La poésie d’Antoine Cassar (Malte), présentée et traduite par Marc Delouze

 

Invité du Festival International de poésie de Malte, j’ai participé, du 1er au 4 septembre 2014, à l’atelier de traduction organisé par Literature across frontiers, sous la responsabilité d’Alexandra Buchler. Ce furent de belles rencontres, et une riche expérience, dont tentent de témoigner mes traductions de six poètes présents à cet atelier. 

Marc Delouze.

 

 

 

***

Antoine Cassar est un poète de langue maltaise et parfois multilingue. Son long poème Merħba, a poem of hospitality a reçu le prix United Planet en 2009. Il est l'auteur de Mużajk (2008), Passeport (2009, Bejn / Between (2011) et Mappa tal-Mediterran (2013). Activiste pour les droits des migrants et la liberté universelle de circulation, il a fondé et coédite depuis 2013 la revue artistique multilingue Le monde n'est pas rond, en collaboration avec Personne n'est illégal - Luxembourg.

Traduit en onze langues et adapté pour le théâtre à Malte et en France, Passeport est un long poème coup de poing dans lequel l’écrivain Antoine Cassar dénonce les politiques migratoires imposées par la mondialisation, la condition des migrants, l’humiliation du passage aux frontières, la survie, les contrôles, les expulsions.

Les recettes de la vente du Passeport sont versées à des assocations locales qui offrent assistance juiridique et linguistique aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.

www.antoinecassar.info, www.mondepasrond.net




Pour Joë Bousquet (suite 1 )

 

Retrouvez la première partie de l'essai de Xavier Bordes, ici.

 

III.

         Si, à propos de Joe Bousquet, l'on a pu parler de pensée « mystique », c'est qu'on le surprend souvent dans une ambiguïté par rapport à « l'invisible », ou l'incompréhensible, qui fait le fond de l'existence humaine. Sans doute, quant à ce que l'on pourrait appeler « l'identité » de cet invisible, de cette absence, Joe a-t-il varié ou ménagé, sinon un certain flou, en tout cas une conception assez fluctuante, malaisée à comprendre, proche de l'ésotérisme en apparence. Souvent il s'agit de ce qui ferait l'essence du langage, la signification (disons une sorte d'indistinction entre signifié et référent, en termes techniques modernes) que supporte et véhicule ce qui est le versant du signe écrit, matériel, ce que l'on appelle « signifiant » en linguistique.

         Par cette attitude, qui fut le moteur de sa lecture des Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan, il s'efforce d'axer sa réflexion sur le phénomène du sens, en relation avec ce qui est. Bien entendu, cela inclut des interrogations multiformes sur ce que recouvre le mot « vérité », qui du reste est en filigrane du livre des Fleurs de Tarbes et qui déclencha la composition du très sérieux livres de Bousquet intitulé Les Capitales ou de Jean Duns Scot à Jean Paulhan. Il suffirait pour s'en convaincre de lire le chapitre XXV des Capitales, où l'on découvrirait s'il était besoin combien pour notre poète la question de la vérité, de ses conditions, de sa réalité, a l'allure d'un obsédant souci... De même, tout le chapitre X, avec l'affaire de la « grammaire », est une interrogation sur la dose de fiction, de formulations feintes de notre vision du réel, qu'il faut injecter dans notre expression pour qu'elle demeure vraie tout en gagnant une efficacité à être pensée par un lecteur avec le caractère de l'inoubliable. C'est toute la problématique d'un chemin vers la « connaissance » que Bousquet détecte dans le livre de Paulhan, dont il se saisit en guise de point de départ, en guise de « prétexte » au livre des Capitales, mais aussi comme point d'arrivée.

         Il faut peut-être remarquer au passage que le développement de la réflexion de Joe Bousquet à propos des Fleurs de Tarbes dépasse de loin les conséquences de la pensée que l'on peut déduire du livre de Paulhan, auquel Bousquet prête des vertus qui excèdent quelque peu la réalité du livre. On peut penser que deux facteurs y ont contribué : d'une part le fait que Paulhan présidait aux destinées de la NRF chez Gallimard, où Joe Bousquet avait longtemps eu envie d'être publié (jusqu'à ce que la chose arrive, notamment avec le discret soutien de Jean Cassou) et Bousquet voulait obtenir, du fond de sa chambre de province, la considération de Paulhan, il rêvait d'être intégré au Comité de lecture, de publier ses notes critiques dans la NRF, ce qui d'après Poisson d'Or n'a pas été très loin de se faire mais finalement ne s'est jamais produit (Joe se rabattra, entre autres, sur les Cahiers du Sud de Jean Ballard, revue qui n'était pas sans prestige à l'époque), et d'autre part l'amical intérêt pour la pensée de Paulhan, qui sur le moment, avec l'aura de la mode et de l'époque, et l'absence des acquis de la linguistique moderne, paraissait beaucoup moins fade et plus originale qu'elle ne l'est (à mon avis) pour un lecteur d'aujourd'hui... De surcroît, pendant l'Occupation, divers littérateurs et artistes notoires s'étaient repliés dans le sud,  notamment à Carcassonne ou dans la région. Paulhan, Aragon, Eluard, Bellmer, Ernst en particulier étaient de ceux-là.

         L'influence de Paulhan, de fait, était pour Bousquet davantage une stimulation et il lisait l'affaire du « sens en relation avec ce qui est » à la lumière de ses vastes lectures d'Eckhart et des mystiques et des romantiques allemands, de la philosophie post-platonicienne et de sa descendance au Moyen-Âge, avec Scot Érigène et Duns Scot, ainsi qu'à la lumière de la lecture des mystiques illuminés gréco-byzantins de la Théologie Négative. Si bien que sa vision est décalquée sur la vision qu'il a du langage, discernant ce qui est et ce qui existe comme manifestation de ce qui est, l'apparu. L'être du langage serait le sens, créateur, poétique, son apparaître s'incarnerait en mots, caractères, encre, lignes à déchiffrer, livres :  l'existence sensible de ce qui est - à rendre intelligible, si l'on veut bien.

         Sous un tel angle, l'être suscite l'existence des choses, dans la lignée platonicienne et plotinienne de l'essence cause concomitante, voire précédente, de l'existence. Ainsi peut-on lire chez Bousquet que « les livres écrivent des livres », comme si l'écrivain n'était que l'instrument d'un tel processus, un truchement,  une interface. Il n'est peut-être pas saugrenu de relier cette façon de voir et de sentir à sa situation physique, celle d'être matériellement cloué et dans l'impossibilité de se déplacer dans l'espace par ses seuls moyens corporels - « C'est bien là la pensée d'un homme qui ne peut se mettre debout » répète-t-il en diverses occurrences -, et qui confie à la puissance de l'esprit et du songe le rôle compensatoire d'investigation d'un espace infini que la parole consignée peut figurer.

         Mais un autre facteur qui influe sur cette conception est son corps lui-même, qui est organiquement « un seul », certes, mais dont une moitié est là sans être sensible, excepté dans des manifestations involontaires et capricieuses, comme une part de soi aussi étrangère que si elle était en avance dans la mort. Il arrivait en effet que ses jambes soient secouées de mouvement convulsifs incontrôlable, qu'il ait des problèmes de miction, et autres réalités organiques à propos desquelles il devait forcément s'en remettre à « l'Abeille blanche », l'infirmière attachée à la tâche de le soigner. Phénomènes physique qu'il ne dominait pas, n'éprouvait plus, ou éprouvait sous formes de douleurs excessives, inexplicables et immaîtrisables. Ainsi Joe se trouve-t-il dans un corps troublant que, du point de vue du sens, des sens, la blessure a scindé en deux : jusqu'à la taille il est « normal », l'intelligence et les sensations fonctionnent avec « bon sens ». Et de la taille jusqu'aux orteils, son corps continue d'avoir une certaine existence en ce qu'il est, Joe peut en effet apercevoir ss genoux, etc... mais cette existence en même temps est insensée. Rien en cette part du corps n'est sensible, prévisible, obéissante comme par le passé, rien ne répond, et c'est une frustration inimaginable. Car si nul de s'étonne de l'insensibilité ou de l'inertie de sa chevelure, qu'un coiffeur peut tailler à loisir, des parties du corps naturellement fonctionnelles, et qui d'un coup ne le sont plus, génèrent un terrible traumatisme. Dans une lettre bouleversante,  Joe fait cet aveu : « Un même désir des femmes survivait dans ce corps qui ne comprenait plus ce qu'on attendait de lui... » explique-t-il. Pour un homme frappé en pleine force de la jeunesse, cela doit équivaloir au supplice de Tantale !

         Cependant, Bousquet avait toujours le besoin de séduire, de vérifier qu'il pouvait encore exister en tant qu'homme, et beaucoup de femmes l'aimeront, tenteront de lui apporter une manière de compensation à ce qu'il ne pouvait pas réaliser, parfois de façon réciproquement et nécessairement perverse. L'une m'expliqua un jour qu'il lui demandait de s'allonger nue sur son lit, près de lui, que ses caresses pour elle pouvaient fort bien « aboutir », et qu'il s'efforçait avec l'aide d'un peu d'opium d'y trouver une certaine satisfaction fantasmatique. Mais qu'elle avait bien conscience, en lisant sur son visage, que pour lui « tout ce qu'il éprouvait était investi dans l'émotion de son amante », que c'était un moment heureux par personne interposée, fondé sur des souvenirs de jeunesse, sans que dans l'instant il en obtienne rien lui-même « physiquement ».

 

                                                               *

 

         Ainsi Bousquet bien avant Char – qui l'a lu bien sûr – par sa blessure accédait directement, physiquement, à la poésie pour autant qu'elle soit désir et seulement désir, mais encore fallait-il parvenir à l'amour de cette attitude. Du reste, vers 1940, n'écrit-il pas, dans Papillon de Neige, ceci qui vaut d'être cité : « La nostalgie du poète peut-elle avoir sa cause et non son image dans les faits ? L'inadaptation à la vie serait un mal que la vie pourrait guérir...» (Idée que Joe Bousquet ressaisit dans un livre titré « Le mal d'enfance », puisqu'il se retrouvait, après son retour à Carcassonne, physiquement soigné, manipulé, lavé par son infirmière comme un enfant, et devait refaire le chemin intellectuel d'une nouvelle naissance pour une nouvelle façon de vivre qui n'aurait plus rien à voir avec les vingt années précédentes de sa jeunesse...) Mais Bousquet poursuit : « Le poète communique sa vision, cette vision témoigne de son besoin de voir plus loin et mieux. La réalité qu'avec la vague adhésion des autres le poète atteint, est le gage collectif qu'il y a toujours à atteindre. »

         Et vient une phrase fondamentale et qui se trouve à l'origine de la formule de Char définissant la poésie comme « l'amour du désir demeuré désir » : « La réalité poétique n'est qu'une image parfaite du désir. L'activité poétique donne tout à celui qui s'y livre, et, avec la perfection où il a collaboré, lui retrace une image de l'insuffisance humaine. »(Joe Bousquet.)

                           

                                                            *

 

De cette situation poétique du désirant ce qu'en un sens multiple, on pourrait appeler humoristiquement : « l'obscur objet du désir », rien d'étonnant à voir surgir le souci de la divinité, lequel apparaîtra ou s'affirmera dans les relations avec Simone Weil, sa cadette de onze ans, décédée sept ans avant lui, philosophe d'origine juive qu'on pourrait décrire comme compagne de route du christianisme. En effet, aux alentours de 1942 Simone Weil est à Marseille et commence à travailler sur « la connaissace surnaturelle », le sujet de « L'attente de Dieu » est central chez elle durant toute cette période. Et c'est dans cette même période que l'on voit chez Bousquet – ce qui n'était pas vraiment fréquent – apparaître le mot Dieu, avec majuscule, par exemple dans les réflexions du passage de Papillon de neige que voici :

         « Parfois... l'homme vit au sein de son désespoir comme s'il l'ignorait, et dans l'ignorance de son malheur comme s'il en était le symbole. Oh ! Les mots qui sont l'homme et non pas son destin, qui sont sa conscience et non pas ce qui est. La pensée de l'homme est dans son être, comme une lame dans un fourreau trop large. Ce qui atteint son être, il ne peut le penser tout à fait, ne sait que le pressentir, et, en l'acceptant en en prenant conscience, se fait l'âme de son destin et du monde où il est mortel.

         Les poètes méridionaux ont autorisé l'idée que le poète rivalisait avec la nature, que l'homme était un instrument de création, mais aveugle et qui n'avait d'yeux que sur le plan du visible.

         Mais je crie :

         Nous n'avons pas tout à fait réalisé notre union avec le monde puisque notre parole n'est pas encore la voix incompréhensible de Dieu. »

 

         De cette dernière phrase, énigmatique, paradoxale, on peut inférer que le mot Dieu et le concept de divinité demeurent pour Joe Bousquet deux choses qui ne sont pas obligatoirement superposables, plutôt parallèles comme, disons, le sont réciproquement le sensible d'une part, et l'intelligible (ou l'inintelligible) de l'autre, dans une pensée qui questionne aussi bien l'un que l'autre, l'un comme pressentiment de l'autre, pour se faire « métaphysiquement » l'âme de son destin et du monde... Ce pressentiment rejoindrait assez bien la maxime d'un autre poète qui m'est cher, le grec Odysseas Elytis : « L'homme est hanté par Dieu comme le squale par le sang... ».

         Ainsi semble-t-il que sur ce point, le poète de Carqueyrolles ait évolué au sein d'une certaine ambiguïté, dans la mesure où tout son exercice fut essentiellement spirituel, et en même temps une lutte pour faire de son intuition que par le langage il pouvait travailler à récupérer ce que son corps avait perdu – et lui avait fait perdre par un engagement héroïque et désespéré (« mourir debout comme les officiers dont il avait pris la place ») de sa volonté à Vailly, dans l'Aisne, ce 27 mai où la balle ennemie l'avait frappé, - pour faire de cette intuition une réalité qui renverserait la paralysie de l'espace imposée par ses jambes, en conférant peu à peu à l'espace autour de lui une motricité compensatrice. Avec son ami James Ducellier qui avait une puissante décapotable, il se plaisait jusqu'à l'ivresse à être emmené le plus vite possible, tête au vent, sur les routes des environs de Carcassonne pour que ce soit l'espace qui défile autour de lui figé sur son siège. « L'homme immobile est le plus rapide de tous... » écrivit-il dans Mystique.

         Peut-être cela n'est-il intervenu vraiment lucidement, de façon avouée, dans la démarche de Bousquet, qu'après la mort, en novembre 1933, de son ami de douze ans, Claude-Louis Estève, le brillant normalien, philosophe élève et ami d'Alain et de Léon Brunschvicq. Estève en effet, professeur à Montpellier, venait d'être muté à Paris, au Lycée Saint-Louis, et il était entré dans le projet de « monter » à Paris avec Joe, pour l'introduire au cœur de l'univers artistique et intellectuel de l'époque.

         Bousquet semble avoir vu dans cette mort un signe, renonça, et puisqu'il n'irait pas à Paris, par la force de la pensée, désormais il aimanterait Paris en quelque sorte, et amènerait ceux qu'il s'intéressait à rencontrer là-bas, « magiquement », par les sortilèges de sa passion pour l'art, de sa pensée singulièrement érudite, et en jouant sur ce que son sort tragique d'infirme-ermite réveillait de bonté et d'interrogations  chez ses correspondants, à venir dans son espace à lui : ce qu'il obtint effectivement, avec les visites des Surréalistes, et aussi le repli des artistes, et de divers représentants importants du monde culturel – notamment les « cadres » de la NRF - vers Carcassonne et le Sud (Paulhan à Tarbes par exemple), lors de la Seconde Guerre Mondiale. Il raconte ainsi qu'Aragon – au Gide ? -, la première fois qu'il vint dans la chambre de la maison rue de Verdun où il gisait, lui déclara : « Vous, je ne vous plains pas ! » Ce qui était bien la parole la plus propre, sous son apparente absence de tact, à plaire au fier poète de la Connaissance du soir.

         Il ne me semblerait pas superflu de noter à cette occasion que Joe Bousquet affleure dans nombre de témoignages et d'idées inspirés par sa vaste culture latine (Augustin), allemande (Heidegger a fait une thèse sur Duns Scot, soit dit en passant), anglaise (Peirce), grecque (Origène), sa connaissance singulière des théologiens de l'ontologie anti-aristotélicienne tel que Jean Duns Scot, de la théologie apophatique ou négative de Scot Erigène, des Neo-Platoniciens, etc... Comme Joe passait son temps principalement à lire tout ce qu'il pouvait et à écrire, il avait une culture formidable. Cela constituait un réservoir secret d'idées originales ou érudites vers lequel il orientait ses amis et relations, et qui contribueront à fournir de la substance et de la solidité aux théories du Surréalisme par exemple. Comment ne pas voir une coïncidence entre le Premier Manifeste du Surréalisme de 1924, comportant entre autres sa fameuse définition du point surréaliste à atteindre, et les contacts entretenus par Bousquet, par lettres ou à travers Estève, depuis 1920, avec les théoriciens comme Breton, ou des artistes comme Ernst ou Bellmer, concernant les rapports du réel au rêve, l'érotisme mystique (Grégoire de Nysse, Jean de la Croix), les thèses sur le « geste surréaliste », la pensée symbolique des Romantiques Allemands (Novalis). On pourrait prétendre que ledit « point surréaliste où les contradictions de la logique aristotéliciennes n'existent pas », Joe Bousquet étant donné sa situation l'occupait quasiment, si l'on en juge par ce qu'il dit sur sa difficulté à distinguer de son propre aveu, l'état de rêve et l'état de veille, entre autres.

         Sa position, il la représente dans des formules telles que : « Le centre se divise pour jaillir du soleil », « Nul homme n'y verra clair que dans la lumière qu'il aura créée » (dans la tradition platonicienne de l'Homme d'Oc), « Le moi est l'unité des instants : notre seul lien avec Dieu ». D'où le rôle du langage, de l'écriture qui se déroule comme témoignage de l'unité des instants, dont il veut faire une « sensation-pensée » : ce qu'il appelait l'objectivation du subjectif dans le livre écrit en collaboration avec Carlo Suarès « Critique de la raison impure » : autrement dit, la parole qui jaillit de la clarté de la sensation pour se « diviser indéfiniment » en ramifications de la pensée. Dans cette optique, si la conception de la poésie pour Joe Bousquet intègre une composante mystique, le mot Dieu pour lui recèle une multiplicité de possibilités de significations qui le rendent assez flou. Et plus il avancera en âge, plus l'idée explicite du divin semblera s'éloigner, se diluer dans une vision mythologique parente de celle de l' Androgyne, telle que Joe Bousquet l'avait ressuscitée dans un texte aussi essentiel et dense que « Lumière, infranchissable pourriture »(Tiré à part des Cahiers du Sud, 5 juin 1935, dont le prétexte est un recueil de Pierre-Jean Jouve). Je prends le bas de la page 15, pour lui donner la parole : « Dieu ? La forme sous laquelle je me conçois plus grand que ce monde ouvert qui me tue. Une tentative démesurée pour ne faire qu'un de l'idée que je suis et de l'idée que rien n'est. Ah ! Prononcer le nom de Dieu, je vous jure que c'est exactement comme éclater de rire. Ce maudit nom ne m'a jamais donné à connaître que mon désespoir qui est si immense, c'est vrai, que rien ne peut être imagine de plus grand. Dieu est la présence en moi, au plus profond de ma chair, de ce désespoir qui m'enveloppe tout entier et qui se fait, à travers mon cœur de bête, l'éternel témoin de lui-même [...]Un bonheur inouï, ce que la misère d'un homme l'aide à connaître comme plus beau que la beauté ne semble dépasser les bornes de la vie que parce qu'il s'emplit de la négation de tout ce qui existe comme d'une éternité dont tout ce qui existe est presque tout le poids, le cœur apportant la dernière pelletée.» Ce qui est se relie fort bien, notamment en ce qui concerne le « troisième mode de la prière », avec les thèses théologique de Syméon le Nouveau-théologien.

         Et il conclut en songeant au poème : « Dans nos cris d'espoir ou d'amour, je crois que nous n'avons jamais parlé que de la mort. »

                  

                                                                                              (À suivre...)

 

 




Michel Cosem et Sébastien Labrusse

 

Michel Cosem et Sébastien Labrusse
Les nouveaux titres disponibles dans la collection contemporains de Recours au Poème éditeurs

 

 

Les Galets Goélands
Une anthologie choisie de la poésie de Michel Cosem

 

 

La page du livre

 

 

 

Extraits :

Premiers pas dans la ville avec les galets
qui hurlent comme des goélands
Le vent venu du large affine l'esprit
lisse la plage et les idées
glisse
dans le temps
transparent comme l'émotion.

Midi. Le vent est fort
l'océan vert
Les mouettes attendent immobiles la marée
Un gros corbeau noir laisse ses empreintes
dans la vase et vit comme un terrien

Une barque achève de couler
prise et penchée.
Qui donc parle de départ ?
Qui espère l'horizon ?

 

*

 

Le navire dans le silence
dans toute la nuit autour
oblige à croire à l'espace à la liberté
simple image de la beauté
entre les histoires aussi futiles que le sable
aussi incertaines qu'une vague
que la courbe d'une femme
que la fin d’une main

 

*

La nuit rôde
avant et après la faim
impalpable
tracée et artificielle
elle flaire le bas des murs
elle n'est pas buée légère
elle gronde sourdement comme un moteur d'avion
elle n'a pas perdu la mémoire
elle dévore l'absence
et elle est autre avec batailles et tambours

Elle est inconnue.

 

Journal Météorologique
de
Sébastien Labrusse

 

Extraits :

I. Jours d’hiver et de neige

L’équilibre de la neige

Parfois, à l’approche de l’hiver, on s’attend à ce qu’il neige : on parle « d’un ciel de neige » et le plus souvent les nuages qu’on croyait lourds de flocons se dispersent, ou crèvent lamentablement, et c’est la pluie. Un peu trop en dessous de zéro, à l’inverse, et c’est alors un temps clair, net, d’un froid piquant, délicieux ; une sécheresse d’hiver : on a encore manqué le temps de la neige !

Il faut décidément des contraires qui s’allient.

... On peut sans difficulté trouver la pluie délectable, l’aimer, et si on la hait, s’en faire une raison, la trouver utile par exemple ; mais tout le monde s’accorde à détester la pluie froide qui vous transperce les os, et surtout la neige fondue, qui est le pire temps.

Mais même elle on l’aimera cette horrible neige fondue. Ce sera un samedi matin de décembre, en marchant dans les petites rues encombrées, sans parapluie, après avoir bu dans un café un vin blanc sec et mangé une viande des Grisons. On l’aimera car ce matin-là, en attendant que le linge sèche dans une laverie, on aura ri aux éclats, on aura eu une conversation follement gaie, une conversation métaphysique...

Le creux de l’hiver

Quittant la ville par le train – la voie ferrée est surplombée par les grands immeubles meurtris – je vois très exactement ce qu’est le creux de l’hiver – le temps du deuil – sa désolation, oui, une solitude. C’est une sorte de vaste pièce d’eau terne, étang ou rivière immobile, ayant débordé de son lit, jusque vers des saules dont il ne reste que d’énormes troncs terriblement gris, comme les nuages si bas – un seul nuage en fait, qui accable tout le ciel, sans horizon. Quelques êtres – l’unique lumière peut-être – traversent ces étranges espaces, mais c’est comme des pierres.

Le gris.

Les branches des arbres, frêles, prises dans la brume, le froid, l’humide : quelle pauvreté ! Je pense à Baudelaire et aux quatre poèmes, Spleen, à ces vers :

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l’horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; ....

« L’Espoir vaincu » ! Pourquoi donc le moindre soleil en hiver enchante-t-il si singulièrement ?

L’hiver le soir

Voici deux enfants qui se tiennent par la main et jouent dans la rue ; ils rient aux éclats, leur voix aiguë raisonne ; « pas si fort ! » leur crie-t-on d’un étage élevé.

Quelques fleurs au balcon. La clarté. Une façade, si lugubre soit-elle, soudain éclairée – un mur jaune comme les blés, puis, très vite en hiver, orangé et rose. Soudain la couleur ! Oui, il y aura eu, au travers de tant de gris, la respiration de la lumière, et, encore au début de janvier, la présence du ciel.

L’hiver aux alentours de Senlis

Sur un papier de hasard, en un lieu tout aussi hasardeux, je note le sentiment d’étonnement, la belle surprise qui se produisirent en moi lorsque à la fin janvier, marchant dans des bois, je vis courir sur la neige silencieuse qui tenait encore, dans la grisaille de midi, deux grands chevreuils, gracieux et rapides. Comme moi, ils s’étaient écartés des chemins très humains, et, fuyant à mon approche, ils faisaient craquer des feuilles gelées, la glace des flaques boueuses et les branches mortes de la forêt très claire. Je marquai un temps d’arrêt ; les suivis des yeux, ouvrant la bouche d’admiration ou presque de stupeur ; je cessai quasiment de respirer, et, très respectueux du silence, me tins immobile, inquiet de les voir s’approcher ainsi de la grand-route, si présente et tellement lointaine, où défilaient, aveugles, d’énormes camions ronflants.

Oui, j’étais ailleurs en ce début d’année, dans ces bois aux alentours de Senlis, quand passèrent ces deux chevreuils étranges et beaux, et je savais qu’il me faudrait reprendre le chemin des hommes et je savais que j’allais plus tard, à mon tour, rouler vite sur cette même route, menaçante, et traverser les banlieues du nord de Paris, jusqu’à Aubervilliers, en tâchant de capter la radio.

La neige au petit matin

Il aura neigé toute la nuit, doucement, après la pluie glacée, parfois la grêle, qui s’étaient abattues en rafales durant la journée. La neige du milieu de la nuit – une lumière – tient au sol et recouvre avec obstination la chaussée. Je vois, grâce à une brève insomnie, des traces de pas d’un marcheur ; partout ailleurs, encore vierge, la neige s’accumule.

C’est le matin, on y voit encore à peine, et déjà de jeunes enfants et leurs pères graves, et des cyclistes emmitouflés qui vont traverser la ville, sortent des immeubles ; sur les toits, silencieuse, la neige demeure.

Très vite, c’est le soir, la nuit tombe aussitôt. On raconte qu’un enfant, secoué par un grand rire, s’est engouffré – envolé ?  – dans la neige tourbillonnante.

 

La page du livre

 

 

 

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La poésie de Anna T. Szabó

 

Invité du Festival International de poésie de Malte, j’ai participé, du 1er au 4 septembre 2014, à l’atelier de traduction organisé par Literature across frontiers, sous la responsabilité d’Alexandra Buchler. Ce furent de belles rencontres, et une riche expérience, dont tentent de témoigner mes traductions de six poètes présents à cet atelier. 

Marc Delouze.

 

Anna T. Szabó

Poète, écrivain, traductrice.  Née en Transylvanie (Roumanie) en 1972, s’installe en Hongrie en 1987. Etudie les littératures anglaise et hongroise à l’Université de Budapest. Elle a publié sept livres de poésie pour adultes et sept pour enfants, écrit dix pièces de théâtre et a reçu plusieurs prix de littérature. Elle a traduit nombre de poèmes, d’essais, de romans, de drames, de pièces radiophoniques etc. Elle se produit avec plusieurs formations de jazz ou classiques. Elle vit près de Budapest avec son mari le romancier Györgyl  Dragoman et leurs deux enfants

 

Anna T. Szabó

Poet, writer, translator. She was born in Transylvania (Romania) in 1972, moved to Hungary in 1987, studied English and Hungarian literature at the University of Budapest. She has published seven volumes of poetry for adults and seven for children, written ten plays, and has received several literary prizes. She has translated many poems and lyrics, essays, novels, drama, radio plays. She also performs poetry together with several jazz and classical musicians. She lives near Budapest  with her husband the novelist György Dragomán and their two sons.

 

 




Le poème comme ultime recours

Poème/Ultime recours

Une anthologie coordonnée
 par Matthieu Baumier & Gwen Garnier-Duguy

 

Vers toi je m’envole
évadée de ma chair
comme d’un pigeonnier
légère en ma robe de prairie
étoilée de tes quatre douleurs.

Qu’il fait beau sur les crêtes de ta pensée
où brûle l’horizon
tel un premier baiser
et chante à contre-nuit
le rouge-gorge de ton  encrier !
Ici s’érigeait ma demeure
quand à peine me soutenait l’univers
et je m’évertuais à enfanter la mer
avec ses mouches bleues
ses trompettes, ses rides.

Qu’il fait clair sur tes récifs
lorsque je me vêts de ta blessure
− tunique printanière
tatouée de couleurs.

Nohad Salameh

 

 

Hommage au prisonnier qui cherchait l’horizon dans les murs.
Il avait la patience aussi dure que la pierre
et le regard comme un oiseau
qui n’a pas besoin de ciel pour voler.

Qu’on nous dise qu’il est mort, il aura trouvé moyen
de creuser sa tombe dans la liberté du vent.

Jean-François Mathé

 

 

http://www.recoursaupoemeediteurs.com/poetes-des-profondeurs/pomeultime-recoursune-anthologie-de-la-posie-francophone-contemporaine-des-profondeurs

« Révolutionnaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la, vous ne la trouverez nulle part ailleurs »
 Makhno

 

 

Chutent les pétales du cerisier,
ailleurs, un enfant naît ;

de légers pétales dans le vent, une déflagration
pour la femme de douleur, douceur
infinie comme doit l’être le velours des fleurs.

Le cerisier naît peu à peu à son été,
l’enfant à la vie, soudainement ;

c’est l’événement d’un jardin un instant
et de qui le regarde,
l’évènement d’un âge, de toute une vie durant.

Mais la femme est présente
au pétale comme à l’enfant.

Avec le temps, s’approfondit
l’espace de résonance ;
il n’y a peut-être pas de moindre ni de plus grand.

Judith Chavanne

 

 

UNE DESTRUCTION CONCERTÉE DU RÉEL

     Assurément, nous ne pratiquions pas le culte des ancêtres, ni le respect  des descendances, répugnante affaire de poupées gigognes. Trop souvent, la montagne accouchait d’une statue chargée de la reproduction du peuple innombrable des ténèbres. Parvenus à un haut degré sur l’échelle de l’angoisse, nous défrichions de maigres carrés d’espace, chichement éclairés par les fruits du péché entre ferveur et terreur. Dans les salles d’attente surpeuplées des tribunaux de la Sainte-Vehme, l’Extralucide menacé de cataracte nous faisait l’aumône de l’éternel retour en petites coupures. Chacun seul, écureuil en sa roue, s’efforçait de dénouer le plus court chemin vers sa propre absence. Songeries et singeries se partageaient nos jours − pour ne rien dire de nos nuits. Ainsi élaborions-nous, sans révérence excessive à l’égard des hiérarchies, une destruction concertée de la réalité obtenue à force de stridences et de coups de canif dans le contrat de mariage des chronologies.

Marc Alyn

 

 

tu deviens
écoute
tout entier écoute
pour que le monde
devienne
ton sang

pour que la grande pulsation
de l’univers
se confonde
avec les battements
de ton cœur

tu deviens
poreux
à la lumière
du jour
à sa musicale
nécessité

Matthieu Gosztola

 

Coordonnée par Matthieu Baumier et Gwen Garnier-Duguy, cette anthologie de la poésie contemporaine  actuelle des profondeurs présente des poèmes de 51  poètes contemporains :

Gabrielle Althen.
Marc Alyn
Gilles Baudry
Matthieu Baumier
Géard Bocholier
Xavier Bordes
Dominique Boudou
Pascal Boulanger
Jean-Pierre Boulic
Arnaud Bourven
Michel Cazenave
Dominique Cerbelaud
Judith Chavanne
Pierrick de Chermont
Christophe Dauphin
Samuel Dudouit
Marc Dugardin
Michel Dugué
Raymond Farina
Elie-Charles Flamand
Gwen Garnier-Duguy
Matthieu Gosztola
Bernard Grasset
Albert Guignard
Paul Guillon
Déborah Heissler
Mathieu Hilfiger
Gaspard Hons
Marie Huot
Sabine Huynh
Jean Maison
Marie-Christine Masset
Marie-Dominique Massoni
Jean-François Mathé
Margo Ohayon
Etienne Orsini
François Perche
Bernard Perroy
Alain Raguet
Louis Raoul
Yves Roullière
Nohad Salameh
Alain Santacreu
Jean-Marc Sourdillon
Muriel Stuckel
Harry Szpilmann
Richard Taillefer
Bruno Thomas
Serge Venturini
Serge Torri
Jacques Viallebesset

Cette anthologie est une sorte de livre « manifeste » (tout en poèmes et en libertés plurielles) de Recours au Poème éditeurs et de la revue Recours au Poème.

 

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Recours au Poème éditeurs

 

 

 

 

 




La poésie de Peter Semolic

 

Invité du Festival International de poésie de Malte, j’ai participé, du 1er au 4 septembre 2014, à l’atelier de traduction organisé par Literature across frontiers, sous la responsabilité d’Alexandra Buchler. Ce furent de belles rencontres, et une riche expérience, dont tentent de témoigner mes traductions de six poètes présents à cet atelier.

Marc Delouze

 

Peter Semolič  est né à Ljubljana en 1967. Etudes de linguistique générale à l’Université de Ljubljan a. A publié douze livres de poésie : Tamarisk (1991), The Roses of Byzantium (1994), House Made of Words (1996), Circles Upon the Water (2000), Questions About the Path (2001), Border (2002), The Bog Fires (2004), A Place for You (2006), The Journey Around the Sun (2008), The Milky Way (2009), Poems and Letters (2009) and Night in the Middle of the Day (2012). Il a reçu beaucoup de prix, dont les plus prestigieuses récompenses de Slovénie, le Prix de poésie Jenko et le Pris Preseren. Il écrit également des pièces radiophoniques, de la littérature pour enfants. Traducteur de l’anglais, du français, du serbe et du croate.

(crédit photo NINA MEDVED)




Une fenêtre sur la mer

 

Une fenêtre sur la mer
Une anthologie bilingue de la poésie corse actuelle
coordonnée par Angèle Paoli

 

 

« La poésie corse existe bel et bien. Qui en aurait douté ? Elle mérite d’être explorée. Connue/reconnue, au-delà, sans doute, des frontières naturelles de l’île. »

Angèle Paoli

 

 

La page du livre

 

Extraits :

 

 

Solstice d'hiver 

rien ce soir
rien au couchant
rien à l'aube
rien
ce soir je m'endors en prose
dans cette trépignation de rage
rien qui soit poésie
dans la poussière collante qui s'envole
rien qui soit poésie
dans la danse froide des feuilles qui résistent à l'hiver
rien
les miroirs secs du gel sur le bitume
ce long soleil oblique que les nuages oublient
pour un quart d'heure
la tiédeur aux fenêtres closes
huit branches de sapin qui s'ennuient dans un vase
un dé à coudre d'alcool blanc
la nuit froide où patientent des enseignes
et cette soif de respirer la neige à pleins bras
ou de mijoter aux boues chaudes
demain peut-être l'eau resurgira
celle qui annule la soif
une espérance de juin
horizons gris ourlés de bleu
rien
dans dix ans il y aura encore juin
dans cent ans et dans mille
solstice après solstice après solstice
ce corps lui ne sera plus
parvenu jusqu'au bout de la falaise
tombé dans l'abîme
et un peu plus tard
dans l'oubli.

 

Sulstiziu d’invernu

nienti sta sera
nienti à punenti
nienti à l’alba
nienti
sta sera m’addurmentu in prosa
in sta zampittera arrabbiata
nienti chì fussi puisia
in a pula piciosa chì si ni bula
nienti chì fussi puisia
in u baddu ghjilatu di i casci sfidendu l’invirnata
nienti
i spechji asciuti di u cotru nantu à u catramu
stu soli longu di traversu  da li nivuli sminticatu
par un quartu d’ora
a tepidezza à i balconi sarrati
ottu vetti di ghjalgu chì s’annoiani in u vasettu
una zinzica d’acquavita
a notti freta ind’eddi pacinzieghjani l’insegni
è sta seti di rispirà, abbraciendula, a nevi
o missu à moddu in i fanghi caldi
dumani forsa l’aqua turrarà
quidda chì stancia a seti
una spiranza di ghjugnu
urizonti grisgi arricciati di cilestu
nienti
da quì à deci anni ci sarà sempri ghjugnu
da quì  à centu anni  è da quì a milli
sulstiziu dopu à sulstiziu dopu à sulstiziu
stu corpu eddu ùn sarà più
ghjuntu à cantu à a ripa
cascatu indè l’abissu
è po' dopu
In a sminticanza

Marianne Costa

 

******

 

Levers de soleil

I

L’orient tard vêtu
Nimbé d’hiver
Encore
Impatiente nos yeux
Sans que se lassent
Pourtant
Les merles chanteurs
Qui savent
Avant-coureurs
Le printemps
Des collines

 

L’oriente tricaticciu
Nimbu d’inguernu
Sempre
Spazienta i nostri ochji
Senza puru
Stancà
E merule canterine
Chì sanu
Nanzu à tutti
U veranu
Di e cullette

Jacques Fusina

 

*****

L’indifférence cisèle
une absence à toi-même
comme parle un désert

Angèle Paoli

 

 

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La poésie de Sudeep Sen. Présentation et traduction par Marc Delouze

 

Sudeep Sen [www.sudeepsen.net] is considered as “one of the finest younger English-language poets in the international literary scene” (BBC Radio). ). He received many prizes of main importance. His poems translated into twenty-five languages, have featured in major international anthologies. His words have appeared in the Times Literary Supplement, Newsweek, Guardian, Observer, Independent, Telegraph, Herald, Harvard Review, Hindu, Hindustan Times, Times of India, Outlook, India Today, and broadcast on bbc, pbs, cnn ibn, ndtv, air & Doordarshan. He is the editorial director of aark arts and the editor of Atlas.

 

*

 

Sudeep Sen [www.sudeepsen.net] est considéré comme « l’un des meilleurs jeunes poètes de langue anglaise sur la scène internationale » (BBC Radio).  Il a reçu de nombreux prix parmi les plus prestigieux. Ses poèmes ont été traduits en vingt-cinq  langues et figurent dans les plus grandes anthologies internationales. Ses écrits apparaissent dans  Times Literary Supplement, Newsweek, Guardian, Observer, Independent, Telegraph, Herald, Harvard Review, Hindu, Hindustan Times, Times of India, Outlook, India Today, et ont été présentés sur la bbc, pbs, cnn ibn, ndtv, air & Doordarshan. Il est le directeur artistique de aark arts et l’éditeur de Atlas.




Hommage à Mark Strand

Mark Strand est né le 11 avril 1934 à Summerside, dans la province canadienne de l’Île-du-Prince-Edward (sa langue maternelle est le français), de parents juifs américains, son père travaillant pour l’entreprise Pepsi et sa mère étant archéologue et institutrice. Les fonctions de son père lui valent de passer son enfance et sa jeunesse aux États-Unis, à Cuba, en Colombie, au Pérou et au Mexique. Il étudie ensuite la peinture à la Yale School of Art and Literature, puis la poésie italienne du dix-neuvième siècle à Florence, avant d’effectuer un séjour dans le célèbre atelier d’écriture de l’Université de l’Iowa, où il décroche un Master of Arts en 1962. S’il avait l’intention d’être peintre, il se découvre une passion pour la poésie dont il est un grand lecteur ; ses premiers poèmes paraissent dans le New Yorker. Il enseigne un an au Brésil, où il se lie avec Elizabeth Bishop et accumule des documents sur Carlos Drummond de Andrade. De retour aux États-Unis, il poursuit une carrière de professeur itinérant dans plusieurs universités américaines.

Il épouse en 1961 Antonia Ratensky, une psychologue dont il a une fille, Jessica, scénariste ; après avoir divorcé, il épouse en 1976 Julia Rumsey Garretson, dont il a un fils Thomas.

Il est l’auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes, son premier recueil ayant paru il y a cinquante ans ; ses poésies complètes ont été réunies en un volume, Almost Invisible, en 2012. Il a également publié une douzaine d’ouvrages en prose, dont des monographies sur les peintres Edward Hopper et William Bailey, ainsi que trois ouvrages pour enfants. Enfin, il a traduit Rafael Alberti, Carlos Drummond de Andrade, Dante et des poèmes quechuas.

À la fin de sa vie, il renoncera à l’écriture poétique, préférant de petites proses, et se consacrera à une autre expression artistique : des collages.

Membre de l’Académie américaine des Arts et Lettres depuis 1981, il a été Poet Laureate auprès de la Bibliothèque du Congrès de 1990 à 1991, et a reçu plusieurs récompenses pour son œuvre, dont le Prix Bollingen en 1993, le Prix Pulitzer en 1999 et le Prix Wallace Stevens en 2004.

Il est mort le 29 novembre 2014 à Brooklyn.

Un seul livre de Mark Strand a paru en français : Presque invisible, édition bilingue, traduction de Fiona Sze-Lorrain, Vif-Éditions, 2012.

 

Sleeping with One Eye Open (1964 – poèmes)
Reasons for Moving (1968 – poèmes)
Darker (1970 – poèmes)
18 Poems from the Quechua (1971 – traduction)
The Story of Our Lives (1973 – poèmes)
The Sargentville Notebook, Burning Deck (1973 – poèmes)
Rafael Alberti, The Owl’s Insomnia (1973 – traduction)
Carlos Drummond de Andrade, Souvenirs of the Ancient World (1976 – traduction)
Elegy for My Father (1978 – poèmes)
The Monument (1978 – prose)
The Late Hour (1978 – poèmes)
Selected Poems (1980 – poèmes)
The Planet of Lost Thing (1982 – livre pour enfants)
The Art of the Real (1983 – critique d’art)
The Night Book (1985 – livre pour enfants)
Mr. and Mrs. Baby and Other Stories (1985 – histoires brèves)
Rembrandt Takes a Walk (1986 – livre pour enfants)
William Bailey (1987 – critique d’art)
The Continuous Life (1990 – poèmes)
New Poems (1990 – poèmes)
The Monument (1991 – poèmes)
Dark Harbor (1993 – poèmes)
Hopper (1994 – critique d’art)
Blizzard of One (1998 – poèmes)
Chicken, Shadow, Moon & More (1999 – poèmes)
89 Clouds (1999 – poèmes)
The Weather of Words: Poetic Invention (2000 – essais critiques)
Looking for Poetry: Poems by Carlos Drummond de Andrade and Rafael Alberti, with Songs from the Quechua (2002 – traduction)
Man and Camel (2006 – poèmes)
New Selected Poems (2007 – poèmes)
Almost Invisible (2012 – poèmes)

 




Pour Georges Perros

 

Écrire est l’acte le plus riche, le plus « engageant », celui qui entraîne le plus d’éléments dans son mouvement. Auprès duquel une action pure et simple n’est que bagatelle.

Georges Perros

 

 

******

Jean-Marie Corbusier
Georges Perros/ Un pas en avant de la mort

 

La page du livre

 

Extraits :

Perros est terriblement dangereux quand il parle des autres. Le danger vient de la profondeur de ses remarques qui semblent parfois, au départ, aller contre l’humanisme. Il n’en est rien  quand on dépasse le stade de la première lecture. Perros nie, rejette, vocifère pour mieux accepter et même pour mieux aimer. En quelques lignes, il dresse le portrait de quelqu’un à prendre ou à laisser. Il est toute rigueur, toute sévérité. Jugement sans appel, il ne condamne pas, il dit et émerveille à la fois. Il se montre dur pour les poètes qui écrivent mal.
 

 

*****

 

Il y a des mises au point avec le monde, avec les autres, avec lui-même. Perros, lucide, dit ce qu’on ne dit pas ou dit tout bas au sujet de certains thèmes : l’amour, l’amitié. Il prend le contre-pied des idées reçues ou faussement reçues, il frappe juste, là, où personne ne veut entendre parce que c’est plus confortable.

 

 

*****

VIVRE

Pour Georges Perros

 

Rejoindre un autre état des lieux : notre vie ordinaire. Par quel chemin d’ombre et de lumière rempli de vent et de solitude? Rejoindre un sourire, un regard à peine, et qui n’étaient pour personne. Quelle pensée ou quelle image encore saisir du bout des doigts comme cette main un instant abandonnée au bord d’un rivage inconnu. C’est un autre état des lieux beaucoup plus rêvé que vécu, comment lui rendre vie à travers la désinvolture du quotidien plié sur lui-même ? La lumière des sous-bois, ce matin, laissait des taches de lumière éparses. Seraient-elles comme la journée insaisissable ? Rejoindre, serait-ce répondre à quelque chose d’absent et qui appelle ? Un regard laissé sur une route, dans une salle d’attente, au fond d’une solitude, d’un égarement. Ce qui échappe, cette voix très lointaine, accordée par intermittence à notre voix, tel un parfum de roses déposées sur la table. Voix élémentaire, disparue à la première écoute. Il n’en reste que l’écho, ou moins encore, ce souvenir devenu soudain doute, nouvelle attente au creux de la journée.

Rejoindre sans direction, aller seulement quand il n’y a plus de chemin, plus aucune trace sur l’herbe rase ou la terre asséchée. Aller vers cette voix présente et inaudible, serait-ce notre voix intérieure qui se serait échappée en avant de nous ? Ou bien, toutes ces voix entendues seraient-elles devenues une seule voix, un même accord à la fin d’une symphonie et qui se prolongerait comme un écho éteint, audible encore mais où ?

Serait-ce la crainte de toute vie, ce double qui n’a pas existé, comme ce mauvais rêve, cette nuit, où tu glissais sur la neige. Impossible de t’arrêter, de te rejoindre. Puis la tête frappant l’angle du mur, tête ensanglantée, perdue et tu restais debout à sourire. Rejoindre ce courage du face à face, ce tremblement seul dans l’air et pour lui-même. Un point fixe devant soi, au milieu du désert de la journée et du temps qui passe. Venir cogner contre la maladie, quelque chose qui ne s’effacera plus même au plus profond des nuits. Le sourire d’une femme aimée, l’étendue d’une plage, un mot soudain tombé juste des lèvres inconnues, main à peine posée sur une autre main. La vie est une veilleuse sans nom, présente jusqu’un fond de la douleur, de la détresse et de la joie. Elle est la porte ouverte quand il n’y a pas de porte, le tourbillon d’air dans la chaleur suffocante, la dernière ombre debout quand il n’y  a plus rien, quand la vision se brouille et s’éteint.

Et puis ce doute, encore. Rejoindre, ne serait-ce que par ces mots gravés dans la blancheur, venus au bout des doigts par hasard, par nécessité et pour nous tromper.  L’ordinaire des jours se relève par un certain sens du sacré mis en évidence par une parole destinée à l’autre.

Rejoindre, serait-ce parler jusqu’à épuisement, l’illimité de toute parole ?

 

Quel sens ? Il n’y en a pas, mais il est à rechercher, cela occupe, divertit. Le graal sera toujours l’émotion que l’on projette en avant. Il n’est jamais allé de l’autre côté du miroir, celui du merveilleux. Il n’existe pas, la poésie n’existe pas, c’est du traficotage pour personne en mal d’exister. Ou plus exactement, elle se fabrique, chacun la sienne. C’est la Poésie qui existe quand il y a exacte coïncidence entre sa vie et la manière de l’exprimer. Fait rare. La Poésie n’est qu’un signe. Perros ne va nulle part, il va partout. Sa vision du monde est celle de l’épervier : il voit tout de loin et nettement. Il plonge et c’est le bistrot. Les proies sont là, tenues à distance, l’autre mon semblable qui me désigne la vie, celle qui est à fuir.

 

*****

 

Les hommes comme la plupart des animaux, préfèrent la cage à la jungle. Il n’est pas nécessaire de les dompter.

Georges Perros

 

 

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