Au Paradis des poètes

                                      en pensant à Yves Landrein

 

Un homme est parti. Il a découvert bien tôt une autre rive, lui qui était passeur de mots, au service de la parole. Amoureux fou des livres et de la vie qui n’est que gratitude, il savait regarder avec les yeux si clairs de la tendresse, toujours en souriant. Son cœur était poème – peut-être saigne-t-il encore. Pauvre, immensément vulnérable parmi les contradictions de ce monde, il a vécu en pauvre, riche du trésor de la poésie qu’il a aimée pour ce qu’elle est, un souffle, le souffle de l’ange qui passe, discret et attentif, que quelques uns ont su voir aller, sans naïveté, de page en page, comme le messager d’une bonne nouvelle à entendre ici et là. L’homme est au paradis des poètes. La beauté qu’il a tant cherchée est son lot à jamais.
 




Le scalp en feu (2)

Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et intermittente, dont le seul sujet, en raison du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre six fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les nécessités de l’instant ou du jour, son auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ouvrir à chaque fois toutes ces fenêtres ou quelques-unes seulement. M.H.

 

SOMMAIRE

  • UNE PENSÉE OU PLUSIEURS /  De la rime / de Théodore de Banville à Joë Bousquet et à Louis Aragon. /  p. 2
  • LE POÈME /  Blas de OTERO  / p. 4
  • LE POÈTE /  Max PONS et le recueil « VERS LE SILENCE » /  p. 10
  • AUTRE(S) CHOSE(S)  /  p.20  / 2012-JUIN

     APHORISMES , SENTENCES ET PENSÉES D’AYMERIC BRUN (inédits)

  • FEU(X) SUR DAME POÉSIE  / le poète avec ou sans recueil / p.23

§ ANNE JULLIEN  /  FLOTTILLES  /  p.23

§  JANINE MODLINGER /  UNE LUMIÈRE À PEINE (Carnets) / p.25

  • LIEUX DE POÉSIE /  5 Lieux, dont ceux de GUILLAUME SIAUDEAU et MARLÈNE TISSOT /  p.28

 

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UNE PENSÉE

ou plusieurs

C’est au printemps 1941, dans le numéro 4 de la revue Poésie 41, des mois de mai et juin. Joë Bousquet répond à André Gide qui commente cette définition de la poésie par Théodore de Banville : « … cette magie qui consiste à éveiller des sensations à l’aide d’une combinaison de sons… cette sorcellerie grâce à laquelle des idées nous sont nécessairement communiquées, d’une manière certaine, par des mots qui cependant ne les expriment pas. »  Puis Louis Aragon répond à Joë Bousquet.[1]

J. Bousquet : « … le mot qui, dans l’expression en prose est le spectre d’une pensée, devient en vers la substance même de l’expression, où, par irisation, la pensée apparaît. Aussi le poète fait-il la nuit dans les mots, comme le vitrier, obscurcissant les verres (où le noir prendra toutes les couleurs de l’arc, en attendant l’élaboration du vitrail.

Les mots ainsi réduits à leur être physique sont susceptibles d’arrangements admirables. Là est le secret de la poésie ; comme la nature semant les éléments où la vie choisira sa combinaison… 

[…] Je n’hésite pas à déclarer que le langage poétique n’est pas le frère de notre pensée, mais le frère de notre être : la pensée s’y reflète au lieu de s’y traduire. […] L’homme pourrait donc dire de la poésie qu’il vocalise en elle son essence. Mais j’insiste surtout sur le fait que dans tout poème le mot est premier à l’idée. »

Puis il est question de la rime. J. Bousquet : « … on ne peut que souhaiter l’obligation de rimer. À chaque vers, la rime apporte un peu de nuit sur la pensée, elle empêche la raison de tirer ses plans. Je l’appelle l’interlocuteur nocturne. »

Louis Aragon, qui ne veut pas « bousculer le système philosophique » « idéaliste » sur lequel repose la réflexion de Joë Bousquet, lui répond sur le point de la rime, venue selon lui jusqu’à nous du bas peuple de Rome et dans les bagages des légionnaires : « Avec autrement d’élévation dans la pensée, vous reprenez pourtant la conception de la rime qu’accuse Verlaine, et qui est celle qui l’oppose à la raison. Pour moi (et d’autres sans doute), la rime à chaque vers apporte un peu de jour, et non de nuit, sur la pensée : elle trace des chemins entre les mots, elle lie, elle associe les mots d’une façon indestructible, fait apercevoir entre eux une nécessité qui, loin de mettre la raison en déroute, donne à l’esprit un plaisir, une satisfaction entièrement raisonnable. Entendons-nous : je parle de la rime digne de ce nom, qui est à chaque fois résolution d’accord, découverte, et non pas de ce misérable écho mécanique, qui n’est qu’une cheville sonore, et qui n’a pas plus de droit en poésie que le mirliton n’est poète, que n’est le faiseur de bouts-rimés. » (Louis Aragon)

Outre que ces citations tronquent le développement des deux pensées de Bousquet et d’Aragon, elles négligent l’ouverture qu’elles proposent sur la fonction humaine de la poésie, sa nécessité primordiale. Néanmoins, il me paraît tout aussi nécessaire d’interroger la poésie dans ses formes qui, tenues souvent pour aller de soi ou d’elles-mêmes (il est une poésie régulièrement métrique et rimée, une autre dite du vers libre et non rimée), ne sont ni discutées ni envisagées dans leur profondeurs signifiantes, leurs conséquences. J’admire donc tout autant, ici, chez Bousquet, l’obstacle obscurcissant que met la rime à la raison raisonnante dans le poème, et que la pensée y pénètre « par irisation », et que notre « être » y ait sa part fraternelle essentielle, que chez Aragon la poésie ne se réduise pas à une sorte de déraison, la rime, la belle rime, la rime nécessaire – j’imagine ! - se chargeant de mettre le bon ordre de la découverte dans les vers qui ne sont pas de mirliton. Je ne suis pas persuadé que d’Aragon à Bousquet il y ait une si franche opposition quand la nuit de l’un nous apporte le mystère humain, quand le jour de l’autre est le lien qui nous donne le sens brillant d’autres feux, mieux accessibles soudain parce qu’il nous semble les découvrir à travers la magie du verbe poétique.

J’ai un faible pour cette rime qui « empêche la raison de tirer ses plans », pour cet « interlocuteur nocturne » : je crois bien qu’il apporte cette vibration, ce tremblement qui fait vaciller un instant la pensée et la porte plus loin. - M.H.

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LE POÈME

Prenons-le (prenons-les, j’en donnerai trois) chez Blas de Otero, cet « ange cruellement humain », poète espagnol né en 1916, oublié ou presque aujourd’hui, bien qu’il n’eût me semble-t-il que d’honorables fréquentations intellectuelles : il m’est pénible d’écrire la phrase que je viens d’écrire, mais je ne m’explique pas cette disparition autrement que par la stupidité des aveuglements idéologiques de toutes sortes qui n’ont jamais cessé d’exercer leurs pouvoirs de gommes mécaniques, ou alors par ce désaveu de la poésie et de toute culture qui, dans le monde englué dans les lugubres pantomimes de l’argent où nous pataugeons depuis des décennies constitue un véritable ordre nouveau on ne peut plus fasciste, dominateur et esclavagiste. Blas de Otero fut abondamment lu et commenté, traduit dans diverses langues, et il reste le poète de l’angoisse d’être homme, cette sorte de supplice, où comme dans l’arène, entrer en lice, vivre et mourir participe de la même cérémonie.

Les poèmes ici cités et traduits sont extraits des recueils ÀNGEL FIERAMENTE HUMANO et REDOBLE DE CONCIENCIA, publiés par la Editorial Losada, à Buenos Aires, dans son édition de 1960.

 

Un mundo como un árbol desgajado.
Una generación desarraigada.
Unos hombres sin más destino que
apuntalar las ruinas.

Un monde comme un arbre arraché.
Une génération déracinée.
Des hommes sans autre destin que
d’étayer les ruines.

Rompe el mar
en el mar, como un himen inmenso,
mecen los árboles el silencio verde,
las estrellas crepitan, yo las oigo.

La mer se rue
Dans la mer, comme un hymen immense,
les arbres bercent le silence vert,
les étoiles crépitent, je les entends.

Sólo el hombre está solo.
Es que se sabevivo y mortal.
Es que se siente huir
ese río del tiempo hacia la muerte -.

 

Seul l’homme est seul. Car il se sait
vivant et mortel. Car il se sent en fuite
ce fleuve du temps roulant vers la mort -.

 

Es que quiere quedar. Seguir siguiendo,
subir, a contra muerte, hasta lo eterno.
Le da miedo mirar. Cierra los ojos
para dormir el sueño de los vivos.

Car il veut rester. Continuer de continuer,
monter, à contre-mort, jusqu’à l’éternité.
Il a peur de regarder. Il ferme les yeux
pour dormir du sommeil des vivants.

 

Pero la muerte, desde dentro, ve.
Pero la muerte, desde dentro, vela.
Pero la muerte, desde dentro, mata.

Mais la mort, de l’intérieur, regarde.
Mais la mort, de l’intérieur, regarde-la.
Mais la mort, de l’intérieur, tue.

 

… El mar  - la mar -, como un himen inmenso,
los árboles moviendo el verde aire,
la nieve en llamas de la luz en vilo…

… La mer  - la mer –(*), comme un hymen immense,
les arbres remuant l’air vert,
la neige en flammes de la lumière en suspens…

 

(*) Le français n’a pas cette possibilité de dire « la mer » au masculin comme au féminin. Au masculin ce serait la mer quotidienne, au féminin la mer selon les poètes. Les dictionnaires le prétendent.

 

-*-

 

VÉRTIGO

VERTIGE

Desolación y vértigo se juntan.
                    Désolation et vertige s’unissent.
Parece que nos vamos a caer.
                    On dirait que nous allons tomber,
que nos ahogan por dentro. Nos sentimos
                    Qu’on nous étouffe par dedans. Nous nous sentons
solos, y nuestra sombra en la pared
                    Seuls, et notre ombre sur le mur
no es nuestra, es una sombra que no sabe,
                    n’est pas la nôtre, c’est une ombre qui ne sait pas,
que no puede acordarse de quién es.
                    qui ne peut se rappeler à qui elle appartient.
Desolación y vértigo se agolpan
                    Désolation et vertige se rassemblent
en el pecho, se escurren como un pez,
                    dans notre poitrine, s’échappent comme un poisson,
parece que patina nuestra sangre,
                    on dirait que notre sang dérape,
sentimos que vacilan nuestros pies.
                    nous sentons que nos pieds vacillent.

El aire viene lleno de recuerdos
                    Le vent souffle empli de souvenirs
y nos duele en el alma su vaivén,
                    et au fond de l’âme son va-et-vient nous fait mal,
divisamos azules mares, dentro
                    nous apercevons des mers bleues, dans
de la niebla infinita del ayer.
                    l’infini brouillard de l’hier.
Desolación y vértigo se meten
                    Désolation et vertige se fourrent
por los ojos y no nos dejan ver.
                    dans nos yeux et nous empêchent de voir.
Un pañuelo en el viento anda perdido,
                    Un mouchoir dans le vent vole égaré,
Que viene y va, como un trozo de papel,
                    qui vient et s’en va, comme un bout de papier,
y lo lavan tus manos con las lágrimas
                    et tes mains le lavent avec les larmes
que nuestros ojos han vertido en él.
                    que nos yeux y ont versé.

 

Desolación y vértigo se juntan.
                    Désolation et vertige s’unissent.
Parece que nos vamos a caer,
                    On dirait que nous allons tomber,
que nos ahogan por dentro. Nos quedamos
                    qu’on nous étouffe par dedans. Nous restons
mirando fijamente a la pared,
                    à regarder fixement le mur,
no podemos llorar y se nos queda
                    pleurer nous ne pouvons et nous restent
el llanto amontonado, de través,
                    les larmes amoncelées, en travers,
nos tapamos los ojos con las manos,
                    nous nous bouchons les yeux de nos mains,
apretamos los dedos en la sien,
                    nous pressons nos doigts sur nos tempes,
sentimos que nos llaman desde lejos,
                    nous entendons qu’on nous appelle au loin,
no sabemos de dónde, para qué…
                    nous ne savons d’où, ni pourquoi…

 

 

-*-

 

Es a la inmensa mayoría, fronda
de turbias frentes y sufrientes pechos,
a los que luchan contra Dios, deshechos
de un solo golpe en su tiniebla honda.

Ceci à l’immense majorité, frondaison
de fronts troublés et de cœurs souffrants,
à ceux qui luttent contre Dieu, défaits
d’un seul coup en leur profonde ténèbre.

A ti, y a ti, tapia redonda
de un sol con sed, famélicos barbechos,
a todos, oh sí, a todos van, derechos,
estos poemas hechos carne y ronda.

À toi, et à toi, mur rond
D’un soleil assoiffé, jachères faméliques,
à tous, oh oui, ils vont à tous, et tout droit,
ces poèmes faits chairs et chansons.

Oídlos cual el mar. Muerden la mano
De quien la pasa por su hirviente lomo.
Restalla al margen su bramar cercano

Entendez-les pareils à la mer. Ils mordent la main
de qui la passe sur leur échine bouillante.
Éclate à l’écart leur mugissement tout proche

Y se derrumban como un mar de plomo.
¡ Ay, ese ángel fieramente humano
corre a salvaros, y no sabe cómo !

Et ils s’écroulent comme une mer de plomb.
Hélas, cet ange cruellement humain
accourt pour vous sauver, et il ne sait comment !

 

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LE POÈTE

C’est Max Pons.

Il sert la poésie, les poètes, les gens de l’être depuis qu’il est au monde ou presque. Il est amoureux des mots et des pierres depuis qu’il sait les lire. La Barbacane, revue et maison d’édition qu’il a fondées, ont avec constance été au service de la poésie. De grands noms s’y côtoient avec d’autres moins grands… trait de vérité, le sens et la beauté du monde s’y éclairent ensemble de tous leurs feux. Max Pons, à l’occasion de la publication de VERS LE SILENCE, son « Itinéraire poétique » et son plus récent recueil, a reçu de la Société des Gens de Lettres le Grand prix de Poésie pour l’ensemble de son œuvre. Ce n’est que mérité pour un homme dont la valeur unique se reconnaît dans ses mots comme dans cette joie qui l’habite. Quoiqu’il puisse connaître les moments qui accablent, il a cette force immuable des pierres, de la langue et du temps. Force de l’amour aussi, qui embrasse, au-delà des littératures, la vie et tous les êtres dont un cœur généreux ne peut que s’éprendre. C’est pour cela que Max nous émeut aussi et nous est l’exemple même de la fidélité. J’ai eu la chance d’être choisi pour préfacer VERS LE SILENCE. Ce fut un plaisir autant qu’un honneur. Voici cette préface. Elle sera suivie de quelques poèmes de Max et de la liste de ses publications. 

 

Préface

 

« Je suis d’aujourd’hui et de naguère, dit-il. Mais
j’ai quelque chose en moi qui est de demain, et
d’après-demain, et de plus tard. »

Frédéric Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

 

 

Marcher en lucidité vers le silence est sans doute, avec les mots et le rire, l’un des apanages de l’homme. Certains y ajoutent la raison, dont pourtant les traces ont de tout temps été imperceptibles chez les bipèdes. Le poète, que d’aucuns qualifient aisément de fou, paraît devoir s’en passer sans trop de dommages, s’étant de naissance  _  je veux dire dès l’éveil de l’esprit _ consacré à l’incalculable, à l’incommensurable. Rentes et rentabilité ne sont pas de son ressort, d’où l’accusation dérisoire. Quand il bâtit, il prévoit aussi bien la demeure que la ruine de la demeure. Il poursuit son chemin et ne s’afflige pas de l’imparable. Il sait les cycles, les périodes, les trésors invisibles, les vraies pauvretés. Disons : la voilà sa raison.

 Vient un temps où il faut se retourner sur l’itinéraire, en prendre la distance et le sens. Après ce seront des pas encore, vers l’ailleurs, et c’est dans la certitude d’avoir « fait » pour le mieux que l’on peut fixer cet horizon du dernier inconnu :

Mon regard m’a construit,
La parole bâti,

Ce que j’ai fait m’a fait.
Dans le bonheur des mots

Je suis venu au monde
Pour m’unir au mystère,
Acquiescer au silence.

 

Max Pons se cite en ouverture. Ce n’est pas suffisance, mais volonté d’énoncer le cap : il ne s’agit ici que de construire et bâtir, du faire en somme  - le poieîn des Grecs – inaugurant poésie et poème ! Parole initiale d’ouverture face à l’étrangeté du monde. La trace visible et audible ! L’unique sens possible et les véritables richesses _ l’acquiescement dans le choix des actes _   dont on transmettra l’héritage sans avoir à en rougir : on n’a rien volé à quiconque, on n’a fait que les saisir là où on était seul d’abord à les apercevoir, et on les a légués sans même exiger un merci. C’est ici que l’on édifiera le mieux une vie et son chant. Toute bâtissure   - qu’on pardonne le néologisme -  sera réplique aux innombrables flétrissures qui noircissent le tableau du monde. Il y faudra donc des pierres, et de toutes sortes.

C’est à Rabelais, je crois, que Max Pons emprunte celles, vives, qui fondent ce recueil qu’il veut testamentaire. Nous avons souvenir de cette repartie de Panurge à Pantagruel, lors de leur échange au sujet des jeunes mariés que certaines lois dispensent d’aller à la guerre [2] :

« […] les beaulx bastisseurs nouveaulx de pierres mortes ne sont escriptz en mon livre de vie. Je ne bastis que pierres vives : ce sont hommes. »

Oui, tout est versé à la vie et aux hommes, et à leur seul crédit. Les banques ne sont pas encore inventées, tout part d’un élan naturel. Aucune retenue, donc, dans le geste et dans le mot.

Nous savons que Max Pons aime « les pierres et les hommes » à la folie  - c’est son hubris, sa démesure intime -, au point d’avoir été, des années durant, et de rester en son cœur, le « gardien » de Bonaguil, ce puissant château du Lot-et-Garonne (en fut-il le gardien sourcilleux ? Le dragon débonnaire ?) [3], et d’intituler sa revue La Barbacane, la dédiant elle aussi aux pierres et aux hommes.

Si l’on veut bien s’y arrêter un instant, cette pensée de la pierre est plus qu’essentielle, elle est première ! Tout a commencé, du moins ici-bas, en ce recoin de l’univers, par le feu et le magma originel : de ces gestations incendiaires, de ces compressions titanesque sont nées les cristallisations, les sertissages de pierreries célestes, les schistes et les silex, les granites et les calcaires, la houille et le sable, l’argile et le diamant, la mer et les nuages…

La pluie te rend la mémoire
De l’eau première
Et le soleil te redonne

À l’enfance du feu Le processus vital s’engage alors, et, par la médiation de la Pierre de caresse / Pierre maternelle…  […] Cette carrière / devient chair… Puis naissent dans un puissant modelage : architecture et demeure, et seuil, voûte, fenêtre, porte, cintre, passage, vis de l’escalier… où s’abritent chairs, rêves, avec aussi la beauté et déjà tout un passé de femmes… Il n’est pas indifférent que Max Pons grave ici cette discrète allusion à la fine amor, à la courtoisie des âges perdus  - à ce « passé de femmes [vrillé] en nous », au chant et à l’âme du troubadour. Il ancre l’esquif de son existence dans les murailles des châteaux, à leurs tours d’angle et de flanc, dans ces images fondatrices qui l’ont peuplé et « bâti » entre instant et éternité. Bonaguil, certainement, et quelques hautes figures minérales dressées sur l’horizon des vieilles terres  - « poignante conjugaison de l’horizontalité et de la verticalité »  -,  sont à l’origine de ses songes et visions. De sorte que s’il est quelque nostalgie au Chant des ruines, il n’est pas de tristesse à leur fatalité. Les ruines tiennent leur essence de la marche et du regard qui les organisent, les distribuent, les réalignent dans le temps renversé. Les herbes mêmes, si fragiles, disent la vie encore, la vie malgré les érosions, les éboulements :

L’herbe, l’herbe partout dans ce chaos pierreux,
c’est sa manière à la grande ruine de porter ses cheveux blancs.

Et c’est le pouvoir du poète de lire sur les portulans les lieux où sont enfouis ces trésors dont je parlais tout à l’heure, les bonheurs, les beautés, l’indomptable permanence des choses qui ne font que mimer leur éloignement :

Quelle est donc cette force sauvage qui habite
La somptueuse gésine minérale, dans la quiétude des mousses.

Dès lors, il n’est plus de ces contradictions, fussent-elles soulignées, voire démontrées par les observations de la science et les ratiocinations de la physique  (m’ont toujours paru admirables et étonnantes quoique superficielles, ces oppositions entre roc des collines et eaux des sources et des rivières, parties « molles » et parties « dures » des corps qu’irrigue le sang…) qui n’ont pour objet que de faciliter les descriptions, de donner un semblant de sens aux non-sens et aux hasards. Tout dérive de tout, tout s’inclut dans tout : il n’est plus d’impossible à l’esprit qui veut vivre. Survivre n’est pas encore tout à fait de saison ! De toujours le poète sait ces choses. L’on va et c’est tout. Il n’est que voyages et traversées :

Savoir que la chair est cette pâte à pétrir
Que le sang à fleur de peau rosit la tendresse du monde

Le mystère du sexe
Fait éclater le temps

 Gai savoir que celui-là, et illimité, nous pouvons le penser, car il va « au plus profond du découvrir… dans la soyeuse grotte… », menant au « vertige tout puissant / de l’insaisissable. » L’invention du sacré est à hauteur d’homme, car il ne se cache pas, mais ne fait que se masquer dans ce « désastre de matière », ces minéralités, dans le leurre de « l’insecte pétrifié » :

Inventer la survie
Débusquer le mouvant
Jusqu’à l’immobilité lucide
Au seuil du sanctuaire

 

La vie ne cesse pas car la mort est niée radicalement : le mouvant en témoigne, la lucidité la garantit. Dès lors la chair, l’eau, la caresse, les baisers se gorgent de mots, à moins que ce ne soit l’inverse. Les corps ont la parole. Ils l’ont toujours eue, et même s’ils se livrent peu à peu au silence ils se réfractent dans la lumière de la mémoire ; ils ne peuvent donc périr. Cela s’appelle physique du poétique :

Et tes yeux s’ouvriront, sous leurs paupières closes,
Aux sourdes rumeurs de la vie.

Alors je me tairai…
Et ton corps deviendra multiple.

Dans ce chant, comme d’un chœur, du Corps multiple, Ève renaît car elle est « la première et la dernière », elle n’est appelée à aucune disparition : c’est la force du vivant que  de « reformer » sans cesse la visible, la sensible, l’indispensable forme du monde. L’amour est en permanente gestation, algues et mousses n’ont ni commencement ni fin, le poète s’est fait démiurge parce qu’il tient sa puissance des formes sensibles du monde dans lesquelles il ne cesse de vibrer:

Je suis du règne de la chair
J’ai faim de viande rouge
Mais aussi de froment
De forêt et de ciel

Au terme de son Chant profond  (si justement emprunté à l’Espagne, à Federico García Lorca  - « cante hondo » -, le poète que l’on assassina sans pouvoir le faire mourir, parce que de toujours il appartient au règne de la vie : chair, viande, froment, forêt, ciel !), Max Pons peut annoncer à la Totalité : « Je te bâtis ». C’est ainsi que l’on honore la page de sa propre vie et que l’on use des mots pour dire quelque chose plutôt que rien, ce rien étant de nos jours la première des fonctions que leur attribue une société qui a décidé de ne plus parler mais seulement de communiquer.

Les mots !  Les mots !

Max Pons, se libérant des pesanteurs ordinaires, dans le même élan libère ses mots des carcans des proses bienséantes et chargées de sens pratique. Les gains ne sont pas monétaires, mais d’esprit et de pures émotions. Avec eux il « refait le monde / À la mesure d’une fumée ». Lucidité n’est pas désenchantement, bien au contraire : d’un côté les deuils inéluctables, ce « gel du souvenir », de l’autre les visions paisibles, l’âtre et ses braises, la pensée des corps fragiles et le dépouillement des risibles (et vaines) ambitions : « Faire trois petits tours, / Pour le souvenir // Et puis, laisser faire / La mémoire des âges. »

De ces sagesses de chaque jour, qui ne tiennent pas de l’ataraxie épicurienne ni des détachements stoïciens, naît cette énergie qui ouvre les champs de la fantaisie et du songe. Cela aurait à voir avec l’éternel retour peut-être, avec ce mouvement créateur perpétuel que rien ne peut ni ne doit figer, mais peut-être plus encore avec cette essentielle et jeune intuition nietzschéenne :

 

« Tout luit, tout est neuf, très neuf même.
Midi dort sur l’espace et le temps :
Seul ton œil, énorme,
Me regarde, ô Infini ! »

 

Les coqs désormais perdent l’esprit de clocher, le théâtre de la Vie rouvre ses portes sur les souvenirs heureux, ceux des gares, par exemple, où cherchaient à se combler les anciennes solitudes amoureuses, et « C’était d’une beauté /  Où tout naissait encore. »

Le propre du poète est, non pas de refuser ce qui vient  - le « Jour pâle, gris, indécis : / Jour mort de notre vie. » -, ni même de reculer les échéances, mais de ne jamais douter de la puissance de vie qui émane de lui et du monde. La naissance est sa spécialité, il accouche le monde comme Socrate accouchait les esprits. S’étant mis à table, ayant « [mangé] le soleil », il renaît de ses cendres et entraîne tout avec lui, autour de lui. Les vrais objets sensibles, les êtres sont ainsi. Dans la vision poétique ils dessinent leurs visages. Il n’est pas de triste fin, d’irrémédiable perte. Il n’est que naissances et renaissances. Cette confiance belle et généreuse nous est offerte. De ce cadeau témoignent ces paroles admirables :

 

C’est le début d’un monde.
Résonnent les trois coups.
Le vide s’organise.
Une forme l’habite.

…………………..

L’identité acquise
Il sera donc cet homme
Qui s’acheminera
Jusqu’au bout de son temps.
Vers une plus grande naissance.

 

M.H. Octobre 2010

 

TROIS POÈMES DE MAX PONS

(extraits de « VERS LE SILENCE » / Éd. de La Barbacane)

 

Pierre de caresse
Pierre maternelle
Baignée de patience aquatique
Poisson immobile
La nage des eaux t’a modelé.

Tu ouvres tes yeux de taupe secondaire
Quand le carrier jette à la lumière
Tes cents millions d’années
De reclus
La pluie te rend la mémoire
De l’eau première
Et le soleil te redonne
À l’enfance du feu

Le roc s’est ouvert
Cette carrière
Devient chair
Ici
On se perpétue

Roc bleui à force
De regarder le ciel
Rôti à coups de grand soleil
Tu portes ta charge d’homme
Une tour éblouie du blanc
De la carrière.

                         […]

 

ÈVE

Toi la première et la dernière
Je te recommence patiemment
Toi perdue et retrouvée
Détruite et reformée
Toujours la même

Me voici
Lucide et heureux
Devant dette glèbe
Cette argile fertile
Te pétrir
Te lisser
Te polir
Te reconnaître enfin
Te finir

Me voici
Devant ce val délicatement veiné
À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu
Estuaire au limon de vie
Devant ces meules lourdes de louanges
Cette fête de courbes
Ce langoureux ballet
Paysage pour la grande faim
Du dehors et du dedans

Me voici
Après une longue errance
Aux confins de toute une flore
D’algues et de mousses
Depuis toujours je te connais
Inventée avant de te toucher
Faite pour que je te révèle
Ce que tu es

 

*

 

Ô le grand gel du souvenir.
Cette eau glacée à la margelle
De la vie exigeante,
On en croyait tout connaître.
Pourtant, chaque année apportait
Son lot de nouveaux deuils.
Cruauté du grand âge,
Tous ces amis perdus,
Leur survivre est blessure.
Inéluctable marche
D’ultime vérité.

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Max Pons a écrit :

Bonaguil, château de rêve (Privat) / Évocation du vieux Fumel (Privat) / Calcaire, poème (Rougerie) / Vie et légende d’un grand château fort (La Barbacane) / Écriture des pierres, le château des mots (La Barbacane) / Guide des châteaux de France  - Dordogne et Lot (Hermé) / Poésie de Bretagne, aujourd’hui – Anthologie (La Barbacane) / À propos de Douarnenez, récit (La Barbacane) / Visiter Bonaguil (Éditions Sud-Ouest) / Les Armures du silence, poème (La Porte) / Voyage en chair, poème (La Barbacane) / Regards sur Bonaguil, étude (La Barbacane)/ Le poète Raymond Datheil, un grand méconnu (La Barbacane) / Montcabrier, une bastide en Quercy (La Barbacane)

 

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AUTRE(s) CHOSE(s)

 

2012 - Juin marque, comme un principe de proche sortie des classes, l’ouverture de l’été. Juin est mi-figue mi-raisin, et le temps aléatoire ne fait rien pour arranger les choses. Cela sent les élections, la farce, la sortie des affaires, l’arrivée aux affaires, les mensonges des Rodomonts, les sourires aux photographes à la montée et à la descente des marches des palais de l’État, la petitesse des personnels politiques… cela pue, l’été est mal parti et ne trouvez-vous pas que c’est là une drôle de poésie ?

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APHORISMES

SENTENCES & PENSÉES D’AYMERIC BRUN

I - Inédits / janvier-février-mars 2001 (choix)

 

4 janvier. – Pourquoi désiré-je tant décrire l’homme que je suis ? Ne me connais-je pas ? Serait-ce parce que j’ai le sentiment qu’une partie de moi-même m’échappe ?

7 janvier. – Que sais-je ? Que puis-je découvrir ? Que suis-je condamné à toujours ignorer ?

8 janvier. – Je ne vois partout que chaos et confusion.

11 janvier. – J’écris ordinairement sans but, et comme au hasard.

12 janvier. – Pourquoi devrais-je m’attacher à une opinion, plutôt qu’à une autre ?

15 janvier. – Quel homme en lui-même ne porte plusieurs hommes ?

19 janvier. – Blotti en moi-même, je pense admirablement.

22 janvier. – Comme il y a peu de proportion entre l’univers et moi-même !

26 janvier. – J’aimais tant lire, enfant, que tous les plaisirs me paraissaient fades auprès de la félicité que je goûtais en tournant les pages d’un livre.

30 janvier. – Je m’abandonne au monde tout en aspirant à y renoncer.

31 janvier. – Il faut sans cesse écrire, afin de ne rien perdre.

3 février. – Je n’ai conscience que d’un tout petit nombre de mes actions, que de quelques opérations de mon esprit.

6 février. – Je ressens une félicité délicieuse chaque fois que je me retire en moi-même.

8 février. – Je songe à un roman qui pourrait être le roman de l’ennui.

10 février. – Jésus s’afflige de la grandeur des tourments que souffrent les hommes.

12 février. – La puissance qui a conçu l’univers désire que toutes ses créatures se reproduisent.

13 février. – Je ne vois rien sur quoi je puisse me fonder.

16 février. – Je crains parfois de me rencontrer.

19 février. – Un Dieu a-t-il voulu que je sois ?

20 février. – Les choses que je vois me paraissent si peu réelles que je doute parfois d’être au monde.

24 février. – On ne s’éloigne de Dieu qu’insensiblement, et avec volupté.

25 février. – Pourquoi la puissance qui a formé le monde ne se découvre-t-elle pas à nous ? – Peut-être le fait-elle, mais ne l’apercevons-nous pas.

3 mars. – Une éternité de délices ne saurait racheter un seul moment d’indicible souffrance, un seul instant de détresse absolue.

5 mars. – A quoi les hommes servent-ils ?

8 mars. – Dieu ne se découvre plus aux hommes, parce que l’excès de leurs crimes les en rend indignes.

13 mars. – J’aime rêver que je me promène dans des jardins magnifiques.

15 mars. – Rien ne me semble plus extraordinaire que je puisse penser que Dieu existe et ne pas avoir la foi.

16 mars. – Je n’ai jamais eu le sentiment d’être observé par les morts.

19 mars. – J’ignore qui parle en moi-même. (Je ne sais pourquoi cette pensée me traverse l’esprit, ni quelle puissance ou quel être me l’inspire.)

20 mars. – Je désire parfois des choses dont la possession me serait insupportable.

22 mars. – Je parcours les abîmes qui entourent le monde.

26 mars. – Je vois dans la nature des imperfections qui m’étonnent.

27 mars. – L’homme peut nier la puissance qui l’a créé.

29 mars. – Il est juste que Dieu ne se découvre plus aux hommes, tant leur corruption est grande.

31 mars. – Il m’arrive parfois de penser que, tandis que je crois lire dans ma chambre, je me promène peut-être dans une forêt merveilleusement belle.

Aymeric BRUN

 

Un choix implique une intervention, et même une sorte de censure dont la seule excuse ici serait le trop-plein, l’extrême abondance. Ce n’est pas cela : d’abord la réflexion d’Aymeric Brun me touche parce qu’elle ne prétend pas briller absolument, ni déborder l’esprit du lecteur par le rire, l’ironie ou la facile drôlerie qui la rendrait populaire. Ensuite, elle se limite le plus souvent à sa personne, à ses questionnements, à ses inquiétudes (c’est le fait d’une vérité intérieure, et en cela poétique) qui parfois répondent aux nôtres, même autrement formulés. À travers ces trois premiers mois de l’an 2001, j’ai fait main basse sur ce que je connais de près moi aussi, qui peut donc sembler quotidien ou même banal, cette angoisse du « chaos et de la confusion » par exemple ; main basse sur ce « roman de l’ennui », celui que Flaubert parvint à écrire et qui n’est pas ennuyeux pour deux sous ; sur le sentiment de la faible utilité de soi au monde… voyons, le ciron pascalien !...  et sur cette idée que ce n’est pas moi qui fuis Dieu en niant qu’il existe, mais Dieu qui fuit mon indignité et peut-être me nie quoique certains prétendent qu’il m’aurait créé. Quant à celui « qui parle en moi », je le connais très mal moi aussi. Bref, c’est la pensée de l’autre qui fait ma pensée et nous met « en conversation ». M.H.

A suivre…

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FEU(x) SUR DAME POÉSIE

LE POÈTE AVEC OU SANS RECUEIL

 

Il est plusieurs façon de faire feu : sur qui l’on attache au poteau : il y faudra tout un peloton d’exécution, d’ailleurs difficile à réunir ; et sur qui l’on allume les flambeaux pour voir briller ses joues, son front, ses yeux. Nous préférons user de cette manière. De la première, beaucoup moins, et s’il se peut jamais, quoiqu’il faille bien, parfois, que justice soit faite. 

« Dame Poésie » - ne signifie nullement que Le Scalp en feu ne traitera que de la poésie des poétesses.

(en dépit des apparences) [ajout 1]

« Le Poète avec ou sans recueil » - signifie que des débutants, voire des inconnus pourraient se voir ici scalpés sans plus de façons !

 

Il va falloir nous attaquer à la question du Poème en prose… Songez que l’on y songe. Ce ne sera pas facile !  Pensez-y : qu’est-ce donc qui rend une prose poétique et une autre pas ? M.H.

 

Poésie avec recueil 1

Anne JULLIEN

FLOTTILLES

Ed. de l’Atlantique, collection PHOIBOS, 50 pp., 14 €

 

Les flottilles d’ANNE JULLIEN sont de paisibles « réunions » de petits bateaux, genre esquifs de pêcheurs… Un vieux Larousse ne me parle-t-il pas aussi d’escadres, de marine nationale ! Holà ! On pense avoir embarqué pour « le cuir la fourrure les soies / le retour sans faillir à l’herbe à l’eau / à la pertinence d’exister / plantés roulés en terre »  - car la terre jouxte forcément la mer, naviguer sur l’eau pour « que le sentiment ne naisse que de nos corps / des plantes des rivières des sables et des eaux… », mais promptement on vire de bord, carguez les voiles ! voici que le temps, celui qui mesure nos vies, se met de la partie :

« les fées mères ne durent pas
un jour elles se détachent

………………………………………

le temps passe
ou c’est nous qui passons
dans le temps immobile »

Il faut rentrer au port, fouler à nouveau le bitume, le pavé, les chemins de campagne… un virage est pris… oh, il est des beautés inégalables, le vol du martin pêcheur, j’en témoigne, ou « la zébrure d’un regard ». Nous sommes au monde, ANNE JULLIEN nous en fait conscience prendre, et le prendre comme notre devoir, sinon comment pourrions-nous vivre. « La poésie / une convalescence » nous guérit quoi qu’il arrive. Le désir de retour vers l’avant, je veux dire vers l’avant-nous, tristes que nous sommes, vers les « choses sans nom » des commencements n’est pas compromis dans ce virage de bord :

«plus loin je ne puis aller
il aurait fallu percer
le mystère des mondes » 

 Nous ferons avec deux mondes par conséquent, et c’est dit fort bien, haut et fort, avec un brin d’humour :

« je batifole
ma gorge offerte à des soleils coupants

je deviens chauve à mon tour
je vais bien »

Aller bien est une belle chose, mais qui ne suffit pas à nous emplir du suc de la vie. Il en faut plus – toute poésie juste et vraie nous offre une éthique, des ponts où franchir les abîmes, les poteaux indicateurs qui nous y conduiront. S’abandonner à la poésie « éblouie de lumières et de ciels » est notre premier pas, l’ouverture et la condition sine qua non de l’être ; nous explorerons les visages, voyagerons avec le chinois Li Po car nous sommes à lui liés comme au reste, et alors

« la flottille, origami mental, coule
pour de bon, vivre dans le vide laissé
vivre »

Les poèmes d’ANNE JULLIEN recréent notre paysage visible, respirable. Nos savoirs, nos ignorances, les mots eux-mêmes y sont à leur place légitime, loin des barbares, près des oiseaux, « aux côtés de [nos] frères humains ». Les interférences, le dimanche incolore, nos corps « matière du temps », « des nuages de rouille / au-dessus des autoroutes », rien n’est dépourvu de sens. Cela se recompose en nous, de nous, autour de nous. Celle qui écrit se voit dès lors, et mieux encore, elle est « La folle de bassan », l’oiseau que dépeint Buffon (Histoire naturelle : t.1-18 : Oiseaux) qui, lui aussi, fait ce qu’il doit « pour éviter de mourir ». Cette poésie est magnifique dans sa simplicité rigoureuse, elle nous porte à la méditation de notre condition dans l’univers à travers un art délicat et suggestif de la pensée. Une pensée longue et pénétrante. Ne pas lire serait une faute, ou pis encore, une erreur. Talleyrand l’eût répété. Ô vieille histoire… ce qui se perdrait à n’être pas lu !

M.H.

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Pensées avec recueil 2

Jane MODLINGER

UNE LUMIÈRE À PEINE  (Carnets)

Ed. de l’Atlantique, collection ATHENA, 80 pp., 19 €

 

Ces carnets, comme c’est leur fonction, nous offrent le jour le jour, les annotations, impressions, sentiments, pensées, interrogations de Jane MODLINGER. Cela marche comme ses pas la mènent…  ici, là, ailleurs… non pas au hasard, mais guidée par l’éveil du regard (de tous les sens, en fait) et de l’esprit, une vigilante attention au monde, à soi… et enfin à l’intérêt primordial pour l’écriture de l’expérience humaine, comme s’il fallait poser ses propres repères, ses amers… les phares, les grands foyers que les marins homériques, depuis la haute mer, apercevaient au sommet des collines de la Grèce aussi bien que dans leur cœur. Gérard Bocholier, préfacier du recueil, situe clairement la personnalité de Jane MODLINGER : « J.M. fait partie de ces veilleurs inlassables, tout entiers tournés vers cette beauté offerte que l’on ne prend pas assez le temps d’accueillir en soi. »

Il y faut la lumière, l’essentiel n’étant pas qu’elle soit forte, ou crue, mais qu’elle soit du dehors comme du dedans, en simultanéité, et n’importe où n’importe quand : « Sur les Alpes ce jour, une lumière comme une aile, une caresse, une lumière à peine. Et pourtant, elle est là, elle vous comble, elle est celle que l’on attend depuis toujours. Une présence totale dans son retrait et son effleurement. »

Dès lors, sous ce jour neuf à chaque fois, la poésie n’est plus affaire de mots seulement, elle devient notre nourriture : « … appelée à devenir germination et fécondité dans la vie elle-même. » Et la mort, qu’en faites-vous ? - dira l’esprit chagrin, le voyant des mauvais jours. On n’a pas oublié que Goethe demandait plus de lumière, à cet instant. Jane MODLINGER en possède assez pour n’avoir pas à la réclamer : « Je me tiens là, dans cette abondance, dans cette clarté. / La mort n’est pas oubliée, mais elle n’est plus une entrave à la plénitude. Un peu comme un bruit que l’on apprend à mettre en sourdine. »

Dès lors, si toute inquiétude ne s’est pas effacée, un art de vivre la vie (notre seule vie, selon moi) s’est mis en place, qui dispose à l’accueil de l’harmonie, de la magnificence, et même du désaccord avec lequel on négociera plus paisiblement, à l’acceptance, en somme, qui tend à rassembler les bonheurs : 

« Puiser au puits de joie. »    

« Unité bienfaitrice qui jubile en vous, suscite un murmure, un “oui” salvateur. »

Dès lors, on sera prêt à tout, je veux dire aussi à l’intelligence des situations, et jusqu’à la compassion : « Magnificence et misère. Tout l’inconnu et la fragilité d’une vie à travers les plis d’un vêtement, l’impact du pied sur le sol, l’inclinaison d’une nuque. » L’autre se présentera sous un jour neuf : « S’incliner. Inclinaison. Ou bien, prosternation. L’amour entre l’homme et la femme se conçoit aussi dans la grâce de l’inclinaison mutuelle. »

Cela nous emmène vers la prière. Et nous qui ne prions pas, qui n’avons prié qu’une fois et en vain pour qu’un tout petit enfant ne meure pas, nous suivons le poète qui sait approcher « l’invisible » que nous récusons car l’intention est belle, ou noble, ou généreuse, comme on voudra, nous la suivons, elle qui a confiance, jusque dans sa « donation », et d’autant qu’elle n’ignore pas la difficulté des choses : « Lorsqu’il s’émerveille, notre regard fait des étincelles, lesquelles vont nidifier dans le cœur de l’autre. Ainsi d’étincelle en étincelle, cette donation, d’humain à humain. Précarité de tout cela. Certes. Mais qu’importe la finitude, puisque ces fêtes auront eu lieu, et ces feux allumés dans le cours de nos vies. »

Revenons à la lumière : « Chaque jour, gestation de lumière. Telle est ma tâche. » C’est bien là qu’est l’essentiel : découvrir la tâche et y satisfaire autant qu’il est en notre pouvoir. Nous éloigner ainsi de « l’indifférence, premier pas vers la barbarie. » JANINE MODLINGER ne nous dicte pas nos devoirs, elle nous indique les routes que nous pourrions prendre, celui-ci l’une, celui-là l’autre, chacun sur la voie qui lui conviendra pour être entièrement lui-même…

J’ai été arrêté par cette réflexion consacrée à la vulgarité, qui à l’évidence est le premier pas vers la barbarie. « À la question ” qu’est-ce que la vulgarité ? “ Yves Bonnefoy répond : « c’est celui qui reste à la surface de lui-même, qui ne descend pas dans ses profondeurs. » Celui, donc, qui s’il en possède les moyens, ne va pas au bout de sa tâche et des forces qu’elle exige. Plus encore, celui qui s’il en possède toujours les moyens, ne tente pas d’aller au bout de lui-même. Le contre-exemple de toutes les convictions exprimées dans ce très beau recueil, et à quoi peut-être répond, sur la page en regard, l’exigeante solution : « Par rapport à toute chose, ne faudrait-il pas devenir plus poreux. Porosité de l’âme, du corps. Laisser entrer en soi les multiples effluves d’autrui, du monde, dans un mouvement inlassable d’ouverture. Et abolir, abolir enfin la barrière-citadelle du moi. »

Une indispensable somme de réflexions et, avec le recueil d’ANNE JULLIEN, l’honneur des poètes et de leur éditeur. Les plus forts et honnêtes, les plus lucides et sensibles y parviendront, de toutes les manières. Lire les y aidera.

M.H.

 

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LIEUX DE POÉSIE

Lieu 1

Une taupe amie m’en a fait confidence. Elle aime ses frais corridors qu’elle creuse dans le jardin, elle y voit comme personne que le monde n’est ni blanc ni noir, ni même illisible, mais que tout de même, dans cette grisaille, de bonnes lunettes lui seraient utiles. Elle a trouvé très poétique aussi que je ne la saisisse pas dans des pincettes d’acier, ni ne l’enfume ni ne la gaze ni ne l’emprisonne dans des réseaux d’ondes maléfiques. Bref, elle me croit généreux et aristocrate, sachant combien ses façons nuisent à la culture des carottes et des salades. En fait, elle l’ignore, j’achète mes légumes au marché. 

 

Lieu 2

L’écran du téléviseur éteint. On y voit passer des ombres familières, et parfois, depuis la fenêtre, reflété un instant, l’oiseau qui traverse le monde. Puis c’est l’immobilité : le buffet, le canapé s’y installent. Je constate que je dispose d’un mobilier très ordinaire quoique confortable. C’est un contentement appréciable.

 

Lieu 3    

Les Éditions de l’Atlantique – BP. 70041 – 17 102  SAINTES CEDEX

 

Bowenchina12@yahoo.fr/

http://mirra.pagesperso-orange.fr/EditionsAtlantique.html

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Les Éditions de l’Atlantique publient aussi la superbe et abondante revue

SARASWATI

dont le prochain numéro devrait paraître à l’automne-hiver 2012-2013 / Thème central : la poésie espagnole contemporaine / Réflexion, logos & spiritualité : Poésie & peinture / Poésie & photographie / Art & Vérité / Poésie & connaissance de soi / Se rencontrer soi-même // Invité : Maxime Godard, photographe et portraitiste / Poèmes / Encres / Notes de lecture / Revue des revues.

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Un mot de Michel Host

 

Les Éditions de l’Atlantique connaissent, comme tous les éditeurs de poésie, des difficultés qui pourraient les conduire à fermer leurs portes dans le courant de l’année 2013. La recherche de soutiens divers est en cours, et celui des poètes qu’elles publient ne leur est pas encore entièrement acquis. Nous savons que poètes, écrivains et « créateurs » réfugiés en haut de leurs tours de mots n’ont pas toujours de gros moyens financiers, mais qu’ils sont aussi de fieffés individualistes, souvent fort peu reconnaissants de l’intérêt que leur porte leurs éditeurs, voire éventuellement les considérant comme des ennemis pour des motifs mineurs, pour n’avoir pas été « servis » comme ils pensent que le mérite leur talent exceptionnel, par exemple, etc.  Or ce monde globalisé, dirigé par l’argent et le complot anti-culturel  (la culture, c’est l’esprit critique et donc l’obstacle aux achats mécaniques et aveugles) les menace, eux, et menace les quelques éditeurs qui n’ont pas renoncé à la poésie. L’entraide me paraît donc une sorte de devoir élémentaire.  M.H.

 

 

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LIEU 4

 

Ne craignons pas de nous répéter, la pédagogie ne peut qu’y gagner :

La revue      

NOUVEAUX DÉLITS

est et reste régulièrement publiée par Cathy Garcia, dont l’activité, pour ne pas dire l’activisme, en faveur de la poésie est constante.

Sous une couverture sans chichis, NOUVEAUX DÉLITS offre des trésors, des pages inattendues… L’un de ses derniers numéros (N°41) est en grande partie consacré à la tragédie de FUKUSHIMA et contient des haïkus originaux. Sans être exclusive ni envahissante, la préoccupation de la santé de la planète, celle de la préservation de ce que j’appelle NOTRE JARDIN est bien présente dans les pages de la revue.

 

Aller sur le site :  http://larevuenouveauxdelits.hautefort.com/

et sur : http://www.arpo-poesie.org/

 

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LIEU  5

On m’a communiqué les difficultés rencontrées par l’éditeur de poésie ASPHODÈLE-ÉDITIONS, Pascal Pratz, sis au

23 rue de la Matrasserie –
44 340 – à BOUGUENAIS

Il publie des livres qui tiennent dans la poche et la main, on ne peut plus portables, sur un papier de très belle qualité, dans des graphies elles aussi de qualité et dans sa Collection Minuscule. Le soutenir, c’est acheter ses recueils, les faire passer de main en main, les offrir… C’est facile, ils ne coûtent que 7 € !

Les contacts aussi sont aisés :
Tél. 06 43 35 49 14

http://pages-perso-orange.fr/asphodele-edition

asphodele-edition@orange.fr

 

Pour ma part, dans la Collection Minuscule, j’ai retenu l’humour de Guillaume SIAUDEAU dans ses Poèmes pour les chats borgnes.

Pourquoi les avoir écrits ? Parce que

« C’est étrange d’écrire pour les chats. / Voici quand même quelques poèmes / pour les chats de gouttières, / parce que je me dis qu’il y a peut-être encore / des chats borgnes qui lisent, / la nuit, entre deux combats. »

Parce que

« Nous sommes ce loup qui creuse / la nuit d’un regard / nous sommes cette bête qui enfonce / ses pieds dans les soirs pluvieux / nous sommes ce chien sauvage / qui plante ses crocs / dans les jours faibles / et interminables »

Parce que 

« Dans ce désert / il n’y avait que moi / et une brindille / j’étais la faune / et elle la flore / elle ressemblait à une magnifique actrice / qui aurait eu un trou de mémoire / pendant une scène cruciale »

Et dans la même collection, de Marlène TISSOT, Nos parcelles de terrain très très vague m’ont été l’occasion de quelques visites en terrains connus, ceux de la crudité de la vie.

Au cinoche, par exemple :

« Parfois la vie m’emmerde / autant qu’un mauvais film / mais je ne suis pas du genre / à quitter la salle / avant / la fin de la projection / est-ce seulement / pour éviter de faire chier / les gens sur les sièges / d’à côté ? »

ou sur les territoires du matin :

« Ce matin je me suis réveillée / dans un paquet de sucre en poudre / tout était blanc, poudré, cristallisé / les voitures, les maisons, les arbres / c’était joli, tellement joli / que j’ai fini par me demander / si on ne nous avait pas plutôt / roulés dans la farine. »

et là où c’est un « gars » au lieu d’une fille :

« C’était juste un gars rencontré comme ça / à l’intersection d’un jour vide et / d’une nuit froide / au moment où la lumière s’incline / en pente terriblement glissante / quand on s’accroche au premier / sourire venu pour pas tomber au fond de soi / à l’instant où tout ce qu’on demande / pour avoir la force de se relever / c’est un peu de chaleur / animale »

 

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Qu’on veuille croire que l’auteur de ces lignes n’a aucune participation dans les nombreux et riches portefeuilles d’actions des maisons d’éditions dont il parle. Il considère simplement que s’il lui appartient de parler de poésie, donc de soutenir les derniers poètes de ce malheureux pays, il ne lui est nullement interdit de soutenir aussi ceux qui les soutiennent face au public, leurs éditeurs. / M.H.

 

Fin de Scalp 2  - juin / juillet / août 2012

 


[1] On trouvera ces citations dans leur totalité in ARAGON, Œuvres poétiques complètes, vol. I, aux pp. 822 à 829. Biblioth. De La Pléiade, NRF / Gallimard.

[2] Le Tiers Livre, ch.VI

[3] Max Pons a dédié plusieurs ouvrages au château de Bonaguil, « mon université » déclare-t-il.  Entre autres : Bonaguil, château de rêve (Privat), Visiter Bonaguil (Editions Sud-Ouest), Regards sur Bonaguil (La Barbacane). 

 




Pierre Joris

Les chevaux de Lalla Fatima

Un poème de Pierre Joris traduit par Jean Portante




Avec “Une autre poésie italienne” : Amelia Rosselli

Ce titre est celui du blog que nous animons, et augmentons chaque mois, « sous » le site institutionnel du groupe de recherche CIRCE (Paris 3 - LECEMO), Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Culture des Échanges (domaine italo-roman).

Une autre poésie italienne par rapport à celle, largement masculine et nordique, et presque toujours écrite en langue standard centrale, que diffusent les grandes maisons d’édition de Milan et Turin ; mais aussi différente de celle que, par suite de divers avatars d’un « horizon d’entente » convenu entre opérateurs culturels des deux côtés des Alpes, les fameux passeurs officieux nous font connaître ici – et parfois même avec bonheur, pourquoi pas –, en français, selon le bon vouloir de quelques grands éditeurs (presque exclusivement parisiens). Il serait trop long, et ennuyeux peut-être, de revenir ici sur cette misère bien connue des Lettres italiennes et françaises, les unes et les autres condamnées par leur centralisme même et leur structure de pouvoir à devenir petitement « provinciales », comme on disait naguère quand Paris et Florence/Rome se croyaient naïvement encore au centre du monde. Sic transit gloria mundi : il n’y a pas si longtemps au regard de notre éternité anthropologique minuscule, le poète Guinizelli recommandait de « laisser dire aux sots / s’ils croient que le Limousin((Giraut de Borneilh (1138-1215).)) vaut davantage((Davantage qu’Arnaut Daniel, admiré de Dante (et plus tard de Pétrarque), inventeur entre autres de la sextine (1150-1200 env.).)). / Ils prêtent l’oreille au renom plus qu’au vrai / et forment ainsi leur opinion avant / que l’art ou la raison soient écoutés » (Dante Alighieri, La Comédie : Purgatoire, chant XXVI, v. 119-23). Ce dont l’élève Dante prend acte, donnant même sa voix provençale au personnage d’Arnaut Daniel qu’il va rencontrer peu après.

Un auteur exemplaire, pour nous, de cette ouverture, de cette diversité, de ce refus de mise en conformité, voire d’une forme d’insoumission à la doxa et d’insolence, est bien sûr une femme, s’étant exprimée en trois langues au moins (le français et l’anglais avant l’italien qu’elle choisira pour finir), et n’ayant appartenu à aucun courant ni école, même si la néo-avant-garde des années 1960 et l’antagoniste célèbre Pasolini ont essayé de l’annexer. Parler de cet auteur, proposer ses textes (aussi bien originaux que traduits) est devenu plus facile depuis sa mort (elle s’est jetée dans le vide un 11 février), au risque de la canonisation, entre Rimbaud (qu’elle aimait dire sororal), Campana et Artaud, même pour de jeunes publics qui la découvrent aujourd’hui. Mais Amelia Rosselli – dont j’avais édité en 1987 Impromptu, avec la Librairie italienne de Paris ‘La Tour de Babel’ (à défaut de grands éditeurs) – ne fait pas partie des poètes présents dans notre blog, tout simplement parce qu’elle n’a jamais écrit, sauf erreur de ma part, dans le domaine thématique qui oriente aussi nos choix, sommairement présentés ci-dessus : pour faire vite, la dégradation du paysage européen et ce que j’ai essayé d’exprimer une fois (en poésie) comme « désastre atmosphérique »((Dans Le nouveau recueil 81, déc. 2006 - fév. 2007. La première partie de La libellule a paru sous forme de pré-publication CIRCE il y a quelques années (une réédition d’Impromptu, enrichie de sa version anglaise, est sous presse chez Guernica, au Canada, par les soins de Gianmaria Annovì).))

Il était juste qu’elle figurât ici, en ouverture d’une possible collaboration entre notre petite équipe de jeunes chercheurs italianistes et la revue en ligne qui nous a offert généreusement son hospitalité. J’ajoute que deux membres de CIRCE impliqués dans l’opération travaillent eux-mêmes sur cet auteur, Sarah Ventimiglia (surtout attirée par l’étude du rythme) et Emilio Sciarrino, déjà spécialiste reconnu du plurilinguisme dont Amelia était et demeure l’un des principaux représentants dans le domaine ‘italique’ ou italo-roman qui est le nôtre.

 

Présentation de l’auteur




A Tourist’s Guide to Australian Poetry

  In Australia, as elsewhere, there is considerable debate on the future of the printed word. Faced with the rapid rise in popularity of electronic publications amid concerns about decreasing literacy of the younger generations, many commentators have pronounced that the demise of the printed book is soon upon us. However, no-one seems to have told this to the current crop of Australian poets and their publishers.

  A survey of the Australian poetry scene reveals it to be alive and well, with little likelihood of extinction in any foreseeable future. Indeed, poetry abounds in a wide range of formats – printed anthologies, single author collections, and edited journals; on-line journals, blogs and collections; and performances of spoken word.

A good place for the poetry tourist to start is Australian Poetry. Formed in 2011 from pre-existing poetry support groups, Australian Poetry is an overarching organisation with a “clear national strategy to ... promote excellence in Australian Poetry ... and build new audiences for Australian poets”. It works towards these aims via many mechanisms, not least by providing multiple avenues for publication in hard copy and on-line  (www.australianpoetry.org). The most recent issue of the Australian Poetry Journal (volume 2.1 #technology), edited by Bronwyn Lea, presents some 40 poems, selected from hundreds of submissions. The quality is high, the voices diverse, as might be expected from mostly well-credentialed poets with significant publication records.

Australian Poetry sponsors a National Poetry Festival, which this year was held in the tropical city of Darwin. Featuring discussion panels, seminars, workshops and performances, these festivals are popular with writers and readers alike. The 2012 Darwin Wordstorm festival was notable for including not only leading performance poets, Ghostboy (David Stavanger) and Emilie Zoey Baker, but also the innovative hip-hop artist, Joelistics (Joel Ma), supported by local Darwin hip-hop acts. Indeed, with the increasing public profile of poetry slams, performance poetry and spoken word events around the country (eg. see australianpoetryslam.com), productive cross-over between poetry, hip-hop and independent music producers continues to evolve.

Going Down Swinging, now in its 33rd year of publication, has led the vanguard in promoting spoken word, performance poetry and poetry-music collaborations  (see goingdownswinging.org.au). For many years, each hard copy edition of new writing has been accompanied by a CD of poetry, spoken word and music. The latest issue, Number 33, edited by Geoff Lemon and Bhakthi Puvanenthiran, is a typically eclectic collection, nicknamed “The Jesus Issue”, with a “dash of Saviour flavour in the mix”. There are poems, stories, essays, graphics and, of course, the CD.  As in previous issues, the content is generally excellent, representing an edgy mix of narrative, opinion, and reminiscence, often by new or emerging writers. From the Jesus Issue, this sample of Lent by Nancy Reddy plays off the real and the metaphorical from the point of view of an adolescent growing up in the church :

           

           “The congregation sitting and standing,

             kneeling and sitting in a stuttering unison

 

            as I replayed the rhythm

            of hand on - , tongue on -,

 

            my prayer-bent body arched 

            with aimless lust. I knew.

 

            I had learned in church: to be bodied

            was to be sinful. I gave up milk,

 

            gave up spoons, shaved the thumbnail

            down to meet its fleshy bed.

 

            Gave up chicken and carved each night

            the pan-fried meat from the thigh-bone,

 

            fork-stabbed the nobbly joints. Wished myself

            up out of my limbs and aches.”

 

Established in 1997, Cordite Poetry Review has been exclusively on-line since 2001, usually publishing 3 issues a year of new poetry (cordite.org.au). It aims to “mobilise the potential of the phrase words are bullets by promoting both irreverent and experimental poetics”. As well as poems, Cordite features reviews, occasional essays, and interviews with writers. Most issues are themed with guest editors making the selections, all of which are freely available to on-line readers. Cordite has taken full advantage of on-line technology to publish audio poems and visual poems employing electronic or animated text. As such, Cordite provides an exciting glimpse of the more adventurous domains of Australian poetry.

The use of themes by Cordite has led to some outstanding collections, most notably issue 35 (Oz-Ko, 2011), which featured 3 sets of bilingual poems in English and Korean, developed as a collaboration between Australian poets and poets from the Republic of Korea and edited by David Prater. There is much fine work here and I can only assume that the translations, by Gaihyun Kim and Sunghyun Kim, do the originals justice. Five Sijo for My Raider by Michelle Cahill in issue 35.1 (Hoju-Hanguk) draws on the author’s own Indo-Australian background :

        

           “From the far east, when the river broke, came rumours of a tribe

             I was alone that dawn, milking the soybeans, harvesting rice

             With a bronze arrow you annexed my body to this design”

 

Essay, short fiction, poetry and criticism also are staple fare in a quartet of long established literary magazines. The oldest, Southerly, began in 1939 and continues to promote new writing, with regular themed issues, as well as a complementary on-line edition, The Long Paddock (southerlyjournal.com.au). Always stimulating, some issues really stand out. For example, A Handful of Sand: Words to the Frontline (2011), guest edited by prominent Indigenous poets Ali Cobby Eckermann and Lionel Fogarty, presents a cross-section of contemporary Australian Aboriginal writing that both challenges and engages with provocative viewpoints and raw emotion. There are hundreds of Aboriginal languages, many of which are at risk of dying out. This excerpt from Yankunytjatjara Love Poems by Ali Cobby Eckermann skilfully combines English and her traditional language :

            “I will show you a field of zebra finch Dreaming in the shadow of the

                        puli puli ochre

            when the soft blanket of language hums kinship and campfires

                        flavour windswept hair

 

            little girls stack single twigs on embers under tjamus skin of painted

                        love

            the dance of kalaya feathers will sweep the munda with your smile

 

            do not look at me in daylight; that gift comes in the night

            tomorrow I will show ngunytju our marriage proposal in my smile”

 

Meanjin, published quarterly out of Melbourne (meanjin.com.au), was founded in 1940. Featuring high editorial and production standards, Meanjin is considered by many to be the leader of the Australian literary pack. The current issue (71.3) has elegant design with interspersed poetry pages (about 20 in total) subtly separated from surrounding prose (most of the remaining 200 pages) by the use of differently coloured paper.

Overland was founded in 1954 with the motto “temper democratic, bias Australian” and it continues to champion progressive culture both in print and on-line (overland.org.au). Although social critique is a feature of all the journals mentioned here, none promotes a Left view of culture and society as consistently as Southerly. In addition to its hardcopy editions, Overland regularly publishes timely commentary on current affairs via its website and Facebook feed (www.facebook.com/overland).

Island is a literary quarterly, based in Tasmania and established in 1979. Despite developing from a potentially parochial viewpoint, Island publishes a wide range of quality work from a lively mix of new and well-known writers. As they say on their website (www.islandmag.com), “grown in Tasmania, Island writes for the world.” 

Island also supports the prestigious Gwen Harwood Poetry Prize, named after one of Australia’s best loved poets (1920-1995) who lived most of her life in Tasmania. This prize is one of several high level awards that are available for Australian poets. Competition is intense, with most prizes attracting hundreds of entries, presenting judges with diabolically difficult choices. Indeed, the judges of the 2011 Gwen Harwood Prize, Sarah Day and John Kinsella, raised more than a few eyebrows when they decided not to award a winner, but instead nominated four poems (by BR Dionysius, Sarah Rice, Meredith Wattison and Chloe Wilson) for high commendations. All are excellent works, showing strong command of form. Dionysius’ History is a sequence of five sonnets narrating a life recalled :

 

“Years later in the chocolate suitcase buried under stacks

Of the washhouse’s mouse-chewed Toowoomba Chronicles

& Dalby Heralds, he discovered that his dead father read.

Cowboy novels & soft porn paperbacks that he scanned

Rapidly for erotic depictions of love making, ears pricked

For the screen door’s incriminating squeal & bass clomp

Of his parent’s workbooks as they brushed off their dirt.”

 

The Newcastle Poetry Prize (newcastlepoetryprize.com) stands out among the national competitions by encouraging extended poems or suites of poems up to 200 lines. First prize is substantial: $12,000, and short-listed poems are published in an annual anthology. Over recent years in particular, this anthology has showcased exceptional work, much of which pushes hard at the limits of what poetry, especially in long form, can do.

In addition to poetry prizes funded by literary journals and writers’ organisations, most State Governments as well as the national Federal Government offer substantial poetry prizes amongst their arts and literature awards. The winner of this year’s inaugural Prime Minister’s Poetry Award of $80,000 was Luke Davies’ collection, Interferon Psalms (2011). This is an astounding sequence from Davies, already highly acclaimed for his fiction (eg Candy, 1997; God of Speed, 2008). The text soars and swerves, take side-tracks through space and time, love and loss, comments on literature and popular culture, confronts science and religion, mortality and pain: disease and death never seem far below the surface. Looking handsome on the page, these poems beg reading out loud in all their changing voices. This example is from the start of the penultimate section 32, and recalls images occurring in earlier sections :

            “I landed in this world of broken vessels.

            All this eroded desolation, all this demon-ridden expanse.

           All this Annihilation. The black volcanoes. The ruins.

           Tectonic restlessness of plates.

 

          She had said: I want to talk to you, at roughly four removes.

 

           I felt that conversation had had its day.

 

           I had landed in this world of broken vessels. I had sensed

           the emptiness as a boundless blessing.

 

          For as long as it could, my blood would be fine.”

 

Sitting beside the literary journals and competitions are the anthologies of Australian poetry. Some are one-off collections with a specific aim in mind, such as a mammoth historical compendium of more than 1000 pages (Australian Poetry Since 1788, edited by Geoffrey Lehmann and Robert Gray, 2011), or an elegant anthology of more recent women’s poems (Motherlode: Australian Women’s Poetry 1986-2008, edited by Jennifer Harrison and Kate Waterhouse, 2009).

Other anthologies are produced more or less regularly, such as Black Inc’s annual The Best Australian Poems series that has been running since 2003. The 2011 edition, edited by John Tranter, contains around 100 poems selected from almost three thousand submissions. A collection like this necessarily reflects the biases and interests of the editor, but there is little doubt that this edition, as did previous volumes, presents a diverse and (usually) fascinating assortment of contemporary Australian poetry. As such, it offers another excellent starting point for a literary tourist to begin exploring the Australian poetry landscape. Although most poems do not reveal obvious references to specific country or place, some build heavily on Australian vernacular and historical context, as in this example from Others in the Town by Neil Boyack :

            “the whip hangs on the wall of the long-drop

            with the view of the mountain

            where ghosts maintain fame

                        through legendary gambling debts

                                   bestiality

                                   leaning on the shovel at

                                   the shallow graves of native men

 

            Bill Menangartowe is home

            dreaming of new teeth

            so he can eat Harcourt apples and his wife’s dry roast beef

            that he complains of ...”

 

Any doubts about the on-going popularity of Australian poetry in print should be dispelled after exploring the website maintained by SPUNC: Small Press Underground Networking Community (spunc.com.au), representing Australia’s small press and independent publishing community. Currently, over 100 publishers are listed as members of SPUNC. They include not only the publishers of literary magazines mentioned above, but mid-sized independent publishers (eg Black Inc, Text Publishing, and Wakefield Press), and smaller specialist poetry publishers, including such diverse imprints as Brandl & Schlesinger, Five Islands Press, Giramondo, Paroxysm Press, Puncher & Wattman, Red Room Company, and Walleah Press.

Let’s finish our tour with a review of a recent collection by Adelaide poet, Amelia Walker, published by the long-lived independent, Interactive Press (ipoz.biz). Walker already has published two prior collections as well as poetry workbooks for school children. Her new work, Sound and Bundy (2012), is an ambitious multi-layered, multi-voiced sequence that draws its inspiration from Australia’s most famous literary hoax, the Ern Malley affair.

In 1944, a series of abstract poems, purported to be written by an otherwise unknown Ern Malley, was submitted to the modernist arts magazine Angry Penguins, founded and edited by Max Harris. Harris considered the poems to be brilliant work (as many are still regarded today), but it transpired that they had been constructed as a deliberate hoax by conservative poets, James McAuley and Harold Stewart (for the full story see, www.ernmalley.com and read the poems at: jacketmagazine.com/17/ern-poems.html).

In his Foreword to Sound and Bundy, “Harrison Lomax” makes specific reference to the Ern Malley affair in the context of his research into the life of  “recently deceased Australian poet, Jason Silver” who turns out to have been a creation of three other poets, Pete Lind, Shannon Woodford and Angie Rawkins. The book then goes on present collections of poems from each of these three poets, as well as those attributed to Jason Silver. Each writes with a distinct style and brings a range of viewpoints and commentaries on the events of the time.

Pete Lind tells elegant stories of damaged relationships and personalities, including his own  (That Sort, 1998) :

            “I’m the sort you see at bus shelters,

            the guy with tatts and the faded black jeans,

            the sort who pays the driver all in five cent pieces,

            who gives up his seat for the blind girl,

            then stares and wonders what it’d be like to fuck her.”

 

Shannon Woodford writes in villanelles, sestinas, and other constrained forms, while Angie Rawkins uses the shorthand of street talk and text messages, as in Checkd / But Not For Free, 1999 :

            “Th title Check-Out Chick

            doesn’ giv you permission to do so / bro /

            so check yrself

            & cut it out or y’ll wind up checkin’ in

            to E.D. afta I get you chuckd

            & pluckd like a chickn /”

 

Finally we get to poems by the nebulous Jason Silver. They are a mixed lot, style and content diverging, perhaps reflecting the inputs of the three purported hoaxers. One of the more lyrical pieces is the bleak rosie n me, 2002:

            “i close my palm, open it

            to find a sharp blue shard of broken glass

            ‘from the window to my soul’ she mutters

            and i bleed a little so she knows

            i’m kissing her back.

 

            we light up

 

            our cigarettes

            -  church candles, memorials

            for the dead, our selves.

            together we pray for cancer.”

 

Walker is an accomplished performance poet and it is easy to hear her taking on the different personae of the poets in this book. But even bare on the page, the characters emerge from their words, sometimes free-flowing, sometimes self-consciously fitting a pre-determined style.

All too often poetry is seen first and foremost as an expression of an otherwise hidden emotional state of the author. Indeed, many of the poems in this collection have a stream-of-consciousness feel that reflects the apparent states of minds of the poets. But we have to keep reminding ourselves: this is all fiction. They are fictitious poets, who, within their own imagined world, invented another fictitious poet. This is a complex writing environment and, overall, Walker keeps her nerve and control throughout. Verse novels can be tedious and forced. However, through her innovative use of an anthology format, Walker has avoided this trap and let the poetry itself tell its tales.

It might be argued that the only people who buy and read poetry books are other poets. Maybe so. But there are probably a hundred or more poetry titles published each year in Australia, and there are very many more people writing poetry, sometimes just for themselves, but more often with the expectation of being published and read. So, if poetry writers really are poetry readers, there must be a large pool of potential buyers of printed verse. With such a strong creative base, the outlook for Australian poetry and its publishers is positive. And thanks to the all-pervasive internet, it is increasingly accessible to the rest of the world.




TROUS

Dans le sang froid du sans fond. Au sous-sol des nuances. Plus bas que le repaire de la langue, plus bas que les caves des mots, plus bas que les trous de la réalité urgente. Ce n’est ni facile à comprendre, ni beau, ni impossible, ni de la bible, ni du porno, c’est plutôt bizarre et compliqué (voyelles et consonnes moisies à travers des sentiments et des mots interdits) : ensuite, d’autres complications : la lettre parlée, les sons amplifiés, l’érection du cerveau dans le trou de la langue.

Beaucoup de gens confondent le début d’une pensée  avec la fin d’un  mot. Au plus bas dans le sans fin. Plus bas que la fin, plus bas que le début. Ce n’est pas permis, mais ça permet de vivre le contraire. Seul(e) à l’entrée de la… De la vie et de la mort des mots dans les catacombes du dire.

Le mot se charge de la vie de la mort et de la mort de la vie. La vie des morts tire sur l’élastique du silence et ainsi de suite.

Beaucoup de gens frappent à la porte des mots avec une  image. Et à la porte des images avec un mot. Orateurs et imagistes, la mort les rassemble tous, elle est une balayeuse mécanique. Sauve qui peut !

Il y a un mot grandelet dans ma salive, qui se prend pour un sablier. Nuit et jour, du genre j’aime ce que je n’aime pas, je n’aime pas ce que j’aime, j’aime ce que je n’aime pas. Sable remplissant les trous des envies.

Au plus bas. Plus, plus bas que les gens vivants. Plus bas que les trous de la mémoire. Dans le plus bas. Des trous frou-frou, danger et plaisir, des trous d’interdictions, des trous de la soif de la faim de luxe de la peur de l’âge, trous de la couche d’ozone, trous du temps exagéré, trous des extrous.

Un individu ou une famille d’individus a le droit de se creuser pendant la vie un trou et pendant la mort un autre, selon les règles bien connues de l’addition : 1+1=2, bien que cela ne fasse pas grand-chose. Le deuxième trou est un tombeau dans lequel on laisse tomber un homme ou une femme ou leurs parents ou leurs enfants, et des larmes plus ou moins grosses, plus ou moins salées et des mots conformément « à ».  La mort a du goût.

En tout cas (...).

Je passe d’un extrême à l’autre, telle l’extraction d’une dent sans l’anesthésie.

Des trous d’une maison à l’autre. Les trous simples et gris, des gens simples, gris. Ça dépend de ce qu’on veut faire ici.

Du point de vue de la mairie de ma ville natale, j’ai un trou enregistré, selon le modèle de tous les apparts de mon immeuble. L’addition de tous les trous voisins donne des infos sur les dépôts de vélos, drapeaux nationaux, bérets communistes, papiers politiques, portraits de fascistes, confiture, constitutions, chemises noires, cartes postales , de la part du prince régnant, le bâtard P., de la part du neveu A., du bon roi M., exilés  tous en Suisse, dentelles rouges, rats et cafards raffinés, trous en ciment ou en terre, 2 x 2 = 4 m. Dans ces trous nul ne s’imagine l’espoir d’une lucarne. Ce qui compte c’est la petite porte, la clef à l’extérieur, doucement vers l’enfer. Les autres conséquences ne sont point valables si on n’a aucune clef, aucune poignée. C’est vrai, la faute m’appartient, mais je ne regrette rien, j’y avance. Il y a des histoires à bercer la mémoire et d’autres à la stimuler. Mots qui s’ouvrent et se ferment automatiquement et s’ouvrent une dernière fois, pour.

Mémoire ? Tresse de trois femmes : ma mémé, moi, nous trois (mémé – moi – mémoire), un trou illégal, mémoire, mémère – maman – moi, protégées contre le mal, le malheur, le malfaiteur, au pluriel menaçant.

Je n’ai pas encore écrit mes mémoires, quoique j’en aie à revendre) j’ai écrit des pamphlets sur la saleté des gens sans mémoire, mais au pouvoir politique. Sur la crasse des capitalistescommunistessocialistes, sur l’amour sanglant de la politique avec les peuples, sur la pauvreté et les guerres des pays entre lesquels je vis.

Les trous de l’amour politique. Ça métamorphose Cupidon et inversement. La politique est érotique. L’érotisme fait de la politique, au moins entre deux organes au pouvoir de la petite société. Toujours un truc à trouer, à introduire, à occuper.

Enfoncer la mémoire affective, bâtir autour du trou les nominations du monde.

Je ne triche pas. C’est le temps qui troue et vide les mots. Je suis son image illégale, sans droit, loi, peuple, président, etc (…). Je suis une clandestine, et le monde en sera follement amoureux.

Ce poème n’est pas encore clandestin, mais celui qui attend dans mon ventre le sera. Un poème vit et circule sans le poète, sans l’accord des gardes-frontière, sans amour, peur, douleur. La poésie c’est comme la pluie, elle fait ce qu’elle veut et autant qu’il faudra.

Je rêve à haute voix, en exilée. Quelque chose s’effiloche, se dissipe, s’épuise. C’est ma langue. On ne peut gloser sur une langue avec des expressions qui n’ont rien à voir avec, soit-elle la langue d’une mégère.

Ici et là, des amoureux morcèlent des tranches de langue de bœuf. Vont-ils  bouffer cette langue dépliée sur eux ? Ils ne la  mangent pas, ils la contemplent seulement. Affamé, le poèmechien leur montre ses crocs.

L’amour goûte à la folie de la mort, au langage des morts, au (…). Mots d’amour, morts à cause des mots d’amour, dans le trou de la poésie le poème joue d’une femme nue et sage. Il lèche mes blessures, laisse sa salive s’égoutter dans mon sang, il s’arrange dans le trou, pousse violemment mes formes à la surface et me lance en l’air. Ça donne des images à la Zola, mais ça va, dans chaque Zola se trouve un romantique sacrifié.

Il y a assez de gens qui n’aiment plus, mais qui veulent être aimés. Tous leurs mots d’amour sont du « parler amer-aigre-doux ». Il pousse et fleurit dans les cérémonies de la langue. Qui avec qui ? Qui à cause de qui ? Au plus bas. Plus bas que le « jamais vu ».

 

P.S. : Toute égalité rend  libre la poésie.
Toute illégalité anoblit le mystère d’un poème !




Lecture(s)

 

Boris Lazić publie aux éditions Un Infini Cercle Bleu, sises à Paris, un passionnant et nécessaire volume consacré à la poésie serbe contemporaine. Nécessaire car aucun ouvrage de cette sorte n’existait à ce jour en français. Passionnant, par la qualité de la cinquantaine de poètes choisis ici. Qualité, mais aussi force d’une poésie aux fondements en partie marqués par l’histoire récente. Ce sont les voix d’un monde qui a vécu de l’autre côté du rideau de fer, puis d’un pays qui a connu la guerre, ses atrocités, sa folie propagandiste aussi. Tous camps confondus, y compris le nôtre, celui de la perpétuelle bonne conscience. Lazić revendique évidemment le côté incomplet de ses choix, mais quelle anthologie peut se targuer d’être « complète » ? Ce serait un non sens. Il n’empêche qu’il offre ici un vaste panorama de la poésie parue en Serbie depuis les années 70 du 20e siècle, une bonne part étant consacrée à ce qui s’écrit aujourd’hui. On ne sera donc pas étonné de retrouver dans ces pages des poètes publiés (ou en voie de publication) dans Recours au Poème, ainsi Ivana Milankova, Nina Zivancevic et Alen Bésic. Le lecteur intéressé pourra lire leurs poèmes dans la partie « poésies » du magazine. Mais ce n’est pas le seul élément que nous apprécions ici. Nous aimons la vision de la poésie que Lazić donne dans son introduction, vision qui en plusieurs aspects rejoint nos préoccupations : « La poésie témoigne de notre déficience ontologique. Cette déficience est l’essence de notre présence au monde. L’être qui n’a pas de fondement en lui-même (l’être conscient de sa perte irrémédiable), aspire à la grâce rédemptrice (…) Car la poésie naît dans le sublime et n’existe que pour lui. C’est pourquoi toute poésie est extase, de même que tout acte de création est un divin transport qui sublime notre finitude ». Ces mots me rappellent ceux que j’entendis prononcer par Breton, alors au crépuscule de sa vie tandis que j’atteignais avec peine la vingtaine d’années. Des mots qui montraient combien le Breton des dernières années étaient imprégné de lectures, d’un travail, au sens ésotérique du terme, en apparence fort éloignées de ses préoccupations d’avant guerre. Un Breton qui parlait plutôt de Heidegger, de Silésius, de Jean de La Croix, des mystiques rhénans, ou de René Guénon que de Lénine. Je suis porté à croire que cet André Breton là était arrivé à une sorte de sagesse et que cette sagesse était porteuse de l’essence profonde du surréalisme, cela même d’ailleurs qui le conduisit dès les années 20 à chercher le point où les contradictoires s’unifient dans l’œil de l’Un. Un « pape du surréalisme » (quelle stupidité que cette expression) devenu quelque peu plotinien. Et quand je lis les mots introductifs de Lazić, je me dis qu’il devait y avoir dans la pièce des poètes serbes sans que je m’en aperçoive. Il est vrai qu’en présence de Breton, le jeune homme que j’étais avait du mal à être attentif à autre chose qu’au charisme émanant de la personne du poète. Et en effet, l’anthologie proposée par Lazić offre la lecture de poètes marqués par le surréalisme. Mais pas seulement, on pourrait même dire que tous les courants de la poésie serbe contemporaine sont ici représentés. Une poésie sous les cendres de laquelle sourd aussi le poids des événements récents, de la politique des Balkans de la fin du siècle passé. Le simple fait d’ouvrir ce livre et de lire le premier poème, texte de Radivoj Stanivuk écrit au sujet de l’ « anniversaire de la mort de Celan », fera comprendre à tout un chacun pourquoi je parle ici autant, quoique sans trop oser le dire – on est vite accusé de tout et n’importe quoi en cet étrange contrée qu’est devenue la France – d’identité serbe et de surréalisme. Après tout, nombre de poètes et de peintres serbes ont entouré Breton, et l’homme n’avait peur d’aucun contradictoire. C’est cela, être un homme : se construire dans la confrontation sans craintes avec soi-même. Le travail est loin d’être terminé, et le chantier est en cours. Cette anthologie indispensable à toute bibliothèque réellement concernée par la poésie aidera à bâtir.

 

Boris Lazić (dir.), Anthologie de la poésie serbe contemporaine, Un Infini Cercle Bleu, 2011, 332 pages, 14 euros.

 

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La poésie et le sacré… décidément… Les éditions Gallimard font paraître un volume signé Kabîr dans leur belle collection de poche consacrée à la poésie, une collection qui gagnerait si je puis me permettre, et je le puis étant donné mon âge avancé, qui gagnerait maintenant – oserais-je donc – à accueillir des poètes francophones trentenaires ou quarantenaires en sus des barons du (minuscule) microcosme poétique parisien. Entendons-nous bien, je ne porte point de critique ici, considérant que des poètes comme Velter ou Deguy par exemple ont très certainement leur place dans la collection Poésie / Gallimard, aux côtés des plus importants poètes de toute l’histoire de la poésie mondiale ; je veux juste donner un avis et cet avis est qu’il s’écrit aujourd’hui, en France même, des poésies vers lesquelles un Paulhan se serait tourné. Mais n’en doutons pas, l’entrée des poètes de maintenant, ceux qui n’occupent encore aucune « position », dans le catalogue Gallimard est certainement à l’ordre du jour, ou en passe de l’être. Gallimard est un grand éditeur de poésie, réalité qui rend toute autre option que celle appelée ici de mes vœux impensable. Kabîr… De quoi s’agit-il ? D’un coup éditorial d’abord. Nous sommes de vieux singes et nous savons faire la grimace ! Bien sûr, personne ne doutera que ces textes de Kabîr découverts dans les archives de Gide par Jean-Claude Perrier méritent d’être édités. Ils le sont ici pour la première fois. Joli coup éditorial donc : imaginez un peu, des textes de Kabîr traduits par… Gide d’après la version anglaise de… Tagore. Les feux des vitrines s’embrasent. Mais qu’importe ? Il y a coup éditorial et coup éditorial, celui-ci est de toute beauté. Il porte même en lui quelque chose de chevaleresque. Cette parution est aussi et encore plus un événement poétique. Car le volume permet de découvrir les textes poétiques de Kabîr, textes d’une extraordinaire profondeur mystique et intérieure. Kabîr vivait en Inde, à Bénarès, et il était tisserand. Musulman converti à l’hindouisme, il a dû fuir et s’est mis à prêcher, voyant venir à lui nombre de disciples. Au point que sa pensée forme aujourd’hui un vaste courant religieux interne à l’hindouisme en Inde. Durant la Première Guerre Mondiale, tandis qu’il traverse une crise le conduisant presque à se convertir au catholicisme, André Gide lit la version anglaise des poèmes de Kabîr et en traduit une partie, on ne sait trop pourquoi. C’est cette traduction que propose ici Jean-Claude Perrier dans un volume qui comporte aussi l’intégralité des « poèmes » de Kabîr traduits par Henriette Mirabaud-Thorens et éditée chez Gallimard dans les années 20 du siècle passé. Lire aujourd’hui un mystique hindou du 15e siècle ne fera pas de mal en ces temps où il arrive que la poésie s’écrive parfois sous couvert de quinze mots de vocabulaire, et trop souvent pour ne rien dire d’essentiel. Ce qui ne l’empêche pas d’être primée.

 

Kabîr, La Flûte de l’Infini, traductions inédites d’André Gide d’après la versin anglaise de Tagore, suivi du recueil intégral des Poèmes traduit par Henriette Mirabaud-Thorens, édition réalisée par Jean-Claude Perrier, Gallimard, collection Poésie, 2012, 190 pages.

 

 

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Trois voix à Minase, un renga du 15e siècle rédigé par le maître Sôgi et ses « disciples » Shôhaku et Sôchô, est un classique de la poésie, et plus généralement de la littérature japonaise. Genre ancien de la poésie japonaise, le renga atteint son apogée au 15e siècle. De quoi s’agit-il ? De l’enchaînement de versets composés à tour de rôle par plusieurs poètes travaillant au même endroit et au même moment. C’est ainsi que les trois auteurs de ces Trois voix à Minase se sont réunis à l’instigation de Sôgi pour écrire cet ensemble. Le renga obéit à des règles précises que chaque poète respecte, règles qui donnent une unité à l’ensemble. Le long poème doit commencer par un verset imprégné de la réalité environnante, le paysage souvent, puis se poursuit avec un second verset ouvrant les portes de l’imaginaire. Ensuite, chaque verset doit être lié aux précédents tout en proposant une nouvelle ouverture. On le voit, les « jeux » poétiques de l’Oulipo n’ont rien de neuf. Trois voix à Minase est un modèle du genre et en effet ce texte pénètre son lecteur en profondeur, nombre de versets étant d’une beauté sidérante :

 

Tu ne sais donc pas encore*
Que tout est vain, rien ne tient ?

 

Sôgi, Shôhaku et Sôchô, Trois voix à Minase, traduit du japonais par François Migeot, Erès, collection Po&Psy, 2012, non paginé, 10,50 euros.

 

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Pierre Larcher rassemble et propose une traduction personnelle de deux poèmes préislamiques dont l’un a été adapté en allemand par Goethe, l’autre en français par Armand Robin. Il donne d’ailleurs aussi à lire les traductions de Goethe et de Robin.  Ce livre, édité sous le titre de Le brigand et l’amant, est donc une vraie curiosité littéraire. Les deux poètes sont deux poètes brigands arabes préislamiques : Ta’Abbata Sharran et Imru’Al-Qays. Ce pourrait être une simple curiosité littéraire, c’est beaucoup plus que cela. Mais une curiosité littéraire tout de même puisque ces textes étaient soit peu soit non accessibles en langue française. Aussi, parce que Larcher intercale des présentations et des études sur ces poètes et leurs textes en un appareil critique de haut vol. Reste que les poèmes peuvent se lire, chacun dans les deux traductions, indépendamment de tout souci historique ou universitaire. Le brigand, ode signée Ta’Abbata Sharran, est le seul poème préislamique dont Goethe a proposé une traduction dans son West-östlicher Diwan.  Son auteur est le plus connu des poètes brigands arabes préislamiques, un type considéré comme « malfaisant » si l’on en croit son surnom. Cela parle d’un homme tué dans un guet-apens et de son cri de vengeance. Violent et beau. Vient ensuite L’amant, poème de Imru’Al-Qays. Un des poètes les plus importants et célèbres du monde arabe. Un homme mystérieux qui, à l’instar d’Homère pour nous, laisse un texte dont tout un chacun ou presque connaît le début, un homme dont l’identité réelle n’est guère certaine. Le poème porte en lui un caractère mystique, discuté en partie par Pierre Larcher, accentué en son temps par Armand Robin. Il se termine ainsi :

 

L’homme, jusqu’à son dernier souffle de vie,
Jamais ne tient ni ne parvient au bout des choses.

L’ensemble du volume vaut le détour.

 

Pierre Larcher, Le Brigand et l’amant. Deux poèmes préislamiques de Ta’Abbata Sharran et Imru’Al-Qays, traduits de l’arabe et commentés par Pierre Larcher, suivis des adaptations de Goethe et d’Armand Robin et de deux études sur celles-ci, Actes Sud/Sindbad, 155 pages, 2012, 19,80 euros.

 

 

 




Jean Mambrino (1923–2012). Me voici : hommage

Avons-nous encore la force et le désir de répondre me voici à l’appel de la célébration ? C’est ainsi que se concluait le poème Apocalypse du recueil Casser les soleils (Corti, 1993). J’avais reçu ce livre aux poèmes sombres avec cette dédicace : Cher ami, voici mon inferno (il fallait y descendre)…

Les leçons d’agonie que le Christ, dans notre exil, ne cesse de nous révéler traversent les poèmes de ce jésuite et poète, traducteur notamment d’Hopkins, et pourtant, il était bien un des seuls, depuis les années 60, à faire du moindre fragment de l’univers un éveil au sens et aux sensations.

Car l’amour accroit la perception. Et rares sont les poètes qui, d’un recueil à l’autre, nous surprennent en affinant leur approche du monde, en s’ouvrant aux timbres des voix qui nous appellent. Lisant Mambrino, j’ai toujours été surpris par ses changements de registres, de prosodies, par ses écarts et ses paradoxes, par cette immense liberté remuant le fond sensuel du réel. Comme chez Claudel, quelque chose dans cette oeuvre brave la tempête, lève les yeux vers ce qui est désormais interdit. L’écriture écoute, prend feu, prend le large, navigue, dans un lyrisme sans platitude, vers l’infini brûlant d’un dialogue en attente d’une présence.

Chaque poème alors énumère, consent, dilate les limites de l’instant. Il y a toujours ce bonheur à être, à renaître : Je bénis le bref soupir dans les feuillages remplissant ma poitrine en cette minute éternisée qui danse.

Ses articles dans la revue Etudes ont été des exercices d’admiration, des paroles dans l’estime. Ils ont dévoilé une opposition farouche au nihilisme qui a pour soubassement cette pulsion de mort conduisant, dans le domaine littéraire, à la négation du sens, au langage sans objet. Au parti pris négativiste, Mambrino a proposé une autre démarche capable d’intégrer l’extrême mal : Les morts couvrent le sol de leurs sacs de peau plein de vers. Sur les murs du néant pendent vos drapeaux noirs. Et l’extrême bien : Sur la table du monde un soleil de gala.

L’âme et la chair, la souffrance, la vigueur, la merveille, l’amour… tout ensemble, tout est là – proche, admirable de proximité – et la répétition ne vient pas d’une absence de vie mais de son excès. Le poème, comme l’icône, opère par distance. Le retrait de Dieu renforce son attrait et du Dieu sans visage, de son regard invisible, s’impose un éloignement qui lui-même impose un chemin : Quand donc comprendras-tu l’amour de cette absence ?

Osant une totalité, Le palimpseste ou les dialogues du désir (Corti, 1991) mêle, sur 300 pages, deux voix qui s’écoutent et se répondent, s’affirment et se dérobent, jouent avec le désir d’infini et d’enfermement, soliloquent, se souviennent, s’affranchissent. Un chœur de voix dont chacune conserve son infini en acte, sa heccéité (Duns Scot). Voilà le chant de l’amour et du don, du partage et de la démesure et du chemin à venir : Le plus intime en toi, c’est l’horizon.

Le désir fait signe, efface les premières écritures, se recompose, croit atteindre le lieu (mais la présence se dérobe), s’affronte aux notions d’enracinement, de demeure : On voit toujours loin dans l’oubli de l’origine. C’est le désir qui dévoile les teintes, les variantes, les odeurs, les reflets, les échos et qui fait naître des parcours inconnus. Une profusion de lumière et de splendeur porte l’écriture de Jean Mambrino ; un accueil permanent, un amen illimité, car rien n’est plus beau que la promesse de l’impossible




Psaume de réconciliation finale avant de perdre l’âme




From Liverpool with Love

 

Planning a poetry event in the north west of England was never going to be easy. It is a sad fact that London has the monopoly on poetry events in the UK, and those of us who organise, with all good intentions, events outside the capital have to find ourselves against various tides of resistance. These rage from the financial, (i.e. can people afford to come and socialise on a Wednesday night?) to the practical (does everybody work on a Wednesday night?) to the geographical (do people know where we are?) and the downright vainglorious/paranoia shifts that occur within the mind of the performing poet (they will all come to see me. What if nobody comes to see me ?)

In London, the latter is rarely a problem. You could hold a poetry gathering at 3am and still pull a crowd of 20, easily. But elsewhere, attendance is an issue. Now. There’s “elsewhere” and, there’s Liverpool.  Erbacce press is very much a Liverpool press, with editor and poet Andrew Taylor born and bred here, setting up loft space as a makeshift office here (lovingly known as Erbacce HQ) and hooking up with other poets in cafes, coffee shops and galleries across Liverpool to discuss publication and poetics. He lives and breathes the Port of Liverpool.

Unfortunately, the Port of Liverpool does not live and breathe the poetry scene of 2012. It is a vibrant arts city. It is also huge on its musical heritage. But sadly, the poetry scene is very stuck in the 1960’s. There is a prevailing attitude of “if it’s not like Roger McGough, it’s not proper poetry.” I mean this as no disrespect to McGough. But we need to reach out further in our outlook. There is also the problem of factionalism. I suppose this is because we are, in size, in spite of our historical prominence, a very small city. It may be internationally famous, but it has a village mentality in several respects. The poetry scene suffers for this. There seems to be a very set way of going about being a poet and anybody who deviates from this mould tends to either be regarded with suspicion or ignored.

So, for other poets, it’s no surprise that for conversation, inspiration and some kind of poetry happening, we look to the next city, Manchester. There is a very encouraging reception for experimental poetry here.  By experimental, I do not just refer to that which is visually innovative,  but also that which tackles issues that mainstream poetry is failing to address. Feminism, class issues, LGBT life, and falling in love not through couplet constraints and dictionary dictum, but truly madly obsessively, sprawled over and out of the page to the point where the words may and well get up and walk. There is plenty of this in Manchester.

Through Manchester, I also had the pleasure of welcoming Jo Langton into my life. Jo is a Manchester based visual poet, a talented artist who had her chapbook, [fill the silence] published by erbacce six months before I had my own. We both agreed that it was time for ourselves to become more involved in the community by hosting our own event, and also to give Andrew a chance to promote erbacce to those who may have been new to the press down the motorway.

The name From Liverpool With Love was chosen as a pastiche on the gig, From Manchester With Love, at which the bands The Smiths, The Fall and New Order played a gig in Liverpool, which Andrew was luckily enough to attend in 1986 (I was a child, Jo wasn’t even born!) We thought it would be good to give something back in the spirit of appreciation through poetic action. Jo set to designing the poster, a glorious mix of pink, red, a heartbeat, a pulse, our names, psychogeographics, all on the one flyer.

We chose a venue that was somewhat new. We wanted something different from Manchester’s usual factory set-up (much as I personally love this) as what we really hoped was to attract new faces. So the Thomas Bar, with its Parisian lighting, red sofas and vanilla scented room seemed just perfect for us. It was cosy and welcoming, but at the same time, deliciously modern. It felt of another age, and yet just ripe for now. Not to mention blackberry gin cocktails that set this particular poet up most pleasantly for a fun evening. Bliss.

Anxiety reigned for most of the day as to whether anybody would show up. By the time the actual day arrived, Jo and I were banking on ten at the most. When we got past this number, then we got excited. People were actually interested. And not just being polite, received each poet warmly, enthusiastically and with great levels of spirit and interaction.

What pleased us so much was that the diversity of the line up reflected that of the audience. Ursula Hurley was first to read, with a collage of loss, the city, of flowers and words to lift colour off the page and into the crowd. Angela Keaton then read an audience participation piece that invited the crowd to mimic a tide, with the room divided into a repetition of “let me in, let, me out.”

We then had Jo Langton with acerbic words on relationships, sex and the magazine aesthetic our real lives can reflect all too often, myself (feminism, shoes, feminism, Liverpool) and then Andrew Taylor, wrapping the evening up in a beautiful piece of poetics.  Complete with Nico, the city and the longing for a home within ourselves wherever we find our physical presence, in this case, the other city, Manchester, glittering, glorious and generous in all its red brick winding arms and tangled tights roads. It was wonderful and worthy of poetry in itself. It was the perfect example of how if the work is put in, a poetry happening outside London is possible, it just needs, like any flourishing plant, the right amount of love and care. Erbacce comes from the Italian for weed. We hope that through the night, buds appeared through the cracks of the motorway debris.

 

From Liverpool With Love, Poetry Event for erbacce press, The Thomas Bar, Manchester, 10th October 2012.