Amont dévers, douzième livraison

(Voir Recours au Poème 192, fév.2019)

 

 

Quiconque a ressenti un jour le pouvoir des mots, jusqu’à peut-être penser que sa survie pourrait en dépendre – vrais lecteurs, écoliers bouleversés par la parole d’un maître, écrivains, grands malades, prisonniers… – celui-là peine à se satisfaire de ce que l’on voit, entend, touche et ressent dans la vie dite “ordinaire”.

D’où un certain réalisme, on l’a vu, pouvant ouvrir déjà sur un ailleurs. Rien à voir, ou si peu et obliquement, avec l’épouvantail du retour du religieux en notre XXIèmesiècle, sinon que la religion est bien encore là « pour donner un sens à la peur panique, à la faute, à l’espérance » (Pasolini, La rabbia,1962). Une fois de plus, faut-il justifier ce point de vue d’en bas, matériel, ou commun ? Il s’agit de la lecture vivante d’un grand nombre de nos semblables. Donc, pour beaucoup, l’écrit est d’abord moyen de transmission, et sans doute espoir de demeurer pour quelque « au moins un(e) », dans ce passage de relais même, un temps après la disparition corporelle inévitable. 

Isola dei Morti, sur le fleuve Piave (Vénétie)

Et si cela se traduit chez des croyants par la merveilleuse folie du « désir des corps morts » ressuscitant au dernier jour « peut-être non pour eux, mais pour leurs mères,/pour un père, et d’autres qui furent chéris/avant de devenir éternelles flammes » (Paradis,XIV), cela ne gênerait que des fanatiques de conviction différente.La poésie ne s’arrête pas, pensons-nous, à ces querelles – pardon pour le jeu de mots – de clocher ; les conflits, s’ils persistent, y sont d’une autre nature. Mais l’horreur du cadavre, que l’on voit et reconnaît quand même pour un temps, demeure. Et le profond sentiment d’une injustice. Au souvenir des survivants, sans doute, est confiée alors la pérennité et la consistance de cette “petite éternité”, elle aussi provisoire… de simples mots, au fond.

 

  • Là où tout recommencerait

    

            (Le premier sonnet)

En mon cœur j’ai désir de servir Dieu,
comme si j’étais mis au paradis,
car j’ai entendu dire, en ce saint lieu,
jamais ne cessent plaisir, jeu et ris ;
sans ma dame ne voudrais y aller
celle à tête blonde et clair coloris,
et je ne saurais m’éjouir sans elle
si j’étais de ma dame séparé.

Mais je ne le dis pas par intention
d’un qui voudrait y commettre péché,
sinon de voir son beau comportement,
le beau visage et le tendre regard,
ce qui serait grande consolation,
en voyant ma dame être dans la gloire.

                           Giacomo da Lentini, Poesie(première moitié XIIIèmesiècle)

 

 

 

[lombard-milanais ancien]

 

                      

     (Épitaphe)

Mon destin veut qu’ici je dorme avant l’heure,
mais je ne suis mort ; ayant changé d’asile,
je reste en toi vivant, qui me vois et pleures,
si l’un en l’autre les amants s’assimilent.

                                                         Michelangelo, Rime 194        

 

 

                     (Consolation)

 

Courte d'hiver et nuageuse journée
est cette vie mortelle ; dès que l'on naît
commence la mort, et les langes premiers
et le berceau au fatal retour sont prêts.

Une longue vie ne fut jamais plus longue
honte, depuis la naissance. Ah, oui, renaît
toujours le monde le pire, et se repaît
de ce qu'il détruit, s'en faisant belle montre.

Et de larmes la douleur injuste outrage
sont à qui fuit à temps, dont on pourrait dire
à juste titre : il vint, il vit, il vainquit.

C'est ce que je pense du très-jeune et sage
Enfant qui fut vôtre : partant sous l'empire
des armes, à jamais dans l'empyrée mis.

                                                         Angelo Grillo, Rime, 1599

 

* * *

 

À tout petits pas, tu es revenu
sur une raie de soleil : je sens ton souffle
et ta peau, un satin,
j’attends tes paroles.
Et je me trouve à frotter mon nez
contre une raie de soleil.

                                Mario Dell’Arco, Una striscia de sole, 1951      

 

 

Xenia, 4

 

Nous avions convenu, pour l’au-delà,
d’un sifflet, un signe de reconnaissance.
Je m’essaie à le moduler, dans l’espoir
que nous soyons déjà tous morts sans le savoir.

                  S. Montale, Satura, 1971      

 

 

Clusone Danse des morts, Bergamo

* * *

 

Parfois le long encor
du bord de lac allant
encore analogique être
m'aiguillonne : je vois un vieux
raffiot jadis glorieux
à sa petite ancre de chantier
fixé pour désarmement
et de mon cours je vois
la fin. Tout vraiment tout
est consommé là
là je sens déjà mordre et quelque
chose soupire que pas très bien
entends. Je deviens perspicace
je scande : plus léger qu'un bouchon
sur les flots j'ai dansé!

             S. Sinigaglia, Versi dispersi, 1990    

 

 

  [langue minorée de la région de Naples]

 

                                      

  Mère

 

Qu'est-ce que je dois regarder pour sentir que c'est pas si vrai
et réussir à te déplacer dans les tâches ménagères,
à te pousser de nouveau le long des rues. Et entre les lignes
rapprochées des cheveux je regarde les sentes du sous-bois
jauni. Et j'arrive à voir les venelles de Naples,
les années Trente, les chats, les jupes longues d'une jeune fille.
Et tu me dis : tu sais que c'est vrai, toi reste fort et serein,
combien de jours tu as devant toi ! Moi je suis morte le lundi,
tu es arrivé pour me regarder, j'étais une chose vêtue
de l'habit bleu que tu m'avais offert et toute la broderie
du foulard. Si tant élégant, si tant beau.

                                                                 Mario Benedetti, Tersa morte, 2013,

– Version déjà parue sur Poezibao https://poezibao.typepad.com/poezibao/2011/12/mario-benedetti-n%C3%A9-en-1955-anthologie-permanente.html, que nous remercions

 

 

    Nous sommes formés d’eau ma chère amie

 

Nous sommes formés d’eau, ma chère amie ;
il paraît que, séchés et puis filtrés,
mon corps et le tien ne soient, tout compris,
qu’une calme poignée de carbonés.

Encore, chère : on dit que les atomes
sont essentiellement espace creux :
que, si on le soustrait, toi et ma pomme
nous tiendrions sur une pointe à deux.

J’accueille cette nouvelle attendri,
et j’espère que, l’eau étant jetée,
éliminé tout l’espace atomique,

ce qui reste de nous demeure uni,
de manière à toujours pouvoir s’aimer,
bien qu’ainsi à l’étroit ce soit comique.

                           Roberto Piumini, I silenziosi strumenti d’amore, 2014      

 

 

              Ce matin

 

Ce matin, il était six heures,
je me suis réveillée heureuse en pensant
que tu étais au village, à ma place.

C’'était comme de ne plus y être
mais en sachant que tu y vivais, et aimais,
les mêmes choses que j’avais aimées.

Comme il peut être léger de mourir
si toi, petite figure, tu seras moi…

                          Alba Donati, in “Paragone Letteratura”, août-déc. 2014

 

La mort et une vieille, XVème siècle , BNF

 Tout devient vieux si vite

 

Ici vivait un ami, on l'attend toujours
dans la lointaine noirceur des divinités ;
étranglé d'anémie au fin fond du sommeil
une strophe renferme le destin ;
dans une lettre, dans une correspondance
tout devient vieux si vite
et perce les chambres de bitume,
et je ne sais pas encore mon origine.

                                      Claudia Azzola, Il mondo vivibile, 2016

 

 

La porte du fond grince sur ses gonds
depuis des années hors d'usage.

J'ai suivi, les yeux mi-clos,
l'ancien boyau de liaison
en rasant la paroi de pierre
comme si c'était le front moite
des siècles.
Te voilà, à dix ans,
qui traverse avec précaution la montagne
de caisses empilées dans le vieil entrepôt
mal éclairé.
Quelqu'un, à contre-jour, ce pourrait être
le gardien, la joue pressée
contre le chambranle en fer de la porte :
- Allons, sors. Tu ne veux pas voir le futur ? - bredouille-t-il.

Un raccourci que même alors
je trouvai aussitôt inapproprié.

  1. T. Broggiato, Novilunio, 2018

 

 

Comme nous nous sommes habités : tu écris et tu sais
que la vitre ne reflète pas la personne
qui bouge la main et pense dans le sien

à un autre profil. Le mot il écrit
n’a plus d’action, c’est un reflet,
£il se défait en filigrane, avale

des traverses, des grillages, des buissons. L’autre est
dans une silhouette, une solitude
car tous dans cette silhouette

sont vides. L’autre voit des corps vides,
des profils sans chair et aussi des actions
vides et des verbes comme si ce n’étaient pas

des mots, mais poussières qui se heurtent :
la fin des mots. Voilà à quoi ressemble
un reflet, une trace de vide pour dire

seulement dans le passé ils s’étaient habités.
Si on l’appuie à la vitre c’est froid
si le reflet s’appuie aux cheveux

une traîne de lumière et de traverses dans l’iris
devient ongles, buissons, grillages
tout absorbe cette chose réelle

qu’étaient les yeux d’une personne
qui faisait place, une personne
en une autre entrait – l’air

qui nous fait vivre, ne nous laisse pas de pause
– une personne qui tenait dedans
l’autre comme la vitre avant d’être

sable et feu en fusion. Que peut valoir
cette image ? À quel mot semblable
parmi tant d’autres, entre corps et fenêtre ?

Reflet c’est dire nous – comme de se vider.
Peut-être le mot parfait quand, des autres
nous voulons des propagations de nous-mêmes, les faire exister

purs, vitres dans quoi refléter nous-mêmes. Le wagon
tangue, les faces de tous ouvertes, les buissons
et les grillages fondent les visages ou une empreinte.

Une poussière descend dans l’image de cette
personne sans l’habiter, sans se faire habiter
– à présent c’est la silhouette de tous, légère.

Dans la poussière l’autre personne se propage
elle dit âme qui est le vide, pour faire d’eux
une chose unique – le corps et le reflet

peuvent s’habiter, mais pour être rien
de la première personne, juste un autre espace
de la deuxième qui s’allonge, respire

laissant du vide – et le vide est son
pouvoir, la solitude des autres.

Elle s’est brisée dans la vitre, mince,
pour demander un temps vrai…

Ils s’étaient habités.

 

                                                        Maria Borio, Trasparenze, 2018  

 

.

.

.

Tomas Mondragon, Allégorie de la Mort, 1859

  • Les mots la mort 

           Poème pour Adèle

 

   C’est l’hiver.
                            Il neige.

Les doigts sont blancs.

L’esprit est blanc.

   Mon obscure lanterne…

   Des ramiers, dans le frimas,
passent. Plombé-transparents.

   Adeline, tu m’entends ?

   Je suis près du Fort.

   Suis déjà dans la mort.

                                 Giorgio Caproni, Il franco cacciatore, 1982       

 

 

* * *

Les choses mortes
vont alentour ;
comme de croix abandonnées,
pend
ses rayons le soleil.

Oh quand se réveillera
la terre pourtant sèche
de mémoires, l’aride
vent bleuté qu’il la secoue
et quand reverra là son
silence Celui qui de là-haut
a vu tout ?

                               Gino Scartaghiande, Bambù (questioni di provincia), 1988   

 

 

                 Et la mort est en place


J’appelle et l’après-midi fait irruption
Rouge la mort est une blague
Sur ton front je regarde la veine
Délicieusement absurde
Mais un fou rire nous écarte
L’expression se fait exacte
Je ne te reconnais plus
Loin étincellent les dents
Du néant crochus exemples
De nouveau et la mort est en place

                                       Edoardo Cacciatore, Tutte le poesie[2003]

 

 

                      (Requiem)

  1.  

     Âme, perdue déjà, âme chère,
je ne sais comment te demander pardon,
car l’esprit est muet, et si clair,
et il voit si clairement mon être à fond,
qu’il ne sait plus les mots, âme chère,
cet esprit qui ne mérite pas pardon,
et je reste muette au bord de la vie
pour te la donner, pour te tenir en vie.

                                                   Patrizia Valduga, Requiem, 1992
(une version légèrement différente lue au Festival d’Ascona, 2016)

 

 

 

 

Prières pour les morts – elle est toute ici,
ma foi ? Je sais seulement que chaque soir,
c’est ce que je réponds, j’aiguise ma pauvre
vue dans l’obscurité pour découvrir qui

m’attend encore, me fait signe depuis
l’au-delà d’un sec et limpide printemps
de 40, 41, à l’austère
ombre des platanes, et si moi aussi

je pourrai là avec mon corps renaître, ombre
protectrice et tremblante parmi les chères
trois ombres si occupées à converser

que ni les herbes qui le jardin encombrent
ni la lumière tout près de décliner
fait sembler pour elles les dahlias moins clairs.

                                      Giovanni Raboni, Ogni terzo pensiero, 1993    

 

 

              Que ces mots soient écrits

 

Que ces mots soient écrits est nécessaire
Que l’heure de minuit venant du clocher
Batte dans la brume jusqu’à la page jusque
Dans le cerveau de l’homme assis est nécessaire
Il est nécessaire qu’aucun ne s’endorme.

Rien ne sera perdu mais même si cela était
Même s’il n’existait aucun salut[…]

                                                Franco Fortini, Poesie inedite, 1995 

 

 

                               Larmes   

 

En relisant le sixième livre de l’Énéide  
devant ce lac artificiel où les restes d’une église
ne peuvent être rejoints désormais qu’en bateau
je pense à comment résiste dans les siècles
l’image de la maison des morts,
à quel désir pousse les vivants dans la gorge des enfers
seulement pour simuler une impossible étreinte,
à comment les mains que je crois toucher sont des branches
d’yeuses, chênes, sapins – arbres de noël,
espèce inhabituelle sur ces terres.
Dans l’ancien paysage il y avait le fleuve
où les femmes allaient laver le linge.
En étendant les draps sur les pierres
elles racontaient comment les ombres des mères
descendaient tour à tour de la falaise juste pour essuyer
les larmes qui continuaient à couler.

                                                Antonella Anedda, Historiae, 2018.     

 

 

Jacek Malczewski 'La Mort' (Thanatos),“Bulletin du Musée National de Varsovie”, 1985




Andrei Dósa, Poèmes

 

Ici l’arbre de vie c’est le cotonnier
(sur le chemin de la maison)

 

ici tous les jours on rectifie

afin que tout en toi te semble parfait

ici on ajuste le ton de ta voix

les coordonnées de ton prochain pas

ici tu chantes che sara sara

tu danses comme Le troupe de diaghilev

tu te chouchoutes

comme tu respires

ici c’est la réflexologie par centre commercial

ici l’argent et la lâcheté sont mis en balance

c’est ton ombre qui t’entraîne et non l’inverse

ici c’est avant qu’il n’y ait le verbe

ici la sensation et l’assurance de ta peau

dame mort est amnésique

les catastrophes se nient avec véhémence

le mal est une onde plaisante

ici on sécrète la salive

ici tu te dis ce que tu devrais faire

ici tu ne te prends pas la tête

ici tu ne te prends pas la tête

ici l’attente est directement proportionnelle au

chaos

tu te perds et personne ne vient à ta recherche

lá-bas très loin

en toi-même

mon égal

toutes ces choses

multipliées et mixées à l’ínfini

ta voix tes gestes nés d’une crispation métallique

hey buddy u need a ride ?

no I prefer to walk alone thru the desert

the coyote’s howl in my ears

 

 

un bon bang comme chez soi

 

une bouteille de coca le col tordu du papier alu

une épingle nourrice un briquet

du sour diesel ou du purple haze

 

écoute les bons serveurs vont au ciel

les anges s’assoient à leur table

et il y a une règle mon pote le pourboire c’est 150 mini

 

t’imagines le gars qui dépense rien

aux states pas un dollar tape les autres

paie pas son loyer va au supermarché

tous les matins mettre du déodorant

jamais deux fois le même

il rentre en roumanie se paie une dacia logan

 

eh docha ton nom comment ça se prononce

dósa tu vois je prononce mieux que ton père

ton père a dû dire ça un million de fois

il le connaît mieux que yes

 

 

 

TROISIEME JOUR, TROISIEME NUIT
et le jour qui ne vient pas

 

les bacs de verres et d’assiettes arrivent sur le convoyeur

avant j’aimais ce cliquetis ça m’aiguisait les sens

et l’appétit

je passe de l’autre côté du convoyeur

je reçois une goutte d’eau de vaisselle sur la lèvre

je la touche du bout de la langue un réflexe

sans cracher sans essuyer sans me rincer la bouche

les mains qui dégoulinent de sauce de graisse de suie

mélangées d’eau

les serveuses déchargent les plateaux d’assiettes sales

elles font tout de travers une histoire de neurotransmetteurs

sank you véri motch sank you véri motch salauds de français

j’ai eu que cinq dollars de pourboire

t’as vu la femme qui donnait le sein à table puuuutain

si seulement lyman était là chaque fois qu’on disait quelque chose

il sortait une vanne

qu’il avait piquée dans un dessin animé le pauvre

on aurait dit un personnage de dessin animé à la retraite

c’est tellement con

un lave-vaisselle seulement pour le service d’après-midi

la révolte gronde mais de plus en plus faiblement

derrière moi les flammes lèchent la hotte

les cuistots vont me balancer des casseroles par dizaines

riz spécial oncle ben´s

les spaghettis collés au fond des casseroles

le poisson à la poêle tous les trucs gluants

que tu peux imaginer restes fossilisés je creuse

toutes ces couches de friture géologique

j’ai peur des casseroles

je sors les bacs de verres propres

excuse me excuse me mon anglais approximatif

ils dégagent comme pour laisser passer un camion poubelle

je passe entre eux on m’a demandé six fois

ma taille aujourd’hui je redoute une nouvelle vague de clients

j’ai envie de semer cinq cents grammes de clous à l’entrée du parking

je trie les couverts je ne fais pas la différence

entre les petites cuillères à soupe et les cuillères à dessert

les lames des couteaux coincées entre les pointes des fourchettes

les pointes des fourchettes emmêlées entre elles

je redoute une nouvelle vague de clients

japonais européens américains

les mâchoires serrées sous les visages détendus

les yeux imprégnés de la lueur sépia des bougies

et ça mastique et ça mastique et ça avale

et ça mastique et ça mastique et ça avale

les dents toutes les mêmes les ventres japonais européens américains

je vois un type qui entrechoque deux pierres

et j’aurais aimé qu’il reste comme ça au lieu d’évoluer

au lieu d’inventer la société de consommation

de construire des bagnoles d’extraire du pétrole

pourquoi est-ce que c’est moi qui retourne à l’état primitif

à entrechoquer des pierres à tailler un truc informe de plus en plus informe

et n’oublie pas les lavettes les torchons et les serviettes me crie quelqu’un

rayures bleues rayures blanches rayures rouges

rayures jaunes à plier

textures fourchettes assiettes substances graisseuses

je trébuche plateaux assiettes

flammes hottes étagères fracas métallique vapeur

la radio gronde comme une mini centrale électrique

les trucs pour le dîner avec les trucs pour le dîner

les bols à déjeuner avec les bols les couleurs avec les couleurs

les blancs avec  les blancs les assiettes creuses avec les assiettes creuses

les plates avec les plates blanches rouges noires

rondes carrées froides blanches tièdes froides chaudes

au début on l’entend à peine

coudes voix noires sors-moi d’ici s’il te plaît

on se barre c’est pas pour l’argent

 c’est parce que j’aurais trop honte de laisser tomber maintenant

que tout le monde me voie laisser tomber maintenant

balais mouillés brosses les soies qui blessent les talons nus

sors-moi d’ici s’il te plaît je suis un ver

dans une pomme en fer que je voudrais dévorer mais je peux pas

 

 

au bout de deux mois et trois jours (bonus 2)

 

j’essaie de capter son regard

entre les étagères en inox

 

j’en ai la tête qui tourne

je suis crevé pas rasé

 

heather t’aurais pas quelque chose de bon pour moi ?

tu veux que je te serre dans mes bras ?

je sais pas

tu sais pas ce que ça veut dire serrer dans les bras ?

 

elle  le fait à l’autre gâte-sauce pour me montrer

je fais le tour de la cuisine un bond

de quelques mètres et je suis à son côté

 

elle me serre bien fort

contre sa poitrine j’ai les os qui craquent

je sens que tout se remet en place

.

.

.

.

 

 

dupã douã luni şi trei zile (bonus 2)

 

încerc sã-i prind privirea

printre rafturile de inox

 

ameţesc şi de la atât

sunt rupt nebãrbierit

 

heather vreau ceva bun

vrei o îmbrãţişare?

nu ştiu

nu ştii ce e aia o îmbrãţişare?

 

se îmbrãţişeazã cu cealaltã bucãtãreasã sã îmi arate

înconjor staţia mã arunc spre ea

de la câţiva metri

 

mã ţine strâns

la piept

simt cã îmi pune oasele la loc

Présentation de l’auteur




Voix du Québec : Monique Juteau,Pastorale à la rhubarbe

Pastorale à la rhubarbe 
Monique Juteau

 

Tu es là
En cette nuit de juillet
Dans la rhubarbe qui trempe
Un rang de sucre
Un autre pour ton parler-vrai
Tes caries
Tes oreilles décollées
Par les bourrasques du fleuve.

... 

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Présentation de l’auteur




Nouvelles voix : Victor Malzac

PERCUSSIONS

 

Complainte

Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris
S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre
Sur un échafaudage – c’était ma demeure.

Mes poumons étriqués dans la fumée respirent
– Ils ont rénové la gare.

Au pavé fume amour – incartade à la rue
Entre des passants fous. L’arcane à Notre-Dame
A ricané si fort que mes poumons se crispent. –

Mes poumons suffoquaient dans la joie qu’elle inspire
– A la lune, Notre-Dame.

Chaque attaque me vêt d’une angoisse moderne –
– C’est un manteau de cuir solide à l’arc prosterne.
Chaque monument fume et mon visage attaque –

Mes poumons colorés par les fumées s’allument
– Notre-Dame à genoux – j’ai besoin de repos.

 

Peur

        Ma tête FRACASSÉE
        Percute les pavés de sa ville —

        Sa pierre
        Avalait mon manteau
        Tombe –

        Partout percute
        Et coque
        Ma tête en fer poli
        La mare froide mon manteau – sur les pavés s’assèche
        Et mon manteau n’est pas autre chose qu’un lac 
de cuir un lac de pierre un sac à main pour étouffer ma peau ses pores je transpire 
et m’étouffe je transpire en marchant je marche et le soleil et le soleil 
anxiété
        – dans les anciens récits des épopées périmées.

        Percute mon passé
        Dans les pavés des villes –
        Ma tête s’y réverbère. –

 

Pneumonie

        Mes poumons
        se sont craqués dans ma jeunesse —
        Course trop rapide
        et pluie
        – EXPLOSION
        Dans mes alvéoles s'est aspiré un vent mauvais, – un 
vent si mauvais qu'on en soupira deux ans.

        J'ai cru mourir et
        Je n'avais pas treize ans.
        Que le malheur me suffoque – la tête
        Et je t'en serai reconnaissant – tramontane.

        Il pleut encore
        – c'est pas vrai
        il pleuvra donc aussi longtemps
        que ma poésie parle ?

        À peine ai-je craqué mes poumons
        que mon odeur s'en dégage et s'évapore –
        comme les mauvaises pensées qui m'avaient envahi 
dans mes douleurs les plus terrestres et les plus aiguës 
– piqûres et cachets d'aspirine pour cacher à mon corps 
son oubli –
        et l'empêcher d'en adonner les mots.

        Les mots s'emparaient de mes articulations
        Comme des os brisés craquellent –
        et m'ont donné la force insurmontable
        d'aller courir un peu. –

 

Soleil

Le soleil est trop près de moi –
Il me colle à la peau
Comme elle que j’attends depuis mille ans peut-être. –

– Peut-être à mille mètres
L’angle de chaque vague
Percute mes cheveux. –

C’est la force du monde autour de moi
Qui m’accroche la peau comme l’eau des tropiques
Et m’incite à valser.

Tout s’envole –
Sinon moi.

Tout est près
De moi – râle, ma belle mer,
A quoi bon les cris ?

Depuis trente ans j’attends déjà
Pectoraux blancs, chemise ouverte,
Face au vent que je nargue

Aux vagues qui prenaient le risque d’enrager
Et le soleil près de moi –

Râle, à quoi bon les cris ?

 

Pluie dispute

La nuit tombait sur toi sur la fenêtre tombe
En haut de ton immeuble – regarde les volets
Couleur lavande et les oiseaux qui s’envolaient
Du rebord de tes yeux tes cernes des colombes. –

Les bras en croix tu cries – qu’a-t-on fait de tes yeux
Bercés de solitude et fermés près de la
Fenêtre sur quoi tombe la pluie. Car il a
Plu sur Paris ce soir – persistent dans les cieux

Des étoiles. – Tes yeux tombent de la fenêtre
A l’approche du soir, puisque la pluie délave
Les vitraux fatigués de tes cernes. – L’eau claire

Et l’eau sombre ici-bas font des flaques. Peut-être
Est-ce là que la veille à la fenêtre grave
Tu as froissé puis mis à l’eau mes vers ? –

 

 

 

Présentation de l’auteur




Paul Nizan : le cheval de Troie

Normalien, ami de Sartre, militant communiste, philosophe et romancier, Paul Nizan (1905-1940) vivait et écrivait en des temps extrêmement périlleux. Se serait-il engagé dans la Résistance s’il n’était tombé sous les balles allemandes, près de Saint-Omer, en mai 1940 ? Sans doute. De cette vie fauchée dans la fleur de l’âge, il reste cependant quelques livres majeurs de la littérature française d’avant-guerre. Le cheval de Troie est de ceux-là. Moins connu que La conspiration qu’il précède de quelques années, ce roman est la preuve assez parfaite que l’engagement ne nuit pas à la littérature quand il est porté par la plume d’un grand écrivain.

Paul Nizan, Le Cheval de Troie,Edition l’Imaginaire/Gallimard (avec une préface de l’historien Pascal Ory) 

Car Nizan fut un remarquable prosateur capable, tout comme Aragon, de transcender la réalité par des descriptions confinant à l’allégorie, usant avec bonheur de l’analogie pour faire mettre en lumière les rapports secrets entre l’activité humaine et les productions de la nature. Il excellait aussi à croquer en quelques lignes des portraits de militants, à commencer par Antoine Bloyé, le professeur en quête d’un idéal fraternel, l’âme pensante de ce petit groupe d’hommes et de femmes précocement marqués par la dureté des tâches quotidiennes :

 

Le ventre de Berthe gonflait sa robe : sur ses jambes nues se nouaient les serpents violets des varices ; ses paumes tournées vers le ciel portaient les ampoules, les callosités des mains d’hommes. Les yeux de Catherine étaient bordés de rouge ; ses seins étaient vidés. Ces deux corps manifestaient au grand jour par des signes accablants leurs fardeaux, leurs combats. Seuls le corps, les joues, les jambes de Marie-Louise profitaient encore des sursis de la jeunesse. (Page 35) 

 

Car le Nizan de cette période est déjà un romancier du collectif, à l’opposé tant de Sartre et du Roquentin de La nausée que du Gilles de Drieu La Rochelle. Seul Lange, dans ce groupe, est celui qui, par son indécision, se rapproche le plus de ces figures conflictuelles de l’individualisme bourgeois. Nizan veut exalter l’union des prolétaires en vue de faire advenir un monde plus juste. Si ce chemin-là passe forcément par la lutte contre les tenants du fascisme, il implique d’abord l’affrontement avec les représentants d’un pouvoir républicain résolu à faire régner l’ordre et la paix civile par les moyens les plus brutaux. C’est précisément ce qui va arriver par un beau dimanche après-midi, avec un meeting socialo-communiste organisé sur la grande place de Villefranche, commune rhodanienne où se situe l’acmé tragique de cette histoire :

 

La place de la Cathédrale était encore déserte : il y avait simplement des rangées de gardes-mobiles qui s’avançaient vers l’entrée des boulevards ; les officiers commandaient leurs déplacements : sur le terrain pierreux de la place et de l’esplanade qui descendait jusqu’au fleuve, ces gros vers noirs rampaient comme les régiments dans les batailles de la guerre de Sept Ans.  (Page 182)

 Peu ou prou, nous connaissons tous, par les documentaires télévisés et les ouvrages d’histoire contemporaine, ce que furent les années Trente en France, avec leurs cortèges de grèves et de rixes entre des factions aux lignes idéologiques bien marquées. Mais ce savoir théorique ne nous dit rien sur les sentiments éprouvés par ceux qui allaient risquer leur vie face à des policiers mieux armés qu’eux et qui n’avaient – contrairement à ceux d’aujourd’hui – aucune limite déontologique dans leurs moyens répressifs. Pour les connaître, précisément, il faut lire les romanciers, comme Nizan, qui ont pris pour sujet ces luttes sociales sans lesquelles bien des acquis dont nous jouissons aujourd’hui seraient encore en jachère. Alors on comprend mieux le courage de ces hommes et le sens de leur sacrifice. Car ces batailles de rues ne faisaient pas que des blessés mais aussi des morts, surtout du côté des militants.

C’est ce qui advient ici au personnage de Paul, nerveux ouvrier des Lignes des Postes qui sera tiré comme un lapin avant d‘être achevé à coups de pied par les policiers. Cette nouvelle produira un effet de sidération sur ses camarades :

 

Mais quelqu’un était mort parmi eux. Tué. L’adversaire reprenait toute sa taille, la colère reprenait sa sève, la haine sa vertu. Le mot mort, le mot tué étaient des mots qui exigeaient soudain un sens charnel, un sens sanglant, un accent familier. Ils lui donnaient d’abord le sens de la fureur. (Page 209) 

 

C’est à l’hôpital voisin qu’ils iront nuitamment identifier son cadavre. Du reste, la mort plane d’un bout à l’autre sur les protagonistes de ce grand roman prolétarien. Et certaines des pages qu’elle inspire à Nizan confinent à l’insoutenable, tellement elles scrutent les sensations qui accompagnent le processus létal. C’est le cas pour la jeune Catherine qui meurt dans son lit d’une hémorragie pendant que Cravois, son époux, assiste au meeting :

 

C’est l’heure où Catherine fut enlevée par un vertige : elle se sentait basculer en arrière, filer la tête la première au fond d’un abîme d’obscurité, de tourbillons, d’étoiles, elle tombait, et comme elle tombait, pour la première fois depuis son réveil, elle essaya de résister à la mort. Cette résistance exténuée n’avait aucune chance de victoire. (Page 164)

 

Peut-être est-ce  la mort, le véritable cheval de Troie dans la vie incertaine de ces femmes et de ces hommes égarés, bousculés dans un siècle d’airain – qui fut aussi le nôtre. Depuis, d’autres ont repris le flambeau de la révolte contre les injustices et les inégalités ; car l’humanisation de la société – à défaut de changer le monde – est une tâche à poursuivre sans relâche, génération après génération. On aura compris qu’on ne sort pas tout à fait le même de cette lecture, désespéré ou tonifié selon son tempérament.

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Voix du Québec : Martin Payette

L'Eclipse sanctifiée et autres poèmes

 

L’ÉCLIPSE SANCTIFIÉE

 

Ce jour où le soleil 

accablé de bêtise humaine qui par succion

vidait la graisse bienveillante de ses rayons,

ce jour où il a légué l’éclipse 

en guise d’époque à éprouver

j’ai senti : 

...

Publié dans l'anthologie Chant de plein ciel - Voix du Québec

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Présentation de l’auteur




Ali Ashoor : Poèmes

Traducteur : Antoine Jockey

 

 

1-

Quelle faute a commis une chambre dont la fenêtre est fermée, les épaules sans voile et les recoins sans chemise ? Chambre sans chemise ni solitude ni larme.

Chambre dont la fenêtre est fermée, comme son étourdissement dans le regard et dans la simulation des larmes silencieuses. Car la chaise a le dos cassé et les pieds usés. Quelle erreur a commis l’étranger en se livrant au repos alors qu’il n’y a ni lit ni ventilateur au plafond pour évacuer la pluie du front ?

 

1

ما خطأ غرفةٍ مقفلة نافذتها، أكتافها بلا أشرعة وزواياها بلا قميص.
غرفةٌ بلا قميص بلا عزلة، بلا دمعة.

غرفةٌ مقفلةٌ نافذتها، مقفلٌ سهيانها في النظر، في انتحال البكاء الصامت. إذ
الكرسي مكسور المسند و متهالك الأرجل، ما خطأ الغريب في امتهان
الراحة، ولا سرير، لا مروحة في السقفِ تخلي الجبين َ من المطر.

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

 

2-

La porte ouverte est une fatigue, des conditions dont la disparition est une traversée aveugle et le prétendu éclat le … du mutisme.

La fatigue de la porte ouverte est fermée sur son propriétaire, absorbé par la matière de la porte, sa peinture et les rides de son corps froid.

Effrayant est ce qui ressemble à une porte ouverte, telles l’enfance et l’histoire d’amour qui demeure inachevée.

Les histoires d’amour reportées : portes ouvertes ayant oublié les distances parcourues.

 

 

 

2.

الباب المفتوح تعبٌ، أحوالٌ زوالها عبورٌ كفيف، وألقها المزعومُ طمرةُ
الخرسِ، نفاذها عن العابرين ضمورهم.

تعبُ الباب المفتوح مغلقٌ على صاحبه، الممعنِ في مادة الباب و.
طلائه و تجاعيد جسده البارد

مخيفٌ ما يشبه الباب المفتوح، كالطفولة و الحب، وقصة الحب الناقصة على.
الدوام

قصصُ الحبِ المؤجّلة: أبوابٌ مفتوحةٌ نسيت مسافات المسير.

 

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

3-

L’inconnu de la porte te ramène aux tendres passages dans les chambres de la présence. Telle une main, telles des lèvres, tel un cri précédant la naissance. Le lieu te ramène à sa façon d’être rangéen fonction des scènes et des pas.

Tu refuses de lui répondre, renvoyant votre relation amicale à ses couleurs. Le blanc dans l’erreur et le noir dans les noyés.

 

 

3.

يعيدك مجهول البابِ إلى المعابر اللينة في حُجَر المثول. كيَدٍ، كشفاه ٍ،.
كصراخٍ سابقٍ للولادة. يعديكَ المكانُ إلى ترتيبه بمقاسات المَشَاهدِ المترددة
على الخطوات

ترفضُ إجابته مؤجّلاً علاقة الألفة إلى ألوانها. الأبيضُ في الخطأ و الأسود.
في الغرقى

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

4.

Tu mets chaque chose à sa place : les vêtements, les livres, le flacon de parfum et le cahier. Les places te renvoient l’état de leurs propres choses : la poussière, les couleurs, les jours, le vide, le long arrêt, la cécité et l’inutilité. Et lorsque tu quittes la chambre, les lieux rangent bien leurs choses et couvrent le cœur de ton semblable de départs.

 

 

4.

تضع أشياءك في الأماكن المخصصة: الملابس، الكتب، قارورة العطر، 
ودفتر الكتابة. تبادلك الأماكنُ وضع أشيائها: الغبار، الألوان، الأيام، الفراغ، .
الوقوف الطويل،عماء الوقوف، واللاجدوى. وعند خروجك من الغرفة،
توضّب الأماكن أشياءها جيداً، تغدقُ قلبَ شبيهكَ بالخروج

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

5.

Stérile, le lieu familier qui ne fait pas de toi un étranger

 

 

5

مكانٌ أليف لا يجعلك غريباً مكانٌ عقيم.

 

 

 

∗∗∗∗∗∗

 

6.

Tu reviens à la réalité, à ton lien aux autres qui demandent des réponses ou qui menottent les relations et les sentiments. Tu reviens et le passant dont le passage s’épanouit par ton silence, ne revient pas. Il revient et tu ne reviens pas, tu demeures inchangé, dans la chambre de l’enfance tu te conformes aux recommandations de ta mère en rangeant tes jouets et en te préparant à une douche rapide. Tu demeures et ton semblable qui court dans les scènes de la mémoire, dans les miroirs et les tracas, ne demeure pas. Il renouvelle le délire des premiers désirs.

 

Voici l’histoire de ta vie :
Passant
             Entre deux semblables
                                                    Et un enfant.

 

 

 

6.

تعود إلى الواقع، ما يجمعك بالآخرين من متطفلي الأجوبة ومقيّدي العلاقات
والمشاعر. تعود ولا يعود العابر الذي ينمو عبوره بصمتك. يعود ولا تعودُ،
تبقى كما أنت، في غرفةِ الطفولة تؤدّي وصايا أمك من ترتيب الألعابِ وتهيئ .
جسدِكَ لاستحمامٍ سريع. تبقى ولا يبقى شبيهُكَ الراكضُ في مشاهدِ الذاكرة
 والمرايا والهواجس. يجدد هذيان الرغبات الأولى 

هذه سيرة وجودك
عابرٌ
 ما بين شبيهينِ         
و طفل  .                       .                  

 

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Opus 9 : Noces Rouges de Claude Chabrol

1

L’amateur connaît La Raie de Jean-Baptiste Chardin, certains avouent leur préférence pour le chat, marbré gris et blanc, à gauche de la toile rougeoyante : pattes avant tendues pour paraître plus grand, il arque son dos et se hérisse pour paraître plus gros – il a peur – les huîtres ouvertes l’effraient et aussi les poissons canés – serait-il à renier sa félinité ? ou critique-t-il la composition en instinctif nature-mortier ?

.

Jean-Simeon Chardin, La Grande raie, 1728, Musée du Louvres

 

Revoir les amants des Noces Rouges de Claude Chabrol, c’est revoir le chat peint par Chardin. Eux aussi en connaissent un bout de la vanité : ils se sont tant regardés en train de s’embrasser. Ils se sont plongés dans leur miroir, ils se sont vus à la fois purs et morts – alors qu’alentour, tout est non point mort, mais naturalisé, non point pur, mais politiquement épuré. Ils ont peur de cet alentour, peur qu’ils se partagent, s’épousant comme tenon et mortaise, pupilles dilatées, nez enchifrenés, peau qui luit, mélange charogneux, charogne belle, bellement répulsive, rouge noce.

 

2

Si nous pouvions dormir, se disent Lucienne Delamarre et Pierre Maury qui s’étreignent, chacun gobant la luette de l’autre qui entre les dents émet un pet d’enfant. Ils se dévorent, ils grimacent. On se croirait à Ostende quand James Ensor la masque de grotesque et que la langue d’Émile Verhaeren emmasque le geste du peintre. Mais nous ne sommes qu’en épaisse province française au lieu seulement défini par le kilométrage qui l’éloigne de Paris. Où sévit la même méchante bouffonnerie, humide et froide et bleue.

Les baisers grognés des amants de Noces rouges n’échappent pas à ce ridicule – et pourtant s’en séparent comme une marge sait le faire de sa page – car les bas de soie roulés la braguette béante - oui, cela je l’entends, je l’ai entendu - émettent la sourdine dissonante, le chahut aphone et hébété, d’un si irrépressible désespoir, qu’à contre-cœur laisse entendre Art Pepper dans ses pièces les plus amoureuses du bonheur.

Si nous pouvions dormir, se disent-ils. Ce ne serait pas rêver que dormir - car le rêve est moins le lieu du désir réalisé que de la société continuée. Dormir ou la sensation ombreuse et chaude enveloppant le cerveau, et par suite le corps tout entier - comme s'il était ceint de coton rose imprégné d’héroïne - sans la sujétion, sans la santé, sans rien.




Ping-pong : Viviane Ciampi, poèmes et propos sur la traduction

En ce qui concerne ma poésie, j’ai principalement deux lignes : je passe d’une poésie presque classique à une poésie plus fracturée, concassée, broyée, bousculant la syntaxe à l’occasion. J’écris souvent autour du chaos, du non-dit. Mais je préfère me présenter avec les mots de Bernard Noël : « elle se caractérise par l’écoulement discret d’une blessure ». Quant à cet écoulement, je préfère qu’il dévale les pentes de la poésie avec légèreté, mine de rien. Parfois, j’aime dérouter le lecteur en disant des choses dramatiques de façon presque cocasse.

Pour ce qui concerne le bilinguisme et la traduction, il faut dire que j’ai grandi en me « babélisant » en italien et en français dans une grande maison (à Lyon) où vivaient mes parents, grands-parents et arrières-grands-parents. Mon arrière-grand-père (Toscan de Pise), avait fui le fascisme, entraînant toute la famille à Lyon. Mon père était chanteur, il remplissait la première partie du tour de chant de Charles Trenet (à l’époque, son rôle était celui de « chanteur fantaisiste » ). Ma mère (un temps, danseuse classique) est Lyonnaise ; de son côté on ne parle que le français. Je ne remercierais donc jamais assez mes grands-parents qui m’ont fait le plus beau des cadeaux : celui de deux langues maternelles, de deux cultures, de deux passeports. En plus, les trois mois d’été se passaient en Toscane, cette Toscane qui a toujours été mon « outil à percevoir » ! Puis, par amour d’un homme, je me suis octroyée le voyage inverse de mes grands-parents et je vis en Italie depuis le début des années soixante-dix, à Gênes, ville merveilleuse et tragique qui a vécu les enlèvements et les assassinats des Brigades Rouges, le G8 de toutes les violences, et dernièrement, l’effondrement du Pont Morandi avec 43 morts. Mais c’est aussi la ville des poètes Campana, Sbarbaro, Montale et Sanguineti, d’auteurs-compositeurs comme Lauzi, Bindi, Paoli et surtout de notre Brassens italien : Fabrizio De Andrè.

Habiter ces deux langues, ces deux cultures, m’a donc conduite sur les chemins de la traduction, de l’italien au français et du français vers l’italien. Contrairement à ce que beaucoup croient, il ne suffit pas d’être bilingue pour devenir traducteur, loin s’en faut. Cela peut aider, mais sans plus. Il y a constamment dans le sujet bilingue une appropriation et une désappropriation par l’autre langue, l’expérience de l’altérité du langage. S’il est vrai que la traduction ne rendra pas l’exactitude du texte original, elle met en contact des cultures parfois lointaines et cela a quelque chose de miraculeux. Lorsque je vois dans les festivals un poète palestinien se mettre à l’écoute d’un poète israélien grâce aux traducteurs, je me dis que là il y a sans doute quelque espoir dans le processus de paix. « Sans la traduction, disait George Sterne, nous habiterions des provinces aux frontières du silence ».        

On me demande souvent si j’aime me traduire. Non, même si je le fais pour des questions pratiques, ce serait étrange pour moi d’avoir recours à un traducteur. Cela ne m’est arrivé qu’une fois, pour quelques poèmes en revue grâce à un excellent poète (Raymond Farina) qui me l’avait demandé. S’auto-traduire, disais-je, quelle expérience de dépaysement ! C’est comme répondre à l’invitation de son alter ego, on commet des petits crimes de dédoublement. Il faut plonger au plus profond de soi. Devenir un peu spéléologue ou si vous préférez psychanalyste allongé sur son propre divan !

Il m’arrive par exemple, comme dans mon dernier livre en version bilingue Du bleur autour / Azzurroattorno, édité chez Plaine Page, d’avoir quelques passages qui surgissent directement en français et bien sûr, en italien, tous les problèmes de la traduction se posent, y compris la question de son irréductible fragilité. Soudain, sans savoir pourquoi, d’autres passages demandent à être accouchés d’urgence in primisen italien et si quelque chose cloche en français (et les traducteurs savent qu’il y a souvent quelque chose qui ne « claque » pas assez dans l’autre langue) il me faut jouer d’astuce… changer ma peau de serpent, sauter dans l’autre rive et vite, et hop, ajuster, bidouiller un mot, prier saint Jérôme, jouer au chat et à la souris avec tel vers, tel autre.      

 

Ah, quel beau tango entre la cible et la source ! Il m’arrive aussi de me trahir, de faire un pied de nez à l’autre moi qui parle dans ma tête comme un perroquet.

Quand le livre est terminé je ne sais plus à la fin sur quel bord j’avais commencé.   

 

 

 

Poèmes Traduits de l’italien par l’auteure

 

 

Je sais que souvent
en compagnie de l’amour
nous comblons la gravité.
Je sais que notre voix
disparaîtra dans son double.
Je sais que ta bouche
est le refuge préféré
de l’alphabet silencieux.
Parle-moi comme au nuage égaré
écris-moi une lettre imaginaire.
Laisse tomber le sexe,
brise les chaînes.
C’est nous le feu.

InPerturbamenti, Ed. Joker

 

 

 

 

 

So che spesso                                        
in compagnia dell’amore            
colmiamo la gravità.                              
So che la nostra voce                                         
sparirà nel suo doppio.                           
So che la tua bocca                                
è il rifugio preferito                                
dell’alfabeto silenzioso.           
Parlami come alla nube smarrita   
scrivimi una lettera immaginaria.          
Lascia perdere il sesso,                              
rompi le catene.                        
Siamo noi il fuoco.                                                      

 

 

Les choses

 

Étrange que le monde soit là par hasard.
Un éclair de temps à autre
et combien de haies.
Les choses ne s’expliquent pas
tu les prends entre les mains
tu les nommes
tu les fais dormir
il te semble qu’elles respirent
– et peut-être qu’elles respirent –
mais elles ne s’expliquent pas.
Étrange que le monde soit là par hasard.
Le calme n’est pas son domaine
et si ce n’est le calme…
Les flammes, encore
comme matière de chaque enfer.
Les gens traversent les lignes du sommeil
ils vont outre les barrières de l’aube
plantent les clous du futur.
Les sirènes, de l’intérieur.
Une ombre arrive parmi nous, frissonne.
L’huile qu’elle renverse.

(Inédit)

Le cose

 

Strano che il mondo sia qui per caso.
Un lampo ogni tanto
e quante siepi.
Le cose non si spiegano
le prendi fra le mani
le porti a dormire
ti sembra che respirino
– e magari respirano –
ma non si spiegano.
Strano che il mondo sia qui per caso.
La quiete non è il suo ambito
e se non è la quiete…
Le fiamme, ancora
come materia di ogni inferno.
La gente attraversa le linee del sonno
va oltre le sbarre dell’alba
pianta i chiodi del futuro.
Le sirene, dall’interno.
Un’ombra arriva tra noi, rabbrividisce.
L’olio che rovescia

 

 

Svuotatemi

 

svuotatemi dall’oscuro (zac!)
svuotatemi dall’oscuro
come si svuota un pesce (zac!)
datemi cose semplici
corde per stendere
fiori modesti
parole di piccoli voli
ma di piccoli voli nell’intensità
fate che entri nella poesia
d’un paese di sorgenti
una poesia di calmo procedimento
libera da tutto
di pochi aggettivi
senza titoli né maiuscole
tagliatemi la lingua brava gente (zac zac!)*
suvvia  tagliatela
quando mi disabito
– imbecille –
per qualche eccesso di grandiloquenza (e zac!)

 

Videz-moi

 

videz-moi de l’obscur (zac !)
videz-moi de l’obscur
comme on vide un poisson (zac !) 
donnez-moi des choses simples
des cordes à linge
des fleurs modestes
des mots de petits envols
mais de petits envols dans l’intensité
faites que j’entre dans le poème
du pays des sources
un poème de calme procédure
libre de tout
de peu d’adjectifs
sans titre ni majuscules
coupez ma langue bonnes gens (zac zac !)
allez allez coupez coupez-là
quand je me déshabite
– imbécile –
pour quelque excès de grandiloquence (et zac !)

Anthologie Voix Vives 2017, Ed. Bruno Doucey

 

 

ombre de mots
profonde semence
semis de mots
n’est plus ombre
que vaillent les mots en ombre
pour semer au plus profond
profonde semence le mot
mot sème mot
sème mots de mots
que toujours vaille le mot
mot après mot
sème-le toi-même le mot
sème-le toi-même semeur si tu m’entends
sème mot profond
sinon le silence
est plus désirable 

Anthologie Voix Vives 2018, Ed. Bruno Doucey

 

 

 

Ombra di parola

 

ombra di parola
semina profonda
seme di parole
non è più ombra
valgano parole in ombra
per seminare nel profondo
profonda semina la parola
parola semina parola
semina parola di parola
valga sempre la parola
valga parola dopo parola
seminala tu la parola
seminala tu seminatore se mi senti
seminala profonda
se no il silenzio
è più desiderabile

 

Parole di schiena 

 

nutrono al di dentrole parole poiché dentro
è meno che al di dentro
                    sei l’oste delle parole ardono l’ossa loro (oh)
disponi le parole di schiena o in piedi ma in piedi contro (quel)
pronunci parole meno infingarde come agire (tu)
agisci attraverso parole agenti (tu)
metti i tappi auricolari alle parole (tu)

goffe parole spezzano le catene dell’essere (e)
una poesia è un pube arruffato di parole sonore (che)
le parole tue viaggiano di contrabbando nella nullafacenza (o)
scrivi caos ma caos tuttavia senza pathos eccessivo (poi)
dici questo dici io dici tu dici come forano gli occhi le parole (ahi)
e il mare magari tesserà parole come tragedia (come)
accade tuttavia che un’antica notte di parole            (molto)
malattia crisi sintattica dici guarda di’ le parole (c’è)
sogni parole che scorticano spolpano attingono il reale (behlì basta una parola per ingozzarsi l’anima (ahhhh)
quando credi d’aver detto tutto la porta sbatte dietro le parole
sbatte dietro le parole sbatte dietro le parole fa

                                                                      CLAC !

 

Mots de dos

 

ça nourrit au-dedansles mots car dans
c’est moins qu’au-dedans
               tu es l’hôte des mots leurs os brûlent (oh)
tu disposes les mots de dos debout mais debout contre (ce)
tu prononces des mots moins mollassons comme agir(tu) 

agis à travers des mots agissants (tu)
mets des boules quies à tes mots (tu) 
des mots gauches peuvent briser les verrous de l’être (et)
un poème est un pubis ébouriffé de mots sonores (qui)
tes mots voyagent-ils dans la contrebande la rienfoutance (ou)
tu écris chaos mais chaos toutefois sans pathos excessif (puis)
tu dis ça tu dis je tu dis tu mince ça pique les yeux les mots (aïe)
et la mer peut-être tisse-t-elle le mot tragédie (comme)
il se trouve toutefois qu’une très ancienne nuit de mots (très)
maladie crise syntaxique tu dis tiens dis-donc les mots (y a)
tu rêves de mots qui égratignent balafrent atteignent le réel (bon)
et là il suffit d’un mot pour se goinfrer l’âme (ahhhh)
quand tu crois avoir tout dit la porte claque derrière les mots
claque derrière les mots claque derrière les mots ça fait

                                                                              CLAC !

(in Domande Minime Risposte, Ed. Le Mani, Recco )

 

Quando arriva arriva. Non cammina corre paesaggio in lei diretto. Prova del respiro votata alle partenze nessuna smorfia di disgusto per le lontananze da dove veder scendere la pelle. Che ritorno nei luoghi del non detto e si nota non c’è che dire eh già. Commenti rimandati è evidente che scintilla ovunque quando infila gli scivoli della sera. Ma quella porta in fondo al corridoio bisogna che pensi a evitarla. La stanza ha dichiarato guerra: Troppo fisse le parole d’amore troppe e incerte sul lenzuolo non quelle nate dalla bocca del tuono oppure solo il tempo d’una notte poi c’erano tutte quelle da dire ad occhi aperti senso delle proporzioni non salvato.              

 

Quand elle vient elle vient. Ne marche pas elle court paysage dans elle directo. Pratique du souffle abonnée aux départs sans moue de dégoût pour les lointains d’où voir la peau descendre. En voilà un retour aux lieux du non-dit et ça fait du bruit oh ça. Commentaires pour après il est évident que ça scintille partout quand elle glisse dans les toboggans du soir. Mais cette porte-là au fond du couloir faut qu’elle pense à l’éviter. La chambre a déclaré la guerre : Trop figés les mots d’amours trop  flous à même le drap pas ceux qui naissent dans la bouche du tonnerre ça marchait une nuit et encore il y avait tous ceux qu’il aurait

fallu dire yeux ouverts sens des proportions qu’elle ne sauve.

(Fragment d’après Du bleu autour / Azzurro attorno, Ed. Plaine Page)

 

***

 

2 Poèmes audio performés

 

le ore

 

Lamiere copertoni / clacson / l’autunno di ascoltarenel fitto del fogliame bagnato nel groviglio banda larga web / clacson / calo degli zuccheri treni in arrivo intera vita di treni cento piccoli fari / clacson / birre computer tua carne incerta Dylan Bob lingue bingo banche banche banche l’economista Peter Pan spiega: il mix trarischio e rendimento è tutto sommato alquanto scoraggiante tam tam perfetto paesi in rovina epoca di atleti in provetta / clacson / frantumi / clacson / certi vuoti d’incontri s’invita a rimuovere si scorta il variare / clacson / il tutto tra riti e simboli non più di moda oggi clacson / clacson / clacson…

 

les heures

 

Tôles pneumatiques / klaxon / lambeaux de écouterdans l’épaisseur du feuillage mouillé dans le fouillis haut débit web / klaxon / manque de sucre trains en gare vie entière de trains cent petit phares / klaxon / bières ordinateurs ta chair incertaine Dylan Bob langues bingo banques banques banques l’économiste Peter Pan explique : l’union entre risqueet rentabilité est somme toute plutôt décourageantetam tam parfait pays en ruines époque d’athlètes en éprouvette / klaxon / débris / klaxon / on fait de ces vides de rencontres on invite à zapper on accompagne le changement / klaxon / le tout entre rites et symboles plus tellement à la mode aujourd’hui klaxon / klaxon / klaxon…  

(in Aria e di terra, Ed. Fili d’Aquilone, Rome.)

 

1.

L’orizzonte --- è --- un --- frammento --- di--- poesia--- in--- eccedenza ---

l’horizon --- est --- un --- fragment --- de --- poème --- en --- excédent ---

 

2. le ore

 

Lamiere copertoni / clacson / l’autunno di ascoltarenel fitto del fogliame bagnato nel groviglio banda larga web / clacson / calo degli zuccheri treni in arrivo intera vita di treni cento piccoli fari / clacson / birre computer tua carne incerta Dylan Bob lingue bingo banche banche banche l’economista Peter Pan spiega: il mix trarischio e rendimento è tutto sommato alquanto scoraggiante tam tam perfetto paesi in rovina epoca di atleti in provetta / clacson / frantumi / clacson / certi vuoti d’incontri s’invita a rimuovere si scorta il variare / clacson / il tutto tra riti e simboli non più di moda oggi clacson / clacson / clacson…

les heures

Tôles pneumatiques / klaxon / lambeaux de écouterdans l’épaisseur du feuillage mouillé dans le fouillis haut débit web / klaxon / manque de sucre trains en gare vie entière de trains cent petit phares / klaxon / bières ordinateurs ta chair incertaine Dylan Bob langues bingo banques banques banques l’économiste Peter Pan explique : l’union entre risqueet rentabilité est somme toute plutôt décourageantetam tam parfait pays en ruines époque d’athlètes en éprouvette / klaxon / débris / klaxon / on fait de ces vides de rencontres on invite à zapper on accompagne le changement / klaxon / le tout entre rites et symboles plus tellement à la mode aujourd’hui klaxon / klaxon / klaxon…  

(in Aria e di terra, Ed. Fili d’Aquilone, Rome).

 




Beatritz : le Dolce stile Novo revisité de Mauro de Maria

traduction de Marilyne Bertoncini

Ecrit entre mai et décembre 2015, Beatritz (forme provençale du prénom Béatrice, idéal de la femme aimée) est un livre cultivé, à savourer à plusieurs niveaux. Tout comme les poètes du Stil Novo, en effet, dont il se sent héritier, Mauro di Maria  travaille dans ses vers la recherche d'une expression raffinée  et d'une poésie cultivée et précieuse. Il nous propose de revisiter ici l'un des thèmes de la grande lyrique courtoise italico-provençale des 13ème et 14ème siècles à travers une recréation de l'image idéalisée de la femme aimée et de sa transformation en figure angélique.

 

Beatritz, Book Editore, 2017

La référence aux communes sources provençales, germaniques et italiques est prégnante à travers la déclinaison du thème de la Madonna/Midons/Minne : les ombres de Rimbaut de Vaqueiras (cité dans un précédent recueil, Salutz), la Béatrice de  Dante, de toute évidence hantent ces vers...   Le livre  mêle également à cette image de nombreuses citations bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament, tandis que l'épigraphie porte une évidente référence à la topographe florentine, du temps de l'Alighieri à aujourd'hui, comme le rappelle le préfacier, Giuseppe Marchetti.  Une vue cavalière de la ville ouvre d'ailleurs le recueil.

Outre le thème, la forme poétique choisie est elle aussi une tentative de renouvellement formel de la lyrique médiévale : ainsi des annotations aux vers sont-elles regroupées sous forme de razos , comme dans les textes provençaux, où ils proposaient à l'auditeur/lecteur des clés pour mieux pénétrer le sens thématique des poèmes. Certains poèmes encore sont reliés par le biais de la  coblas capfinidas, procédé caractéristique de la poésie de langue d'Oc : ainsi, entre les poèmes XIV et XIV, le mot "image", ou bien le mot "toi" entre les poèmes XXVII et XVIII, sont-ils répétés à l'identique,  le dernier mot d'un poème servant d'incipit au suivant, selon une forme d'anadiplose.

Le poète, au fil de ses vers mélodieux, mêlant archaïsme et modernité, recrée son propre chant de troubadour :  à l'amour idéal de la femme se superpose sa  foi dans l'art et la poésie, qui transcende la dégradation du temps, donnant toute leur résonance de modernité à ces poèmes.

 

VIII

 

                                    Morbide e senza peso

                                    le mie parole a te

                                    appoggiate nell’aria

                                    come quelle dell’angelo annunziante

                                    la grazia di Maria

                                    dorate ed istoriate

                                    su una pala d’altare trecentesca

                                    e impresse in negativo sulla carta

                                    solo dal fuoco a stampa del tuo sguardo

                                    anche se hai fatto la tua scelta

                                    e nulla può mutare

                                    e non ti tocca il suono

                                    della verga che spezzo col ginocchio,

                                    anche se fai che tutto a te converga

                                    senza che una parola

                                    esca dalla tua bocca

 

VIII

 

Douces et impondérables

mes paroles vers toi

suspendues dans l’air

comme celles de l’ange annonçant

la grâce de Marie

dorées et historiées

sur un retable du trecento

imprimées en négatif sur le papier

par le fer rouge de ton regard

même si ton choix est fait

rien ne peut le changer

et ne te touche pas le son

de la baguette brisée sur mon genou((cette image se réfère à l’épisode du mariage de la Vierge, raconté dans Le Livre de Jean,  évangile apocryphe, puis dans la Légende dorée de Jean de Voravagine, au XIII° siècle. 
Tous les descendants de David  avaient été convoqués par le grand prêtre,  lorsque Marie eut 14 ans, en vue de l’obtenir en mariage. Chacun déposa une baguette sur l’autel et attendit le signe divin qui désignerait l’élu. Celle Joseph fleurit indiquant qu’il était choisi. L’un des prétendants rejetés réagit en  brisant sa baguette. (note du traducteur))),

même si tu fais que tout vers toi converge

sans qu’une parole

sorte de ta bouche

 

XIV

 

                                        Oblio senza confini

                                        per non accorgermi che esisti

                                        e se non basta scalerò le vette

                                        che s’imprimono ai cieli

                                        dove il silenzio domina

                                        a perdita d’occhio

                                        sebbene sia un inganno

                                        perché il suono pervade ogni mezzo

                                        e in ogni mezzo giunge l’eco

                                        delle tue palpebre

                                        che s’aprono e si chiudono;

                                        solo una stanza debitamente

                                        preparata, depurata di tutto

                                        può ospitare il nulla assoluto

                                        tranne forse il ronzio di sottofondo

                                        snidato solo da strumenti

                                        d’estrema precisione

                                        che la scienza identifica

                                        con l’esplosione primordiale

                                        che ha originato il mondo

                                        ed ancora ci giunge

                                        senza vagliare il dubbio che si tratti

                                        del pensiero di Dio e della sua indagine

                                        sul metodo migliore per separare

                                        luce e buio, creare gli elementi

                                        della vita uno ad uno

                                        ed infine la donna a tua immagine

 

XIV

 

Oubli sans limites

pour ignorer que tu existes

et si c'est insuffisant je gravirai les cimes

qui s'impriment aux cieux

où règne le silence

à perte de vue

même si c'est un leurre

car le son pénètre tout milieu

et dans chaque milieu parvient l'écho

de tes paupières

qui s'ouvrent et se ferment ;

seule un chambre dûment

préparée, épurée de tout

peut accueillir le néant absolu

sauf peut-être le bruit de fond bourdonnant

débusqué uniquement par des instruments

d'une extrême précision

que la science identifie

comme l'explosion primordiale

qui a donné naissance au monde

et nous parvient encore

sans envisager le doute qu’il puisse s'agir

de la pensée de dieu et de sa recherche

de la meilleure méthode pour séparer

lumière et ténèbre, créer les éléments

de la vie un à un

et enfin la femme à ton image                              

 

XV

 

                                      Immagine fissata sulla retina

                                      che dicono trattenga ancora luce

                                      anche dopo la morte tissutale

                                      ed è così che resterai con me

                                      sotto la terra, corpo a due dimensioni

                                      che non potrò toccare

                                      ma protetto nell’urna delle palpebre,

                                      mentre tu sempreviva

                                      spargendo perle ai porci

                                      camminerai sul suolo degli umani

                                      con un sonaglio alla caviglia

                                      perché ti possa udire anche da sotto

                                      nel mio corpo percorso dal tempo

                                      e dal tempo corrotto

 

XV

 

Image fixée sur la rétine

dont on dit qu'elle retient encore la lumière

même après la mort des tissus

c'est ainsi que tu resteras avec moi

sous la terre, corps à deux dimensions

que ne je pourrai toucher

mais protégée dans l'urne des paupières,

tandis que toi, vivace

distribuant des perles aux porcs

tu marcheras sur le sol des humains

une clochette à la cheville

pour que je puisse t'entendre même dessous terre

dans mon corps parcouru par le temps

et par lui corrompu

 

XXVII

 

                                       Collezione di versi e di varianti

                                       e silenzi di creta da plasmare

                                       nell’attimo sospeso all’interstizio

                                       fra la penna e la carta

                                       perché la poesia è un flusso

                                       ininterrotto ed il sangue un lontano

                                       e mortale riflesso dell’utopia

                                       concreta che la eterna

                                       e del verbo divino e primigenio

                                       non ne fa emulazione

                                       ma tersa identità

                                       come alla trinità l’incarnazione

                                       che confuse la terra con il cielo

                                       per una sola volta e nulla più

                                       se si vuole archiviare per casuale

                                       il vortice silente delle piume

                                       d’ignota identità e tassonomia

                                       che balenò nell’aria

                                       quando arrivasti tu

 

XXVII

 

Collection de vers et de variantes

et silences d'argile à modeler

dans l'instant suspendu à l'interstice

entre la plume et le papier

parce que la poésie est un flux

ininterrompu et le sang un lointain

et mortel reflet de l'utopie

concrète qui l'éternise

et du verbe divin et premier

elle ne fait pas concurrence

mais pure identité

comme à la trinité l'incarnation

qui confondit la terre et le ciel

pour une seule fois et rien de plus

si l'on veut archiver comme fortuit

le tourbillon silencieux des plumes

d'identité et taxonomie inconnue

qui resplendit dans l'air

lorsque tu arrivas, toi

 

XXVIII

 

                                       Tu, seconda persona singolare

                                       d’una lingua di terre temperate

                                       se non fosse che il clima è cambiato

                                       e che la cima della torre

                                       ora potrebbe stare a pelo d’erba

                                       dove il tuo piede s’è posato;

                                       confondere gli idiomi fu un abbaglio

                                       perché il nodo alla gola

                                       che a chi ti si avvicina incaglia il fiato

                                       non è altro che il moto sommesso

                                       delle corde vocali

                                       che dello stesso incanto osano il suono

                                       qualunque sia la timbrica fonetica

                                       che la babelica condanna

                                       ha originato, così di bocca in bocca

                                       rasentando la sfera terracquea

                                       passa la litanìa che ti racconta

                                       come miracolo mostrato

                                       anche a chi non ti vede e non ti tocca

.
.
.

 

XXVIII

 

Toi, deuxième personne du singulier

d'une langue de terres tempérées

s'il était arrivé que  le climat ne change pas

et que le sommet de la tour

maintenant pourrait être à ras de l'herbe

où s'est posé ton pied ;

confondre les langues fût une bévue

parce que le noeud qui prend à la gorge

qui t'approche et lui coupe le souffle

n'est autre que le léger mouvement

des cordes vocales

qui du même enchantement osent le son

quel que soit le timbre phonétique

que la condamnation babélique

a produit, ainsi de bouche en bouche

rasant la sphère terraquée

passe la litanie qui te dit

comme miracle montré

même à qui ne te voit ni te touche

 

XLIII

 

                                         Occhi che diedero l’idea

                                         e furono il modello

                                         del simbolo che emerse dal diluvio

                                         perché è pensando alla tua iride,

                                         se Dio è davvero onnipresente

                                         ed onnisciente, che fu creata

                                         l’iride da porre in cielo

                                         con i colori a ricomporre il bianco

                                         della sclera e la sottile curvatura

                                         del tuo sguardo

                                         che tiene in equilibrio l’orizzonte

                                         con la nera pupilla

                                         che della leva è il fulcro

                                         e della prospettiva

                                         che la vita asciuga

                                         l’unico punto di fuga

 

XLIII

 

Ces yeux qui donnèrent l'idée

et furent le modèle

du symbole émergé des eaux du déluge

car c'est en pensant à ton iris,

si Dieu est vraiment omniprésent

et omniscient, que fût créé

l'iris à placer dans le ciel

avec ses couleurs pour recomposer le blanc

de la sclérotique et la courbe subtile

de ton regard

qui tient en équilibre l'horizon

avec la noire pupille

qui du levier est le pivot

et de la perspective

que la vie dessèche

l'unique point de fuite

 

*

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