Un pétrarquiste sicilien méconnu

Giovanni Di Michele

 

Pétrarque, on le sait – et non Dante – a dominé les Lettres européennes pendant deux bons siècles, avant d’être exténué et de finir par lasser, aux derniers feux et excès d’un maniérisme post-baroque. Dans les marges frontiere également, et en des langues bientôt minorées, son influence a été partout sans conteste ; ainsi dans la déjà provinciale Sicile – en dépit de la renommée du « Pétrarque sicilien » Antonio Veneziano –, à partir du grand répertoire des Muse Siciliane de G. Galeano (1647-53, puis 1662) : en anthologies donc, peut-être parce qu’aucun auteur ne parvenait là à une suffisante affirmation personnelle. Forme de résistance, du moins langagière, mais presque en tout dépendante des modules toscans dominants, à l’influence espagnole par ailleurs omniprésente (du reste, au positif, les rapports entre Veneziano et Cervantès furent notables et féconds). Ailleurs, dans les Italies de ces siècles sombres, les mêmes stylèmes se retrouveraient sans solution de continuité (un exemple suffira : « Era la donna mia pensosa e mesta », incipit de Pic de la Mirandole, récemment mis en français par François Turner – mais aussi Renaud passant une nuit « pensosa e mesta » dans la Jérusalem délivrée, XVIII). Notre auteur s’insère parfaitement dans ce cadre général, pour ainsi dire avec résignation ; il s’en distingue par une plus grande variété (y compris çà et là non lyrique), une richesse d’intérêts et de style, aux côtés de quelques autres poètes intéressants tels Mighiazzu et Scimeca.

Dans le ms. 603 (1658) de la Bibliothèque du Musée Condé de Chantilly – objet de la thèse soutenue par Tobia Zanon en 2008 (cotutelle CIRCE - Univ. de Vérone) –, un élégant in-12 oblong de plus de mille pages, soigneusement écrit et intitulé Scelta di Canzuni siciliani, deux auteurs au moins ont été de véritables découvertes, Giuseppe Durazzo (Durazzu) et Giovanni Di Michele. Mais c’est ce dernier, Giuanni Di Micheli, qui a retenu aujourd’hui notre attention, d’abord par le sens de révolte et l’amertume (amoureuse, mais surtout sociale et politique) de ses vers, ensuite par le caractère moins convenu ou occasionnel du petit ensemble des poèmes choisis par le compilateur de ce Choix ancien. Il n’est pas étonnant que deux de ses canzuni (des ottave siciliennes écrites dans une langue quelque peu adoucie de toscanité commune), Chist’è lu locu… et Cui trasi ’ntra st’orrenda sipultura, aient été attribuées par Giuseppe Pitrè au poète (et ecclésiastique) engagé Simone Rau ; et, de là (pour la seconde) reprise par Sciascia au début de Morte dell’Inquisitore, 1964, comme graffiti extrême d’un condamné au bûcher après question (voir ci-dessous, 63 : Cui trasi ’ntra st’orrenda sipultura / undi regna la stissa crudeltati, truvirà scrittu a li tartarei mura / «Nisciti di speranza, vui ch’intrati !» / tantu s’agghiorna ccà quantu si scura, / sempri si trivulia, stenta e pati / perchì non si sa mai lu iornu e l’hura / di la sua disïata libertati.). Et l’on pourrait penser encore à certains sonnets un peu mieux connus de Tommaso Campanella, lui aussi enfermé et atrocement torturé non loin de là, à Naples.

Voici donc, dans l’ordre où les compositions apparaissent dans le volume manuscrit (cf. éd. Zanon, dans le tome II de sa thèse : Le ms. 603 de la Bibliothèque du Musée Condé, 2008, p. 169-90) :

 

Comme brillante sphère en limpides ondes
qui diffuse là ses rayons dorés
et aux endroits obscurs, tristes et profonds
fait parvenir son or ensoleillé,
tel je me sens sous tes regards où je fonds
alors qu’ils se portent de tous côtés,
faisant resplendir le ciel et mille mondes,
et moi, taupe, ouvre les yeux et mourrai.

                                                                     Comu lucida sfera…     [Zanon 21]

 

La prison est une école d’ignorants,
bêtise pour les sages avisés,
enfer de pauvreté, misère et effroi
de la plèbe enfermée, des pauvres gens,
guerres continues, confusion, et des saints
fort peu de dévotions et presque rien,
tracas d’étrangers, deuil et lamentations,
repaire de traîtrise et tromperies.

                                                               La carzara è una scola...     [Zanon 34]

 

De temps à autre dans cette sépulture
ma mémoire se met à naviguer
du lever du jour jusqu’à la nuit obscure
sur une mer de songes, de pensées,
car il se peut que ma dame, d’aventure
par l’éloignement rendue dépitée,
change son désir et que pour mon malheur
je meure ici d’extrême jalousie.

                                                                Di quandu in quandu…     [Zanon 55]

 

Qui entre dans cette horrible sépulture
où règne une pérenne cruauté
trouvera écrit sur ces murs du Tartare :
‘Laissez l’espérance, vous qui entrez !’
Il fait jour ici autant qu’en nuit obscure,
toujours à souffrir, supporter, peiner,
car on ne sait jamais ni le jour ni l’heure
du retour à la chère liberté.

                                                            Cui trasi ’ntra st’orrenda…    [Zanon 63]

 

Du lever du jour jusqu’à l’obscurité
je fais de ma mémoire un labyrinthe
tel que qui veut en sortir et mesurer
se trouve plus que moi las et contraint :
je le mure et tisse, et le défais sans cesse,
et toujours suis empêtré dans ses rets,
et quand je me crois sur le point d’en sortir,
c’est alors que j’y suis plus prisonnier.

                                                                  Di quandu agghiorna…    [Zanon 76]

 

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(Sur les langues minorées de la Péninsule italienne voir ma rubrique ‘Frontiere, Marches’ dans : http://nositaliesparis3.wordpress.com )




Chroniques du bel aujourd’hui (1)

Dans le bref trajet qui me conduit à Bruxelles, je lis le Saint Paul de Patrick Kéchichian. Mais est-ce bien l’endroit pour profiter pleinement de cet exercice d’admiration et de méditation, d’éloge et de fidélité à une parole entendue ? Il y a une science singulière dans la méthode d’approche du récit et de la critique chez Kéchichian. Elle impose un retrait, un silence et même une conversion du regard et de la voix. Le chemin tracé n’est pas celui de l’historien ou du théologien. Il ne paraphrase pas un dogme mais témoigne doublement. Il témoigne d’abord sur Saul qui, se  découvrant Paul, meurt et ressuscite pour lui-même : Ce qui est alors donné à Paul, jeté à terre et aveuglé, c’est la grâce de l’immédiate intelligence de la Mort et de la Résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ. Il témoigne aussi sur la foi de Patrick Kéchichian et sur la prière qui est l’envers d’une cérémonie du chagrin. Cette anthologie des écrits pauliniens nous annonce l’essentiel : quand l’éclair d’un signe déchire la trame usée du monde, nous sommes mis en demeure d’être là, dans l’Ouvert, dans une parole qui s’écoule en son origine.

 

Qui sont mes rivaux, mes persécuteurs tenaces ? Si le désir m’est bien suggéré, par les neurones miroirs et par la propagande du dehors, je tente d’échapper au désir mimétique et à la rivalité qui en résulte. J’y échappe par une indifférence totale vis-à-vis des modes  et des manies sociales. Mon isolement, mon détachement (sauf en ce qui concerne mes proches sur qui je veille muettement jour et nuit), mon expérience intérieure et ma vision panoramique m’évitent toutes les pathologies de la relation. Je suis sans doute trop inactuel pour aliéner ma liberté. Et puis dans le monde renversé que je tente de m’approprier, je sais que je dois sauver ma vie en la perdant.

Dieu est un nom imprononçable et abstrait. Trop abstrait pour être… catholique ! Celui qui m’habite et me questionne, celui qui me sauve et que je dois sauver, celui enfin qui s’est livré aux hommes pour sauver le Dieu amour, c’est le Christ. La parole de Dieu s’est incarnée en Christ. Ma foi grandit quand je parviens, tant bien que mal, à imiter la face visible de ce Dieu qui a parlé aux hommes.

Je suis connu de Lui. Et je sais que, quand je pleure, il pleure avec moi. Quand je souffre, il souffre avec moi. Il souffre de la souffrance du lépreux, de la souffrance de l’aveugle, de toutes les souffrances.

Il porte ce que nous portons, incapable de guérir notre monde inguérissable. L’acte de l’homme tente, tout le temps, Dieu à ne plus être le Dieu d’amour  (Jacques Ellul).

La passivité politique et les compromissions mondaines font des chrétiens d’Europe des adorateurs fatigués de substituts de Dieu. C’est une chrétienté politique qu’il faut restaurer. Comme Barbey d’Aurevilly, j’ai parfois d’aristocratiques nostalgies de croisés.

Et pourtant, j’entends bien que Dieu nous libère de la volonté de puissance. Jean-Luc Marion ne cesse de nous le rappeler dans son livre d’entretiens avec Dan Arbib : La rigueur des choses (Flammarion). Et si je me sens plus proche d’un René Girard que d’un Charles Maurras, je n’oublie pas que le thomisme et le maurrassisme étaient perçus, avant la rupture entre l’Eglise catholique et l’Action française en 1926, comme les deux piliers d’un même édifice.

La sortie de soi par haine de soi, par renonciation à soi et à sa culture est devenue la règle de l’adhésion moderne à une altérité douteuse. Le converti (au multiculturalisme notamment) est un masochiste qui sombre dans l’engagement vertueux des milices du bien. Ces milices du bien ont trouvé un écho dans la lettre-pétition d’Annie Ernaux contre Richard Millet (Le Monde, 11 septembre 2012). Les censeurs, cachés derrière des causes soit disant humanistes, sont dorénavant partout. Ils vivent du ressentiment et du chantage permanents et ne prennent évidemment plus le temps de lire les livres qu’ils critiquent. Patrick Besson sera un des seuls à dénoncer avec humour cette affligeante « liste Ernaux » dans l’hebdomadaire Le Point (20 septembre 2012). Il n’y a aucun Besson dans la liste Ernaux. Les Besson et la délation, ça fait deux.

Mais après tout, être lynché par des écrivains du social, gavés de reconnaissance et de prix littéraires, n’est-il pas un honneur ?

L’église catholique est la seule chose qui épargne à l’homme l’esclavage dégradant d’être un enfant de son temps (Chesterton). Ils ne sont pas enfants de leur temps la plupart des poètes que je lis. Mais décalés et en croisade eux-aussi contre la France potagère. Cette France, pitoyable province de la mondialisation, docile aux slogans de la propagande progressiste est atteinte de millénarisme laïc. Une République démocratique conduit fatalement au socialisme d’Etat et l’égalité de droit est source de mimétisme et d’antagonisme. Mais à quoi bon croiser le fer avec la société du festif et avec ses agents ? Il n’y aura jamais de guérison du corps social, mais à l’inverse, il y aura toujours l’espoir d’une Rédemption.

Le social aujourd’hui, c’est un appel au juridique pour garantir une équitable et lamentable distribution de la jouissance.

Et puis, l’addiction à l’objet et à sa consommation correspond à l’impératif absolu de nos sociétés qui consiste à produire de la richesse matérielle à l’infini. Cet impératif s’est substitué à l’Absolu, autrement dit à produire de l’amour à l’infini.

Or, le plus pur d’un amour, le plus désintéressé, le plus durable, n’est-il pas celui du créateur pour ses créatures, afin qu’elles accèdent – ces créatures – à la liberté et à la souveraineté ?

Cet amour là, qui a pour point d’appui le langage poétique, espère tout, supporte tout, excuse tout.

Moi aussi je suis père, et sans agir, je suis déjà agi par cet amour là pour mes enfants. Ce savoir là n’est pas un AVOIR ni même une projection. C’est un état permanent de veille. Je veille et déjoue l’angoisse grâce à l’espérance.

Le père messager, autrement dit le Verbe ou encore le langage poétique dit, dans un acte de foi et de confiance radicale, la chose suivante : vous êtes nées pour accéder à votre propre langage, à vos propres sensations et vous ne me devez rien, d’ailleurs je suis là sans être là, présent et en retrait, dans un amour qui aime sans retour, sans détour, tourné toujours vers le miracle et la beauté de chaque naissance.

On ne négocie pas, en effet, ses passions. Autrement dit, on peut déjouer les incitations à parler au nom d’une communauté.

Le Dieu vivant veut la vie, il la veut tellement qu’il a renoncé à sa toute puissance en faveur de la liberté humaine. La pensée, selon laquelle Dieu ne peut nous aider mais c’est nous qui devons l’aider, Hans Jonas, auteur notamment du livre : Le concept de Dieu après Auschwitz (Rivages), la défend après avoir lu le témoignage d’Etty Hillesum : Une vie bouleversée (Seuil). Cette jeune juive hollandaise se présenta, volontairement, au camp de Westerbork en 1942 pour y partager le destin tragique de son peuple et elle fut gazée, à Auschwitz, en 1943. Pour elle, Dieu n’a pas à nous rendre des comptes pour les folies que nous commettons :

 

(…) Je vais dans tous les lieux de cette terre où Dieu m’envoie, et je suis prête à témoigner dans chaque situation et jusqu’à ma mort, que ce n’est pas la faute de Dieu si tout en est arrivé là, mais la nôtre (…) Et si Dieu ne continue pas à m’aider, alors c’est à moi qu’il revient d’aider Dieu, aussi bien que possible (…) C’est nous qui devons t’aider, c’est nous qui jusqu’au dernier devront défendre ta demeure au-dedans de nous.

Quels sont les espaces éditoriaux qui s’ouvrent généreusement à ce que j’écris ? A qui s’adressent mes poèmes et mes critiques et quels risques prennent-ils à aimer sans retour ? J’ai eu de la chance. Celle déjà d’avoir toujours lu librement, sans contrainte scolaire ni professionnelle, celle aussi d’avoir été accueilli dans le non retour sur investissement du don. Si le Christ me suffit pour rester chrétien, ma tonalité interne dépend de l’écoute que l’on accepte ou non de m’accorder. Mais moi qui suis si peu, et depuis si longtemps, en accord avec mon époque, c’est toujours la radicalité du retrait qui fait ma propre actualité. Aussi, restant a-collectif et a-hypnotisable, je n’ai pas été surpris par le silence qui a entouré mes derniers recueils poétiques.

Nous avons tellement déconstruit, tellement renversé de colonnes et tellement cédé aux chants lancinants des sirènes nihilistes qu’il se pourrait que la beauté redevienne une idée neuve dans la poésie contemporaine. Les catalogues des éditions Ad Solem, des éditions de Corlevour, d’Arfuyen… signent une reprise d’initiative qui résiste à la dépréciation générale et au désenchantement.

Ce retour au centre, c'est-à-dire à l’âme, à ce qui au-dedans de nous appelle et reçoit, je l’entends magnifiquement dans ces Psaumes de l’espérance (Ad Solem) de Gérard Bocholier.

Le chrétien sait qu’il sera tout quand il consistera à n’être plus rien, rien que la vérité invérifiable de ce qu’il écoute, de ce qu’il voit. Le psalmiste s’efface mais ne se détourne pas de l’impossible. Il s’efface pour mieux entendre avant d’écrire. Bocholier définit le psaume comme un prélude lyrique de la prière. Ce recueil, dans lequel des quatrains se succèdent en figurant le temporel et l’éternel, le visible et l’invisible est bien l’œuvre d’un psalmiste :

Psalmiste et non poète. C’est dire à quels renoncements il faut consentir. Ecrire un psaume impose plus que de l’humilité et de l’obéissance à la Parole. Il s’agit bien d’effacement.

La beauté surgit dans le tremblement et dans l’espérance. Elle déplace l’attente et figure l’instant. Il s’agit bien d’écouter le monde se vider (se vider de toutes les valeurs qui se sont fardées des attributs divins) afin de mieux sentir la présence dans l’absence et le mystère de l’incarnation. Ce que refuse cet exercice spirituel, c’est un monde sans grâce qui n’est plus que la projection de nous-mêmes. L’intrigue de l’infini nous sollicite quand la beauté ne fait plus question : La question et la réponse / Ne font qu’un dans la lumière / Qui a inondé l’auberge / A la fraction du pain / Tu ouvres le crépuscule / A notre désir d’aveugles / La nuit que tu transfigures / Nous donne à voir l’invisible.

 

 

 

 




Notes pour une poésie des profondeurs [6] Ceux que nous sommes

 Souvent l’on entend plaintes et lamentations sur le thème du malheur contemporain de la poésie. La Dame serait mise à l’écart, peut-être même exclue du champ littéraire. La poésie n’aurait pas la place qu’elle mériterait dans les librairies. Cette manière de plainte est de notre point de vue choquante, ancrée expressément dans une vue commerçante de la poésie alors perçue comme formant livre − ce dont nous doutons fortement. Au fond ou au plus profond, nous pensons exactement le contraire.

Nous pensons dans un ailleurs.

La poésie n’a pas sa place dans les lieux marchands du livre parce que sa place n’est ni dans un espace marchand ni dans un livre (si ce n’est pour des raisons conjoncturelles de présence formelle en dedans de l’état provisoire de nos sociétés). La poésie n’est pas exclue du littéraire, pas plus qu’elle n’est mise à l’écart de ce champ. Bien que paradoxalement elle soit effectivement, par nature, à l’écart du littéraire. Les lamentations reviennent périodiquement mais elles sont fondées sur ce postulat qui, de notre point de vue, est erroné. À nos yeux, la poésie ne peut être mise à l’écart, bien que se tenant à l’écart, pour une raison simple : elle n’appartient pas au champ de la littérature. À celui de l’art – au sens ancien, traditionnel – de ce terme, oui, sans aucun doute. À l’espace du littéraire ? Non. Quand nous pensons ou que nous formons une image mentale de la poésie, ici, dans l’aventure en cours − ou plus précisément « réactivée » ou « réinitiée » en ce moment précis − de la poésie et des poètes des profondeurs, nous entrevoyons une lumière difficilement accessible, prenant la silhouette douce d’une étoile, et cette image est peu dicible. Évanescente, diffuse, peu solidifiée, cette lumière n’apparaît jamais une fois incarnée en-dedans de nos intellects sous la forme d’un livre ou d’une « conception de la littérature ». De façon simple, nous pourrions dire qu’elle ressemble à une danse qui, parlée depuis le même point, aurait figure simultanée de chant.

La poésie est en son essence un dehors du littéraire. Elle est l’expression symbolique, c’est-à-dire résonante, du Poème. En dedans comme en dehors de nous, des lieux qui n’ont que l’apparence de la séparation. Nous savons bien que ce n’est pas la terre qui tourne et nous n’avons plus l’âge de tomber dans les pièges ridicules de ceux qui séparent

La poésie ayant à voir avec le Poème Parole de l’origine se situe plutôt du côté de Delphes. Elle converse avec nous par le truchement des transes de la Pythie. Et elle nous confronte au cri de Merlin. Dans le souffle qui anime et la parole créatrice de réel, la poésie est un jeu qui se perpétue en même temps depuis, dans et par le Poème. Vision du chemin autant que chemin se bâtissant au long de la marche sur ce chemin même. Une succession graduée de voyages au cœur de cet extraordinaire voyage/vaisseau qu’est le Poème, le long d’une chaîne d’or très ancienne et cependant perpétuellement rajeunie. Que pourrait bien venir faire ici le littéraire, sinon sa modeste part affirmant ouvertement qu’elle participe du poétique, c’est-à-dire de la recréation incessante du créé, si l’on veut bien en croire l’étymologie grecque du mot « poésie » ? On l’aura compris : les poètes contemporains des profondeurs se reconnaissent entre eux et reconnaissent d’un même élan le caractère sacré de l’acte poétique.

Le sacré, ce que nous affirmons ici comme étant l’entièreté du réel.

Il n’est de réel que sacré.

Et par continuité naturelle, il n’est d’image que symbolique. Le reste, tout le reste, est bavardage en-dehors du réel de la Parole, ou imagination en dedans de ce virtuel sans consistance qu’est le Simulacre.

Il n’est d’autre réel que le Poème.

Ce seul réel, le Poème en tant que lieu ou point du sacré, est à la fois – simultanément − et de façon non contradictoire, la cathédrale de la vie/Poème et le chantier en construction permanente de cette même cathédrale. Vivant ainsi sous l’affectueux couvert du Poème, quel crédit pourrions-nous accorder aux minuscules affaires du quotidien de prétendus « mondes » autoproclamés de la « poésie » ou de la « littérature » ? Nous passons notre chemin. Les voies ne sont autres que vaguement parallèles. Que l’on ne se méprenne pas : ces manières de dire ne recèlent aucun élitisme. Elles font simplement l’évident constat de la coexistence d’espaces différents. Concrètement, ce constat est le contraire de toute forme d’élitisme : il est très exactement affirmation des différences. Cela est parfait. Et de fait, nous ne rejetons aucune forme se présentant à nous au nom de la poésie ou du Poème, si ce ne sont des formes assujetties aux franges obscures de l’anti poésie, parfois sous l’apparence de la poésie même. Nous n’oeuvrons pas et n’oeuvrerons pas à la gloriole des collaborateurs du présent. Mais nous pouvons donner à lire des formes de poésie fort éloignées de ce que nous sommes. Pourquoi ? Nous répondons par une autre question : qui peut savoir à l’avance les lieux où parviendront ceux qui se sont engagés, sous une forme ou une autre, sur le chemin du Poème ? Notre affection pour la Pythie de Delphes n’est pas volonté de voir dans un quelconque avenir : elle est croyance profonde en cette vie extraordinaire que forme chaque instant présent. Notre Pythie regarde un seul avenir : celui qui se vit ici et maintenant. On nous trouvera un tantinet « prophétiques » ? Sans doute. C’est une rançon nécessaire à payer en un monde, ou plutôt en cette partie minoritaire du monde et cependant pour l’heure dominante en laquelle nous vivons, qui est entré dans une époque d’ignorance des possibles et des réels contenus en ce simple mot − « prophétie ». Mais au fond cela ne nous intéresse guère. Nous vivons en dedans de la préoccupation du Poème, et cela engage concrètement, à chaque instant, dans nos chairs, ces vies mêmes que nous vivons. Et cela ne va pas sans dangers. Sans doute ces mots donneront-ils un sentiment de rejet et même d’exclusion à d’aucuns. On voudra y lire quelque violence. Que nous importe ? Nous ne sommes pas en dedans des cerveaux de tout un chacun et chacun est pleinement libre de vivre ses propres névroses, fussent-elles malencontreusement nourries par la présence de ceux que nous sommes.

Nous avons dissout en nous les scories du monde prosaïque, extrait le peu de poésie contenue dans la prose, vécu le dévoilement du Poème en-dedans de nous, et assumé le possible des coagulations à venir. C’est pourquoi nous affirmons la nécessité du Recours au Poème. Nous sommes devant cette évidence dont parlait René Daumal et de lui, de son engagement en dedans de ce même Poème, nous avons appris le sens profond de ce qu’il nommait à juste titre « la guerre sainte ». L’entrée dans le Poème est une porte étroite que nous commençons à peine à entrevoir, au loin ; nous ne savons rien de cela, mais nous sommes prêts à co/naître, disponibles pour cette Parole sans cesse perdue et renaissante qu’est le Poème. La poésie se vit dans l’être, au-delà de toutes les formes d’avoir. La poésie est un acte sacré et les poètes sont les mystagogues du Poème. Rien n’a vraiment changé depuis Éleusis. Au loin se tient la voûte étoilée et les marches de l’échelle sont difficiles à gravir. Pourtant la simple prise de conscience de la réalité de ces marches à gravir vaut comme naissance au réel de la vie et du Poème. Nous ne disons ici rien de « religieux », au sens galvaudé de ce mot. Nous ne croyons ni n’accordons de crédit aux prétendues religions, même si nous connaissons les fondations authentiques dont ces religions ont dévié. Mais cela non plus n’a guère d’importance. Ce qui importe se situe très exactement au cœur de ce mot « religion », en ce que ce mot exprime le lien profond entre les divers pans de la réalité, alors vécue en tant que plus de réel. Et cela se vit opérativement en-dedans de cette part des hommes que nous sommes, cette part qui brûle faiblement dans les ténèbres de l’ensemble formant homme, cette part qui est « reliée » à l’entièreté du Poème. C’est ce temple qui accroît sa présence en dedans du poète, le construisant lui-même comme Temple du Poème, tandis qu’il prononce les mots de sa poésie. Des mots issus de la source Poème. Comprendra-t-on ici combien cet état de l’esprit est fondamentalement en rupture essentielle avec le faux monde que nous pensons rationnellement avoir construit tandis que, au plus profond de sa solidification, nous n’en sommes que des pantins, maillons d’une chaîne dont l’insensé s’apparente aux images filmées par Chaplin en ses Temps Modernes.  Comme toute chose, la chaîne de la réalité existe en miroir de son envers. Nous parlons ici de la chaîne des hommes authentiquement humains, c’est-à-dire profondément poètes, une chaîne qui vit en miroir de la chaîne des hommes transformés en machines par cette même machine que nous croyons avoir construit. Il y a là, dans cette mécanique inhumaine se présentant comme étant un progrès humain, quelque fanatisme proprement effrayant. Nous ne mangeons pas de ce mauvais pain là même si nous pouvons en jouer.

Nous avons rencontré le Poème, et nous y avons cru.

Cela suffit.

 

 

 

 




D’ici on voit le ciel.

 

Où que vous emmeniez votre parole, elle portera l’immensité du jour que l’Apocalypse de Jean, dans cette demi-heure du monde, retient à l’aujourd’hui.

Les tramways de Fontenay échoués dans les sables et les vestiges du parc, énumèrent leurs cimetières au-delà de la rumeur urbaine. Opposé à l’arrêt de mort qui fixe le verbe dans un état immuable, vous échappez au cynisme des prédateurs, votre écriture fidèle s’adresse à l’un, sans distinction d’origine, nous invitant à nous fier à cet inconnu de passage né du langage par le langage.

Vous parlez près de la lampe, dans la douceur d’un soir chargé des arômes de la fenaison ; portée par une vision filiale, la parole incarne cet absolu précaire, ce regard sur les biens du monde, avec la présence des lichens et des anémones sylvie. Vos méditations sur les vainqueurs vous conduisent à discerner ces aubes de bataille où perce la sommation. Voilà la guerre perdue, la débâcle et ceux qui menaient l’assaut, la bouche sèche devant les hameaux incendiés.

Adversaire des flots imagiers, de leur recel, de la peur, de l’arbitraire, vous offrez le secours de la buée sur les vitres, de l’éclat du ciel dans une flaque.

Transcripteur de l’être plus que des formes, vous allez au-devant de la fille de ferme, du maître de la demeure. Vous êtes là où l’on ne vous attend pas, étonnant de clairvoyance. Vous offrez la patience devant la déroute, l’ironie et la foi devant les certitudes, la bonté devant l’implacable. Libre, vous désencombrez trophées et races, vous offrez, dans la nouveauté et l’effacement, les mots laissés à l’étiage.

A pied sur le chemin de Trancault, s’ouvre la voie de votre écriture, dans cet après-midi traversé l’élégies, où vous portez attention à l’œuvre du jour.

Enraciné dans ces patois téméraires des Ardennes et de Franche-Comté, votre verbe chargé de fulgurances et d’élévation conduit la traversée des jardins endeuillés, la saison au goût de genièvre, les squares aux petits troènes, l’atelier du peintre, les passereaux posés dans la monotonie des pentes, la froidure des forêts hachées par  la guerre, les savants déserts de Palestine et surtout ces aubes lumineuses qu’esseule le grand ciel dans l’oubli nocturne.

Votre longue silhouette de marcheur s’éloigne vers l’échancrure pluvieuse des monts, parcourant la campagne d’Avant, de la source de Charmolle au gué de l’Epine, au travers de lisières dessouchées, de prés entourés de scabieuses. Vous rencontrez percuteurs et tessons, fragments d’espérance que le sol doit posséder pour marquer le temps en se faible apparence.

Peu comme vous on su célébrer les nuages et la couleur des cieux : nuances, variations, soudaineté, éclat…. Au gré des saisons, à l’allure d’un cultivateur sans âge, vous éprouvez la terre blanche du Petit Champ, les toises, les boisseaux, les longues raies qui chargent l’automne de promesses féodales. Vous approchez la peine au plus près de charrues jusqu’au blé dormant.

Dans la traversée du bois de Magrones, vous connaissez par la main calleuse et la cognée, le sciage et l’engelure, le froid d’Austrasie, ou de cette Champagne pouilleuse où se mêlent abondance et désert. Vous comprenez dans votre chair cette lassitude de la relève, du faucheur usé par l’été, cette courbure des épaules, ce dos vouté que la chemise trempe de sueur.

Promeneur, vous occupez les sentiers désœuvrés, avancés jusqu’aux villages à peine lisibles dans l’immensité oscillante des luzernes. Sensible à la précarité du tâcheron, à son dévouement et son courage endeuillé, vous rejoignez l’église qui sur son promontoire voit circuler manœuvres et écrivains. Dans chaque étape de la vie, vous surprenez l’âme que nous fréquentons souvent avec indifférence et qui tant nous éprouve à son attente ou à son déni.

Ces travaux agraires, chargés de grincements, d’ahans, de rires, du souffle des attelages, des ces mufles humides, ces licols de corde, cette soif estivale étanchée peut-être à Charmelin, ces battements de moteurs assemblés aux moissons, restaurent la même application saisonnière de la vie. Dans cette effervescence reconnue, vous approchez le poids des heures que la mort recense jusqu’ au sépulcre. L’inspiration se poursuit dans un autre monde.

Le grand herbier talonne la marche, chaque fleur approchée enrichie l’heure de sa promesse. Au seuil du visible, le merisier se couvre d’une neige imprévue, malgré l’éclat de juin et l’appel du grimpereau. Vous observez le mouvement des bêtes, leurs traits, leurs passages chargés aux communaux. A l’incarnat des prés, au rebond des souffles de l’été, vous éprouvez ces gloires matinales que détrône un feu champêtre.

Un rosier Trianon dont la fraicheur renouvelle chaque heure, lié au jardin dans sa précarité, secourt l’instant par l’immensité de sa présence.

D’ici on voit le ciel ! On est posé sur la ligne de l’Est où gisent encore des traverses de chemin de fer, que des clous mâtés réservent à une gloire obstinée. L’hort des Martinettes s’étend vers l’enclos. Un abreuvoir de pierre borde le puits. Les senteurs de mélisse bercent les jeunes arbres du verger où exerce la sittelle. Des grappes de baies s’échangent, se croisent, dans cet éden où parfois les fleurs d’hortensia bruissent, comme le papier froissé des brouillons. Du potager au jardin sauvage, des sentes engendrent un univers dans l’apparat d’une jachère. Insectes et feuillages en ménage égrainent leurs trouvailles ; le vent s’affaire au grenier, dissipe par un vasistas les poussières estivales. Le jardinier interroge l’absence et le mystère avec la même sincérité, doutant jusqu’au trépas.

Vient alors la parole de l’illettrée, retrouvée en pleine nuit après la traversée d’un bois, auprès d’un Orion aveugle ; puis celle des ancêtres, de la vache aux reins brisés, le dos grouillant de vermine, celle du fugueur écœuré d’une viande havie, échappée d’un lycée ; la parole de ces Franc-Comtois enterrés face contre terre dont la protestation tenace conjure le servage, celle des ignorés, des abandonnés, interrompus par l’évidence des pleurs, soustraits à l’incrédulité par la grâce.

On devine la lecture vigoureuse d’un livre d’enfance : ce capitaine, chasseur de plantes, livré à un désordre bestial et cruel qui place l’homme dans une impitoyable collecte où les dangers rompus ensanglantent les pages.

Engagé par la parole, votre visage marque la pertinence, la gravité ou l’étonnement. Incisif, ironique, une question vous arrête et vous reprenez, pour adoucir une réponse trop abrupte. Vous servez l’alliance nécessaire du sacré et du quotidien qui réunit la terre défleurie, le labour et les déferlements du monde.

L’homme dispose de sa propre lueur : il façonne, dénombre. Il peut mesurer la terre avec un simple jonc. Tout ce qui s’avance dans le jour prête à l’échange et à la rupture. Dans un abandon sans postérité apparente, des troupeaux d’hommes attendent leur sort ; parmi eux, une poignée de solitaires détachent leurs médecines des lisières à coups de serpe. Plus tard, vous descendez le fleuve avec l’attention d’un collecteur, dans ce mouvement précis de la main, le balancement et la progression du fardeau, vers ce sommeil d’hiver où émergent des cathédrales.

La poésie ouvre le langage à cet obscur travail d’écriture. Naissent alors les œuvres et ce chemin si bref à parcourir – fussions-nous arrêtés à la mort de saint Jean.

Les textes sacrés, dans le dénombrement des temps prospèrent ou régressent mais dans le sein du père, il n’y a pas de rupture. Sa présence auprès de nous à la table appelle l’homme humble et incertain à la vision de la trinité inexprimable. L’évangile de Jean fait éclater Dieu dans un partage pour chaque être.

Vous retournez tantôt sur la crête des Barres, ornières, boue, crachin, voilà la marche que l’hiver malicieux offre à l’hilarité des passants, ceux qui cantonnent sur leurs terres. La chaussée trouve ses pas, par le chemin des Charbonniers ou par la rue Royale.

L’heure viendra telle qu’en songe depuis les vignes agrégées aux pierrailles, les charmilles masquant la fraîcheur des bassins de la Lanterne, où le bleu indompté des vitraux de Saint-Louis, le clocher sonnera cette bonne éternité que la veillée Pascale annonce dans l’éclat du matin.

 

NRF avril 2007 n ° 581

 

Esquisses exécutées par Raymond Canta lors de l'hommage à Jean Grosjean, le 1er décembre 2012.
Jean Maison, Gwen Garnier-Duguy, Olivier Germain-Thomas.

 




Vu de New York : Is Poetry (Scene) alive in New York (and beyond)?

There is, I believe, this general misconception that somehow America has great poets, but that poetry is not part of American pop culture.
I had a privilege of having been student of, befriending, interviewing, writing about, even translating into Serbian, a number of older generation American, in this case all New York poets, who were either popular bards such as Allen Ginsberg, or had a more academic tasks of popularizing poetry on campuses and as Poet Laureates, such as Mark Strand and Charles Simic, or, as both Poet Laureat and the Nobel Price Winner, Joseph Brodsky, who was globally popular and was popularizing poetry by being a spiritus movens behind New York subway “Poetry in Motion” project. Still the misconception prevails.
After living in New York for over two decades I can assure you that the scene in New York seems to prove the opposite - poetry is vibrant in exactly pop culture way. The present hip trend of café recitals pretty much started with Allen Ginsberg’s performing poetry in the 60s until his death. One of his last public readings was at New York University Poetry Slam in 1987, shortly before his death. He also introduced me in the 80s to the Nuyorican Poets Café - the granddaddy of today’s poetry slams.   in 1973 it hosted the first poetry slam ever in New York City in 1989, and 20 years later is still going strong.   
This is to say that New York poetry scene puts misconceptions of poetry as an aloof, academic, high brow enterprise, pretty much at rest.  Poetry readings in New York take place in cafes, bars and rock clubs, and the young public is there not only to listen to poets but to interact with them. Those New York poets of today who follow the example of the late Allen Ginsberg, or who re-discovered Patti Smith and other popular bards of the recent past, are as much entertaining as they are engaging. The neighborhoods, which feature the highest concentration of poetry events - the Lower East Side in Manhattan and Williamsburg in Brooklyn, along with Ridgewood and Bushwick - also are neighborhoods where a lot of up-and-coming bands and emerging artists are active. This interdisciplinary spirit is not new to New York - poets and visual artists were almost inseparable in the 30’s and 50’s, while in the 60’s they grew close to folk and rock musicians. Today the proximity to hip-hop is evident.
It is the poets who are still following the more literary roots and especially those modernist strictures that seem to remain locked in academic circles and rarely manage to engage wider audiences. But, even this endangered spices have found a way to survive and thrive in the the internet era in a kind of renaissance of  literary magazines in print that are estimated now to be in thousands – 2,800 to be exact. Print admirers treat them as art objects themselves.
Not to mention the unlimited global reach and potential, the vitality, the fierce newness of  on-line literary magazines such as the one I am writing this for. 




“Le jardin des adieux” : flux et reflux de la perte ou l’abandon lumineux

 

    « Cette vie sans vie qui reste »[1]

      

          Le Jardin des adieux se décline en sept fragments « adieux, miroirs ternis, signes, morts, aveux, questions infinies, légendes et défaillances » ouvrant d’emblée sur le mystère, l’énigme et l’aporie de la mort, ces « strophes » foisonnantes et tentaculaires s’aventurent du côté de l’indicible là où il ne reste d’autrui que son ombre immuable et la voix du poète rythmant le soupir de la perte. Le Jardin s’inscrit ainsi sous le signe de l’absence, déchiffrement autant que défrichement, ce lieu préfigure des glissements de terrains susceptibles de rejoindre les flux et reflux de la métaphore marine au cœur d’une expression qui se constitue dans le poème, au cours de sa création et en rapport avec lui. Il faut donc exhorter la voix du tréfonds de la terre, à l’origine même de la sensibilité, dans le désir et l’oubli. Le jardin devient, en ce sens, l’espace qui permet le passage de la réalité à son essence, le puiser[2] heideggérien est pris dans la chair du poète, mais touche celui qui l’entend de façon à s’abstraire une part de cet univers. En effet, toute création, chez Duault, rejoint ce « puiser », un milieu enténébré au cœur duquel la forme s’ébauche, donnée par l’œuvre, à la fois appel et indétermination. Analogon du visible, mais non copie conforme du réel, le corps anamorphique de l’être disparu, corps terreux ou maritime, engage une force révélante et le chant du poète s’engouffre dans l’obscur, puise sa force dans le foyer d’une poésie, elle-même enracinée dans les variations du langage, exhumant la vérité d’un monde endeuillé.

       L’écriture relève, en conséquence, d’un enthousiasme douloureux, ce qui se noue se dénoue à la fois, ce qui se voit s’efface en même temps qu’il se donne. Le poète tremble autant que sa parole exalte, rien de ce qu’il retranscrit n’a forme rationnelle et rien n’est cependant plus proche des saveurs de la vie, des cendres de la terre et des fluctuations de l’être. En somme, dans ce jardin des adieux, personne ne semble là, le poète traverse le lieu en fantôme, ne répond pas à celui qui lui parle, se laisse aspirer par celle qu’il a perdu et par ce qu’il perd lui-même, se laisse absorber par des lieux à sa mesure, abandonnés et arides. Vide le jardin où l’étreinte demeure un souvenir, Mort également l’espoir en une renaissance du sentiment, Immobile aussi le poète dans le jardin que la vie a déserté et qui semble moins réel que la conscience de n’être déjà plus là.

     L’amour ne peut dès lors s’éprouver que dans la violence de la perte : « Je me mords les mains / …../ l’abjection, l’ordure et la rage je les aime »[3] , et la mosaïque, par ces sept fragments d’un Amour perdu, cherche à dire la déchirure vivace et l’effroi du réel. Les mots livrent, bribe par bribe, le regard intense « des adieux », le temps qui passe et « [qui ternit] les miroirs », l’impression de réalité que l’on décèle dans chaque « chose », la certitude d’une vie contaminée par la « mort », la lumière des «aveux» qui fait le fond obscur d’une connaissance rendue à l’éphémère, toutes ces « questions infinies»  tissant la toile arachnéenne du jardin alors que l’autre, au cœur du texte, n’est déjà plus qu’un accroc identitaire :  « Oh je voudrais que jamais tu n’aies dit ce beau soir souviens / Toi mon amour qu’il n’est pas vrai que nous serons déliés ».[4] A cela s’ajoute la sensation d’être aveugle et impuissant,  de ne posséder cet autre que dans la solitude, une privation du sens que seule la voix est susceptible de faire remonter à la surface de la terre. Et si la poésie du Jardin s’érige comme lieu de recueillement, quelque chose interdit cependant cette voix poétique de devenir à l’égal de celui qui la profère, une forme sans chair, une silhouette spectrale et solitaire. Une mélancolie est somme toute hantée par une autre, renvoyant à la figure close du tombeau, mais celle-ci enferme, tel un coquillage, les bruits et mouvements fluctueux de la mer :

 

  « …………………. Je ne suis plus que mer étale camée
Dessiné sur le sable étoile amère je ne délace que mes mains
Quand j’aurais tant à dire encore (…) j’attends
Que cesse sur la mer le mouvement qui saoule et me laisse là
Sous le ciel où tu essaies de lire ton destin l’esquisse de
Ta mort elle chemine en toi retourne tes paupières soulève
Ta chemise elle est là qui s’amuse de tes doutes et ton rêve
Elle tonne sous ta peau …….. »[5]

 

        En cadence, les veines sinueuses battent aussi le silence, contenant en miniature la rumeur entière de la vie, rappelant la réalité du passé, sa source ou son origine. Le paysage du corps peut ainsi se transformer en un paysage vivant, un ballet de lumières colorées et d’eaux variées où quelques mots symptomatiques résonnent en écho pour marquer la répétition aliénante du temps mortifère. Le monde est renversé, comme de l’autre côté d’un miroir, délivrant  une image ardente grâce à laquelle le réel ne cesse de se recomposer en scène toujours différente, une scène de multiplication et de foisonnement au cœur de l’individu, à l’instar du poème qui brise le silence sans parvenir à l’effacer. Le paradoxe force donc à aller au-delà de la surface, le poète établit des premières analogies entre le corps et l’univers, la profusion permettant de rattraper la concrétude d’une altérité agile et vigoureuse. La vision du temps est de la sorte dépassée, tout circule comme le sang devenu encre, tout relève de signaux capables de métamorphoser des instantanés en visions pérennes. Le corps du poète - comme celui de l’être disparu-  s’abreuve de désirs, rappelle l’envie de vivre en dehors des contraintes temporelles, en une nouvelle alliance, comme une possible renaissance : 

 

« Te recréer par la conjuration de la mer par la criée du sang
Par l’assourdissante rumeur je crèverai toutes les fenêtres
De ton silence je fracasserai les carreaux de tes yeux (…)
Je te veux belle comme un océan comme un pli salé d’éternelle marée te finistère 
Et caravelle comme tu remontes en courant le long de tes seins
Mes mains flambent ton sang te bat les tempes je t’imagine si
Vivante que j’en reste courbé…. » [6]

 

    Plutôt qu’une pesante rétrospection, l’élégie d’Alain Duault devient une véritable épopée en apesanteur où le visage de l’absent semble l’escale provisoire et sitôt oublié d’un voyage du temps autour de lui-même.  La voix du poète, effeuillant ce temps, tente de rompre le cycle d’échec en invoquant des histoires contraires, naissantes ou fantasmées, réelles ou à venir, et la parole se révèle, en toute fin du recueil, une fulgurance de « légendes et défaillances » : « [la] plus belle blessure » de « cette femme anaphore »  où « le poème est défaillance » [7]. Défaillir, c’est perdre pied sur terre, plonger en l’autre jusqu’à « l’overdose »[8], c’est ne voir de cet autre qu’une mer agitée, c’est redonner au chant son « caractère légendaire » ; la voix du rhapsode se fait à la fois éloge du silence, écho puis caisse de résonance, voix ample et mélodieuse qui ne parle plus mais qui vient de loin, d’un jardin antérieur, voix qui préexiste à tout langage commun. Voilà  pourquoi, si tout est déjà mort, tout peut évoluer sur le même terreau, recréant une présence dans le négatif du monde. Duault insuffle du vivant en le diluant dans le sol meuble du jardin et dans le mouvement ouvert  des Océans. La terre et la mer prennent en charge le deuil du poète et les émotions s’inscrivent dans un domaine naturel, au milieu des ombres du jardin et des fluctuations de la marée : « Le vent qui vient de la mer et ravaude les larmes et nous prend/Par la main vers ce très vieux jardin où nous pourrons rêver »[9].  Le désastre est dès lors familier, et l’être perdu se voit lui-même déplacé vers un objet métaphorisé, mer haute, mer basse , l’attraction terrestre se trouve inversée quand le corps remonte de la terre, quand la mer devient une embellie, quand les lieux s’éveillent et finissent par déborder de l’intime afin de retentir dans une disparition que chacun peut prendre à son compte : « On se débat avec ses rêves on cherche le goût des souvenirs / L’odeur des mots qu’on n’a pas sus »[10].

 

      Seul ce chant organique oblige à sortir hors de soi et à affirmer l’absence dans cette voix pleine d’un dehors qui l’altère. Comparer la mort de la femme « à l’effrayante montée du silence » ou « à la terrible soie du désir qui se pose et décompose », rend la perception de la perte spontanée afin de passer, en d’inépuisables oscillations, de l’identité à l’anonymat ; le poète retourne ainsi dans l’oubli à force de « regarder vers l’amer », vers la matrice, vers le liquide aqueux, vers cette étendue marine qui donne naissance à « Tout et Rien » : « J’ai perdu tous mes rôles je manque à l’appel et si j’écoute / Ma voix rauque et cette chose qui me semble je n’ai plus rien /  Je suis le sol gelé le gréement déchiré je suis je ne sais plus / Quel vent lassé me tient camisolé quand je regarde demain »[11].  De la sorte, Duault ne cesse d’interroger ses nuits perdues[12], met en scène la question de la disparition et du néant, et si son recueil, comme un hymne à la disparue, dit l’être cher, si ses vers évoquent l’effacement de la vie et les couleurs de la mort attirant l’œil jusqu’à ce Vide qui origine le poème, en revanche, la poétique de l’eau et de la terre ravive l’unité d’Un corps grâce au souffle du désir ardent et de l’élégie violente dardée autant de silences que de cris. Les éléments naturels ne cessent d’investir, de nourrir la voix poétique pour l’ancrer dans la connaissance et dans l’ignorance de ce monde qui assassine ; de la même façon, si le passé subit le poids de l’invisible, un air à peine respirable, le présent un désir qui se consume au fur et à mesure qu’il se dit ou qu’il se ressent,  la voix du poète, de son côté, donne, dans un lyrisme essentiel, l’impression que tout est encore visible : « N’écoute plus le chant amer viens je t’aime crois-moi couvre / Toi non ne prends plus froid ne prends pas feu ne t’en va pas »[13]. Le Jardin des adieux serait la réponse au possible ressassement-enlisement du deuil, transformant le manque en une émotion plus fluide, aérant et révélant une ombre sous un jour inédit : « Longtemps j’ai voulu toucher le bonheur qui reste sur la mer/ J’en tremble encore jusqu’au soir étranglé jusqu’à l’ombre / Jusqu’à l’abandon mais je sais que je ne suis plus de ce monde / Et je m’endors chaque marée comme un enfant par ses rêves avalé » [14].

    Le lecteur est désormais face à une écriture nouvelle, une écriture génésique qui l’oblige à construire son errance et à trouver son orientation à mesure que le recueil avance entre gouffre et souffle, en une recomposition de dédales et de détours imprévus. De la disparition de l’Autre naît la substance du poème dans toutes ses métamorphoses, et la Voix poétique tisse, en de superbes déambulations, dans un rythme ample, énigmatique, onirique, un texte charnel afin que  la disparue  se déracine du néant, façonnant un corps nouveau et sublimant la perte au cœur d’un étrange Jardin d’Eden. Enfin, si à l’origine du poème, il faut une présence qui, chez Duault, est en fait une absence, cette dernière le conduit à déployer une langue d’une énergie insensée pour tenter d’être de nouveau au monde, pour en figurer audacieusement les balbutiements : «  Et tu ne sais plus même ce que ces mots salis ce cilice des/Syllabes défaites ce souffle vers où je me penche essayant/ D’entendre encore ce verbe qui me saoule et ce n’est plus/ Que sable glissant entre les cils ce n’est plus que silence »[15].

 

            La parole du Poète revisite ainsi la sphère de l’être disparu ou plus exactement le prend à rebours, à son point de départ, à la naissance des sensations. Le chant livre sa propre genèse diluvienne, et il faut refaire le voyage, fût-ce dans un lyrisme amer, car cette embardée poétique acquiert plus de présence que n’importe quel retour, en ayant su aller aux sources du rien et des illusions et en ayant balayé d’un trait majestueux l’Indicible. In fine, le monde perdu renait dans l’homme, au cœur de sa chair et de ses mots, par cette « main qui tient l’immensité du temps »,  par cette écriture qui défie la mort. Et le flux de la mer joue avec ce qui reste de la mort tandis que le chant dessine l’espérance d’une humanité « au goût de lait caillé » et aux « envies de peau salée », un lieu de saveur et de savoir, terre obscure de pulsions éternelles et de décompositions charnelles, mais Jardin où il est encore temps de recommencer puisque «  l’énergie incandescente du désespoir » appelle l’Aurore.

 


[1]Expression d’Antoine Emaz (Boue)

[2]Heidegger, L’origine de l’œuvre d’art in Chemins qui mènent nulle part ; nouvelle édition. Tel/Gallimard, Paris.

[3]Id, p104

[4]Id, p12

[5]Id, p46

[6] Id, p 47.

[7] Id, p102

[8] Id, p101

[9] Id, p52

[10] Id, p33

[11] Id, p69

[12] Référence au recueil : Où vont nos nuits perdues, NRF, Gallimard, Paris, 2002

[13] Le jardin des adieux, p108

[14] Id, p 67

[15] Id, p13

 




On Catechism : Poems For Pussy Riot

Before elaborating on the content of Catechism, i should begin by stating that i am not Russian. In spite of having a son with a distinctly Slavic name (long story) my family tree rarely branches out of the north west of England. Also, whilst i am Catholic, i am certainly not Christian Orthodox, and i have never visited the now infamous Christ the Saviour Cathedral in Moscow.
Up until recently, the most political activism i had engaged with would be participating in gigs, going on marches, signing petitions.
I have never danced in a cathedral. i am not a musician.
But what i am, is female. More so, i am feminist.  I am a feminist who enjoys punk music and alternative culture. I may not do balaclavas, but coloured tights, yes indeed.
I am also a mother. I cannot imagine the pain and profound sadness that must be involved in being locked away from my child due to my political convictions. I cannot comprehend three women being kept miles away from home, from family, for a peaceful protest.
This is why i have felt the cause of Pussy Riot so acutely and the need to be involved. The feeling within that here there are women who, whilst far greater in their courage, in their real, everyday lives, are women just like me, and just like my friends. There is a sense of if this could happen to them, who could be next in 21st century society? The alarm bells resonate throughout Europe for us all.
In light of my strength of feeling, i really wanted to do something positive. But what could i do? I write. How can we, as writers, make a difference to politics?
Fortunately, not everybody does such a rousing impression of a headless chicken as myself. A group on Facebook, English Pussy Riot, provided details on how to write prison letters to Pussy Riot. It was Sophie Mayer, poet and feminist academic, who realised that actually, as poets, wouldn’t it be more fitting to send the three women poems to show our solidarity?
After so many poets registered an interest in doing this, Sophie contacted English PEN, a charity that aids writers in exile or those who have their liberty as writers threatened, to ask for help with finding translators into Russian. They immediately said they’d like to support the project by publishing the poems for us.
In a matter of days, Poems For Pussy Riot grew from a small seed of an idea, to a blossoming project supported and promoted by English PEN on a daily basis. In a fortnight, it had gone from a small collection of poems, to an actual book. 110 poets had generously given up their time and work to offer assistance, whether it is through accord or affinity, to the band.
Editing, selecting and gathering information for the book was split by three of us, Mark Burnhope, a Bournemouth poet and disability rights activist, took charge of providing superb balaclava illustration for a dozen of the poems. Where i focused on misspelt band names and all things Russian, Mark actually knows how to do a good job of sub-editing and provided a fresh pair of eyes to each mistake i’d overlooked for the sake of an explosive word or bright colours. Sometimes it’s good to have an adult involved!
Sophie dealt with most of the liaison with Cat Lucas and Robert Sharp at PEN, and both hers and PEN’s enthusiasm, time and dedication to the project was just immense and put me to shame. Her work was truly relentless, efficient and infectious. She also located some terrific poems both nationally and internationally by writers i was previously unfamiliar with.
Being an editor of an anthology means that by the time the final cut goes to press, the words can often cross your eyes and mind like a wave, like the song you’ve heard a million times before. Yet with Catechism, the variety is such that on each read, or each listen, a different pitch, another tone is heard that may have gone previously unnoticed, such is the sheer variety of the collection.
There are poems dealing in dynamite words, those that may be regarded as too coarse for poetry by some. But this cause is about breaking down barriers, yes? So we had Jen Campbell’s Vaginaland, Sophie Herxheimer and Alison Winch’s Trollops Cathedral, Ira Lightman’s Soutien-Gorge and Daniel Sluman’s Her Face When she Came.
Then, we have the poems that really get to the belly of the beast. Poems that specifically refer to the one person who has the power to release Pussy Riot, and yet insists that they “got what they asked for.” The risible nature of Putin’s media machine is illustrated with terrific humour in Tom Jenks’ Fifty Shades Of Putin, and the glorious defiance of the band in the face of his leadership is captured perfectly in Sarah Thomasin’s To Vladimir Putin(A Pussy Riot Poem).
There is also a medley of form, from rhyming in Sophie Robinson’s Free Pussy, to visual work from Amy Evans, Rebecca Cremin and Ryan Ormonde. We felt it was important for visual poems to be included in the collection, as Pussy Riot made such an impact on the eyes first and foremost.
Since the publication of Catechism, Yekaterina Samutsevich has been released from prison. Whilst her release is undoubtedly righteous, there is little cause for celebration when two members remain prisoners of political conscience.  It is also true that a collection of protest poetry in all its glorious shapes and forms is unlikely to free them.
Yet in bringing this book together, a real sense of strength in numbers was felt within the feminist community, from all genders, from all backgrounds, sexuality and ethnicities who feel the need to question and keep questioning the severity and injustice of a leadership that would see women locked away for singing not an anti-religious, but rather an anti-government protest song.
As poets, it is nice to write about the trees, the sea, the beauty of nature and pretty birds in flight from time to time. But sometimes it’s preferable, imperative even, to use the tools we have for what is really important, to speak out for the freedom of others. While Catechism contains a vast spectrum of poetic styles, all poets are singing from the same hymn sheet on the matter of liberty. These women should be free, and we will keep on singing and shouting loudly in chorus, whether that is in verse, in image, in sound or in song, until they are.
http://www.englishpen.org/the-poems-for-pussy-riot-project/

 




Hommage à Bernard Mazo (1939 – 2012)

 

     Comment parler d'un poète, ami de plus de quarante ans ? Comment en parler avec retenue et sans émotion peu après la disparition brutale de cet ami que fut et que reste Bernard Mazo, foudroyé le 7 juillet dernier ?

 Bernard Mazo aura passé sa vie à défendre la poésie et à écrire des poèmes. Il a publié une dizaine de recueils dont Cette absence infinie ( L'idée bleue, 2004 ), La cendre des jours ( Voix d'encre, 2009 – Prix Max Jacob 2010 ), Dans l'insomnie de la mémoire ( Voix d'encre, 2011 ). Le critique qu'il était à participé à l'aventure d'Aujourd'hui Poème, ce mensuel consacré à la poésie et qui dura près de dix ans. Bernard Mazo a aussi longtemps collaboré à Autre Sud sous forme d'aticles, d'entretiens, de poèmes. Il avait rassemblé des études sur trente-cinq poètes contemporains dans un livre intitulé  Sur les sentiers de la poésie ( Melis, 2008 ). Il venait d'achever une biographie de Jean Sénac à paraître au Seuil en 2013 : il avait travaillé près de sept ans à cet ouvrage dont il ne verra pas la publication. Chez Bernard Mazo : le poète et le critique se rassemblaient dans une même démarche consacrée à la poésie : la sienne et celle des autres. Aux poètes il a consacré beaucoup de son temps. Il participait tous les ans, en tant qu'organisateur et animateur, aux Voix de la Méditerranée à Lodève, puis aux Voix vives de Méditerranée en Méditerranée à Sète. Il faut ajouter qu'il était membre du jury du prix Apollinaire et de l'Académie Mallarmé. Ainsi tout l'attachait à la poésie qui était pour lui une éthique, une passion sans borne.

De la poésie de Bernard Mazo on peut dire qu'elle reposait sur une conception tragique de la vie, une prise de conscience d'une douleur sans cesse avec la présence de la mort qui s'oppose à la beauté du monde tandis que l'autre, notre semblable, nous renvoie à notre propre fin. Aussi Bernard Mazo peut-il écrire dans Dilapidation du silence ( Éditions Saint-Germain des Prés, 1981 ) :

 

            Chaque visage rencontré est comme une insoutenable blessure où s'embusque la mort.

 

Cette mort qu'il évoquait si souvent dans ses poèmes, Bernard Mazo s'efforçait de lui résister. C'est le pouvoir de dire qui permet de s'opposer aux forces mortelles installant en nous un espoir désespéré. De là cette confiance dans l'écriture, unique chemin de vie et de vérité. Dans Cette absence infinie ( Le dé bleu ; 2004 ), il déclare :

 

            Si je chante la douceur des choses,

            si je dis la douleur des jours,

            c'est uniquement pour ne pas trébucher

            pour ne pas mourir...

           

Le recours aux forces vitales n'en représente pas moins un des aspects les plus tragiques de la poésie de Bernard Mazo dans laquelle s'unissent lucidité et sincérité. Cette approbation de la vie, il n'y a jamais renoncé mais il en connaît l'aspect éphémère, la précarité : il mesure sa propre fragilité et traverse le monde à pas légers. Il vient d'ailleurs, ce qu'il écrit dans ces vers extraits de Passage du silence ( Rougerie, 1964 ) :

 

            Je viens d'où l'on naît sans partage

            De plus loin que toute mémoire

            Heureux de n'être qu'une ombre qui passe.

 

Parfois il exprime son effroi en face de cette vie déjà perdue avant d'avoir été vécue. Il descend au plus profond de la douleur quand il évoque dans La vie foudroyée ( Le dé bleu , 1999 ) :

 

            cet effroi, cette angoisse

            ancrés en moi depuis toujours

            telle l'intarissable blessure

            d'une vie que je n'aurai pas vécue.

 

Bien des poèmes diront dans ce même recueil un mal-être persistant :

 

            A n'écouter que la rumeur sourde du sang.

            On oublie parfois que la vraie vie est absente.

 

 Aussi le regard du poète se tourne-t-il souvent, dans un mouvement contraire, vers le paradis enfui de l'enfance, lieu idéal qui procure à l'homme un peu de bonheur. Ce rappel de l'enfance est toutefois source de nostalgie car la quête de ce qui n'est plus conduit à se fourvoyer et ce qui constituait une recherche du bonheur se mue en un constat douloureux : celui d'une perte, ainsi quand Bernard Mazo évoque dans Cette absence infinie ( Le dé bleu, 2004 ) de :

 

            cette odeur poignardée

            des lilas de l'enfance.

 

Contentons-nous de miser sur l'éphémère, sur quelques instants retrouvés qui permettent  de savourer une sensation de plénitude, de maintenir le souvenir d'un temps qui nous mettrait à l'abri de la douleur, nous dit le poète. Malgré tout celle-ci l'emporte qui est due au constat de notre finitude, de la solitude. Dans sa force soudaine, celle-ci est comparable à une brûlure que le poète ressent au plus vif de sa chair. Il écrit dans Dilapidation du silence :

 

            Je vais

            […] seul et hanté

            jusqu'à l'incandescence.

 

 Il convient alors, rappelle Bernard Mazo, de s'en remettre à la parole poétique, instrument nécessaire pour dire la blessure, la souffrance avec pudeur sans jamais rien dissimuler mais pour faire face au silence. Pourtant l'aveu qui suit souligne le réalisme lucide du poète conscient d'une fin à laquelle les paroles ne sauraient s'opposer :

 

            Et tous ces mots qui chantaient

            sur mes lèvres

            ne seront plus bientôt

            que cendres dispersées

            dans vent...

 

écrit-il dans Cette absence infinie.

Avec son dernier recueil Dans l'insomnie de la mémoire ( Voix d'encre, 2011 ), Bernard Mazo s'interroge sur les rapports entre le poète et la poésie : il y décèle un continuel affrontement : porteuse d'une beauté énigmatique, la poésie se situe toujours à distance et «  n'a que mépris que pour ceux qui voudraient la séduire ». C'est dire toute la révérence qu'il portait à la poésie, avec quelle pudeur il l'aborde et se livre à elle. Aussi peut-il affirmer à son propos : « ni d'ici ni d'ailleurs, le mutisme, seul, lui convient. » Dans ce livre à la parfaite lucidité, Bernard Mazo n'apparait nulle amertume mais une sorte de confiance envers la destinée. Lorsqu'il s'adresse à sa «  tendre inconnue » il conclut par ces vers :

 

            Est ce […] toi / qui me conduiras / le jour venu / dans le tremblement de la parole / au pays de la beauté pensive ?

 

Ce pays, Bernard Mazo l'avait toujours cherché : il était celui de la poésie qui demeure le pouls de la vie, sa respiration et le poète s'est toujours fié à elle pour le conduire jusqu'au terme de sa route. Souhaitons-lui de l'avoir atteint. Il nous reste la poésie de Bernard Mazo qui n'a pas fini de nous accompagner.




Écrire pour conjurer la mort (Sylvia Plath)

Gallimard a publié en 2011 les œuvres complètes de Sylvia Plath dans la magnifique collection Quarto. Le volume contient le roman La cloche de verre, des nouvelles, des contes, des journaux, des essais et trois recueils de poèmes, dont un seul fut édité du vivant de l’auteure.

Dans le recueil intitulé Ariel, publié après la mort de l’auteure, la poésie de Sylvia Plath est des plus sombres. La mort est omniprésente. Ou la dépression, qui est du reste une petite mort. À l’origine de cette ultime descente aux enfers (il y en a eu deux autres auparavant) : la trahison de Ted, l’époux de Sylvia. Le poème Un secret évoque avec une grande violence l’existence d’un enfant illégitime.

 

Un bébé illégitime –
Cette grosse tête bleue !
Comme il respire dans le tiroir de la commode.
« C’est de la lingerie, mon chou ? 

Ça sent la morue salée, tu ferais mieux
De planter des clous de girofle dans une pomme,
Mettre un sachet de lavande ou
Liquider ce bâtard.
[…] »

 

Des images de guerre traversent le recueil, qui font écho au désastre intérieur. Il est question de la boue des tranchées, des blessés, de leurs cris et des trains – parce que la Shoah hante depuis toujours Sylvia Plath, comme un héritage trop lourd à porter. Certaines couleurs sont constamment convoquées : le rouge des plaies profondes, le rouge sang de la naissance ; le noir des arbres dans la nuit, des cernes, du voile de deuil ; le blanc de la lune, des nuages, de la brume, des os, de la pâleur, de la corde pour se pendre.

 

La lune ne voit rien de tout cela. Elle est chauve, elle est cruelle.
Et le message du cyprès n’est que ténèbres – ténèbres et silence.

 

Le vert et sa douceur, souvent présent dans le recueil intitulé Le Colosse, semble avoir déserté. Le Colosse célébrait une autre saison de la vie il est vrai. Les poèmes de ce recueil ont été écrits au début de la relation avec Ted, que Sylvia Plath considérait comme son double. Certains thèmes des poèmes de Ted – les animaux par exemple – font alors irruption dans les textes de Sylvia. Ils disparaitront au moment de la rupture. On croise des chevaux, des vaches, des taupes, mais aussi une mouette ou un albatros, car nombreux sont les poèmes écrits face à l’océan, sur la presqu’île de Cape Cod. Il y a tout de même déjà des ombres dans un coin du tableau : la mort, les peurs de la petite enfance… Le bonheur montre des signes de faiblesse, des images atroces affleurent, comme celle des trois femmes, dans le poème intitulé Les muses inquiétantes.

 

[…] ces trois dames
Dodelinant la nuit autour de mon lit, sans bouche,
Sans yeux, avec une tête chauve recousue.

 

Grâce aux notices, très fournies, que propose la présente édition, nous apprenons que Sylvia Plath s’est inspirée ici d’un tableau de Giorgio De Chirico, auquel elle a emprunté le titre d’ailleurs.

Dans le poème intitulé Deux sœurs de Perséphone, l’ombre et la lumière avancent côte à côte. Ce sont les deux facettes de Sylvia. Plutôt lumineuse au départ, elle s’est métamorphosée en grandissant. Le poème Ménade traite justement de cette métamorphose.

 

Mère, éloigne-toi de ma basse-cour,
Je deviens une autre.

 

Ted Hughes raconte : « Elle lisait le recueil de contes folkloriques africains de Paul Radin avec grande excitation… Dans ces contes, elle trouvait le monde souterrain de ses pires cauchemars projeté en aventures d’une beauté intense […] ».

Mais tous les textes de Sylvia Plath ne sont pas faits du même bois. En les lisant, on passe souvent de corps en morceaux, de corps qu’on écrase ou qui explosent, d’une extrême violence donc, au froid, au vide, à l’oubli.

 

Mort § Cie

 […]

 

Je ne bronche pas.
Le givre crée une fleur,
La rosée une étoile,
La cloche funèbre,
La cloche funèbre.

Quelqu’un quelque part est foutu.

 

Il n’y a plus de violence ici. L’auteure fait un simple constat, avec une voix atone.

 

Le troisième volet des Œuvres est constitué, pour l’essentiel, des poèmes écrits entre Le Colosse et Ariel. Seuls les derniers poèmes, composés juste avant le suicide de Sylvia Plath, ont été écrits après Ariel. Dans ces textes, les fissures se multiplient et la mort prend le dessus sur tout le reste. Elle devient presque familière. Tout se passe comme si, à son approche, Sylvia Plath ne ressentait plus aucune angoisse. En tout cas, c’est sans peur – et même avec impatience – qu’elle aborde le sujet de son repos éternel dans les textes intitulés Je suis verticale et Dernières paroles.

 

Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converserons à cœur ouvert.

 

Il arrive à Sylvia Plath de s’adresser à ses enfants qui, eux, savent encore rire.

 

Tu verras un jour ce qui va de travers
Les petits crânes, les collines broyées, le silence immonde.

         (extrait de À un enfant sans père)

 

À la fin du recueil, l’isolement et le silence ont gagné la partie. Le 4 février 1963, six jours avant de mettre un terme à sa vie, Sylvia Plath écrit un poème, Lésion, dans lequel on lit la fin :

 

Le cœur se ferme,
La mer se retire,
Les miroirs sont voilés.

 

Et voici ses derniers mots, écrits le lendemain, et sur lesquels s’achève le poème intitulé Extrémité.

 

Rien ne saurait toucher ni attrister la lune
Qui regarde sans broncher depuis sa cagoule d’os.

Elle a l’habitude de ce genre de chose.
Et ses ténèbres craquent, et ses ténèbres durent.

 

 

C’est sur la mort aussi que s’ouvre le roman de Sylvia Plath, La cloche de verre : la mort de condamnés. L’écriture romanesque est donc, d’emblée, liée aux poèmes. Pourtant, comme Sylvia Plath l’expliquait elle-même, elle permet d’autres possibles : les choses insignifiantes apparaissent, que Sylvia Plath ne s’autorisait pas à introduire dans sa poésie. Le roman permet de lâcher un peu la bride, de parler d’une paire de chaussures en cuir verni, par exemple.

La narratrice de La cloche de verre, Esther, devrait être une jeune fille heureuse et insouciante.  « Je suppose que j’aurais dû être emballée comme les autres filles », constate-t-elle, tristement. Elle vient de gagner  un prix, a quitté sa petite ville de province pour rejoindre New-York. Il vient de lui arriver ce dont des milliers d’autres rêvent.

Le matériau de ce roman, Sylvia Plath l’a puisé dans sa propre vie. On s’en rend compte immédiatement. Elle a gagné au lycée des prix littéraires, a posé dans des magazines de mode, a écrit et réalisé des interviews d’auteurs comme Esther Greenwood, son personnage. Enfin, les parents d’Esther sont d’origine allemande et autrichienne, et le père d’Esther est décédé lorsqu’elle était enfant, ce qui fait d’Esther le double de Sylvia.

Dans l’entretien de Peter Orr avec Sylvia Plath (30 octobre 1962), il est surtout question de poésie. Sylvia Plath y parle de son univers poétique, de la voix ouverte par Robert Lowell : « une percée intense découvrant l’expérience très intime et émotionnelle […]. Les poèmes de Robert Lowell sur son expérience en hôpital psychiatrique, par exemple, m’ont passionnée. Ce sont des sujets singuliers, tabous, que la poésie américaine récente s’est attachée à explorer. » Elle cite aussi Anne Sexton et les poèmes qu’elle a écrits à partir de son expérience de mère dépressive. Dans cet entretien, Sylvia Plath insiste sur le fait que, si elle part elle-même de son vécu, elle le remanie, prend de la distance et le dépasse donc. La distance est plus mince quand elle écrit son roman. Nous sommes plongés dans l’Amérique des années 50, l’Amérique du maccarthysme, et dans la tête d’Esther – de Sylvia –, qui ne s’y plaît pas. Le mot est faible : la jeune fille est révoltée. Mais la révolte ne dure qu’un temps. Esther sombre peu à peu dans la dépression. Elle commence par douter des projets qui la portaient jusque là : aller étudier en Europe, écrire des recueils de poèmes…

Je me voyais assise sur la fourche d’un figuier, mourant de faim, simplement parce que je ne parvenais pas à choisir quelle figue j’allais manger. Je les voulais toutes, seulement en choisir une signifiait perdre toutes les autres et, assise là, incapable de me décider, les figues commençaient à pourrir, à noircir et une à une elles éclataient sur le sol entre mes pieds.

Là encore, c’est la nature qui offre à Sylvia Plath les plus belles métaphores pour dire ce que la jeune Esther endure. On perçoit ici et là l’influence de Virginia Woolf. Dans sa présentation de La cloche de verre, Patricia Godi cite à juste titre ce que disait Sylvia Plath de cette romancière : « Ses livres rendent les miens possibles ».

Comme la jeune Esther, Sylvia Plath souffrait sans doute de mélancolie. Elle a lu d’ailleurs Deuil et mélancolie de Freud. Elle y a sans doute reconnu quelques uns de ses symptômes. Son roman lui permet d’en parler sans détour. 

 




La poésie comme éthique du souffle

« l’écrit du corps » de Danielle Collobert

 

« J’ai toujours écrit avec tout mon corps et ma vie. J’ignore ce que sont les problèmes purement spirituels » : cette déclaration de Friedrich Nietzsche s’adapte parfaitement à l’œuvre de Danielle Collobert, dont l’écriture se révèle être une gymnastique déchirante du « corps sujet »[1]. Il faudrait sans doute identifier ce sujet, qui malheureusement n’est pas parmi les voix poétiques contemporaines les plus connues. L’existence de Danielle est brève, 38 ans d’écriture, d’errances géo-politiques, qui se terminent par son suicide à Paris, le 23 juillet 1978, le jour de son anniversaire.

L’épuisement de son écriture, de plus en plus engloutie par le blanc du papier, presse l’épuisement de sa vie. Ainsi, ce corps-sujet se transforme en athlète à la fois élastique et déchiré de la parole qui se détache de soi, qui s’éloigne d’un égo impossible :

 

 

Corps là
noué
noué aux mots
l’étranglement du souffle
perte du sol
pendu
balancement à l’intérieur des mots – troués –

vide[2]

 

La profération verbale se rapproche d’une fonction physiologique, d’un geste potentiel du corps et parfois d’une sensation de souffrance, de douleur (« étranglement »). Tout cela débouche sur le « vide », qui semble également entourer sinon posséder les mots attachant un corps tendu et soulevé par l’acte d’expression.

Collobert semble même vouloir offrir un corps, une anatomie à l’écriture. Ce côté organique/physique/animal semble vouloir estomper la ‘lâcheté’ de l’abstraction verbale[3] – action qui tourne, ainsi, la parole en effort musculaire, presque ‘sportif’, concernant tout d’abord la respiration :

 

 

le corps défait
de l’intérieur
vidé
dessèchement du souffle
la soif
fini par la soif
bouche ouverte
bouche
trouée brûlante – silencieuse[4]

 

 

Le résultat, c’est une voix haletante, sanglotante, desséchée. Chaque mot écorche la gorge pour conquérir une écriture qui se manifeste tout d’abord en tant que respiration autre. On pourrait par conséquent comparer l’écriture prose-poétique de Collobert à un véritable entraînement, où le corps/voix prend la mesure de ses gestes, de ses mouvements, de ses tensions, de ses efforts :

 

 

Je fuis. Chaque jour, je prends la forme d’un départ.[5]

 

 

Et pourtant, fuir où ? De soi-même, de la vie, du langage… Impossible de définir les points A et B de ce parcours de fuite : il n’y en a pas, il n’y a que le mouvement, l’effort, la tension.

Les pages des œuvres de Collobert, avec leur dentelle graphique, nous révèlent en fait que le vide s’empare aussi bien de l’écriture que de la vie. De telle manière, l’écriture se fait inscription, à savoir geste lourd et fort sur la pierre blanche de la page.

Cette poésie naît d’un « écrit du corps »[6] n’ayant rien à voir avec le tatouage. Bien au contraire, l’écrit naît du dedans, se fraie un chemin parmi les entrailles, émerge douloureusement sur la peau, en soulignant un « naufrage du je » (et du cerveau, de la tête, de l’intellect) qui s’apparente au « grand naufrage du dire »[7]. Un tel naufrage est comparable à la fois à une crise et à une critique du dire[8] poétique qui ne se sépare pas, toutefois, d’une crise existentielle profonde et tragique.

Pour toutes ces raisons, il nous semble possible de parler d’une éthique du souffle, à propos de Collobert. Le mot grec ethikos (ἠθικός), en fait, signifie ‘théorie du vivre’, tandis que la racine ethos (ἦθος) renvoie plus précisément à un ‘endroit où vivre’. Sa poésie se révèle ainsi une sorte de gymnase où accomplir des exercices de respiration et d’existence.  

La poésie de Danielle Collobert prononce une parole de chair, trempée de sang – à savoir, de vie et de mort.

 

 


[1] D. Collobert, Œuvres I, Meurtre, Dire I-Dire II, Il donc, Survie, édition préparée par Françoise Morvan, préface de Jean-Pierre Faye, Paris, P.O.L., 2004, p. 398.

[2] Ibid., p. 256.

[3] « […] cette immense lâcheté de préférer les mots, leur édifice, au petit geste, inconcevable, que je n’arrive pas encore à faire » ibid., p. 111.

[4] Ibid., p. 281.

[5] Ibid., p. 37.

[6] Ibid., p. 395.

[7] Ibid., p. 342.

[8] Dire est d’ailleurs le titre de deux recueils de Collobert.