Chronique du veilleur (51) : Olivier Noria

Né à Bruxelles en 1980, Olivier Noria publie son premier livre de poésie : Rendre grâce. D'emblée, on perçoit plus qu'une voix de talent et une écriture très maîtrisée : une présence d'âme qui ne s'encombre d'aucun artifice rhétorique, d'aucune mode. « Le mystère s'enfante  / Et toi l'enfant-passeur tu t'enchantes, chemin faisant. » Il s'agit bien là en effet d'une âme restée ouverte à tous les émerveillements, d'une âme de veilleur qui retient, sur ce qui va peut-être devenir œuvre poétique, l'informulable, qui prend « le pouls de l'Ouvert », « le pas de la clarté. »

« Ecriture franche », selon l'expression de l'auteur. Ecriture recueillie sur « le cœur du cœur blotti en son secret. » Le poète, qui est par ailleurs musicien, saisit les accords rayonnants, offre sa meilleure écoute à ce que le tumulte de notre monde ne cesse d'étouffer.

 

Tout au bercement du feuillage est souffle ordonnant

Tout se courbe pour mieux écouter

Olivier Noria, Rendre grâce, Le Taillis Pré, 14 euros.

Alors, peuvent s'élever, « musique d'entre toutes  / les musiques », les « battements intimes  / de l'irrévélé » .

Ce sont des fragments, presque silencieux, d'un secret,que le lecteur reçoit à chaque pas, à chaque page. Et le sentiment profondément émouvant d'un partage, à la fois poétique et spirituel, se fait jour, en une rencontre inestimable et inoubliable (« L'inoubliable seul est la rencontre »). Le lien est ainsi tissé et noué dans l'invisible, par un « long fil d'or », celui-là même qui nous relie à la divinité.

                

Nous ne pouvons véritablement aimer qu'en lien

Nous ne pouvons nous reconnaître
que dans la certitude d'être veillés, bordés
par la profondeur insondable d'un ciel constellé

Nous ne sommes pas seuls
Nous sommes unis -et la solitude nous révèle

On est heureux de découvrir ici un vrai poète, animé d'une soif d'absolu et d'amour, qu'il traduit avec humilité, profonde sincérité. On est touché par cette voix qui se confie au lecteur, tout en « rendant grâce » à ce qui lui donne force et beauté :

 

Désormais,

 je ne m'encombre plus d'un stylo
sinon pour éclaircir ce qui tient dans la paume
du silence

Olivier Noria, Instantané Instrumental, Prière Contemplative, 1er Mai 2022.

Présentation de l’auteur




BÉATRICE BONHOMME, une couronne sur les genoux

Béatrice Bonhomme, est poète, critique littéraire, professeur des Universités et directrice de la Revue NU(e), revue de poésie et d'art, fondée en 1994, qui a consacré, actuellement, 81 numéros à la poésie contemporaine, dont plusieurs sont consacrés à des poètes femmes. Cette revue paraît désormais en ligne sur POESIBAO. Elle œuvre, depuis 1994, pour une meilleure reconnaissance de la poésie contemporaine. Infatigable autant que discrète, elle est une voix, et une présence, précieuses pour que ce genre encore en retrait soit audible, visible, c'est à dire offert à l'humain, afin de prendre son sens ultime, qui est de dire, dans sa polysémie constitutive, l'unité possible. Deux revues Poésie-sur-Seine et Coup de soleil lui ont été consacrées (2020-21). Un livre sur l’œuvre poétique de Béatrice Bonhomme Le mot, la mort, l’amour chez Peter Lang est paru en 2012. Cette année elle est la lauréate du Prix Mallarmé, pour son recueil, Monde, genoux couronnés. Elle présente, pour Recours au poème, ce recueil et elle évoque ses raisons d'écrire pour exister, résister et créer cet idéal de fraternité qui l'anime.

Présentation, par l’autrice, du livre de poèmes Monde, Genoux couronnés

 

J'ai édifié huit chants, huit séquences car j'aime la perfection du chiffre 8, dont on peut vérifier l’harmonie octogonale dans certains monuments. L'idée est celle d'une architecture avec une dimension chiffrée qui va vers l'être que nous portons en nous.

Deux initiatrices accompagnent le cheminement, deux figures tutélaires féminines.  

Il y a d’abord une séquence portant sur le lien symbiotique au monde : « Devenir d'arbre ».

Puis la grand-mère intervient qui donne la couture, la broderie, le tissage : « Le Cœur de la brodeuse », plus tard dans le recueil, la mère donne la fascination pour la lecture et les mots : « Le Matin des mots ». A la fin du recueil, l'être intérieur nous attend dans sa lumière et sa nudité.

Dans l'intervalle, ce que j'essaie d'exprimer, c'est la relation au monde, la porosité à tous les règnes de la nature.  Le lien au cosmos, à tous les êtres les plus humbles, les plus minuscules, cette place essentielle de liberté dans une affirmation d’un monde qui ne serait pas seulement dominé par l’humanité, mais respectueux et sensible à toutes les formes de vie.

Cette partie résiste à une forme de pensée qui a fait la démonstration de son danger foncier pour le monde et par contrecoup pour l’homme. Elle résonne avec le titre qui évoque un monde asservi et mis à terre, genoux en terre, comme un cheval aux « genoux couronnés » et que l'on va abattre (le terme « couronnés » faisant allusion également aux années du corona virus et à ce qui va vers la contagion, l'épidémie et la guerre).

Enfin,  j'évoque l'ouverture à l'autre avec ses difficultés, ses ombres mais aussi ses lumières. C'est sur terme de « lumière » que s'achève le recueil après un parcours à travers l'être au monde.

Béatrice Bonhomme, Monde, genoux couronnés, Editions Collodions, 2023.

EXISTER PAR LES MOTS

 

Si je reviens sur mon parcours, je sais que je suis poète bien avant tout le reste. Avant d’être revuiste, critique littéraire ou professeure. Bien avant, même si tout ensuite va se lier. Comme j’ai désiré les mots en tant que poète et que les mots m’ont permis d’habiter le monde, je suis ensuite devenue une passeuse de mots mais cela c’est un second mouvement.  Le premier mouvement, pour moi, c’est la poésie. La poésie commence très tôt. Elle ne cesse de m’accompagner, depuis l’enfance. C’est une chanson intérieure qui se poursuit dans ma tête, un rythme et un être au monde. Mon premier poème, je devais avoir 5 ans : « Le soleil, le soleil est à toi » ou encore « Papillon, papillon, bats les soldats de la prairie, papillon, papillon, mon ami ».  Cela ne veut pas dire grand-chose mais tout le temps, dans ma vie, il y a ce chant, cette musique des mots qui est là.

Le fil déclencheur de mon amour des mots, la première expérience, a été celle de l’apprentissage de la lecture. Ma mère m’apprend à lire dans la colline, au bord d’une petite route. Elle m’assoit sur ses genoux, et elle me tend le livre de lecture. De ce premier mot qu’un jour je parviens à déchiffrer naissent la magie et l’impression d’avoir à soi le monde entier. Ce mot et de lui la puissance de saisir. C’était comme si je possédais les petites églantines du bord du chemin, l’aéroport qui se construit un peu plus loin sur la mer, cette matinée éclatante de soleil. A cet âge, je ne fais pas de différence entre les éléments et les mots, le mot « soleil » brille sur la page, le mot « bleu » comprend la mer et le ciel. Ensuite, chaque fois que j’ai approché un texte littéraire, un poème, j’ai éprouvé la même sensation de merveille et j’ai eu envie de transmettre cet éblouissement. C’est ce désir des mots qui marque tout mon cheminement.

Pour moi, tout cela est lié. Je suis éblouie de littérature et de poésie. Les mots sont ma façon d’habiter le monde. Écrire, c’est une manière d’être en lien avec le monde et dans le partage avec l’autre. Je partage des mots des rythmes et un être au monde, une façon d’habiter le monde, une raison d’être et d’exister. Je pense que le lyrisme et la poésie sont essentiels dans notre société car ils apportent une forme de confiance dans la langue, même si c’est une confiance qui reste critique et lucide, « une langue de poésie qui se justifiât entièrement comme chant » dit Jouve. Il ne s’agit pas d’un chant naïf, il s’agit d’un amour de la langue comme lien à l’autre et au monde, comme possibilité de pensée.

Les mots ne sont pas isolés pour moi, ils font lien vers le monde, vers les images, vers l’autre. Ils sont tactiles et visuels. Le lien à la peinture est comme le lien aux mots. Mon père était peintre. Il était comme un artisan, un bricoleur, qui marouflait partout des toiles, utilisait des pigments, de la colle, des pinceaux, des palettes. Les couleurs, comme les mots, c’était de la matière, les formes habitaient le monde avec nous. Je ne faisais pas vraiment de différence entre la table de la salle à manger, un livre de lecture et un appentis où poser des pots de couleurs. J’étais parmi la peinture et les mots comme parmi les meubles auxquels on se tient pour apprendre à marcher.

La poésie pour moi justement, c’est le lien retrouvé, le lien tissé dans l’amour ou la mort, le lien à l’autre, le lien au monde. Les motifs du bleu, de la mer et de la lumière des paysages méditerranéens sont tissés, cousus ensemble et apparaissent comme dans une tapisserie, une fresque, un tissage.  Ma grand-mère, assise au bord de mon lit, cousait en me faisant réciter mes leçons. Et maintenant je couds aussi le monde et les mots. C’est comme si je tricotais le monde et les mots, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, ou que je recousais bord à bord le monde et les mots. La mer et les paysages lui sont associés, le bleu et les couleurs du paysage, la lumière, comme des matériaux de la fresque et de la tapisserie.

En poésie, il ne s’agit pas de « je » mais de « nous », de quelque chose d’universel. Ce qui est partageable par la poésie, c’est paradoxalement ce qui est le plus singulier, notre émotion, « sans mesure commune », mais qui devient commune par les mots de la poésie. La poésie semble donc inséparable d’un point de vue intime mais elle constitue en même temps un lieu commun et je le dis dans un sens positif, un lieu où nous faisons communauté. Liée à l’intime, elle est pourtant partagée par tous.

Alors s’il y a un parcours, c’est celui de l’amour des mots, du monde et des autres.

Monde, genoux couronnés

Extraits

Enfant, elle a l’habitude d’inverser les mots
De les recréer
D’en faire d’autres
Parfois trop beaux
Parfois malades ou estropiés
Elle dit : movir pour vomir
Mourir au monde.
Elle dit : mori, morituri.

La mort posée sur le ciel bleu
Cela ne semble pas réel
Il fait beau une dernière fois
Comment dans cette beauté 
Ce scandale ?

On guette en soi en l’autre
La peur de voir le signe
Le signe fatal d’une détresse
On guette la respiration
Manquante.

Le matin essoré de silence
Nous redresse comme couronnés
De sueur
Tout tourne les mondes
En attente de l’impossible
Sa propre absence irrésignée.

On fait des masques blancs
Posés sur le visage comme des pansements
Arrachés
Ils gardent l’empreinte de ce qui voulait vivre
Poursuivre en nous
Encore.

On ne sait plus quel jour quelle heure il est
Nuit, matin, aube à midi
Hiver ou déjà printemps
Bourgeon qui sort et vent glacé
Soleil presque bleu d’été
On se donne des repères des rituels
Puis, le temps s’unit avec le silence.

Nous avons vu les coquelicots
Et les plantes jaunes pousser dans la lumière
La mer vide
Un dauphin dans la mer.

Tant d’oiseaux et leurs chants
Et plus de silence aussi
Les plantes poussent vite
Pour regagner le temps.

L’homme doit-il arrêter de respirer
Pour que le ciel soit bleu
La mer plus claire
Et le temps rendu au temps ?

Monde cheval ailé
Planète soyeuse et crinière
Dans le vent.
Et puis monté, chevauché,
Ecrasé
Par le poids trop lourd
La bouche blessée.

Monde cheval soyeux
Cheval de bleu et de lumière
Devenu bête de somme
Puis mis à bas
Genoux dans la poussière
Genoux couronnés.

 

 

 

Présentation de l’auteur




Claude Ber : Célébration de l’espèce — l’insoumission irréductible du poème

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de présenter Claude Ber, mais s'il fallait un endroit où s'exprime toute la puissance de son écriture, ce serait dans ce texte, La Célébration de l'espèce, paru dans Il y a des choses que non, chez Bruno Doucey.

Résister, la poète nous confie ce que cela évoque, dans et à travers l'écriture, avant de nous laisser entrer dans cet ouragan qu'est ce texte, une Célébration de la littérature, dans ce qu'elle a de plus puissant. 

Claude Ber
L'insoumission du poème

« Dès qu’on crée, on résiste. L’art c’est ce qui libère la vie que l’homme a emprisonnée », cette phrase de Deleuze, dans son Abécédaire, résume ce que j’entends par « résistance ».

Sans doute ce mot de « résistance » fait-il écho, dans mon histoire, à la « Résistance » dans laquelle ma famille fut engagée et que rappellent certains textes de Il y a des choses que non, mais la résistance du poème va au-delà de cette référence historique tout en incluant ce qu’elle implique d’insoumission au pire de nous-mêmes, de refus de l’inhumanité de notre humanité. Elle désigne aussi ce qui, dans le poème, semble résister à une première lecture, autant d’ailleurs par ses noyaux d’apparente obscurité que par ses éclats d’évidence lumineuse, et travaille notre intériorité, diffusant lentement sa signifiance.

Le poème est, dans tous les sens, langue résistante 

langue consistante
langue nourrissante
substantifique langue de la moelle des mots et des morts
où résiste la langue au mirador
où résiste la langue à l’obscénité de transparence
où résiste la langue à l’asservissement
où résiste la langue à l’avilissement
où résiste la langue sous la dent 

 Claude Ber

 

La Célébration de l'espèce

Texte de Claude Ber dit par Frédérique Wolf-Michaux - Musique inédite d'Alain Bancquart 

La célébration de l'espèce, texte de Claude Ber, extrait du recueil Il y a des choses que non paru aux éditions Bruno Doucey,
dit par la comédienne Frédérique Wolf-Michaux, sur une musique inédite d'Alain Bancquart.

Présentation de l’auteur




Une maison pour la Poésie 3 : Maison-pont de la poésie : conversation avec Michel Dunand et Christine Durif-Bruckert

Plusieurs fois programmée et remise la visite à la Maison de la poésie d’Annecy, fondée et dirigée par Michel Dunand, c’est au cours d’un festival que j’ai finalement la possibilité de m’entretenir avec lui. Michel Dunand est de ces poètes-passeurs discrets, que l’on côtoie sans le connaître vraiment, tant il est éloigné de l’esbrouffe qui anime tant de nos contemporains.

C’est lors d’un colloque animé par Norbert Paganelli pour la Maison de la poésie de Corse que j’ai eu l’occasion de l’écouter, et d’échanger dans le calme d’un dialogue impromptu, au petit-déjeuner où nous n’étions que deux.

Michel Dunand est un homme qui ne se paie pas de mots, car il en sait la valeur, il les pèse . Auteur de dix-sept recueils, d’un CD et de nombreux livres en collaboration avec des artistes, sa poésie se situe exactement sur le fléau d’une balance suspendue dans le vide dont il dit se « nourrir essentiellement » - vide-espace des marges et de la mémoire qu’il explore, auquel il s’abandonne pour qu’y surgisse l’épiphanie d’un sens.

Le poète est également, discrètement, un homme engagé - ainsi que je l’ai découvert à la lecture de son émouvant recueil Rawa-Ruska, Le camp de la soif (éd. Voix d’Encre) - président de l'association "Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants" (section Savoie-Dauphiné). Rawa-Ruska fut un sinistre camp de représailles, en Ukraine (Stalag 325). Son père y a été interné durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Je ne suis pas seule quand je retrouve Michel Dunand, à Sète, où il est « poète-animateur » des Voix-Vives. Il rejoint la table où je prends un café avec Christine Durif-Bruckert dans l’ambiance festive des  matinées animées par les concerts sur la place. Il sort de sa mallette les notes préparées pour moi, une feuille dont j’aurais aimé faire la photo, tant elle semble un plan couvert de signes et d’écritures, comme un dessin, et quelques-uns des trésors dont il va nous parler. Michel Dunand est un homme de parole, il n’a pas oublié le projet de parler de la maison de la poésie qu’il a fondée en 2007 – il est prêt !

MB - Michel, cela va être une conversation à bâton-rompus, avec Christine et moi - dans le bruit ambiant, il sera difficile d’utiliser l’enregistrement que j’avais imaginé – je transcrirai donc cet entretien, pour lequel Christine prend aussi des notes. Mon idée, c’était très simplement que tu nous parles de toi, de ton travail, de la façon dont tu es arrivé à la poésie, de la manière aussi dont ce parcours t’a mené à créer la maison de la poésie, et que tu nous expliques la façon dont ça fonctionne.
- … parler de moi m’est difficile – il y a un entretien récent avec Reha Yünlüel, où je dis quelques mots sur moi - c’est toujours compliqué parce que, même si je force un peu en disant cela, il y a un fond de vérité : je ne sais pas qui je suis – je ne sais pas ce qu’est la poésie – c’est pour cela d’ailleurs que je n’ai pas accepté sans appréhension d’être poète-animateur ici à Sète, c’est un plongeon dans l’inconnu. J’essaie de donner une nouvelle définition de moi à chaque fois, une nouvelle définition de la poésie, mais pour ce lieu, c’est différent. Je sais ce que j’ai fait et où je vais, pour le reste, c’est difficile. Je suis une énigme aussi pour les autres…
MB - La poésie, où et quand, comment l’as-tu rencontrée ?
- Oh ! Moi, je dis que je suis poète avant ma naissance… et je suis très sérieux – après, j’en ai pris conscience à certains moments, mais je crois que c’est inné… je suis né poète et c’est comme ça. Il faut que je fasse avec, ce n’est pas toujours simple, à la fois bénédiction et malédiction…
J’ai pris conscience d’abord que j’étais un récitant – je me souviens bien du moment : en CE2, sur une estrade, je dis un texte et apparemment, il y a de l’écoute. Et j’en fais un peu trop, c’était un texte de Théophile Gautier, je crois, à un moment je dis « et nos greniers comblés » - je ne sais plus dans quel texte c’est ((note de la rédaction : en fait, il s’agit du poème de Charles  Péguy, « La Tapisserie de Notre-Dame » : Étoile de la mer voici la lourde nappe/,Et la profonde houle et l’océan des blés/Et la mouvante écume et nos greniers comblés, Voici votre regard sur cette immense chape )) j’ouvre les bras et je frappe le tableau de chaque côté, tout le monde se met à rire, et les enfants aimant bien mettre des étiquettes, on m’applique celle de récitant. Après, ce fut l’étiquette « Brassens » - on m’appelait Brassens, parce que je l’imitais, dans «Les Copains d’abord» (Michel imite la trompette) - après on m’a appelé « poète »…  La poésie, c’est bizarre, j’en ai eu la révélation avec un texte en prose, et c’était une dictée, curieusement – la dictée, elle n’a vraiment pas que du mauvais ! – c’était un extrait de L’Assommoir, de Zola,  ce gars qui est sur le toit ((note de la rédaction : Coupeau, ouvrier zingueur, qui sera victime d’une chute)), je me suis dit :mais c’est le poète, ce gars qui est sur le toit, au bord du vide – et qui répare la maison, et dans le fond, c’est aussi la maison intérieure… A partir de là, je me suis plongé dans toute l’œuvre de Zola…
Enfin, il y a eu la rencontre, si je puis dire, avec Rimbaud, avec Verlaine, voilà. Et tout ça s’est fait à travers un prof – l’importance des profs ! – qui a écrit sur le livret scolaire « élève qui a le don de poésie » et ça vraiment, ça encourage. Mais comme j’ai dit, j’étais déjà poète, ensuite, il y a quelqu’un qui confirme…
MB - Quand as-tu commencé à écrire de la poésie et comment ça s’est passé ?
- J’ai écrit d’abord de la prose, des nouvelles, que j’ai jetées, que j’ai détruites… Il y a ensuite un premier recueil, que j’avais envoyé aux éditions Saint-Germain des Prés - pareil, j’ai jeté et aujourd’hui, je regrette, car il devait y avoir un ou deux vers de bon tout de même – peut-être un peu plus, mais dans l’ensemble, ça ne valait pas la publication. Mais de façon sérieuse, oui, c’est assez tard, finalement – parce que le premier recueil a été publié par Le Petit Véhicule, en 1989, c’est  Dernières Nouvelles de la nuit  - 89… Je suis né en 1951, c’était tardif… mais je crois que j’ai eu raison de ne pas publier auparavant. Par contre, détruire, là je regrette un peu.
MB - Est-ce que tu ne crois pas que ces vers que tu penses avoir détruits ne sont pas revenus par la suite dans ton œuvre …
- Peut-être, oui – oui, oui, je me souviens simplement d’une image – « dans la lessive du soleil », c’est assez dans le style de « Cadou », tout ça… et c’est l’un des poètes qui m’ont influencé – René Guy Cadou - d’autant plus que j’ai exercé le même métier que lui, j’étais professeur des écoles, instit comme on disait autrefois…
MB - Et l’idée de la Maison de la Poésie, quand est-elle née par rapport à ça ?
- Eh bien voilà, je suis poète, fondamentalement, et je suis aussi serviteur quelque part : pour moi c’est un rôle très noble, et j’essaie de rendre hommage à des auteurs disparus, à des éditeurs disparus, comme Pierre-Jean Oswald hier, je lui ai rendu hommage puisque je recevais un poète palestinien… Il y a donc l’idée de « servir » - servir aussi avec la revue, « Coup de soleil », 40 ans d’existence, et ce n’est pas rien…
MB - C’est beaucoup, 40 ans, je m’en rends compte en pensant aux 10 ans d’existence de Recours au Poème…
Christine – Tu es tout seul pour Coup de soleil ?
- On peut le dire, oui – l’aventure a été parrainée par Jean-Vincent Verdonnet qui a été un parrain efficace, mais la revue reposait sur les épaules d’un seul homme, et il est là… J’ai voulu servir encore par des récitals : comme vous le savez, j’aime beaucoup dire la poésie – c’est pour cela que j’ai accepté ce rôle de poète-animateur – c’est servir aussi. Et servir par une maison de la poésie... : comme je suis un poète qui voyage, c’est important pour moi le mot « maison ». C’est aussi ma maison, en plus d’être maison de la poésie, et chaque fois que j’y mets les pieds, ça me ressource. C’est un petit local, je ne peux accueillir que 30 personnes, mais il est très bien situé, en centre-ville, dans la zone piétonne d’Annecy – et ce qui est particulier, c’est que je suis propriétaire de ce lieu. J’entends dire aujourd’hui que des subventions ne seront peut-être pas réattribuées, mais moi, je ne demande une subvention que pour le Printemps des Poètes, et ce lieu, on ne pourra pas me l’enlever. D’ailleurs, si on me l’enlevait, je crois que je suis sincère, je crois que… ça pourrait pas aller… ça pourrait pas aller – c’est aussi MA maison.
Ce lieu est un lieu de consultation, j’y ai rangé une partie des livres de ma bibliothèque, et des livres qu’on ne trouve pas dans les librairies – j’en ai fait une liste (il consulte son « plan ») ; les mini-livres, les micro-livres, les livres insolites, les livres rares, les livres phares, les très vieux livres, les livres d’artiste, des ouvrages dédicacés… On vient pour consulter, et comme je suis un grand rêveur, au début j’avais prévu 4, 5 tables de consultation, mais je me suis aperçu que beaucoup de gens venaient pour me raconter leur vie, pour me présenter leurs poèmes, pour avoir des informations, et qu’il y en avait très peu, dans le fond, qui voulaient vraiment consulter. Alors maintenant, il n’y a qu’une seule table de consultation, mais je reçois parfois des gens vraiment intéressés, qui rejoignent la grande famille de tous ceux qui fréquentent ce lieu, et ça se fait au compte-goutte, 2 par 2, 1 par 1, 3 par 3, et ainsi « la famille » s’agrandit – ceci dit, Annecy n’est pas une très grande ville…
Dans ce lieu, on trouve aussi des revues, de vieux disques de la collection Seghers (Cadou dit par Daniel Gélin, ou Jean-Louis Trintignant lisant Marc Alyn, etc. ) et une bibliothèque qui regroupe plus de 260 ouvrages parus dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » chez Seghers, et beaucoup de choses relatives à la poésie . Il y a également des rencontres avec les poètes, entourés ou pas de musiciens, notamment lors du Printemps des Poètes, que j’organise avec Jacques Ancet. Nous avons reçu des poètes de renom : Lionel Ray, Daniel Biga, Claire Genoux, Annie Salager, Jean Orizet, Yvon Le Men etc.
MB - Comment s’est constitué le fonds ?
De mes livres, principalement, mais j’ai aussi hérité, j’ai pu puiser dans les bibliothèques de deux grands poètes, après leur décès – celle de Jean-Vincent Verdonnet et la bibliothèque de Paul Vincensini. Dernièrement j’ai ramené quelques livres suite au décès d’Andrée Appercelle. Comme le lieu est petit, on n’est pas dans la quantité, mais il y a vraiment des trésors…. Il y a des lettres aussi, écrites à la main, signées Guillevic, Norge ou Tardieu. Un Capitale de la Douleur dédicacé par Paul Eluard etc.
MB - Et les micro livres, les livre originaux, ce sont des choix que tu as faits toi ?
Oui, j’ai fait pas mal d’achats, je ne me suis pas ruiné mais… J’’ai fréquenté par exemple la librairie « Le Pont traversé » de Madame Béalu à Paris, Agnès Béalu, la dernière épouse de Marcel. J’y ai déniché des introuvables, et comme je savais qu’un entretien était prévu, j’ai apporté ceci, l’un des premiers « Poésie-Seghers », même pas numéroté, c’est Elsa Triolet qui nous parle de Maïakovski. J’ai découvert l’existence de cette librairie en regardant une émission de télé, on voyait François Mitterand pénétrer dans cette librairie. Là, j’ai acheté beaucoup de Poésie-Seghers, Ginsberg, Glenmor, des introuvables, vraiment… les chanteurs poètes, et dernièrement, c’est sur un marché que j’ai déniché un Nougaro – je m’étais rendu à la galerie d’Hélène Nougaro qui m’avait pourtant dit que c’était introuvable, et j’en ai trouvé un.
MB - Tu es donc ton propre mécène, fournisseur, animateur, programmateur…
La Maison de la Poésie d’Annecy repose beaucoup et même principalement sur mes épaules. Pour ce qui est du Printemps des poètes, « Partage des voix », cette rencontre pour laquelle j’ai des subventions, Jaques Ancet m’aide d’une manière efficace. J’ai oublié de dire que cette Maison de Poésie est aussi un lieu d’exposition, on peut y admirer des peintures, des estampes, des photographies, des tapisseries, mais je le répète, c’est un petit local– et j’ai souhaité qu’on soit également ouvert à la musique contemporaine, à la musique savante, à la création en ce domaine – ainsi l’association Empreintes sonores y propose des rencontres. Comme je le dis dans l’entretien avec Reha, j’essaie d’incarner cette phrase que j’ai écrite : « L’enseignement par les ponts, sinon, rien. » Tous les ponts, y compris les traductions… ce qui voyage finalement.
MB - La maison est un pont aussi finalement ?
Ch - Cela pourrait être le titre de cet entretien ?
Je voulais te demander aussi : tu n’es pas affilié à l’association des maisons de la poésie ?
  • Non, je ne suis pas contre, j’e l’ai souvent dit à Thierry Renard. J’ai d’ailleurs accueilli, ce printemps, à l’occasion de la sortie de l’anthologie Frontières, Thierry Renard et Bruno Doucey – soirée préparée par l’espace Pandora.
Ch – je voulais aussi demander si des personnes venaient de Lyon ou des villes alentour, à ta maison de poésie ?
Oui, des gens de Genève aussi, Vahé Godel y est souvent venu. On vient de Lausanne, de Lyon, de Grenoble, de Chambéry, d’Aix-les Bains.
MB - Et comme tu n’as pas de subventions, comment sont financés les événements ?
Il y a un petit droit de participation aux frais, 5 euros pour une soirée.
Ch - Et une adhésion ?
Non, non – je ne le souhaite pas – longtemps ça a été gratuit, faire payer m’a longtemps posé problème – mais je m’aperçois qu’à Annecy qui n’est pas une très grande ville, il y a beaucoup de gens qui s’intéressent à la poésie ; s’il y en a peu qui viennent consulter les livres, on aime entendre des poèmes, et souvent les auditeurs entrent totalement dans la poésie par le biais d’une lecture orale. Je me souviens d’un hommage à JeanVincent Verdonnet, à l’occasion du 100ième anniversaire de sa naissance. J’avais confié des textes à un musicien qui me disait « j’ai du mal à entrer dans les textes » mais finalement, c’est plus facile quand on dit les textes, on met une ponctuation qui est souvent absente, c’est une interprétation, on vit le texte. On m’a longtemps critiqué car je faisais lire mes élèves à voix haute, c’était considéré comme un peu directif, voire d’un autre temps, mais cela revient à la mode : concours de diction, lectures à voix haute de prose ou poésie, spectacles autour de grands textes. Moi-même je dis mes textes pour entendre si ça passe, et j’écris sur des cahiers, sur l’ordinateur je n’arrive pas à savoir, mais quand j’écris, laborieusement, là c’est différent.
MB - C’est vrai, c’est dans le corps, la poésie, elle passe à travers le geste aussi…
Voilà, et si on ajoute la musique, pas forcément « sur » les poèmes, ça renforce la ponctuation
Ch - Si peu que ce soit, même de petites percussions, de petits tintements de cloche, « ça porte » une sorte d’élévation, on sent en soit monter quelque chose d’indéfinissable, c’est très curieux.
MB - oui, il y a du sacré dans la poésie, et la musique aide à le faire surgir.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que des textes de Paul Eluard ont été mis en musique par Francis Poulenc ; j’ai le CD au local. Je pense à Brassens aussi qui a beaucoup fait pour la poésie des autres en interprétant Victor Hugo, Francis Jammes, Paul Fort etc. N’oublions pas bien sûr Léo Ferré, Jean Ferrat… Signalons que Georges Chelon a mis en musique la totalité des Fleurs du Mal. Quant à Poulenc,ou Boulez, auteur du Marteau sans maître (texte de René Char), pour ne parler que de ces grands compositeurs-là – ils ont fait un travail remarquable.
MB - Tu pratiques un instrument toi aussi ?
Non, juste la voix, mais la voix est un instrument en soi également
MB - Merci Michel Dunand, et merci Christine pour ce moment d’échange.

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" Printemps des Poètes " : 1er avril 2023.
De droite à gauche :Michel Dunand,
Patrick Laupin,François Migeot
et son épouse,Jacques Ancet.

entretien avec Reha Yünlüel pour la chaîne Bachibouzouk




Dans la lignée de Wisława Szymborska ? Une nouvelle voix de la poésie polonaise

Jeune poétesse polonaise, Krystyna Dąbrowska (née en 1979) a déjà publié cinq volumes de poésie et reçu trois prix prestigieux, le Prix Kościelski et le premier Prix Szymborska en 2013, puis le Prix littéraire de la ville de Varsovie en 2019. Photographe, diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, elle traduit de l’anglais vers le polonais, notamment la poésie de Louise Glück et de Nuala ni Dhomhnaill. Depuis son début poétique en 2006, elle a été publiée dans de nombreuses revues et traduite en vingt langues. Cette année a vu la parution de son cinquième volume en polonais, Miasto z indu [La ville en indium], et son premier volume en anglais, Tideline [Bord de mer] qui contient des poèmes de ses quatre premiers volumes: Biuro podróży [L’Agence de voyage]; Białe krzesła [Les Chaises blanches]; Czas i przesłona [Temps et ouverture]; et Ścieżki dźwiękowe [Les Bandes sonores].

Plutôt que de suivre une école ou un style, Krystyna Dąbrowska aborde la poésie d’une façon tout à fait naturelle. Une image s’impose à elle, puis le poème apparaît de lui-même, au cours d’une promenade, en nageant. Nouveau-né, il a sa personnalité, sa forme et son rythme surprennent la poétesse. Né de l’observation des objets et des êtres qui nous entourent, il transforme les détails du quotidien, s’éloignant de la poésie concrète ou intime. Cette longue gestation entre distanciation et cordon ombilical sous-tend toute la démarche poétique de Krystyna Dąbrowska. Partant d’une expérience ponctuelle, le discours poétique s’applique à des questions existentielles telles la solitude, l’identité, et la survivance, s’étoffe de souvenirs vécus (personnellement ou indirectement à travers les lectures, les récits familiaux, et en général, l’acquis culturel) et devient une grande fresque collective, temporelle, et spatiale.

photo © Krzysztof Dubiel.

En tissant ce réseau physique, émotionnel, et métaphysique, Krystyna Dąbrowska fixe l’instantané en permanence poétique. Mais elle ne s’arrête pas là : l’on retrouve dans sa vision l’étonnemment émerveillé et malicieux d’un Erik Satie, et cette façon discrète dont Wisława Szymborska met le monde à l’envers. Ainsi nous apprenons à repenser les choses et les êtres par une poésie qui nous transforme en profondeur, et ajuste notre perspective presque à notre insu.

Ce contrepoint entre soi et l’autre pose la question de la relation à l’Autre. Le cordon ombilical invisible qui nous relie au monde extérieur, tel celui qui empêche un chien libre de toute entrave de s’éloigner du bord de la mer, exerce sur nous une attirance inévitable et mystérieuse. Fétus de paille, nous voyageons entre notre solitude et celle de l’Autre, entre le froid et le chaud, entre la lune et le soleil, voyage qui parfois nous accorde un parfait équilibre d’équinoxe.

Ni hermétiques ni anecdotiques, les poèmes de Krystyna Dąbrowska sont structurés comme des scènes de film ; ils nous imprègnent tout à la fois de l’image et du message. Qu’il s’agisse de vendre aux morts des billets de voyage vers les rêves des personnes aimées, de répondre aux « questions d’insécurité » des sites internet, ou d’appréhender la ville du Caire à travers sa population de chèvres, la poétesse recherche la simplicité qui caractérise les œuvres des grands artistes. Ses « scripts » conduisent à une multitude de corridors souterrains, palimpsestes et rhizomes.

Krystyna Dąbrowska, 'Spowiedź'.

À part « Bandes sonores » traduit par Isabelle Macor dans Po&sie (No. 170, 2019), cette présentation et les cinq traductions qui suivent sont les premières à présenter au public francophone l’œuvre de Krystyna Dąbrowska, que nous remercions ici pour sa gracieuse permission et collaboration.

∗∗∗

 

Textes traduits par Alice Catherine Carls

Les chaises blanches

 

Le quotidien en poésie se doit d’être comme ces chaises
en plastique blanc devant le mur des Lamentations.
C’est sur elles, non dans de somptueux fauteuils,
que prient les vieux rabbins
en touchant du front les pierres du mur.
D’ordinaires chaises en plastique  --
femmes et hommes s’y hissent pour
se voir au-dessus de la clôture qui les sépare.
Et la mère du jeune qui célèbre sa bar-mitzvah
monte sur une chaise et arrose de bonbons
son fils qui quitte l’enfance.
Le quotidien en poésie se doit d’être comme ces chaises
qui disparaissent pour faire place
au cercle de la danse le soir du Shabbat.

 

∗∗

Frère et soeur

 

Une vieille femme danse le flamenco.
Ses mouvements recèlent une ancienne légèreté.
Grande, maigre comme un héron bossu,
elle a une jupe à volants et des joues creuses.
La vieille femme exécute la danse d’une jeune fille
qui a été tuée pendant la guerre. Son numéro fini,
elle se démaquille, enlève sa perruque
et sa robe, enfile un pantalon, une veste
et devient celui qu’elle est hors scène:
un homme, le frère de la morte.
Le vieil homme rentre chez lui.
Des bribes du passé il s’est fait un cocon,
photos, affiches, coupures de journaux.
Tout autour, les robes qu’il coud:
oiseaux multicolores, exotiques.
Et le portrait de sa soeur – il y dépose des fleurs.
Célèbre couple de danseurs, adolescents
ils sillonnaient l’Europe avant la guerre.
Puis ce fut le ghetto, la fuite, la séparation.
Il s’était juré de survivre uniquement
pour l’incarner par la danse.
Le vieux danseur se fait du thé. Silence.
C’est l’heure où s’éteignent les lumières.
Il ira dormir dans un moment, mais tel qu’il est,
ni costume ni fard, il tape du pied devant la cuisine
au rythme du bruit sec des castagnettes.

 

∗∗

 

D’où regarder pour te voir?
De près ou de loin? Et depuis quelle époque?
Quand je recule en essayant de te saisir
de la tête aux pieds comme un tableau sur son chevalet,
je sens que c’est toi qui me toise,
me change, ajoute ou enlève la couleur.
Tantôt je te regarde dans les yeux, tantôt je regarde par tes yeux,
quand tu dors ou que je rêve à toi
je cherche de nouveau un détail – objet, geste, mot,
en attendant son éclosion-explosion qui sera toi.
Tant de points de vue, et moi au point mort,
entortillée dans le fil par lequel je voulais les lier.
Et je ne sais pas si tu es le fil                                
ou l’éclair du ciseau qui le coupe.

 

∗∗

Sculpture pour aveugles

 

Au musée d’art où règne le regard,
se trouvent des statues pour aveugles.
Les mêmes dont les visiteurs
ne peuvent s’approcher de trop près:
qu’un pied dépasse la ligne rouge,
qu’un nez s’avance vers le vide
du nez antique – et c’est l’alarme.               
Tu n’as que le droit de regarder jusqu’à devenir
les globes oculaires de pierre sur antennes
que l’on sort de la tête grecque marmoréenne
et que les aveugles regardent avec leurs doigts.
Ils touchent des cicatrices
sur le ventre de la jeune cycladienne,
un combat de dragons sur l’envers
d’un miroir coréen.
Ils reconstruisent ce qui est apparu mille ans
avant notre ère en disant: cruche, gobelet,
et en versant le vin.
Sorties des vitrines, enfilées sur des cordons,
des billes font tinter dans leurs mains
profits, pertes et transactions louches.
Un heurtoir leur prête son poids
et se souvient de la porte.

Essaie donc de l’ouvrir les yeux bandés –

 

∗∗

Hier j’ai vu un chien au bord de la mer

Hier j’ai vu un chien au bord de la mer,
un jeune chien noir que son élan entraînait dans l’eau
qu’il mordait et labourait puis dont il sortait furieusement
pour trotter au bord de l’eau, s’arrêter, avancer, toucher du nez
l’ourlet d’une vague, en humer prudemment le creux,
avançant une patte, jouant avec la mer et l’agaçant
comme s’il voulait provoquer un mastodonte.
Mets-lui sa laisse.
Pas nécessaire, la mer lui sert de laisse.
Hier j’ai vu un chien au bord de la mer:
il essayait de mordre la ligne argentée de l’eau,
revenait vers les dunes-décharges, galopait sur le parking.
Il avait à peine rattrappé un gobelet en papier sur la jetée
et déniché quelque chose de noir dans le sable –
que la mer l’attirait avec une secousse,
et le chien revenait en un clin d’oeil vers les vagues,
secouant les gouttes métalliques de son collier.

Présentation de l’auteur




Deux visages féminins, deux poètes celtes

Deux femmes nées au début du XXème siècle et décédées à un an d’intervalle, elles portent le même prénom à la signification symbolique : « le messager », toutes deux héritières de Orphée, le messager, le médiateur et voyant privilégié. Chacune a vu la nature à la façon baudelairienne « comme une forêt de symboles », poètes enracinées en Bretagne rurale, riche de pierres celtiques, de forêts, de contes, de mythes et de chansons populaires, elles surent célébrer et révéler le monde tel qu’elles le voyaient.

Anjela Duval ne quitta jamais sa ferme de Traon An Dour sur la commune de Vieux-Marché dans le pays du Trégor. Angèle Vannier née en bord de mer à Saint-Servan près de Saint-Malo, ira jeune femme et jeune épouse vivre un temps à Paris, mais elle choisira de retourner seule vivre dans la demeure familiale Le Chatelet à Bazouges-la-Pérouse en Ille-et-Vilaine.

Le bonheur d’être dans la nature et de vivre dans une société rurale traditionnelle

« La terre est comme mon deuxième corps », « Celui qui n’a pas de terre, n’a pas de racines » (Anjela Duval), elle restera attachée à ses quelques arpents de terre hérités de ses parents, toute sa vie, elle les cultivera : « Je n’aimais que les campagnes, les campagnes si belles de ma Basse-Bretagne », « Mes vers je les écris avec le soc de ma charrue / Sur le chair vive de mon Pays de Bretagne sillon après sillon ». Elle écrit la nuit tombée et puise ses mots dans cette terre qu’elle cultive. Elle est émerveillée par cette nature avec laquelle elle est en communion : « Faut pas lésiner sur sa peine à propos de la terre, parce que la terre, elle rend à mesure qu’on lui donne. » 

La terre bretonne est aussi essentielle à Angèle Vannier qui chante les éléments, la voix des arbres, l’esprit des pierres, l’âme des animaux. Elle aussi sait qu’il faut puiser dans ses racines pour nourrir sa poésie riche de légendes et de mythes bretons.

« Emportez-moi dans la charrette pauvre et nue / Avec le grand vieillard et la femme et l’enfant / Emmenez-moi crever l’oraison des étangs / Des étangs noirs pétris de charme et de cigües. »1

Deux âmes celtes

« Je suis profondément celte » Angèle Vannier2

Revenue en Bretagne lorsque la cécité la frappe, elle va s’inscrire dans la tradition des bardes dont on dit que beaucoup étaient aveugles ; comme eux, accompagnée du harpeur Myrdhin (Merlin en français)3 elle ira de ville en ville, en France et à l’étranger dire et chanter ses poèmes, elle en français, lui en breton.

Pour Anjela Duval la langue bretonne est aussi une terre dont elle se sent exilée, l’interdiction de parler breton à l’école fut une blessure. La forme en breton de son prénom qu’elle adopte en 1966, affirme son choix identitaire. Dès les années 60, elle écrit en breton sur des cahiers d’écolier4, dans un style entre le breton littéraire et le breton populaire : « Le breton coulait de sa plume avec une énergie et des expressions savoureuses en jaillissaient sans cesse. » (Ronan Le Coadic)

L’écriture essentielle

Deux œuvres nées de la fragilité, l’écriture est alors essentielle pour continuer à vivre : « Pour ce qui est de moi, ma vie est un miracle de tous les jours, je me tiens debout que par habitude. » (Anjela Duval). Très jeune, elle est atteinte d’une maladie des os qui la fera souffrir toute sa vie. Elle qui a sacrifié sa vie affective et choisi de rester à la ferme pour s’occuper de ses parents, connaît une profonde dépression à leur disparition. L’écriture la sauve, avec des accents proches de Marie Noël, elle affirme : « Je veux devenir une petite poétesse, tel est le désir de mon cœur ici-bas. » et conseille : « Achète-toi plutôt un crayon, vois-tu / (tu en auras trois pour dix-huit sous) / Tu trouveras du papier en quantité/ Où tu voudras. Autant que tu voudras / Et assieds-toi pour écrire ». Elle vit en ermite, l’écriture est pour elle un don qu’elle fait aux autres. Quand la célébrité viendra, comme un apostolat, elle prendra le temps de répondre à chaque courrier qui lui est adressé. Elle écrira à des poètes comme Gérard Le Gouic, ils échangeront des lettres et cartes postales de 1973 à 1980.5

La maladie est aussi une des fragilités de Angèle Vannier, opérée sans succès d’un glaucome à 22 ans alors qu’elle est en 3ème année de pharmacie, elle devient aveugle, retourne à Bazouges-la-Pérouse et se réfugie dans la poésie : « Il me semble que ma vie et ma poésie ne font qu’un ». La cécité est une épreuve, mais aussi une force, car elle est pour elle un éveil permanent : « La cécité, bien vécue, serait peut-être cet état perpétuel de transposition et tout est presque vécu au niveau poétique ».

La fragilité est pour ces femmes un chemin vers le dépouillement qui permet d’atteindre l’essentiel et la poésie traduit cet essentiel.

L’éloge de la simplicité et de la lenteur

Leur poésie emprunte aussi le chemin de la simplicité et de la lenteur. « J’ai vécu comme au XIXème siècle (…) Je n’ai jamais eu l’électricité dans cette maison. Quand j’ai perdu la vue l’électricité n’était pas encore installée. » (Angèle Vannier)

Angèle habite une belle demeure, mais il n’y a rien de superflu. Une simplicité encore plus grande règne dans la ferme de Anjela Duval qui vit une situation proche de la grande pauvreté.

Si Angèle Vannier n’a rien perdu de sa féminité, Anjela elle ne connaît aucune coquetterie : « Elle apparaissait austère, sévère, avec un bonnet recouvrant une chevelure à la diable avec jupe et sarrau noirs. Elle allait d’un pas d’homme, sans grâce, en sabots. » (Roger Laouenan)6

Toutes deux vivent en écoutant le rythme des éléments, et peuvent ainsi se mettre à l’écoute de ce qu’elles sont. Anjela paysanne sait attendre et regarder, elle ne se met à écrire qu’à 55 ans, riche de ce temps passé à regarder et à aimer cette terre qu’elle cultive.

La demeure d'Angèle Vannier, Le Chatelet, © Nicole Laurent- Catrice.

Un chemin essentiel pour ensuite se tourner vers les autres. Cette femme qui a arrêté l’école à 12 ans, seule dans sa ferme comprend une grande partie des questions qui se posent aujourd’hui à l’humanité, elle se pose des questions d’ordre environnemental, dans son poème Sahara, elle évoque déjà la déforestation et le changement climatique. Elle construit, pour y répondre, une philosophie de la vie qu’elle exprime dans sa poésie et « elle a su … mettre sa vie en accord avec sa vision poétique et mystique du monde jusqu’à en mourir » (Ronan Le Coadic)

La cécité impose aussi à Angèle Vannier la lenteur, celle du geste. Une cécité favorise l’écoute pour ensuite grâce l’écriture, traduire des sensations physiques intenses. Elles ont su se mettre à l’écoute de ce monde charnel qui les entoure ; pour elles, écrire : c’est retrouver l’incarnation.

Une poésie de l’engagement

La poésie permet à Anjela d’apporter sa contribution à la lutte pour la défense de l’identité bretonne et la reconnaissance de son peuple. Elle s’engage dans la défense d’une Bretagne autonome ; en 1979, elle écrit au procureur de la cour de sûreté de l’Etat, et apporte son soutien aux jeunes autonomistes incarcérés pour l’attentat de Roc’h-Trédudon. Fidèle à elle-même, elle montre un esprit de résistance : « Je ne puis pas beaucoup pour cette génération, mais elle m’est chère, c’est la Bretagne de demain. Mon cœur souffre de leur souffrance. J’ai mal à ma Bretagne, moi la triplement demeurée : demeurée bretonne, demeurée chrétienne, demeurée terrienne. »7

Anjela, Angèle deux femmes qui éveillent les consciences, revendiquent la richesse culturelle bretonne : « Je n’ai pas envie que les celtes aillent envahir tous les pays. Je laisse aux autres le droit de s’exprimer dans leur propre langue et mythologie. Qu’on nous laisse nos couleurs, nos formes, nos rêves, notre relation au monde en considérant que nous pouvons l’enrichir. » (Angèle Vannier)8

Portrait d'Anjela Duval.

Très vite la reconnaissance

Dès son retour à Bazouges-la-Pérouse lorsque la cécité la frappe et avant de rejoindre la capitale pour quelques années encore, elle fait une rencontre essentielle. Théophile Briant qui anime la revue poétique Le goéland est réfugié dans son village, il apprend qu’elle écrit et il vient la trouver : « Il m’a mise au monde, il a accouché de moi en tant que femme et en tant que poète… »9. Elle s’efforcera de mettre en pratique son conseil : « Fouille tes racines, fouille ta nuit, ton âme est celte, découvre-la ». Il préface en 1947 son premier recueil : Les songes de la lumière et de la brume, en 1950 Paul Eluard préface L’Arbre à feu ed Le Goéland. Ses textes sont connus du grand public, elle écrit des chansons qui sont interprétées par Edith Piaf, Catherine Sauvage, Suzy Delair10. Elle rencontre le public et ses spectacles et lectures sont nombreux de 1946 à 1980, en France et à l’étranger11, elle participe à des émissions de radio et de télévision.

Anjela Duval entrée tardivement en écriture en 1960, publie dès 1962 dans des revues bretonnes de références : Ar Bed Kelteik et Barr-heol12. En 1971 André Voisin réalisateur à l’ORTF va à sa rencontre pour son émission les conteurs et met en lumière cette femme de l’ombre. D’autres émissions suivront à la BBC et dans diverses émissions étrangères. Personne ne reste indifférent à cette femme authentique, habitée par l’expression poétique, nourrie de son identité.

Deux poètes majeures

Ces deux poètes celtes sont des figures majeures de la poésie bretonne, elles rayonnent aujourd’hui encore 40 ans après leur disparition. Les publications se multiplient après leur mort, en 1990 paraît chez Rougerie une anthologie de poèmes choisis (1947-1978) de Angèle Vannier, son amie la poète Nicole Laurent-Catrice en 2017 lui consacre un essai : Demeure d’Angèle Vannier ed Sauvages.

En 1998 sur l’initiative de l’universitaire Ronan Le Coadic est créée l’association Mignoned Anjela afin de sauvegarder et de diffuser l’œuvre d’Angela Duval; en 2000 paraît son œuvre complète, la première d’un poète breton : Oberenn glok ed Mignoned, les textes bretons sont traduits en français par le poète Paol Keineg. Des chanteurs contemporains reprennent les textes de Anjela en 2012, le groupe breton Unité Maü dédie à Anjela son Chant de la terre, son poème Karantez vro (l’amour du pays) mis en musique par Véronique Autret est chanté par Nolwenn Leroy dans son album Bretonne. Leurs œuvres s’inscrivent dans la grande tradition de la littérature celte, celle des bardes, une poésie de l’écrit mais aussi de l’oralité qui a su se nourrir des contes et des légendes.

Cette réflexion de Paul Eluard à propos de l’œuvre de Angèle Vannier convient aussi à celle de Anjela Duval : « Je la tiens pour un très grand poète…Angèle Vannier rejoint tout naturellement Max Jacob, c’est-à-dire Morven-le-Gaëlique et Saint-Pol Roux. C’est une bretonne authentique…On la sent en plein accord avec la nature…féérique simplicité qui donne à tout ce qu’elle écrit la couleur des brumes nacrées et claires de sa terre natale »

 Elles furent et restent deux poètes majeures de la littérature celtique et française, bretonnes authentiques, en accord avec la nature, elles font désormais partie de cette culture qu’elles ont l’une et l’autre aimée et défendue.

Notes

1. Emportez-moi, in : Le songe de la lumière et de la brume ed Savel 1947
2. Rythmes visages Paroles d’Angèle Vannier Les Cahiers d’Ere 1995
3. Myrdhin était l’un des 3 harpeurs professionnels de Bretagne, il sillonnait le monde pour transmettre la musique celte. Il a dirigé les rencontres internationales de harpes celtiques à Dinan.
4. 40 cahiers d’écolier seront retrouvés à sa mort.
5. Anjela Duval lettres à Gérard Le Gouic ed Berlobi
6. Anjela Duval Une voix prophétique : Ar Men n° 56 janvier 1994
7. Fin de la lettre au procureur citée par Jean Lavoué in, Voix de Bretagne le chant des pauvres ed L’Enfance des arbres (p.97).
8 et 9 . Rythmes visages Paroles d’Angèle Vannier, les Cahiers d’Ere (1995)
10. Le chevalier de Paris chanson interprétée par Edith Piaf, reprise par Frank Sinatra, Yves Montand, Marlène Dietrich et Bob Dylan.
11. La Vie tout entière spectacle conçu avec Myrdhin sera joué à travers l’Europe.
12. Anjela Duval publie dès les années 60 des articles dans la revue AR Bed Keltiek dirigée par Roparz Hemon et dans Barr-heol dirigée par l’abbé Marcel Klerg.

       

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Trois poèmes de Yin Xiaoyuan

Yin Xiaoyuan, poète militante  au sein du mouvement qu’elle a fondé pour une littérature qui transcende les genres, anime aussi l’EPS  « Encyclopedic Poetry School », créé par elle en 2017. Elle fédère un groupe dynamique de jeunes poètes chinois à l’origine de nombreuses actions internationales,  qui propose de nouveaux paradigmes pour le mélange des genres amplement ouvert aux cultures internationales, transformant  l’écriture par des juxtapositions linguistiques acrobatiques, l’introduction de sujets scientifiques innovants, de références à des sub-cultures variées (rock, rap, jeux vidéos…), des emprunts linguistiques (Yin Xiaoyuan est aussi polyglotte et traductrice) et des thématiques historiques bousculées par des  représentations étonnantes et non linéaires de la réalité, promenant le lecteur d’un lointain passé anté-historique à des spéculations sur un futur de science-fiction. Un ensemble, traduit par Marilyne Bertoncini, a été publié ici sous le titre "Les Mystère d'Elche"

∗∗∗

 

Trois poèmes de Yin Xiaoyuan

 

Traduction Cécile Ouhmani

Centripetal Force

The city, in the distant golden jungle of a magnificent sunset,
Now radiating light, now gliding
Below zero. A coast road against faint streaks of dawn is a symbol of
The elapse of time. Mine diggers in cotton or linen
Passed by, basket on shoulder, 

 Baring their birch-hued teeth. Whirring wheels underneath you
In whiffs of zephyr, were like bulls in
A field of wheat. A pat of butter, and a flask of tea tree oil
Were what you carried in your pocket, to sooth the mocking axis,
When you flipped dust of all things off

From your leather gauntlets. ‘Her jewelry and glances are as old as
Roots of banyan trees. Through a wormhole she communicates with the city
Three hundred years ago…’ Bizarre songs they sang.
You founded yourself still. Fallen leaves rolled up 
When you lowered your ride, and tilted laterally
So it became a fire-breathing butterfly, going to war,
Which you reined back from a cliff,
Hoofs in air.

 

Force centripète

La ville, loin dans la jungle d’or d’un couchant magnifique,
Rayonne de lumière et glisse
En-dessous de zéro. Une route côtière, quelques touches d’aube, symbole du
Du temps qui passe. Des mineurs en coton ou en lin,
leur panier sur l’épaule,

Leurs dents couleur de bouleau. Les roues bruissent
Dans la brise, des buffles dans
Une rizière. Une noix de beurre, et une fiole d’huile d’arbre à thé
Dans ta poche, pour apaiser l’axe de la roue
Quand tu secoues la poussière des choses

Avec tes gants de cuir. « Ses bijoux et ses regards sont vieux comme
Les racines des banyans. Par le trou d’un ver elle communique avec a ville
D’il y a trois cents ans... » Ils chantent des chants étranges.
Tu restes calme. Des feuilles tombent et tournoient.

Tu t’es courbée avant de basculer sur le côté,
Alors un papillon de feu est parti en guerre
Tu l’as retenu au bord de la falaise,
Sabots en l’air.

 

 

 

 

 

 

 

∗∗∗

Quantum Walk

Man with [ginger-hued fingers][standard biological clock][recluse mind][decrepit lungs] Man with [jade-hued fingers][Oversped biological clock][moderate mind][fresh lungs] Man with [jade-hued fingers][disordered biological clock][fractured mind][stout lungs]

HE formulated them as above until the scarlet scrawl zigzagged
Beyond the ever-stretching wall, while between the curves he remarked  
In smaller font size: ‘Only for reference as gender-specific samples,’
Applied equally to females, even humans in preceding or subsequent historical stages.’ Quanta without features

Longan-shaped-skulled ones, swirling blind, taking in wisps of smoke, and aroma of wheat
Then dissolved into differentiated data. ‘Appearing like rolling date code stamp,
They formed digits of various numerals, with inherent DNA fragments within,  
Snaky bones (almost phenomenal), and got the label
‘Superposed State’. Braided into a binary plait

Thin and diaphanous, suspended vertically,
They bided their time. Later claimed to be shaped like spinning tops
Instead of coins with heads and tails. They disentangled themselves
Into different positions. This time they were observed

On a two-dimensioned basis. honeycomb pattern in the bullseye – men in [equilibrium state] 9 Points- men in [particular states] 7 & 8 Points- men barely classed as [existing] 2 to 6 Points- all men known to us

 

Promenade quantique

Un homme avec [des doigts couleur de gingembre][une horloge biologique standard][l’esprit d’un reclus][des poumons décrépits] Un homme avec [des doigts couleur de jade][une horloge biologique en surrégime][un esprit moyen][des poumons jeunes] Un homme avec [des doigts couleur de jade][une horloge biologique en désordre] [un esprit dérangé][des poumons forts]

Il les a formulés comme ci-dessus jusqu’à ce que zigzague le griffonnage écarlate
Au-delà du mur qui s’étirait toujours plus, pendant qu’entre les courbes il notait
Dans une police de taille plus petite : « Seulement comme référence d’échantillons spécifiques à chaque genre, »
Appliquée indifféremment aux femmes, même aux humains à des stades historiques précédents ou ultérieurs. » Des quanta sans traits

Avec des crânes en forme de longane, tourbillonnant à l’aveuglette, absorbant des volutes de fumée, et une odeur de blé
Se sont ensuite dissous dans des données différenciées. « Sous l’apparence d’un cachet du code de date mobile
Ils formaient les chiffres de nombres variés, avec les fragments d’ADN inhérents à l’intérieur,
Des os sinueux (presque phénoménaux), et obtenaient l’étiquette
« État superposé ». Tressés en une natte binaire

Fine et diaphane, suspendue verticalement,
Ils attendaient leur heure. Affirmèrent plus tard être formés comme des toupies
Au lieu de pièces avec un côté pile et un côté face. Ils se démêlaient
Et prenaient différentes positions. Cette fois ils étaient observés

 Sur une base à deux dimensions, avec un motif octogonal dans le mille – des hommes en[état d’équilibre] 9 Points- des hommes dans [des états particuliers] 7 & 8 Points- des hommes à peine classes comme [existants] 2 à 6 Points- tous les hommes connus de nous

 

 

 

∗∗∗

Ode to Prime Numbers

    Your name is ‘le seul’.
    Undeconstructible, and enigmatically unyielding.
    As straight as a feather, vividly white as well, is the fragment of bone in the depth of entwined source codes. You never know since when the lips of the cognoscenti started testing on you: They longed to know how the fluttering sequences of binary numbers smell, which scintillate between positive and negative infinity. Ambery? Or just intoxicatingly oriental?
    Their coarseness hampered their forlorn attempt to reach you; their lust to disassemble left them nothing but despair and dirty, worn gloves.
   Just as what Alphonse de Polignac once said: There is a mirror image of you in the fathomless universe, forever 2 degrees apart from where you are located. You almost felt her sometimes… You have spared no vision or hearing in your exploratory search for her: yet you sank into an ocean of molecules -- banal replicas of one another, and then a moor of double helixes blooming and withering ephemerally. All you could see is waving hyphae, stretching along fissures between clusters of stars, whose glimmers tasted so antiquely astringent!
    You were chosen out of all others since you were a ripe embryo. Time-roughened hands with sophisticate calmness, combed through and smoothed out kernels of corn, like what Fate did to centillion bytes of data. The blazing ibis from the east condescended to them like a flash of wisdom –- devoutly before her they winnowed away chaff and dust, while you clung to the center of the giant mesh, like a rare butterfly… They let you nestle up among their fingers, held you to the light and murmured with a Mediterranean accent: “Ciao!”   
    The streets that have supplied you with all colors and sounds of life are in a parallel system to theirs. When you saunter down to the seaside, hands in pockets, local people approaching you with buckets of olives and sardines can not actually meet you, as if you were walking past this place at different times of a day. They indulge in their neon nights while you embrace your sapphire days. Gradually you turn from strangers to dancing partners, lovers and then rivals, in the revelry of darkness!  
    Growth curves of everything are invisible but to the stars: they appear as emerald waves, rising from feebleness to robustness, soaring marvelously, and then plunging, increasingly close to zero. Just as what the frequency of prime numbers reveals, they end up in decay as you end up in solitude. You are destined to be the last celestial body over seven thousand miles of graveyards.
    [Voiceover 1] when you glanced away beyond tracks of time, suddenly he came into view, emerging from underneath surface of the ethereal, gleaming with vigor and tenacity. Those attributes of his do not perish with the body, or even with the soul. He is incarnated everywhere, in weather, energy, and even Zen. A roots-stems-leaves theory could never demystify the origin of him or the canopy above, which could be traced back to Hadean time.
    [Voiceover 2] Compared to the entire history of time, phantasmagoric voices rustling through those lines are nothing but drops of liquid in vascular bundles of the universe. Ears which hear them would turn away shyly like autumn leaves. When there drip out mercury, whoever its sound reaches will be doomed.
     [Voiceover 3] It has been kept secret, that the Fate of human race had been long predicted, by the final scale the convex meniscus rose to.

Ode aux nombres premiers

      Votre nom est « le seul ».
      Impossible à déconstruire et énigmatiquement inflexible.
      Aussi droit qu’une plume, et d’un blanc vif, le fragment d’os dans la profondeur de codes sources entrelacés. Tu ne sais jamais quand les lèvres des experts ont commencé à te tester : Ils brûlaient de savoir ce que sentent les séquences mouvantes de chiffres binaires, qui scintillent entre l’infini positif et négatif. L’ambre ? Ou juste un parfum oriental qui vous monte à la tête ?
       Leur rugosité gênait leur tentative sans espoir de t’atteindre ; leur ardent désir de se défaire ne leur laissait que le désespoir et des gants sales et usés.
      Comme Alphonse de Polignac l’a dit une fois : Il y a une image miroir de toi dans l’univers sans fond, toujours à deux degrés d’où tu te trouves. Tu l’as presque éprouvée parfois… Tu n’as épargné ni vision ni écoute dans ta quête exploratoire pour la retrouver : pourtant tu as sombré dans un océan de molécules – des répliques banales des unes et des autres, et puis une étendue de doubles hélices fleurissant et se desséchant de façon fugace. Tout ce que tu voyais était de l’hyphe qui ondoyait, s’étendait le long de fissures entre des amas d’étoiles dont les lueurs avaient un goût ancien et âpre !
      Tu as été choisi parmi tous les autres parce que tu étais un embryon à maturité. Des mains endurcies par le temps et d’un calme sophistiqué, dégageaient des grains de blé en peignant et en lissant, comme le Destin l’a fait pour des quintillions d’octets de données. L’ibis flamboyant venu de l’Est s’est incliné devant eux tel un éclair de sagesse – devant elle, ils ont dévotement séparé la balle et la poussière, pendant que tu t’accrochais au centre du filet géant, comme un papillon rare… Ils t’ont laissé te blottir entre leurs doigts, t’ont tenu à la lumière et murmuré avec un accent méditerranéen : « Ciao ! »
       Les rues qui t’ont fourni toutes les couleurs et les bruits de la vie sont un système parallèle au leur. Quand tu flânes jusqu’au bord de mer, les mains dans les poches, les gens du pays qui s’approchent de toi avec des seaux d’olives et de sardines ne peuvent pas vraiment te rencontrer, comme si tu passais cet endroit à différents moments de la journée. Ils se font plaisir avec leurs nuits de néon pendant que tu embrasses tes journées de saphir. Petit à petit tu les transformes d’étrangers en partenaires de danse, d’amants en rivaux, dans les festivités de l’ombre !
      Les courbes de croissance sont invisibles sauf aux étoiles : elles apparaissent comme des ondes émeraudes, qui s’amplifient, faibles puis robustes, s’essorent à merveille, et puis plongent, de plus en plus proche de zéro. Exactement comme ce que révèle la fréquence des nombres premiers, elles terminent dans le déclin comme tu termines dans la solitude. Tu es voué à être le dernier corps céleste sur sept mille miles de cimetières.
      [Voix off 1] quand tu as jeté un coup d’œil au-delà des traces du temps, il est soudain apparu sous la surface de l’éther, luisant de vigueur et de ténacité. Ces attributs qui sont les siens ne périssent pas avec le corps, ni même avec l’âme. Il est incarné partout, dans le climat, l’énergie et même le Zen. Une théorie racines-tiges-feuilles ne pourrait jamais démystifier son origine ni la canopée au-dessus de lui, qui pourrait remonter à l’époque hadéenne.
      [Voix off 2] Comparées à l’histoire entière du temps, les voix fantasmagoriques qui bruissent à travers ces lignes ne sont rien que des gouttes de liquide dans les faisceaux vasculaires de l’univers. Les oreilles qui les entendent se détourneraient timidement comme des feuilles d’automne. Quand du mercure s’égoutte, quiconque en entend le bruit sera damné.
      [Voix off 3] Il a été tenu secret que le Destin de la race humaine a été prévu de longue date, selon l’échelle finale du ménisque convexe.

 

 

Pour en savoir plus sur Yin Xiaoyuan , l'article de Marilyne Bertoncini : Yin Xiaoyuan : Les Mystères d’Elche

Présentation de l’auteur




Six poèmes de Nina Kossman (Etats-Unis)

Nina Kossman a quitté l’Union soviétique enfant, avec ses parents et son frère, en 1972, pendant les années Brejnev. A cette époque, la décision d’émigrer était très risquée, l’Union soviétique étant un pays verrouillé. Il fallait obtenir du gouvernement une autorisation spéciale de sortie du territoire, autorisation rarement accordée.

Ceux qui faisaient une demande d’émigration prenaient un grand risque car en cas de refus ils s’exposaient à être privés d’emploi et s’ils étaient au chômage, ils pouvaient être arrêtés pour cette raison – même qu’ils ne travaillaient pas. Ils étaient alors tenus coupables de ce que le régime communiste a appelé « parasitisme social ». Les parents de Nina Kossman ont eu la chance d’obtenir l’autorisation d’émigrer en Israël, seul pays accessible aux Juifs d’Union soviétiqueen ce temps-là. Ils sont restés un an en Israël puis ont choisi de s’installer aux Etats - Unis. Nina a écrit plusieurs nouvelles ayant pour thème son immigration, expérience concrètement fondatrice par-delà le trauma et l’inquiétude constitutive, dont trois viennent d’être publiées en anglais.

https://www.litterateurrw.com/magazines/february_21/index.html?fbclid=IwAR18mSo9NrY -XUlTnsyUuQ6l8Mb1IACl9rV2Lql-bcaMzjMEaBzsfxZ8oWw#p=5

Ces nouvelles seront incluses dans un prochain livre, Dictionnaire du 20ème siècle histoire d’une famille ("Dictionary of the 20th Century : Story of a Family"). Elle a aussi publié un livre sur son enfance, Derrière la frontière ("Behind the Border ") qui relate les épreuves et le parcours d’une famille candidate à l’émigration dans l’Union soviétique de Brejnev.

L’expérience de l’émigration et de l’immigration a laissé son empreinte dans la formation intellectuelle, artistique et dans le travail d’écriture de Nina Kossman dont voici cet ensemble de six poèmes1, premiers textes à paraître en français.

∗∗∗∗∗∗

Choix de poèmes

Traduction de l’anglais Isabelle Macor

LA VALLEE DES YEUX FERMES

1

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire
Moi, né trois fois de l’arbre de chair
tombé trois fois de ses branches nues,
la masse d’eau diaphane,
rouge de la mer maternelle,
syllabes de mon nom se précipitant pour sauver
tes lèvres
immobilité
air
tes lèvres essaient de former comme mon nom-
« complaintes du vent par-dessus le tas
des os » -
que cela soit mon nom en cette vie :
Le Ciel Se Précipitant à la Rencontre de l’Eau.

 

2

Eau de pierre
colorée par le vent,
ciselée par la lumière tombée de tes paupières :
un instant est tout dans le silence du nouveau-né.
Maintenant prends une cruche,
verses-en de petits échos, à égalité
sur la terre,
sur la forteresse du scorpion,
sur les pierres transparentes,
et sur la flamme inerte à la porte.

 

3

Trempant mes pommettes
dans la substance aveugle,
dans l’eau rafraichissante du oui maternel,
Moi, fleuve de ton corps,
Moi, corde raide de la crainte que ton corps se mette en marche,
je retourne à toi la nuit, sans mouvement,
le jour, la nuit
J’ensevelis mes deux mains dans ta solitude :
les échos
me répondent dans ta vallée des yeux fermés.

 

4

Sel de la terre dans une graine de tournesol,
sel sur les feuilles de l’arbre de la destruction,
sel s’ouvrant et se fermant
comme une fleur,
transparent
labyrinthe que je dois traverser
pour fermer mes paupières avec tes doigts de sommeil
pour ouvrir les tiennes avec mes doigts d’argile et d’eau.

 

5

Dans la deuxième décennie du troisième millénaire,
Moi,
hallucination de flamme sur le visage d’un enfant,
gardien des rêves aériens de l’enfant,
tous ses souffles à présent n’étant qu’un seul souffle,
tous ses mots une phrase sans fin,
Je me divise en lunes parallèles,
Je me déverse dans un bol de sang –
Tu me verras sel de ton corps,
tu m’entendras penser dans tes pensées…
Quand je t’offre une face de la lune, tu sais :
Mon visage est le visage dévoré
Par des années de maladie et de faim,
Le visage d’un enfant qui est mort
Il y a cinquante ans.

 

∗∗∗

I am Persephone. Only flowers here still recall the dead, Nina Kossman.

 

La main gauche de l’obscurité est lumière qui recule.
L’absolu est l’odeur en fuite d’une pluie antique.
La bouche que l’on baise n’est pas la bouche sur laquelle on mise son destin.
Regarde : la vibration de la lumière est fraîche brise des jours à venir.

La rive du détachement est loin des algues dormantes.
Les poings sont ouverts pour lâcher prise sous la caresse de l’air.
Rien n’est moins nôtre que les cendres emportées par le vent.
Regarde : le soleil et le corps s’élancent tous deux vers la lumière.

La veille est le rêve familier de la face sèche de la toile.
La veille : l’attente ainsi comblée par les ondulations de la lumière,
elle ne connaît plus la frontière entre le mot et le silence
et la traverse calme comme un nageur fend une vague hypothétique.

∗∗∗

A Child Dreams of a Bright Future, Nina Kossman.

 

PSYCHE A EROS

Je te t’exhorte mais tu es endormi.
Je t’éveille mais tu n’entends pas.
Ton souffle de dormeur se déploie d’ici à là-bas
En un arc majestueux jeté par-dessus les rives.
Quand je suis près de toi, je suis près d’un océan :
des voix, comme des vagues, se brisent à l'oreille
de l’Esprit qui semble seulement endormi.
L’intelligence du sommeil que tu m’as donnée,
la vertu d’une pensée issue
                 d’une paix plus profonde,
de sous la statique qui plisse la surface.
Pour apaiser la surface, je t’exhorte.

 

∗∗∗

DAPHNE PARLE

Je me ferai pousser de discrètes feuilles
dans le silence difficile de la chasteté.

Je me cacherai dans l’immense anonymat
bien que chaque arbre lui murmure mon nom.

Je suis le lit de feuilles qu’il ne pourra jamais brûler
pas même avec ses yeux de feu.

Je suis le visage nu de la fleur ; une croix.
Il ne peut s’échapper en m’atteignant.

Le dieu et le dessein ; l’amant et l’aimé ;
la poursuite et la fuite, entremêlés.

Bien que dieu, il mourra dans les profondeurs de mon écorce.
Je ferai briller sa face sur mes feuilles.

Chaque aigle aura ses paupières.
Chaque événement – sa vitesse.

Chacun des mille soleils
me poursuivra comme il a chassé.

Chacun des symboles du silence
apprendra son nom que je refuse de porter.

Je suis lui : le soleil, son bol immense
déversant les soi comme d’une fontaine de chasteté.

Il est moi : le chant persistant en fuite,
le soleil me poursuivant à jamais.

∗∗∗

He Who Holds His Head in His Hands, Nina Kossman.

 

INCANTATION

Sois en moi tel un chant silencieux
      qui ne cesse jamais, et non
comme sont les paroles prononcées –
      arrogantes et braillardes.
Cache-moi dans une langue sans artifice
      de vérités qui dorment
dans un esprit non dispersé.
      Laisse le non-dit nous faire un bouclier
parmi les phrases clinquantes.
      Rochers empoisonnés du silence,
Gardez-nous.

∗∗∗

The Soon To Be Extinct, Nina Kossman.

Refroidi par la neige,
trempé de pluie,
irrité par l’immobilité
comme si c’était un crime,
les yeux mi-clos,
les mains séparant
les anémones des asphodèles,
tige par tige, 
pétale par pétale...
Et n’oublie pas la petite-herbe-de l’eau,
comment elle s’est nourrie de l’asphodèle,
fleur des morts,
symbole de la mémoire,
et ce bref éclat du soleil
dans la vallée des morts-à-venir,
tandis que tes mains douloureuses
continuent de séparer
le pétale de la tige,
l’oubli de la mémoire
dans la tombe des dieux
qui ne règnent plus sur nous

                             ***

J’ai enfin trouvé une cité
dans laquelle ma mère vit encore.
Vieille, mais vivante,
vieille, mais marchant
toute la nuit dans mon sommeil.

 

Translator Nina Kossman reads from her translations of Marina Tsvetaeva, one of the greatest Russian poets of the last century.

Présentation de l’auteur




Astrid Nischkauer : Poesie passieren & passieren lassen

Traduction par Anne Ortiz Talvaz((poèmes extraits du livre d'Astrid Nischkauer: Poesie passieren & passieren lassen (Gedichte Ausstellung Katalog. Köln: parasitenpresse, 2016)  avec la gracieuse autorisation de l'éditeur.))

 

 

einzelne weiße Blütenblätter
aus dem Nichts heraus
ein Hauch von Schnee

quelques pétales blancs
surgis de nulle part
un souffle de neige

 

 

ein Schutzengel wacht
über das schlafende Kind
hält die Schlange ab
von der Wiege
lässt keinen Herkules
aus ihm werden
sondern ihn unruhig
weiterschlafen

un ange gardien veille
sur l’enfant qui dort
éloigne le serpent
du berceau
ne le laisse pas
devenir un Hercule
mais le rend
au sommeil intranquille

 

 

war im Museum und
fand dort keinen Dichter
in höchster Konzentration
mit schmalen Lippen und
starrem Blick und auch
keine einzige der neunzehn
Szenen mit Kobolden
war zu sehen nur
Farbspiralen und ‐sphären
und ein einzelner Ventilator
der sich, von der Decke baumelnd
an langem Kabel, langsam
in weiten Kreisen drehte

j’étais au musée et
concentré au plus haut point
les lèvres compressées
et
n'y ai pas trouvé de
poète
le regard fixe et aussi
pas une seule des dix-neuf
scènes avec les kobolds
on ne voyait qu'en
des spirales et des sphères colorées
et un ventilateur isolé
attaché au plafond
par un long câble, qui lentement
décrivait de larges cercles

 

zart rankende
Topfgedanken
bei offenem Fenster
dem Licht entgege

doucement grimpantes
près de la fenêtre ouverte
des pensées en pots
à contre-jour




CHEVEUX AU VENT… un projet poético-humanitaire et participatif d’Antje Stehn

Capelli al vento – cheveux au vent,  n'est pas seulement le titre de l'installation d'Antje Stehn, c'est aussi la performance poétique artistique participative en soutien aux femmes d’Iran (lire l’appel à textes ci-dessous) qu’elle propose de créer tous ensemble réunis, femmes et hommes. C’est à ce projet que Recours au poème, comme Jeudidesmots.com s’associent et vous présentent sur leurs sites respectifs, en attendant une présentation conjointe de l'oeuvre d'Antje Stehn lors du marché de la poésie à Paris, en juin 2023.

Artiste visive et poète allemande, née à Fribourg, elle a étudié à l’Accademia di Belle Arti Brera a Milano, avec les professeurs Ferrara et Esposito. Installée en Italie, elle vit et travaille à Naggio, sur le lac de Côme, et à  Milan. En tant que poète, elle fait partie du Réalismo terminale , un mouvement de poètes, artistes, et autres, qui s’inspire du manifeste homonyme publié par Guido Oldani en 2010. Ce mouvement s’ouvre toujours plus largement à toutes formes d’expression les plus variées, réunissant des architectes, des musiciens, des gens de théâtre et du spectacle… Du manifeste de la peinture terminale émerge l’idée disruptive de la “perspective renversée? Antje anime aussi le collectif poétique international Poetry is my passion, qui promeut la diversité linguistique culturelle et le multilinguisme dans le contexte des communautés internationales vivant à Milan. C’est ainsi qu’elle gère la rubrique  « Milan, une cité multilingue » sur le magazine TAMTAMBUMBUM. En tant qu’artiste, elle crée des installations et des performances à partir de matériaux naturels, dont les derniers sont Rucksack (sac à dos) et Capelli al vento.

L’artiste-poète-plasticienne ces deux oeuvres, Capelli al vento et Rucksack, a Global Poetry Patchwork comme dérivant l’une de l’autre. Cette dernière a fait l’objet d’une installation artistique  qui a été présentée au Piccolo Museo della Poesia Chiesa di San Cristoforo, à Piacenza, Italie et qui se compose de deux macro-œuvres : une installation comportant un grand sac, le Sac à dos, fait de sachets de thé séchés et une exposition de courts poèmes. Une installation en boucle audio permet au public d’écouter les voix de poètes récitant dans leur langue maternelle. L’œuvre rassemble un grand nombre de personnes, de lieux, de visions, de langages, soulignant la valeur de la proximité, si significative en ce moment historique marqué par la distance et l’enfermement, par la précarité aiguë du réseau humain.

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Rucksack – Le thé et la poésie : 

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Voici comment l’artiste explique cette première œuvre : 
Les sachets de thé ont une longue histoire qui remonte au XVIIIe siècle, lorsque les chinois ont commencé à coudre des petits sachets carrés pour mieux préserver l’arôme des différents thés. Les sachets de thé continuent d’être l’un des plus petits contenants que nous utilisons et trouvons dans chaque maison. Les sacs de transport ont été parmi les premiers outils utilisés par les femmes et les hommes pour transporter des objets et des souvenirs.

Nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs, mais en réalité les cueilleurs étaient prédominants, étant donné que 80% de leur nourriture provenait de la cueillette de graines, racines, fruits dans des filets, des sacs et dans tout type de récipient léger. Les sacs étaient des outils importants pour le transport des marchandises, hier comme aujourd’hui, car on peut voir des sacs utilisés comme conteneurs de courses dans les supermarchés. C’est pourquoi nous avons décidé de placer le sachet de thé au centre de l’attention, comme cœur d’une rencontre culturelle, et le Sac à dos comme trace de notre lien avec la nature et la migration.

Cependant, on ne peut que se demander pourquoi la représentation de grandes scènes de chasse prédomine sur les parois des grottes plutôt que des personnes occupées à récolter et à transporter des sacs pour collecter de la nourriture ? Cette question s’est également posée à Ursula K. Le Guin, une écrivaine de science-fiction qui a écrit la soi-disant théorie de la fiction du sac de transport, basée sur la théorie du sac de transport de l’évolution humaine par l’anthropologue Elizabeth Fisher. Le Guin a noté qu’il est difficile de raconter une histoire sur la façon dont les graines sont extraites de la peau, jour après jour de la même manière. La chasse, en revanche, est une véritable aventure, pleine de dangers et de surprises, son apothéose finale étant la mise à mort, lorsqu’un énorme mammouth, par exemple, tombe à terre. C’est un matériau pour une histoire d’action et c’est ce que nos ancêtres se sont probablement dit assis autour du feu. Mais aussi tragiquement, elle marque le début de la normalisation de la violence et d’un récit centré sur elle.

L’acte de rassembler, en revanche, avait peu de potentiel narratif ; au mieux, il convenait à une poésie traitant du monde en marge, dont peu se soucient. Pourtant, à y regarder de plus près, la poésie nous parle d’un autre regard sur le monde, d’une alternative au monopole généré par une seule histoire.

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Cheveux au vent, un projet féministe intégratif

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Antje, créatrice de ce premier voyage passionnant, lance un appel pour un nouveau projet, plastique et poétique, et livre les deux premiers poèmes qui l’ont amenée à lancer une nouvelle œuvre : voici le premier,

Cheveux au vent

 

Chaque jour avec courage une femme

lâche ses cheveux au vent, brûle son voile

défier les matraques et les balles

pour la liberté de toutes

chaque jour une dictature étouffe dans le sang

celle qui prend la parole pour réclamer une vie digne

dénoncer l'apartheid de genre

chaque jour remontent à la surface les cadavres d'une histoire déjà vécue

et l’une d’entre elles hurle "je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne,

Je suis le premier ministre, nous sommes les frères d’Italie"

(traduction Marilyne Bertoncini)

La première femme au pouvoir

compare l'avortement au féminicide

et d'autres femmes applaudissent

 

Comment nouer les lambeaux de sens

dans cet enchevêtrement feutré

peut-on devenir encore une plante grimpante?

penser de façon tentaculaire

serpenter

vers le prochain, vers le village

vers l'humanité ?

Ce jardin qui est le nôtre était ici avant nous

avant la semaison

avant de disposer les semis en rangées

avant de séparer les malades et les saines

maintenant toutes poussent dans toutes les directions

elles rivalisent au lieu de fusionner

elles appellent à la paix chacune dans son coin

être un individu n’est pas un privilège

ni penser au singulier

le jardin fut créé

pour l'ensemble

Le second poème d'Antje Stehn,  Femminicidio, a été lu à Milan, à l'auditorium Magnete, le 25 novembre lors de la journée contre les violences faites aux femmes ; vous pouvez l'entendre dit par Antje sur le lien ci-contre :

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C’est enfin un poème d’ELHAM HAMEDI, traduit par Antje Stehn et Mari, qui lance le projet. (Cette poète iranienne, artiste multimédia, conservatrice internationale et membre permanent de l'Association scientifique iranienne des arts visuels, diplômée en recherche artistique de l'Université de Yazd, a eu plusieurs expositions individuelles et collectives en Iran et à l'étranger.)

CESSEZ-LE-FEU

 

Ne tirez pas sur moi !!

Je voulais juste laisser tomber mes cheveux sur les épaules d'un jardin

L'oiseau tombe des fissures de la fenêtre

et le cœur du mur s'écroule dans le pesant battement l de l'anxiété

‏quand ton coup de feu gémit dans mon coeur ‏

 

Ne tirez pas sur moi !!

Ma peau voulait juste sentir un peu de soleil

mes cellules fatiguées voulaient s’abriter à l'ombre d'une fleur

elles voulaient juste embrasser les lèvres de l'eau

 

Ne tirez pas sur moi !!

Le renversement peut devenir une nouvelle création

Une balle en plomb peut être comme la balle d’un enfant

qui joue dans mon coeur

Et ce rêve à l'envers peut être notre rêve éternel,

qui désormais trouve refuge dans les ruelles de l'enfance

à travers les rues de sang.

 

ne  tirez pas sur moi !!

Mes cheveux malades sont morts depuis longtemps

Enterrez les balles de plomb auprès de mes cheveux

peut-être nourriront-ils la terre

et un jour des balles en plastique pousseront-elles

elles savent la technique du jeu des souvenirs

dans les cheveux des poupée.

 

Traduction Marilyne Bertoncini  à partir de la version en anglais Antje Stehn et Mari

 

Appel à contributions : 

Notre « appel aux arts » rassemble tant d'adhésions !

Chers amis du sac à dos de Global Poetry Patchwork,

nous vous invitons à envoyer vos poèmes pour un nouveau projet de performance artistico-poétique qui se déroulera autour de l'oeuvre intitulée

                                                   CHEVEUX AU VENT /CAPELLI AL VENTO, devient une œuvre poético-artistique collective dédiée au courage des hommes et des femmes iraniens et à leur lutte dramatique.

Après le meurtre de Mahsa Amini, une jeune fille kurde de 22 ans battue à mort par la police des mœurs parce qu'une mèche de cheveux dépassait de son voile, des femmes iraniennes ont protesté en se coupant les cheveux et en brûlant des hijabs dans les rues. Capelli al Vento souhaite idéalement les rejoindre et soutenir leur combat, leur cri « FEMMES, VIE, LIBERTÉ ».

il commence maintenant, à l'occasion de la Journée internationale contre la violence à l'égard des femmes, et se terminera le 8 mars avec la première représentation, le parcours créatif de CAPELLI AL VENTO, une œuvre poético-artistique collective dédiée au courage des femmes iraniennes et à leur se battre.

Après le meurtre de Mahsa Amini, une jeune fille kurde de 22 ans battue à mort par la police des mœurs parce qu'une mèche de cheveux dépassait de son voile, des femmes iraniennes ont protesté en se coupant les cheveux et en brûlant des hijabs dans les rues. Capelli al Vento souhaite idéalement les rejoindre et soutenir leur combat, leur cri « FEMMES, VIE, LIBERTÉ ».

Biologiquement, les cheveux n'ont qu'un rôle de "régulateur thermique", sur le plan social, ils jouent au contraire une fonction d'importance fondamentale dans le langage corporel, ils sont un symbole de force et de sensualité, et ont également la capacité d'exprimer un nombre infini de significations dans la sphère culturelle, religieuse, sociologique et anthropologique. L'histoire du voile et des cheveux cachés est très imbriquée au fil des siècles : même dans la culture et la tradition des peuples méditerranéens, la tête des femmes a souvent été cachée par le voile.

Le titre de l'oeuvre, "Cheveux au vent", nous renvoie à un topos récurrent de la poésie allemande. Il a été inventé au début du XIXe siècle par la première poétesse allemande, Annette von Droste-Hülshoff, dans le poème Am Turme, où l'auteur libère ses cheveux et, comme une ménade, les lâche au vent. Un acte jugé rebelle, inacceptable en son temps. Ce topos a été repris par Ingeborg Bachmann (https://www.recoursaupoeme.fr/ingeborg-bachmann-toute-personne-qui-tombe-a-des-ailes/    )  dans Le Chant d'une île (in Toute personne qui tombe à des ailes, Poésie/Gallimard, p.330 et suivantes), et par plusieurs autres poètes.

L'Appel aux arts !

Nous appelons les poètes et poétesses à participer au WIND HATS PROJECT en envoyant leurs écrits, ou vidéos, qui seront exposés avec l'œuvre d'Antje Stehn et en feront partie intégrante.

Tous les participants sont également invités à lire leurs poèmes lors des différentes représentations programmées ; pour ceux qui vivent loin ou à l'étranger, les lectures seront projetées sur un écran vidéo.

 

La première représentation aura lieu le 8 MARS, JOURNÉE DE LA FEMME, à Milan, dans l'espace théâtral QUARTAPARETE, à la gare Porta Vittoria.

 

En mai, l'installation fera partie d'expositions collectives à Milan et Plaisance. D'autres répliques sont prévues pour des dates et des lieux à définir

COMMENT PARTICIPER ?

Envoyez un e-mail avant le 1.2.2023 avec :

  1. un court poème (max 10-15 lignes) sur le sujet, dans votre langue maternelle et, si possible, une traduction en anglais ou en italien par un locuteur natif.
  2. une courte biographie de 3 lignes de vous.
  3. une vidéo réalisée avec un téléphone mobile (horizontalement) où vous lisez le poème avec un son clair. Les vidéos créatives sont les bienvenues.

 

Adressez le mail à :

canoe@inwind.it (ceux qui souhaitent envoyer un manuscrit contactent Antje Stehn par e-mail pour demander l'adresse postale)

Abonnez-vous à la chaîne Rucksack sur YouTube pour avoir une idée de ce qu'ont fait les autres poètes du projet Rucksack.