Margherita Rimi, Le voci dei bambini (Les voix des enfants)

Spécialiste de l’enfance, Margherita Rimi nous livre dans ce recueil une parole intime et bouleversante : celle des enfants victimes des adultes, à travers des mots recueillis sur une période de dix ans, de 2007 à 2017, qui s’élèvent dans un seul et unique cri.

Le livre s'ouvre sur un poème, le « dieu des enfants », qui tient lieu d'introduction et nous précipite dans l’enfer de l’enfance abusée, violée, opprimée, méprisée. « Ils disent qu’il existe un Dieu des enfants / Je suis sûre qu’il existe. » (p.5)

Suivent des voix croisées mêlées de rêves et d’effroi, des voix qui interpellent, questionnent. En toute simplicité et humilité, tout au long des poèmes regroupés en cinq parties qui portent des noms de couleurs en écho aux dessins des enfants, Margherita Rimi offre la parole à ceux qui ne l'ont pas, à ceux qui ne l'ont plus, à ceux qui ne l'ont jamais eu.  Des enfants dont le lecteur ne connaîtra rien d’autre qu’une silhouette, parfois un âge ou un prénom, rien de plus.

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini (Les voix des enfants), Éditions Mursia 2019, 84 pages, 15 euros.

Si l’on peut voir, dans ces portraits en creux, un respect de l’anonymat, on peut aussi y percevoir le peu d’importance qu’ont ces enfants aux yeux des adultes qui les exploitent, des enfants qui ne sont rien, dont certains sont réduits à un seul numéro de matricule « sans papiers d’identité / sans effets personnels » et avec lesquels la poète ébauche un dialogue : «  Nous allons raconter une histoire / un peu moi / un peu toi »  en leur faisant mettre des mots sur ce qu’ils dessinent, des mots arc-en-ciel telle une arche gigantesque qui prend sa source dans l'indicible d'ici-bas et se déploie pour atteindre « le Dieu des enfants ». Mais la présence du noir, insolite, nous ramène à la réalité : dans arc-en-ciel, il y a le mot « arc », arme de guerre et de chasse, un arc tendu dans la force du cri et que l’auteure utilise pour projeter les mots du poème comme autant de flèches transperçant les consciences, des flèches d’autant plus percutantes que les textes sont brefs, incisifs, violents et dont les mots sombres et sans détour, glacials et terrifiants, disent – sans pathos – le dégoût, l’horreur et la misère.

 

On a ramené un cadavre 
de sexe féminin
âge apparent 9 ans.

 Le corps de l’enfant pend à une corde et apparaît complètement suspendu.
Les pieds à une distance de 40 centimètres du sol, les bras le long du corps. 
(p.27)

 

Ils m’ont vendue
Mon père avait besoin d’argent (p.53)

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Il Dio del bambini.

 

Ainsi, dans cet étrange arc-en-ciel, le blanc devient symbole de la candeur bafouée, le noir celui de la guerre et de la mort, le bleu celui de l’exploitation économique, le rouge celui des mariages imposés et des grossesses prématurées etc. Quelles que soient les situations, la culpabilité est toujours transférée sur l’enfant, un enfant jamais écouté, jamais entendu, contraint au silence car sans cesse menacé :

 

 Ils m’ont dit de ne pas parler
de me taire  

 de toute façon ils me prennent pour un menteur » (p.67)

Ils vont me tuer si je dis ces choses (p.13)

 

Les mots de Margherita Rimi savent néanmoins se faire poétiques tout en restant au plus proche de ceux de ces enfants-objets, monnaie d’échange, victimes d’abus sexuels, exploités dans un total mépris de leur souffrance.

 

Il y a tant de vers 
qui mangent les couleurs

 il y a tant de vagues
hautes hautes

 si hautes qu’elles brisent le ciel

et si le ciel se brise
il n’y a plus le soleil
et la nuit 
(p.68)

 

La présence de l’auteure, discrète et respectueuse, nous laisse libre d’interpréter ces bribes de récits dont les vers espacés par de nombreux interlignes, parfois éclatés sur la page et dépourvus de point final, reflètent les phrases hésitantes qui restent en suspens, les cris étouffés de ces enfants dont le rêve de vengeance apparaît comme une justice permettant leur reconstruction.  

 

Quand je serai grand

je le tuerai  (p.21) 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Quasi un'intervista.

Ce nouveau recueil où l’ignoble côtoie l’innocence et le rêve témoigne, une fois de plus, d’une poésie engagée, porteuse d’une valeur sociale et éthique, luttant contre la maltraitance qui pour certains adultes est considérée comme une norme.  Bien après avoir fermé le livre, ces voix d’enfants, comme un cri d’alarme, résonnent encore longtemps en nous.

 

Le voci dei bambini 
Les voix des enfants
(extraits des pages 32 à 36)

 

Traduction Irène Duboeuf

 

 

 

Li ho sentiti piangere per tutta la notte
Sotto le macerie la mattina erano tutti morti

Come finisce la storia. Così: fine della storia

Ho gridato aiuto
Li ho chiamati – Abbas Mahmoud

Quando siamo arrivati lì c’erano tanti corpi a terra

Non posso guardare più
voglio diventare cieco 

Ho gridato. Nessuno ci poteva aiutare.

 

 

Je les ai entendu pleurer pendant toute la nuit
Sous les gravats, au matin, ils étaient tous morts

 Comment finit l’histoire. Comme ça : fin de l’histoire

 J’ai crié à l’aide
Je les ai appelés – Abbas Mahmoud 

Quand nous sommes arrivés il y avait de nombreux corps au sol 

Je ne peux plus regarder 
Je veux devenir aveugle

J’ai crié. Personne ne pouvait nous aider

 

Margherita Rimi, Le voici dei bambini, Bianco.

Abbiamo tirato fuori i miei fratelli

uno stava pregando

uno sorrideva

Erano così belli

 

Io ero ferito
non avevo paura però piangevo

Mia madre sopra di me era morta
mi ha salvato ma lei è morta

 

Adesso non voglio parlare più

 

Ci sono stati i bombardamenti
io credevo un terremoto

 

siamo usciti e non abbiamo visto più niente.

 

 I miei occhi
                              hanno fatto una foto
                              così mi ricordo

mia madre

 

 

 

Nous avons sorti mes frères

l’un était en train de prier

 l’autre souriait

 Ils étaient si beaux

 

Moi, j’étais blessé
je n’avais pas peur, pourtant je pleurais

 

Ma mère sur moi était morte

elle m’a sauvé mais elle, elle est morte

  

À présent je ne veux plus parler

 

Il y a eu des bombardements
je croyais que c’était un tremblement de terre

nous sommes sortis et n’avons plus rien vu

 

mes yeux
                  ont pris une photo
                  comme ça je me souviens 

de ma mère

 

 

Margherita Rimi, Le voci dei bambini, Verde.

Présentation de l’auteur




Heather Cahoon : Couvée par la folie

Traductions de Béatrice Machet.
Avec nos chaleureux remerciements aux éditions Arizona University Press pour l’autorisation de traduire les poèmes d’Heather Cahoon.

Heather Cahoon a grandi à St-Ignace sur la réserve des Indiens Flatheads qui font partie de la grande famille des Indiens Salish. St-Ignace se trouve au centre approximatif de la réserve, à l’ouest de l’état du Montana. Heather est membre de cette communauté encore appelée Pend d’oreille, ainsi nommée par des français lors des premiers contacts avec les Indiens, à cause des boucles d’oreilles que portaient ceux-ci, indifféremment hommes ou femmes.

Les Pend d’oreille constituent la branche installée la plus à l’est de la grande famille des Indiens Salish. A l’origine pêcheurs, ils vivaient dans le bassin de la Columbia River, complétant leur alimentation de gibier, y compris occasionnellement le bison, ainsi que de baies et racines. Je ne résiste pas au plaisir d’indiquer que dans la langue Salish il y a 65 mots différents qui peuvent désigner l’acte de chasser.

Heather a obtenu une maîtrise en écriture créative poétique, et un doctorat au carrefour de trois disciplines à savoir l’histoire, l’anthropologie et les études Indiennes. Elle vit à Missoula, la célèbre ville des écrivains de l’état du Montana.

Eather Cahoon, Elk Thirst, Montana Office of  Public Instruction.

Quand elle n’enseigne pas à l’université du Montana, elle écrit, elle dessine ou elle peint, souvent des figures tirées des récits des riches traditions orales héritées de sa culture. Sur ses toiles parfois on peut lire quelques vers de ses poèmes. Mais Heather a une autre mission encore : elle s’implique activement dans la vie « politique ». Elle a fondé le AIGPI, soit the American Indian Governance and Policy Institute (institut de gouvernance et de politique amérindiennes). Il s’agit d’un groupe de recherche formé par des Indiens qui pourvoit des analyses, des recherches et des informations aux tribus implantées dans le Montana afin que les leaders tribaux puissent mieux affronter et gérer les problèmes liés à la santé, aux structures de gouvernement, au développement économique et social, le tout dans un souci d’écologie et de développement durable d’une part, et de justice sociale de l’autre, dans le but avoué de renforcer la souveraineté des tribus et d’offrir aux membres des tribus sur la réserve, une qualité de vie nettement améliorée.  

Heather Cahoon, Missions, Montana Office of Public Instruction.

Auteure d’un prochain recueil qui sortira à l’automne 2020, édité par University of Arizona Press, intitulé Horsefly Dress, (robe de taon), elle est aussi l’auteure d’une plaquette intitulé Elk Thirst, (soif de cerf), qui lui a valu en 2005 de recevoir le prix Merriam-Frontier. Elle a publié dans les magazines de poésie, dont Carve magazine, dans lequel elle explique ce qui l’a amené à écrire. Ce sont les blessures et le trauma de son histoire et de l’histoire de sa communauté qui cherchent à se faire entendre, à se faire comprendre, autant par le lecteur du poème que par son auteure, poème qui ne se délivre qu’après plusieurs années de digestion et de décantation quant aux faits historiques, quant à la violence subie, quant à la façon de partager et d’en faire la narration. En voici un exemple :  

Łčíčšeʔ

 

Elle est un pouillot siffleur
couvée
               par la folie.         Elle
éclose
d’une coquille laiteuse       tachetée de terre de sienne
pas Rorschach    pas rouge-gorge   mais pouillot.

Bec ouvert       gorgée de notes
dures écaillées, appels étouffés
à l’intérieur
                         de la chambre grise de sa gorge.

Dis(ap)paraissant entre les branches
jaunes-vertes rendues muettes
                        plumes de la queue et corps menus  orteils griffus
lignes blanches en demi-cercle     ses yeux
perçoivent mais ne voient pas
au centre de la nuit        les mouvements
raté d’allumage
ne lis pas bien le corps
                       réagit par ses propres moyens.

 

 

Łčíčšeʔ signifie sœur aînée dans la langue Salish.

Heather Cahoon, Łčíčšeʔ, Academy of American Poets.

Ce poème, comme beaucoup d’autres écrits par Heather, parle de l’expérience de la peur, de la violence, et de la façon dont cela affecte la conscience, comment cela métamorphose l’esprit et la façon dont vous ne serez plus jamais le-la même après. Parfois cela peut mener jusqu’à la mort. L’expérience vous fait comme porter des verres qui changent tous vos repères et qui changent votre rapport au monde, à la vie. Ce changement, Heather le relie aux récits traditionnels de son peuple et au personnage mythique de Coyote. Il est dit que Coyote, tout en transformant le monde prit la décision de garder les fléaux que sont cruauté, avidité, famine et mort.

Heather Cahoon, Blond, Montana Office of Public Instruction.

Heather, qui adopte une forme à la fois métaphorique et narrative dans sa poésie, dit que cet acte d’écrire continue de promouvoir les vertus des chants et récits des traditions Indiennes en général car cela préserve et transmet la sagesse ancienne, dessine une sorte de carte, d’itinéraire, qui peut aider les générations à venir, car elles feront les mêmes expériences existentielles. Selon elle comme pour la majorité des Indiens d’Amérique, les valeurs ancestrales comme les regards et conclusions perspicaces des aînés accompagnent et aident les plus jeunes dans leur parcours de vie. Sa poésie véhicule un des grands principes des cultures amérindiennes, à savoir l’importance essentielle de l’environnement, qui façonne chaque culture Indienne différemment mais toujours en relation avec un territoire et la vie qu’il héberge et permet. Cela comprend bois et forêts, le gibier, les animaux en général, les écosystèmes, les rivières et les lacs, l’homme n’étant que le gardien de ce territoire compris comme celui le plus approprié pour une tribu donnée d’y vivre en harmonie. Ce qui constitue un engagement et qui donne sens à une vie humaine. 

 

Heather est bien entendu consciente de l’importance pour une culture de conserver sa langue. La sienne, menacée d’extinction comme toutes les langues Salishennes, est introduite dans ses poèmes : des mots, phrases ou expressions en langue Salish qui trouvent difficilement une traduction sans explication ou notes de bas de pages, tant ces mots sont chargées d’histoires, de mythes fondateurs, sont imprégnés de la vision Indienne sur le monde. Ces mots disent un « autre monde » possible et il serait bon de se rappeler de cette autre possibilité !

Voici deux autres poèmes écrits par Heather Cahoon qui illustrent mes propos tout en montrant comment la triste histoire de l’élimination des tribus par les occidentaux se glisse dans le corpus et fait désormais partie des mythes fondateurs des peuples Indiens d’Amérique.

 

COYOTE ET LA CROIX

I.

Quand l’ouest surgit au centre
du monde     la parole se retira en de lourdes
lignes jaune-miel
et taches violettes dessinées
en travers des épaules légères de certains oiseaux noirs.

Mais la réalité frotte à vif les plaies de toutes les histoires
jusqu’à ce que les os récurés de l’auto-évidence
soient tout ce qui reste.  

Bataillant dans l’orbe-coquille de l’espace
nous trouvons          que les histoires ne sont pas différentes
des autres formes de vie
celles aux cheveux loqueteux
alignées sur chaque
instinct primordial pour éviter la mort.

Prenez Coyote, l’os du crâne élevé pour saluer la nuit
son chant traverse la mousse noire de l’arbre pareille aux cheveux d’une sorcière.
Il délivre un message
attaché dans le corps
de textes non écrits.    Tel les oiseaux dont les cous amincis sont piégés
dans des colliers, ses pleurs confirment l’in/croyable.  

 

II.

 

Je conte les respirations entre les corps
chaque syllabe poussée par la poitrine —
du Salish à l’Anglais, de Francis à Clara,
Antoine/Atwén,            Malí Sopí*, en passant par Sopí*, 
           Pyél*    redevenu X̣all̓qs** — ou chemise brillante,
la personne médecine qui a vu les hommes en longues robes,
           le signe de croix, a tout vu
s’envoler pour advenir
           dans le double sifflement indistinct sur une cupside
forestière et champêtre, à la moitié de l’hiver, une mésange à cape noire
émit les sons de l’ombre de son nom. 

Mais bien avant que la forêt ne parte en fumée,
des apparitions avec des bras levés au ciel.

 

*Malí Sopí, Sopí, et Pyél pour Marie-Sophie, Sophie et Pierre
** X̣all̓qs:  Shining Shirt, un visionnaire Salish-Pend d’Oreille (Séliš-ispé visionary)

 

 

META

La transformation, toujours et dans toute chose comme dans la régulière fausse hellébore,
reconnaît la convertibilité
de tous les phénomènes, l’attribution d’une chose
en une autre,             

comme avec Spokani devenu le soleil comme avec Coyote qui est homme
qui est animal qui est professeur tué et remis au monde à mainte reprises. 

Il subit une série infinie de morts, certaines métaphoriques, 
certaines métaphysiques, chacune métamorphique.

 

 

 

 

 

(Spokani : fils de Amotan, le créateur)

Source : Valley journal.

La poésie d’Heather Cahoon est enracinée dans les mythes mais aussi physiquement enracinée dans les paysages de sa réserve. Ainsi dans le poème intitulé Horsefly Dress et qui donne son titre au recueil, elle écrit :

Une longue plume d’aile propulse dans l’air le corps rabougri
                                           d’un héron nocturne couronné de noir,
                            qui pourfend
la bouche desséchée        de la mémoire.

Dans un débordement      d’histoire originelle
                            j’entends son nom :                              Č̓atnaɫqs

 La lune chasseresse déterre l’aînée, l’unique fille de Coyote,
                           son nom n’étant plus prononcé,      elle est devenue
pierre poreuse.
                           Mais j’entends son nom     Č̓atnaɫqs     le long de la rivière Flathead
près de Revais
                          dans le découpage de la viande           et son séchage
craquelé au-dessus des braises de peuplier.

Č̓atnaɫqs         au bord de la rivière dans l’eau qui court,
incarnation de la foi, elle
                           perfore ce qui divisé
                           entre connu et inconnu.            Ici,
elle repense l’archéologie de notre souffrance.

Sa bouche s’ouvre sur le cri d’alarme d’un éboueur brun,
un avertissement :     Soyez prêts pour tout ce qu’un nom enveloppe.

 

 

Heather Cahoon, Horsefly Dress, University of Arizona Press, 2020, 88 pages, 16, 95 $.

Dans son prochain livre à paraître Heather Cahoon évoque aussi la transformation qui d’un être blessé, traumatisé, va mener à un être capable de paix intérieure et va mener finalement au pardon. Elle dit la lutte à la fois pour dire l’histoire telle que vécue par les Indiens d’Amérique du nord, pour célébrer la survie à la lumière de cette histoire, mais aussi pour extirper son esprit du ressentiment qui la ronge. Ainsi dans le poème suivant :

 

Rendre

Puissé-je être digne
                   des moments les plus difficiles.
                                       Puissé-je trouver une voie       pour faire rendre sens
aux souvenirs marbré de sang
                                      encaissés dans
la carcasse du passé

 

ou encore dans la troisième strophe de son poème intitulé Scƛ’lil (qui signifie mort en langue Salish) :

La mort la plus difficile est de pardonner :
panier tressé avec les roseaux du ressentiment
et avec le chagrin refaçonné en une forme utile.
C’est l’action de re-forger l’équilibre
délicat entre deuil et absolution
à partir des actes ou événements perçus comme mauvais,
ces cas éphémères qui impliquent
des impacts durables. Puissé-je réaliser cette mort
la plus difficile, qu’elle soit catalyseur pour la vie.

 

 

 

Un autre thème abordé par Heather et qui est commun à tous les poètes « Native American », est celui du « Homing in ». Rentrer chez soi. Ce « home sweet home » peut très bien être un lieu véritable, une maison, la réserve où l’on a été élevé et que l’on quitte pour des raisons professionnelles, mais c’est aussi souvent un ou plusieurs lieux internalisés, espaces de la conscience, car dans les cultures Indiennes, appartenir (à la communauté, à un endroit donné de naissance, à une histoire, à la terre) est une valeur forte, un sentiment qui donne sens et force. Et qui perturbe aussi, étant données les modes de vie actuels qui pour « réussir » exigent mobilité, flexibilité et individualisme forcené. Et qui fait souffrir aussi étant donnés les souvenirs douloureux qui restent attachés à ces lieux de naissance ou d’appartenance.

Ainsi elle écrit :

Forger du sens

                  pour dg

 

I

Ce jour est bordé à la manière d’une feuille grossièrement dentelée.
Je suis de retour sur ma réserve, chez moi, du moins pour le moment.
Au volant, au-dessus de Dixon, regardant une mère tétra qui fait traverser
un vieux chemin forestier à ses bébés, je me demande si un jour je ne serai plus poussée
chez moi, ne me sentirai plus traîner
entre le passé         et les présents        lieux
que j’appelle chez moi.

 

II

Personne d’entre nous n’a été immunisé contre notre histoire partagée
                               celle de pousser
et
de pousser en retour,        l’élan de laquelle
nous a propulsés
au moment présent.

 

III

Ce moment est l’œuvre         de météores
                qui taillent l’obscurité
                          dans le ciel densément étoilé
au-dessus de Blue Bay, la naissance
                de mes deux fils, la mort
de certaines peurs et la
                         forge du sens
à partir de ce qui reste.

 

IV

Le sens est arraché comme plumes tirées de jours étroitement enroulés, il est
fait à partir du moins et du plus du banal,         à partir ce qui
se veut exister —       tout ce qui s’encre
sur la page.

 

 

En conclusion je dirais que Heather Cahoon, multi-artiste, incarne parfaitement bien ce qu’un(e) amérindien-ne est sensé(e) faire et devenir : utile à son peuple, actif-ve dans sa communauté, il-elle développe aussi une individualité en évolution vers un épanouissement, il-elle parcourt un trajet dans la vie qui autorisera que lui soit donnée la qualité d’être humain.

 

 

Présentation de l’auteur




La poésie de Betül Tariman

Le poète et dramaturge turc Hasan Erkek, que nous avons eu le plaisir de publier sur Recours au Poème, est aussi un grand voyageur, et un passeur. C'est à ce titre qu'il nous a récemment rapprté de Cuba les poèmes de Gisele Lucia et ceux de l’auteure que nous présentons ici, dans la série de nos publications sur la littérature turque. Ce sont - traduits par  Dorian Pastor - les poèmes d'une figure engage de la lutte pour la démocratie et les droits des femmes :  BETÜL TARIMAN.

Poètesse née en 1962,  dans le nord de la Turquie, actuellement enseignante à l'université d'Ankara, elle a publié ses premiers poèmes en 1992. Créatrice d’un prix à la mémoire du poète Rıfat Ilgaz (1911-1993), considéré comme l’un des plus grands représentants du réalisme social en Turquie, elle est aussi conseillère artistique pour un projet architectural,  sous les auspices de la World Academy for Local Democracy (WALD) et elle anime des ateliers de poésie avec ses étudiants à Kastamonu,  mais je retiens surtout qu’elle est  l'initiatrice de Kadınlar Edebiyatla Buluşuyor (« Rencontre des femmes avec la Littérature »), atelier dont le but est d'encourager les femmes à écrire des poèmes et des nouvelles.

Betül publie aussi un magazine, Toplu Fotoğraflar, que ses étudiants contribuent à réaliser. Un de ses documentaires, An afternoon in Kastra Komnenus (« Un après-midi à Kastra Komnenos »), remporte de prix du sixième Festival des Documentaires de Safranbolu. La poétesse contribue aussi à l’organisation d’un colloque littéraire sur l’écrivain et nouvelliste turc Oğuz Atay (1934-1977) pionnier du roman moderne et postmoderne en Turquie, aujourd'hui considéré comme un auteur culte et une figure majeure de la littérature turque. Enfin, elle est l’organisatrice d’une exposition avec quatre artistes femmes nommées Me, Woman (« Moi, femme »).

Du style et des thématiques de Betül Tariman, la poète Ayten Mutlu écrit :

 Elle n'utilise jamais de jeux de mots. Un narrateur calme et simple fait ressentir  les images (…) Les poèmes ont un rythme intérieur qui semble spontané, non forcé et imposé,. Les vers qui donnent l'impression d'être prononcés facilement au premier regard  arrêtent un instant le lecteur et l'invitent à chercher la structure profonde.”

Traduction : DORIAN PASTOR

YALNIZ ÇİÇEK

 

kapı aralığına oturdum
ayaklarım eşikte
kollarım sarılı dizlerime
sense yalnız çiçek
bir köşede öylece
boynunu bükmüş
sanki küskünsün kendine
rengin sararmış
yaprakların nemli
kurumuşsun mevsimi geçmiş gibi
oysa bir çocuk
elinde kalem
seni çizecekti
beyaz defterine

LA FLEUR SOLITAIRE

 

Je me suis assise à la porte
Les pieds sur le seuil
Mes bras étreignant mes genoux
C'est toi, la fleur solitaire
Qui dans un coin
Se tord le cou
Laissant penser que tu te fuis toi-même
Tu as le teint jaune
Les feuilles humides
Comme si tu avais fanée la saison dernière
Alors que l'enfant
Une plume à la main
Allait te dessiner
Sur son cahier vierge

 

 

 

Betül Taraman, Kon tiki.

 

CAM KIRIKLARI VE MİMOZALAR

 

kırmızı karanfilleri en çok annem sevecek şimdi
en çok acıyan sularınızda puslu bir ırmak bu yaz

I - gün

saat durdu
kırıldı çin vazo
cam tuzla buz
tutmaya korktuğunuz ellerinizde
ölü bir kaplumbağa vardı

II - gün

neyi anlatabilirim ki size, hangi şarkısını
hiçliğin, anlamazdınız geniş patika bir yolda
o ürkmüş kuş içinizde susardı

III. gün

uyurken parmak uçlarınıza dokunduğum doğru
gülüşünüzü o mor sularla……….
içimde aşk denizine koşma isteği
bilmezdiniz yitirdiğim çocuk
                     eksilen yanlarınıza akardı

 

LES VITRES BRISÉES ET LES MIMOSAS

 

Les Œillets rouges sont ceux que ma mère aimera le plus, maintenant…
Une rivière vaporeuse dans l’été où se mêlent vos flots tourmentés

1erJour

Le temps s’est arrêté
Le vase de porcelaine s’est brisé
Fragile comme de la glace
Dans vos mains, qui avaient peur de s’en saisir,
Il y avait une tortue morte

2èmeJour

Qu’aurais-je pu vous expliquer, quel chant
De votre absence vous n’auriez pu comprendre, dans ce large sentier ?
Cet oiseau farouche, tout au fond de vous, avait soif

3èmeJour

En dormant j’ai touché l’extrémité de vos doigts
Et votre sourire, avec ces eaux violettes…
L’amour en moi voulait courir vers son océan
Vous n’auriez pu connaitre l’enfant qui vit en moi ;
                           Sa peine aurait coulé sur vos flancs éteints.

 

Betül Taraman, Sinir ötesi.

RÜYADA MEVSİMLER VE TİKLER

 

kara bıyıklarıyla yüzü kara
yüzü sertti müdür
ara sıra kaşlarını kaldırır
hitler’e benzerdi az önce gitti
iç organları taşarcasına ağzından
söylenirdi sabahlar geceler

zaafları vardı iflah olmaz kadın severdi
rol icabı büyük masada oturur
çıkardı ceketinden
siyah ceketi kapı eşiğinde
müdürdü kurtulamazdı
                              müdürlüğünden

yürürdük şimo ben ve önder
koridor uzundu ve içindeki ünlemler
arada bir nöbet tuttuğum koridorda
öğretmenler ellerinde çantalar
koşar gibiydiler ve koridorlar
arada boş saatinde öğretmen
elinde iki şiir bir kalem
soluk soluğa ve telaşlı
müdür öfkesine hakim olamaz
hatırlardı müdürlüğünü
dünyanın gürültüleri yüzüne kapanırken

katı bir şeydi böyle sert
bazen çakırkeyif yalpalaya yalpalaya
boğazına kadar müfredata batmış
çünkü müfredat önemlidir
- başarıyı arttır – kravat bağlanmalıdır
kızım saçlarını topppla
çünkü düşlere dalınmazdı
susun derdi müüü müdür
bizi haritadan silmeye niyetli
göbeği yağ bağlamaz oturur otururdu
                                       oturur kalkar

aldırmazdık mevsimler
mevsimlere eklenirdi ve tikler
çizerdi müdür anlamı bakışlarıyla
bir asker gibi rap rap rap
mahcup olmazdı yine de
kırıldığından beri cesaret bakışın karasında
birazdan yüzü buruşacak
şimo diz çök ve yere yat
seni bekliyor üzerine kapandığın hayat

 

LES SAISONS DANS UN RÊVE ET LES TICS (RÜYADA MEVSİMLER VE TİKLER)

 

Visage noir, moustache noire
Il avait le visage dur, le directeur
De temps à autre il haussait les sourcils
Parti il y a peu, il aurait pu ressembler à Hitler
Ses organes jaillissaient par sa bouche
Il aurait maugréé nuit et jour
Il avait ses penchants, il aimait les femmes obstinées
S’asseyant autour de grandes tables, dans son rôle
Retirant sa veste
Sa veste noire, sur le seuil de la porte
Nul n’aurait su l’extirper, le directeur
De sa place

On a marché, moi, Ebru et Önder
Le corridor était long, il suintait le désespoir
Ce couloir où je faisais le guet
Les professeurs, sac à la main,
Semblaient tous y courir
Lors de son temps libre, l’enseignant
Dans ses mains deux poèmes, un stylo
Haletait, trépidait
Le directeur dont rien n’éteignait la colère
Se souviendrait de sa place
Quand le vacarme du Monde sur lui se s’abattrait

Il avait quelque chose de rude, si dur
Parfois éméché, titubant
Plongé jusqu’au cou dans les chartes
Parce que les chartes sont importantes
– elles accroissent la réussite – il doit nouer sa cravate
Attache tes cheveux, ma fille
Parce qu’il n’écouterait pas vos rêves
Taisez-vous ! aurait-il dit, le directeur
Voulant ignorer vos existences
Il s’assiérait et s’assiérait
                Se lèverait, s’assiérait

Le temps courait au fil des saisons
Accroissant, nerveux les tics à nos visages
Il nous aurait brisés de son regard d’acier, le directeur
Comme un soldat : clac clac clac !
Sans aucune gêne
Il anéantissait toute volonté
Peu après, son visage se froisserait
« Ebru, à genoux, couche toi au sol ! »
Elle t’attend la vie qui sur toi se referme

 

 

Présentation de l’auteur




Yin Xiaoyuan : Les Mystères d’Elche

Yin Xiaoyuan, poète militante  au sein du mouvement qu'elle a fondé pour une littérature qui transcende les genres, anime aussi l'EPS  « Encyclopedic Poetry School », créé par elle en 2017. Elle fédère un groupe dynamique de jeunes poètes chinois à l'origine de nombreuses actions internationales,  qui propose de nouveaux paradigmes pour le mélange des genres amplement ouvert aux cultures internationales, transformant  l'écriture par des juxtapositions linguistiques acrobatiques, l'introduction de sujets scientifiques innovants, de références à des sub-cultures variées (rock, rap, jeux vidéos...), des emprunts linguistiques (Yin Xiaoyuan est aussi polyglotte et traductrice) et des thématiques historiques bousculées par des  représentations étonnantes et non linéaires de la réalité, promenant le lecteur d'un lointain passé anté-historique à des spéculations sur un futur de science-fiction.

La traduction du texte présenté, réalisée à partir d'une version intermédiaire en anglais proposée par la poète, a demandé de nombreux ajustements et ne se prétend pas définitive. 

Il s'agit de la première partie d'un long travail consacré à la Méditerranée. Dans un survol fantastique couvrant espace et temps, depuis les ères géologiques, Les Mystères d'Elche - en espagnol Misterio de Elche, en catalan Misteri d'Elx - est une représentation théâtrale (un mystère) donné chaque année depuis le Moyen-Âge à Elche (Espagne), où il est aussi connu sous le nom de La Festa (La Fête).

L'œuvre est donnée chaque 14 et 15 août dans la Basílica de Santa Maria et représente en deux actes la Mort, l'Assomption et le Couronnement de la Vierge.

La représentation prend sa véritable forme avec l'introduction de la complexe machinerie baroque,  déjà citée dans le Consueta de 1625. On parle également de tirs de fusées, de sonneries de cloches, de processions d'entrée et sortie.

Une grande tenture en haut du cercle formé par le dôme  représente le ciel et cache les mécanismes qui permettent l'ascension et la descente dans les airs des différents objets. La tenture sépare les actions célestes de celles d'ici-bas.

La Grenade (Magrana) désigne le système chargé de transporter l'Ange apportant la Palme à Marie. L'appareil a une structure octogonale et est fermé sur ses huit côtés, Lors de sa descente du ciel, les huit quartiers s'ouvrent, révélant l'intérieur décoré et l'ange avec sa palme.

Le texte du Misteri, à l'exception de quelques vers en latin, est intégralement écrit en catalan ancien.

La musique est un amalgame de styles de différentes époques qui incluent des motifs du Moyen Âge, de la Renaissance et du Baroque.

L'UNESCO a déclaré le mystère d’Elche patrimoine culturel immatériel de l'humanité le 18 mai 2001

 

1 – Evangiles Apocryphes

 

Essayez de décrire les « Ninots des Fallas »((les ninots sont des pantins rudimentaires et masqués, pendus au bout d'un mât lors des fêtes populaires appelées fallas)) en Catalan et définissez-les dans la nomenclature binomiale.
Selon Carl von Linné, « effroyable magnificence » est synonyme de «chardons vénéneux + épines» comme celles des caractères minuscules de l'écriture carolingienne
Déplié le parchemin trempé d'encre, vous avez juste le temps d'observer un vent de foehn brûler l'herbe du versant sud de Muhlacén, qui s'étend jusqu'à l'océan
Le soleil couchant disparaît dans les carillons de la nuit, tandis que de l'urne d'écume méditerranéenne les mouvements rythmiques des vagues indomptées depuis l'époque des Wisigoths convergent tous ici à Elx – l'Histoire, est un géant terrifiant, comme Léviathan dans le livre de Job.

.

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Yin Xiaoyuan lit "Evangiles apocryphes"

En suspens au-dessus des nuages, tel un arc-en-ciel, le retour de flamme lèche la fibre de papier et les matériaux préparés pour les rituels (déjà presqu'aussi chaud que du gras qui brûle ou un ortolan qui explose dans la bouche d'un épicurien)
Un feu de joie de la Saint-Joseph éclaire le Canyon de l'Antilope remontant à ses origines dans l'Antiquité lointaine, les bois fruitiers évidés, les maisons et la grande arche
Avant que le monstre marin ne monte sur le rivage, tout le réseau hydrographique avait sifflé l'alerte demandant s'il s'agissait d' un prédateur grondant avec les maelstroms, ou d'un pèlerin voyageant à travers les crachins
Un secret sans doute doit être caché sous les lugubres tempêtes habituelles

Ouvrez la Bible de Valence (les Psaumes y étaient mêlés de Latin), allez à la page 259
Vous avez déjà été témoin des hallucinations, rapportées dans ces volumes
L'or, l'encens et la myrrhe, sur le dos des chameaux – ils marchaient tête baissée, dans les nuages de poussière, éparpillant l'or étincelant du sable sur les notes de bas de page depuis les rivières de Ghana
Il y avait des balistes comme des éléphants géants, dressées derrière les murs à l'intérieur des villes antiques, après tout, on ne négocie rien entre hédonisme et héroïsme

Du cabinet secret de La Cara Oculta, depuis la spirale d'une pluie sur la Péninsule Ibérique balayant les traces de son orogénie hercynienne, et depuis le plafond au-dessus du transept de la Basilique Santa Maria, tu marches comme un elfe et tu regardes en bas
-Terrestre vs.Céleste, pièces d'une machinerie de théâtre aérienne
La Vierge Marie – robe blanche, manteau bleu, auréole dorée ; Saint-Pierre – robe/aube, étole et cape blanche, piano, guitare et ukulele murmurant doucement dans la fantasmagorie Renaissance

«Passe au mode suivant, et glisse avec ton Mangrana jusqu'au règne des mortels.»
«La foule en liesse a complètement oublié l'horchata, mais attention, l'odeur de la peste médiévale flotte encore comme des draperies dans la brise.»
«Un endroit où se tenir» et «un levier assez long» ne sont pas des conditions suffisantes et nécessaires.
Expliquez : pourquoi le caducée d'Hermès est-il le symbole du mercure, et comment il devint la «fleur du sommet».
La Dame d'Elx ou Dame d'Elche répondit d'un sourire muet comme les films.

II – 13ème siècle

 

entrelacées, voici les cordes E d'une guitare mauresque et d'une guitare latine
Baldr x Höðr , tel un couple de série télévisée, irradie d'une même iridescence
qu'un mariage entre Ferdinand II d'Aragon et Isabelle de Castille noué par la Reconquista
Des ombres se portèrent sur les lettre fleuries du Kufic aux pages d'une menorah, c'était le temps où une croix en or et un croissant de lune échangeaient leur éclat dans le crépuscule
Jadis des rinceaux de vignes et de fleurs grimpaient le long des mosaïques ; une brume de minuit inondait l'Évangile de Reichenau, des foules montaient des rivages et des montagnes, périssaient dans les famines, les épidémies, les désastres et les guerres
Vous êtes-vous jamais interrogé sur la composition de la pluie de flocons d'or du rêve ? Ils étaient teints par le couchant de l'Émirat de Grenade, quand un cygne noir volait dans les dernières lueurs, et l'Alhambra était en arrière-plan

Au milieu du 13ème siècle, Birger Jarl reçut venant du futur le terme psychologique de « syndrome de Stockholm », envoyé par « le Looper »
Voici pourquoi la spirale gothique de Storkykan était comme un épine sur la tige de rose de Mälaren
A la fin du même siècle, « Les Voyages de Marco Polo » avaient dessiné sur la Terre la trace argentée qu'un satellite pourrait voir
Pour rassembler dans ses fibres les plus fines ses nombreux partisans, trois siècles plus tard était avancée la vision de la Grande y Felicissima Armada , et la route vers l'enfer pavée d'or

«La ligne du temps a des traits absolument identiques à ceux des fractales...
ses coupes transversales se dissolvent et se multiplient à la vitesse des nuages, des éclairs, des montagnes et des vallées...»
Et à propos de «Méthode de déplacement médian aléatoire» ? Ou d'«algorithme d'interpolation fractale» ?
Les sémiologues sont engagés dans un combat corps-à-corps avec XenoDream qui pourrait éventuellement renvoyer à l'origine de la corrida
Quelle parfaite symétrie, qu'Alphonse « X » de Castille soit égal à « trois +sept »
« Roi des Trois Religions » VS « Siete Partidas »

Au tournant du siècle, était de nouveau mentionné «der Wille zur Macht»
de nouveau Le « carrefour» est prévu de façon à n'apparaître qu'une seule fois dans l'ensemble du test
Et si Robert Frost n'avait pas eu la tête troublée par la théorie des multi-univers ?
A la toute fin des guerres puniques doit surgir la figure d'Hannibal

Vous avez contourné Rome :
#Sur-écrivant sur History./His story# i.e Les Sept Ponts de Könisberg

III La Vêprée

 

Les pélerins affluaient dans les rues de la vieille ville d'Elche, comme des dinophytes bioluminescents rejetés par les vagues sur les plages de Cairns
Une loi universelle : des lignées de sang bleu provenaient du continent perdu de Mu
La Vierge Marie, le passage de son bienheureux sommeil à l'Assomption fut un miracle
Quand elle descendit de La Magrana avec grâce et apparat, d'immortelles méduses télépathiques formèrent une Grande Ourse dans les profondeurs océanes
Une veillée funéraire est un rituel séparant vie et mort en des lignes obliques
A l'intérieur de la Basilique Santa Maria, ciel et terre se croisent à angle droit

On dit qu'en 1204, une peinture sacrée de la Vierge Marie avait échoué à Portovenere, enfermée dans un tronc de cèdre...
Elle pria Dieu et souhaita rencontrer une dernière fois les Apôtres qui venaient de loin
Puis, entourée des psaumes de consolation et de l'écho des acclamations, elle s'en alla
si(est Absurde()){
retour faux ;
{
si(est Surrealism()){
retour faux ;
{
si(est Symbolism()){
retour faux ;
{
retour vrai ;

Comparé à El Greco et Annibale Carracci, Titien était meilleur scénographe, lui dont « L'Assomption de la Vierge » assumait une parfaite composition en croix
Qu'est-ce que la tension visuelle ? Demande-le à l'arbre de feu sur la couverture de l'album d'Amorphis, Skyforger
« Les oies barnacles adaptent l'époque de leur migration aux modifications de l'exposition solaire »
La route entre ordinaire et merveilleux s'échelonne en phases comme celles de la lune
Fixe les gouttes de rosée sur l'écorce d'un olivier d'Hojiblanca
Un orage arrive, alors les cheveux des pélerins se dressent sous un plafond à caissons sinisant, et un ruban de nuage échoue sur le panneau
Premier rayon de lumière – Tirant lo Blanch était piégé entre la virginité de la princesse et l'ombre de Constantinople
Même le niveau 5 de conduite autonome n'aurait pu vous sauver des vicissitudes de la vie

IV La Fête

 

Devant eux, entouré de fougères et de palmiers, blancs et poussiéreux dans la lumière silencieuse du matin, se trouvait un immense galion espagnol.
--Gabriel García Márquez: Cent ans de solitude

Chut... un Archéopterix extirpait ses ailes d'une pierre calcaire de Solenhofen
Pas aussi tranchantes qu'Excalibur, mais elles étaient le prototype de tout avec plumes rémiges, tectrices et rectrices
Comme dirait Su Tungpo : « Je me sens tellement bien, comme Da Mo qui traversait la rivière en flottant sur un simple roseau », un champ géomagnétique rétrécit comme aujourd'hui un lac en hiver
Depuis le clocher de l'église, on peut entendre le nom de Théophile revenant en écho de l'horizon
Plante une palme à Timanfaya pour en faire un gnomon, avant minuit, quand le vent chaud arrive de la mer
Vous savez bien  : le courant froid Benguela tourne ici, et le courant circumpolaire antartique nourrit toujours une rancune sur sa route éprouvante
Depuis le 14 août, la Vierge Marie se rapprochait de son immortalité, tandis qu'Hapi observait le Nil se muant en cataractes au Soudan
Un vecteur est défini par sa direction optimale, les croyants n'ont pas à tendre des filets pour saisir des manifestations aléatoires

Le contour de la Basilique Santa Maria est le résumé de l'histoire : mosquée – gothique et renaissance – baroque
des reliefs muraux du 17ème siècle ; une robe de flamenco andalouse et «las cosechas del pensar tranquilo» (comme dans le poème de Miguel de Unamuno) à Salamanque étaient tous de la même époque... tout ici est aussi flexible que les légendes et aussi raide qu'un pistolet
«Der Tod is der zeitlose Frieden und das leben ist der Krieg
Nur wenn du diese Schlacht gewinnst bist auch du Antik»((Antik de Nachtblut – album d'un groupe allemand de dark metal : «La mort est la paix intemporelle et la vie est la guerre))

« un enorme calabazo lleno de piedras » c'est là qu'on trouve conseil auprès des anciens sages
Un grand voyageur doit être équipé de ses muscles pour faire office d'armes
Durant la nuit les nerfs optiques examineraient le sang d'un agneau sur la porte

V Dimanche des Palmes

 

La larme de l'église Dominus Flevit à l'ére canaanite suinta lors d'un tirage au sort de l'Athènes antique, des colombes blanches s'enveloppaient de rayons de lumières quand les cantiques commencèrent à résonner en échos, pénétrant la rosace au-dessus de l'autel, brillant à travers tout le Dôme du Roc
Un chariot d'Hyksos passait par là, entraînant parhelions* ((un petit arc-en-ciel))  et limailles de cuivre. Un photographe sur le bord de la route, déconstruisait (l'image était entièrement réalisée en gneiss de Khafre intronisé : une nuance bleu-thé) l'antique composition
Pour le dimanche des Palmes, Jérusalem s'orne de branches d'olivier, de cèdre et d'érable negundo, comme un cigare maya qui se consume

Les bosquets de cactus de la Palmera se reflètent sur la voûte du ciel, toujours ondulant de gloire et de béatitude depuis le 18ème siècle – la «Palme impériale» ainsi nommée par Castagno prenant la forme d'un chandelier
Chatoyant dans la nuit, la pointe d'argent des doigts de la Méditerranée effleurait Valence, Alicante, Murcia... la lune faisait couler sa lumière d'un coin du ciel étoilé sur Gibraltar
Chaque lieu se double de l'héritage d'Andrés de Vandelvira !
Des villes jumelles – Baez & Ubeda, des schémas se déroulent dans la Sacra Capilla del Salvador & Palacio de los Cobos
dans un réseau de néons fluctuants, atteignant jusqu'à l'aqueduc de Ségovie

Une grappe d'étoiles-de-Bethléem a laissé choir ses pétales sur la nappe depuis que fut produit « un soupir de Cantor ». La « Prédestination » a été repoussée par de sméraldines vagues de temps
Sur le balcon du Palais Francisco Godoy, des gouttes de pluie remontant à cinq siècles s'attardent encore, éparpillées par le cadran de l'horloge – les briques formant barrière contre le soir qui tombe
Graviton, vivre, c'est décolorer peu à peu la mémoire avec un détachement serein
Seuls les faibles ont besoin de dormir, pour éviter les foudres du Destin
Les carillons dans votre poitrine sonnent le long de vos vaisseaux gouverneurs et concepteurs, préserve vos échos, parce qu'il n'est pas nécessaire d'harmoniser un cantique

Il est des histoires dans lesquelles ne survient jamais le Salut, et l'or et les joyaux attendent à jamais au fond des océans, où dort depuis 1822 Notre-Dame d'Atocha

« La vie est un voleur nocturne
Je me tiens devant un chef-d'oeuvre »

Comment une mèche de cheveux peut-elle haler vers le rivage l'épave du Fortuna
Oublie les montagnes, sois certain que les vagues de l'Est balaieront les restes de tes rêves de leurs plumes couleur de perle

 

traduction : Marilyne Bertoncini - juillet 2020

Présentation de l’auteur




Haïkus du monde et autres textes brefs

Parmi les nombreuses contributions reçues à Recours au Poème et aux Jeudis des mots, nous retenons des haïkus de Miguel Angel Real (Espagne) des simili-tankas de Daniele Beghè, et des haïkus de Gili Haimovich (Israel) et de Fabia Binci (Italie)  que nous vous proposons ici dans leur version bilingue.

Les illustrations ont servi de lanceurs d'écriture pour les divers jeudis des mots de confinement.

photo Marco Baschieri

 

Miguel-Angel Real, traduction de l'auteur

Por los espejos
las luces confundidas
con las ausencias.

Mis piernas ceden
aunque apenas la brisa
llama a la puerta.

La quietud bebe
el agua de un torrente
con su paciencia.

 

Dans les miroirs
confondre les noms
et les absences.

Mes jambes cèdent
même si la brise frappe
à peine à ma porte.

La quiétude boit
l'eau d'un torrent
par sa patience.

 

Les textes qui suivent sont des “Siglemas 575”, une forme poétique créée par l'auteure vénézuélienne Patricia Schaefer Röder. On écrit une série d'haïkus de 5, 7 et 5 syllabes, dont la première lettre de chaque poème forme l'acrostiche du titre. Chaque haïku est une unité indépendante et pourrait être lu de façon isolée, et en même temps il fait partie d'un ensemble homogène.

Il est évident que lors de la traduction, cette contrainte s'avère parfois difficile à respecter.

Tierra, rayo,
nube o raíz: mi suelo:
verso que tiembla.

Unidad, cambio,
vaivén, página en blanco:
vértigo y paso.

*

 

PLAZA

Portales quietos,
verticales y riesgo
solo de sombras.

Lucen distancias
que amoldan ángulos
a mi recuerdo.

Arrinconadas
entre paces y esperas
las dos iglesias.

Zaína estatua,
pasajera de hablares
entretejidos.

Arribes suaves,
miradores: testigos
de mis ausencias

 

 

TU

Terre, éclair,
nuage ou racine: mon sol:
vers qui tremble.

Unité, changement,
va-et-vient, page blanche:
vertige et passage.

*

 

PLACE

Portiques calmes,
verticales et risque
d'ombres seulement.

Les distances luisent:
elles ajustent les angles
à mon souvenir.

Coincées
entre la paix et l'attente
les deux églises.

Statue zaine,
passagère de conversations
entrelacées.

Pentes suaves,
oriels: témoins
de mes absences.

 

.

photo Rémi Tournier

*

Gili Haimovich - traduction Marilyne Bertoncini

An exhausted world
Relays on our stupor
For rejuvenation

Un monde épuisé
compte sur notre stupeur
pour se régénérer

*

Golden leaves fall down
Like golden breadcrumbs but no
Wagtails had arrived

Tombent des feuilles d'or
comme des miettes dorées mais
nulle bergeronnette en vue

*

How come the weeping
Willow, is the first to bloom
Not the sunflowers

Etrange le saule
pleureur fleurit le premier
pas les tournesols

*

Here, the tea is green
And the water is the same
Nothing seems lucent

Ici, le thé est vert
et l'eau tout pareil
rien ne semble lumineux

*

In summer’s gray heat
The bright kingfisher on the fence
Slakes like a river

Dans la chaleur terne de l'été
le brillant martin-pêcheur sur la clôture
désaltère comme une rivière

 

No wagtails to watch
The sky is gray as a pigeon
So is my T-shirt

Pas de bergeronnette en vue
Le ciel est gris comme un pigeon
Mon T-shirt aussi

*

Same ingredients
Yet stirred on different timings
My brother and I

Les mêmes ingrédients
préparés selon des cuissons différentes
mon frère et moi

*

The carnival ends
Golden light strikes the hotel
A rainbow is born

Le carnaval finit
Une lumière dorée frappe l'hôtel
Naît un arc-en-ciel

*

One last poem is last
Chance to be vague and pretty
Twilight before dark

Un ultime poème est l'ultime
chance d'être vague et joli
Crépuscule avant la nuit

photo Giancarlo Baroni

*

Pseudo-tankas de Daniele Beghè, traduction Marilyne Bertoncini

Civiltà accidentale / Civilisation accidentelle

I

arrivata anche quest’anno
la calura estiva
toglie il respiro

la galleria commerciale
frescura scontata.

Cette année de nouveau
la touffeur estivale
elle coupe le souffle

la galerie commerciale
fraîcheur escomptée

II

Il modello occidentale
alla fine dell’estate
vive il tramonto

riprende più feroce
tigre d’oriente

Le modèle occidental
à la fin de l’été
vit son crépuscule

il reprend plus féroce
en tigre oriental

 

III

I fanali del luna park
d’occidente attraggono
falene estive

un miraggio la giostra
per troppi uomini.

Les lumières du luna park
d’occident attirent
les phalènes de l'été

un mirage ce manège
pour trop d’humains

 

IV

Le autostrade piene
la sera del venerdì
verso il mare

un popolo che insegue
la vita nei guardrail

Autoroutes bondées
le vendredi soir
vers la mer

peuple qui suit
sa vie dans les rambardes

 

V

S’accorge d’esistere
se s’accende il led
solo passando

ciclabile notturna
di vita estiva

 

Il s’aperçoit qu’il existe
quand s’allume le led
sur son  passage

piste cyclable nocturne
d'une vie d’été

VI

Primavera piovosa
lavacro dei coltivi
nelle campagne

dolente fantascienza
fra i capannoni

 

Printemps pluvieux
eau lustrale des cultures
dans les champs

science-fiction souffrante
entre les hangars

 

VII

Aggeggio antropomorfo,
aspirapolvere, cavo
non digerente

pulizia superficiale
dell’inconscio

Accessoire antropomorphe,
aspirateur, tube
non digestif

nettoyage en surface
de l’inconscient

 

VIII

Ho per intero dentro
tutto quel novecento
quel vecchio piede

di un futuro irrealizzato.
Lì innesto il disincanto.

 

j’ai tout entier à l’intérieur
ce vingtième siècle
vieille souche

d’un futur non accompli.
J'y ente((greffe)) le désenchantement.

 

IX

Spolvera con amore
il bestiario dell’Antelami,
i leoni del Duomo

il telo dei secoli
crea una sindone.

Il époussette avec amour
le bestiaire de l’Antelami((Benedetto Antelami est un architecte et sculpteur italien qui intervint entre la seconde moitié du XIIe et les premières décennies du XIIIe siècle. Il a réalisé le Baptistère de Parme et de nombreuses sculptures de la Cathédrale de cette ville.))
les lions de la cathédrale

la toile des siècles
tisse un suaire.

X

il mio pensiero in vacanza,
nel giallo delle stoppie
dribbla i balloni,

usa i flessibili pioppi
per il salto in alto.

Ma pensée en vacances,
dans le jaune des chaumes
dribble les ballons,

utilise les souples peupliers        
pour sauter en hauteur.

photo mbp

*

Fabia Binci, traduction Marilyne Bertoncini

ritorneranno
sulla battigia al sole
le nostre orme

elles reviendront
à marée basse au soleil
les traces de nos pas

*

gemono i freni
nel cambio di marcia
- avanti piano

ils geignent les freins
quand on change de vitesse
- tout doux en avant

*

assaporare
il mare in un bicchiere
bere ricordi

pouvoir siroter
toute la mer dans un verre
boire les souvenirs

*

germoglia il seme
tra dure rocce e sassi
- speranza in cuore

la graine germe
même entre roche et cailloux
- espoir dans le coeur

*

fragili canne
sul ciglio del dirupo
ahimè "pensanti"

fragiles roseaux
au bord du précipice
eux qu'on dit “pensants”

*

mare a due passi
in secca sulla crosa((typique à Gênes – la creuza.https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=Creuze_di_Albaro_(Genoa)&uselang=it))
la barca attende

la mer à deux pas
et la barque en attente
à sec dans la ruelle

*

in gabbia noi
e gli animali liberi
- zoo a rovescio

nous en cage 
les animaux en liberté
- le zoo inversé

*

rapida sfreccio
senza pagar pedaggio
tra i miei ricordi

je file rapide
sans régler le  péage
entre mes souvenirs

*

spurgar veleni
nel chiuso delle stanze
- scia di sogni

purger les venins
dans les chambres recluses
-sillage de rêves

*

nessuno in giro
il mare senza vele
- crudele aprile

personne dehors
la mer restée sans voiles
- cruel avril

*

gusciare in volo
dalle finestre chiuse
- essere vento

en volant glisser
hors des fenêtres closes
- devenir le vent

*

vita sospesa
in giro per la casa
- pesci in boccia

vie suspendue
divaguant dans la maison
- poisson en bocal

*

città fantasma
gelsomino sui muri
- nel cuore un urlo

ville fantôme
du jasmin sur les murs
- seul un cri dans le coeur

*

un altro giorno
da segregati in casa
- hikikomori

un jour encore
confinés à la maison
-hikikomori

*

photo Franck Andrieux

L'ensemble des très nombreuses participations est toujours disponible sur la page facebook de Jeudi des mots 




Haikulinaires et autres fantaisies

Le confinement décuple l'imaginaire : en voici la preuve avec ces fantaisies, nées d'une rencontre fortuite avec les oeuvres de l'artiste japonais Manami Sasaki, présentées dans un article de My Modern Met 

Haï- culinaires

 

Gâteau courgettes-chocolat
Bien sur la conscience
Moins sur la balance.

*

Gâteau invisible
C’est son nom
Pas vu passer !

*

Cuisine maison ?
Des briques
À la sauce caillou.

*

Haï-coupe maison

Mes cheveux batifolent
En toute liberté
Pas moi.

*

photos My Modern Met

Haï-cuicui

Pie voleuse
Sur la pelouse
Je lui dédie mes vers.

*

Haï-coup de sang

Fête du travail
Sans travail
Cherchez l’erreur.

*

Haï-coup au moral

Chiffres du jour sur l’écran
Combien de gagnants
Combien de perdants ?

*

Haï-coup de mou

Tête à l’envers
Estomac dans les talons
Rate au court-bouillon.

*

Haï-cul nu

Pas envie de m’habiller
Juste pour la télé
zzzzzzzzzzzzzzzzz.

*

Haï-culture physique

Détendez assouplissez
Mode gym-télé
Cul sur canapé.

*

Haï-cumulonimbus

Nuages dans l’éther
Le ciel fait le gros dos
Plus d’alcool pour les carreaux.

*

Haï-curseur

Souris or not souris
Tu hésites chat
À donner de la patte.

*

Haï-courage

Combien encore ?
Je compte les heures
Au tic-tac de ton cœur.

*

Haï-cucul

Mon poème est de guingois ?
M’en fiche car
Lui + toi + moi ça fait trois.

*

etc.




Haïkus et textes brefs des Jeudis des Mots (sélection)

Pour tromper l'angoisse, noyer l'ennui, retrouver virtuellement les amis qu'on ne pouvait plus rencontrer dans les lieux habituels durant le confinement, la page facebook des "Jeudis des Mots" avait proposé à ses lecteurs d'écrire des textes brefs, à partir de photos qui étaient renouvelées chaque semaine, ou bien à partir des textes déjà parus sur la page, avec des consignes variées. 

Ces textes ont été lus lors de la dernière rencontre, à Nice, à la fin du confinement, et Recours au Poème - partenaire de ces rencontres, ainsi que les éditions Pourquoi viens-tu si tard? et la revue Cairns - s'est engagée à en publier une sélection dans son numéro spécial "haïkus et textes brefs" de rentrée. C'est avec plaisir que nous vous les proposons, en remerciant encore les poètes qui ont animé nos pages durant cette étrange période.

Sur deux photos de Marco Baschieri

.

.

.

.

Il t’arrive
De tellement souffrir
Qu’il te paraît
Inutile
De mourir.

Lèvres serrées
Convulsivement
Il ne répondra pas,
L’enfant.

Dominique Ottavi

*

Quand
sur la page blanche apparaissent les mots
sur ma plage noire les maux disparaissent .

Frédéric Erbs

*
Tout est prêt
Pour un départ arrivée
Même la lumière est immobile

CeeJay.

Sur les photos de Franck Berthoux et Marilyne Bertoncini

Fleurs pierres plantes
macadam Entente cordiale
Que serait la Terre sans nous

Seul sur mon balcon
Devant la nuit silencieuse
Un verre de vin à la main

Franck Berthoux 

*
Depuis le mur
Envolée jaune bleu
Pointillée de mésange.

Joëlle Petillot

*

Une feuille tombe dans le jardin
Toujours le même bleu
Aucune durée ne tient debout

La nuit ne dit plus rien
Une porte bat pourtant
Je frissonne

Il ne sait pas qu'il va tomber
Le promeneur de la berge
Le jour vibre si mal

Dominique Boudou

*

.

photo Franck Berthoux

.

.

photo Marilyne Bertoncini

Le chemin empierré
La lumière l'aborde
Le soleil l'attendrit

Annie Wallois

*
dans la rue déserte
l’écho de mes pas furtifs
le merle s’en moque

Francis Carpentier

de plumes et d’ailes
pareille aux fleurs sauvages
une résistance

Emmanuelle Sarrouy Noguès

*

J’ai déposé ma vie
Sur le petit sentier
J'apprends à respirer

Tatiana Gerkens

Sur deux photos de Paolo Briganti et Rémi Tournier

La nuit n'en mène pas large sous les toits.
Le silence vibre si mal dans les chambres.
Un secret pourtant sera livré
Quand les solives se seront plaintes.

Dominique Boudou

*

Parfois j’entre dans une image
Elle me happe
L’outre-mer vibrant m’écrase
La splendeur d’un ciel n’ôte rien de sa menace
Comme une immense toile qui poche Gonflée
Ce qui pèse au-dessus est mon destin

Peut-être.

Narki Nal

*

Nous escaladons
ce que nous pouvons
pour un moment de grâce
qui échappe

Gardons au cœur
la distance
− le goût des échelles
qui a toujours raison.

Marilyse Leroux

.

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photo Paolo Briganti

.

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photo Rémi Tournier

Que le ciel roule
Comme un grand océan
Ses nuages de laine sombre
Nous nous réveillerons
Dans une lumière nouvelle

Octave Castada

*

Le bruit des pages et du vent
qui n'exige aucune réponse
Ciel bleu jusqu'au sol

Sophie Brassart

Sur deux photos de Rémi Tournier et Giovanni Greci

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photo Giovanni Greci

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photo Rémi Tournier

Le ciel qu'on imagine
Est un rêve sinueux et concret.
Lignes jamais tracées
Le parcourent peut-être.
Envie, surface, texture à réinventer.

Miguel Angel Real

*

Les nuages sont moins blessants que les fleurs
de barbelés
Mon sang aérien
ne pousse que sur la liberté,
nourri au vent
des voix sans frontière

Thierry Mathiasin

*

 Et peut-être là-bas
de l’au-delà du rêve
parviennent les messages
de ceux qu’on a aimés

Combien de déchirures avec chaque départ -
cœur lacéré emprisonné par tous les liens
barbelés du souvenir

Marilyne Bertoncini

Détournement et ricochets : sur deux compositions de Flora et de Patrick Joquel 

Chercher l'échappée
Jusqu'aprés les hérésies
Toucher la lumière

Michel Thomas Vieulle

*

Chercher l’échappée
dans le dédale estampillé
D’étoiles
D’un regard partagé

Carole Mesrobian

*

Le pas de côté
Poésie d'éternité
Rencontres masquées

Sandi Dard

*l

le pas de côté
pour regarder ce qui s’en va
sous un ciel meilleur

l’horizon en point de mire
que dire, que faire
pour un instant le retenir

Christophe Sanchez

*

Le pas de côté
Nullement le point de fuite
l’embellie juste.

Dominique Ottavi

*

le pas de côté
comme le fou sur l'échiquier -
le faux démasqué

Marilyne Bertoncini

Voir la vie en zèbre
La pluie barre les fenêtres
Souvenirs masqués

Sandi Dard

*

La pluie barre les fenêtres
il compte les heures versées
Le temps se retourne

Alexia Aubert

*

Le temps se retourne
Sur nos ivresses partagées
Il rêve nos alcools

Michel Thomas Vieulle

Le temps se retourne
Sur nos ivresses partagées
Il rêve nos alcools

Michel Thomas Vieulle

*

Il rêve nos alcools
N'a plus de pétales
Souvenirs d'un hiver

Alexia Aubert

*

Le temps se retourne
le fantôme des cerisiers
n'a plus de pétales

Marilyne Bertoncini

Sur un poème d'Abbas Kiarostami

Le vantail de l'aurore
S'ouvre sur l'horizon
Son parfum d'imaginaire
À perte de vue

Le temps d'un soupir
Défaire les agrafes
De nos élans astraux

Et n'être plus qu'éclipse
Le temps d'un soupir

Devant le soleil
Mon ivresse en libation
Un oiseau s'envole

Michel Thomas Vieulle

*

Midi : me voici seule
devant le soleil
à épeler ma part de jour.

Marilyse Leroux

*

 

Saadi, Abbas Kiarostami, poèmes traduits du persan par Amin Kamranzadeh, Franck Merger et Niloufar Sadighi, éd. Po&Psy, ERES, 2020.

avec ma lune
entouré de silence: 
deux privilèges.

Miguel Angel Real

*

Je suis si heureuse cette nuit
de ne pas dormir
les étoiles tournent
au-dessus de mon toit
et ma tête avec elles

La lumière aimante
noue chaque astre
à son double endormi.

Marilyse Leroux

Devant le soleil
Les lunettes de l'espoir
Courages exquis

Sandi Dard

*

referme ô ciel
ta paupière lasse
sur les hommes endormis
laisse-les rêver
de la brume dorée
d’une aurore infinie
le temps d’un soupir

Marilyne Bertoncini

La totalité des propositions est toujours disponible sur la page facebook de Jeudi des Mots : @jeudidesmots




Opus 10 : Jacques Rozier, Adieu Philippine, Arnaud Desplechin, Roubaix, une lumière

Adieu Philippine de Jacques Rozier

Les films de la Nouvelle Vague eurent le tropisme du Sud. C’est bien étrange.

Les cinéastes de ce mouvement informel, qui n’avaient eu de mots assez durs contre le nihilisme mis en œuvre dans les productions du cinéma de qualité-française, furent fascinés par le crâne humain que sur la terre projette le soleil en ce lieu géographique. Leurs récits n’ont de cesse de quitter les rues brouillonnes du Nord pour rejoindre ou plutôt fuir littéralement vers les rives de la Méditerranée. Chemin faisant, au contact de la luxuriance des couleurs, ils se romantisent - puis s’attristent, car le sud, c’est la mort. La sécheresse, la pauvreté, la brûlure. La lumière y a une odeur de soupe chaude sur le feu et le décor y éprouve la défaite de ses traits.

Jacques Rozier, qui préluda à la Nouvelle Vague, voyage aussi vers le Sud. Où il se sert de l’aspect modal des mélodies corses, de leur insistance sur un son, pour troubler l’inconscience de ses deux « Philippines » – lorsque l’on devine que le rouge monte à leur front, lorsque les demoiselles comprennent que ce qui appelle le jeune appelé du contingent, c’est la mort de l’autre côté de la mer, à ce moment-là, et le bateau s’en va, la flûte en roseau du Maghreb remplace le chalumeau taillé dans le figuier du maquis.

 

Roubaix, une lumière 

Arnaud Desplechin filme le malheur comme un mystère religieux – dont la signification est immanente, c’est-à-dire existentielle et sociale, rien moins que mystérieuse.

Il décompose en tableaux de pitié silencieuse les visages – qui sont comme front à front avec nous, même de profil, ils regardent à travers nos peaux. Lenteur cérémonielle – lenteur de l’irrémédiable. Lumière d’un doré laineux – que les corps glacés ainsi saisis ignoreront jusqu’à la dernière seconde, ils ne sont pas de son duvet. Bienveillance maternelle des voix, entrecoupée des éclats paternels du loup – mais il n’est plus de chaperon rouge ni de fable, la beauté ne peut rien, l’enfance est une trahison : sa proximité avec la nature en fait un concentré de faiblesse, ce qui aide à comprendre la révolte de l’homme mûr empoisonnant les eaux, polluant l’air et le feu partout, où que se tournent les yeux.

Roubaix, une lumière

La voiture de police les amène, le film s’achève. Les deux jeunes femmes, que Desplechin a livrées à un sentiment d’impuissance où prend figure la folie meurtrière, n’ont plus que quelques minutes à passer avec nous. Comme moi qui n’ai plus que quelques années à vivre. Aimeraient-elles les consacrer à les regarder passer ? Mais est-il possible de regarder passer le temps ?

 

Jacques Rozier, Adieu Philippine.




Questionnements politiques et poétiques 6 : Quelques poètes italiens à Paris (2009), Andrea Zanzotto, Giovanni Raboni

Suite. Episodes précédents : Questionnements politiques et poétiques 5, Questionnements politiques et poétiques 4, Questionnements politiques et poétiques 3

 

 

Il y a dix ans – mais que cela semble loin, au vu de la vie parisienne étriquée et si entre soi d’aujourd’hui ! –, à l’initiative du dramaturge Maurizio Scaparro et d’un certain nombre d’intellectuels des deux côtés des Alpes, auprès du Théâtre des Champs-Élysées (et aussi à l’Institut Culturel Italien de Paris) fut organisée une série de rencontres, lectures, débats autour de la poésie et de l’écriture dramatique italiennes au XXème siècle juste alors écoulé. Occasion aussi de diverses dégustations plus terrestres, hélas impossibles à ressusciter ici, en un temps où le Slow Food (invention piémontaise comme son nom ne l’indique pas) se répandait de par le monde. Nous en proposons ci-après une toute petite trace, telle que retrouvée, en fait, dans l’ordinateur de l’un de ces intervenants (et donc éminemment partielle et sans doute partiale… pour qui en aurait conservé son propre souvenir). Où, avec un détour surprenant par la Belle Époque – mais un précédent épisode de cette rubrique ne portait-il pas sur Pascoli et son formidable Gog et Magog au tournant du siècle ? – nous pouvons bien toucher du doigt l’implication éminemment politique de la poésie la plus exigeante au plan linguistique et littéraire. Tel était le sens d’une présentation par Edoardo Sanguineti, dont nous n’avons pas réussi à retrouver la trace, mais que ses nombreux écrits engagés laissent imaginer sans peine. (Telle aussi l’intention des extraits théâtraux, dont il ne sera pas fait état). À méditer encore, au delà de l’occasion et de l’anniversaire, alors que la « rentrée littéraire » occupe l’essentiel des médias culturels, comme chaque année désormais – pendant que nombre d’écrivains et en particulier des poètes cherchent en vain un éditeur digne de ce nom…

Cela étant redit, et écrit noir sur blanc, sans animosité aucune ; avec, tout au plus, peut-être une certaine tristesse. Et le regret de ne pas voir disponibles sur papier, en France, les textes d’un certain nombre d’auteurs étrangers considérables, qui n’ont pas eu la chance de s’exprimer dans une langue aussi répandue que l’anglo-saxonne par exemple. Citons encore Pascoli, s’il faut n’en citer qu’un ; ou Saba lui-même, dont Gérard Macé vient de redonner un choix des proses-récits des émouvants Ricordi, racconti. Mais bon : que de grandes maisons d’édition cherchent à préserver l’environnement en économisant les ressources premières nécessaires à la fabrication du papier, doit-on supposer, est tout à leur honneur. Les publications en ligne, après tout, sont faites aussi pour pallier la frilosité de ces vertueux et prudents opérateurs.

Pour des raisons d’espace et de lisibilité, cet ensemble est présenté aujourd’hui en trois épisodes. Il complète, en quelque sorte, l’anthologie Amont dévers qui a également paru ici entre 2016 et 2019

Andrea Zanzotto

 

 

(Sonnet de l’esquive et de la révérence)

 

Bienséances, énoncés épars, suavités
d’insigne code qui vous sied, couverts ombreux...
Code dont lourd, ô bois, tu te délectes
et abondes et surplombes, en naissances putrides...

Laissez partout courir le fil des brides,
liant et défaisant glomes et nœuds...
Désengluez partout forces et gloires, ou modestes
bouillons d’ingrédients, indices, pâleurs...

Pas plus qu’en brise aragne, ou filigrane
douteusement filmé en échos et lueurs,
soit ton esquive, plume, et révérence...

Que rien ne pèse aux rais qui t’en émanent,
prescrivant et tranchant ; à toi réduis,
signe, toi-même, et tes arts défaillants...

Le Galathé au bois, (Hypersonnet, 1978), voir RaP n° 201.

 

 

Andrea Zanzotto, Al mondo.

Giovanni Raboni

 

Représentation de la Croix 

(début)

 

1.ZACHARIE

 

Seuls les muets peuvent parler
des machinations célestes. Moi, Zacharie,
officiant de l’autel des parfums,
je fus visité par un ange, et élevé
incroyablement au rôle de père
dans la fleur de ma décrépitude.
Et pour que, d’un événement si étrange
il fût fait silence, ce fut le silence
jusque dedans ma gorge... Mais lui, l’ange,
parla de nouveau, et cette fois ce fut
à une femme de Nazareth, Marie,
une parente éloignée de mon épouse,
et il lui annonça qu’elle accoucherait
non à cause de son mari, qu’elle n’avait pas encore,
mais à cause de l’Esprit. Ainsi,
à quelques mois de distance l’un
de l’autre, deux enfants
vinrent au monde de manière incompréhensible
et le premier, fils d'Elisabeth et de moi
fut appelé Jean,
l’autre, de Marie et de l’Esprit, Jésus.
Et moi, de tels mystères,
je suis ici pour en dire ce que peut dire
quelqu’un qui bouge en vain les lèvres, un de la bouche duquel
ne sortent qu'avortons de paroles.

 

2. HOMMES ET FEMMES DE BETHLEEM 

 

Mais comment! vous ne savez donc rien ?

De quoi ?

                 Des soldats.

                                          Quels soldats ?

Les soldats d’Hérode.

                                     Hein ? qu’est-ce qu’il dit ?

De quoi parle-t-il ?

                                 Il parle de soldats.

Je parle de ce dont tout le monde parle.

Hérode ? notre roi ?
                                        Taisez-vous un peu,
laissez-le finir.

                            Cela fait plusieurs jours
que les soldats s’attardent dans les villages,
entrent dans les maisons...

                                            C’est vrai!

                                                                 C’est vrai!

Ma femme aussi l’a entendu dire!

L’homme qui porte l’eau
les a vus de ses yeux!

                                     Au marché
tout le monde en parle!

                                        Ils sont si nombreux...

Ils abattent les portes...

Ils fouillent sous les lits, dans la cendre...

Ils cherchent quoi ?

                                  Et que veux-tu qu’ils cherchent ?
comme d’habitude : à manger, de l’argent...

Oh non, ni à manger ni argent. Pire :
ils emportent les enfants.

Tu es fou ? que veux-tu qu’ils en fassent
des enfants ?

                        Moi je sais ce qu’ils en font :
ils les tuent.

                         Comment ? Je n’ai pas compris.
Parle plus fort.

                          J’ai dit qu’ils les tuent.

Ils tuent les enfants!

                                   Mais pourquoi ?

Ordre d’Hérode.

                             Vous avez entendu ?
ils emportent les enfants! ils tuent les enfants!

Ils vont venir aussi chez nous : tiens, écoutez,
on entend déjà le bruit des épées...

Mais pourquoi ? pourquoi ?

                                               Ordre d’Hérode :
dans toute la région
aucun garçon de moins de deux ans
ne doit rester en vie.

                                  Mais pourquoi ?

Ils viennent aussi chez nous!
ils emportent les enfants! ils tuent les enfants!

Pourquoi ? Parce que quelqu’un est allé lui dire
qu’un enfant né dans ces contrées
deviendrait roi à sa place.

Ils viennent par ici! ils nous prennent nos enfants!
ils tuent nos enfants!

Ils arrivent!

                     Je les vois!
                                           Ils sont là
parmi les dernières maisons, au fond de la venelle...

J’entends le bruit de épées! je vois
la lueur des casques et des épées!

 

 

 

 

 

3. ZACHARIE

Tous ces anges, dans si peu de ciel!
L’air est encore convulsé par les ailes
des grands anges de l’annonciation
et déjà plus foncés, plus discrets se hâtent
les mini-anges de l’avertissement :
l’un a pris son vol pour conseiller aux mages
de passer à distance
du palais d’Hérode, un autre vole
vers l’Egypte, il doit trouver Joseph
et lui dire qu’Hérode, l’assassin, est mort,
qu’il peut revenir avec Marie et Jésus
en Israël, à Nazareth, chez lui...
Entre un vol et l'autre, le carnage.

4. UNE FEMME, MARIE

FEMME
Marie! ne pars pas. N’y a-t-il rien
que tu veuilles raconter à une amie ?

MARIE
Oh si, bien sûr je veux. Mais depuis
que nous sommes revenus à Nazareth
tout est si tranquille, si clair,
tout se répète avec tant d’ordre
que je pourrais raconter seulement ce
qui ne se peut raconter : la joie.

FEMME
Pourtant, si je te regarde, j’ai l’impression
que tu as quelque part, qui sait où,
un trésor tellement rare et précieux
que tu as oublié où tu l’avais caché...

MARIE
Trésor ? caché ? tu veux rire!
Mais c’est étrange : j’ai compris tout à coup
que j’ai quelque chose, oui, à te raconter.

FEMME
Tu vois ? j’en étais sûre.

MARIE
                                                  Voici, de temps en temps,
quand je range ou prépare à manger,
il me semble que je réentends une voix
que j’ai rêvée un matin, bien avant
que naquît mon bébé, une voix
qui disait des mots de salut
mais aussi de réconfort, qui essayait
de m’encourager, de me préparer
à je ne sais quelle histoire effroyable
encore à venir : mais laquelle,
justement, je ne sais, je ne me souviens pas,
je me rappelle seulement quelques phrases, ou plutôt
morceaux de phrases : “je te salue,
pleine de grâce” et puis “dans tes entrailles”,
“ne crains pas”, “trône”, “il sera appelé”,
“règnera sur la maison”... Mais ce n’était
qu’un songe - ou du moins c’est ce
que j’ai pris l’habitude de croire
pour demeurer en sûreté
parmi mes douceurs de chaque jour,
pour que rien, pour moi et pour mes chers,
puisse changer...

FEMME
                                                 Au contraire beaucoup de choses
vont changer, tu le sais bien, le bébé
deviendra un garçon,
un homme, s’en ira au loin...

MARIE
                                               Mais pas maintenant,
pas maintenant! Mais dis-moi : si cette voix
je ne l’avais pas rêvée,
si je l’avais entendue vraiment ?
et si, ensuite, Syméon...

FEMME
                                              Syméon ?

MARIE
Oui, un homme, un vieux qui, à Jérusalem,
quand nous avons présenté Jésus,
s’est approché et a dit des choses
que personne n’a comprises...

FEMME
                                           Bon, calme-toi,
ma sœur, c’est un tort de chercher à comprendre
ce que notre cœur
n’est pas encore prêt à supporter.

MARIE
                                          Mais prêt, mon cœur ne le sera
jamais, même pas après, même pas...

FEMME
                                         Ecoute-moi,
ne te laisse pas faire, ne serre pas
cette main qui pointe du futur!
Il est tard : rentre chez toi, ma fille,
et dis à ton mari qu’il me pardonne
si je t’ai retenue dehors aussi longtemps.
A cette heure, j’imagine, il a fini
de travailler ; et le petit Jésus
joue sur le sol à côté du feu
et t’attend, il attend que tu le prennes
dans tes bras et le lèves jusqu’au ciel.

                                                                    Milan, Garzanti, 2000

 

 

Giovanni Raboni, Il dolore.

Photo de une : Patrizia Valduga et Giovanni Baroni.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




ÁLVARO HERNANDO

Introduction et traduction par Miguel Ángel Real

 

 Álvaro Hernando (Madrid, 1971) écrit une poésie qui rentre dans les aspects concrets de l'existence. Lors de la lecture de son recueil “Chicago Express”, publié en édition bilingue espagnol-anglais, sa description noire de la grande ville américaine rappelle d'abord l'émerveillement décharné de l'oeuvre de Lorca “Poète à new-York”, et sous l'influence parfois d'auteurs comme Kerouack ou Bukowski, l'auteur s'acharne dans la recherche d'un temps déchiré.

Mais l'écriture d'Alvaro Hernando s'inscrit aussi dans une réflexion sur la valeur de la parole et sur la puissance de la création, pour nous faire réfléchir sur le vertige de l'existence. Cette recherche autour des mots parle aussi de la difficulté d'atteindre l'autre car le poète sait se déguiser et mentir sans pour autant se détacher d'une noirceur très présente. Toutefois, ses poèmes parviennent avec maîtrise à créer une dialectique qui nous bouleverse, dans ce va-et-vient permanent entre “l'avidité de vivre” et “la seule, majuscule solitude” dans laquelle nous vivons.

Justement: s'il existe un sens dans l'existence il se trouve chez l'être aimé, dans nos rapports verbaux et aussi intimes qui sont dépeints dans sa poésie sans aucun voyeurisme, mais avec le but de découvrir des secrets qui nous encourageraient à poursuivre notre chemin dans la vie.

Álvaro Hernando est un poète qui sait s'effacer pour nous faire mieux voir que la beauté se trouve dans les gens que l'on aime, malgré la peur, la défaite et les cicatrices. Il existe dans son oeuvre une recherche constante du salut qui nous parviendrait seulement grâce à la personne aimée, la seule qui peut nous aider à créer des remparts contre l'absurdité d'un univers qu'on ne sait même pas expliquer à nos enfants.

Voir, aimer, rejeter, décrire, tracer des louanges mais en proposant des vers comme des grains de poivre: regarder le monde tout en voulant l'oublier, même en sachant que ceci est impossible: voici l'essence de l'écriture D'd'Álvaro Hernando, empreinte d'une grande intensité esthétique et philosophique.

 

Dientes de tinta

Ahí me espera el bolígrafo
con los dientes afilados
como las miradas celosas
como las palabras huecas.
Anda prestándome la vida
regalándome palabras
encubriéndome silencios
pero con los dientes afilados.

Siempre me mira al cuello
por si bajo la guardia
nunca muerde la planta de los pies
ni las palmas de las manos.
El cuello, el cuello, el cuello
lleno de pequeñas marcas
fuentes de inspiración y de muerte
el cuello y sus dientes afilados.
El pequeño bolígrafo espera
en las baldosas frías del invierno
en la arena de las sábanas
en el moho del pan.
Ahí me espera el bolígrafo
con los dientes afilados
como las poesías dedicadas
como las palabras no dichas.

Dents d'encre

Le stylo m'attend là
les dents aiguisées
comme les regards jaloux
comme les mots creux.
Il me prête régulièrement la vie
il m'offre des mots
il dissimule mes silences
mais les dents aiguisées.
Il regarde toujours mon cou
au cas où je baisserais la garde
jamais il ne mord la plante des pieds
ni la paume des mains.
Le cou, le cou, le cou
plein de petites traces
des sources d'inspiration et de mort
le cou et ses dents aiguisées.
Le petit stylo attend
sur les dalles froides de l'hiver
dans le sable des draps
dans la moisissure du pain.
Le stylo m'attend là
les dents aiguisées
comme les poèmes dédiés
comme les paroles non dites.

"Mi piel fría", poema perteneciente
a la última parte del poemario "La Herida
Eterna", del poeta Álvaro Hernando Freile.

 

Un pecado

No toques,
no pongas tus dedos en la piel oscura.
Está prohibido.
Eso es carne.
Pega tus dólares a su brillantina,
al tanga, a la zona más sucia y casi al sexo,
al sudor meloso.
Ella puede tocarte, no tú a ella.
Eso es un límite quebrado,
una libertad robada,
un exceso sin paso,
un pecado.

Un péché

Ne touche pas,
ne mets pas tes doigts sur la peau sombre.
C'est interdit.
C'est de la chair.
Colle tes dollars à sa gomina,
au string, à la partie la plus sale et presque au sexe,
à la sueur mielleuse.
Elle peut te toucher, pas toi.
C'est une limite brisée,
une liberté volée,
un excès sans passage,
un péché.

"La guarida", par Alvaro Hernando.

Acta est fabula, plaudite!

Ahora, que reposo entre enemigos
ahora, que la felicidad toca el fuego
ahora, que no hay sangre en la boca de una virgen,
ni monedas de cobre sobre tus ojos,
con todo perdido, claveles en los costados,
y en el pecho,
te pregunto:
¿Qué queda de tu cuerpo y de la hybris?
¿Por qué hay olor a sexo en tu mentira?
¿Para qué te sirvió tu desprecio?
No hay pérdida en la muerte.
Sólo un quejido roto de un niño ya ciego.
Descanso, ahora, y paso
de ser Polifemo a Nadie,
y el tiempo atrapa en su huida al único culpable
al corrupto, al héroe, al santo,
al demonio, al insalvable.
Y cae la máscara, seca,
de un yeso amarillo y muerto.
Todos nos desnudamos ante la muerte,
cada noche,
cuando el público nos juzga
desde el interior del pecho.
Cierra los ojos y duerme,
tu función ha terminado.
¡Aplausos!

Acta est fabula, plaudite!

Maintenant que je me repose parmi les ennemis
maintenant que le bonheur touche le feu
maintenant qu'il n'y a pas de sang dans la bouche d'une vierge
ni des pièces de cuivre sur tes yeux,
quand tout est perdu, des œillets sur les côtés,
et dans la poitrine,
je te demande :
Que reste de ton corps et de l'hybris ?
Pourquoi y a-t-il une odeur de sexe dans ton mensonge ?
À quoi t'a servi ton mépris ?
Il n'y pas de perte dans la mort.
Rien qu'un gémissement brisé d'un enfant déjà aveugle.
Je me repose, maintenant, et de Polyphème,
je deviens Personne,
et le temps rattrape dans sa fuite le seul coupable
le corrompu, le héros, le saint,
le démon, le condamné.
Et, sec, tombe le masque
d'un plâtre jaune et mort.
Nous nous déshabillons tous devant la mort,
chaque nuit,
quand le publique nous juge
depuis l'intérieur de la poitrine.
Ferme les yeux et dors,
ton spectacle est fini.
Applaudissements !

Derrota

 

                  Caminamos de la mano, con nuestro hijo, mostrándole que no todos los astros siguen existiendo, entre escombros de fachadas milenarias que pueden colapsar sobre nosotros.

                  Le mostramos qué es detrás, qué delante, qué antes y nunca después, cuándo agacharse y esquivar el péndulo afilado, cuándo agarrarse al clavo ardiente, cómo poner cara anónima, de desinterés e ignorancia, como evitando el amor y, sin embargo, guardándolo en un pensamiento a punto de expresarse.

                  Le enseñamos cuándo precipitarse contra el cuello de la presa, cómo hundir los colmillos y hablar el lenguaje de la sangre, cómo ocultar el valor de nuestras víctimas, enterrándolas en el suelo helado del olvido. ¿Quién va a buscar en el extravío mismo?

                  Concentrados en la herencia de los pasos, trastabillamos, tropezamos y arrastramos al hijo en la caída.

                  Es el apellido. Es la derrota.

 

Défaite

 

                  Nous marchons main dans la main, avec notre fils, en lui montrant que tous les astres ne continuent pas d'exister, entre les décombres de façades millénaires qui peuvent s'écrouler sur nous.

                  Nous lui montrons ce qui est derrière, ce qui est devant, ce qui est avant et jamais après, quand s'accroupir pour esquiver la pendule aiguisée, quand se faire des illusions, comment faire une tête anonyme, désintéressée et ignorante, comme si on évitait l'amour, et cependant en le conservant dans une pensée sur le point de s'exprimer.

                  Nous lui montrons quand se jeter contre le cou de la proie, comment enfoncer les crocs et comment parler le langage du sang, comment cacher le courage de nos victimes, en les enterrant dans le sol glacé de l'oubli. Qui va chercher dans l'égarement même ?

                  Concentrés sur l'héritage des pas, nous trébuchons, nous faisons un faux pas et nous entraînons notre fils dans la chute.

                  C'est le nom de famille. C'est la défaite.

 

 

Poèmes extraits de Chicago express, (Edition bilingue espagnol-anglais, Pandora Lobo Estepario Productions™, Chicago 2019)

 

"Zozobra" par Alvaro hernando.

Présentation de l’auteur