C’est le printemps !

 

Les cinq livres de ce mois d'avril
chez Recours au Poème éditeurs

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Les livres numériques Recours au Poème éditeurs peuvent être lus par tout le monde, avec et sans liseuse ou tablette. Un simple ordinateur suffit.

 

  

 

Raymond Farina est né en 1940 à Alger. Il a vécu dans différentes régions de France – notamment en Bretagne, en Lorraine et en Provence −, ainsi qu’au Maroc et en Centrafrique Après ses études supérieures à l’Université de Nancy, il a enseigné la philosophie en France, au Maroc et à la Réunion où il réside depuis 1991 avec sa famille. Il a publié une dizaine de recueils et collaboré à de nombreuses revues françaises et étrangères Il a également traduit des poètes comme Wallace Stevens, Theodore Roethke, Vittorio Sereni, Margherita Guidacci, Denise Levertov. Il a traduit récemment un choix de poèmes de Linda Pastan, publié, sous le titre de Une semaine en avril par Recours au Poème éditeurs.

 

  

Sylvie Fabre G. est née à Grenoble en 1951. Elle a commencé à publier en 1976 dans la revue parisienne Sorcières. Depuis elle est présente dans de nombreuses revues et anthologies en France et à l’étranger. Elle a publié une quarantaine de recueils poétiques, livres d’artiste et récits chez différents éditeurs et obtenu pour Frère humain le prix Louise Labé en 2013. Première Éternité est son recueil le plus ancien. Sa republication s’insère dans un cycle sur l’enfance qu’elle poursuit avec la publication conjointe en avril 2015 de Tombées des lèvres à L’Escampette, après celle de De petite fille, de voix et d’oiseaux au Pré carré. 

 

  

Charles Simic est poète, essayiste, et traducteur. Il a publié une vingtaine de recueils de poésie, six livres d’essais, un mémoire, et de nombreuses traductions. Il a reçu plusieurs prix, entre autres le Prix Pulitzer, le Prix Griffin, et une bourse MacArthur. En 2007 Simic a été le quinzième Poète Lauréat nommé Conseiller en Poésie à la Bibliothèque du Congrès. Son recueil  New and Selected Poems : 1962-2012, a été publié en mars 2013.

 

  

Hélène Révay est née à Paris en 1987. Après des études de philosophie à la Sorbonne, elle a suivi un Master 2 de Lettres à Paris 7 et a travaillé son mémoire sous la direction de Laurent Zimmermann. Ce mémoire portait sur la poésie de Samuel Beckett et plus particulièrement sur les recueils Poèmes suivi de mirlitonnades et Peste soit de l’horoscope et autres poèmes.

Elle a publié dans plusieurs revues de poésie numériques et papiers : Neiges, Francopolis, Comme en poésie, Le capital des mots et Recours au Poème.

Ses inspirations poétiques vont de Samuel Beckett, Rilke et Rimbaud, à Pasolini, en passant également par la poésie de Thomas Bernhard. Hélène Révay écrit aussi du théâtre et viens de terminer une pièce sous forme de monologue intitulée L’Acteur.

"Il y eut d’abord dans nos relations un certain côté maître et disciple, du fait que mes propres connaissances étaient, plus encore que lacunaires, désordonnées et sans rapport possible avec l’attirance vague mais profonde qu’elles exerçaient sur moi. Il a suffi de trois mots – ceux sur lesquels Le Seul commence – pour opérer dans mon esprit une brusque synthèse, et donner quasiment la forme d’une équation à une expérience de mon enfance. En dépit de son intensité ou à cause d’elle, je n’avais jamais jusqu’alors pénétré le sens qu’elle pouvait prendre, non seulement dans le domaine de la pensée mais en tant que levier tout-puissant de la masse énigmatique du monde : La présence disparaît. Avec sa concision parfaite, cette phrase me semble retrouver l’énergie des formulations d’une époque où métaphysique et physique ne se distinguaient pas, et rendre à la première la capacité d’être la clé d’une porte que le seul calcul entrouvre, avec l’autre, devant l’impatience de l’esprit."

Extrait du texte de Jacques Réda

 

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Roger Munier et Recours au Poème éditeurs ?

 

Parution du premier volume de la collection des Cahiers de Recours au Poème
 Volume consacré à la figure essentielle de Roger Munier  :

Cahier de Recours au Poème / Roger Munier

Pour découvrir et / ou vous procurer ce très beau livre,

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La poésie moderne n’a pas d’avenir. Plus exactement, son avenir n’est pas devant elle, mais en-deçà, dans l’origine qui la fonde. C’est un futur antérieur.

Roger Munier,
extrait de texte inédit


Informations sous cette couverture :

SOUS LA DIRECTION DE CHANTAL COLOMB

Livre collectif comportant
des documents inédits et des études
sur l'oeuvre de Roger Munier
avril 2015
140 pages
ISBN : 978-2-37226-038-1

€ 8.00

formats disponibles :
epub, mobi, pdf

 

Coordonné par Chantal Colomb, ce livre collectif fondamental consacré à Roger Munier comporte des documents inédits, dont un entretien inédit entre Chantal Colomb et Roger Munier, et des essais, de (et/ou) sur :

Roger Munier
Jacques Réda
Octavio Paz
René Char
Bernard Noël
Jean Marc de Samie
Patrick Zeyen
Chantal Colomb
Roger Planchon
Sébastien Hoët
Pierre Dubrunquez
Gabrielle Althen
François Lallier
André Frénaud
Jean Maison
Gérard Bocholier
PIerre-Albert Jourdan
Gilles Jourdan
Jean-Paul Gavard Perret

Après des études de Lettres modernes et de Philosophie à la Sorbonne Paris IV, Chantal Colomb a soutenu une thèse de Littératures comparées publiée sous le titre de Roger Munier et la « topologie de l’être » chez l’Harmattan en 2004. Elle a enseigné à l’université de Paris X et de Paris 3, puis à l’université de Trèves avant de se tourner vers l’enseignement de l’allemand en France. Elle est aussi l’auteur d’un entretien avec Roger Munier, Sauf-conduit, paru en 1999 chez Lettres vives. Elle a coordonné le dossier consacré à Bernard Noël par la revue Europe (n° 981-982, janvier-février 2011) et publié de nombreux articles sur la poésie contemporaine. Elle a également publié des traductions de l’allemand, des poèmes et des proses en revue. Son dernier récit, Portrait d’un artiste inconnu, a paru chez L’Harmattan en mars 2014. Elle oriente actuellement ses recherches vers le domaine de la psychanalyse.

 

 




Poètes des profondeurs

 

Poètes des profondeurs :
l’axe vertical de Recours au Poème éditeurs

10 titres déjà disponibles

La poésie des profondeurs, axe reliant le haut et le bas, l’homme et le Poème, est la spirale autour de laquelle respire l’œuvre alchimique de Recours au Poème. Ici se déploient des poètes dans la silhouette de Daumal, Juarroz, Jung, Pic de la Mirandole, Jean de La Croix…

Retrouvez les titres de la collection :
Poètes des profondeurs

Michel Cazenave, Gérard Bocholier, Louis Raoul, Elie-Charles Flamand, Matthieu Gosztola, Yves Roullière, Dominique Boudou.

À paraître : Raymond Farina, Jacques Viallebesset, Cécile Vibarel, Didier Cahen, Etienne Orsini, Serge Meitinger, Mathieu Hilfiger, Arnaud Bourven, Anne-Marie Soulier, Thomas Pontillo, Jean-Marie Corbusier…

 

Couverture des livres SAUF poème / ultime recours

 

Ainsi que « Poème / Ultime Recours. Une anthologie de la poésie francophone contemporaine des profondeurs comportant des poèmes d’une cinquantaine de poètes contemporains de haut vol :

Gabrielle Althen.
Marc Alyn
Gilles Baudry
Matthieu Baumier
Géard Bocholier
Xavier Bordes
Dominique Boudou
Pascal Boulanger
Jean-Pierre Boulic
Arnaud Bourven
Michel Cazenave
Dominique Cerbelaud
Judith Chavanne
Pierrick de Chermont
Christophe Dauphin
Samuel Dudouit
Marc Dugardin
Michel Dugué
Raymond Farina
Elie-Charles Flamand
Gwen Garnier-Duguy
Matthieu Gosztola
Bernard Grasset
Albert Guignard
Paul Guillon
Déborah Heissler
Mathieu Hilfiger
Gaspard Hons
Marie Huot
Sabine Huynh
Jean Maison
Marie-Christine Masset
Marie-Dominique Massoni
Jean-François Mathé
Margo Ohayon
Etienne Orsini
François Perche
Bernard Perroy
Alain Raguet
Louis Raoul
Yves Roullière
Nohad Salameh
Alain Santacreu
Jean-Marc Sourdillon
Muriel Stuckel
Harry Szpilmann
Richard Taillefer
Bruno Thomas
Serge Venturini
Serge Torri
Jacques Viallebesset

 

Poème/Ultime Recours

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Recours au Poème éditeurs

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Chant de Debôrâh

 

          XIII
       Chant de Debôrâh
                                   qui devine un bien meilleur, devient bien meilleur

 

                           Israël

 

2014                          

יְהוָה בְּצֵאתְךָ מִשֵּׂעִיר בְּצַעְדְּךָ מִשְּׂדֵה אֱדֹום אֶרֶץ רָעָשָׁה גַּם־שָׁמַיִם נָטָפוּ גַּם־עָבִים נָטְפוּ מָיִם
הָרִים נָזְלוּ מִפְּנֵי יְהוָה זֶה סִינַי מִפְּנֵי יְהוָה אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל  *

 5, 4-5 שירת דבורה, שופטים

I

Il était une fois, dans les temps arriérés, des animaux hominidés : Le peuple élu d’amis, en errant, extravagant, perdit son élection.

Dès que l’un avait faim, il s’empiffrait de chocolats, de cafards, de boas, de métaux, de cornes de taureau. Dès que l’autre, mâle, avait le sexe remuant, il le fourrait dans trente vaches d’affilée, dans le cul d’éléphants, dans la bouche d’enfants ; femelle, s’empalait sur des pieux, des trompes d’éléphants, des bras d’enfants.

Tout le peuple d’amis, moins amis, était loin de son lieu, de son centre et moyeu ; et sans lieu n’avait pas de loi propre, sans son centre faisait l’excentrique, sans moyeu perdait tous ses moyens.

Plus aucun n’excellait dans sa voie où le vouait sa vocation qui lui ouvrait la voie, et les multiples voies s’étaient fermées, et sans but tous erraient : affaiblis, sans vigueur ni rigueur de la vie. Et plus aucun n’était meilleur que son prochain, mais chacun était pire. Et plus aucun n’agrandissait ses connaissances, qui donc rapetissaient, et avec elles ses puissances.

L’élu déçoit ? l’élu déchoit : De peuple élu qui a déçu qui l’a élu, il n’était plus : que déchu.

Quand on déchoit, on déchoit avec légion d’autres déchus qui vous enchaînent. Et le peuple d’amis, en errant, se fit soumis, vingt ans, à un peuple excentrique – soumis en ceci à ’Îzèbèl.

’Îzèbèl violentée, asservie, dominée, pervertie, blessée, trahie, violée, salie, viciée, noircie, souillée, tarie, par des mâles – était amère, stérile. Sa vengeance aujourd’hui s’accouplait à son don mal acquis de voyance, qui lui servait à asservir.

Or son peuple asservi souvivait dans la ville extensive nommée Thiatiros, déformée par des cubes statiques agités de l’extérieur – non agissants de l’intérieur – par des rouages machiniques.

Et cette ville Thiatiros était peuplée de deux milliards de fanatiques – Nicolaïtes – qui avaient massacré tout autre peuple de leur terre, qui conquéraient avec la ruse, la séduction et la violence, les autres peuples de la terre.

Extravagants, sans chemin, excentriques, sans centre, ils suivaient l’errement d’’Îzèbèl – subjugués par elle, sous son joug à elle, car sans joug à soi, joug centripète, seul joug poète des chemins menant chacun au même point.

Face au peuple soumis, le temps était venu pour le peuple d’amis. C’est pourquoi sur le mont ’Èphraïm, la Juge Debôrâh, qui sommeillait sous son palmier, jugea bon de s’éveiller et se lever. Elle elle est celle : qui répond à l’appel, à l’appel du tout autre, à rien d’autre qu’au tout, au tout autre que rien.

Si tout avait été pour le mieux, elle se serait éveillée et levée pour le bien. Mais comme en ces temps sombres, tout était pour le pire, elle se réveilla et se leva pour le meilleur – le bien, on verrait ça après ; après, on verrait mieux le bien.

 

II

Debôrâh se hissa sur le Mont ’Èphraïm, sous son palmier où chaque jour elle rendait justice, à qui l’avait perdue elle la lui rendait, et le Mont ’Èphraïm était couvert par les amis, dix mille amis, couvert par un murmure, plus aucune surface de silence ne restait.

Debôrâh se dressa, sa hauteur augmenta jusqu’au sommet de son palmier trois fois plus haut, déboussola les erratiques, et boussola les sans-boussole qui cherchaient le double sol : de terre, de ciel.

Debôrâh déclara : « Et maintenant écoutez-moi, écoutez bien, pas mal, ni entre deux, je n’irai pas par les quatre chemins, horizontaux, mais par un seul, le vertical à la croisée. Et attendez de voir demain, vous n’en reviendrez pas, vous resterez dans ce demain promis ce jour.

Je vous dis ce qu’on dit, ce qu’on m’a dit de mieux, et ce qui est utile au dit du mieux pour qu’il devienne fait, vrai fait, et ce qui peut servir à ce mieux dire à devenir vrai faire.

Et je ne vois que ce qu’on voit, qu’on m’a fait voir de mieux, à vous de voir : ce que je vois de mieux – je ne veux pas être suivie, ne suis pas ’Îzèbèl, ne suivez surtout pas ’Îzèbèl, ’Îzèbèl asservit qui la suit, voyez ce que je vois de mieux, puis je m’en vais : voir ailleurs, voir l’ailleurs. »

Debôrâh se tenait sur le mont ’Èphraïm, et Debôrâh se tenait droite tout en haut, et sa hauteur ne mentait pas, par Debôrâh l’esprit soufflait : des mots, qui tous chutaient, qui chuchotaient dans les oreilles des amis, tous pressentaient : une existence pas encore ici, plutôt en germe ici, bien plus tôt, on était loin du là-bas las qui préjugeait : que les faits étaient vrais, que l’effet était vrai, cause.

Le feu de Debôrâh, lancé depuis là-haut, s’alluma jusque dans la plaine, alors la plaine, en flamme et joie, enflammée par la joie, trouva son cœur dans son courage, et redevint un haut sommet, qu’elle avait oublié qu’elle était.

Debôrâh déclara : « Ils interdisent notre rêve en ricanant, lui interdisent de créer, et de naître à nouveau, de renaître nouveau comme nous sommes nés, comme un nous nouveau-né.

Nous devons pétrifier leurs regards qui pétrifient nos mouvements – nos mouvements, qui n’étant pas à l’unisson mais produisant une harmonie de divers sons, créent un seul mouvement de grand bond – en avant – soutenu dans le temps, car fidèle à l’avant et la hauteur d’où nous venons. »

Et parmi les amis, Debôrâh appela : Bârâq, qui parmi les amis se leva, alla vers Debôrâh, qui dit : « Toi, tu n’es pas en forme, et tous ici voient mal ta forme. Tu la retrouveras. »

Informé par ces mots, Bârâq revigoré lui dit : « Pour nous tous tu es tout le nouveau, et je veux embrasser le nouveau, à nouveau. » Et il embouche, bouche sa bouche, avec vertu et virtuosité, l’une empêchant nullement l’autre, mais l’une inspirant l’autre, et elle dit : « Nous verrons, nous ferons, le reste après. »

« Maintenant trêve de paroles, actons le rêve des paroles qui transportent notre mieux. Les mots multipliés, sans acte avec, démultiplient les maux en acte. Ami Bârâq, réunis nos amis, dix mille amis, et va combattre l’ennemi, l’armée conduite par Sîserâ’ aux ordres d’’Îzèbèl, et l’ennemi, je te le donnerai. »

« Mais Debôrâh ! dit Bârâq, cette armée pue et porte la mort ! ils sont légion ! deux milliards ! surarmés ! Nous nous sommes bien moindres, tout petits et à pieds, désarmés, et moi seul j’ai l’épée, minuscule l’épée, si minuscule, que j’ignore souvent où j’ai pu la ranger. »

Debôrâh déclara : « Si notre mort catastrophique est assurée, il est et temps et nécessaire d’espérer, de supprimer la mort, et d’exiger la vie nouvelle. » Et Bârâq : « Si tu viens avec moi, j’y vais ; sinon, non. » Et Debôrâh : « Je viens, et la gloire viendra – d’une femme. »

III

Quand le peuple sans arme avança, l’armée, armée, attaqua : avec épées, fourchettes, lances, roquettes, chars d’assaut, gaz chimiques, biologiques, kamikazes chargés de grenades, avions de chasse, forces navales, forces sous terre, deux milliers de millions d’hominidés motorisés.

Le peuple à pieds, sans autre arme qu’une épée, espère, et exige la fin de la mort. Il recule d’un pas, organique, quand l’armée fait un pas, mécanique, en avant dans le vide.

Et l’épée de Bârâq, comme guidée d’ailleurs, mène la guerre à elle seule, Bârâq ne fait que la porter, et ne pas l’égarer, elle qui coupe les épées, les fourchettes, l’élan des lances, des roquettes, et assaille tout char, et aspire tout gaz, charge tout kamikaze, et chasse les avions, et affaiblit les forces.

Les deux milliards ennemis furent tous détrônés de leur machine meurtrière, tous finirent à pieds, puis sans pieds, tous coupés par l’épée, puis sans jambes, coupées toutes par l’épée. Et deux milliards de troncs hurlaient à l’unisson les bras tendus vers le ciel vide – pour eux.

Seul le chef Sîserâ’, tombé, s’enfuit à pieds, il courut paniqué, piqué en profondeur par une peur, qui courut elle aussi, derrière lui, mais plus vite que lui, et il courut, le vide au cœur, et essoufflé il se fit sourd à ses erreurs, lesquelles tues, non reconnues, dégénérèrent en terreurs.

Sîserâ’ vit une tente, et c’était celle de Yaël, quatre bougies l’illuminaient, il avait soif et demanda de l’eau à boire, plutôt que l’eau elle offrit mieux, du lait, elle éteignit une bougie et la lumière s’amoindrit, il but le lait, et demanda à se cacher, Yaël offrit sa couverture, le rassura en le couvrant : Tu ne crains rien. Elle éteignit une bougie et la lumière s’amoindrit.

Sîserâ’ dit à Yaël d’aller dehors devant la tente, et dire à qui le chercherait : qu’ici pas trace d’ennemi, Yaël alla, elle éteignit une bougie et la lumière s’amoindrit, pendant que lui endurait dur la longue attente, elle saisit un pieu fixant la tente, saisit sans mot un gros marteau, retourna vers Sîserâ’ au corps caché, que l’angoisse glaciale seule trahissait, Yaël posa le pieu sur la tempe ennemie, le marteau l’enfonça, brisa le crâne, elle éteignit une bougie, la lumière amoindrie jusqu’ici s’abolit, et le Sîserâ’ crâne brisé s’agenouilla devant Yaël entre ses jambes, le crâne en sang mouillait de sang Yaël dressée entre les jambes, l’homme vaincu et à genoux devant la femme bien debout – comme une mère protectrice devenue la meurtrière destructrice du guerrier. Elle dit à son mort : « Tu te laveras les cheveux demain ; et moi, je verrai les chemins de vœux. »

Pendant ce temps, une mère attendait le retour de son fils, et regardait l’horizon vide : « Où est Sîserâ’ ? » Et les femmes de Sîserâ’ la rassuraient : « Il doit être vainqueur, notre Sîserâ’, et il doit profiter du butin, avec ses hommes, et des femmes faites putains. »

Et Bârâq arriva devant la tente de Yaël, essoufflé, souffle coupé devant après les deux batailles, et la bataille de l’épée et la bataille de Yaël, et Yaël lui livra le meneur ennemi, comme avant son épée la légion ennemie.

Au loin, on entendit ’Îzèbèl qui hurla, se tua et se tut.

IV

Debôrâh se dressa, somptueuse de blanc, surplombant : ses amis, et sa voix héroïque : les rendaient héroïques, et les cyniques, et les sans-cœur, les sans-courage, et les tristes figures, soit moururent, soit sourirent, revécurent. Parmi les ennemis, ceux des troncs qui écoutent la voix de Debôrâh se relèvent, rejoignent les amis.

Près d’ici, l’antilope à ressort s’élança à cent vingt kilomètres à l’heure, Debôrâh déclara :

« Écoutez maintenant ce que moi maintenant j’écoutai : Ici et maintenant, nous supprimons la mort, nous augmentons la vie, avec la mort domptée tous nos obstacles sont levés, sont des chances, vers notre vie accrue. Ici et maintenant, dans le cœur de la nuit, les ennemis dorment sous terre, nous nous veillons, restons levés sur terre.

Nous ne nous contentons pas : du réalisé, du fait faux, factuel, factice, facticiel. Nous nous sommes contents : de l’irréalisé, à réaliser, de l’acte de réaliser, qui recommence avec chacun, et chacun sait que la réalité attend d’être réalisée. »

Près d’ici, l’antilope à ressort fit le bond de cinq mètres de haut, Debôrâh déclara :

« Je vous donne mon chiffre – afin que vous déchiffriez : Mon chiffre baisse pour que monte le Nouveau, et le niveau – de fluidité. Plus mon chiffre est petit, plus la matière est fluide. Soyons petits pour que le monde coule.

Nous voulons modifier la matière du monde. Jouons avec le temps, et avec la chaleur. Dans le présent des lendemains, nous voyons maintenant notre mieux pas encore visible, et nous sommes ardents, jaloux de notre mieux, dans nos mains la matière s’écoule.

Laissons le temps à la matière la plus dure de couler. Comme l’eau, les montagnes s’écoulent, mais lentement. Accélérons le temps, par la chaleur ! Par la chaleur de l’espérance, sa patience, tout s’amollit et se modèle ! Les montagnes ruissèlent, se déplacent, devant notre espérance !

Le monde est comme en verre. Notre espérance le réchauffe, jusqu’à incandescence, son temps d’écoulement de long se fait instant, nous l’informons, de notre mieux nous lui donnons la forme : de notre mieux. »

Près d’ici, l’antilope à ressort fit le bond de vingt mètres de long, Debôrâh déclara :

« Nous libérons ci-maintenant ce qui avant n’avait pas pu devenir soi ! libérons maintenant l’opprimé ! libérons maintenant l’avenir opprimé, prisonnier du passé, auquel seul le présent donne à chaque moment l’occasion de surgir ! faisons fleurir, et fructifier ce qui germine !

Les épées se transmuent en charrues, les fourchettes en fourchettes, les lances en faucilles, les roquettes en roquette, les chars d’assaut en véhicules collectifs, les gaz en parfums, les kamikazes mortifères en humains vivifères, les machines de guerre en machins prolétaires, sans mot, qui redonnent le mot aux anciens prolétaires, abolis aujourd’hui, devenus comme tous maîtres neufs.

Qui devine ce qui vient, devient ; qui devine le mieux, devient meilleur ; qui devine un bien meilleur, devient bien meilleur. Le repos d’aujourd’hui – l’histoire en suspension, interruption, par irruption d’éternité – est la source du monde à venir. »

Et une fois le Nouveau né, Debôrâh se retire et retire son chiffre, retourne à son palmier.

AUX SIMPLES D’ESPRIT



*        Toi, Centre unique !

           Quand tu es sorti de Toi-même, quand tu t’es avancé de Toi-même... vers nous à la périphérie :

           La terre a tremblé, et le ciel est tombé : en eau, et les nuages sont tombés : en eau.

           Devant le Centre unique les montagnes ont coulé : en eau, ruisselé, et ce Sinaï même a coulé, devant le Centre unique.

 

         Chant de Debôrâh, Juges V, 4-5

 




Hommage à Claude Rouquet

 

Ce qui s’ouvre et ne peut finir

 

 

 

Si nous ne parlions pas nul ne saurait
ce qu’il en est de l’autre dans l’autre chambre

Abdallah Zrika

   

  

  Et si nous n’écrivions pas, ne lisions pas, n’éditions pas, pourrait-on rajouter à ces mots d’Abdallah Zrika[1], oui, que connaîtrions-nous de l’autre et de ce qui nous relie ? Nous nous savons tous en partance, et si souvent nous entendons déjà  «  courir la mort par les sillons/Du visage - on dirait qu’elle nous appelle »[2]. Peut-être Claude Rouquet, mon ami et éditeur, en ce mercredi de janvier 2015 où il s’est éteint, a-t-il répondu à son dernier appel, nous quittant pour un inconnu dont il lui restait tout à découvrir alors même qu’avec un grand courage, une fière constance, il avait mené le combat contre la maladie de longues années sans jamais démériter de la vie, sans jamais renoncer à son désir d’être ici, avec nous, dans la présence.

   Le legs qu’il nous a laissé, en plus de trois cents livres, dont quelques-uns encore à paraître, n’est en effet que de présence. Ne nous a-t-il pas transmis une bibliothèque entière de  voix, vivantes et mortes ? Voix d’écrivains venus d’horizons et de langues divers, unies dans une parole de beauté et de vérité qui n’excluent pas les ombres, les souffrances, les terreurs. Il les a rassemblées dans sa Maison d’édition à Bordeaux puis à Chauvigny depuis 1993, date de sa création. Les plus aimées de lui ont peut-être été les portugaises, celle d’Al Berto qui a accompagné pour sa compagne et nous ses derniers jours, celles de Sophia de Mello Breyner ou d’Eugenio de Andrade grâce auxquelles, entre autres, j’ai connu Les Editions L’Escampette. Les voix françaises, nombreuses, il m’est impossible bien sûr de toutes les citer, alors choisissons seulement d’évoquer celle de  Bernard Manciet dont il a publié l’œuvre entière, de Claude Margat, notre commun ami et compagnon de route, de David Collin qui récemment m’a entraînée dans ses Cercles Mémoriaux. Enfin comment pour moi ne pas célébrer les italiennes, de Paolo conte à Antonella Anedda ? Toutes ces voix aujourd’hui, quels que soient leur provenance, occidentale ou orientale, et leur genre littéraire, sont des sentinelles qui veillent. Elles nous rendent souffle et nous font signe quand nous nous sentons orphelins ou désespérés. Elles nous appellent à continuer l’écriture pour peupler de nouveaux ouvrages la bibliothèque salvatrice de Claude, à Chauvigny et qui sait aussi ailleurs

   Car à l’heure où j’écris, Claude Rouquet n’est plus là, il a pris la poudre d’escampette avant nous, mais cela lui était coutumier. Plus de vingt ans déjà qu’avec Sylviane Sambor il avait choisi d’emprunter les chemins traversiers qui aident l’être à devenir ce qu’il est plutôt que de suivre la route bien ou mal tracée de la réussite sociale et matérielle. La force de ses rêves, la volonté d’aller au bout d’une aventure littéraire, poétique et humaine l’ont porté jusqu’à la fin, avec l’amour et l’amitié de ceux qui l’ont partagée avec lui. Homme de haute exigence et de ferveur, il a vécu jour après jour dans le désir réalisé de publier ce qu’il nommait « ses bonheurs de lecteur ». Défendant une conception de la poésie « en tant que passage vers un mystère » et affirmant  « sa foi inébranlable dans la capacité des livres à opposer une résistance salutaire à l’invasion du clinquant et du faux-semblant », il a toujours montré une grande lucidité dans son refus du monde tel qu’on nous le propose. Les derniers évènements qui ont accompagné son agonie révèlent la justesse de sa vision. Quand la nuit monte, la lumière des livres accompagne l’ombre qui s’étend. Elle nous éclaire, et il nous l’a tendue comme un flambeau à saisir pour préserver l’essentiel.  

   Claude Rouquet pensait que l’amitié est une des choses les plus importantes, et que même si on ne se voyait presque pas, avec un livre accompli on faisait ensemble « le tour des sentiments, de la séparation, des deuils »[3], et de la douleur, inévitable. Il disait que son travail avec un écrivain commençait « dans l’établissement de relations personnelles, souvent passionnelles ». Pour ma part je n’ai vu Claude que deux fois au Marché de la poésie mais, malgré la distance géographique, nous nous sentions proches. Depuis 2005 et la publication de Les Yeux levés, nous nous sommes écrits souvent. Ses mots brefs, amusés parfois comme son regard derrière ses lunettes, n’empêchaient pas la bienveillance et la gravité des  propos. Il avait un caractère de Cyrano, et la maladie a rendu sa noblesse de geste et de cœur encore plus évidente. De partis-pris tranchés, éditeur bretteur, et si fidèle, il  savait à quoi sert la littérature et combien elle peut nous aider à vivre et à mourir, ouvrant entre les êtres quelque chose qui ne peut finir.

 


[1] Abdallah Zrika, Echelles de la métaphysique, Ed. L’Escampette

[2] Sophia de Mello- Breyner, Malgré les ruines et la mort, Ed. La Différence

[3] Al Berto, préface de Jardin d’incendie, Ed. L’Escampette

 




Lire des femmes poètes américaines contemporaines ?

 

La poésie contemporaine américaine en mars chez Recours au Poème éditeurs :

 

Linda Pastan et Elizabeth Brunazzi

 

 

Pour découvrir et / ou se procurer les livres, cliquer sur le titre

Une semaine en avril

de Linda Pastan

Poèmes choisis (1981-1995)
édition bilingue (français/anglais), traduction de Raymond Farina

 

 

Il y a des Poèmes

Il y a des poèmes
qui n'ont jamais été écrits,
qui simplement traversent
l'esprit
comme écriture au ciel
d'une journée tranquille :
avec lenteur le premier mot
dérive vers l'ouest,
les dernières lettres fondent
sur la langue,
et ce qu'on laisse
c'est le bleu pur
de l'intuition, sans nuage
ni consolation.

 

There Are Poems

There are poems
that are never written,
that simply move across
the mind
like skywriting
on a still day:
slowly the first word
drifts west,
the last letters dissolve
on the tongue,
and what is left
is the pure blue
of insight, without cloud
or comfort.

 

 

Le commencement prend fin ici / The beginning ends here
d’Elizabeth Brunazzi

Edition bilingue (anglais/français), traduction par l’auteur

 

 

Lits en feu

Je lui demande
Si elle met le feu au lit de mariage,
Elle ne répond pas et continue
À frotter les allumettes
En les laissant tomber une à une sur le matelas
En riant sourdement,
La belle ivrogne éternelle
Gelée dans son presse-papier de verre en cloche,
Ma voix ne l’atteint pas,
La fille aux petits poings
Se battant contre la cloche en verre,
Pour la briser enfin,
Pour empêcher maman de tout incendier,

Et maman sort du noir de l’autre côté de la glace
En ricanant, et frotte encore une autre allumette.

 

 

Burning Beds

I want to ask her
If that’s the marriage bed she’s setting fire to,
She keeps lighting matches
And throwing them on the mattress
and laughing uncomprehendingly,
she’s been drunk for years
Like a figure in a paper weight
She can’t hear me,
the girl standing on the outside
Of the dream, beating on the glass
With tiny fists, trying to get in
To stop mother from burning everything up

And mother just smiles from the other side,
Crookedly, and lights another match.

 

 

 

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Recours au Poème éditeurs

 

 




Hommage au poète Jean-Luc Wauthier

O Saint Paradoxe
ouvre-moi toutes les portes.




Georg Trakl, un poète en temps de détresse

« En fin de compte, je resterai toujours un pauvre Kaspar Hauser. »
G. Trakl dans une lettre à un ami (1912).

 

 

Georg Trakl s'est tu dans les ornières de novembre au terme d’une longue déroute, engagé dès les premiers mois de la guerre sur le front de l’Est au cours de l’année 1914, en qualité de pharmacien mobilisé dans les services sanitaires. Durant la bataille de Grodek contre l’armée russe, il a pour mission de prendre en charge, dans une grange et sans assistance médicale, pendant deux jours, les soins d’une centaine de blessés graves. Naufragé d'une fin de nuit, il découvre au matin la terre de Galicie rougie de « tout le sang versé ». Quelques jours plus tard, à la suite des horreurs dont il a été le témoin, il tente de se suicider au moyen d'une arme à feu. Après le fracas des « armes de mort » précipitant « les plaines d'or et les lacs bleus » dans l'ébranlement terrible de la guerre, il est transféré à l’hôpital psychiatrique de Cracovie.

Interné depuis le 25 octobre dans une cellule « qui ressemblait à une cave », au soir du 3 novembre, il succombe à un excès de cocaïne, emportant avec lui les dérèglements et la désespérance d’une vie marquée à la fois par de douloureuses épreuves personnelles et par la violence du désastre qui s’annonçait comme la fin d’un monde.

Il nous faut aujourd'hui, par-delà l'épaisseur du temps, en une sorte d'épiphanie rendre visible, donner à voir et à entendre, le leitmotiv obsédant de la ruine qui annonce l’entrée dans un siècle « de bruit et de fureur »[1], ainsi qu’en chacun de ses poèmes se dépose une plainte devenue étrangement muette. L'expérience silencieuse du désastre dans la vie de celui qui disait de lui-même « n'être qu'à moitié né », se révèle comme la plus haute conscience possible d’un moment du temps au plus fort du déclin. Rompu à l'épreuve des jours, le poème accomplit la promesse de l'astre qui « roule plus obscur » dans le lent déchiffrement de ce qui reste à naître, un « ailleurs » où le soleil se lèvera encore après la chute de la nuit.

Parmi les virtualités d’un moi indéfini comme autant de fragments d’identité, Elis, Helian, Kaspar Hauser, l’étranger, le solitaire, la sœur…, avec ces multiples personnages aux allures d’apparitions, le chant du poème et ses allégories devenues pour Trakl la véritable réalité résonnent sur les pas de l’« Étranger sacré », figure énigmatique du poète parmi « les terribles sentiers de la mort, des pierres grises du silence, les écueils de la nuit et les ombres sans paix ».

Comme à rebours, il vient à notre rencontre pour conjurer le malheur du temps dont il porte la blessure, sitôt brisé l'astre des jours anciens aux dieux tutélaires. Il va interpellant les vivants et les morts aux bouches de pavot, le fils perdu sous les feux de l’orage, à l’Occident qui chavire. Plaie vive au cœur, il succombe à l’horreur d’exister. Dans la nuit de toutes les nuits, penché sur ses gouffres, il va cueillant la fleur des ténèbres sur les chemins de Galicie parmi les flammes et les cavales de l’automne.

Si la voix de Georg Trakl continue à nous atteindre, à toucher le lecteur « enhardi » qui s’aventure sur le « chemin abrupt et sauvage » de ses textes, c’est qu’ils sont nés d’un même feu courant à travers les pages « sombres et pleines de poison »[2] que nous pouvons lire aujourd’hui, cent ans après sa disparition. Comme l’écueil qui résiste à la vague destructrice du temps, la force créatrice du poète contraste singulièrement avec l’angoisse et le chaos du réel que l’œuvre poétique tente de métamorphoser jusqu’à l’égarement entre « rêve et folie ». Cette œuvre étrange, secrète, d’une rigueur absolue, a trouvé sa propre fin avec celle de son auteur. Elle signe à la fois le destin d’une écriture et d’une vie qui s’est refermée sur elle-même, un soir de novembre 1914.

 

« Ce sont larmes plus sombres que respire ce temps »

 

L'œuvre de Georg Trakl, mis à part quelques fragments de drames et de vers de jeunesse, compte un peu plus d'une centaine de poèmes qui constituent une avancée de l'expérience poétique vers l'horizon de la modernité, passant en un bref laps de temps d’un lyrisme dissonant à la métrique traditionnelle aux « rythmes libres » de vers assouplis où se mêlent emprunts et influences, notamment des Illuminations d’Arthur Rimbaud et des élégies de Hölderlin. Du travail de la rime dans les sonnets d'inspiration symboliste jusqu'au dérèglement du vers « débordant de mouvements et de visions » où résonnent les premiers accents expressionnistes, avec la dislocation douloureuse qui caractérise les derniers poèmes écrits dès le printemps 1914, Trakl franchit les limites du possible « hors de soi » pour se perdre « littéralement et dans tous les sens » parmi le tumulte de la langue et « l'amertume du monde ».

Cherchant à approcher le « chaos » au plus près, il va faire éclater la « vieillerie poétique » jusqu'à la fragmentation ultime du poème désormais « impersonnel ». La prosodie de la langue allemande s'en trouvera renouvelée par la combinaison subtile de mots issus du lexique de la tradition poétique mais dont l’emploi obéit à une nécessité intérieure implacable. Leur polysémie déjoue la fixité du sens qui se dérobe dans le jeu des motifs et leur métamorphose. Ainsi se forme la matière d’un lyrisme aux accents dramatiques qui se heurte à sa propre impossibilité, face à un monde en convulsion où des anges déchus « aux ailes maculées de boue » lui montrent les signes inouïs de sa chute à venir.

Ouvrant la poésie « aux grandes irrégularités de langage », à ce qui relève d’une vérité singulière avec la volonté de rendre visible, manifeste le « dire » du poème au sens du mot allemand Dichtung, Trakl met à l'épreuve « corps et biens » la formule de son contemporain Wittgenstein, « Ce qui ne peut être dit, il faut le taire », cherchant désespérément à saisir dans cette mise en abîme l’impossibilité même de dire qui ne cessait pour lui de marquer le passage du jour à la nuit, préfiguration de ce déclin vers l’obscur dans un monde qui n’aura d’autre horizon que sa propre fin, un monde où ainsi que l’écrit Trakl en 1914 à son ami Ludwig von Ficker, « l’existence ressemble à la mort » comme pour des millions d’hommes après lui sur les champs de bataille de la guerre qui s’abat sur l’Occident.

Au cours des dernières années, alors que les « démons » se font plus pressants dans sa vie, Trakl qui ne se soucie plus vraiment du devenir de ses poèmes, s’abandonne ainsi à l’ivresse qui le gagne, « perdu dans la noire destruction de novembre », comme si le mouvement intérieur qui l’avait porté à écrire, pouvait tout aussi bien le renvoyer au néant, envahi « par la suave musique de sa folie ».

Poète inscrit sur le double versant de l’histoire, en aval il préfigure la révolte « expressionniste » avec l’âpreté qu’il met dans sa « manière imagée » et son refus à consentir « à ce qui est », en amont là où s’enracine la modernité, il rejoint ceux des poètes qui ont métamorphosé la langue l’ouvrant sur l’indicible : Friedrich Hölderlin le « frère sacré » ainsi qu’il le nomme, Arthur Rimbaud dont il lit dès 1907 les premières traductions, Novalis auquel il consacre deux poèmes, Charles Baudelaire dont il découvre « Les Fleurs du Mal » avec leurs paradis artificiels dans le texte français, et Nietzsche pour lequel il s’enthousiasme à la lecture de son « Zarathoustra ».

Aujourd’hui, par-delà les tragédies du vingtième siècle, pour qui a reconnu dans sa parole poétique des fulgurances qui touchent au plus intime de l’être et rendent sa voix si proche que nous ne voulons plus le quitter, il est ce « passant considérable » qu’accompagnent d’autres silhouettes étranges qu’il rencontra dans les cafés de Vienne ou de Berlin, comme par mégarde. Il fréquentait davantage ces lieux pour y retrouver l’ivresse du vin que pour débattre des problèmes du temps, « pauvre Lélian »[3] égaré dans la ville et ses « noirceurs » devenue le théâtre d’une existence déchirée entre l’appel de la lumière et la fatalité de l’ombre.

Relevons sur son passage les noms de Karl Kraus, redoutable écrivain polémiste, auteur de la célèbre revue autrichienne Die Fackel dans laquelle furent publiés les premiers poèmes de Trakl, Ludwig von Ficker, l’ami infatigable qui plus tard rassemblera ses textes, et Else Lasker-Schüler, « la fiancée du vent » qu’il rencontre à Berlin en 1914, étonnante égérie de l’expressionnisme allemand, si proche de lui dans sa vie de bohème qu’elle lui rappelait sa sœur Grete.

Retourner sur les pas de Trakl, c’est aussi aller à la rencontre de « la sœur », cette silhouette vacillante qui hante nombre de ses poèmes sans pour autant laisser deviner la nature exacte d’une relation si étroite entre eux que l’ombre de l’inceste a fini par en constituer le mythe, celui de la transgression d’un interdit radical. Les lettres entre le frère et la sœur ayant disparu, sans doute détruites par la famille, il reste des spéculations qui alimentent l’image délétère du poète maudit, alors que la réalité accablante de l’époque constitue par elle-même, pour qui veut bien s’y attarder et en prendre toute la mesure, le ferment de cette détresse à l’œuvre dans le corps et la voix si particulière du poète Georg Trakl, « une diction douce, qui semblait tourner autour d’un indicible mutisme »[4].

 

« Et dans l’azur sacré résonnent encore des pas de lumière. »

 

Traduire les poèmes de Georg Trakl, c’est tenter de saisir la réalité palpable d’une écriture nourrie de tradition et dont le lyrisme deviendra la composante essentielle, comme pour en retrouver l’étoffe taillée dans l’épaisseur sonore de la voix qui s’y loge — au détour d’une volée de mots dans cet entre-deux du jour et de la nuit brûlant au cœur des choses « l’ardente paille »[5] du poème —, c’est reprendre un à un les fils du réel parmi les métamorphoses sans nombre de la langue, c’est tisser à nouveau la rude toile au vif-argent d’une vie qui voisine avec les astres, la vigueur allemande courant sous « le soleil des mots » par l’unique chemin qui décline à l’orée même de vivre, sentinelle obstinée d’un invisible incendie.

Par la rage des vents dévêtu, il va sur d’étranges hauteurs sous l’éclair qui se brise — lumière et souffle, éclat panique — au passage de la ligne, feu sur la lande, nulle autre vision quand l’esprit se dérobe à l’embrasement du couchant. Voici Georg Trakl dans la forêt des signes où la mort seule est venue qui éclaire ses jours parmi les « Grands astreignants »[6], tourné vers le lieu de son abandon. Il survit dans « la maison nocturne des douleurs » poursuivant son rêve éveillé sur « les sentiers lunaires des séparés », au plus profond du sommeil comme « en d’obscurs poisons ». Le cœur ivre, il se souvient de ses vagabondages perpétuels à l’heure du tourment, de la liqueur d’or qui luit dans la bouche de la nuit, de la brûlure du pavot et de son « chaos d’images » qui ruisselle sur la « neige noire » des toits. L’écharde est dans la chair où s’exténue le secret de l’enfance entrelacé dans les intermittences d’une flamme, cette « faute contre le sang »[7] qui palpite sous l’écorce des pierres.

Ainsi celui qui se disait lui-même « livré depuis des années aux aléas de l’existence » et qui cherchait « la possibilité de s’adonner en toute quiétude à [son] propre silence » saura remercier ses amis dans ses dernières lettres pour leur aide et leur sollicitude, espérant à mots couverts que « quelque chose puisse en sortir et devenir poème », paroles soutenues de braises lentes jusqu’à n’être plus qu’une source échappée d’une rive à l’autre de la vie, qu’un souffle renversé dessous le ciel, soleil et mort confondus.

Étranger en lisière d’un monde assuré de sa perte, « apatride au front sombre », il demeure le « nu perdu » qui veille dans l’obscur au bout des chemins d’encre.

 

 

« Es ist die Seele ein Fremdes auf Erden. »
« L’âme est un étranger sur terre. »

*

Georg Trakl est né le 3 février 1887 à Salzbourg. Il est issu d’une famille aisée de commerçants originaires de Hongrie, « fière d'habiter dans l'une des plus belles villes de l'Empire ». Durant son adolescence, il découvre l’usage des drogues dans le cercle des amis qu’il fréquente. Sous l’influence de ses lectures, Stefan George, l’une des figures emblématiques de la poésie allemande au début du vingtième siècle, Hölderlin, Novalis, Nietzsche, Baudelaire, Verlaine, puis Rimbaud, il est séduit par « la magie du langage », autre chemin d’accès vers les Paradis artificiels qui deviendront peu à peu la pointe extrême de sa vie entrée dans un cercle maléfique dont il ne songera jamais à s’échapper. Son œuvre comprend pour l’essentiel deux recueils de poèmes qu’il a lui-même préparés en vue de leur publication chez Kurt Wolff, un jeune éditeur de Leipzig : Gedichte/Poésies (1913) et Sebastian im Traum/Sébastien en rêve (1915). Ludwig von Ficker, directeur de la revue Der Brenner qui publia ses derniers poèmes, a joué un rôle déterminant pour la sauvegarde de son œuvre poétique.

En cette première année de commémoration de la Grande guerre de 1914-1918, il convient de rappeler que si Georg Trakl, poète et soldat autrichien, n’est pas mort sur le front ni tombé au champ d’honneur, la guerre avec ses fracas sans nombre a accompagné sa mort, et les circonstances particulièrement brutales de ce conflit dont nous mesurons aujourd’hui la dimension tragique aux conséquences effroyables pour des millions d’êtres humains en Europe, ont sans nul doute précipité sa fin dans le chaos d’une époque meurtrière où la vie d’un poète de 27 ans ne pouvait que se briser, sans retour possible sur les écueils du temps. Le jour où il partit pour le front, avant de quitter ses amis, Trakl lâcha ces quatre mots : « Cela va être terrible ! » Sans doute la guerre coïncidait avec cette « malédiction » qui déjà menaçait sa vie.

 

 

 

Georg Trakl en 1908

 

 

Un des poèmes majeurs de Georg Trakl

 

Psalm

Karl Kraus zugeeignet

Es ist ein Licht, das der Wind ausgelöscht hat.
Es ist ein Heidekrug, den am Nachmittag ein Betrunkener verläßt.
Es ist ein Weinberg, verbrannt und schwarz mit Löchern voll Spinnen.
Es ist ein Raum, den sie mit Milch getüncht haben.
Der Wahnsinnige ist gestorben. Es ist eine Insel der Südsee,
Den Sonnengott zu empfangen. Man rührt die Trommeln.
Die Männer führen kriegerische Tänze auf.
Die Frauen wiegen die Hüften in Schlinggewächsen und Feuerblumen,
Wenn das Meer singt. O unser verlorenes Paradies.

Die Nymphen haben die goldenen Wälder verlassen.
Man begräbt den Fremden. Dann hebt ein Flimmerregen an.
Der Sohn des Pan erscheint in Gestalt eines Erdarbeiters,
Der den Mittag am glühenden Asphalt verschläft.
Es sind kleine Mädchen in einem Hof in Kleidchen voll herzzerreißender Armut!
Es sind Zimmer, erfüllt von Akkorden und Sonaten.
Es sind Schatten, die sich vor einem erblindeten Spiegel umarmen.
An den Fenstern des Spitals wärmen sich Genesende.
Ein weißer Dampfer am Kanal trägt blutige Seuchen herauf.

Die fremde Schwester erscheint wieder in jemands bösen Träumen.
Ruhend im Haselgebüsch spielt sie mit seinen Sternen.
Der Student, vielleicht ein Doppelgänger, schaut ihr lange vom Fenster nach.
Hinter ihm steht sein toter Bruder, oder er geht die alte Wendeltreppe herab.
Im Dunkel brauner Kastanien verblaßt die Gestalt des jungen Novizen.
Der Garten ist im Abend. Im Kreuzgang flattern die Fledermäuse umher.
Die Kinder des Hausmeisters hören zu spielen auf und suchen das Gold des Himmels.
Endakkorde eines Quartetts. Die kleine Blinde läuft zitternd durch die Allee,
Und später tastet ihr Schatten an kalten Mauern hin, umgeben von Märchen und heiligen Legenden.

Es ist ein leeres Boot, das am Abend den schwarzen Kanal heruntertreibt.
In der Düsternis des alten Asyls verfallen menschliche Ruinen.
Die toten Waisen liegen an der Gartenmauer.
Aus grauen Zimmern treten Engel mit kotgefleckten Flügeln.
Würmer tropfen von ihren vergilbten Lidern.
Der Platz vor der Kirche ist finster und schweigsam, wie in den Tagen der Kindheit.
Auf silbernen Sohlen gleiten frühere Leben vorbei
Und die Schatten der Verdammten steigen zu den seufzenden Wassern nieder.
In seinem Grab spielt der weiße Magier mit seinen Schlangen.

Schweigsam über der Schädelstätte öffnen sich Gottes goldene Augen.

 

Psaume

 

Dédié à Karl Kraus

 

Il y a une lumière que le vent a ravie.
Il y a sur la lande une auberge qu’un homme ivre quitte dans l’après-midi.
Il y a une vigne brûlée et noire avec des creux pleins d’araignées.
Il y a une pièce aux murs blanchis de lait de chaux.
Le fou est mort. Il y a une île des mers du Sud,
Pour accueillir le dieu Soleil. Les tambours battent.
Les hommes rythment des danses guerrières.
Les femmes roulent des hanches parmi les lianes et les fleurs de feu,
Lorsque chante la mer. Ô notre paradis perdu.

Les nymphes ont abandonné les forêts d’or.
On porte en terre l’Étranger. Alors déferle une pluie de lumière.
Le fils de Pan se montre sous les traits d’un terrassier
Qui dort à midi sur l’asphalte brûlant.
Il y a des petites filles dans une cour avec des robes de misère à déchirer le cœur !
Il y a des chambres débordantes d’accords et de sonates.
Il y a des ombres qui s’embrassent devant un miroir sans tain.
Aux fenêtres de l’hôpital se réchauffent des convalescents.
Un vapeur blanc remonte le canal chargé d’épidémies sanglantes.

L’étrange sœur hante à nouveau les mauvais rêves de quelqu’un.
Étendue sous les noisetiers, elle joue avec ses étoiles.
L’étudiant, peut-être son double, la regarde longuement de la fenêtre.
Derrière lui se tient son frère mort, ou bien le voici qui descend le vieil escalier tournant.
Dans l’ombre des châtaigniers bruns a pâli la silhouette du jeune novice.
Le jardin est dans le soir. Dans le cloître les chauves-souris s’envolent, ailes battantes.
Les enfants du concierge abandonnent leurs jeux et cherchent l’or du ciel.
Derniers accords d’un quatuor. La petite aveugle court en tremblant dans l’allée,
Plus tard son ombre à tâtons longe les murs froids, cernée de contes et de légendes saintes.

Il y a un bateau vide qui descend au fil du soir l’obscur canal.
Dans la ténèbre du vieil asile croulent des ruines humaines.
Les orphelines mortes sont couchées près du mur du jardin.
Des chambres grises sortent les anges aux ailes maculées de boue.
Des vers tombent de leurs paupières flétries.
La place devant l’église est sombre et silencieuse, comme aux jours de l’enfance.
Sur leurs semelles d’argent s’éloignent des vies antérieures
Et les ombres des damnés glissent vers les eaux qui soupirent.
Dans sa tombe, le magicien blanc joue avec ses serpents.

En silence au-dessus du calvaire s’ouvrent les yeux d’or de Dieu.

 

(Septembre 1912)

 

Ce poème extrait du recueil Gedicht/Poésies inaugure une nouvelle manière où apparaissent les vers libres avec un découpage en séquences et des reprises qui font écho à la lecture des Illuminations de Rimbaud dont Trakl reprend la formule « Il y a », en mettant ici l’accent sur la dimension visuelle d’un flot d’images et de visions.

 

 

Traduction et présentation Alain Fabre-Catalan – Décembre 2014

 

 

 

 


 

[1] « La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur / Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène / Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire / Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, / Et qui ne signifie rien. » Ainsi parle Macbeth apprenant le suicide de la reine dans la célèbre pièce de Shakespeare.

 

[2] On reconnaîtra ici quelques mots extraits de la première phrase des Chants de Maldoror de Lautréamont, en forme de salut adressé au lecteur de Trakl.

 

[3] En 1884, alors qu'il sombre de nouveau dans l'alcool, Verlaine publie Jadis et Naguère, qui compte quelques chefs-d'œuvre, dont son « Art poétique ». La même année, il fait paraître Les Poètes maudits, étude consacrée notamment à Tristan Corbière, à Rimbaud, à Mallarmé et à lui-même – sous l'anagramme du « Pauvre Lélian » –, ce qui lui vaudra d'être promu, malgré lui, initiateur du symbolisme.

 

[4] En août 1950, Ludwig von Ficker confirmera à Gustave Roud que Trakl était habituellement « un homme qui se taisait ».

 

[5] « Mes jours s’en sont allés errant / Comme, dit Job, d’une touaille / Font les filets, quand tisserand / En son poing tient ardente paille : / Lors, s’il n’y a nul bout qui saille, / Soudainement il le ravit (...) » : cette expression tirée du fameux poème, Le testament de F. Villon, fait ici référence aux derniers écrits de Trakl qui ont incontestablement une dimension testamentaire.

 

[6] C’est l’expression employée par René Char dans le recueil Recherche de la base et du sommet pour rendre hommage aux créateurs, poètes, écrivains et philosophes qui ont préparé la voie de l’art moderne, et parmi lesquels Georg Trakl ne saurait manquer de trouver sa place.

 

[7] Il s’agit du titre d’un poème de Trakl « Blutschuld/Faute contre le sang » faisant partie du recueil posthume « Aus goldenem Kelsch/Le calice d’or » composé en 1909. Il fut retiré du recueil lors de sa publication en 1939 à la demande de la famille à cause d’une allusion à l’inceste qui transparaît dans certains vers : « Menace de la nuit sur la couche de nos étreintes. / Quelque part murmure une voix : qui vous délivrera de la faute ? / Encore tremblant de cette volupté maudite et douce, / Nous implorons : pardonne-nous, Marie, dans ta grâce ! »

 




La poésie de Bel Olid (Espagne/Catalogne) présentée et traduite par Marc Delouze

 

 

Invité du Festival International de poésie de Malte, j’ai participé, du 1er au 4 septembre 2014, à l’atelier de traduction organisé par Literature across frontiers, sous la responsabilité d’Alexandra Buchler. Ce furent de belles rencontres, et une riche expérience, dont tentent de témoigner mes traductions de six poètes présents à cet atelier. 

Marc Delouze.

 

 

Bel Olid (Mataró, 1977) translates, writes, teaches, reads. She has translated over 50 books into Catalan and Spanish, and has subtitled over 200 films since 1999.

As a narrative writer, she has published the novel Una terra solitària (Empúries, 2011) awarded the Documenta Prize for Narrative, the short story collection La mala reputació (Proa, 2012), awarded the Roc Boronat Prize for Narrative, and Crida ben fort, Estela! (Fineo, 2009) awarded the Qwerty Prize for the Best Children’s Book of the Year.

Her writing focuses on everyday violence, the difficulties people have to connect with eachother and the strangeness of life.

Bel Olid is a member of the board of AELC (Association of Writers in Catalan Language) and the president of CEATL (European Council of Literary Translators’ Associations).

 

Bel Olid, née à Mataro, Espagne, en 1977. Traduit, enseigne, lit. Elle a traduit plus de 50 ouvrages en catalan et espagnol, et sous-titré plus de 200 films depuis 1999.

Ecrivain de fiction, elle a publié le roman Una terra solitària (Empúries, 2011), Prix Documenta, le recueil de nouvelles La mala reputació (Proa, 2012), Prix Roc Boronat, et rida ben fort, Estela! (Fineo, 2009) Prix the Qwerty  du meilleur livre pour enfants de l’année.  Son écriture concerne la viloence quotidienne, les difficultés relationnelles entre les individus et l’étrangeté de la vie.  

Bel Olid est membre de l’association des écrivains de langue catalane et présidente du Conseil européen des associations des traducteurs littéraires. 




Regards sur les poésies de langues allemandes. Nelly Sachs

 

Chor der Bäume

 

O IHR Gejagten alle auf der Welt!
Unsere Sprache ist gemischt aus Quellen und Sternen
Wie die eure.
Eure Buchstaben sind aus unserem Fleisch.
Wir sind die steigend Wandernden
Wir erkennen euch –

O ihr Gejagten auf der Welt!
Heute hing die Hindin Mensch an unseren Zweigen
Gestern färbte das Reh die Weide mit Rosen um unseren Stamm.
Eurer Fußspuren letzte Angst löscht aus in unserem Frieden
Wir sind der große Schattenzeiger

Den Vogelsang umspielt –
O ihr Gejagten alle auf der Welt!
Wir zeigen in ein Geheimnis
Das mit der Nacht beginnt.

Nelly Sachs
(1891-1970)

in: Gedichte,
S.30, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main 1977

 

 

Chœur d’arbres

 

Ô VOUS tous les pourchassés du monde!
Notre langue mélangée de sources et d’étoiles
Telle la vôtre.
Vos lettres sont de notre chair.
Nous sommes de plus en plus à errer.
Vous nous êtes familiers -

Ô vous pourchassés du monde!
Aujourd’hui la biche humaine pendait à nos branches
Hier autour de notre tronc le cerf colorait le pré de roses
La dernière peur de vos empreintes s’éteint dans notre paix.
Nous sommes le grand montreur d’ombres

De chant d’oiseaux entouré -
Ô vous tous les pourchassés du monde !
Nous montrons un secret
Qui commence par la nuit.

 

Nelly Sachs (1891-1970)

Traduction: Carla van der Werf
- remerciements à Daniel Xhaard -

 

 

Über Lyrik von Nelly Sachs zu sprechen, ist schwierig und schwer zugleich. Nicht allein aufgrund ihres eigenwilligen Stils, sondern insbesondere im Wissen und Empfinden des unermesslichen Schmerzes, der hinter ihren Gedichten steht und in ihren Zeilen den Holocaust erinnert. Als Deutsche fühle ich mich auf ganz persönliche Weise angesprochen, zutiefst betroffen und möchte hier ihre lyrische Stimme ins Gedächtnis rufen. In ihrer Poesie geht Nelly Sachs noch über die Erinnerung des von ihr und ihrem jüdischen Volk erfahrenen Leids hinaus. So richtet sich das Gedicht „Chor der Bäume“ an all die „Gejagten auf der Welt“. Es ist heute eine erschreckende Erkenntnis, dass seit dem 20., sogenanntem „Jahrhundert der Emigration“, immer mehr Menschen flüchten müssen und zu Tode kommen. Nelly Sachs gibt ihnen eine gemeinsame Sprache – „aus Quellen und Sternen“  kosmisch und nahezu tröstlich in der Einsamkeit des Unterschlupfs, findet sie poetische Bilder in personifizierten Bäumen, die deren letzte Spuren bezeugen.

                                                                                      Eva-Maria Berg

 

 

Parler de la poésie de Nelly Sachs est à la fois difficile et grave. Non seulement à cause de son style volontaire, mais surtout par la connaissance et le ressenti d’une souffrance incommensurable que l’on perçoit en toile de fond dans ses poèmes qui rappellent à travers ses lignes l’Holocaust. En tant qu’Allemande je me sens concernée de façon très personnelle, et profondément affectée. Je voudrais faire entendre et rappeler ici sa voix de poète. Ainsi son poème « chœur d’arbres » s’adresse à tous les « pourchassés du monde ». Aujourd’hui, on constate avec effarement que depuis le 20ème siècle, le « siècle de l’émigration », de plus en plus d’hommes doivent fuir, et beaucoup trouvent la mort. Nelly Sachs leur donne une langue commune - « de sources et d’étoiles » cosmique et presque consolante dans la solitude d’un abri, elle trouve des images poétiques dans des arbres personnifiés, qui témoignent de leur dernière trace.

                                                                     Traduction : Carla van der Werf

 

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Nelly Sachs, geboren 1891 in Berlin-Schöneberg, gestorben 1970 in Stockholm, war eine jüdische deutsch-schwedische Lyrikerin und Schriftstellerin. Sie schrieb mit 17 Jahren ihre ersten Gedichte, anfangs noch neoromantisch geprägt. Ihre Veröffentlichungen in Berliner Tageszeitungen, sowie ihr erster Lyrikband „Legenden und Erzählungen“, 1921, erhielten früh schon Anerkennung.

Den Repressalien und der tödlichen Bedrohung des Nazi-Regimes konnte sie schließlich 1940 mit ihrer Mutter durch die Flucht nach Stockholm entkommen, wo zunächst unter größten Entbehrungen lebten. Sie lernte schwedisch und übersetzte neue schwedische Lyrik ins Deutsche. Tief geprägt vom Grauen des Holocaust wandelte sich ihr Schreiben hin zu einer bewegenden Auseinandersetzung mit Leid und Tod, denen ihr Volk ausgeliefert war. „In den Wohnungen des Todes“ (hrsg. erst 1947) enthält Gedichte, die 1943/44 entstanden, zur gleichen Zeit wie die zwei Dramen „Eli“ und „Abraham im Salz“. Quellen für ihr Schreiben sind biblisches, kabbalistisches und chassidisches Gedankengut.

Nach dem Krieg blieb Nelly Sachs in Schweden und erhielt 1953 die schwedische Staatsbürgerschaft. Mit Paul Celan war sie in poetisch-freundschaftlichem Briefaustausch verbunden. Nachdem ihre Bücher auch in Deutschland verlegt wurden, wurde ihr doch erst gegen Ende der 50iger Jahre im gesamten deutschsprachigen Raum wachsende Aufmerksamkeit zuteil. Und ihr Werk wurde mit Literaturpreisen gewürdigt.

1966 erhielt sie - gemeinsam mit Samuel Joseph Agnon – den Nobelpreis für Literatur „für ihre hervorragenden Werke, die das Schicksal Israels mit ergreifender Stärke interpretieren.“ Im schmerzlichen Erinnern bringt sie doch die Kraft der Hoffnung auf eine menschliche Zukunft zum Ausdruck. Ihr Preisgeld schenkte sie Bedürftigen.

N.S. zog sich mehr und mehr zurück, unter psychischer und physischer Erkrankung leidend, und starb 1970 in einem Stockholmer Krankenhaus. Sie ist auf dem jüdischen Friedhof in Norra, Nordschweden beerdigt.

 

Zuzüglich zu zahlreichen Buchveröffentlichungen
die Werkausgabe :
Nelly Sachs – Werke. Kommentierte Ausgabe in vier Bänden
Band I: Gedichte 1940-1950. Hrsg. Von Matthias Weichelt, Suhrkamp Berlin 2010.
Band II: Gedichte 1951-1970, Herausgegeben von Ariane Huml und Matthias Weichelt. Suhrkamp, Berlin 2010.
Band III: Szenische Dichtungen. Herausgegeben von Aris Fioretos, Suhrkamp, Berlin 2011.
BandIV: Prosa und Übertragungen, Herausgegeben von Aris Fioretos. Suhrkamp, Berlin 2010.

 

 

Nelly Sachs, née en 1891 à Berlin - Schöneberg, décédée en 1970 à Stockholm, est une poète et écrivaine juive allemande-suédoise. Elle écrit ses premiers poèmes à l’âge de 17 ans, d’abord influencée par le style néo-romantique.

Ses publications dans des quotidiens berlinois, ainsi que son premier recueil de poésie “Legenden und Erzählungen” - “Légendes et Contes” (1921), ont obtenu une reconnaissance immédiate.

En 1940, elle a pu échapper avec sa mère aux représailles et à la menace mortelle du régime nazi et trouver refuge à Stockholm, où elles vivent dans le plus grand dénuement. Nelly Sachs apprend le suédois et traduit de la nouvelle poésie suédoise en allemand. Profondément marquée par l’horreur de l’Holocaust son écriture se transforme en une émouvante réflexion et exprime la souffrance et la mort que subissait son peuple.

Les poèmes du recueil  “In den Wohnungen des Todes” - “Dans les demeures de la mort” sont écrits en 1943/44, en même temps que les drames “Eli” et “Abraham im Salz”, et paraissent seulement en 1947.
Son écriture est inspirée de la Bible, de la Kabbale et de l’hassidisme.
Après la guerre Nelly Sachs reste en Suède, en 1953 elle obtient la nationalité suédoise.
Elle est liée avec Paul Celan par une correspondance poétique et amicale.
Bien que ses livres furent publiés aussi en Allemagne, elle n’obtient que vers la fin des années 50 une reconnaissance croissante dans tous les pays de langues allemandes et son oeuvre est distinguée par des prix littéraires.

En 1966 elle partage avec Samuel Joseph Agnon le prix Nobel de littérature “pour sa remarquable oeuvre poétique et dramatique qui décrit le destin d’Israël avec force et sensibilité”. Elle fit don du prix aux nécessiteux. Malgré ses souvenirs douloureux  elle met tous ses espoirs dans un futur plus humain.

Souffrant de troubles psychiques et physiques Nelly Sachs se retire peu à peu de la vie. Elle décède dans un hôpital de Stockholm et repose au cimetière juif de Norra, en Suède.

En France, grâce aux traductions de Mireille Gansel, l’oeuvre de Nelly Sachs est publiée aux Editions Verdier en trois volumes.

En France l´oeuvre de Nelly Sachs grâce aux traductions de Mireille Gansel est publié dans les éditions Verdier en trois volumes de 1943 à sa mort.

Correspondance Nelly Sachs-Paul Celan, trad. de l´allemand par Mireille  Gansel, Paris, Verdier, 2002

Eclipse d´étoile, précédé de Dans les demeures de la mort, trad. de l´allemand par Mireille Gansel, Paris, verdier, 1999.

Exode et métamorphose, précédé de Et personne n´en sait davantage. trad. de l´allemand par Mireille Gansel, Paris, Verdier, 2002.

Partage-toi, nuit, précédé de Toute poussière abolie, La mort célèbre encore la vie, Enigmes ardentes et Elle cherche son bien-aimé et ne le trouve pas, trad. de l´allemand par Mireille Gansel, Paris, Verdier, 2005.

Ainsi que de nombreuses publications parmi lesquelles:

 

Nelly Sachs - oeuvres complètes :
Nelly Sachs – Werke. Kommentierte Ausgabe in vier Bänden
Band I: Gedichte 1940-1950. Hrsg. Von Matthias Weichelt, Suhrkamp Berlin 2010.
Band II: Gedichte 1951-1970, Herausgegeben von Ariane Huml und Matthias Weichelt. Suhrkamp, Berlin 2010.
Band III: Szenische Dichtungen. Herausgegeben von Aris Fioretos, Suhrkamp, Berlin 2011.
BandIV: Prosa und Übertragungen, Herausgegeben von Aris Fioretos. Suhrkamp, Berlin 2010.

 

Traduction : Carla van der Werf
- remerciements à Daniel Xhaard -