Un regard sur la poésie anglaise actuelle (3)

Une poésie qui "vous" explose

 

            Je voudrais avant tout dire le choc que fut ma rencontre avec les deux séries de poèmes de James Byrne ici présentés. Traduire, bien traduire – autant qu'il soit possible – requiert une disposition, un état d'esprit particulier, sur lequel je m'interroge depuis longtemps. Je n'ai que des images pour tenter de cerner l'expérience particulière qu'est la traduction – une expérience intime, troublante, dérangeante – qui met en péril, en quelque sorte (même si temporairement, dans l'espace et la durée du travail entrepris) la personne de celui qui s'introduit – presque par effraction – à l'intérieur du "crâne" même de l'auteur. Car c'est celà que je ressens – que je recherche : je vais chercher les mots au coeur du labyrinthe d'une pensée qui n'est pas la mienne, mais qui la devient, l'espace  palpitant de l'oeuvre – et qui laisse des traces dans ma vie en dehors de l'oeuvre – si tant est qu'on ressorte jamais de la grotte-palais de la pensée d'autrui.

            Traduire, c'est un combat contre l'ombre des mots de l'Autre, pour les amener à la lumière de votre langue. Et plus le poème est fort, plus la lutte est sévère, plus l'accomplissement s'accompagne d'une "illumination" – qui n'est pas sans rappeler, sans doute, l'extase dans laquelle, ainsi que la décrit Le Trésor de la Langue Française "une personne, se trouvant comme transportée hors d'elle-même, est soustraite aux modalités du monde sensible en découvrant par une sorte d'illumination certaines révélations du monde intelligible, ou en participant à l'expérience d'une identification, d'une union avec une réalité transcendante, essentielle." Une expérience que d'aucun qualifieraient sans doute de mystique, à l'image de la Sainte Thérèse du Bernin -  une expérience envoûtante,  totale - intellectuelle et sensorielle.

            Le poète ne saurait m'en vouloir de commencer par cette révélation intime,  lui qui, lors d'une interview (par Valerio Cruciani,  www.amnesiavivace.it) disait qu'il fallait au poète le cran de transmettre – mais aussi de confier - quelque chose au lecteur :

 

            "something must be imparted, given away by the poet to the reader. And that    takes guts."

 

            C'est,  implicitement, n'est-ce pas, accepter que le lecteur à son tour apporte quelque chose au poème qu'il a lu et qui le transforme. Or, traduire, c'est lire au carré : lire entre les lignes, entre les mots, entre les langues. C'est donc aussi percevoir les effets du poème de façon amplifiée, comme par l'effet de "caisse de résonnance" qu'est ce crâne qui double le vôtre. Et les poèmes de Byrne que j'ai rencontrés ont des effets dévastateurs, comparables à ceux d'une mine antipersonnel cachée sous la surface (du poème), dont les titres sont un leurre.

            Ce n'est sans doute pas non plus un hasard si James Byrnes, dans une autre interview http://idontcallmyselfapoet.wordpress.com/2012/08/08/james-byrne/, , évoquant sa formation, se réfère à une lettre du poète Emily Dickinson, considérant que la lecture de poésie ne se conçoit pas sans explosion (If I feel physically as if the top of my head were taken off, I know that is poetry. (...). Is there any other way?” ) ainsi, pour le jeune Byrne saturé de poésie classique  et prêt à la rencontre :

 

            "the space had been cultivated for Ginsberg quite perfectly to come along and   do what Dickinson said that poetry might do and lift the top off my skull".

 

            D'une certaine façon, la matière poétique est donc de la dynamite – sinon, elle n'est pas poésie : c'est ce que démontre l'art de James Byrne, à travers ces  poèmes  qui  jouent sur la banalité affichée des titres, et pour le premier, "L'Un/l'autre", sur la duplicité d'un réel dans lequel les rôles sembleraient interchangeables, ainsi que le suggère l'alternance en forme de chiasme,  dans chaque distique,  des actions, celle du bourreau, celle de la victime... Car cette banalité, c'est celle d'une guerre, de La guerre  dans toute son ubiquité – du massacre qui coexiste avec de paisibles images : au sable de l'assassin et au carnage, répondent  l'ombre d'un figuier, la poussière qui fuit entre les mains...

            Le titre suivant, "Cartes Postales", semblerait annoncer de lisses images – les clichés hédonistes et/ou exotiques qu' un touriste envoie, accompagnés d'un bref texte performatif et dérisoire... s'il n'était pas sans rappeler le titre d'un ouvrage du philosophe déconstructeur de la pensée,  Jacques Derrida, pour qui le  «travail de minage et de déminage dans la langue» présente bien des points communs avec le projet explosif de la poésie.

            Dans cet ouvrage, La Carte Postale, de Socrate à Freud et au-delà (Flammarion, 1980), Derrida présente la philosophie comme une carte postale envoyée à un destinataire qui, en réalité, ne la recevra jamais. En effet, la carte postale, comme la pensée, n'est telle que dans le "suspens" entre les destinations – "l'instant" instable des possibles. Arrivées à destination, l'une n'est plus qu'un brimborion de papier glacé, l'autre, une forme prête aux aléas de l'académisme, des systèmes, des intégrismes.

            On peut par analogie, penser que, tout comme la philosophie, une poésie qui atteindrait sa destination  cesserait d’être poésie : "elle doit demeurer on the road ou en vol, rester entre les destinations, toujours susceptible d’être réexpédiée ailleurs" (Roberto Maggiori http://www.liberation.fr/livres/2009/05/28/sur-la-route-de-derrida_560588) ) - relue, dite, traduite ... transmise de nouveau avec toute sa charge de détonation...

            Ces "cartes postales" sont de déchirantes photographies d'instants de monstruosité tranquille qui font "exploser" le texte dès qu'on en saisit la présence. Le désastre de l'humanité inscrit sous les gestes apparemment les plus tendres ou puérils – éplucher le parfum d'un fruit, s'ébattre dans un terrain de jeu -  subvertit le réel qu'on imaginait. Il vous impose des images d'horreur et de détresse qui culminent dans les deux "cartes postales qui n'ont pu être envoyées" . Oui, l'horreur est indicible, intransmissible – elle vous atteint, mais elle ne peut que vous frapper - dans le silence de leur nuit – entre les mots - entre les images.

            Oui, James Byrne est un grand dynamiteur – un grand poète. Fondateur et rédacteur de la revue poétique "The Wolf", je ne peux m'empêcher de l'imaginer un peu comme le Steppenwolf de Herman Hesse... C'est une voix originale, atypique, maîtrisant parfaitement les codes poétiques, pour s'en affranchir, et nous entraîner avec lui, dans "l'intranquillité" définitive de qui, se trouvant en quelque sorte "au coeur des ténèbres", ne peut plus, l'ayant lu, oublier les déflagrations de ses images dans l'enfer/envers du monde que révèle sa poésie. Je vous la transmets, avec toute mon émotion.

Marilyne Bertoncini

La version anglaise des poèmes est suivie de leur traduction en français.

 




Un regard sur la poésie Native Américan (13).

     

     Carter Revard est né en 1931 à Pawhuska, Oklahoma. Il est membre de la nation Osage, avec des ancêtres Poncas, Irlandais et Ecossais. Il a grandi dans la vallée de Buck, sur la réserve Osage où il a travaillé dans les champs, dressé des lévriers, surveillé ses deux sœurs jumelles, nettoyé l’école primaire où il était élève pendant 8 ans. Ayant obtenu une bourse, il est parti étudier à Tulsa, puis à Oxford et enfin à Yale où il a soutenu sa thèse de doctorat en 1959. Il a fait carrière à l’université Washington à St-Louis dans le Missouri, enseignant la littérature Anglaise du moyen-âge. Le nom Osage qui lui a été donné lors d’une cérémonie du nom est Nompehwahthe signifiant « fear inspiring », ce qui le rend proche du Tonnerre. C’est en 1973, après les années glorieuses de l’AIM, l’occupation d’Alcatraz et du site de Wounded Knee, que Carter Revard a commencé à enseigner la littérature Indienne. Il a commencé à militer, à aider les étudiants Indiens, à se joindre aux cérémonies en devenant Gourd Dancer. Carter Revard a écrit de nombreux recueils de poésie mais c’est en 1980 que ses ouvrages publiés commenceront à ne parler que des thèmes spécifiquement Indiens. En 2005 il a reçu le prix du cercle des écrivains Indiens d’Amérique pour récompenser une vie entière en écriture.

     Sa poésie est connue pour être merveilleusement ciselée, complexe. L’intérêt de Carter Revard pour les langues, pour le narratif, croise de multiples traditions culturelles et littéraires. En cela il fait reculer les frontières entre les genres. Dans son livre « The Nature of Native American Poetry » paru en 2001, Norma Wilson dit : « Personne d’autre que Carter Revard ne fait montre d’un savoir aussi étendu sur les traditions poétiques Anglaises et Américaines. Aucun autre n’a été capable d’exprimer clairement, parfaitement, dans la langue Anglaise, la relation entre le mythe tribal ancien et la vie moderne. »

     Carter bien souvent introduit ses poèmes par des explications, il écrit des notes qui sont autant de mines de connaissances et d’informations ou bien et qui replacent le poème dans un contexte historique, politique, social. Les poèmes semblent surchargés de références  mais Carter Revard ne perd pas son fil et il enchaîne de poèmes en poèmes jusqu’à vous faire une démonstration virtuose en vous accompagnant de ses réflexions, apartés,  pour vous livrer des conclusions humoristiques et graves. En cela il est fidèle à son tempérament, certains diraient invétéré bavard, emporté par le flot des mots. Pour moi il est un homme d’une extrême gentillesse, pourvu d’une énergie inépuisable, d’une générosité sans faille, qui a conservé une agilité d’esprit lui permettant de surfer sur les multiples vagues qui abordent ses rivages littéraires.

       Je commencerai avec un poème humoristique qui traite d’un sujet grave à savoir les plastiqueurs furtifs, les assassins internationaux, les nettoyages ethniques, les guerres bactériologiques qui ont pu se dérouler aux Etats-Unis entre 1803 et 2001. Dans une conférence sur la littérature des Indiens d’Amérique, Carter Revard déclarait : « J’espère que de jeunes Indiens version Bill Gates ou Steve Jobs sauront inventer de quoi nous tirer de ce trou noir, de cet immense gâchis. » Au long des 29 vers du poème, de nombreux sujets ou événements sont suggérés et c’est ce qui a décidé Carter Revard de l’intituler POSTCOLONIAL HYPERBAGGAGE soit hyperbagage postcolonial, quelque chose de bien lourd, bien indigeste, bien traumatisant à faire circuler dans le langage comme se déploient de nœuds en nœuds et de liens en liens les hypertextes. Ceci permet au poème de devenir lieu et document hypermédia, ce qui en soit est déjà ironique.

 

hyperbagage postcolonial
Si seulement Vuitton faisait une valise
avec modem et hypertexte—ou du moins avec windows
afin de nous permettre d’y déposer de nouveaux dossiers, là où
les vestes ne se froisseront pas, là où toutes
les chaussettes odorantes peuvent être suspendues soigneusement dans
le tiroir aux herbes qu’est l’hyperespace—en compagnie cependant
d’autres dossiers plus frais dans lesquels leurs truffes
au chocolat à l’intérieur d’un pull cachemire
ne fondraient jamais.
Nous avons besoin
de ces trous noirs réversibles pour traverser les frontières,
des choses que nous pourrions empaqueter et fermer
au simple toucher sans jamais rompre une couture
ni endommager une fermeture éclair. Ils feraient augmenter la valeur
de l’Eurodollar en flèche—
et oui, pensez seulement
que les plastiqueurs furtifs pourraient être remplacés
par des poches diplomatiques pleines
d’assassins virtuels,
des terroristes ayant déjà agi seraient récupérés
dans les canettes des décharges, pour vivre
une virtuelle réalité.
Toutes les réserves indiennes seraient desaparecidos
dans la vallée de la mort, mais accessible grâce à
leur icône dorée, le dollar Sacajawea.
Je pense que le plus petit Satan pourrait
vendre une telle application Pandora de Apple
aux plus intelligents Adam et Eve, n’ayant qu’à dire :
goûter ceci une seule fois mes chers,
et vous êtes de retour au paradis.

 

 POSTCOLONIAL HYPERBAGGAGE

If only Vuitton would make a suitcase
with modem and hypertext--or at least windows
to let us put new folders in, where
jackets won't wrinkle and all
the smelly socks can be hung with care in
the hyperspace herb-drawer--and with
still cooler files whose chocolate
truffles would never melt
into a cashmere sweater. We need these
neat reversible black holes for crossing Borders,
things we could pack and close
at a single touch and never pop a seam
or rip a zipper. They'd make the Eurodollar
zoom up in value--
and hey, just think,
Stealth Bombers could be replaced
by diplomatic pouches full
of virtual assassins,
used terrorists could be dumped
out of the Trash Can, leaving
a Virtuous Reality.
All Indian Reservations could be
desaparecidos
into Death Valley, yet accessible through
its golden icon, the Sacajawea Dollar.
Such a Pandora's Apple, I think,
even the seediest Satan could have sold
to the smartest Adam and Eve, just by saying
one taste of this, my dears,
and you're back in Eden.

 

 

Lors de la dite conférence pendant laquelle Carter a lu son poème, il a ajouté : « Le mot Espagnol desaparecidos signifie disparus et ce terme fut appliqué aux citoyens Chiliens, Péruviens, Argentins qui furent saisis, emprisonnés, torturés par les polices secrètes aidées par le gouvernement américain pendant les présidences de Nixon et Bush père. Nombreux furent ces victimes qui furent jetées depuis un avion au-dessus de l’océan pour dormir avec les poissons—ce qui implique que plusieurs présidents américains pourraient parfaitement bien être vus comme des parrains de la mafia. » Le lecteur appréciera la franchise, le militantisme et l’engagement de l’auteur. Il poursuit ensuite en expliquant que ce premier poème datant de 1982,  ne pouvait prendre en compte ni la chute de Babylone ni celle des tours jumelles, ni le massacre de Wounded Knee ni la mise à sac de Nankin, ni le siège du ghetto de Varsovie ni les attentats de Ramallah ou de Bethléem, rien qui ne soit le résultat du terrorisme sponsorisé par les états. C’est pour cela qu’il a écrit un autre poème intitulé A Response to Terrorists :

 

Une réponse aux terroristes
Il semblerait que vous ne puissiez
rester des pas-grand-chose bien longtemps
avant  qu’un autre
ne vous surclasse. Franchement,
parlant en tant qu’Indien j’admets
que c’est plus facile d’être noble et de sourire
avant de disparaître, pareil pour Martin Luther King
en prison : ça lui était plus facile que pour
l’ambassadeur Andrew Young—
et les dernières victimes de l’holocauste pourraient
être les prochains initiateurs de la guerre pour le  Lebensraum*
au Liban ou à  la West Bank : les Palestiniens sont
ceux parqués dans les camps de concentration, à l’heure actuelle.
N’y aurait-il pas moyen de nous
sortir d’en dessous sans nous retrouver
au-dessus en train d’étouffer les autres ?
Oh bien entendu,
Il semble improbable que les Acomas
rachètent Kerr-McGee
et réclament le Nouveau-Mexique comme leur appartenant, ou que les
Cayugas, Mohawks et Oneidas récupèrent les Adirondacks
et  gèrent un rachat d'entreprise par effet de levier des
Chase Manhattan, Rupert Murdoch, et autres  Ivy League.
Mais s’ils le faisaient
seraient-ils enfin citoyens du grand
Ordre Impérial plutôt
que de rester une espèce de nos petites cultures
en voie de disparition pour laquelle le sens
d’avoir besoin de chacun d’entre nous,
d’être à la pointe de la croissance, d’être
le vif argent de la terre,
est le poids que nous portons du fait de notre petitesse,
est-ce là l’évidence de notre fragilité?
C’est ce qui nous rend puissants et pourtant nous craignons
que cela nourrisse les tueries, c’est savoir que nous sommes faibles et courageux
ce qui nous permet de vouloir vivre
et laisser vivre.
Les terroristes—
lecteur, remplace les noms des têtes de gouvernement au fur
et à mesure que tu lis ceux-ci, les noms qui figurent
remontent peut-être à une époque avant ta naissance : Reagan, Gorbachev, Shamir,
Khaddafy, Thatcher, D'Aubuisson, parmi d’autres—
poignarderaient-ILS LEURS mères,
briseraient-ils la tête d’un PETIT-fils contre un mur ou bien
terrifieraient-ils des chatons avec une grenade incapacitante ? Ils tuent
avec leur langue, envoient des
substituts de couteaux, garrot, tabassage, poison, torture, bombe—
qui pourrait dénombrer les moyens ? Voici un tigre : tirez
un missile et la créature reculera
et nous respectera. Le chaton est
écorché, il sort une patte trouée par une balle
qu’il s’est tiré lui-même, qui s’agite comme
une langue. Fourchue la langue. Ah, regardez
comme ils quittent le Sommet maintenant,
ils montent dans leur longues limousines et s’en vont
sans déraper sur la cervelle du petit-fils.  

 

 

A RESPONSE TO TERRORISTS

It seems you can't
stay bottom dog too long
before some other
outbottoms you. Frankly,
speaking as an Indian I admit
it's easier to be noble and smile
while vanishing, just as for Martin Luther King
in prison it was easier than
for Andrew Young as Ambassador---
and last war's victims of the Holocaust may
be next war's seekers of Lebensraum*
in Lebanon or the West Bank: the Palestinians are
the ones in concentration camps, these days.
Isn't there some way we might
get out from under without finding ourselves
on top and smothering others?
Oh sure,
it seems unlikely that the Acoma
will buy out Kerr-McGee
and claim New Mexico as theirs, or that
Cayugas, Mohawks and Oneidas will get the Adirondacks back
and run a leveraged buyout of
the Chase Manhattan, Rupert Murdoch, and the Ivy League.
But if they did,
would they be citizens at last of the great
Imperial Order, rather than our kind of
small endangered cultures where the sense
of needing every one of us,
of being the tip of growth, the quick
                      of living earth,                             
is borne in on us by our smallness,
our clear fragility?
It's feeling powerful and yet
afraid that fuels killing, it's knowing we are weak and brave
that lets us want to live
and let live.
The terrorists---
Reader, fill in the names of heads of government as you
read this: their names were once
(perhaps before your time) Reagan, Gorbachev, Shamir,
Khaddafy, Thatcher, D'Aubuisson, among the rest---
would THEY knife THEIR mothers,
shatter a GRANDchild's head against a wall or even
terrify kittens with a stun-grenade? They murder with
their tongues, send
surrogates to knife, garotte, beat, poison, torture, bomb---
who could count the ways? This is a tiger: fire off
a missile and the creature will
retreat respecting us. The kitten's
flayed, comes out a foot with self-inflicted
bullet hole, flapping like
a tongue. Forked tongue. Ah, look
how they leave the Summit now,
climb in their stretch limos and drive away
,
not skidding on the grandchild's brains.

Lebensraum* : espace vital, concept géopolitique créé par des théoriciens géographes allemands du 19ième siècle et exploité pour justifier l’expansionnisme nazi.

 

Carter Revard faisait ensuite ce commentaire : « Comme chaque lecteur éclairé le sait, les poèmes peuvent s’écrire en prose. J’aurais pu vous raconter comment ces gros félins puissants continuent de rendre les choses toujours plus difficiles, ils les rendent pires en essayant de soigner à coups de bombes ce qui avait été causé par les bombes et la terreur, alors que seule la justice constitue le remède honnête. Ces grosses légumes prennent ces décisions dans leurs environnements luxueux, entourés de gardes du corps. Les Etats-Unis et leurs alliés ont occupé l’Allemagne de nombreuses années, mais nous n’avons pas apporté la sécurité par l’imposition de la force militaire, bien plutôt en reconstruisant le pays, en agissant avec justice, en luttant ensemble contre la faim et la terreur, en montrant aux Allemands que les américains et les alliés pouvaient être amicaux, non pas des ennemis. J’aurais aimé qu’il en fut ainsi avec les nations Indiennes de ce continent, et je souhaite que cela puisse être le cas en Palestine et au moyen orient. »

     Passons maintenant à un autre style. Carter Revard est aussi le poète qui chante l’émerveillement et le respect. Le monde est un miracle à ses yeux, et il le restera jusqu’à ce qu’il soit sur le point de mourir. C’est un état d’âme qui est loin d’être naïf et qui nous connecte au sens du sacré. Carter Revard est attaché au fait que le souffle partagé du poète puisse aider les autres, ceux  qui n’ont pas les mots pour dire. Partager ce ressenti face au monde, émerveillement et respect, peut contribuer à soigner ce monde. Une forme qu’affectionne Carter Revard est le riddle, une forme poétique médiévale anglaise. Mais il précise que ces riddles, ces fragments de chants, sont chantés aussi bien par les faucons, une antilope, la bible, un rat de bibliothèque, le tonnerre, créatures et phénomènes qu’il faut savoir écouter. Il utilise le terme riddle (qui signifie aussi devinette, énigme) parce que l’être humain résout ses mystères internes et ceux de l’extérieur en les rapprochant, en les rassemblant. Il lui faut reconnaître ce que l’humain a toujours su, et c’était là une théorie médiévale du savoir et de la connaissance. Carter Revard prétend que les humains se laissent couvrir par une couche d’indifférence, une patine qui fait rouiller nos sens et notre esprit, qui l’isole des merveilles ordinaires du monde dans lequel nous vivons. Il faut que cette couche soit brossée, frottée, enlevée, il faut que tout ce qui nous paraît ancien puisse briller de neuf, sonner nouveau, sinon les danses mourront, les esprits ne seront plus honorés. Cet esprit du riddle est exactement l’esprit des chants Poncas, « et se reflète dans les larmes des mères Rwandaises, des larmes Israéliennes ou Palestiniennes, c’est l’articulation de paroles au-delà des mots—qui nous embarquent comme un bateau et nous font dériver dans les profondeurs des choses quotidiennes, où nous rencontrons des créatures incroyables et bien réelles, où les couleurs sont d’un vif inédit mais bien visibles, et nous pouvons nous y émerveiller, nous émouvoir de ce que nos ancêtres aient, eux aussi, pu respirer dans cet océan d’air. Notre esprit est un océan il est notre monde qui fait partie du vingt unième siècle de la même façon que nos ordinateurs en font partie ». Le riddle fait parler les choses ordinaires afin qu’elles révèlent certains de leurs mystères, et ce que nous appelons MAISON, en renferment beaucoup. Voici ce que « house » révéla à Carter Revard alors qu’il se trouvait invité dans  « the poet’s cottage » à l’université de Tuscon en Arizona.

                                 THE POET'S COTTAGE

           At your finger's touch          my turquoise flower
           of fossil sunlight          flashes, you call
           from mountain springs          bright spurts of water
           that dancing boil          on its blue petals
           crushed seeds, their life's          loss repaid
           with offered words.          Watchful electrons
           in copper wall-snakes          await your cue
           to dance like Talking God          down from heaven
           and bring Mozart's          melodies back,
           pixel this world's          woe and wonder, but
           through wind's eye you see          the sun rising
           as creatures of earth          from heaven's darkness
           open iris-nets to          the harsh light
           of human mysteries,          your here and now,
           needle points          where numberless
           angels are dancing,          always and everywhere.

 

                                La petite maison du poète
Au toucher de ton doigt        ma fleur turquoise
de fossile lumière solaire       s’allume, tu appelles
depuis les sources de la montagne      des flots brillants
ce bouillonnement dansant        sur ses pétales bleus
graines écrasées, la perte de leur vie       réparée
avec l’offrande de paroles.      Des électrons attentifs
dans des cables-serpents de cuivre      attendent votre signal
pour danser comme Dieu Parlant       tombés du paradis
et rapportant les mélodies      de Mozart,
pixellisent le malheur et       la merveille de ce monde, mais
par les yeux du vent vous voyez        le soleil se lever
tout comme les créatures terrestres         depuis l’obscurité des cieux
ouvrez les filets-iris à        la lumière crue
des mystères humains,       votre ici et maintenant,
pointes d’aiguilles       où d’innombrables
anges dansent,      toujours et partout.

 

 

La maison, ce logement ne pourrait jamais parler de son être et Carter Revard a essayé de lui donner une forme de parole. La cuisinière, et ses brûleurs à gaz automatiques au simple toucher du doigt, faisait s’épanouir une fleur turquoise. La fleur est un organe sexuel qui attire les pollinisateurs, la cuisinière est comme un organe de l’alimentation nourri par le gaz, venu des entrailles de la terre et résultant de la destruction des jungles et marécages millénaires. Ces hydrocarbures fossiles représentent une immense énergie pareille à la lumière solaire. Nous faisons « couler » le gaz et nous faisons couler l’eau aux divers robinets, laquelle eau danse et bout sur la fleur turquoise. Et dans l’eau bouillante nous versons les graines desséchées de céréales pour préparer un petit déjeuner. Et nous offrons des chants pour remercier les semences ayant perdu la vie mais qui prolongent la nôtre quand nous les mangeons. Puis nous allumons la radio, la télévision, ces appareils reliés aux fils cachés comme des serpents dans les murs, et les électrons dansent et la voix du dieu se fait entendre, ou bien la musique de Mozart. Les pixels sur l’écran nous montrent les actualités : les merveilles et malheurs du monde. La fenêtre, window, dérive d’un nom-composé anglais : wind-eye, œil du vent. La fenêtre nous laisse voir le soleil levant, et les créatures vivantes émergent de la nuit : l’obscurité des cieux. Les yeux sont des iris-nets, des filets qui capturent les visions. Iris était une déesse grecque du matin, c’est aussi une fleur, cela désigne l’arc-en-ciel (irisé) et c’est une partie de l’œil humain, tandis que le mot rétine lui, étymologiquement, veut dire petit filet. Tous ces petits mystères du quotidien sont montrés à l’aide de cette aiguille que les savants du moyen-âge utilisaient pour compter les anges et en ce sens l’ici est un partout, un maintenant est un toujours. Le poème est suspendu dans le temps, fait une boucle entre passé et futur, fidèle en cela à la perception Indienne qui veut que tout soit inscrit dans un cercle, dans un cycle, en perpétuelle révolution comme les planètes et les astres eux-mêmes. 

      Il serait impossible de résumer en cet article l’extraordinaire foisonnement de l’œuvre de Carter Revard. Ses poèmes bien souvent sophistiqués, tracent son itinéraire d’enfant de la campagne, initié aux modes de vie traditionnels de la culture amérindienne, jusqu’aux réflexions sur la vie académique d’Oxford et de St Louis, en passant par des considérations sur la politique et les sciences post-modernes. Il peut s’agir aussi bien de poèmes narratifs sur la contrebande d’alcool et l’activisme du Mouvement amérindien, sur les tornades et les arcs en ciel, ou bien des adaptations des comptines anglo-saxonnes revisitées par la culture Osage et l’esprit Indien. La principale raison d’écrire serait d’inviter les lecteurs dans ses espaces personnels, familiaux, communautaires, afin qu’ils célèbrent avec lui et ses cousins Poncas la vie telle qu’elle est, telle qu’elle va, dans sa richesse et dans son âpreté aussi, afin qu’ils partagent ce qui a été mis sur la table et passent un bon moment ensemble. Carter n’est ni élitiste ni individualiste et en cela il est fidèle aux cultures Indiennes qui, s’il fallait qu’on leur plaque une théorie littéraire, seraient une théorie basée avant tout sur ce que la littérature fait et peut faire au sein et pour une communauté « plutôt que sur ce que cela rapporte à l’auteur et à sa coterie d’amis au sein de clubs fermés et dans les cercles de mécènes-parrains. » 

 

Béatrice Machet vient de publier Vent sacré, anthologie de la poésie féminine contemporaine
amérindienne : des poèmes de 13 femmes poètes amérindiennes.




Un autre « lecteur moyen » : sur la poésie anglophone contemporaine (3)

 

Vonani Bila, poète et musicien sud-africain

 

Vonani Bila, habitant le village de Shirley en Limpopo, nous écrit ceci au sujet de son inspiration:
 

“J’écris ce que je ressens en espérant que ce que je ressens impose la structure même d’un poème. Je veux créer des poèmes forts, forts surtout de leur construction narrative surgissant de moi-même selon mes propres rythmes. Je deviens fasciné au moment où le poème découvre un nouveau vocabulaire qui provient de la structure éthique du texte, lui donnant une construction unique et indépendante capable de s’expliquer lui-même sans que l’auteur ait à venir à son secours. Mes poèmes sont inspirés par la vie, les rêves, les observations, les luttes, l’histoire, les souvenirs d’enfance, les récits qui sortent tout spontanément des lèvres des gens dans les taxis, les bus, les trains, les avions et les bateaux, récits qui me retiennent collé au poste de radio et aux pages des journaux et qui doivent être découpés et mis dans des dossiers pour les sauvegarder, des poèmes qui m’arrivent du sifflement dans les herbes des plaines, du vent qui hurle, des arbres frémissants ou même du silence.”

“Le Cochon” et “Passage sacré” représentent deux registres, deux tonalités, deux humeurs différents de Bila. Tous les deux font preuve de la prédilection  du poète pour les formes narratives. “Le Cochon” est une parabole où Bila tourne en ridicule le malheur, sinon le Mal même, incarné dans l’image de ce gros méchant porc qui fait penser à une gravure de Daumier ou bien aux peintures satiriques de Georg Grosz.

Inspiré par la mort d’une soeur bien-aimée, “Passage sacré” appartient au genre de l’oraison funèbre au rythme solennel et mesuré prononcée au seuil même de la maison maternelle symbolique du clan qu’elle protège, épopée familiale en raccourci où  défilent les générations  des êtres les plus chers au poète.

La poésie de Bila présente donc une synthèse toute contemporaine d’éléments lyriques et  narratifs qui puisent dans la tradition bardique la plus ancienne selon laquelle l’on confie le devoir solennel au poète de dire et de chanter l’histoire de son peuple.

Vonani Bila écrit ses poèmes en deux langues, le xitsonga et l’anglais. Il est éditeur de la revue Timbala et fondateur d’un programme résidentiel pour écrivains. 

 




Comment lire un livre numérique ? Quoi de plus simple ? Voir ici

 

Où on vous dit tout sur le comment du pourquoi de la lecture numérique 
Quoi de plus simple ?

Cliquez ICI

 

La page qui dit clairement ce qu'est un livre numérique et comment s'en servir
Recours au Poème
pas encore déclaré d'utilité publique mais c'est tout comme

 

 




La poésie de Christopher Okemwa

Christopher Okemwa est un poète, dramaturge, critique littéraire, et acteur kenyen d’expression anglophone. Enseignant en littérature à l’université de Kisii, il termine un doctorat sur l’étude de la Performance Poetry, soit la présentation orale structurée de la poésie, à l’aide de la danse, la musique, et le théâtre. Il a publié deux receuils de poèmes: Toxic Love et The Gong. Il a également publié trois livres de récits pour les enfants, un volume de récits, une étude sur la poésie orale des populations Abagusii, et un receuil de leurs proverbes. Depuis plus de vingt ans il présente des poèmes parlés dans les écoles du Kenya et dans de nombreux festivals internationaux.

La poésie de Christopher Okemwa est fortement ancrée dans le quotidien. C’est une poésie à l’écoute des grands thèmes qui agitent ou déchirent le monde et la conscience. C’est une poésie au verbe souple et dansant, éclatant et envoûtant, endiablé de souffrance ou ralenti de tendresse – c’est la poésie de la vie elle-même, la respiration saccadée des villes et le rythme paisible des savanes. Christopher Okemwa juxtapose les images colorées et vibrantes du continent africain et la grisaille du monde occidental. Il est très sensible à la cruauté avec laquelle les plaies modernes – drogue, prostitution, alcohol – sapent la vie. Sa compassion pour les humbles, ses chants d’amour passioné, ses dialogues avec la femme aimée, se mêlent à la sagesse immémoriale en une admonition poétique à laquelle nul ne peut rester insensible.

Un livre numérique de son dernier volume, Purgatorius Ignis, doit paraître chez Recours au Poème éditeurs d’ici janvier 2015. Pour présenter son auteur, nous avons choisi quatre poèmes qui le définissent comme un citoyen du monde, grand voyageur qui nous invite à partager son univers qui intègre les cultures africaine et occidentale.

 




Le scalp en feu (7)

 « Poésie Ô lapsus »  Robert Desnos

 

Le Scalp en feu est une chronique irrégulière et intermittente dont le seul sujet, en raison du manque et de l’urgence, est la poésie. Elle ouvre un nombre indéterminé de fenêtres de tir sur le poète et son poème. Selon le temps, l’humeur, les nécessités de l’instant ou du jour, ces fenêtres changeront de forme et de format, mais leur auteur, un cynique sans scrupules, s’engage à ne pas dépasser les dix à douze pages pour l’ensemble de l’édifice.

Lecteur, ne sois sûr de rien, sinon de ce que le petit bonhomme, là-haut, ne lèvera jamais son chapeau à ton passage car, fraîchement scalpé, il craint les courants d’air. 

Enfin, Le Scalp en feu est désormais publié simultanément, ou successivement, le hasard décidant de ces choses, sur les sites de RECOURS AU POÈME et de LA CAUSE LITTÉRAIRE. décembre 2013 / janvier 2014 – Michel Host

 

SOMMAIRE

-      1 – En plein champ  -  Pierre GABRIEL – Mots sans cesse surgis -  p. 2
-      2 - Le Poétique – IV -  Yves BONNEFOY – Les mots encore - p. 3
-      3 – L’expérience poétique -V- Un entretien de la revue SARASWATI – p. 4
-      4 – Le poète par lui-même : Maggy DE COSTER -  p. 6
    * POÈMES de Maggy De Coster   -   p. 7
    * POÉSIE BILINGUE  -  p. 9
 - 5 –  L’œuvre poétique de Maggy De Coster (Bibliographie) [**] -  p. 11
- 6 -  La poétesse a été distinguée  -  p. 11

   

_________________________________________________________.

 

1 – EN PLEIN CHAMP :  PIERRE GABRIEL

 

Mots sans cesse surgis

 

Mots sans cesse surgis                             Mots sous les mots

D’un refus, d’une attente,                        À quelle énigme dérobés,

Toujours prêts à vous taire                      Par quels songes flétris ?

Ou à en dire trop,                                      Mots masqués d’une voix,

Prompts à fuir dès l’instant                      Nus jusqu’à l’os,

Qu’il faut tenir promesse,                         Sosies méconnaissables,

Mots trop vains pour l’espoir,                   Mots d’hier, de demain,

Trop frémissants pour le malheur,           Vieux mots sans souvenirs

Mots qui n’apaiseront jamais                    Surpris à notre insu

La blessure des lèvres,                              En flagrant délit d’innocence,

Mots à demi rêvés, retrouvés,                  Mots à donner la mort, à trahir

                                     reperdus,              Un amour, une enfance, à répéter

Mots à vivre et à nier la vie,                     Sans fin qu’il n’est pas de réponse,

Mots-carapaces, coques vides,                 Et tous ces mots qui n’ont plus rien

Bien refermés sur vos secrets                 À dire et qui nous collent à la peau,

Et dans vos poings de neige dure            Suçant la vie à même notre sang,

La pierre pour tuer,                                  Tous ceux qui ont glissé de nous

Mots à hurler brûlants dans l’oreille        Pour mieux couler à pic dans le lit du 

                                       des sourds,                                                   silence,

Mots figés sous le cri, appels                    Galets qu’une autre lumière fait luire

Par leur écho même engloutis,                 Sans jamais déranger le sommeil

Mots sans paroles, souffles d’ombre,                                           des étoiles.

Que nulle syllabe n’étreint,

Pierre Gabriel

La Nuit venue, Rougerie, 1992

 

    

2 - LE POÉTIQUE – IV -  Yves BONNEFOY  /  Les mots encore  (Entretien)

Amaury da Cunha. - Y a – t –il une limite entre votre œuvre poétique et ce que vous en dites dans les nombreux textes (essais, entretiens) publiés ?  Quel est  statut de ces échappées du champ poétique ?

Y. Bonnefoy – Une limite, vous voulez dire un cloisonnement ? J’espère bien que non, ce serait trahir la poésie. Car son travail se doit d’être écriture et pensée dans le même élan. L’écriture déborde l’approche conceptuelle des choses mais tout aussitôt la pensée observe la situation, pour dégager des voies dans cet espace entre représentations transgressées et présences jamais pleinement vécues. Et cela dans ce que les poèmes ont de tout à fait personnel, puisque c’est toujours dans le rapport à soi le plus singulier que l’universel a le plus de chance de se réinventer, de se ressaisir.

La poésie est une pensée. Non par des formules qu’elle offrirait dans des textes, mais par sa réflexion, au moment même où elle prend forme. Et il faut entendre cette pensée là où elle est, dans les œuvres. Écrire sur Giacometti, sur Goya, sur bien d’autres, je ne l’ai voulu, pour ma part, qu’afin de retrouver posés peut-être autrement, par ces poètes, les problèmes que la poésie nous demande de décider. //  Non, pas d’échappées du champ poétique ! Plutôt suggérer que toutes les pensées d’une société devraient prendre place dans celui-ci, même les conseils de la science, même le débat politique. Ce que cherche la poésie, c’est à déconstruire les idéologies, et celles-ci sont actives, autant qu’elles sont nocives dans toutes les relations humaines.

Amaury da Cunha.  -  Contrairement à une modernité pour qui le réel fut du côté de « l’impossible » (Georges Bataille) ou a fuit en toute urgence (le surréalisme), vous défendez une poésie accessible au monde. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Y. Bonnefoy -  En passant par ceux mêmes que vous citez ! J’ai grande sympathie, en effet, pour l’âpre intensité avec laquelle Bataille a perçu  - comme déjà Goya l’avait fait dans ce qu’on a nommé ses « peintures noires »  - le dehors du lieu humain, cette nuit des vies qui s’entre-dévorent pour rien, dans l’abîme de la matière, ce néant. Mais s’effrayer de ce dehors, et aussi bien dans la personne qu’on est, ou que l’on croit être, n’est-ce pas que la conséquence de cet emploi des mots qui, cherchant à connaître les choses par leurs aspects quantifiables, en fait aussitôt autant d’énigmes ? Mieux vaut reconnaître dans la parole cet événement qui l’institua, le besoin d’établir avec d’autres êtres, ainsi reconnu des proches, un champ de projets et de partages. […]

Entretien d’Yves Bonnefoy (lors de la parution de son recueil « Raturer outre » (Ed. Galilée),    avec Amaury da Cunha

Paru dans Le Monde / Littérature – le 12 / XI / 2010

Cet entretien, les réponses d’un poète solidement établi dans le panorama littéraire de notre temps, m’ont semblé pouvoir susciter la réflexion personnelle chez chacune et chacun d’entre nous. Notamment le rapport de la poésie à la pensée (rappelons que Paul Valéry voyait « l’idée », et non la pensée, comme antinomique de la poésie) ; le lien établi entre le rapport à soi et la captation de l’universel; le dépassement, l’anéantissement peut-être, des idéologies dans le poétique… N’est-ce pas le moindre des pouvoirs de la poésie ? Le champ poétique enfin, s’instaurant dans une utilisation particulière des mots, et dans lequel on rencontrera « d’autres êtres » et la possibilité des partages… Mes obsessions me portent à douter que la poésie puisse être « trahie » si elle vit dans l’être, et moins encore par l’inutile commentaire qu’on pourrait en faire, y compris par le poète lui-même. À croire aussi que la pensée exacte du poème s’y établit à l’instant même de sa formulation plutôt qu’à un autre moment ;  à croire encore que les mots du poème ne peuvent se muer en énigmes absolues, mais seulement, parfois, en outils propres à travailler la matière énigmatique du monde où nous existons ; à être dans la certitude que sur la première marche de toute rencontre, c’est-à-dire celle de l’empathie minimale, s’ouvre le chemin de l’autre à soi et de soi à l’autre : le même, en fait, que jusqu’à l’entrée du chemin, on avait cru un autre. Il est arrivé que je l’appelle l’autre-soi. Peut-être l’infime trace d’idéalisme qui reste en moi.   -  M. H.   

 

3 - L’EXPÉRIENCE POÉTIQUE  - VExtraits d’un entretien

La très remarquable revue Saraswati, dirigée par Silvaine Arabo, à Saintes, a interrogé quelque cinquante poètes contemporains  - cinquante et un exactement -   au sujet de  « l’expérience poétique » d’une manière générale, et de la leur en particulier. J’ai déjà cité ce dixième numéro de la revue, daté de décembre 2009.

La dernière question posée à tous était la suivante : « Si quelqu’un n’avait jamais entendu parler de poésie et vous demande de la lui définir, que diriez-vous ? »

Certes, je suis pour ma part en quête du poétique, qui n’est pas tout entier dans la poésie, qui parfois même n’est pas la poésie. Je vais jusqu’à penser que certaine poésie n’est que fort peu ou pas du tout poétique, peut même être apoétique, mais cela ne peut s’affirmer que sur un plan uniquement subjectif, donc dans la détermination du « selon moi ». Cela dit, il me paraît plus qu’utile, indispensable, de faire écho à certaines des réponses apportées.

Ainsi, celle de Jacques Ancet me paraît entrer dans le cœur du sujet avec des airs, de faux airs, de vouloir s’en échapper : « Je ne définirais rien. Je lui lirais des poèmes. Car la poésie, je ne l’ai jamais rencontrée. Je n’ai toujours rencontré que des poèmes. Qui, quand ils étaient de vrais poèmes, ne correspondaient pas à l’idée que je pouvais me faire de la poésie. Le moine-poète zen Ryokan disait : "Mes poèmes ne sont pas des poèmes. Quand vous aurez compris que mes poèmes ne sont pas des poèmes, alors nous pourrons parler de poésie." » L’argument est parfaitement centré et légitime : de la poésie écrite et dite (récitée, chantée) nous avons fait la rencontre par le poème, autrement dit par une mise en scène de la langue dans une utilisation surprenante parce qu’outrepassant les besoins de la seule communication. Le témoignage du moine renverse les meubles du salon : la poésie n’est plus seulement dans le mobilier Louis XVI auquel vous vous étiez accoutumé, vous la trouverez aussi bien dans ce tatami troué où je vois passer les nuages, ou au jardin près de l’étang sur lequel demain se posera le héron. C’est l’entrée d’Arthur Rimbaud quand vous attendiez Sully Prudhomme.

« La poésie est pour moi impossible à définir. Mais s’il m’était imposé de répondre, je dirais : "tenter d’écrire le silence." » nous dit Jean-Louis Bernard.  Dès lors je ne sais plus comment faire… La page blanche mallarméenne ? Après tout, Jean-Louis Bernard nous parle d’une tentative, et il avoue que pour lui la définition de la poésie est « impossible ». Faudra-t-il renoncer ?

Marie-Josée Chrétien revient à la nécessité première, corporelle, vitale : « C’est un besoin fondamental, comme manger, dormir, respirer. La poésie aide à vivre, tout simplement, parce que son sens ne s’épuise pas à la première lecture, qu’elle peut être lue et relue, et que chaque nouvelle lecture permet d’y trouver encore et toujours de quoi ensemencer son émotion et féconder son esprit. » La poésie est donc une nécessité élémentaire, et elle est sans fond, inépuisable. Ce qui frappe, dans cette tentative d’éclairement, c’est la conjonction des nécessités du corporel premier (vie du corps) et de celles de l’esprit stimulé par l’émotion. Cela me paraît tout simplement vrai.

Pour Louis Delorme, « définir c’est limiter, c’est amputer, c’est atrophier. […] On peut faire un traité de poétique mais pas de poésie.» Mais s’agit-il, dans ce que nous cherchons ici, de définir exclusivement ? Mon souhait est de re/connaître, soit de naître en poésie une fois de plus. Quant au traité de poétique, j’en ai un sous les yeux : il est évidemment illisible dans sa presque totalité.[1]

Colette Gibelin s’avance à pas prudents : « Je dirais peut-être que la poésie, c’est un effort pour traduire avec des mots et des rythmes ce que la vie a de plus intense et de plus profond. » C’est une notion qui est proche de la mienne : la poésie est traduite de la langue des émotions et des intuitions. En parlant de « L’écriture des émotions », Jean-François Hérouard nage dans les mêmes eaux. Et aussi, il me semble, Hervé Martin : « … il y a une diversité d’éléments qui peuvent la susciter. Quand elle surgit, elle nous dépasse dans ce désir d’écrire qui nous vient et par cette volonté d’inscrire sur une feuille ou un carnet, ce qui nous paraît dans l’instant des plus précieux, avec le sentiment que cela jamais ne reviendra. » « Elle tente au plus près du tangible de circonscrire les attributs de l’émotion. » Ressouvenir, quête de la durabilité de l’émotion (?), de l’instant précieux. Probablement aussi tentative de rendre réitérable la même précieuse instantanéité émotionnelle par le poème qui en fut le traducteur, le témoin et le vecteur ou dispositif mémoriel.

Sur l’indifférence à la poésie, voire sur la haine de la poésie, Dany Vinet n’a sans doute pas tort d’évoquer ces difficiles moments scolaires, heureusement limités à quelques exemples : « La connaissance de la poésie se résume aux souvenirs des mauvaises notes venues sanctionner le manque de mémoire lors de la récitation à l’école, d’où le blocage. » L’envers du décor. Mon avis est que tout professeur en quelque matière que ce soit, se trouvant incapable d’allier l’exigence de connaissance à celle de plaisir, ne mérite pas son titre de professeur. C’est un assassin de l’esprit. Il ferait mieux d’aller vendre des chaussures ou des choux.

 

4  -  LE POÈTE PAR LUI-MÊME :  MAGGY  DE  COSTER 

Maggy De Coster est une jeune poétesse de notre temps, c’est-à-dire qu’elle est souvent entre ciel et terre, en vol pour quelque congrès, quelque assemblée poétique se tenant sur tel ou tel continent lointain, ce qui ne laisse pas de me surprendre, moi qui n’aime rien tant que mes quatre murs, mon « atelier », le silence... Les lois du hasard étant impénétrables, je l’ai tout de même rencontrée, à Paris, lors d’une soirée où se discutaient des particularités de la traduction à quatre mains ! Nous avons donc sympathisé et j’ai appris que, née en Haïti, ayant passé une grande partie de son enfance à Cuba, elle manie l’espagnol et le français aussi naturellement qu’il est possible, qu’elle traduit volontiers d’une langue dans l’autre, que ses études l’ont conduite vers la sociologie du Droit, le journalisme, et différentes tâches de caractère international. Cela ne l’empêche pas d’être membre délégué de la Société des Gens de Lettres, Sociétaire et membre du Comité directeur de La Société des Poètes Français, et membre de l’Association des Femmes Journalistes (AFJ)… Ses liens avec l’Amérique latine sont constants et étroits : elle y fait entendre le verbe français et nous en rapporte le verbe hispano-brésilien. La vie de Maggy De Coster c’est l’ouverture et l’échange, la mise en relation, la découverte et, en somme, la poursuite d’une mission de la parole et de l’écrit…

Mais, ne l’oublions pas,

elle est poétesse avant tout. Elle dirige la revue qu’elle fonda il y a dix ans : LE MANOIR DES POÈTES [*] : tenir à bout de bras, sur une telle durée, une revue sur papier n’est pas à la portée de n’importe qui. Les difficultés s’accumulent d’ailleurs ces temps-ci, les quelques subventions nécessaires ayant tendance à se tarir en ces temps difficiles : c’est pourquoi je fournis d’emblée tous les renseignements permettant que l’on soutienne (abonnement : 20 €) cette revue généreuse, accueillante à nombre de poètes, et aussi de prosateurs :

LE MANOIR DES POÈTES

23, allée des Myosotis -  95 360  - MONTMAGNY

< redaction@lemanoirdespoetes.fr>  /  http://www.lemanoirdespoetes.fr

Il ne s’agit pas ici, on l’aura compris, de publicité commerciale mais de publicité (ne craignons pas le mot) POÉTIQUE et de soutien à la poésie, qui est sans aucun doute ce qui nous manque le plus en ce monde des objets nécessaires ou inutiles, mis en vente, achetés ou non… ce monde qui me paraît pornographique à bien des égards.

Sa poésie  (je donnerai  la liste de ses publications [**] en fin de document)  est d’abord ouverte aux quatre vents de la planète, d’une inspiration totalement diverse, libre au point d’être aussi à l’aise dans le registre léger que dans le grave, et libérée des entraves du « politiquement correct » quoique ne tentant jamais cette forme d’incorrection qu’est la diatribe animée par la violence ou le ressentiment. Nous savons que l’humanisme, dans les plus atroces circonstances de l’histoire récente, n’a pas toujours su  - et ne sait toujours pas - tenir ses engagements tacites, ni ses promesses, ni même son rôle de garde-fous. Nous savons aussi que c’est notre seule arme pour combattre la bêtise, la cruauté où bien des hommes montrent des talents inouïs ! Maggy de Coster le sait aussi. Dans sa poésie, je lis l’espoir sans fin, le tremblement parfois, ou la pointe d’amertume ; l’attente, l’amour des êtres, l’hymne à la vie ; la déconvenue, le plaisir ; la nostalgie, l’humour ; la douleur, la jouissance et la réjouissance ; la lucidité, la quête de la lumière.

  

 5 /  POÈMES de Maggy De Coster, extraits de deux de ses recueils récents :

 

AXIOME

Dans mon cahier de brouillon / J’ai brouillé la piste des étoiles / hachuré la courbe des ans / dessiné les contours du futur / schématisé la forme des saisons / tracé le diagramme des tropiques / souligné les paramètres de la vie / illustré les arcanes de l’amour / décalqué les lunaisons des sentiments / Reste à boucler le cycle de ma jeunesse   -   (Comme une aubade)

 

ADVENTUM

Nous avançons à pas lents / dans l’abîme des temps / Chaque coucher de soleil / est un cachet de fin dernière

Je déballe mes trésors d’humanité / aux naufragés de la solitude / en escale sur le ponton / de l’errance

La surchauffe des moments / donne le vertige aux artisans / de paix / et la colombe divine / tombe en pâmoison / dans le couloir de la mort  -  (Comme une aubade)

 

SUR UN AIR DE PIANO    (À ma fille Chloé jouant du piano)

Ta musique divinise mon âme / Et longtemps ton chant courra / dans mon champ abandonné / à la rose des vents

J’ai écouté les sanglots de l’univers / sur mon lit de feuilles mortes / où j’ai dessiné : l’ombre de la lumière / J’ai parlé aux oiseaux au lever du jour / et j’ai compris que le monde était / encore à ses balbutiements

J’ai dansé dans les vagues du soir / et j’ai senti le souffle des sirènes / comme un frisson d’espoir / qui me portait aux nues

J’ai rêvé de lumière dans la transe des mots / j’J’ai volé de joie en grattant / la paroi de ma vie qui me révèle / les couleurs de l’éternité

Je tends ma main dans le vide / pour attraper les pages d’espoir /qui s’échappent de la soupape / de la réalité

Un nuage en gestation me rappelle / l’inventaire de mes songes / aux couleurs du passé

-       4 novembre 2004  -  (Comme une aubade)

 

LES EFFLUVES PICTURAUX

Dans la transe du crépuscule /Émergent les ombres crénelées / De la ville en oriflamme / Lorgnant le ciel émaillé / De confettis de nuages pourpres

Nul soupçon n’effleure les arbres / Se faisant discrets / Dans la montée du soir

Juste un instant d’ivresse / À verses dans le Graal des cœurs

Le vent chante dans les buissons / de mon cœur qui palpite de joie / à la réfraction du soleil / dans les cascades du silence  […]  -   (Comme une aubade)

 

TERCETS

Les roses de Saadi sont fanées / depuis que Marcelline Desbordes-Valmore / dort pour toujours

 

La glossolalie est la transe / des primates / en état de grâce

 

Le soir tombe à pic / sur l’esplanade de mon passé / qui rallume la braise des souvenirs

 

Le corbeau se fait ténor / avant le retour / de l’hirondelle au printemps

 

Tercets, extraits de Bouquet de tercets (in Comme une aubade)

 

DEUX PETITES PROSES

1 -  Le vent court à travers les champs de ta vie bercée par la rivière enchantée, une raie de lumière inonde le détroit de ta conscience qui se déploie dans la montée du verbe sublimé de tes rêves formulés sans trêve et tu rames dans la trame des vagues crachant sans relâche à ta face, rude tâche qui s’impose à ton courage qui grandit dans les rouages de tes jours s’avançant en transe et te dictant la sagesse qui t’épargne de la démence et tu espères sans cesse la fin non annoncée de ta souffrance perpétuelle qui garnit les pages inachevées d’un dossier inclassable

2 -  Des mots en Partage, un Rêve de Paix dans le confiteor de l’Amour qu’engrange l’Humanisme à l’heure de la Fraternité quand la Nature se pare des liesses de l’Enfance dans les Villes en Fête.

Extraits de Cocktail de mots  (in Comme une aubade)

 

Poésie bilingue

(extraits de « Antes que despunte el alba /  Avant l’aube)

 

Si pudiera entender el lenguaje de los pájaros / Me iría a vivir con ellos entre los árboles / Para acercarme al firmamento / Así formaríamos entidades iguales / Con gran complicidad / Me alejaría de los seres malos de la tierra / Para captar las ondas positivas

Los pájaros me enseñarían el secreto / Para volar e ir más allá de la tierra / Para captar el mensaje des universo

Si je pouvais comprendre le langage des oiseaux / Je m’en irais vivre avec eux entre les arbres / Pour me rapprocher du firmament / Ainsi nous formerions des entités égales / Nourris de tant de complicités / Je m’éloignerais des méchants de la terre / Pour capter los ondes positives

Les oiseaux me confieraient le secret /  Pour voler et m’éloigner de la terre / Et capter le message de l’univers

*

 

Falta en mi vida una rama / Que nunca encontraré /en mis sueños voy buscando / Por las calles de Santiago de Cuba / Las sombras de mi abuelo y de mi abuela desconocidos

¿ Dime Fidel qué hiciste de mis antepasados ?

Il manque à ma vie une branche / Que jamais je ne retrouverai / Je vais chercher dans mes rêves / Et dans les rues de Santiago de Cuba  / Les ombres de mon grand-père et de ma grand-mère méconnus

Dis-moi Fidel ce que tu as fait de mes ancêtres ?

 

*

 

Sopla el viento del terror / Desaparece la cosecha del amor / Y se quiebra la vida

Los lazos del horror / Encadenan al mendigo de la esperanza / Y caen del cielo lágrimas en vez de lluvia

Se mueren los árboles en el temor / Del olvido y la cosecha está comprometida / Así pasa el tiempo

Le vent de la terreur souffle / La récolte de l’amour disparaît / Et le vie se brise

Les liens de l’horreur / Enchaînent le mendiant de l’espérance / Et du ciel tombe la rosée en guise de larmes

Les arbres se meurent dans la crainte / De l’oubli et la récolte est compromise / Ainsi passe le temps

 

*

 

Pintar los aires / Conjugar la belleza de las estaciones / Escribir tu nombre / En la madrugada en el cielo / Como un fresco / O un guión / En la Ciudad Luz / Cuando el oro de las noches / Evoca mil y una torres

Entonces me recuerdo las rosas del verano / Como la chispa naciendo / De las auroras boreales

Peindre les airs / Conjuguer la beauté des saisons / Écrire ton nom / À l’aube dans le ciel / Telle une fresque / Ou un trait d’union / Dans la Ville lumière / Quand l’or des nuits / Évoque mille et une tours 

Alors je me souveins des roses d’été / Comme l’étincelle naissant / Des aurores boréales    

 

*

 

5 / L’œuvre poétique de Maggy de Coster (Bibliographie)  [**]

·         Nuit d'assaut, poésie, (Ed. Choucoune, 1981)

·         Ondes Vives, poésie, (Ed. Choucoune, 1987)

·         Rêves et Folie, poésie, (Ed. Saint-Germain-des-Prés, 1994)

·         Analyse du discours de presse, essai, (Ed. Choucoune, 1996)

·         Mémoires inachevés d'une île moribonde, poésie, (Ed. Nouvelle Pléiade, 1998)

·         Itinéraire interrompu d'une jeune femme journaliste, autobiographie, (Ed. des Écrivains, 1998)

·         La Tramontane des Soupirs ou le siège des marées, poésie, (Ed. New Legend, 2002)

·         Un élan d'innocence, poésie pour enfants, (Ed. Le Manoir des poètes, 2004)

·         Petites histoires pour des nuits merveilleuses, contes pour enfants, (Ed. Le Manoir des poètes, 2004)

·         Les Vendanges Vespérales, poésie, (Ed. Silex / Nouvelles du Sud, 2005)

·         Le chant des villes, anthologie de poésie, (Ed. Dianoïa, 2006)

·         Comme une aubade, poésie, (Editions du Cygne, 2007)

·         Le Chant de Soledad, roman, (Editions du Cygne, 2007)

·         Le Journalisme expliqué aux non-initiés, essai pédagogique, (Ed. L'Harmattan, 2007)[1]

·         Germaine Loisy-Lafaille ou la vie incroyable d'une comédienne, (Editions du Cygne, 2008)

·         Au gué des souvenirs, nouvelles, (Editions du Cygne, 2008)

·         Antes que despunte el alba / Avant l’aube, (Le Scribe-L’Harmattan, 2010)

6 / La poétesse a été distinguée 

·         Premier Prix de Poésie de L'Académie Internationale "Il Convivio", Sicile, 2003 pour « Mémoires inachevés d'une île moribonde »

·         Diplôme et Médaille de Vermeil de L'Académie Internationale de Lutèce, Paris, 2006 pour » Itinéraire interrompu d'une jeune femme journaliste »

·         Diplôme avec mention et Médaille de Vermeil de L'Académie Internationale de Lutèce, Paris, 2004 pour « La Tramontane des Soupirs ou le siège des marées »

·         Diplôme et Médaille d'Argent de L'Académie Internationale de Lutèce, Paris, 2005 pour « Le Chant de Soledad »

·         2e Prix de la Ville de Nice, 2006 pour « Les Vendanges Vespérales »

Elle a été traduite en roumain (revue Poezia), et aussi en espagnol, italien, catalan, anglais et arabe. Elle a collaboré à différents journaux : The Financial Times, Caribbean Contact, La Gruyère (Suisse)… Haïti en marche…

______________________

Michel Host  -  le 23 mai 2014

Fin du Scalp en Feu - VII

 

 

 


[1] Franc Ducros, Le Poétique, le Réel,  (préface de Mikel Dufrenne), Éd. Meridiens Klincksieck, collection « Esthétique », 1987.

 




VOX / NOX

VOX/NOX

(le schizophrène, le philosophe et le poète)

 

                                     I

 

Lorsque se consume cette irréalité matérielle : la langue

Le sujet se délite…

Orée de la crise : le temps de l’angoisse commence à se déployer en nuée de chaos mental qui a pour effets d’ébranler l’ordre du dire, de briser l’intelligibilité ordinaire des paroles. Se font entendre des fragments de non-sens apparents qui seraient comme les trous blancs du discours, renvoyant à une espèce de déperdition du niveau normal de notre monde verbal habituel.

Ego nourri d’échos de soi vide

Au faîte de la crise : si forte est l’angoisse qu’il semble que le sujet sombre dans une spirale de déstructuration existentielle. En ces moments-là, le sens des mots et le sens du monde paraissent conjointement abîmés.

Disparaissent les faibles repères mentalement épinglés à la surface des choses

Le sujet se chaotise intensément…

Il y a effondrement psychotique quand « notre existence ne repose plus sur une base solide mais chancelle ou ne tient même plus debout : c’est parce que son accord avec le monde est rompu que le sol se dérobe à nos pieds[1] ». Le sujet en crise « ne tombe pas seulement lui-même mais fait tomber la présence à l’être tout entière[2] »

Crevaisons des points d’horizon

Dans les épisodes les plus aigus d’une décompensation spécifiquement schizophrénique, le je-pense, et donc aussi le je-parle, sont en éclats. Dans ces situations d’abîme, la voix du schizophrène est celle de la perte extrême de soi où le sujet qui parle semble désunifié, violemment désancré de lui-même et profondément incohérent.  En ces moments-là, les paroles s’opacifient et perdent, aux yeux des autres, toute solidité rationnelle dans les méandres du délire.

Crevaisons des points d’horizon intérieur

La schizophrénie, en un certain sens, pourrait être perçue comme un drame linguistique. D’une manière générale, la schize - la déchirure du schizophrène - est altération profonde du lien entre le sujet parlant et les normes de la langue usuelle, celles-ci constituant ce "principe de réalité" auquel doit se référer tout discours pour pouvoir communiquer le moindre élément de message. Ainsi, la parole schizophrène est celle qui chaotise l’ordre de la communication. Lorsque l’on entend des schizophrènes en crise, qu’ils utilisent les mots les plus banals ou les plus métaphoriques, ce sont souvent des flots de  phrases très confuses dont le sens global demeure d’une grande opacité sémantique. Le drame extrême de la voix du schizophrène sera de s’enliser dans un monde verbal incompréhensible où le je qui parle s’est délité.

II

Aux antipodes de la parole abîmée du schizophrène, se situerait la parole du philosophe. Traditionnellement, celle-ci se veut "solide", en possédant une assise rationnelle et une puissance démonstrative au-dessus de la masse des discours ordinaires – le monde de l’opinion – saturés d’idées pré-jugées et de sentences contradictoires. En ce sens, puisque les grands systèmes philosophiques sont mus par la recherche d’un Logos, d’un Verbe, c’est-à-dire d’une Parole forte en certitude et degré de vérité, nous pouvons, dans notre perspective, déceler en chacun  l’expression récurrente d’une profonde volonté de puissance langagière à l’œuvre. Même si à l’horizon de la modernité et post-modernité, ils sont un grand nombre, dans le milieu de la philosophie, à avoir fait le deuil d’une métaphysique de la vérité, leur horizon et leurs cadres de pensées demeurent encore liés à la sphère de la parole forte : on ne se cesse pas ici de     vouloir conceptualiser intensément, d’agencer rigoureusement des idées pour saisir – fermeté de l’approche rationnelle ! – les phénomènes étudiés.[3]

 

Face à cette quête philosophique de la parole forte, parmi les penseurs les plus ouvertement opposés à elle, il y a ces deux essayistes de grande envergure iconoclaste : Georges Bataille et Emile Cioran. Le point commun primordial de leurs réflexions est sans conteste le rejet manifeste des systèmes conceptuels au profit d’une pensée du non-savoir, d’une parole qui n’a plus pour fantasme et idéal une saisie démonstrative du monde. Dès lors, penser devient avant tout rechercher une ouverture d’esprit réceptive et désintellectualisée, abandonnant l’esprit de démonstration pour une monstration singulière du monde. Celui-ci pouvant être, par exemple, le monde totalement hors-norme des extases mystiques  ( Des larmes et des saints de Cioran et L’expérience intérieure de G. Bataille) ou bien encore, celui des pulsions monstrueuses chez les grands criminels (Le procès de Gilles de Rais de G. Bataille). 

 

Dans le champ de la poésie moderne au XXe siècle, si l’on se réfère aux mouvements les plus radicaux dans leurs recherches de transgressions et d’inventions verbales, tels le dadaïsme, le surréalisme, et dans leur prolongement, les poètes phares de la beat generation, l’ouverture à la parole abîmée devient fondamentale. Leurs poésies ont pour visées communes de se mettre à œuvrer dans la dimension de la déraison langagière. Autrement dit, d’être en rupture radicale avec l’horizon normatif du langage pour donner forme à un nouvel horizon de  la parole poétique que nous pouvons nommer le lyrisme de l’insensé. Non seulement ici la recherche poétique ne tourne pas le dos à la parole abîmée (ainsi que le fait traditionnellement le logos des philosophes) mais elle s’efforce de la rechercher pour œuvrer dans son élément abyssal. L’un des meilleurs exemples de ce genre d’expérimentation poétique pouvant être, à nos yeux, celui des écritures automatiques inaugurées par les surréalistes. Le livre Les champs magnétiques[4] serait un grand opus de l’insensé par sa profusion chaotique de métaphores. Ainsi, dans notre perspective, on dira que ces expériences de paroles poétiques rencontrent l’univers des paroles abîmées, comme celles du schizophrène, pour tenter d’œuvrer à partir de leurs abîmes langagiers. Enfin ces lieux sombres, là où la parole poétique peut se déchaîner, n’excluent pas l’humour (même s’il est noir, c’est-à-dire trash) et la dérision dans la déraison verbale. A condition de posséder en soi quelques forces psychiques structurantes, on pourra parfois éprouver cette joie dionysiaque d'œuvrer dans le chaos du verbe.

 

 

[1] L. Binswanger, Introduction à l’analyse existentielle, éd. Minuit, 1989, p.201

[2] L. Binswanger, Le cas S. Urban, éd. G. Montfort, 1988, p.45

[3] Dans le domaine de la philosophie contemporaine, l’exemple le plus éloquent d’une parole philosophique qui se présente comme très forte est la philosophie d’Alain Badiou. Comme le déclare, d’une façon polémique, François Laruelle : « le philosophe A. Badiou tient sous son autorité à peu près tous les savoirs, leur assigne une place et un rang, fixe les hiérarchies, planifie son territoire. » Anti-Badiou, sur l’introduction du maoïsme dans la philosophie, éd. Kimé 2011. Ici la visée du philosophe semble mue par une ambition fantasmatique exacerbée qui serait d’être un empire conceptuel.

[4] Les champs magnétiques  André breton et Philippe Soupault, 1920. 

 




Un regard sur la poésie Native Américan (12)

     Née en 1951 à Tulsa, Oklahoma, d’un père Muscogee (nation Creek) et d’une mère Cherokee ayant aussi des ascendances françaises, Joy Harjo compte parmi ses ancêtres le chef Menawa qui avait mené la « Red Stick War » au début des années 1800.  Ses tantes paternelles ont joué le rôle de modèle pour Joy. Artistes et femmes libres, émancipées, elles ont transmis à Joy l’héritage culturel Creek et lui appris à le chérir. Joy a poursuivi des études au célèbre institut des arts amérindiens de Santa Fe au Nouveau-Mexique (IAIA). Elle se destinait une carrière dans la peinture et plus largement dans les arts, c’était une période de croissance et de maturation pour elle qui était perturbée par le divorce de ses parents. A l’âge de 17 ans, en 1968, elle obtint son diplôme. Après avoir donné naissance à son premier enfant, elle commence à étudier la médecine, études qu’elle abandonne rapidement pour revenir à la peinture et se former à l’écriture créative. Le début des années 70 aux USA est l’époque des luttes pour les droits civiques. L’American Indian Movement est alors très actif et Joy va accompagner cet élan de renaissance et de renouveau des cultures indiennes en écrivant des textes et des musiques qui parlent de l’expérience des femmes Indiennes au sein d’un contexte plus large de cultures et de traditions. La conscience politique et le militantisme parmi les jeunes Indiens s’étaient réveillés avec l’occupation de l’île d’Alcatraz. L’influence de Leslie Marmon Silko et de Simon Ortiz se révélèrent décisive pour Joy Harjo qui commence à faire figure de voix importante, elle publie ses premiers poèmes et obtient sa licence en écriture créative en 1976.  Elle décide alors de poursuivre et d’obtenir sa maîtrise à la célèbre université d’Iowa. C’est là qu’elle donne naissance à sa seconde fille, née de sa liaison avec le poète Simon Ortiz. Pour assumer la charge de ses enfants et en tant que mère célibataire, elle occupe divers petits boulots tout en étant étudiante. Joy va ensuite enseigner dans le sud-ouest, dans le Colorado, au nouveau- Mexique, en Arizona, et va développer des liens avec le paysage très forts, liens que nous retrouvons dans sa poésie. Elle retourne en Oklahoma régulièrement pour participer aux cérémonies organisées dans sa tribu. Les Creeks ont subi le même sort que les Cherokee. Ils ont été déportés sur ce qu’on a appelé la piste des larmes, rejetés en Oklahoma, ils ont perdu leurs terres ancestrales. Ils sont comme elle le dit : stolen people on a stolen land. Le premier livre de Joy est paru en 1975, intitulé The Last Song, qui montre la situation aliénante des jeunes Indiens, de jeunes guerriers ils sont devenus des jeunes brisés, fauchés, et qui évoluent dans un monde où le Trickster (ici sous la forme de la corneille) joue ses farces afin d’offrir un espace de liberté dans un univers où les femmes luttent pour essayer de conserver une cohésion tribale. En 1983 parassait She Had Some Horses, un recueil dans lequel Joy essayait de régler ses comptes avec les douloureuses conséquences de son histoire. L’héritage est riche mais l’héritage est lourd. Ce recueil fait date dans la carrière de Joy Harjo. A partir des fragments d’histoires personnelles et tribales, à partir d’un espace lacéré par les frontières, les barrières et les fils barbelés, à partir de l’endroit isolé, désolé qu’est la réserve, avec l’aide de cette figure dominante du cheval, archétype et métaphore du monde Indien, Joy nous montre comment les Indiens sont relégués dans un No man’s land, et comment les traumatismes inscrits dans l’inconscient collectif débouche sur une peur qui ne les quitte pas, peur qui peut se retourner en colère féroce. Elle montre combien les Indiens sont réduits à un état de survivance, mais déjà survivre ouvre une dimension d’espoir car c’est aussi un chemin existentiel où la régénération est possible, malgré les pertes culturelles et de territoires. Joy semble mettre en avant la forte relation entre langage, terre et femmes. La terre est un sujet poétique qui accompagne l’acte de donner naissance. C’est la terre qui accueille la femme qui donne vie et le langage porte la possibilité de communiquer avec la terre tout comme accoucher affirme que le contact physique, est établi avec la terre elle-même. La chaîne parole-création-procréation est revitalisée de génération en génération par cette relation vécue par le poète, par l’Indien, avec la terre. Cette relation montre alors combien elle implique de résistance quand elle subit des attaques physiques d’extermination, culturelle ou génocidaire. Les chevaux sont les moteurs, les ressources, les forces vives qui peuvent se retrouver pétrifiés, aimés ou haïs, perdus dans des délires hasardeux, incontrôlables, sublimes de beauté, et ce tout à la fois et dans une même personne qui finalement comprend le processus d’évolution qui depuis une forme de terreur jusqu’au refus d’être l’éternelle victime aussi sur le plan individuel que collectif.

      Joy Harjo choisit de garder la structure traditionnelle des chants et récits Indiens. La simplicité apparante révèle malgré tout des expériences avec l’écriture qui font que les mots incarnent un potentiel de narration et d’évocation au-delà des sons et des images, au-delà du langage parlé. Itération, métaphores, enjambements, permettent de façonner une forme prosodique et rythmique très efficace. En 1990 sortait un autre recueil : In Mad Love and War. Une promesse d’équilibre ainsi qu’une vision du soi et du monde alterne avec la dénonciation des conflits partout sur la planète. La vraie révolution est l’amour, la furie est transformée en une force d’accomplissement avec de nouveaux modes d’expression. Joy Harjo est maintenant capable dans ses poèmes de concrètement unir le monde réel et un espace mythique de fraîcheur où elle est connectée avec le cœur et l’esprit de sa culture. De la mosaïque qu’elle était dans She Had some Horses, Joy a accompli un parcours de complétude qui réaffirme l’interdépendance de toute chose et être avec toutes les choses et tous les êtres. Elle réussit à faire du passé une graine bourrée d’énergie qui germera au futur en apportant des transformations bénéfiques.

      A ce stade de la présentation il faut ajouter que Joy Harjo joue du saxophone et qu’elle aime le jazz. Elle a créé sa formation nommée Poetic Justice. Cela n’est pas anodin, elle utilise le langage comme un instrument et grâce aux allitérations, assonances, en succession, plus l’usage de perceptions visuelles et auditives, elle nous laisse entendre un flot comme interrompu d’un flot ondulant de musique et de poésie qui la rapproche de la performance, mais toujours en toile de fond le texte garde sa dimension tribale orale. Elle a une expression pour caractériser son travail,  il s’agit de : Bleeding Throuh. Le sang, la vie, passent à travers, pour que les différentes couches et différents niveaux de la réalité qui comprend le surréel, le super naturel, soient toujours en interrelation, travaillent ensemble. Il n’y a plus de fossé et ainsi qu’elle l’écrit : ” it’s not by accident you watch the sun / become your heart / sink into your belly then reappear in a town / that magnetically attracts you”. (Ce n’est pas par hasard que vous regardez le soleil / devenu votre cœur / couler dans votre ventre et réapparaître dans une ville / qui vous attire comme un aimant). Dans In Mad Love and War. Joy Harjo s’est également essayée au poème en prose. Grâce à cette forme elle capture la concrétude narrative d’un récit conté, tout en gardant un mouvement rythmique et un langage poétique très évocateur, très provocateur parfois aussi, qui stimule la pensée. Joy Harjo voit la musique  et la poésie comme devant aller ensemble, et bien qu’elle ait écrit avant de chanter et de jouer de la musique (saxophone et flûtes, percussions), elle défie le milieu universitaire en l’accusant de vouloir confiner la poésie à la page du livre alors que la poésie a toujours été de par le monde chantée, et doit continuer à se connecter à ses origines musicales.

      En 1989, Joy Harjo a collaboré avec le photographe Stephen Strom pour un ouvrage intitulé Secrets from the Center of the World, et qui montre les paysages Navajos. Les textes de Joy évoquent l’esprit du lieu plutôt que de donner des descriptions illustratives. Par son travail elle souligne la présence humaine mais en creux, remarquée par son absence. Mais grâce à cette absence, d’autres présences émergent, les mots eux-mêmes sont peuplés et rendent visibles : ”A summer storm reveals the dreaming place of bears. But you cannot see their shaggy dreams of fish and berries, any land signs supporting evidence of bears, or nay bears at all. What is revealed in the soaked earth, forked waters, and fence line shared with patient stones is the possibility of everything you can’t see.” (Une tempête estivale révèle l’endroit où les ours rêvent. Mais vous ne pouvez pas voir leurs rêves velus de poissons et de baies, ni aucun signe faisant la preuve de la présence d’ours. Ce qui est révélé dans la terre détrempée, dans les eaux détournées, dans la barrière sur une ligne partagée avec les pierres patientes, c’ est la possibilité que vous puissiez tout voir).   Le ton donné véhicule une attitude de grand respect pour la terre.

      Joy Harjo par ailleurs avait affirmé que la poésie est "the most distilled language." ( le langage le plus distillé). Comme beaucoup d’autres auteures féministes ayant commencé sa carrière dans les années 70, elle a exploré le langage et sa structure pour faire de sa poésie et de sa voix l’outil nécessaire à sa prise de responsabilité en tant que femme dans un contexte tribal agissant pour le bien du monde entier. Joy Harjo était responsable d’édition pour le projet d’anthologie intitulé : Reinventing the Enemy's Language: Contemporary Native American Women's Writings of North America. Ce livre rassemble poésie, souvenirs, et même des prières recueillies auprès de femmes Indiennes dans plus de cinquante nations indiennes. Réinventer le langage de l’ennemi, l’envahisseur anglophone, et le retourner contre cet agresseur est un des buts avoué de nombreux auteurs indiens. Se servir de la langue anglaise pour donner un nouvel élan, pour contaminer et semer les germes de la renaissance des cultures indiennes si vivaces, voilà l’ironie de l’histoire, voilà le retour de bâton que les colons n’attendaient pas eux qui n’avaient en tête que les politiques soit d’assimilation soit d’extermination!

      Joy Harjo continue de se produire dans les festivals et les théâtres, elle a obtenu un prix artistique auprès du cercle des écrivains Indiens d’Amérique  ainsi que le prix William Carlos Williams de la société poétique des Etats-Unis. 

       Joy Harjo donne un rôle central au pouvoir des mots qui incarnent la mémoire du monde Amérindien. Son écriture est vivant témoignage de l’identité Indienne. Rien de pompeux, pas de slogan, et pourtant elle offre et partage une vision politique et les passions humaines telles que sa culture les comprend. Elle fait dialoguer les mythes et les paysages anciens avec le monde urbain de telle sorte qu’amour et pensée au présent restent continuellement au contact de la tradition. Joy tient sa force de sa capacité à tenir ensemble une identité personnelle complexe mais sans emphase exagérée, avec sérénité, afin d’affirmer ses choix et ses racines sans nous plonger dans un univers muséal ou folklorique. L’historique dans son œuvre devient vie elle-même traçant un chemin sur « the beautiful red road », à la manière Indienne, en suivant sa voie rouge. Laissons-lui le dernier mot: « The poet’s road is a journey for truth, for justice. » (le chemin du poète est un voyage pour la vérité, pour la justice) 

Une anthologie de la poésie féminine amérindienne contemporaine, préparée par Béatrice Machet, paraît cet automne sous l'égide de Recours au Poème.

 

 




Jacques Dupin et l’acte d’habiter l’impossible

De quoi parler lorsqu’il n’y a rien à dire, lorsque tout ce qui avait été construit est en ruines et que l’acte de dire est devenu impossible ? La poésie est peut-être le seul espace où l’impossible devient possible.

Comment dire ? est considéré comme le texte inaugural de Jacques Dupin. René Char le publia en 1949 dans la revue Empédocle, qu’il dirigeait avec Albert Camus et Albert Béguin. Dupin avait 22 ans. La guerre n’était pas loin, et les ruines qu’elle avait laissées encore bien présentes après l’occupation des nazis, les camps d’extermination, la révélation d’Auschwitz, que feront résonner les mots célèbres d’Adorno : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes »[1]. Le jeune poète l’avait déjà constaté d’une certaine manière dans Comment dire : « On ne peut édifier que sur des ruines. »

Certes, la poésie de Dupin va se fonder sur la destruction. Il n’y a pas d’autre voie possible. Oui, pour paraphraser Adorno, écrire des poèmes est devenu impossible, et l’on peut même en faire une prémisse : « Écrire des poèmes est impossible ». Dès lors, il semble tout à fait normal d’espérer atteindre l’impossible à la recherche de la poésie. Déchiqueter l’écriture pourrait mener quelque part : sauver la poésie, la restituer dans son état le plus pur. Mettre en lumière l’impossible et y rencontrer la poésie : « Ma génération a grandi dans ce climat de désolation où les ruines ne manquaient pas. Matérielles, mais aussi spirituelles et métaphysiques. Etat des lieux : état des ruines ».[2]

Tâche du poète : l’impossible ; pour décomposer l’écriture comme pour édifier sur des ruines, une destruction préalable est nécessaire. Destruction et construction vont de pair, il ne s’agit pas ici de permanence mais de déplacement :

Écrire pour moi ce n’est pas être le gestionnaire encore moins le gardien, le guide, le contrôleur
de ce qui est, qui est écrit. Mais le mouvement de la marche, l’ouverture des yeux, le corps qui se
projette dans l’inconnu, et la parole qui découvre, qui éclaire.[3]

 

Et dans ce déplacement, comme le dit Dupin, le surgissement de la parole.

Tenter de suivre les pas du poète, c’est aborder le territoire de l’impossible. Et pour approfondir le travail du poète et comprendre ce cheminement, il faut s’interroger sur le langage lui-même. Sur le matériel dont le poète dispose. Dans l’entretien qu’il a eu avec Valéry Hugotte, il propose, pour l’expliquer, un canevas où le langage, en tant qu’entité autonome, serait privé de sa fonction communicatrice. Dans un tel scénario, la langue est nue, nue en pleine lumière, et cette nudité provoque violence. C’est dans ce chaos, le langage, que les mots scintillent comme des étoiles et que les poètes travaillent :

 

Les écrivains, et singulièrement les poètes, travaillent le chaotique et l’informulé de la langue.
Ils ne façonnent pas ni ne fomentent, ni ne modèlent la langue, ils précipitent son surgissement.
Ils s’absentent pour lui livrer passage, et réinscrire à travers leurs corps, ses traits et son sens.

 

Ainsi, dans l’obscurité du chaos, parmi les constellations des mots qui scintillent, le poète doit s’absenter complètement, seule manière de laisser la voie libre, seule manière de ne pas intercepter la langue et d’en précipiter le surgissement. Le Sujet doit s’absenter et de cette absence surgit la parole nue. Le poète habite cette absence, dans l’écart. Et c’est grâce à cet écart que surgit la parole. Pour entrevoir la poésie de  Dupin, nous devons donc atteindre cet espace d’absence, nous devons oublier les Je, suivre avec lui le surgissement et toucher, pour un instant seulement, l’impossible. Autrement dit, la poésie. Car, la poésie, dit-il, « c’est l’acte le plus pur d’habiter l’impossible [4] ».

 

 

 

 


[1] Prismes (1955), Payot, 1986.

[2] Entretien entre Valéry Hugotte et Jacques Dupin. Édifier sur des ruines sur http://remue.net/spip.php?article329 consulté le 04 /12/13 à 16 :21

[3] Ibid.

[4] Décréau J, «  Jacques Dupin, La poésie comme une déchirure », sur http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/01/jacques-dupin-la-po%C3%A9sie-comme-une-d%C3%A9chirure-.html, consulté le 04/12/13 à 21:11
Carolina Massola est l'auteure de certains textes de cet ouvrage.




Matériellement vôtre…

Tenez...Voyons voir...
Un petit éclairage,
sans message particulier mais,
Il nous faudra bien cesser
de Mystifier,
de compliquer,
de...nous laisser voiler
La face,
Devant ce qui pourrai nous éclairer
sur tant de choses!...

La Lumière Matérielle,
est Lumière Inversée,
Diffuse et Diluée.
La Matière est lumière,
le Point,
Ni grand ni petit,
Absolu Fondateur
De tout ce que nous sommes.

L’Intelligence est Une lumière
en Continue.
L’Âme est son Courant,
électrisée par son mouvement,
Et notre matérialité,
Jusqu’au Coeur de ses pores,
La Respire.

Chaque mot a son Existence
Quelque part,
Et change de substance
selon les plans de Vue.
Chaque mot, Chaque corps
Chaque Espace, De Vie,
Comme Chaque Temps
possède sa rythmique,
et son Chant,
déchiffrée,
par ViBRATO.

Merci Einstein,...et les autres,
mais l’Espace, comme le Temps,
sont repères a nos esprits matériels.
«L’espace-temps» n’existe pas,
en Matière.
L’Espace, comme le Temps,
Est Le Même.
Ni associés ils sont, ni dissociés.

Quand l’Identité imaginée
s’est fleutrie,
parce qu’épuisée,
de toute réactivité,
Le JE se révèle,
toujours Actif,
dans l’Acte en lui même,
comme dans le «laisser passer».
Le «JE» suis unTrajet,
et sans plus de broussailles,
JE se meut au travers,
Il se meurt comme Il Vit.
C’est toujours en Je
que nous allons chercher Matière,
A renouveler,
Parce que «Pieds à Terre».

Lumière de l’Esprit,
n’est jamais Flottant.
Il-Elle est toujours Matière
A créer.
Le Matériel est Matière Densifiée.
La Matière est toujours Libre d’adopter
Une forme ou Une autre
Qui lui scie bien,
à Elle, et à Celui qui la Voie.
La Matérialiser revient à Convertir,
Inverser par Reflet.
La Matière est: «Ce que l’on fait Maintenant».
Et le Matériel est toujours
Un avant ou Un après
Réfléchi ou Projeté.

La Matière est Le Point Incontestable,
Elle est L’Oeil qui prend TOUT
en considération.
Et lorsque Elle voyage,
se charge d’Informations
Différentes selon sa Localisation.
Divergentes selon les plans d’actions,
de par leur Vitesse de croisière.
Et c’est Selon,
Leur Ondulation particulière,
Qu’elles prennent Forme Unique
en son genre.

Lorsque la Matière
Un jour nous frappe,
Elle passe au travers
toutes nos résistances
pour venir jusqu’à Nous.
Mais chaque Résistance est Transistor
et sans elles, Intermédiaires,
L’Existence serait réduite à Néant.
Tellement,
L’Un est l’extrême de l’Autre.

Être en volonté,
ce n’est pas être volontaire,
c’ est simplement savoir
Rester Debout.
Nous pouvons marcher car
Matériellement, la matière ne bouge plus.
Solide est la Pierre,
C’est notre Volonté.
Mais Fragile Elle est,
Si l’on reste Pétrifié,
En Elle.
La Matière ne bouge pas
Mais Nous La vivons en mouvement.
En travelling, Zoom avant
zoom arrière,
c’est notre voyage permanent,
Et toujours dans La même Objectivité.

Homo  s’est un jour levé,
pour la simple raison
qu’il voulait cueillir Une baie.
De quatre pattes il s’est tenu sur Deux
Rien que  pour Cela.
Et c’est Tout, il n’ y a jamais rien à comprendre,
Lorsqu’il s’agit de Vie.
A trop Vouloir L’imaginer ,
c’est l’enfermer quelque part
Au dehors d’elle.
Mais la refléter sur papier,
est une manière pour nous,
De la jouer,
de la faire vibrer en cordes,
Vocalement.
C’est seulement pour cela
D’ailleurs,
que Nous parlons.
Mais babillage est plus proche souvent,
De son chant,
que nos mots Intelligibles.
Attention ne vous compliquez pas L’existence!
O oui, soyons Créatif
mais spontanément, dans l’instant
et ne jamais remettre à Hier,
en se projetant demain.
Car alors, vous vous comparez,
à toujours plus lourd que vous ne l’êtes.
Attention à nos Facultés!
à nos «Talents»....,
ne vous laissez pas prendre au jeux,
car si trop de valeur déplacée
vous leur attribuez,
danger pour vous-même vous serez,
et fatiguant, voire très barbant
pour les autres vous deviendrez.

Parce qu’il y a Tout,
Dans un Regard,
Et une main tendue.
Et même si un sourire,
est d’un certain point de vue,
Complexifié à l’extrême,
Il est, en tout et pour tout, très simple.
Car vous ne l’interprétez plus,
vous souriez et c’est tout.

JE, suis matériellement,
à votre disposition, mais sachez
que Je, de ma matière,
ne se dispose à Rien.

Claire Foucault
Avril 2014