Entretien avec Shuhrid Shahidullah

 

 

Cet entretien avec le poète bengali Shuhrid Shahidullah était programmé depuis longtemps, mais l'actualité politique récente, et les crimes et intimidations répétés contre des écrivains et des éditeurs au Bangladesh, jusque dans les allées de la grande Foire du livre d'Ekushey*, donne à ce témoignage et à cette analyse de la situation de la culture dans ce pays un écho particulier que nous souhaitions partager avec nos lecteurs. (English version follows)

 

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Marilyne Bertoncini : Shuhrid, merci d'accepter cet entretien pour Recours au Poème. J'avais préparé quelques questions pour toi, et je me suis rendu compte que tu pouvais avoir envie de répondre aussi au questionnaire intitulé "Contre le Simulacre", que nous avons proposé à des poètes français sur l'état de l'esprit poétique en France – mais dont le thème me semble toucher plus largement le monde. Sens-toi libre de répondre aux questions que tu préfères, comme tu l'entends.

Tu as déjà publié des poèmes sur ces pages il y a quelques années, et nos lecteurs auront certainement été surpris par ta poésie, très différente de l'idée que l'on s'en fait habituellement : pas de lyrisme, pas d'images brillantes, mais une profonde préoccupation politique pour le monde, ton pays et tes compatriotes : peux-tu nous expliquer en quelques mots la situation politique et historique de ton pays, et ses liens avec ta poésie?

Shuhrid : Je suis un poète imparfait, dans un monde imparfait. Mon pays, le Bangladesh, en fait partie. Il est considéré comme un pays du Tiers-Monde, situé en Asie du Sud. Historiquement, dans la société de l'Asie du Sud, l'acquisition du savoir et de la sagesse prévalait fortement sur la pratique d'autres professions, comme le commerce – La société était paisible et non-violente. C'était une économie de type agricole. Nous n'envahissions aucun pays, alors. Mais nous avons été envahis de nombreuses fois, par des puissances étrangères, dont  les Moghols, et bien sûr,  les Européens (Hollandais, Français, Britanniques). Les Européens sont venus ici tenter leur chance dans le commerce. Plus tard, avec l'argent et la violence, ils se sont ingéniés  pour devenir les maîtres de cette région. Les Britanniques nous ont dirigés pendant deux cents ans, de 1757 à 1947. Ils sont parvenus à détruire notre système d'éducation et nous ont gentiment offert un système éducatif qui forme des fonctionnaires au service du royaume de Sa Majesté.

 Le Bangladesh a gagné son indépendance du Pakistan en 1971, après une sanglante guerre de libération qui a coûté la vie à 3 millions de Bengalis. En terme de dimension de massacre en un temps limité, il s'agit du deuxième plus grand génocide depuis la deuxième Guerre Mondiale. Auparavant, nous avons été la première nation à donner notre sang pour maintenir l'honneur de notre langue maternelle Bengali, que nous appelons Bangla. Le 21 février a été déclaré Jour International de notre Langue Maternelle par les Nations Unies.

On voit ainsi que, bien qu'étant une nation pacifique, nous avons subi de nombreux tourments politiques. L'histoire de mon pays est à la fois glorieuse et frustrante. Après l'indépendance, la plupart du temps, nous avons été dirigés par des juntes militaires soutenues par les puissances du monde. Depuis les années 90, nous avons ce qu'on peut appeler un gouvernement démocratique avec une brève interruption en 2007-2008, quand un gouvernement soutenu par les militaires est arrivé au pouvoir. Mais la classe dirigeante de ce pays est le porte-drapeau d'enjeux étrangers. Nous disions adieu au colonialime en 1957, mais nous portons toujours cette histoire dans notre sang. Au nom de l'aide humanitaire et du développement, le colonialisme est encore très présent dans ce pays. Seuls 64% des gens savent écrire leur nom, et partant de là, nous déclarons que 64% de la population est éduquée. De par sa position stratégique géo-politique, le Bangladesh fait partie des plans prioritaires des superpuissances. C'est pourquoi nous subissons si souvent l'impact des politiques globales.

Du point de vue économique, il y a un fossé toujours plus grand entre ceux qui possèdent quelque chose et les autres. L'exploitation traverse toute la société, empêchant mon peuple de développer pleinement des qualités humaines.

La beauté de cette nation est qu'elle ne se plaint même pas vraiment. L'influence du soufisme et du baulisme**  rend mes compatriotes indifférents à la vie terrestre. Ceci rend mon peuple indifférent à la vie terrestre. Ils ont toujours été plus mystiques que religieux.  Toutefois, le récent essor du fondamentalisme religieux a lui aussi laissé des traces. Ces dernières années, des écrivains ont été tués ; un grand nombre d'entre eux est en danger.  L'état utilise la censure, bannissant des livres, arrêtant des auteurs.

Ceci a un rapport avec ma poésie. Je veux intégrer ces faits à mes poèmes, de façon poétique. Le traumatisme colonial, le conflit politique, l'extrémisme, l'omniprésente exploitation de mon peuple, les enjeux globaux des structures de pouvoir, tout ce qui a lieu dans le monde et aux franges de celui-ci, je veux que tout ceci fasse partie de mes poèmes. Je veux révéler ce qui est caché sous la surface. Je veux décoder les significations pour les encoder dans des sens différents. Ainsi, mes poèmes ne sont pas un blog politique, je suis à la fois politique et apolitique. Je mène la vie de la petite bourgeoisie, mais je rêve qu'un jour le prolétariat s'unira et me chassera de ma zone de confort. Ils mettront le feu au bureau sur lequel j'écris. Je veux voir si mes mots survivront à ce feu ou deviendront des cendres. Tous mes poèmes sont des prières trompeuses – la spiritualité d'un non-croyant.

 

L'une de tes façons d'être engagé dans la vie politique et littéraire de ton pays est ton activité de rédacteur en chef – peux-tu nous parler de ces activités et de la scène littéraire au Bangladesh?

Depuis 16 ans, nous publions un petit magazine nommé Shirdanra (colonne vertébrale). Je suis l'un des co-fondateurs de cette revue. Nous la dirigeons collectivement. Ahmed Nakib et Laku Rashman sont mes coéditeurs. L'un est un poète prolifique et l'autre un cinéaste. Nous avons aussi un éditeur qui travaille dans le même esprit : Ulukhar Publications. Notre ami Sagar Nil Knan, propriétaire de cette maison d'éditions, publie des auteurs marginaux, qui n'écrivent que dans de petites revues et ignorent la tentation de devenir des écrivains connus sur la scène littéraire grand public. Pour autant que je sache, Ulukhar est la seule maison d'édition du pays qui agisse ainsi pour les auteurs marginaux, en courant le risque de pertes financières.

Franchement, je ne suis pas satisfait de ce que nous avons fait jusqu'à présent avec ce magazine. Au Bangladesh, l'intérêt pour la littérature dans la société n'est pas très significatif. Je citerais Hanif Qureshi : "Autrefois, il y avait de la culture, maintenant, il y a les achats." Sans doute est-ce un jugement un peu exagéré pour mon pays où tant d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Mais l'influence de la société consumériste est très présente. Nous avons échoué à pourvoir le plus grand nombre avec une éducation correcte. Et ils n'ont rien à faire de la poésie. Les autres, les gens prétendument cultivés, ne veulent plus penser. Ils veulent des distractions bas de gamme, qui ne requièrent pas de réflexion. Ils ont la télé et Facebook pour se distraire. Dans le même temps, les gens se tournent de plus en plus vers la religion depuis les attentats du 9/11 aux USA. Il y a un mélange bizarre d'économie émergente dans le cadre culturel d'un  marché ouvert envahissant.

La littérature grand public aussi est influencée par ces faits. De plus, elle est contrôlée par les maisons d'édition populistes du Bangladesh. Ainsi, la littérature grand public sert les buts du marché. ShirdaNra voulait être une plateforme alternative pour de jeunes écrivains. Nous espérions qu'ils provoqueraient une arrivée de colère explosive avec des pensées neuves et de l’énergie pour la société. Pas seulement par le contenu, nous espérions que les jeunes poètes surgiraient aussi avec des formes d’avant-garde. Comme notre but n’est pas de servir le marché, mais plutôt de créer une voix critique capable de défier l’establishment, nous sommes d’une certaine façon marginalisés sur la scène littéraire. Toutefois, nous ne sommes pas encore déçus. En tant qu’éditeur, je veux que mon magazine demeure la plateforme alternative pour des écrivains potentiels.

 

 

Si tu devais définir la poésie en quelques mots, que dirais-tu ?

Pour moi, la poésie est l’épanchement d’une âme blessée qui saigne. L’âme est blessée parce qu’on lui a interdit de se développer pour elle. La poésie est un désir de beauté cosmique. Mais le monde a dressé de nombreux murs devant nos yeux pour nous empêcher de le voir dans tout son éclat. Notre âme essaie de les pousser sans cesse – et se blesse. Sans la lumière de la beauté cosmique, elle demeure incomplète. Elle pleure. Ces pleurs de l’âme, nous les appelons poésie.

D’un autre côté, la poésie est aussi pour moi un miroir magique. Quand je me tiens devant, j’y vois un être préhistorique, un tueur rusé qui se ment à lui-même. C’est le moi qui a perdu la capacité d’aimer, même soi. De l’autre côté du miroir, niant la chaleur du mercure qui brûle, la beauté attend de m’embrasser. Atteindre ses bras est mon but ultime. Mais le miroir est si magique qu’il ne me laissera jamais le traverser. La poésie n’est pas la beauté elle-même ; elle est promesse de la beauté jamais rencontrée.

 

Voici le questionnaire Contre le Simulacre - Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain :

1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)

Je vous rejoins jusqu'à un certain point. Tout est politique. La poésie est l'essence de ce "tout". Ainsi elle ne peut être que politique. Le nier serait inhumain. Mais l'important est de savoir quelle politique on défend. La poésie peut aussi être un instrument d'exploitation. Elle peut être utilisée contre l'homme et la nature, comme d'autres formes d'art, le cinéma par exemple.

En lien avec ceci et la méta-poétique révolutionnaire, j'aimerais pouvoir te lire mon dernier livre, paru en février. La traduction anglaise de ce long poème est "L'Emergence du Camp de la Mort". Le fond est très politique. Il traite de l'inhumanité qui envahit le monde et mon pays. Mais en même temps, c'est un projet ambitieux sur le plan de la forme également. Il défie la forme traditionnelle de la poésie. Non, il n'est pas expérimental. Il est plus que cela.  Commençant  par une interprétation traditionnelle des muses, il se met à délirer. Il utilise le discours racoleur d'un vendeur de rues, des études de cas tirés d'un projet de recherche, des dialogues de cinéma, des collages et des montages, bribes de romans, pointillisme pictural etc. Hélas, le poème n'est pas traduisible ; il fourmille de références locales qui perdraient leur force dans la traduction. C'est le sort de mes nombreux poèmes.

 

2)    « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?

C'est naturel – c'est ce qui est beau dans la nature. C'est ainsi que la nature maintient son équilibre. Mais de nos jours, nous tentons d'être plus forts qu'elle. Rien n'est garanti entre les mains de l'homme. Nous sommes des dangers en croissance qui bloquent tous les moyens de guérir. La poésie est le seul remède qui reste au monde. Et elle est en grand danger maintenant, elle aussi. Peu lisent la poésie de nos jours. Autant que je sache, Recours au Poème a dû cesser son activité d'éditions. Je n'en connais pas la raison précise, mais je peux imaginer que le manque de lecteurs est l'une des principales raisons. Dans mon pays, réputé comme très cultivé et poétique, les livres de poésie les plus vendus sont tirés à 500 exemplaires. Oui, cinq cents, dans un pays de 160 millions d'habitants.

Ainsi, je doute fort que l'optimisme prophétique d'Hölderlin soit encore à l'ordre du jour. Le seul remède que je vois aujourd'hui est la destruction. La complète destruction de la prétendue civilisation humaine et l'émergence d'une nouvelle civilisation, si nous en avons encore le désir.

 

3)    « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?

J'aimerais pouvoir le dire pour moi-même. Comme déclaration, c'est tellement puissant que seul un génie poétique comme Baudelaire peut le dire. Laisse-moi citer l'un de nos poètes ( Sukanta Bhattachariya, mort en 1947, seulement âgé de 21 ans). Il a dit : "O, poésie, je t'abandonne maintenant ; dans le royaume de la faim, le monde est prosaïque : même la pleine lune ressemble à un rooti grillé" (pain rond traditionnel).

Je peux vivre trois jours sans pain, bien sûr, si je peux avoir du riz à la place. Ah, ah, ah ! Mais je peux survivre aussi bien des jours sans poésie. En tant que forme artistique, je suis plus intéressé par le cinéma que par la poésie. Malheureusement, je ne peux pas faire de films. Je peux seulement écrire de la poésie, de la poésie imparfaite, plus précisément, comme je te le disais plus tôt. Je peux m'arrêter n'importe quand d'écrire de la poésie et me lancer dans le commerce d'esclaves, comme Rimbaud, le premier visionnaire. Au marché des esclaves, ma première affaire serait de me vendre moi-même. Mais si je pense à moi-même, c'est ce que je fais chaque jour. Me vendre sous une forme différente, c'est le mot qui signifie maintenir une famille, avoir la paix en société, essayer d'être un bon citoyen et un consommateur privilégié du marché mondialisé où vous avez toujours "deux pour le prix d'un".

A la fin, c'est toujours la poésie qui me rappelle que je suis encore un être humain, et qu'une chose reste à vendre. C'est mon âme blessée qui me pousse à écrire de la poésie, ou lire au milieu de la nuit, après avoir regardé les débats télévisés de politique, les débats académiques sur le génocide et l'immigration illégale, sur les chaînes télévisées, et la pornographie sur internet. Pendant longtemps,  la vie a été enchaînée, partielle et déformée. Je ne suis pas certain que la poésie ait tant de pertinence ici.

Mais je suis tout à fait d'accord avec la fin de la déclaration, quand Baudelaire écrit "ils ne savent pas, ils ne se connaissent pas. Je suis l'un d'entre eux." Et j'adore Baudelaire.

 

 

4)    Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (...) A l'école de la poésie, on n'apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?

J'ai étudié la littérature anglaise. Mais  je n'ai rien appris sur la poésie grâce à mes professeurs et à l'institution, sinon un sorte de jargon. Je n'y retournerais pas. Je préférerais me battre plutôt que de faire des devoirs. Je veux apprendre de la vie. Et la vie est pleine de chaos. Avoir un instinct de lutteur peut y être utile. L'histoire de la poésie est une histoire de révolte. Si vous êtes un bon élève docile à l'école de la poésie, alors, vous avortez la terrible naissance d'un nouveau poème ;  dans ce cas, vous ne faites que répéter vos grand-parents-poètes.

 

5)    Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ?  En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

Les poètes ne m'intéressent pas particulièrement. Je ne les trouve pas différents des autres hommes. Dans ce cas, j'aimerais répéter M. Heidegger un peu différemment : "L'homme, pour quoi faire?" Toutefois, j'aimerais creuser la question "La poésie, pour quoi faire?" Dans le monde ordinaire, la poésie a un rôle. Le premier rôle de la poésie est le sabotage. Saboter le code établi du monde, le langage fixé qui forme et gouverne notre conscient et notre subconscient. Le role de la poésie est donc l'anarchie ; douter de tout ce que la civilisation veut nous enseigner. Alors, un espace pour une vraie créativité émergera et la pésie sera de nouveau capable de chanter pour les muses. Le sens général de la vie est quelque peu stagnant de nos jours. Nous nous répétons et nous imitons. La poésie peut révéler la vérité profonde de la vie et nous informer que ce n'est pas du tout "notre" vie.  Nous vivons d'autres vies que les nôtres. Dans les dysfonctionnements de la grande philosophie qui inclut les religions, la poésie reste seule pour nous parler de la vie dont nous voulions jouir, et que nous n'aurons jamais tant que nous vivrons.

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* http://www.pierremartial.com/Bangladesh-le-pays-ou-editeurs-ecrivains-et-lecteurs-defendent-les-livres-jusqu-a-la-mort_a238.html

**(les Bauls sont  un groupe de ménestrels bengalis mystiques qui couvre l'état indien du Bengale de l'Ouest et le Bangladesh. Les Bauls sont à la fois une secte religieuse syncrétique et une tradition musicale. C'est un groupe hétérogène, comprenant de nombreuses sectes,  mais ses membres sont principalement des hindous Vaishnava et des soufis musulmans.)

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Shuhrid Shahidullah (né en 1975 en Kushtie, Bangladesh) est l'une des voix les plus originales et les plus puissantes de la scène poétique bengali de ce nouveau millénaire. Il a déjà publié cinq  recueils, dont le premier, Autobiographie du Dieu, publié en Inde en 2001. Ses écrits et poèmes font partie de son engagement contre l'establishment littéraire et culturel  Shirdanra........ (Epine Dorsale), petite revue coéditée par lui, est devenue une plateforme influente pour les jeunes poètes d'avant-garde au Bangladesh. Il traduit et publie régulièrement des textes de la littérature mondiale, dont un dossier spécial sur les poètes roumains des années 90, ainsi que d'autres poètes européens contemporains. Sa principale traduction en Bengali inclut les Lettres à un Jeune Poète de Rainer Maria Rilke. Il travaille actuellement à son premier roman, traduit La Maison en Lames de Rasoir de Linda Maria Baros et prépare, avec la poète Marilyne Bertoncini, une anthologie bilingue de ses poèmes (français-anglais) à paraître. Invité au Festival International de Poésie à Paris en 2014, il a présenté ses poèmes, publiés dans La Traductière.

Titulaire d'une maîtrise en littérature anglaise de l'université de Calcutta, il travaille dans les bureaux bangladais du NETZ, organisation basée en Allemagne, chargée de l'amélioration du niveau de vie, de l'éducation et des droits civiques des plus démunis au Bangladesh.

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This interview with Bengali poet Shuhrid Shahidullah, from Bangladesh, had been scheduled a long time ago, but the recent news – violence and intimidation against publishers and writers even  at the Book Fair in Elkushey, Bangladesh, gives this testimony and analysis of the cultural situation in this country a peculiar echo – we are glad to share it with our readers.

 

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Shuhrid, thank you for accepting this interview for Recours au Poème. I wrote a few questions for you, and realized that you could wish to answer the questions we proposed to other French poets for our inquiry intitled "Against Simulacrum" – here are both mine questions for you, and the inquiry (broad characters) Feel free to answer to the questions you prefer, the way you want.

You already published a few years ago on these pages, and our readers will surely have been surprised at your poetry, which  is very different from the usual idea of what poetry should be : no lyrics, no brilliant images, but a deep political concern for the world and your country and fellowmen : can you tell a few words about your country's story and political situation, and their link to your poetry?

Shuhrid: I am an imperfect poet in an imperfect world. My country, Bangladesh is a part of this world. It is labelled as one of the third world countries and located in South Asia. In South Asia, historically we had a society where acquiring knowledge/wisdom was strongly encouraged compared to trading or other professions. The society was also peace-loving and simple living.  It has been an agro-based economy. We did not invade any country anytime. But we had been invaded times and again by different foreign powers including, Mughals, and of course by the Europeans (Dutch, French, Britishers.  Eouropeans came here to try their luck in trade. Later on, they used their brain with money and brutality to be the ruler of the region. British ruled us for two hundred years from 1757 to 1947. They had successsfully destroyed our education system and kindly offered us an education system to produce clercs to serve the Queen’s kingdom.     

As a separate country, Bangladesh gained its independance in 1971 from Pakistan after a bloody liberation war. It cost 3 million lives of Bangladeshi people. In term of largest genocide in a given time, this has been the second largest genocide after the second world war. Before that we have been arguably the first nation to sacrfice blood to uphold the honour of our mother tongue Bengali, we say Bangla. That very day 21st February has been given the status of International Mother Languge Day by the United Nations.

So you can see, although we were a peace-loving nation, we had to suffer lot of political turmoil. History of my country has been glorious and frustrating at the same time. After independence, most of the time, we had been ruled by the military juntas supported by the big power houses of the world. Since 1990s, we have a so called democratic government with a short break in 2007-8 when a military backed non-elected government was in power. But the ruling class in the country are the flag bearers of the foreign game makers. We said ‚bye‘ to colonialism in 1957 but we still  bear that history in our blood. In the name of humanitarian and development aid,  colonialism has a strong presence in the country. Only 64% of the people can write their name and by dint of that we claimed that we have 64% literate population. For its strategic geo-political position, Bangladesh is in master plan of the super powers. So we are often impacted by the global politics.

As an economy, there is an ever increasing gap between haves and have-nots. Exploitation is pervasive across the society. It denies my people to achieve the full quality of human being.

But the beauty of the nation is that it does not complain that much. The influence of sufism and Baulism ( The Baul are a group of mystic minstrels from Bengal which includes Indian State of West Bengal and the country of Bangladesh. Bauls constitute both a syncretic religious sect and a musical tradition. Bauls are a very heterogeneous group, with many sects, but their membership mainly consists of Vaishnava Hindus and Sufi Muslims.) This makes my people indifferent to the worldly life. They have been more spiritual than religious. But the recent development of religious fundamentalism has left its marks on it also. Last few years, numbers of writers were killed; scores are in threat. State has also been restrictive; banning number of books, arresting writers.

It is all related to my poetry. I want to internalize them in my poems in poetic way.  The colonial trauma, political conflict, extremity, pervasive exploitation of my people, the global game of power structures, everything that is taking place in the world and outer side of the world, I want their share in my poems. I want to get them from their deeper surface. I want to decode their meaning only to encode them into different meaning. So, my poems are not a political blog. I am political and apolitical at the same time. I lead the  life of a middle class but I dream someday proletariats will come together and kick me out from my comfort zone. They will set fire on my writing table. I want to see whether my words survive in that fire or turn into ashes. My poems are all disguised, self-deceiving prayers; spirituality of a non-believer. .       

 

One of the ways in which you are concerned in your country's litteraty and political life is your implication as an editor – can you tell us more about your activities and the litteraty scene  in Bengladesh?

Shuhrid:  These last 16 years, we have been publishing a little magazine called Shirdanra (Backbone). I am one of the founding editors of the magazine. We run it as a teamwork. Now Ahmed Nakib and Laku Rashman are my co-editors. Both of them are prolific poet and film maker respectively. We have also a like-minded publisher here; Ulukhar Publications. Our friend Sagar Nil Khan, the owner of the publishing house publishes books from the off-beat writers only who write only in little magazine and ignore all temptations to be a writer in the so called mainstream literary scene.So far I know Ulukhar is the only publishing house in the country who are doing this for the off-beat writer; taking risk of financial loss.

Frankly speaking, I am not satisfied what we have done so far with the magazine. In Bangladesh, stake of literature in the society is not that significant now. Let me quote Hanif Qureshi: once there was culture now there is shopping.This will be a little bit exagerated for my country though, with huge number of people under poverty line. But the influence of a consumerist society is very much present there. We failed to provide proper education to the larger number of people. So they do not bother about poetry. The rest, the so called educated people do not want to think any more. They need cheap entertainment which does not require thinking. They have television and facebooking for their entertainment. People are getting themselves more into religion at the same time after 9/11 phenomenon in USA. A strange combination of an emerging economy in the time of  pervasive open-market culture.

Mainstream literature is also influenced by that. Additionally, it is controlled by the populist media houses in Bangladesh. So the mainstream literature is serving the purpose of the market.

ShirdaNra wanted to be an alternative platform for the young writer. We expected them to be angry and explosive coming up with fresh thoughts and energy for the society. Not only content wise , our expectation is that young poets will also come up with avante-garde form also. As our purpose is not to serve the market rather creating  critical voice who will challenge the establishment, we are somehow, marginalised on the literary scene. However, we are not frustrated yet. As an editor, I can see my magazine will remain the alternative platform for the potential writers. 

 

If you had to give a definition of poetry, in few words, what would it be?

Shuhrid: Poetry, to me, is the bleeding expressions of a wounded soul. The soul is wounded because it has been denied to be completed itself. Poetry is a thrust for the cosmic beauty. But the world has set lot of walls before our eyes to stop us to see it in full bloom. Our souls try to it push it again and again and got wounded. Without the light of the cosmic beauty it remains incomplete. It cries. We name the tears of the soul as poetry.

On the other hand, poetry to me is also a magic mirror. When I stand before it I can see a pre-historical shrewed and self-deceivng killer being. That’s me who has lost power to love even himself. Other end of the mirror, denying the heat of the burning mercury, beauty waits to embrace me. To reach in her arms is my ultimate goal. But the mirror is so magical it will never allow me to  pass through it. Poetry is not the beauty herself; she is the promise of the beauty never met.

 

1) Recours au Poème defends the idea that poetry is at the same time a political action and a revolutionnary metapoetics – waht do you think of this position (and you can be in complete opposition to this idea)

Shuhrid: I support your position to some extent. Everything is political. Poetry is the essence of that `everthing`. So it has no other way but to be political. Denying this fact is inhumane. But the important question is which politics are you defending. Poetry can be used as an exploitive tools also. It can be used against man kind and nature like other form of arts i.e. example films.

In relation to this and to revolutionnary metapoetics, I wish I could read you my latest book came this February. The English translation of the long poem is „The Emerging Deathcamp“. Content wise it is very much political. It deals with the theme of the current pervasive inhumanity world wide and my country. But at the same time it is an ambitious project of the poetic form itself. It has challenges the traditional form of poetry. No, it is not experimental. It is more than that. It has started with an traditional rendition of muse but after that it went mad. It has used canvassing of a street hawker (seller), case studies of research project, cinema’s dialogue and collage and montage, parts of novels, pointilism of paintaings and so on. Unfortunately, the poem is untranslatable; it is full of local reference which will lose its strength in translation. It happened to translations of my many poems.

 

2)    "Where danger grows, there also grows what heals" says Hölderlin – Do you think it is still topical?

Shuhrid: That is natural-- beauty of the nature. That’s how nature keeps it balance. But nowadays we are trying to outsmart nature. Nothing is secured in the hands of man. We are increasing dangers and preventing all the paths of healing. Poetry is the only healing system left in the world now. That is also in great  danger as people say. Few read poetry nowadays. So far as  I know,  Recours au Poeme had to stop its e-book project. I am not sure of the exact reason but I can guess absence of readers is one of the major reasons. In my country, known as very cultural and poetic, the best selling poetry books is printed only in 500. Yes five hundreds in the country of 160 million of people.

So I strongly doubt that the prophetic optimism of Holderlin is still topical. The only healing I can see now is destruction. Complete destruction of the so called human civilisation and an emergence of a new civilisation if we have still thirst for that.

 

3) Baudelaire wrote : "You can live without bread for three days – note without poetry ; those among you who pretend the contrary are wrong : they don't know themselves."Do you consider poetry the way Baudelaire did?

Shuhrid: I wish I could say that for myself. As a statement it is too strong that only a poetic god like Baudelaire can utter it. Let me quote from one of the poets from my language (Sukanta Bhattachariya; who died in 1947 at 21 only). He said, Oh poetry, I am sending you on leave now in the realm of the hunger, the world is prosaic; even the fullmoon looks like a grilled rooti (local round bread). 

I can live without bread for three days, of course, if I get rice istead. Ha ha ha. But I can survive so many days without poetry. As an art form, I am more interested in film than poetry. Unfortunately, I cannot make films. I can only write poetry, imperfect poetry, to be more specific. Any day I can stop writing poetry and go for slave business like Rimbaud, the first visionary. In the slave market, my first business could be to sell myself. But when I look back on myself, that is what I am doing every day. Selling myself in different form in the name of maintaining a family, having peace in the society, trying to be a good citizen and a benefitted consumer of a global market where you always  ‚buy one get one free‘.

At the end of everything this is again poetry that reminds me that I am still a human being and one thing is still left to sell.That is my wounded soul which instructs me to write poetry or read it in the middle of the night after watching political talk shows, academic debate on genocide and illegal migration on television channel and pornography on the internet channel. For many days, life has been channelised, partial and deformed. I am not sure if poetry has that much relevance to it.

But I completely agree with the last part of the statement when Baudelaire says: they don;t know themselve. I am one of ‚them.‘ And I love Baudelaire.

 

4)    In one of his songs, Leo Ferré says " contemporary poetry doesn't sing any more, it crawls (...) At the school of poetry, one doesn't learn, BUT FIGHT". What about you?

Shuhrid: I was a student of English literature. But thanks to my teachers and institutions I learnt nothing about poetry there, other than some jargon. I will never go there again. If I would have to go back to school, I would love to fight instead of preparing my assignments. I want to learn from life. And life is full of chaos. Having a fighting instinct can be helpful there. History of poetry is a history of revolt. If you are a good and obidient student of the school of poetry, then you stop or abort the terrible birth of a new poem; you mere repeat your grand—poets or parents in that case.

 

5) And in the end, could you answer the  question : "Poets, what for? "(Heidegger) - on the same line as this sentence from Bernanos "Poetry, what for?"

Shuhrid: I am not that much interested about poets. I don’t see them different from other people. In that case, I would love to repeat Mr. Heideggeer in different way, „man, what for?“. However, I am very much eager to go deeper in to the question „Poetry, what for?“. In the current world, poetry has a role. The prime role of peotry is to sabotage. Sabotage the  set code of the world, the set language that shape and governor our consciousness and subconsciuosness. The role of poetry is thus anarchic; disbeliveing everything that civilisation want to preach us. Then a space for real creativity will emerge and poetry will be able to sing for the muse gain. The comprehensive meaning of life is somehow stagnated now. We are repeating and imitating ourselves. Poetry can reveal the real truth about life to inform us that this is not ‚our‘ life at all. We are living the life of others. In the dysfunctionality of grand philosophy including religions, poetry is left alone to tell us about that life we wanted to enjoy but never get them in life-time. 

 

*

 

 

 

Shuhrid Shahidullah (born in 1975 in Kushtia, Bangladesh) is one of the freshest and most powerful voices in Bengali poetry scene in the new millennium. He has published five collections of poems until now. His first collection of poems (Autobiography of the God) was published from India in 2001. His poems and other writings are part of his ‘movement’ against the literary and cultural establishments.  Shirdanra ( Backbone), a little magazine co-edited by him has become an influential platform for the young and avant-garde writers in Bangladesh. He also translates regularly from the works of the world literature. Lately, he translated and published a special dossier on ‘90s generation of Romanian poets along with other European contemporary poets. His major translation in bengali includs Letters to A Young Poet by Rainer Maria Rilke. Currently, he is working on his first novel and translating The House Made of Razor Blades by Linda Maria Baros. He is also working now with french poet Marilyne Bertoncini for his upcoming bilingual (english, french) anthology. He was invited to present his poems in Paris International poetry festival in 2014. La Traductere, the official publication of the festival published his poems in that occasion.

Shuhrid has a Master degree in English Litterature from University of Calcutta, India. Currently he is working in Bangladesh office of NETZ, a Germany based development organisation, to facilitate livelihood, education and human rights support for the extremely poor households in Bangladesh.

 




Quantique de l’insoumise, 3/7

 

MIGRATIONS


Froissements au chemin
des premières feuilles d’automne

Nous avancions
l’étoile serrée en cœur de poing

La terre tremblait
de ne pas être femme

 

----------------------

 

Assises sur la grève
nous entendîmes s’armer

Lisières arrachées
au printemps des montagnes

Les présages suspendus
des octaves du fleuve

 

---------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Chassé la glaise
et l’eau verte des brumes

Vidé les heures
bu aux cendres volées des berges froides

Nos mains jointes brûlaient
de l’œuvre du cri des lunes 

 

-----------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Dans les soirs escarpés
de nos chants d’espérance

Par les haut-plateaux
sous l’ombre des grands cierges

Nous accédions aux soleils
des hivers blancs du foehn

 

---------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Arrimé aux épaves
l’ancre voilée des courants

Fendu les contours
des processions de nos rêves

La nuit cassée riait
de nos hanches étouffées sous les feuilles

 

------------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Une espiègle tristesse
marellait nos sourires

Versant aux épis
dévastés de la houle

Nos larmes répondaient
à l’insolence du hêtre

 

---------------------


 

Alors que sombraient
les pavés froids
de la ville

Miroirs enlisés
dans le visage
des foules

Inertie que scellait
l'approche
de l’hiver

Dans un mirage
d’eau claire
on cria

Terre
 

°°°°°°°°°°°°°

 

HIVER


Ruisseaux effacés
chênes enclos de l’automne

Écorces griffées
en fines plumes de forêt

Larmes concédées
à l’arbitrage du givre

Sur ce tapis de silence
la neige attend son heure

 

--------------------

 

 

Nous étions cendre
nous étions sève

Nous étions louves
au confluent de la meute

Charmilles feutrées
verrières étourdies de blancheur

Nous sacrifiions nos empreintes
aux préfaces nacrées des sous-bois


--------------------

Nous les avons suivis
nous avons appelé leurs noms

Désensablé leurs fontaines
taries de s’être égarées

Étreint de nos voix
leurs langages glacés

Nos manteaux entravaient
l’affleurement de leurs peines

Ils ne nous ont pas reconnues


----------------------

 

Était-ce l’encre
était-ce la source 

Était-ce le bleu
de l’esquisse des morts

Nous affrontions seules
le jugement de la pierre

Branches lancées nues
aux sentences des brouillards 


----------------------

 

Sur les plis de la trace
nous arrêtions la marche

Nos doigts gourds hésitaient
dans les restes de fins de jour

Arqués vers l’ombre des branches
enterrées sous l’hiver

Nous allumions notre feu

 

---------------------


J’assemblais pour elles
des bracelets de glace

La nuit de nos yeux lourds
ambrait l’anneau des saisons

Nous fuyions dans le vent des braises
lianes diaprées sous ce destin de lumière

Et repartions au matin
l’âme vêtue de nos charmes de verre

Avant que l’hiver ne fonde


----------------------


Qu’avez-vous su
de ces lunes
de ces fleuves

De ces forêts écrites
de ces torrents
qu’avez-vous entendu

Rien si ce n’est
la visite
de l'écho

Si ce n’est
l’éraflure
de  l’éclat

Rien

 





Dans la bouche du poète 2, Goethe, traduction Elie-Charles et Obéline Flamand

 

                                   Ginkgo biloba

 

                                               Dieses Baums Blatt, der von  Osten

                                               Meinem Garten anvertraut,

                                               Giebt geheimen Sinn zu kosten

                                               Wie’s den Wissenden erbaut.

 

                                               Ist es Ein lebendig Wesen,

                                               Das sich in sich selbst getrennt,

                                               Sind es zwei, die sich erlesen,

                                               Dass man sie als Eines kennt.

 

                                               Solche Frage zu erwiedern

                                               Fand ich wohl den rechten Sinn,

                                               Fühlst du nicht an meinen Liedern

                                               Dass ich Eins und doppelt bin.

 

 

                                               Johann Wolfgang von Goethe

West-östlicher Divan   (Le poème est daté de 1815)

 

 

 

La feuille de cet arbre que l’Orient

A confié à mon jardin

Permet de savourer un sens secret

Fait pour instruire l’initié.

 

Est-ce un seul être vivant

Qui a scindé sa propre personne ?

Sont-ils deux qui se sont choisis

Si parfaitement qu’ils apparaissent comme Un ?

 

Pour satisfaire à une pareille question,

Je pense avoir trouvé le sens juste :

Ne perçois-tu pas au travers de mes chants

Que je suis Un et double à la fois ?

 

         Goethe

                                          Divan occidental-oriental, 1819

 

                           (traduction  Elie-Charles et Obéline Flamand)

 

 

     Le  Ginkgo biloba est ce grand arbre magnifique, décoratif, à feuilles bilobées, qui venait, au 18ème siècle, d’être importé d’Extrême-Orient où il était considéré comme sacré. Ce que Goethe ne pouvait pas savoir, c’est ce que l’on a découvert depuis : véritable « fossile vivant », il existait déjà à l’ère secondaire. On s’est aperçu qu’il est résistant aux explosions atomiques. Par ailleurs, un médicament très actif pour la circulation sanguine en est extrait.

     Goethe célèbre ici l’unité dans la dualité. Pénétré des doctrines hermétiques, il précise dans ses  conversations avec son ami Eckermann qu’il voulait donner à certaines de ses œuvres deux niveaux de lecture, l’un pour l’homme ordinaire, l’autre pour l’initié capable d’en saisir le sens supérieur. Il voyait aussi dans la dichotomie de la feuille de Ginkgo un symbole de ses intentions.

     Voir la photo du manuscrit très esthétique du poème de Goethe avec les deux feuilles de Ginkgo collées en herbier.

 




Quantique de l’insoumise, 2/7

 

CONVERGENCES


L’atlas de nos pas
chargeait le lit des marées

Rameaux envolés
par d’infinis contraires

J’ai vu leurs visages
dans la naissance de l’appel

 

---------------------------------------

 

Immuable cohorte
aux allures filées d’orient

Fondues dans l’altération
de nos sentiers baldaquins

Nous nous rassemblions
au large des grands estuaires

 

---------------------------------

 

Adossées le soir
à l’écharpe des steppes

Étoles teintes volantes
sous le regard des vêpres

Nous amendions le vide
dans le battement des récoltes

 

----------------------------------

 

Un merle sur la colline
siffla la fin de l’été

La mousson
dans ses vertiges de bruine

Chantait à main levée
la lente inflexion de l’exode

 

--------------------------------

 

Il glissait dans nos bouches
soulevait nos cheveux

Remous frémissant
à l’orbe de nos sens

On le vit cavalier
on le vit danse

On le vit murmure
au chevet de l’enfance

Le mouvement


_____________________

 

 

On attela la lumière
aux courroies des aînées

La poussière accueillait
nos dernières aquarelles

Levées en contre-jour
dans l’étirement des grands ciels

Nous étions prêtes

 

----------------------------

 

Quittez vos faibles soleils
vos lampes enrouées de tristesse
vos nus striés de naufrages
 

Cinglez l’oxyde du printemps
cinglez fort ses pollens
rien ne restera de ses larmes

Laissez aux sillons aux leurres
aux fièvres de l’entrevent
vos harnais alourdis de matière

Ajournez le bât des vagues
le givre des voiles éteindra seul
le ventre tiède des marées

Ne conservez en bout de corps
de l’écorce fumée des bois
qu’un copeau de lave blanche


MIGRATIONS


Froissements au chemin
des premières feuilles d’automne

Nous avancions
l’étoile serrée en cœur de poing

La terre tremblait
de ne pas être femme

 

_________________

 

Assises sur la grève
nous entendîmes s’armer

Lisières arrachées
au printemps des montagnes

Les présages suspendus
des octaves du fleuve

 

___________________

 

Nous avons remonté le fleuve

Chassé la glaise
et l’eau verte des brumes

Vidé les heures
bu aux cendres volées des berges froides

Nos mains jointes brûlaient
de l’œuvre du cri des lunes 

 

------------------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Dans les soirs escarpés
de nos chants d’espérance

Par les haut-plateaux
sous l’ombre des grands cierges

Nous accédions aux soleils
des hivers blancs du foehn

 

__________________

 

Nous avons remonté le fleuve

Arrimé aux épaves
l’ancre voilée des courants

Fendu les contours
des processions de nos rêves

La nuit cassée riait
de nos hanches étouffées sous les feuilles

 

-------------------------------

 

Nous avons remonté le fleuve

Une espiègle tristesse
marellait nos sourires

Versant aux épis
dévastés de la houle

Nos larmes répondaient
à l’insolence du hêtre

 

------------------------------

 

Alors que sombraient
les pavés froids
de la ville

Miroirs enlisés
dans le visage
des foules

Inertie que scellait
l'approche
de l’hiver

Dans un mirage
d’eau claire
on cria

Terre

 

 

 

 




ENTRE POESIE ET PHILOSOPHIE (4) Il faut apprendre à voir — sur Nietzsche.

 

 

         Dans Crépuscule des idoles, « Ce qui manque aux Allemands », 6è paragraphe, Nietzsche s'efforce à formuler un projet d'éducation à contre-courant de l'idéalisme grossier ordinaire : il faut apprendre à voir ! Il ne s'agira pas de se contenter de dresser un état des lieux de la situation éducative (qui est selon lui affligeante). Nietzsche revendique son « tempérament  positif », c'est-à-dire affirmatif et non réactif. La critique et la contestation peuvent avoir lieu ailleurs...,Nietzsche donnera une définition positive de l'éducation, à appréhender en trois temps : 1 – Il faut apprendre à voir. 2 – Il faut apprendre à penser. 3 – Il faut apprendre à parler et à écrire... De fait, l'ordre est à respecter, et le premier point est fondamental. Le caractère propositionnel, le projet est contenu dans le premier point, duquel le reste (les deux autres points) semble découler. C'est pourquoi, Nietzsche redevient, contre son affirmation initiale, accusateur sur le deuxième point (la pensée), fustigeant la balourdise allemande, et elliptique sur le troisième point (cf.le paragraphe 7). L'essentiel semble donc tenir dans l'éducation de la vision, et d'une manière plus large, dans l'éducation de la perception.

            L'objet du paragraphe : il faut apprendre à voir. Il faut cultiver la perception visuelle, dans le calme et la patience. Il faut donc commencer par installer les conditions de la perception, conditions qui sont éthiques (calme), voire spirituelles (patience) : une sorte d'exercice de la patience par lequel se cultive l'attention. Ce lien entre la patience et la perception visuelle suggère assurément une unité de la perception sensorielle et de la patience qui cultive l'attention (la vie de l'esprit?) ou sinon une unité, au moins un refus de leur dissociation arbitraire, un lien subtil. La perception nous rapporte au senti, au vécu, c'est-à-dire à la valeur de l'expérience. Il n'est ainsi d'expérience que d'accorder une place centrale à l'habitude qui, loin d'être une routine, est essentiellement une fidélité. La patience seule permet l'habitude, en tant qu'elle est d'abord accueil, bienveillance, ouverture véritable. Il s'agit de laisser venir les choses (à soi, au soi de la perception), c'est-à-dire de porter attention aux choses par l'instauration d'un rapport fidèle à elles. Ce qui commence par une suspension du jugement pour parler comme Descartes (une fois n'est pas coutume...). Suspendre le jugement, c'est d'abord s'abstenir de dire d'emblée « c'est vrai , c'est faux, c'est bien, c'est mal, c'est beau , c'est laid... », c'est-à-dire s'abstenir d' interposer un filtre entre la chose et la perception de cette chose. Les jugements de l'idéalisme (heuristique, moral, esthétique) corrompent la patience de la perception et limitent sa capacité d'accueil. Leur prétendu désintéressement objectif annule l'intensité du perçu, du senti, du vécu qui doit se construire patiemment en expérience. Nous verrons par ailleurs que la vertu de l'art réside précisément en son utilité, en ce qu'il n'est pas désintéressé... L'éducation artistique cultive cette capacité à percevoir. A cet égard, elle semble être le seul antidote à la froideur abstraite de l'idéalisme.

          Apprendre à voir, c'est apprendre à faire le tour du particulier, c'est-à-dire multiplier les points de vue sur l'objet, tenter de totaliser ces points de vue, ces perspectives et ainsi accepter d'embrasser la diversité du perçu, la diversité des sentiments... Ainsi on cultive la possibilité d'apporter toute la palette des nuances. L'acuité de la perception favorise l'acuité de l'intelligence, l'exalte même. Voilà pourquoi c'est par la perception qu'il faut commencer et voilà pourquoi son apprentissage est « l'école préparatoire élémentaire à la vie de l'esprit ». De fait, il s'agit simplement et profondément de prendre le temps de la considération de l'objet, ne considérer que cet objet, ne penser qu'à lui. L'intelligence est initiée par la vision, elle est d'abord vision (de la vision de l'objet sensible à la vision d'un objet plus abstrait). C'est exactement l'exercice qu'on appellera dans d'autres contextes concentration ou attention. Et le premier piège, c'est celui des sollicitations...Il faut apprendre à résister aux sollicitations, à désactiver la volonté de réaction immédiate aux sollicitations. La « critique » et la contestation spontanées sont souvent des réactions aux sollicitations, la manière réactive d'y répondre, en fait, une obéissance inconsciente aux instincts de consommation, de destruction, de polémique...Si selon Nietzsche tout est d'abord instinct, il faut réapprécier et commencer par cultiver les instincts qui « retiennent, isolent », les instincts laissés pour compte par la civilisation. La bonne injonction serait alors de « ne pas vouloir faire quelque chose », c'est-à-dire résister aux injonctions de l'activisme, aux prétentions illusoires de la volonté, à la spontanéité, au désir de faire valoir immédiatement son point de vue (qui n'est qu'un point de vue). Refuser d'être contraint à réagir, voilà selon Nietzsche en quoi pourrait consister l'attitude spirituelle.

        A première vue nous avons là une étrange définition de l'esprit. S'agit-il d'une définition négative ? Non, car si les instincts dominants dans la civilisation sont ceux de la contrainte à réagir (« On est contraint à réagir »), alors on a à faire à des instincts qui , précisément, génèrent une attitude réactive. L'exigence de réactivité, au nom de la spontanéité, crée la dépendance de l'animal humain envers ses instincts grégaires, ses instincts de polémique et d'appartenance. Nous tenons là un des symptômes de la dégénérescence de l'instinct. Il est devenu réactif, et il s'agit bien d'un problème du corps : « l'impuissance physiologique à ne pas réagir ». L'homme est malade en tant que ses instincts sont corrompus. Cette corruption, de nature physiologique, est du même coup la maladie de l'esprit dans la civilisation : l'homme contemporain ne peut plus se concentrer, il est devenu pauvre en attention. Il n'arrive donc plus à discerner avec finesse, ni à respecter la nécessaire durée de tout apprentissage. Voilà pourquoi si la patience a d'abord été entendue comme bienveillance, accueil, il faut, dans un second temps, afin d'éduquer la vue, cultiver la méfiance qui permettra le discernement, c'est-à-dire le jugement...C'est le paradoxe du « calme hostile ». Il est urgent, selon Nietzsche, d'apprendre la défiance à l'égard de la nouveauté, et notamment de ce que la civilisation présente comme nouveauté au consommateur insatiable. Nietzsche se positionne sur ce point dans une posture résolument anti-moderne en rejetant le culte de l'innovation à tout prix (qui culmine aujourd'hui dans le fétichisme du « progrès »  en l'associant spontanément aux technologies toujours nouvelles...les modes qui défilent sans répit, et le nouveau culte du recyclage qui résulte lui-même de ces outrances). Nietzsche se montre visionnaire lorsqu'il décrit cette incapacité à se fixer caractéristique de l'homme moderne, et le changement incessant des nouveautés qu'on l'exhorte à consommer.

           Nietzsche semble décrire notre époque. On l'imagine consterné devant les pseudos-débats, les polémiques spontanées et violentes qu'on garde en mémoire le temps d'un « buzz » créé par un « tweet »! Et devant tout ce qui relève de la « communication », des rhétoriques du « management », et pire du « pédagogisme » creux et triomphant qui s'apprête à brûler tous les livres pour installer les « jeunes » devant leurs tablettes numériques, et qui cherche à recycler les enseignants, après les avoir édifiés avec force power points synthétiques et paraphrasés, en accompagnateurs de ces « apprenants » afin de les diriger dans leurs « recherches »  sur le dieu-moteur google. Car ce que Nietzsche appréhende c'est le nivellement automatique qui consiste à faire de n'importe quel fait un événement : « se prosterner obséquieusement devant chaque fait ». Ce positivisme, souvent utilitariste sinon vitaliste, consiste en une  vampirisation de l'altérité, une assimilation de l'autre au même, une neutralisation, une abolition de la différence : « le contraire de la distinction ». Il faut ici entendre le double-sens de « distinction », différence et raffinement, puisque ce fétichisme positiviste apporte le contraire d'une « culture raffinée ». Il ne devrait pas s'agir de ramener l'autre au même, mais présupposer plutôt que ce qu'on croit même est autre, en quoi consiste la patience bienveillante puis méfiante de l'apprentissage de la perception.          




Egypte, plus vivante que jamais

 

On savait déjà que Florence Quentin était passionnée par l’Egypte. Et ses deux derniers livres en portaient déjà foi : l’un qui suivait le parcours de la Déesse Isis, depuis le Haut Empire jusque chez nous, aujourd’hui  (son titre : Isis l’éternelle, Biographie d’un mythe féminin, chez Albin Michel), l’autre qu’elle avait dirigé, et qui rassemblait une myriade de signatures, chez Bouquins/Laffont, sous le titre générique de « Le Livre des Egyptes « , où il s’agissait de réconcilier l’imaginaire et le savoir que nous pouvons en avoir. Nous avons d’ailleurs rendu compte de chacun au moment voulu…

Mais voici que Florence Quentin s’explique enfin sur l’origine de cette passion - qui date de son enfance, lorsqu’elle fit un voyage en Haute et Basse terre avec sa mère et sa sœur, et qu’elle ressentit qu’elle avait enfin trouvé son vrai pays ! Des explications qui conditionnent tout son texte où, après une longue visite au plateau de Guizeh, et les considérations qui vont avec, elle nous entraine dans une promenade qui, à rebours de chez nous, nous fait aller du nord au sud, depuis le Fayoum jusqu’au temple de Philae.

Et d’abord le Fayoum : se rappelle-t-on seulement comme il fut une terre d’élection de ce qu’il est maintenant convenu de nommer le manichéisme - de nombreux hymnes, aujourd’hui décryptés, en portent l’éloquent témoignage ? Et l’île de Philae, avec son temple à Isis, de l’époque gréco-romaine, que l’on dut reconstruire après le barrage d’Assouan, et où la Déesse règne encore tellement que je me rappelle l’un de mes amis, amoureux fou, qui glissa quelques mots d’invocation  dans l’interstice de deux blocs de pierre, afin de s’attirer les faveurs et la bénédiction de cette « femme divine » ?

Long voyage qui fait toutes les haltes nécessaires -et donne toutes les « explications » dont nous pouvons avoir besoin - sur une mythologie qui atteignit à la quasi perfection, et qui n’a pas cessé de nous hanter… : qu’il soit question de Louqsor ou de Karnak, de Denderah ou des constructions de la reine Hatschepsout, nous sommes toujours informés de tout, et, surtout ! invités à réfléchir sur la façon dont le Sacré se manifeste…

Un livre intensément poétique, et où de très nombreuses citations des anciens textes égyptiens, ou bien tirés des Textes des Pyramides, viennent scander comme des haltes, dans un livre qui me paraît l’un des plus personnels - et parfaitement documentés - de l’auteur(e ?).




Au bas des ombres, une lueur veille… Sur la poésie de Didier Manyach

 

Au bas des ombres, une lueur veille… 

   Pourquoi un tel poète reste-t-il sur sa réserve d’ombre ? Pourquoi se présente-t-il comme habitant exilé de la morsure des villes ? Pourquoi est-il témoin d’hommes figés dans une vie qui ne leur apparait plus ? C’est que pour Didier Manyach écrire consiste à regarder le monde depuis l’abîme afin de dire l’agressivité des hommes et l’angoisse qu’ils suscitent, afin d’éviter les sourires calcinés, les corps fanés, les traces fantomatiques, puis chercher néanmoins dans cette désespérances les régions nomades de la mémoire. Ainsi Manyach cartographie un monde d’individus soumis, aveuglés et éperdus que son geste poétique inscrit entre lyrisme impétueux et révolte lucide, non pas en effusions personnelles et engagées, mais à contre-sens des habitudes, en contre-plongée du monde, donc paradoxalement en hauteur de ton et de vue :

Se rapprocher de l’abîme, de la putréfaction, du marasme
comme une conscience dévastée
enfermé dans le labyrinthe.
S’avancer les mains clouées aux linteaux de chaque porte
en piétinant la pourriture.
Accéder au chaos
pénétrer dans le calme, le déferlement lointain et régulier
des fleuves.
Offrir l’aurore engloutie devant des éclats de vitre
Être transfixé au sein des mille-voiles.
Apparaître dans le blanc d’une pensée
vécue au monde autre
se croiser d’un rêve et rendre à l’espace
la terre lunaire terminale.
S’échapper des mouroirs, monter dans la lumière
traverser les espèces
& vivre face au vide, face à l’Inconnu
qui va naître...
(extrait d'Impacts de Foudre)

   On comprend alors qu’Expérience Blockhaus ait accueilli en son antre sulfureuse le diamant noire du poète, cette écriture toute de déchirures, d’explosions, de chaos, de lignes de failles, d’instants fissurés et d’élans que l’on brise; la parole du poète due à un phrasé indivisible -chaque recueil étant l’écho d’un autre-  trouble la quiétude des lieux communs, il n’est pas de paix absolue avec Manyach, toute son œuvre au noir est onde de choc dont personne ne peut se garder. Et si pour la fraternelle cause poétique qu’est Expérience Blockhaus, la réalité oppresse, qui n’est plus que décomposition, craquements ne laissant guère refleurir des espoirs de chair sensible, abandonnant davantage des corps muets et pétrifiés dans les murs de leurs édifices, chez Manyach, s’écoule cependant un véritable sang d’encre arraché au crépuscule  -fût-il de blessure-  un sang qui finit toujours par rejaillir des interstices de la vie, sans doute afin d’être au rythme du monde avant d’appartenir aux mots. L’écriture épouse alors les palpitations vitales des arbres, les flux débordements des eaux, la poésie devient aussitôt “violente nuit de pluies”, non pas un nostalgique miroir avide d’illusions dans un voyage aux contours oniriques, mais des crues de géométries exotiques, désireuses de s’abreuver à la source du monde ; il faut également accepter de découvrir les glissements de terrains, les gouffres, les éparpillements, les ravins et avalanches, là où tout semble disparaitre dans l’émerveillement et le désordre du désastre naturel :

Un chemin délavé que mes yeux accompagnent dans la
solitude
aujourd’hui repris en sens inverse
et qui mène à l’Observatoire : ici j’étudie le chaos
les migrations, l’apparition de nouveaux climats...
C’est sur ce chemin de poussière que j’ai voulu disparaître
tout en haut il fallait se jeter dans le vide
& tout en bas il n’y avait que le néant
(extrait d'Impacts de Foudre)
 

 Reste cette civilisation portée en langue amère, qui blesse l’œil et l’aveugle alors même que l’écriture fuit la vague nausée de l’immobilisme et une nature trop contemplative, Didier Manyach préfère en ce sens entrer en communion avec la flamme du Commencement, de l’Infans, cette aube brûlée de nostalgie adulte ; le poète laisse ainsi apparaitre, au cœur de l’Obscur, la brûlure de la clairvoyance, délaissant aussi  les signes fallacieux d’une langue qui ne serait que rempart. Voilà donc Manyach tenu à pétrir la malléabilité des ombres, à cracher les mots qui apprennent le décillement du réel. Terrifié à l’idée de voir coaguler ses jours, le poète laisse son écriture déborder au rythme des saisons les plus violentes, en des poèmes bouleversants de puissance et de dissidence.  S’élançant, par intermittences, en cris vibrants puis danses primitives, les mots se trouvent délivrés de tout ornement, mots frémissants de vie, mots où circulent des formes aussi proches que lointaines, mots qui retiennent l’instant, mots nés de la terre et de ses éléments, des arbres aux « bras d’écorces et de cendres », mots majuscules qui résonnent des tréfonds de l’abîme en des constructions amples et infatigables ; sortes de rhizomes enfin qui s’enracinent dans le monde car le dedans de l’homme est au dehors. Sous la variation de la prose, la langue donne vie à des questions sans réponse et à des suspensions étirant le quotidien jusqu’à le faire claquer au vent d’allitérations et d’assonances incantatoires, de timbres inattendus, et cela dans un superbe battement de phrases.

    Didier Manyach compose certes un grand poème du désarroi existentiel et de la lutte artistique, mais l’on retient davantage encore « ses mots » qui ont le goût du vent filant, son écriture qui ouvre au respire des choses les plus sombres, sans jamais perdre de vue la trace sensible des visages croisés. Sa parole procède, ce faisant, par éclats de voix, orchestrant des silences puis de brusques et longs passages vers des territoires profonds. Et au cœur de cette marée tumultueuse surgissent, dans la fonte du réel, des lumières  convulsées, des figures déjà brouillées par la « vitesse noire » de l’écriture, des paysages dépeuplés au  grand rythme élémentaire, parfois troués obscures ou vertiges ravinés, à moins que le poète ne nous invite à passer à travers des forêts déchirées, tortueuses, recouvertes d’encre phosphorescente. Surgissent alors des noms frappés à même la forge qui, dans la pierre millénaire, ont scellé « l’éclair de l’Aigle » et « le galop de l’antilope noire » ; scandant ainsi l’obscure clarté du Verbe et rappelant l’immensité de provinces originelles. L’ailleurs est en effet un ici, l’extérieur est une intimité, tout chemin souterrain révèle l’ensoleillement des profondeurs perdues ; voici l’être lié à la marche du temps et seuls les climats donnent la sensation de se décliner comme des excroissances natives de la vie, s’arc-boutant au silence pour faire jaillir un chant primitif. C’est ainsi que le poète chante l’invisible, non pas la voie lactée mais le paysage du vent, léternité passagère, et le chemin sans fin, constellé de divers seuils, il balaye les larges rivages de la terre et interroge l’unité perdue et  l’arborescente beauté de l’être-monde :

 Nous naissons avec le soleil
Mais nous venons des étoiles
Des algues
Et du souffle
Qui ne tient qu’à un fil:
Celui que la lampe tisse
Dans la grammaire de nos veines
Avec le sang du verbe
Le vent
Qui fait trembler la flamme
Et le feu
Ou le silence
Des astres.
Alors toutes les pensées chavirent dans l’impensable
Puis dans l’écume ruisselle
Le matin du monde …

(extrait d'Onde Invisible, Piraterie, Migration et Merveille de Grâce)
 

    La langue tente sans cesse d’échapper au sol qui pourrait se dérober sous elle, s’engage dans une course afin d’attraper la vie au vol, chaque passage poétique est une hurlerie qui crépite de vie et de sa soudaine disparition. Didier Manyach saisit en ce sens le jaillissement intense d’une saison en enfer ou d’une illumination ; ses vers se traversent en cisailles, en fragments du monde, en « alphabets de cendre »: on y devine toujours l’appel de la mémoire lié au désir  d’enjamber le temps, d’aller vers une possible luminescence, vers cette lueur qui veille toujours…. Et pour être en partie perçue, cette clarté a besoin de s’unir à l’ombre, sans quoi l’espace alentour serait noyé par un flot de lumière.  

 L’olivier dans le champ de pierres sèches :
laves nouées, flammes autour des corps
crevasses, huile verte dégoulinante au long des branches
des troncs mutilés
ce feu pétrifié sur les écorces.
Recouverts de ce qui obscurément les hante, crucifiés
couchés, abattus, sans pouvoir se résigner
à s’écrouler tout à fait
une plaie au travers du flanc.
L’eau qu’ils n’ont jamais trouvée
les olives qu’ils ne produisent plus
cette obstination pourtant à durer...
Leurs mains sont bleues comme la nuit :
on dirait qu’ils se dressent
que la lumière de l’Été les transfigure
(extrait d’Impacts de Foudre)

    Il n’y a certes pas d’ombre sans lumière, et inversement. Par-là, l’ombre rend possible la vision du poète, elle fait renaitre des formes et laisse la vie s’y manifester, hâtivement. Mais la lumière doit rester lueur chez Manyach, un faisceau fragile qui n’hésite pas à s’engager dans l’obscurité du réel. Il ne s’agit donc pas d’une lumière qui éblouit, ni de lumière sacrée, ni de plein soleil, le poète privilégie les levers d’aubes pluvieuses ou les couchants apocalyptiques, c’est là que la vraie lumière est la plus énigmatique et la plus ambivalente. En effet, l’œil capture ainsi le paysage à travers une variété infinie de teintes, de nuances que le poète retranscrit en mots. Les changements perçus sont rendus visibles grâce aux rapports qui s’établissent entre apparition et disparition de la Vie, glissements, mutations et mouvements de va-et-vient. Ainsi, les premières lueurs du Poète font que l’Obscur de la nature se relève autant qu’il se délite, comme écarté par une conscience de l’évanescence des choses. Les branches sont alors nues, la terre prend la couleur des forêts et les arbres celles de la pluie. L’écriture devient mouvement de renaissance autant que de solitude et de désordre :

Je voudrais dire la Cité mythique après sept jours de
marche entre ciel et terre. Puis cette solitude dans
la brousse proche, il y a quelques années de cela, en
suivant les baobabs, comme des ponts de lumière, pen-
dant que les femmes revenaient en courant sur le sentier
boueux. Je voudrais dire le monde de l’Origine comme un
placenta enterré dans la forêt, là-bas ... à quelques mètres
de moi, comme un marigot sous l’orage.
(extrait de Sous les pluies des mangues)

     La lueur originelle et scripturale du poète révèle donc ce qui n’est pas immédiatement perceptible, une fois que toutes les illusions sont tombées, que l’esprit voit aussi clair que le monde qui le dépasse ; Manyach tente alors de retenir cette lumière singulière qu’est la Vie, ainsi que le sentiment de traverser certains jours plus pleinement que d’autres. Ces moments sont presque toujours associés à une tension, une lueur dans l’impermanence, ce que l’on nomme, à l’instar de Jaccottet, «  l’étincelle de vie ». L’espace du poème est donc le lieu où la parole accueille l’expérience du monde dans son mouvement perpétuel. En définitive, la poésie de Manyach parle du monde sans jamais l’expliquer, ce serait le figer et le nier, alors même que le poète lui donne raison dans son refus de répondre ; l’éveil passant aussi  par l’oubli des vies antérieures :

J’habite la déchirure des régions disparues
les drailles et les frontières
le fleuve tumultueux
les cendres encore tièdes...
La Vie reviendra t’elle ?
Je gis, au milieu du Temps, dans son devenir...
(extrait de  L'Ensoleillade. Piraterie, Migration et Merveille de Grâce)

Mais L’écriture, ombre parmi les ombres, permet de briller, de retenir des instants de vie immédiate, ces moments qui font craquer les contours du temps à la lueur d’une veilleuse, une lueur qui fait également trembler les apparences et montre à l’œil que toute chose vivante de ce monde n’est jamais circonscrite à sa limite visible, mais bien au contraire, qu’il y a toujours une part accordée à l'insaisissable. Manyach s’inscrit bel et bien dans la lignée, entre autres, de Bonnefoy, de Pierre-Albert Jourdan, dans ce désir éperdu de s’unir à la terre et à ce qui lui est au-delà ….. Cet insaisissable est un souffle qui permet ne pas arrêter sa course, de ne pas être sclérosé par de fausses assurances, de ne posséder aucune certitude, de savoir en bout de course que l’homme ne sait que peu de choses et que la terre en rien ne lui est due !

   Alors quoi de mieux que d’apprendre à apprivoiser l’étranger, l’inconnu, l’incertain ? Quoi de mieux que d’énumérer le grand foisonnement d’une vie enfouie sous les décombres de l’illusion ? Climats  Forêts…..Visages, Didier Manyach se sert du poème comme d’un grand journal de fragments, de voyages,  de notes de vies éparses, le poète y dépose en jets de liberté, comme dans un herbier vivace, un éclat de la splendeur du monde. Défilent sous nos yeux étonnés et ravis les plénitudes végétales, le passage des saisons, les traumatismes et crevasses de la terre, les ciels orageux aux nuages translucides, le précieux secret de toute une vie. L’érotisme vital de la nature est donc la seule religion reconnue ; courbures sensuelles, généreuses ou effrayantes, ces formes apprennent à mieux nous  déplacer afin de nous replacer humblement, dans le  chant et la saveur des mots poétiques. Manyach sait cependant s'émanciper de cette saveur, étymologiquement du savoir, de la rhétorique, il parvient à s’éloigner de la pesanteur des idées trop abstraites qui encombre le monde des vivants. Le poète lucide est aussi vaste que la marche du ciel, le voilà donc glaneur de beautés tremblantes, rassemblées au hasard de courants climatiques. En effet, Manyach dit le grand frisson de l’existence  autant qu’il conjure « le grand Tout » de l’éphémère. Le poète transmet des vertiges au lecteur qui, avec lui, parvient à voir l’Etrangeté dans chaque brin d’herbe et se contente de ces royaumes éphémères, de ces petites parcelles d’éternités, autres silences éventrés de beauté qu’il découvre dans le secret du geste poétique. En effet, l’écriture du poète porte toutes ces présences, embrassant tantôt des couleurs, tantôt des formes, comme si la terre n’avait plus besoin d’aspirer au ciel mais l’aspirait avec elle. Manyach parvient à mettre en relief l’émanation de la matière, la texture de la glace, la couleur des marécages, la frondaison des arbres, le parfum des saisons, l’approche de la pluie, le cycle des vents, la disparition ou course folle des animaux, le chant de la lumière et les derniers regards étoilés :

L’instant surgit
Sur un lit d’étoiles

Et de pierres plates..

Limpide origine perdue
Rendue au langage qui s’y incruste
Pour ouvrir la voie
Du vivant.

(extrait d’Onde invisible)

        On redécouvre enfin notre silhouette d’humain, simple trait dans la magnitude du paysage, là où  « le vent oblige le corps à se souvenir de la terre ». "Je ne cherche pas un paradis, mais une terre" écrivait Le Clézio et Didier Manaych lui emboite le pas, à moins qu’il ne le précède depuis toujours, pour affirmer en de véritables épopées de mots que « la vie terrestre est plus surprenante que n'importe quel rêve" (JML). A travers feuilles et pierres boueuses, les pas du poète sont des orages aigus, chaque enjambée rallie la pensée à la mousse, gangrène le trop-visible, desquame toute identité et pousse le voyageur à s’enfoncer au cœur de la sauvagerie et à laisser irrémédiablement son « empreinte dans le chaos ». Seule compte la voix d’une unité retrouvée, celle qui décline la rumeur des lichens, l’odeur des saisons, la présence des ombres ; vivant de cette source d'émerveillement autant que de vertige, le poète errant sait qu'il n’est qu’une forme parmi les autres, son écriture est en conséquence rendue attentive à la quantité des éléments qui le bouleversent. En somme,  « le monde » en lui-même est dans l'homme plus humain et bien  plus vivant que lui.

 J’étais roche d’étoile, poussière du grand-mouvement
non dissocié, absolument vide.
La lumière ruisselait...
Je fermais les yeux & la terre intérieure m’apparaissait.
J’étais eau et plante dans le fleuve et le sol
j’étais neige et soleil en fusion sur les cîmes
boue et sang, écume avant de naître…
(extrait d’
Impacts de foudre)

      Mais Ce monde serait-il d’une espèce autre ? N’est-il pas à la lisière de l’homme ? N’atteint-il  pas, par la poétique de Manyach, des strates bien antérieures ? L’enfance de la terre en quelque sorte, des époques de reptation et de faiblesses, des époques de proies dissimulées dans les sables autant que des périodes de beauté sauvage et mystérieuse comme « la vague qui s’élève derrière l’apparence, s’enroule puis ruisselle sur le sable » ?  Ou bien ce même monde « poétique » n’est-il qu’un parfum de cette forêt matricielle qui peine à le recracher de ses entrailles, syntagme prisonnier d’un texte à la luxuriance formidable? En fait, perdue dans les matrices originelles et liquides de cette nature indomptable, l’écriture-monde de Manyach relève de tous ces  espaces hétérogènes, riche de mille pièges de ronces, écorces et racines, que de temporalités en devenir. La lueur nait donc aussi de ce coin de magie fiché dans le temps qui préfigure une naissance, et à des rites qui marquent le cycle vrai des jours.

   Fouissant la terre, pour chercher dans ses entrailles, creusant le silence rageur du ciel, excavant sa mémoire pour y chercher la frontière entre nature et humanité, Manyach livre une écriture fougueuse,  unissant ses pas et son Verbe, expirant des phrases haletantes d’impatiences. L’auteur dit ainsi son identité plurielle, sa perception de l’épiderme des choses et sa pleine appartenance à un univers infini, espace qui parfois l’engloutit et finit par le recracher, mais espace où le regard se déploie comme une beauté arachnéenne ; branches inextricables dessinant des lignes labyrinthiques, sols jonchés de feuilles brouillant les possibles chemins, ciels bouffés par les cimes, rivières aux brumes fantastiques et couleurs obscures, la vision de Manyach finit par proposer un hors temps, une mémoire universelle en devenir; et voici l’arbre solitaire qui ouvre sur la trouée d’un œil-flaque, il faut le « receVoir » pour croire à tant de beautés….Et si on finit par ne plus savoir qui, du texte ou de l’image, a, le premier, surgi, envahi et façonné ce monde, c’est que telles sont les choses,  il faut prendre parti pour elles en portant sur chacune le regard stupéfait qui la recommence.

 Les journées sont de plus en plus longues. Dès que la lumière décline, les Formes se recomposent. Cela commence à l'intérieur de certaines parties du corps : l'Infiniment petit y résonne comme dans un sarcophage.
(extrait de Tous les points constituent la figure, partie II. Géométrie de la mort)

    La langue du poète s’épanouit alors entre ombre et lumière, Didier Manyach voit plus loin que le bout d'un monde qui sans cesse pourtant lui échappe. Entre le regard et les choses, entre les mots comme entre les pierres du torrent, le poète recueille des figures éparses du monde, les rendant un instant solidaires. De telle sorte que recouvert, effacé par l’afflux de mots, la vie finit par y renaître, surgissant de ce mouvement même qui d’abord l’a annulée et qui, maintenant lui offre cette vivacité, dont jusque-là elle paraissait privée. Ecrire ce serait avant tout cela : s’asseoir pour voir se lever le monde dans le jour du langage et offrir au lecteur une écoute attentive des bruits secrets de ce dernier, une langue capable d’évoquer l’écho du temps, la beauté secrète et tragique de chaque ombre et les lèvres écorchées par la vision des voyages.

Derrière chaque ligne, chaque ombre, chaque
visage, une lumière chimérique, infinie et fragile,
précède les voix errantes, blanchies qui vont se
perdre au milieu du galop des mirages 
puis se dissoudre sur les pals d'une terre sans mémoire

(extrait de Géométrie de la mort)

     Témoin d’une photographie déchirée du réel, le poète révèle, dans une langue brûlée d’images hallucinantes, une nuit qui angoisse autant qu’elle s’irise en lueurs libératrices, l’auteur dessine enfin l’homme qui rétrécit, celui qui retourne à sa place originelle, à l’ombre d’une herbe. Et c’est grâce à cette expérience poétique que Didier Manyach, arpenteur des ombres, sait reconnaitre l’étincelle qui fait d’un seul jour, une longue saison de migrations.

 




A propos du poète saoudien Ashraf Fayadh condamné à mort le 19 novembre

 

Le poète saoudien Ashraf Fayadh a été condamné à mort le 19 novembre par un tribunal de son pays pour "propagande athéiste et blasphème". Il aurait été entendu en train de maudire Allah et son Prophète par un témoin et certains de ses poèmes ont été considérés comme prônant l'athéisme.

La condamnation pour blasphème d'un poète dans l'exercice de la Poésie, quelle qu'en soit la forme et même quels qu'en soient les propos de contenu, a quelque chose de navrant et d'amèrement ironique, tant il semble évident que la Poésie, au contraire, est par excellence, sous toutes ses formes, le discours qui élève l'Homme vers Dieu, vers la transcendance de lui-même. Moins que tout autre, la tradition islamique, quelle qu'en soit la forme particulière, ne peut le méconnaitre. La dignité même de l'Arabie, semble devoir, plus que tout autre peut-être par son passé poétique, coranique et pré-islamique, reconnaitre cette proximité de la Poésie et de l'élan religieux. Le contenu (même voltairien ! ) de la poésie ne s'efface-t-il pas devant l'Intention Poétique, envisagée dans son essence vivante ?

Pour-ce, il faut demander Grâce pour le poète, avant même de demander une éventuelle Justice pour l'homme.

On sait que l'Injustice et la raison d'État ont leurs partitions liées.

Mais elles se dé-légitiment et se dé-transcendentalisent particulièrement, manifestement et aux yeux de tous, en s'attaquant à l'acte poétique, à celui qui le porte et à ceux qui le suivent.

Le même partage symptomatique entre cheminement d'élévation et cheminement d'abaissement s'observe, ici en France, entre ceux qui, par la musique, le rap et le slam, sont passés au fil des années, des paroles d'expectoration de la violence et de la haine à des paroles de quête du Mieux et de questionnement des profondeurs meilleures de l'Homme ... et ceux qui, devenant étrangers à toute poésie, s'engagent au contraire dans les voies douteuses et ténébreuses de la violence et du meurtre.

Nul doute que, ici, la poésie printanière et subventionnée, par des voix plus officiellement puissantes, demandera vigoureusement au gouvernement français de faire tout son possible pour sauver la vie (et la liberté, ce serait bien !) du poète. Mais chaque ami de la poésie pourrait, ce me semble, de son côté, et pour la Poésie même, le faire aussi, modestement.




Entre poésie et philosophie (3). La belle communauté, sans communautarisme… et sans chapelles

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

 

 

Nouvelle équipe de ré(d)action à Recours au Poème

 

 
Après le 13 novembre, dans les remous de l'actualité, Recours au Poème-revue de poésie, est toujours vivante, et plus que jamais vivante, comme le souhaitaient les fondateurs de la revue, Gwen Garnier-Duguy et Matthieu Baumier, comme le souhaite l'actuelle équipe, oeuvrant dans l'esprit qui est celui de la revue depuis ses débuts.
Recours au Poème est un espace de liberté et d'échange, où des sensibilités poétiques différentes peuvent s'exprimer, confronter leur lecture du réel. Les événements qui nous bouleversent ont des racines lointaines, ce que nous vivons semble exploser aujourd'hui – quand il s'agit, au fond, d'une explosion ancienne, comme celle d'une étoile dont nous parvient encore la lumière fossile. Le monde que nous croyons connaître, le réel que nous pensons toucher, ont déjà disparu quand nous nous en inquiétons – c'est à la lucidité du poète qu'il nous faut recourir pour nous parler du monde, imaginer son futur.
Espace de création, la revue souhaite tisser des liens entre poètes contemporains de tout pays, de toute culture, de toute religion, sans discrimination, car elle est depuis toujours un espace de résistance, que l'époque troublée que nous traversons rend plus que jamais nécessaire.
Il nous faudra des penseurs, des philosophes, des poètes-"lutteurs"- capables d'opposer la force de leur langue aux discours néfastes, à la méfiance, au découragement. Recours au Poème aura plus que jamais un rôle à jouer. Non pas tribune, nous ne sommes pas une revue politique dans le sens où on l'entend couramment, mais Agora. Grâce à la flexibilité que permet son existence en ligne, grâce à la puissance de la parole poétique, nous souhaitons que s'échangent dans ses pages les pensées, que s'y forgent des convictions, que s'y élaborent les outils de lutte contre les forces négatives qui sapent notre pensée, notre culture, notre civilisation.
Il faudra à notre époque des "hussards de la liberté", pour gagner la guerre idéologique qu'on nous mène, et contre laquelle nous n'opposons qu'un hédonisme benêt. Nos valeurs sont fortes, mais la société est devenue bien fragile pour les défendre. La poésie, ainsi que l'entend Recours au Poème, ainsi que nous la défendons, est une force tendue vers l'avenir, une dynamique, qu'ensemble, poètes et lecteurs, nous entretenons – à travers la force des mots, pour la liberté de penser, pour la liberté de créer, pour la liberté de vivre.
 
 
Marilyne Bertoncini/Eric Pistouley/Vincent Motard-Avargues