Bernard Mazo où l’écriture “pour mieux vivre”

Que Bernard Mazo « le passeur », celui au chapeau, que tout amateur de poésie a déjà croisé au moins une fois, écouté aussi, lu peut-être, fasse l’objet d’un numéro de la revue Phoenix est bienvenu. Ce n’est que justice. Pour le passeur, bien sûr. Pour le poète aussi. C’est une forme de reconnaissance, commencée d’ailleurs par l’attribution du prix Max Jacob en 2010 pour son recueil La cendre des jours (éditions Voix d’encre, 2009). Mazo a la réputation d’être un homme généreux. Pourquoi pas ? Je veux bien le croire. Je ne le connais pas. Qu’il soit un poète généreux, de cela je suis sûr : je le lis.

Dans la revue Phoenix, Jean Poncet montre l’importance de la relation du poète à l’Algérie, là où il a passé 27 mois de guerre, lieu du traumatisme, Mazo le dit, mais aussi de la lecture des poètes, de l’écriture. De la découverte de la culture de l’autre aussi, de l’illumination que peut représenter une telle découverte. Le miroir de l’autre, c’est le lieu du cheminement de celui qui regarde et partage. Ce n’est pas rien un tel événement dans une vie :

En effet, j’ai eu « vingt ans dans les Aurès » comme le personnage du film de Jean Vautier, au titre éponyme. J’ai passé vingt-sept mois là-bas, au nom d’une cause qui n’était pas la mienne, triste rêveur éveillé qui, sans le secours de la poésie, aurait pu sombrer dans le désespoir car on me volait ma jeunesse ! Il n’en reste pas moins qu’à évoquer cette période si lointaine déjà, je ravive une blessure jamais cicatrisée, celle d’une culpabilité entêtante par rapport aux « exactions » – tortures, « corvées de bois », exécutions sommaires de prisonniers, etc – perpétrées par certains militaires français, aveugles dérapages indignes du pays des « droits de l’homme », et aussi le rappel de ce qu’était réellement le colonialisme en Algérie et son corollaire : le paupérisme, qui frappait toute la population maghrébine du pays. Je porte désormais au cœur, et à jamais, comme une secrète meurtrissure, cette Algérie martyrisée de ma jeunesse.

[B. Mazo, entretien avec Jean Orizet, revue Phoenix n°3, juillet 2001]

En soubassement de cette œuvre il y a la guerre d’Algérie. Et la renaissance lumineuse, paradoxale aux yeux de beaucoup sans doute, qui en a découlé. Une lumière qui apparaît dans les encres du plasticien et poète Hamid Tibouchi, les lavis qui accompagnent les poèmes du dernier recueil de Bernard Mazo, Dans l’insomnie de la mémoire. Qui connaît le traumatisme de la guerre dans l’œuvre de Mazo et certains poèmes de Tibouchi, ceux de Parésie par ex, verra à juste titre que cette association de deux poètes est un acte politique. Le recueil dit l’insomnie dans la mémoire.

La poésie de Mazo est ainsi poésie de l’ouverture, tendue au dessus de la Méditerranée, bruissement de la poésie des autres comme aime à le dire le poète. Elle paraît ancrée dans l’Histoire, dans les lieux. Ce n’est qu’apparence : si elle s’ancre là, c’est pour traduire un état plus ample de l’homme, l’état de l’humain et des histoires dans l’Histoire. Celui des liens. La poésie est ce qui nous relie. Jean Orizet montre bien cela.

La « terre natale » de Mazo, c’est le Poème. Et le Poème est dans l’homme.
Alors, Dans l’insomnie de la mémoire, Mazo nous entraîne dans la fragile respiration du poème :

C’est notre voracité envers tout ce qui est condamné à mourir qui nous rend tellement maladroits, tellement apeurés jusqu’à en être privés de parole face à la beauté désespérée du monde.

Puis dans la déchirure :

 

Si tout se délite
par l’aveuglement des hommes
combien serons-nous à la fin

Sur cette terre démembrée
fissurée saccagée

Combien serons-nous à survivre
à l’éclat soudain meurtrier du soleil

 

Ensuite, l’exil et la cicatrice.

Avant de porter la parole retrouvée comme l’on porte un coup d’estoc, une poésie qui « sait mieux que quiconque qu’aucun des mots qu’elle profère n’est innocent ».

Vient alors ce brasier de solitude où :

 

Le poète possède
ce pouvoir mystérieux
de déchiffrer
ce qu’on ne voit pas
au-delà du visible
cette ombre indéfinissable
de la beauté cachée
à l’arrière des choses

car la poésie est cela qui, dit le poète, se penche sur

la part
la plus obscure
de nous-mêmes

 

On quitte alors Mazo sur un long ensemble conduisant au silence.

Autour de la parution de :

Bernard Mazo, Dans l’insomnie de la mémoire, Lavis de Hamid Tabouchi, Voix d’Encre, 2011, 19 euros.

Revue Phoenix n° 3, juillet 2001, dossier consacré à Bernard Mazo. Avec des contributions de Jacques Ancet, Lionel Ray, Max Alhau, Jean Orizet, Jacques Lovichi, Abdelmadjid Kaouah, Jean Poncet.

www.revuephoenix.com




Ricardo Paseyro

Poèmes extraits de Arcs et flèches paru chez El Alambique (Espagne) en 2012
traduction Yves Roullière




Disparitions

La narratrice de ces récits est romancière. C’est surtout une femme solitaire traversée par de violentes crises d’angoisse.

[…] le roman m’évoque une forêt. Les arbres y sont si serrés qu’aucune lumière n’y accède, la forêt si profonde que, en dehors de mes pas foulant la terre humide, on n’y entend pas le moindre gazouillis. Je m’aventure craintivement vers le fond de la forêt en grelottant, en écartant les feuilles piquantes, les branches pourries et les lianes entrelacées.

Si j’arrive à traverser ces buissons, je verrai peut-être le soleil ; si je franchis cet escarpement, je trouverai peut-être un lac d’eau pure. C’est ainsi que je me console.

Quand ce n’est pas la forêt, c’est l’eau qui lui permet de parler d’elle, de son intériorité.

Une source de chagrin avait fait son apparition en moi. Elle était profonde et opaque, glacée à engourdir le corps.

Outre la forêt et l’eau, souvent présentes chez Yõko Ogawa, notamment dans les deux magnifiques romans que sont Les tendres plaintes et La cristallisation secrète, on retrouve des thèmes qui traversent son œuvre depuis des décennies : ceux de la disparition et de la mort – qui est aussi une disparition, du reste, radicale.

La narratrice pense avoir une sorte de mission : celle de se préoccuper des disparus. Elle est d’abord, de loin en loin, la confidente de plusieurs personnes touchées par des disparitions. Puis elle est directement concernée quand sa propre tante s’éclipse. Alors, comme ceux qui faisaient d’elle leur confidente, elle traque le moindre souvenir.

Quand son frère meurt, elle perd pied, s’enfonce dans une mélancolie qui semble irrévocable.

J’ai vécu plusieurs mois cloîtrée dans l’unique pièce de mon appartement, sans aller nulle part, le corps recroquevillé sous la couette. Je n’ai fait signe à personne. Je n’ai mangé que le strict minimum. L’argent dont je disposais a diminué rapidement et le jour n’était pas loin où je n’en aurais plus. Je ne faisais rien d’autre qu’observer mes pages blanches et pleurer.

Plus tard pourtant, elle observe, ébahie, un être lumineux que le hasard met sur sa route : une femme à la voix claire qui ne chancelle pas.

On passe alors de l’ombre à la lumière.

La figure de la mère est centrale, en creux. Elle est terriblement distante. Comparée à cette femme qui parle sèchement, ordonne, fait parfois preuve de sadisme, la domestique mademoiselle Kiroko a tout d’une fée, d’un ange gardien. Là encore, Yõko Ogawa joue avec les contrastes, l’ombre et la lumière.

À mieux y regarder, on s’aperçoit que d’autres paires d’opposés sont présentes. Les récits, réalistes au premier abord, ont une dimension fantastique, par exemple. Le premier roman qu’écrit la narratrice, Blackstroke, a déjà été écrit en 1901. Elle tombe sur un vieil exemplaire dans une salle d’attente et s’aperçoit qu’elle est donc, bien malgré elle, l’auteure d’un plagiat. Plus on avance dans le livre, plus le réalisme craquelle, comme le ferait un verni de mauvaise qualité. Le récit intitulé Edelweiss est de ce point de vue étonnant : après quelques lignes au cours desquelles la narratrice nous raconte une conversation qu’elle engage dans un jardin public, on bascule dans une situation surréaliste – d’abord amusante, très vite oppressante.

Alors c’est l’ombre qui gagne la partie et avec elle, le sentiment qu’il n’y a pas d’issue. Comme le dit très joliment la narratrice elle-même, elle se sent « seule en bordure du monde ». Le 21 novembre 1911, Franz Kafka écrivait dans son Journal : « Je suis couché sur ce canapé, jeté d’un coup de pied hors du monde ». Si d’autres romans de l’auteure – Cristallisation secrète par exemple – font écho au Château de Franz Kafka, ici, l’écriture de Yõko Ogawa aurait plutôt pris racine dans la poésie de son Journal.




Hommes émiettés

La centrale, au loin,
Et dans le creux de ma main,
Une grenouille se blottit [1]

Hideko Okazaki

 

                      Mise en batterie de nos songes
                      dernières lignes enfoncées
Hommes
                      de la Terre
                      et des Vagues
                      nous savions cette méchanceté
des éléments
de la matière

                       pourtant

quels hommes faisions-nous ?
quelle sorte d’hommes faisions-nous ?

Je connais une jeune femme, elle écrit des poèmes. Des poèmes philosophiques et moraux. Oui, et moraux. Je voudrais écrire comme elle le fait : j’en suis incapable. La jeune femme sourit sur la première marche du soir, elle sourit longtemps puis, dans la nuit, elle écrit son poème.
 

Le 11 mars 2011

La Terre
l’immense l’inconnaissable Terre
remue en ses tréfonds jusque sous les eaux

Nous savons ce qu’elle a
ses malaises passagers
nous la côtoyons
la dominons
vivons dans sa laine des bois
dans le duvet de ses  prairies de ses jardins
nous avons de la mémoire pourtant
et  rions lorsqu ’elle
gratte quelque chose dans sa vieille culotte

Ah ! Terre ancienne, ne va pas chatouiller Monsieur TEPCO
ça lui ferait trop plaisir depuis le temps qu’il est là-bas
à dormir sur le rivage
à dormir seul et à nous fabriquer de l’électricité

 Un jour de tonnerre,
Au printemps, j’ai ajouté à mon vocabulaire
Cette unité : le sievert

 Fumiko Usuda

 Monsieur TEPCO :

      - Oui, seul, et face à la mer. Les pieds dans l’eau, c’est vraiment super.
      - Vous ne vous ennuyez pas ?
      - Si un peu, alors je m’occupe, j’électrifie la côte Est de ce pays.
      - Voyez-vous l’hélicoptère ?
      - Il survole les vagues, les paysages d’eau et de sable, le petit port…
      - Savez-vous ce qu’il fait là ?
      - S’il fallait tout savoir…
      - N’avez-vous pas senti ce tremblement au loin ?
      - Oui, c’est là-bas, à trente miles marins… Pas de quoi s’inquiéter.
      - Vos vieux os n’ont-ils pas vibré ?
      - Arrêtez de me traiter de vieux ! Quarante ans, ce n’est pas le bout du monde.

      Le bûcheron de la colline :
      « Tiens, la pile de bois a bougé. Il se passe quelque chose, là, par dessous. »

Au collège, les collégiens reçoivent leur diplôme. Ils ont bien étudié, ils sont heureux et sages, ils sourient mais pas trop. Au Japon on sourit intérieurement. Surtout intérieurement. Sauf, bien entendu, les collégiennes en jupettes bleues qui, à Yokohama, à Osaka et à Tokyo, les soulèvent pour qu’on fasse des photos. Après la cérémonie, les collégiens, leurs parents, les professeurs iront au temple et rendrons grâce aux puissances ancestrales.

 Madame Hiko, brodeuse sur soie :
« Ma vue baisse, j’ai encore manqué le trou ce coup-ci. »
Elle incline la lampe et entreprend à nouveau de passer son fil d’or dans le chas de l’aiguille.

 

 Mon cœur bat
Comme une houle
D’hirondelles

 Yotsuya Ryû

 Nous travaillons nos champs.
Le soleil est encore haut.
La vache
Impératrice et son veau broutent le long talus,
Là où l’herbe est neuve et touffue déjà.

Mon épouse est penché sur la terre, elle ne lève pas le nez.
Une rumeur…  un discret nuage ? Qu’est-ce que c’est ?

La jeune femme écrit le poème suivant. Il commence par ces mots : « Il serait étonnant qu’on nomme Impératrice une simple vache, ou alors, les gens d’ici auront changé… »  Il finit pas ces mots : « Je vois par la fenêtre les eaux du port. Elles dansent, et avec elles les bateaux restés à quai.  Elles dansent de plus en plus vite. De plus en plus fort. Danser vite, cela a un sens. Danser fort ? Je ne sais. » La jeune femme se récite, silencieuse, un haiku de Buson :

 Labour dans les champs –
Le nuage qui jamais ne bougeait
S’en est allé

 Buson

« Moi, pompier, sauveteur diplômé de la ville, j’ai promis à Monsieur et Madame Tojo de passer pour vérifier les sécurités électriques de leur jolie maison. Je le ferai ce soir, à la nuit sans doute. À cette heure-ci je dois m’entraîner, faire les exercices d’alerte imposés par notre commandement. Oui, j’irai, ce soir chez eux. Ils m’offriront le thé ou… le saké. »

Kimura Fura, pompier-sauveteur.

 

 

      - Madame Hiko, sortez de votre atelier, venez voir, il se passe quelque chose là-bas
      - Pourquoi voulez-vous… ? Retournez à votre tas de bois, paresseux !
      - Non, venez voir, c’est intéressant.
      - S’il y avait quelque chose d’intéressant, ça se saurait, non ?
      - Justement. Les bateaux refluent vers les terres. Il y en a un bloqué sous le pont. Et un camion
saute la digue ! Venez, Madame Hiko.
      - Je viens, je viens…

 Dans les yeux des fées
Descendues sur la ville
Le vide

 Kimura Toshio

 

 

Monsieur TEPCO et ses collaborateurs :

      Monsieur TEPCO :   - Messieurs, je vous ai réunis d’urgence. La terre vient de trembler au large de Fukushima. Il n’y a pas à s’inquiéter, la centrale est protégée. Les digues, les murs, les enceintes. Rien ne peut arriver. Mais soyons vigilants.

      - Ingénieur I : - Monsieur, où se situe l’épicentre ?
      - M. TEPCO : - Aux dernières nouvelles, à 35 ou 40 miles, à l’est, en pleine mer.
      - Ingénieur II : - Je confirme. Sur l’échelle, c’est du 8,5 ou du 9 !
      - M. TEPCO : - Toutes les sécurités sont en alerte. La situation est sous contrôle.
      - Ingénieur I : - Ne craignez-vous pas un tsunami ?
      - Ingénieur III : - Les sécurités sont activées. La structure centrale est indestructible. Je confirme.
      - M. TEPCO : - Très bien, Messieurs. Nous contrôlons. Restons soudés. Quelle belle équipe nous faisons !

 

Si seul
Que je fais bouger mon ombre
Pour voir

 Ozaki Hôsai

 

      - Madame Hiko, regardez de ce côté…
      - Attendez, j’essuie mes lunettes, j’y vois si mal…
      - Regardez, la maison, elle flotte, elle vient vers nous. La marée est énorme. Le camion projeté par-dessus la digue a disparu. Et cette maison, là-bas, qui s’écroule, qui sombre comme un vieux rafiot ! Les poutres flottent comme des rondins…
      - C’est grave alors ?
      - Oui, très grave ! Allez, venez, donnez-moi la main, nous ne pouvons pas rester ici, il faut fuir.
      -  Pas du tout. Vous croyez que je vais laisser mon ouvrage, mes tissus, mes fils d’argent et d’or ?
      - Regardez, la mer approche. Vous n’entendez pas les cris ? Venez, venez.
      - Pas question. Partez si vous voulez. Moi, je reste dans ma maison.

 

 La centrale
Se dresse, glaciale,
Fauve blessé !

 Sadako Ogasa

 

Je connais une jeune femme, elle écrit un autre poème. Elle est assise à sa table. Le poème est une pensée pour son amoureux. Il dit quelque chose comme : « Ô jeune homme, puisque toi et moi sommes si jeunes, ne sommes-nous pas fait pour nous aimer ? » Et il cache quelque chose comme : « Ô jeune homme, près de toi seul je veux dormir. C’est à toi que j’offre mes seins de vierge. Mon ventre, mon sexe de vierge pour toi s’ouvriront. Et mon cœur d’amante. Viens. Viens vite. »

 

Bientôt sur la lampe
S’abattront
Les ténèbres du champ de bataille

 Tomizawa Kakio

 

La vague noyée du Titan a bondi jusqu’aux murs de la centrale. Elle claque comme le plus vieux drapeau du monde. Elle les a frappés de sa main d’autocrate de la matière. Fusion glacée contre fusion brûlante, elle a rompu la tôle, et le verre, et aussi le béton. Le pacte de l’homme avec la matière est rompu. Les relais électriques sont hors service. La centrale n’est plus refroidie.

 

      - Adieu, Madame Hiko. Vous avez tort de rester.
      - Adieu, hommes des forêts. Mais pourquoi fuyez-vous ?
      - Que vos murs et les dieux vous protègent, Madame Hiko, la meilleure des brodeuses !
      - Ils me protègent ! Ne crains pas pour moi.

 

 Comme elle fut bientôt
Supérieure à nos forces
La boule de neige

 Yaezakura

 

                      Mise en batterie de nos songes
                     
dernières lignes enfoncées
Hommes
                      de la Terre
                      et des Vagues
                      nous savions cette méchanceté
des éléments
de la matière

                      pourtant

quels hommes faisions-nous ?
quelle sorte d’hommes faisions-nous ?

« Il fait sombre, presque nuit. Et l’eau ? Jusqu’ici, l’eau… Toute cette ordure trempée, toutes ces planches, ces machines, ces voitures qui dérivent ou piquent au fond d’un immonde bourbier. Les collégiens sont sortis en hurlant, puis ont été rassemblés par leurs maîtres et guidés jusqu’aux bus. Certains ont perdu leurs diplômes, j’en vois qui ondulent sur l’eau noire comme des chiffons sans valeur. Ma maison ? Non, elle a été bâtie sur la hauteur. Pas par précaution, mais parce qu’il n’y avait pas d’autre place. Que vais-je faire ? Oh, Monsieur et Madame Tojo, j’allais les oublier ces deux-là ! Comment aller jusqu’à chez eux maintenant ? »  Kimura Fura

      - Tu plaisantes, père Tojo ?
      - Pas du tout, il y a une vache qui flotte, pattes en l’air, là, devant notre maison…
      - Père Tojo, tu es fou ! Fou à lier !

 

 Nuées d’oies sauvages –
Le champ devant ma porte
Semble s’éloigner

 Yosa Buson

Le grand chagrin de Monsieur TEPCO :

M. TEPCO :   - Les nouvelles sont pénibles, très pénibles, messieurs. Les systèmes de refroidissement ont cessé de fonctionner. La vague les a détruits. La centrale est noyée et le rivage est couvert d’eau et de débris. Les maisons se sont écroulées…

      - Ingénieur I : - La secousse était bien de niveau 9, monsieur !
      - M. TEPCO : - Que voulez-vous que ça me fasse ? Trois réacteurs arrêtés… Le numéro 1 qui pourrait bien exploser…
      - Ingénieur IV : - Il est près de minuit, monsieur. Là-bas, ils ont détecté des vapeurs radioactives… la fusion commence à 2.800 degrés.
      - M.TEPCO : - Tokyo est averti. Il faut prévoir une zone d’exclusion totale, puis une zone d’évacuation.
      - Ingénieur III : - L’évacuation a commencé, monsieur. On manque de bus. Des particuliers s’y sont mis aussi.
      - M. TEPCO : - Je suis déshonoré.
      - Ingénieur  XXII : - Si l’hydrogène est relâché, c’est l’explosion. Et déjà il y a des morts, nombreux paraît-il…
      - M. TEPCO : - Je suis déshonoré… déshonoré.

Les 12 , 13 et 14 mars 2011 : 

      - Que fait le gouvernement ?
      - Le maximum, monsieur. Il rassure les populations, leur demande de quitter la zone sans donner prise à la panique. Il envoie la troupe avec des équipes de déblaiement.
      - Il y aurait eu explosion des réacteurs 2 et 3, monsieur.
      - M. TEPCO : - C’est foutu ! On ne rattrapera jamais ça ! Tout est foutu !
      - On va être nationalisés, monsieur.
      - M. TEPCO : - Il ne manquait plus que ça.

 

Le grand Bouddha –
Sa fraîcheur
Inhumaine

 Masaoka Shiki

Nuit du 11 au 12 mars :

« Je marche dans la nuit. Ou plutôt j’erre dans la nuit. Je cherche la maison du père et de la mère Tojo… Où est-elle ? Sous l’eau ? Dans cette boue infecte ? Et eux, où sont-ils passés ? Moi qui devais leur porter secours ! Je ne tiendrai pas ma promesse. J’ai laissé ma femme, mon enfant, pour tenir ma promesse… Désespoir, désespoir… et la nuit est si noire. Je dois chercher encore. Était-ce par là ? Ou là-bas ? Je ne sais plus rien. Aucune trace de la jolie maison ni de ses propriétaires. » 

Kimura Fura

Je connais une jeune femme.
Je connais une jeune femme, elle écrit un autre poème. Est-elle assise à sa table ?
Non, elle n’est pas assise là où elle était hier. Elle n’a plus de table. Plus de chaise. Plus de toit sur sa tête.
Ce que je vois, là, dans l’eau sale, est-ce un paquet d’algues ? Est-ce une chevelure ?
Et sur une feuille déchirée, ces mots délavés : «… toi et moi sommes si jeunes, ne sommes-nous pas faits pour nous aimer ? »

 

                       Mise en batterie de nos songes
                      dernières lignes enfoncées
Hommes
                      de la Terre
                      et des Vagues
                      nous savions cette méchanceté
des éléments
de la matière

                      pourtant

quels hommes faisions-nous ?
quelle sorte d’hommes faisions-nous ?

 

Valsent les papillons –
Je parle
Avec les morts

 Yokoyama Hakkô
 

Fin de  « Hommes émiettés, pour Fukushima » – mai 2012



[1] Les haïkus cités dans ces pages, sont extraits de : HAÏKU (Fayard, 1978), Préface d’Yves Bonnefoy ; HAIKU, Anthologie du poème court japonais (nrf – Poésie / Gallimard, 2006), Présentation, choix et traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu ; et des Nouveaux Délits, Revue de poésie vive, N°41 (Recueil de haïkus du cercle Seegan), janvier 2012.

 




Divine poésie !

A quoi sert donc le poète ? Il sert juste à réinventer le monde !

 

De volupté ou de continence, d’exaltation ou d’effritement, d’ascension ou d’effondrement, dans l’ombre et dans la lumière, dans la certitude et dans le doute, le poète, qu’il soit célébré ou esseulé, s’engage et nous engage dans l’affrontement perpétuel de la vie. Dans sa passion aussi. Il en est ainsi depuis la naissance de l’étonnement, de l’indignation et de la révolte.

Enveloppé d’ardeur et de foi, le poète, ange pacifique, prophète ardent, inlassablement, nous incite à composer la ronde des mots, à effeuiller celle des maux. Il saisit nos mains, nos lèvres, il interpelle nos cris, nos silences,  afin de créer la plus belle saison d’aimer et la plus symbolique victoire, face à l’abus, la censure, l’exil, l’anathème, la misère, l’abandon et la mort. Il se bat contre la disgrâce du monde, contre sa folie meurtrière. Il se bat pour réinventer l’humain.

Le poète sert à tout rêver, à tout imaginer, à tout tenter, à tout regarder, à tout défier et à tout recommencer. Si besoin. A tout envisager autrement. Lui, que l’on croit sauvage, solitaire, refermé sur son univers, vit au fond de chacun de nous, quand enfin nous nous en apercevons. C’est alors l’éveil de tous les miracles.

L’éveil, justement, il nous l’apprend sur les marches de l’aube. Les turpitudes du monde, il les soulève une à une devant nos yeux naïfs et oublieux. Les crimes de nos pairs, il les retient en son souffle éloquent et généreux, afin que notre souvenir n’en soit pas indigne. Il est l’armure, il est le rempart, il est l’effort, il est le fol éloge de nos attentes si fiévreuses et anciennes. Tous les peuples libérés le sont grâce à leurs poètes. Si seulement ils s’en souvenaient !

Rebelle, pionnier, guerrier, téméraire, crédule, innocent, inépuisable, indubitablement, le poète est inventeur d’espoir, ciseleur d’avenir, empêcheur de tourner dans l’échec. Il nous prend à témoin, nous prévient du déluge de nos âmes, il sacralise nos fougues et nos rebellions. Parce qu’il enracine ses songes dans ce « poiêsis » grec, source de tout souffle, de toute création, de tout génie, de toute transcendance et de toute bénédiction. Et surtout, il a le don de nous pousser à entrevoir tous les possibles, tous les autres. Sans compromission, sans concession, sans renoncement, il est le renouveau, la tempérance et l’immuabilité de notre désir de liberté. C’est vers lui que se dirigent nos regards désabusés, nos peines assiégées. Il nous porte dans les vents de nos délires, jusqu’à l’affranchissement total de nos rêves.

Sans le poète, le monde est gris, le monde est laid. Car, affreusement assaillis de charognards, de tyrans et de scélérats. De démons premiers. Notre pauvre monde si frêle, prêt à s’évaporer en une insulte  immonde, lorsque sonne le glas du conflit. Là, indomptable, tel l’olivier séculaire, le poète se souvient de la paix. Il se souvient que l’homme ne peut se faire dans la haine et l’érosion, que l’homme ne peut s’accomplir que dans la conviction. Le poète investit alors cœurs et scènes de combat, pour nous nous rappeler combien il est vain de tenir à la douleur et à la guerre, combien l’orgueil reconduit nous coûte en humanité brisée. Le poète qui nous sait, pris en otage de nos propres frères, nous conte la brisure des chaines, celles que nous portons en nous-mêmes.

Epris d’amour, de résistance, de justice et de ténacité, le poète nous est vital, la poésie nous est sidérale. A réveiller tous les poètes qui sommeillent en nous. Car ils sont nos consciences.

Socrate l’avait décrété d’essence divine. Aussi, je crois bien que, si le poète n’existait, il aurait  fallu l’inventer. De toute urgence !




Nouvelles nouvelles de poésie [1]

Assez de flatterie, Messieurs du sérail !

 

           Jean-Claude Pirotte, au demeurant un poète authentique, qui tient une rubrique régulière dans le magazine mensuel « grand public » Lire, est, on le devine, fort courtisé par tous ceux et celles qui rêvent fantasmatiquement de laisser un nom dans le microcosme éphémère de la création poétique française de ce début de siècle…  Tout cela n’a rien de bien  neuf sous le soleil, il est vrai. Mais tout de même ! A l’heure où il est de bon ton de s’indigner pour tout et n’importe quoi (avec la marque déposée de Stéphane Hessel de préférence !), il est grand temps aussi de crier, en se prenant pour une nouvelle Catherine de Sienne : « Assez de rhubarbe Messieurs ! Le monde est pourri à force de flagornerie de trois sous ! »

           Ces derniers temps, en effet, des records de « renvois d’ascenseurs » ont été battus, du côté des « journalistes-poètes » (ou poètes-journalistes, qui ose le dire ?).   L’ombre d’Alain Bosquet (lequel fut un implacable Saint-Just de la poésie de la fin du siècle dernier) serait-elle donc revenue nous hanter ?  Sans s’attarder sur  tels ou tels courtisans, depuis longtemps experts  en reptations savantes destinées à remporter le Prix Apollinaire ou le Prix Max Jacob, ou le Prix des octogénaires en goguettes, osons écrire ici, une fois pour toutes, qu’aucun papier de complaisance (même petit) paru dans la plus petite gazette confidentielle ou dans un grand journal de la presse quotidienne nationale (type Le Monde, Le Figaro ou Libération)  ne pourra donner jamais, comme par magie, talent et gloire éternelle au journaliste-poète (ou au poète-journaliste ?) qui l’a obtenu, à force de le réclamer au nom de la fraternité du sérail, comme de bien entendu !

         Les chroniqueurs  de Presse en domaine de poésie (ils se comptent hélas sur le doigt d’une seule main !) ont l’habitude de se congratuler sans retenue et entretiennent désillusions et confusions des valeurs sous prétexte de faire plaisir aux petits camarades  de même tranchée ou de même parti politique.   Entre les œuvres complètes de Jean-Yves Masson, critique et pape inamovible du Magazine Littéraire,  Le Rire des belettes  dernier recueil malicieux de Thierry Clermont, du Figaro lui aussi Littéraire, et les jugements de Jacques Réda, cadre bien installé de la NRF, le juste discernement des meilleurs dons demeure bien périlleux !  Qui sont, en définitive, dans ce jeu de marionnettes dérisoires,   les faux prophètes à  dénoncer ? Les mauvaises consciences de leur époque à annoncer ? Comment séparer le bon grain de l’ivraie ?  En n’oubliant jamais que « L’horizon ne sera jamais orphelin / tant que des yeux le chercheront / avec ma nostalgie » ( dixit Salah Al Hamdani et Ronny Someck, in Bagdad à la lisière de l’incendie Jérusalem, Éditions Bruno Doucey).

    De quelle barricade de la pensée surgira le nouveau Gavroche libre qui servira de recours face à  l’actuelle confusion des valeurs ?  Quand démasquerons-nous enfin  les faux poètes   et les journalistes de l’éphémère,  plus soucieux de préserver une carte professionnelle réductrice d’impôt que de défendre telles ou telles voix majeures, véritables mauvaises consciences d’une époque malade de n’être guère à hauteur d’Homme ?

      Avant de véritablement décider d’un chemin sauvage à emprunter pour ouvrir  cette chronique qui souhaite, elle aussi,  prôner le RECOURS AU POÈME,  il m’a semblé essentiel de jeter les loups dérisoires et d’annoncer les couleurs. La poésie contemporaine que nous aimons « n’exige aucune glose » (ainsi que l’écrivait Roger Caillois), elle ose parfois se faire compréhensible par tous, elle ne craint ni l’aveu, ni le cri, ni l’émotion, ni la revendication. Elle refuse d’être un jeu de chaises de salon pour femmes du monde. Devant la misère planétaire, elle ne cède pas au renoncement facile ou à ses apparences. Sans avoir le monopole de l’anxiété de vivre,  la poésie que j’attends avec espérance approuve avec joie le critique littéraire Serge Koster quand il nous rappelle, dans son beau livre Je ne mourrai pas tout entier, (Éditions Léo Scheer) l’affirmation d’Anatole France : « Le bon critique est celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d’œuvre ».

      La poésie dont nous parlerons ici sera, osons-nous l’espérer,  un espace d’indépendance d’esprit, une revendication d’urgence, un acte politique,  réflexe de survie face à la sournoise robotisation générale de notre société occidentale obsédée d’économie plus que de préoccupations spirituelles et philosophiques.

    On le sait depuis la nuit des temps, « chanter pendant que Rome brûle » est une lâcheté, une incompétence poétique, une mise hors jeu. En revanche, confondre le poème et le tract « politicard » rose foncé, rose clair ou bleu, pas obligatoirement marine, reste à mes yeux libertaires et mystiques, une aberration.

    Sortant à peine du trentième « Marché de la poésie » de la Place Saint Sulpice à Paris (14, 15, 16 et 17 juin), où j’ai voulu diffuser les premiers textes de quelques jeunes poètes, pour le plaisir de la découverte, j’ai tenté de définir ce que j’attendais encore de la poésie en 2012… Et j’ai répondu : une nouvelle espérance, un renouvellement de vigueur de la parole, une manière de prendre de la distance entre la brutalité de la violence habituelle des structures d’État qui nous nivellent si souvent par le bas, dans notre si peu doux pays de France, notamment. Quand j’aime un poème, c’est qu’il réveille en mon for intérieur ma part de compassion, de tendresse,  d’anima, en somme. Tant qu’il m’incite au rêve, tant qu’il bouscule ma léthargie, tant qu’il agrandit ma vision du monde et de ses contradictions, je le salue et le reconnaît comme à la lisière d’une certaine métamorphose de l’âme. Dès qu’il m’ennuie, et qu’il ne suscite en moi nul recommencement, ou qu’il a perdu le goût du pain partagé et qu’il ignore la demeure de la beauté qui agrandit, il ne me paraît qu’un résidu de mots sans importance, une prière prétentieuse et stérile, une terre vide et sèche.    

     Au fond du fond, quand je dis poète, je dis rébellion contre le désespoir de vivre.




Chronique du veilleur (2) – Gilles Baudry

Gilles Baudry prie et écrit dans l’abbaye de Landevennec. Son œuvre, publiée chez Rougerie, témoigne de son expérience du sacré, de cette approche de l’invisible dans le visible que tous les poètes, plus ou moins croyants ou même incroyants, ont eue à certains moments privilégiés de leur vie et qu’ils tâchent de traduire en poèmes.

La vocation de Gilles Baudry est de dire la Présence cachée en ce monde, de relier la nature et la grâce. Cela ne peut se faire que par une « parole qui se tait » selon sa magnifique expression. Parole où « les mots passent les mots », toujours insuffisante pour se hausser à la dimension divine à laquelle elle aspire.

                        Comment
                        peut-on confier sa vie
                        à un poème
                        écrire
                        l’invisible
                        l’azur
                        qui se laisse trouer
                        par la note abyssale ?

                        Un à un se dérobent
                        les mots

                        L’encre s’enneige
                       de furtives extases
                       dans les marges

                       sans autre voix
                      que celle qui nous manque.

(Instants de préface)

La poésie est pour lui une approche à toujours recommencer, un mouvement où le désir, la louange, la reconnaissance se mêlent étroitement, non pas une saisie, une possession, mais une allure, un chant qui ne cesserait de se répandre.

                        …Voyez
                        la sève
                        le cours de sa pensée
                        ou l’écriture de l’aléatoire
                        sous l’aubier
                       du sang

                       l’inconcevable don
                       immérité

                       d’exister sans entraves dans le chant

« Tout chante et tout fait silence », déclare-t-il. C’est bien là l’essence impensable de la création poétique. Mais la prière, qui parfois n’en est pas très éloignée, a ces mêmes deux visages, comme une lumière qui, dans son prisme, marie toutes les couleurs. Ainsi de Marie :

                        Elle joue la partition de la lumière
                        entre le rose chair et le bleu nuit.
                       Son regard de vitrail
                       s’éclaire du dedans.
                      Sa gravité légère l’apparente au ciel.

 (Nulle autre lampe que la voix)

Ainsi, Gilles Baudry, moine et poète, poursuit la même quête du divin dans une double et même tension. Dans la crypte spirituelle où il veille, il témoigne du mystère pour lequel il est si beau de vivre et d’écrire. « Pèlerin de l’horizon », il sait bien que la plus grande qualité du poète comme du croyant est d’être totalement disponible comme aux premières lueurs de la Résurrection.

                        Ici
                       pose ta vie

                       marche pieds nus
                       dans la rosée de la Parole.

(Présent intérieur)

Présentation de l’auteur

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier




Vu d’Athènes

Some thoughts on poetry and crisis

 

I do not think an artist can describe his pain while he is in pain. As a citizen he might want to express an opinion or take an action confronting the urgency of facts. But as an artist he will do that on the terms of his art which requires a certain distance and elaboration of the circumstances, a process much different than say  that of the journalist or the activist. Especially since the last years we have heard almost everything from everyone in this public debate about the European crisis, this kind of elaboration is necessary. We need time in order to get a deeper understanding which will transcend the common places and the too obvious truths. “ ..to remain  aware of the weight of fact without yielding to the temptation to become only a reporter is one of the most difficult puzzles confronting a practitioner of poetry. It calls for a cunning in selecting one's means and a kind of distillation of material to achieve a distance to contemplate the things of the world as they are, without illusion”, Cheslaw Milosz writes.

What I find extremely interesting is that this is a crisis of identity and values more than anything else. It raises many questions about what we consider acceptable in the political field about what kind of society we want to be part of. The challenge is to redefine ourselves and to do that we should open up to other fields of thought besides the domination of necessities. I do not believe in the role of the artist as a public figure who raises his voice to assert a leading role. Because he is a special receiver he can become a special sensitive transmitter.  Every journalist who meets an artist today will ask the same question. “How does the crisis affect your art “. In difficult times there arises the demand for art to give answers. Usually this is just bad art. This appeal for answers is the disguised mistrust that society holds against poetry: That it should prove its usefulness, become countable.

In our post-capitalist world language often functions as a structure of oppression, of power and it is extensively used as a tool, a mere instrument valued for its applications. In poetry, language is disrupted, is dislocated  and this maybe brings forward the possibility for us to deny the world as it is.

It seems now a days that our world is described through a unique narrative, that is: economics. But we cannot accept our lives to be reduced in numbers. We need alternative narratives in order to live . Poetry is an alternative narrative of crucial importance. By creating new metaphors, new vehicles of meaning, it regenerates our spirit, helps us develop critical thinking, describe ourselves, interpret our lives with more complexity and depth. It opens up a space of possibilities within what we consider as reality.

More than, that it implies the fact that perhaps we need to think more carefully about the un-realistic or even the unattainable in order to preserve what is real.

If we look at the recent history of Greece we will see that we have been in an almost constant state of crisis, war, civil war, dictatorship. Many of the poets we know and love have written their poetry in much more difficult circumstances. The artist is always in a state of dispute with his time and environment, he is the critical mind and the witness, the eye that is not afraid to look and report. I am just worried about the notion that in times like that we ask art to become useful, to bring forward answers for what we cannot explain, which is wrong. Poetry is always the field of the multiplication of questions, or it loses its critical quality which is freedom. In more obviously totalitarian regimes a poem could and has been a threat to their order of things. Today the oppression, the way power is imposed is much more sophisticated and insidious. It is in many ways internalized, so most of the times we do not even realize we are controlled.

Artists do not change the world, they rather invent inconceivable structures of words, sounds, images, meanings. They are worriers and founders upon the chaos of possibilities.

Poetry is a universal language  but more importantly it is also the language of doubt , a space of risk where our conscience is awakened, where we question our beliefs and ideas, where we become active. In poetry we hear the footsteps of others, the poem is the passage and because of it we traverse borders, genres, structures, distructions and transformations. Listening to a poem is a conscious and energetic act (praxis) that can change you. That is why to write or read poetry is a political act in itself.

 

 




Isam Alsadi

Isam Alsadi est un poète Jordanien, d’origine palestinienne, natif du village Arbouna, près de Jenine (Palestine).
Pour lui, l’écriture « est une eau avec laquelle on se lave pour être digne de la vie ».

Recours au Poème publie son poème جدل وصحراء Diatribe et Sahara, traduit par Monia Boulila




Europa Grèce

Le poète polonais A. Taczyński donne sa vision de la crise grecque