de musiciens, et d’abord celui qu’il désigne comme son « maître », Monteverdi.
     Mathieu Hilfiger construit une œuvre polymorphe, qui se ramifie à travers des modes d’expression pluriels et à partir d’un noyau de sens ; noyau qui doit fondamentalement être sans cesse inventé et recherché. En définitive, c’est la pensée, corde sensible vibrant perpétuellement avec le battement des choses, qui constitue le moteur de son écriture. « Aucun poème de Mathieu Hilfiger qui ne constate loyalement combien nous sommes entravés ou meurtris, aucun qui ne se dresse et ne défie, en tremblant, l’opacité : la voix qui dit ‘’l’exil’’, qui l’éprouve en sa profondeur, appelle également un ‘’royaume’’, elle respire au large, c’est une ‘’voix d’enfant’’. Avec Mathieu Hilfiger les commencements sont perpétuels. » (Pierre Dhainaut).

 

 

Œuvre poétique :

Lettres Touchées, Pierron, 2002.
D’une craie qui s’efface, précédé de Reflets et Disgrâce, L’Harmattan, 2008.
De jour comme de nuit, avec Pierre Dhainaut, Le Bateau Fantôme, 2013.
L’Aube Animale, à paraître.
Fulminations, à paraître.