Jules Masson Mourey, Arlet

Ainsi Arlet mon enfant chéri t’ai-je donné – pardon oh mille fois pardon c’était sans y penser vraiment ! – une âme horriblement furieuse et charitable
le lendemain matin du Mardi Gras qui est l’exact jour du calendrier où il fallait bien que tu naisses enfin de ma chair car j’avais mis dessus dès la chose faite une image découpée de la douce figure de la Très Sainte Vierge Marie de La Mer des Antilles
c’était là donc que tu devais naître avec les deux confettis en or coincés derrière chacune de tes paupières collées et ta peau qui sentait bon la salive et le sang comme celle des très jeunes chiens-tonnerres
déjà au fond de ta bouche acérée et de tes oreilles grandes ouvertes il y avait loin depuis très loin oui oui le goût des fastueux soupers de viandes de barracuda de porc sauvage d’écrevisse et d’eaux de canne et les gros bruits de bombes et les étincelles mauves et vertes des feux de Bengale montés plus hauts que les plus hauts arbres quadricentenaires de toute la Confédération caraïbe
ah quel office Bon Dieu !

il fallait voir les chars dressés façon tentes et véhicules aux coins des petites rues noires les beignets farcis jetés en moulins à la foule primitive les caraques accostées retour de pêche et cette fanfare extravagante faire rebondir jusqu’à l’agonie les organes trop frêles des céphalopodes de la baie de Saint-Pierre
(les vivats)
il fallait voir les montreurs d’anacondas – d’anacondas femelles bien entendu puisque les mâles sont beaucoup trop réputés pour leurs méchantes sournoiseries – les vendeuses de crèmes glacées multicolores les meurtriers et les arnaqueurs encravatés fleur à la boutonnière crachée comme une dent rouge les faux éclopés les cheveux si sombres si bien peignés en raie de chaque côté des avocats sortis de leurs études pour regarder béatement le grand ciel éclaboussé
il fallait voir les quarts de melons engloutis à toutes dents les toutes petites chaussures et puis le traditionnel et bestial linge à fleur de lys maculé de jets limpides mis à la fenêtre passé minuit par les nouveaux noceurs
(les rosaires les toupies et les minuscules poissons)
il fallait voir enfin les têtes de diables croqueurs fichées dans le sable nocturne
après le charivari

revenons plus exactement à toi Arlet mon enfant chéri mon trésor que sais-je encore
pardon oh mille fois pardon pour les épouvantables promesses que je dois te faire bientôt
mais je crois qu’il y en a aussi certaines un peu moins navrantes et même de très joyeuses !
d’abord regarde voilà ton portrait peint sur bois de violette comme personne que moi ne t’a
jamais vu
les yeux maintenant bien ouverts calmes et durs comme ceux des fauves enfermés le nez plat
les lobes troués la taille étroite avec de longues jambes de coureur qui montent jusqu’au cœur
ainsi donc voilà aussi ton destin

tu es le marronneur des premiers jours de la saison sèche
et à cause de ce travail abrutissant il te faudra courir sans t’arrêter c’est-à-dire en fait jusqu’au
bout
sauf évidemment devant les oratoires pour te signer en bon chrétien pour étancher ta soif et pour
fractionner le pain de cassave
il y aura des solitudes et de l’ennui ça vraiment beaucoup et l’araire aiguisé et les deux bœufs
énormes qui rayeront systématiquement tes épaules en vomissant leur langue – ils n’arrêteront pas
il y aura des muretins à enjamber en te cachant le regard pour ne jamais voir à travers la forêt
les terrifiantes maisons illuminées de l’intérieur gardées par d’immenses nègres osseux devenus
tout à fait sordides
il y aura des massacres et des processions pour s’en repentir en projetant des bannières
vers le haut et en balançant des encensoirs
par-dessus tout ton malheur il y aura la belle grande fille aînée du gouverneur d’Esnambuc avec
son parler de coulie
elle qui pour garder serrés dans son hamac brodé de motifs de coqs et de soleils couchants les
amants des villes frotte pendant sa toilette d’après l’amour au creux du large delta d’entre ses
seins lourds comme des sacs de café un quart de gousse de vanille – elle qui a l’attrait oh ça oui
pour les pierres et les métaux de gros carats que toi seul pauvre bourricot aura la veulerie de
poser sur ses cheveux et autour de son nombril 
jamais elle ne t’aimera pour rien au monde rien de rien
et tu n’y pourras rien
sache-le
et tu en seras parfaitement fou de rage

mais toujours je sais qu’il y aura ta main condoléante dans la mienne
et aussi pitié envers les grandes mendiances
et toujours il y aura avec toi le boum-boum familier du cœur des anciens défunts foudroyés à
l’horizontale une fois deux fois trois fois et même réduits à l’état de squelettes sous les gravures
des pierres tombales
il y aura la mer bleue qui suçote en rêvassant le bout des vieux membres rhumatiques de notre
île
je te dis que l’adoration des frères et des amis sera malgré tout ta fortune
mais songe à les adorer correctement en retour – ni trop ni trop peu

maintenant Arlet mon enfant chéri mon trésor mon prince
souviens-toi que la terre-perdue c’est la terre-aimée à jamais
et souviens-toi que cela ne fait rien
tout a déjà eu lieu et tout recommencera
tu y penses parfois toi-même
le seul et unique salut réside dans cette foi-là
l’eau de la Grande Anse qui t’asperge ce lendemain de jour de fête est la même eau qui à la fin
te reprendra

Présentation de l’auteur

Jules Masson Mourey

Jules Masson Mourey est né le 28 septembre 1992 à Schœlcher, en Martinique.

Docteur en archéologie (spécialiste des arts préhistoriques de Méditerranée et d’Afrique) et journaliste scientifique, il partage actuellement son temps entre Aix-en-Provence et Madrid.

Bibliographie 

Il publie régulièrement des textes dans des revues telles que Catastrophes, L’Intranquille, Verso, L’Épître ou Lichen.

Poèmes choisis

Autres lectures




Etienne Pinat, Acquiescement et autres poèmes

 

Dans le blanc
la vie dit oui avec ses yeux
éclaircie de neige nue
pâquerette fanée se dévore.

Le monde posé sur la tranche
au rebord même des choses
basculé dans le jaune.

Le sol liquide terre-éther
présence de l’absence
dans la dissipation.

Partout la transparence accueille
pleine lumière dans son creux.

Dans l’effacement solitaire et clos
c’est l’ouvert qui éclot.

Jamais l’acquiescement
n’a tant brillé qu’ici.

*

À CIEL OUVERT

Vivre
                       dans l’étonnement de l’eau
là où surgit
             la mousse d’une absence

Laisser
laisser poindre cela

Seul saura
ouvrir le ciel
avec cette absence échue

*

ÉCLOSION

Ouvert
le bleu du ciel

Le point du jour s’allume
sur le faîte de la lumière

Aérée dans le blanc
La passée du nuage

Le calme éclot
dans l’absence

*

Noir de la nuit
gorge nouée.

Approche du vide
à l’étrangère exquise.

Tu sais cela :
l’angoisse bat le sang.

*

Dès lors que l’épaisseur de l’apparence trop dite
fond dans la mémoire
le creux du monde est-il parole pour personne ?

Pourtant troué
le mot recueille encore
ton monde sur ma page :

Toujours l’écho
du sein dédié
à la part tue du monde.




Présentation de l’auteur

Etienne Pinat

Etienne Pinat est professeur agrégé de philosophie en lycée et chercheur indépendant. Il est spécialiste des œuvres de Martin Heidegger et Maurice Blanchot, qui ont en commun de rapprocher pensée et poésie.

Il est l’éditeur des traductions inédites de Heidegger par Blanchot. Il est directeur en chef adjoint de la revue en ligne Actu-philosophia. Sa réflexion philosophique sur l'expérience poétique ne serait pas possible si cette expérience ne l’accompagnait pas depuis tant d’années. Son premier recueil est en cours de préparation.

Bibliographie 

Il est l'auteur de Les deux morts de Maurice Blanchot, paru en 2014 chez Zeta Book et de Heidegger et Kierkegaard. La résolution et l'éthique, paru chez Kimé en 2018.

Autres lectures




Isabelle Lagny, Les Mots et autres poèmes

1 - LES MOTS

Et si le silence
Etait mon langage…

Avide de savoir
Tu récoltes mes cils
La tempête qui me traverse
Tandis que je dessine ton nom
A la craie sur des miroirs

Mais si je penche la tête
Comprendras-tu ce geste-nuage
Perdu dans le bleu du jour ?

Alya, in Journal derrière le Givre, 1ère Ed. L’Harmattan, 2002, puis Ed. La lune bleue, 2018, et choix de poèmes d’Isabelle Lagny, recueil bilingue, Ediçoes ¼,  Belem, 2019.

2 – LA BLESSURE

                        à Salah Al Hamdani

Il est des gouffres qu’on ne peut franchir
On s’élance sans répit
On retombe immanquablement

Depuis dix jours
la radio se tait
Plus de nouvelles à entendre
rien d’autre que les drames d’ici
que l’on attise et que l’on éteint

Qui comprendra l’existence à notre place ?
qui retroussera ses manches
qui se jettera au feu 
au brasier de l’aube ?
Il faut du courage
pour éclairer les sillons du labour

Je voulais être l’unique
ta douceur volatile

Des pierres sous nos pas se sont mises à trembler
Un torrent de pierres
a dévasté
l’après-midi de notre vie

Je me suis agrippée à toi
suis tombée tant de fois
tandis que tu me cherchais ailleurs
perdu à l’horizon (…)

Blessure in Contrejour amoureux, Ed. Le Nouvel Athanor, 2016.

3 – RETARD

                        à ma mère

Tu  as oublié de revenir
Cela fait trente ans de disparition ocre
De plis infinis et de lignes blanches
Autour des paupières de ma mémoire

J’ai gratté le fond du fleuve avant de te quitter
L’ai déposé au fond de mes poches d’enfant

Où s’accumulaient crayons de couleur neufs
Et dents de lait

J’ai compté combien de fois tu m’avais embrassée
Puis j’ai plié des quantités de bateaux
Avec la même feuille
Pour attendre ton impossible retour

Nuit Inversée, Ed. Al Manar, 2018.

 

4 – VALLEE

Se laisser captiver par le remugle gris
Du ciel
Sonner des semailles au carillon des noces
Partout dans les boucles du fleuve décoiffé
Par l’orage
Tu rampais comme un crocodile éteint
Comme un géant épuisé par l’adversité

N’était-ce rien d’autre que le beuglement de l’hiver ?
La grande fatigue scintillante
Au-dessus de notre chemin dense ?

Gavotte d’un rouge-gorge atteint par la flèche
Dans une mare de ville
Pour conter la vie et la mort du fleuve
De la faune, de ses rives
Quand glacées d’incertitude
Elles annonçaient au voyageur
La fin du chemin embourbé

La Risle d’étiole ce matin
Autour des libellules en réunion
Le verger rend compte des pertes de l’été
Des fruits piquetés habitué à l’humus

Puis les nuées s’écartent
Comme deux paupières automnales
Et tu me souris enfin
L’idée irriguée par un bourgeon de lumière

Nuit Inversée, Ed. Al Manar, 2018.

5 – DES NOMS AU BOUT DES BRANCHES

                                   A ces millions d’hommes déplacés
                                               A Laurent Gaudé, écrivain

Exhalaison de feuilles roussies
Liste de noms
Flottant au bout des branches

La forêt ce matin est un concert de plaintes
Un refuge de poèmes exilés

Le blanc est tombé
Comme une lame
Sur le cœur de l’obscurité

Les cris des jacinthes des bois
Ont ridé le sang bleu du lac
Désormais elles nous donnent
A voir
La folie du vent

Ici nous sortions du noir
Et grâce à toi
Je capturais les cimes

Puis ils ont triché
Avec l’automne
Alors que perlait encore
Au bout du regard
Le souvenir de la louve

L’enfantement ne vint plus
Cheveux dressés
Robes lacérées
Nous avons appris
A refouler ces peuples
Dans des zones
Dépourvues d’amour

Depuis un rideau de grêle
S’abat sur les enfants nus

Jamais on n’aurait cru
S’habituer
Ici
A cette détestation de soi

Nuit Inversée, Ed. Al Manar, 2018.

6 – LE CHEMIN DES LUCIOLES

                                   à Lucienne, ma mère

J’ai égaré tous mes instants
Et ces champs de bataille
Qui gardaient
Mes soldats rangés
Dans le récit

J’ai égaré les livres
Les illusions de la sagesse
Et les manèges de l’enfance

Et je me suis trainée longtemps
Le long d’un chemin cahoteux
Comme la robe insoumise d’une mariée distraite

Puis tout au bout j’ai clamé
Que je voulais ma mère
Dans un souffle de réminiscence
Car elle n’était plus là

Nuit Inversée, Ed. Al Manar, 2018.

7 – LE SOMMEIL DU POETE

                        à Ivan et Ariane, mes enfants

Le sommeil est une brique
Déposé sur les draps
Des pensées arrosent le jour
Et amarrent les plaies de la nuit

Autrefois
Avec ma mère
Dans mes bras béants
Je reconstituais le monde
Pierre après pierre

Et je l’y faisais vivre
A ma guise
Elle et son sourire
Exhumé des décombres

Il y a ici
Dans les fractures de l’air
L’explosion du calme
Un déficit de violence
Et un nid pour la pensée

Il y a ici
Une porte
Qui claque doucement
Puis une voiture souffle l’aube
A travers ma fenêtre
La chaudière bourdonne
Et mon front se pose
Sur la traîne de l’obscurité

La respiration de mon bien aimé
Flotte sur les choses
Sur la plénitude des choses
Elle chérit le chant
De la tourterelle
Sur la table du printemps
Explore les draps frémissants
Dans le lit déserté
De la chambre nuptiale

Et au petit matin
Quand le jour
N’est encore qu’une lumière bleue
Les guerres sont finies
Les puissants sont morts
Et une coccinelle habite mon cœur 

Nuit Inversée, Ed. Al Manar, 2018.

8 – RIRES GORGES DE LUNE

                                   à Ariane ma fille

Mon étoile tremblante des vergers
Du feu et des collines
Rétive dans mes filets

Apprends-moi ta danse effrénée
Et étanche ces larmes d’insouciance
Incrustées comme des coquillages
Sur l’oreiller du jour

Qu’il me plait de sautiller avec toi
Sur les trottoirs brillants !

Mon adorée ma féline
J’ai chassé les fantômes de tes nuits
Avec des rires gorgés de lune
Et saupoudré ton aube
De mes espoirs fugaces

Tu te tisses un destin
A rebours de ma vie
A rebours ton empreinte
Sur les lignes de ma main

Oser encore – Hommage à Andrée Chédid pour le centenaire de sa naissance, Ed. PO&PSY érès, 2020.

Présentation de l’auteur

Isabelle Lagny

Médecin, écrivaine, poète et photographe, Isabelle Lagny est née en 1961 à Paris. Elle a publié plusieurs recueils de poésie en tant qu’auteure depuis 2002.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Bibliographie 

Dernières publications de poésie : Contrejour amoureux, (avec Salah Al Hamdani), dialogue poétique, Ed. Le Nouvel Athanor, 2016 ; Le Sillon des jours, Edition Pippa, 2017 ; Poèmes d’Alya, avec des gravures de Danielle Péan Le Roux, Ed. La lune bleue, 2018 (épuisé) ; Nuit inversée, avec des peintures de Yousif Naser, Ed. Al Manar 2018 ; Este gesto-nuvem (Ce geste nuage), choix de poèmes bilingues français-portugais (Brésil), traduction par Antônio Moura, Ediçôes do escriba – Ediçoes ¼, Belem, 2019 ; La Traversée du jour, anthologie poétique 2002-2018, traduction en arabe par Salah Al Hamdani, Ed. Dar el Ketab, Tunis 2024. Certains de ses poèmes publiés en revue sont traduits en arabe (par Salah Al Hamdani ou Issa Makhlouf), en hébreu (par Ronny Somekh), en espagnol (par Myriam Montoya).

Isabelle Lagny collabore depuis 1996 avec Salah Al Hamdani, poète français d’origine irakienne, à la traduction d’une douzaine de ses livres écrits en arabe. Dernières publications : Salah Al Hamdani, L’Arrogance des jours, Ed. Al Manar, 2019 ; Salah Al Hamdani, Le Retour à Bagdad, Ed. DareeBooks, Canada , 2022 ; Salah Al Hamdani, J’ai vu, Ed La Kainfristanaise, 2023.

Elle est également auteure de nouvelles et récits : Rendez-vous dans quinze jours, Ed. Unicité 2021 ; et d’autres textes en prose dans les revues Brèves, France (Vingt cinq ans) 2015 et Les écrits, Québec (Le mensonge) 2019. Auteure d’expositions photographiques depuis 2013, elle a conçu un livre de photographies avec des textes de Nicole de Pontcharra : Marrakech à l’ombre de l’enfance, bilingue français-arabe (traduction par Salah Al hamdani), Ed. Réciproques, 2015.

Elle a été médecin du travail pendant trente ans et continue à écrire des essais en sciences humaines depuis 1998. Dernière publication : La Pensée médicale en action – une pratique de la médecine humaniste universelle, Ed. Marco Pietteur – Résurgence, Belgique (sortie prévue en mars 2025).

Autres lectures




Gérard Cartier, Histoire naturelle

 

Le monde recommence        & volage
se perpétue        sur l’horloge arrêtée
à midi un pigeon solitaire        louant
le soleil & le vent        laudato si’
per aere        à rester sans voix…

*

Les couleurs oscillent sous le vent        gentianes
lis sauvages        troupeaux de chasse-mouches
& 100 rochers usés par le temps        nul désir
ici à nous harceler        l’éventail seulement
          des états de la matière        en quoi tantôt
pierre & tantôt herbe        se réincarner

*

Enseveli parmi les livres 3 longs murs
poèmes & romans La vie pensive
& l’aventure Tout à la fois l’ermite
& l’amant & tous les êtres inférieurs
de messieurs de Buffon & de La Cépède
qui bénissent le ciel ou sous la terre grasse
cherchent un instant l’improbable bonheur
Seul au monde & multiple

*

Grand soleil nomade enlève-moi Ma vie
m’est trop étroite Un jardin de curé
où un merle captif écoutant au loin
les oies s’enfuir imagine & se plaint
Trop étroite pour mes ailes de 7 lieues
aux plumes rognées…

*

À la tombée de la nuit les courtisanes
sur leurs patins de bois qui vont en riant
chasser les lucioles un lumignon rouge
& un long bâton pour attraper leurs proies
je ne sais qu’en dire si c’est de la débauche
ou de l’innocence allégorie…

*

Un parfum épais Cacao Criollo À nous
les colonies de palmes de nègres bons
comme avant la philosophie Eldorado
où de lourdes gousses pendent odorantes
dissimulant dans leur moite pénombre
des serpents tachetés férus de morale
& des filles aux seins pointus Qui s’y frotte
devient si faible qu’il en oublie de vivre

Poèmes extraits de Les bains-douches de la rue Philonarde (à paraître, Obsidiane, 2025)

Présentation de l’auteur

Gérard Cartier

Né en 1949 à Grenoble, Gérard Cartier vit à Paris. Diplômé de l’École Centrale des Arts et manufactures en 1972, il a toujours poursuivi, en parallèle à sa vie professionnelle – ingénieur sur les grands projets d'infrastructures – une activité de poète. Nombre de ses livres tirent leur motif de l’histoire récente et témoignent, comme l'a écrit Emmanuel Laugier, de son “ ambition d’écrire une poésie épique, mêlant les heurts de l’Histoire, du nazisme à l’Algérie ”. Il a été, avec Francis Combes, l'initiateur et le maître d'œuvre de l'affichage de poèmes dans le métro parisien (1993 à 2007). Coordinateur de la revue électronique de littérature Secousse, Gérard Cartier est aussi auteur d’une quinzaine de recueils et récits.

© Crédits photos Wikipedia

Bibliographie 

Poésie

  • Le montreur d’images, Saint-Germain-des-prés, 1978
  • Passage d’Orient, Temps Actuels, coll. Digraphe, 1984
  • La nature à Terezin, Europe Poésie, 1992 (Encres de Michel Harchin)
  • Alecto !, Obsidiane, 1994
  • Introduction au désert, Obsidiane, 1996
  • Le désert et le monde, Flammarion, 1997 (prix Tristan-Tzara, 1998)
  • Méridien de Greenwich, Obsidiane, 2000 (prix Max-Jacob, 2001)
  • Le hasard, Obsidiane, 2004
  • Le petit séminaire, Flammarion, 2007
  • Tristran, Obsidiane, 2010 - (traduction anglaise : [lx] press, Los Angeles, 2016)
  • Le voyage de Bougainville, L'Amourier, 2015
  • Les Métamorphoses, Le Castor Astral, 2017
  • L'ultime Thulé, jeu de l'oie, Flammarion, 2018
  • Le voyage intérieur, documentaires, Flammarion, 2023 (Grand Prix de poésie de la SGDL, 2001)
  • Le roman de Mara, Tarabuste, 2024

Proses

  • Cabinet de société, récits, Éd. Henry, 2011
  • Du neutrino véloce ou Discours de la virgule, récit, Passage d'encres, 2015
  • L'oca nera, roman, La Thébaïde, 2019
  • Du franglais au volapük ou Le perroquet aztèque, essai, Obsidiane, 2019
  • Ex machina, journal de l'Oie, La Thébaïde, 2022

Pièce radiophonique

  • La déportation d’Hermès, France Culture, 1987 (Nouveau Répertoire Dramatique, réalisation Claude Roland-Manuel)

Traduction

  • La lanterne de l’aubépine de Seamus Heaney, Le Temps des cerises, 1996

Anthologies (Choix et introduction)

  • Anthologie des poèmes dans le métro, Le Temps des cerises, 1994, 1995, 1999, 2005
  • O ЖИВОМ (Sur le vif) - 12 poètes français contemporains, Association des écrivains de Voïvodine, Novi Sad, août 2015
  • En vivo (Sur le vif) - 15 poètes français contemporains, Leviatán, Buenos Aires, novembre 2015

Poèmes choisis

Autres lectures




Antoine Loriant, provençale

Il t’est un voyageur fidèle qui, loin dans le matin,
boit à la corne de tes yeux.
Et, l’étoile t’hommage,
publie ses pensées sur le sable.

L’exil est une conviction avec laquelle tu nais.
Bête de psaume dans le tintement des cloches
elle danse sa joie avec les épées, là, dans la digue, au-dessus.

Une moitié de lance,
bonne qu’à délirer les aveugles et les marées,
qui, foulée dans ton réveil,
habille chaque coquillage en oracle.

 

Provençale

Carillon dans le bois le feuillage osseux
plein de claquements de langue
saluent le cortège pourpre des étoiles.

Aux murs de l’été, tardives, elles viennent semer la rosée mauve
dans les ombres aux articulations mauvaises
et sur le rêve des marcheurs oubliés.

Sous le marteau de l’azur tombent des coins du ciel des alarmes
et avec le débris fou des pastoureaux.
Les voûtes de plumes abritent encore le secret des légendes perdues et le prix des mythes.

Bruns le jardin et la paille et les heures, humbles, qui somnolent sur les genoux du désastre.
Du vin des tournesols ayant perdu son or, coulé loin dans les astres,
Se tordent les fronts brisés au-dessus d’un matin précoce, oraison de poussière brune.

Cette constellation-là s’ouvre en signe mauvais
et fait bleuir le soleil du soir à l’image des jours anciens.
Le lendemain sombre en silence meurt dans la pierre.

Les larmes du blé viennent peser sur les épaules de la saison pour toucher au soir.
Un éclair rouge court dans les flaques de la nuit,
et un vitrail, là-bas, éclate de mutisme.

Les marcheurs d’omissions

Réduite entre les poings blancs des nuits successives,
Sous la poussière de l’astre lunaire, tour à tour,
le voyageur devient errant et le errant pèlerin.

À la sortie des cercles de leurs feux,
ils guettent dans le loin son visage dissous.
Leur joie chante le pourrissement noir du silencieux,
Chaque jour, avec leurs lèvres.

Des araignées s’encerclent à son cœur,
et ses mots déjà sont gagnés par la viscosité de la soie.
Comme phalènes penchées sur le vide ils viennent confesser leurs aiguilles,
et lui reproche le manque de lumière qu’ils lui dévorent.

Le devance un soupir qu’il ne souvient pas avoir poussé.
Le nœud de ses mains bouleversées se referme sur un orchestre
Dont lui seul suppose la gratuité.

 

 

Jus absentis

Juste au front de la loi,
juste,
les régiments avariés
t’accordent du bas de leurs hivers passage.

Juste derrière le verre du jour,
juste,
celui qui toujours parvient le dernier
aux quatre coins du sang, la forge.

Sans mots ce qui monte de la vie,
sans mots.
Les sépultures en file se passent la laine
gardée dans le coffre bleu de leurs bottes.

Tu jettes tout au feu de forge
juste.
Où gonflent les rivets d’or dépareillés
tu frappes et démontes et laboures l’héraldique mordu à blanc.

Ta main glisse juste entre le sommeil et l’enclume,
juste.
En vain tu t’es promis des armes contre le temps
Et les régiments te saluent de sous le charbon.

Sans mots ce qui monte.
Juste.

900 secondes et quelques kilomètres

Aux sommets du doute, nous glissions sur la pierre fendue de lumière.
Carburant d’ozone, le souffle pris dans un air à défaut sur un pur à vibrations de vaste.
Cible des couleurs polymères, soleil contre-soleil
Comme un éclair frappant la neige.

Un langage                                             - soupir
                                   de brandons                               en feu

Fusillant nos ombres contre l’enclume des duvets               mauves-
bleus,
                        fourrure des montagnes

L’odeur hachurée des convulsions […]

L’œdème-faisceau, rasant à fleur de silence l’oblique de la lande. C’est la fatalité de notre poussée qui nous devance et nous attend. Nous portons son action en nous, et malgré nous.

Nous ne croyons plus en son alignement parfait avec la limite de notre monde. Nous élisons son souvenir afin de pouvoir en parler sans jamais l’aborder.

Les freins amorcent la descente, et nous devenons les dolents de la cible.

Présentation de l’auteur

Antoine Loriant

Né en 1997 et vivant dans le Sud de la France, mon intérêt porte majoritairement sur les questions de croyance, de débordement, et d’altérité. Écrivant et dessinant en sus de mes études de philosophie, mes recherches actuelles se portent sur la figure de Maurice Blanchot ainsi que sur la structure comme parole cachée au sein du roman.

Autres lectures




Pablo Poblète, Lettre amie à une amie

 

Attends-moi, que j’arrive, je ne suis pas trop loin
et ta peine est trop près de moi pour que je puisse t'abandonner
ce qui signifierait m’abandonner moi-même.
Attends-moi que j’arrive avec de la couleur et de belles paillettes pour jouer aux clowns
et aux cracheurs de feu
dans le festival de la belle et dérisoire et trompeuse
et humoristique vie !
Celle qui nous met au monde pour parcourir et surmonter le plus grand défi, le monde,
notre monde qui me verra un jour m’endormir en Paix, dans un monde toujours sans
Paix.
Ô grand théâtre au ciel d’étoiles furtives !
Extraordinaire spectacle universel !
Nous allons jouer à nous déguiser de jour ou simplement de nuit,
nuit de masques moqueurs et tendres, mélancoliques, mystérieux
ensorcelant notre conscience ensoleillée entre danses et feux d’artifice dans un rite
d’amour à la terre et au cosmos fusion intérieur de goutte sacrée qui glisse par la force gravitationnelle de la pensée
auto baptisée « Larme constellée »
Attends-moi, cœur fragile, fine feuille naissante, attends-moi, je t’amène quelques fruits
de ma lointaine terre natale,
un morceau de neige éternelle de la cordillère des Andes, un bateau à voiles rempli
d’épices qui s’appelle « La valse du paradis »
et une lune inventée et fleurie de «*copihues» par des autochtones austraux tatoués par
les craintes au territoire "De ne plus être "
terre fertile née d'adorations inconnues d’un peuple de Foi, nourrit d’espoir.
Tu verras quelques rayons d’un crépuscule austral au fond de mes yeux et de mes
cernes de peuple ancestral, un reflet d'aiguilles dans le corps d’un impossible, rendu
visage d’ancien enfant
qui a su se battre pour exister au milieu de l’agression de l’inexistence.
Je sais que mes cadeaux ne répondront pas à tes interrogations issues du grand volcan
qui est l'esprit de vivre chaque instant avec des minutes englouties par tant
d'incompréhension de soi et des autres.
Je voudrais te dire que j’ai appris l’alchimie de transformer ma douleur originelle en
musique d’un beau rêve à moi pour communiquer avec des oiseaux sourds aux ailes cassées.
J’ai appris à transformer ma plaie ouverte en fleur fraternelle.
Ensemble nous irons visiter, toi et moi l’innocence, celle que j'ai perdu dans les
labyrinthes d’un temps capricieux et celle qui a percé mon âme reflet de ton âme.
Nous avons toi et moi, encore du temps a donner avec nos mains si jeunes et si
anciennes, un petit émerveillement de vie,
pour ceux qui ont oublié de chanter la vie.
Toi, tu iras bercer les nouveaux héros blessés et moi, j’irai à la vendange à sucer les jus
divins des vignes bénies ou peut-être, j'irai à la récolte des olives penchées en haut des
nuages.
Tu me raconteras combien de temps tu as mis pour réussir à ouvrir tes yeux, moi, je te
raconterai combien de vie j’ai vécu pour apprendre à ne pas m’étouffer de mon propre
souffle libéré.
Combien de chemins inextricables entre le bien et le mal j’ai dû traverser pour arriver à
écrire ces mots fraternels d'amour universel que je t’écris aujourd'hui en étant bercé
par l'océan de l’île de la Guadeloupe en pensant à toi et tes jeunes ténèbres.
N’oublie jamais, ma jeune amie,
là où existe l’obscurité, existe forcément la lumière.
Continue à marcher ! Ne regarde plus en arrière
Avance ! Avance vers ta lumière!

*** Copihue, fleur nationale du Chili.




Emmanuelle Gondrand, Toi et autres poèmes

Toi qui manques au jour comme la nuit au monde
Guettant son repos sous la lampe
Toi dont les yeux marchent au repaire
Humant le seuil de chaque vent
Toi qui effeuilles demain de tes doigts détachés
Vérifies et cales le sillage
Toi qui n’es pas, que j’invente
Ma compagne rendue
Mon épaule promise

Palmyre

Dans l’atelier presque nu
Le jeune mécanicien inventa la pièce
Et disparut
Poussant un pneu
Comme on distrait un cœur lourd
Par les rues larges à digérer une prison.

Au mur de l’oasis
Il faut être bien espiègle pour passer
Ou l’enfant comme l’eau façonnant son chemin.

Les hommes
Seuls
Talons agiles
Abritent dans leurs manches le savoir bruni.
Ils peuvent le soir lever la tête
Vers les mains des arbres s’offrant le dernier soleil.

Là-bas, les ruines sont de nos rêves faites, debout.
Par leurs pores la terre roule sa fierté de nous porter encore.

La brute ignore

Qu’en explosant

Le sourire des siècles rejoint la lune énorme

Qui tient les comptes.

Amour

Tu es le larmier de toutes mes façades
Viens, abritons-nous si seuls
L’orage atteindra à temps la croupe de nos rires
et le revers de nos joues.
Sur la tienne je pose ma main, ligne de basse
qui soutire à tes questions
leurs torsades
qui sème dans tes yeux
leurs altérations.

Je vois que tu te penches sur ce tableau connu en y cherchant ce qui te fait trembler.
Ecoute derrière la pièce d’eau le passe-pied masqué et la grive qui l’espionne.
Martèle encore un peu l’image et tes yeux riront eux aussi.
Sur la grève pour Cythère on se hâte, mais s’il fallait rester ? Pour suivre d’un doigt
brûlant la courbe où au calendrier tu mêlas les feuilles pleines, les fruits ramassés,
les barques soudaines et nos bras délicieux.

La bourrasque promise fait sourire les fenêtres. Je t’offre nos épaules au vent,
caressant l’espace de gammes en serments. Je t’offre la croisée ouverte sur le mur
chaud où s’impriment, la veille en applique, l’appui de demain, l’impossible toujours.

∗∗∗

Mon garçon

A mes fils

Mon frêle et gracile.
Mon garçon
Mon petit miel qui rit

Ma lecture innée
Mon sommeil de moissons
Mes sillons résumés
Mon parasol en bonds.

Je fais le serment rose de faire se lever le soleil comme tu le veux : et tu tiendras ma
main.
Je fais le serment roux de ne jamais m’incliner en barrière : et tu lâcheras ma main.

Je veux être la mousse des forêts reculées, douce à ton pas curieux et nu de terreurs
résiduelles et puissantes.

Je veux être la brume qui s’étiole à la proue de tes départs, parfumant tes doutes de
la sève du retour entier.

Je veux être la jointure blanche de tes poings au haut des boulevards où d’autres
vont en pente, lorsqu’il faudra trouver la maille par où commencer.

Je veux être, aux soirs des solitudes qui ne manqueront pas, la paroi qui t’investit
d’un miroir prometteur.

Je veux être le filigrane dont tu disposes et que tu emportes partout.

Je veux que tu n’égares pas l’enfant lorsque sonne la fin des récréations ; que, les
pieds empêtrés dans le cartable du devoir, tu ravales les rages aux avenirs inutiles,
que tu tiennes le regard hors des grilles, visant demain et son corps de danseuse.

Je veux que tu arraches à l’aube qui enfante
La promesse de ton dû et ta consécration
Que tu forges ton été sans mesurer ton pas
Que ton envergure paisible résolve l’horizon.

Je veux que de tout cela tu me saches effacée.

∗∗∗

Pour ma fille

L’arpège continu des temps jusqu’ à toi
Lance sa main dans l’air
A l’heure sans hier
Juste l’ombre jeune au volet replié.

Il faut laisser entrer le soleil dans les maisons
Qu’il caresse les oiseaux posés là.

Tu sais, ou tu apprendras, sur ta tige penchée, que les hautbois des attentes
Vernis épuisants, marchent par gradins sur les mélancolies.
Tu en résumeras le seuil en un seul pas qui claque
Et cela sera : une guitare, son chemin
L’herbe aux lèvres et le sourire aux dents.

Epouse des pétales du vent
Tu ouvriras les vannes et les miroirs qui grondent
Tes cheveux orneront la nuit et l’orbe blanc
Sans frein ta courbe rejoindra le ruisseau grisé
Et tes cils en coulisse.

Affolée peut-être de tout ce qui ne viendra pas
Tu vibreras comme la corde au manche

Et tu calmeras le cœur, fléchette et trésor,
Qu’il laisse
La dernière note mourir.

 

∗∗∗

Rebours

La nuit ferme ses lèvres
Sur la coupe laissée par le dernier dormeur.
Par un piédestal dérobé nous fuyons son front
Les ères advenues
Celles qui ne commenceront pas.

Des étoiles jumelles crient à l’horizon
Se déclinent savantes
Bien que percées sur le calque des vœux.

Si la voûte signait
Nous nous rangerions aux couleurs qu’elle verse
Les feuillages enfleraient en un secret de fruits
Et sur les ponts la musique naîtrait
Comme l’honneur de l’aube au matin inédit.

Mais il faut peser l’illusion
Glisse la mécanique
Sans sonner se décale d’un cran
Ô partir mais où
Menteur, l’arrière-pays n’a gardé
Qu’une griffe seule accroupie et buvant
Le mince filet qu’on lui avait confié.

Cette sente mène aux racines maigres
Où l’homme raréfié
Grignote sa chaleur comme un biscuit de pirate.
Ni l’enclume ni la roue ne réclament leur dû.
La main qui se lance ne retombera pas.

Au cœur des antres, sous les vallées, gisent des lettres, en tas.

Présentation de l’auteur

Emmanuelle Gondrand

Emmanuelle Gondrand naît en 1971 à Lyon.

Elle s’installe à Paris lorsqu’elle entre à l’Ecole normale supérieure en 1991. Agrégée de lettres modernes, elle enseigne en classes de collège et de lycée, avant de devenir conservateur des bibliothèques en 2003. Elle dirige aujourd’hui le département Littérature et art de la Bibliothèque nationale de France.

Elle écrit de la poésie depuis de longues années.

Elle abandonne le nom Sordet pour reprendre son nom de naissance Gondrand en 2021.

Bibliographie 

Les revues Arpa et Place de la Sorbonne ont publié, en octobre 2015 et mars 2016, plusieurs de ses poèmes. On peut aussi la lire, entre autres, sur le site poésie maintenant et dans le premier numéro de Libres mots (mars 2024). En 2018, les éditions du Pont9 ont publié son recueil Si jamais, avec une préface de Pierre Dhainaut. Plusieurs textes de Si jamais ont été traduits en chinois, dans le cadre du projet Poésie et shi : entrelacs.

Autres lectures




Gérard Leyzieux, S’accélère le rythme des heures et autres poèmes

 

S'accélère le rythme des heures

Vitesse au cœur, fuit l'instant

Et te percutent les soubresauts des secondes

Battements impulsifs de heurts incertains

S'accélère encore la crainte des mains

La chute silencieuse du lendemain

Impression d'échos immémoriaux

En ton corps ce trouble qu'exister admet

∗∗∗

Chaque seconde t’érode

Bombardé de toutes parts

Ton corps se fait et se défait

Ton corps s’use et se construit

Chaque seconde t’accorde au monde

Bousculé, bouleversé, sans cesse meurtri

Ton corps participe à la communication planétaire

Chaque seconde tout au long des jours

Ton corps n’existe que par l’intégralité de l’univers

Et quelques-unes de ses pensées affleurent au bord de tes lèvres

∗∗∗

Souffle lent plein d'aisance

Les bruits au-dehors du corps

T'arrivent par vagues successives

Plane le bleu sur un fond blanc

Vogue l'horizon en ta mémoire

Et la musique des éléments

Et les sourires des amants

Et les parfums enlacés des ans

T'enveloppent d'oublis suaves

Évacuant les débris des tempêtes anciennes

∗∗∗

Jour sombre sourd au soleil

Couleurs sans teint ni rose

Fondent les heures sur la nature à la démesure

Pendant que tu laisses ton corps à son usure

Au même endroit s’écrivent des histoires différentes

Au même moment s’écoulent les flux différemment

Siffle le merle sous l’éclaircie

Et rugit le lion des contrées éloignées

Mais la journée entre en son crépuscule

Bientôt tout s’emplira du silence de la nuit

∗∗∗

La rue a éteint ses lampadaires d’hiver

Tout est ombre en l’absence d’astre solaire

Quelques reflets du passé meublent la brume

D’où émergent de glabres et ladres candélabres en balade

La campagne s’est couchée sous un drap blanc

Et sous l’image lunaire le silence reste clair

De l’horizon océanique un écho de l’été vient déverser sa mélodie

Mais les sons s’estompent à la ouate qui nourrit l’air

 

Présentation de l’auteur

Gérard Leyzieux

Gérard Leyzieux écrit principalement de la poésie mais il écrit aussi de la prose. Ses textes poétiques ont été publiés dans des revues papier en France ainsi qu’à l’étranger (Canada, Roumanie, Belgique). Il publie également régulièrement ses mots modelés à l’émotion dans diverses revues électroniques.

Bibliographie 

 

  1. Aux éditions Stellamaris :

  • Et langue disparaît, poésie, 2018

  • Gestuaire, poésie, 2019

  • Et l’attente attend, poésie, 2019

  • L’Européelle, roman, 2020

  • Tes mots dits et tu/s, poésie, 2020

  • …À distance, roman, 2021

  • Basile le bienheureux, roman, 2022

  • Décortiqué, poésie, 2022

  • Basile n’est pas heureux, roman, 2023

  1. Aux éditions Tarmac :

  • Impression vide devant, poésie, 2022

  • Passage, poésie, 2023

  • Aux éditions Z4 :

  • Qu’en flue l’incertitude…, poésie, 2023

Autres lectures




Damien Paisant, SE VIVRE — EXTRAITS suivi de PARADOXES

 

Il s’était résolu à ne plus

Multiplier ses problèmes

D’être qui manque d’Être

Car c’est s’inventer

Au lieu de Se Vivre

 

S’inventer des solutions

Pour jouer à ne plus être

Tout en sachant qu’il n’y en a pas

 

Or    l’être est une solution donnée d’avance

À condition de se donner tel qu’il est

 

***

 

Dans cette impasse

Il décidait de ne pas choisir

Refusait d’y entrer pour en sortir

(Admettait qu’on la refuse)

Par peur d’y rester

 

Par peur de rester là

Où s’était-il toujours trouvé

C’est alors que…

 

IMPASSE

 

C’est alors que j’entre

Pas tout à fait

Parce qu’elle est encore

Dans ma tête

Cette impasse

Dans ma tête

Ça veut dire que

Je ne la traverse pas

Physiquement

Ça veut dire

Que mon corps

N’est pas prêt

Mais je rentre quand même

Un cœur dans la tête

Un cœur dans le corps

(Paradoxe cordial)

Le cœur bat de ne pas se battre

Et de vouloir se battre

 

***

Je veux nommer l’impasse

Elle me prive (m’a privé)

De langue

Elle est ce souvenir

Du devenir manquant

Elle me fait oublier

Que je suis un être

De manque

Je commence par

Me nommer         Impasse

 

L’impasse que je suis

C’est un début

Pour vous dire que je ne vais

Pas finir tout de suite

(le travail de ma disparition)

 

(C’est ici que réapparaît l’amour)

 

***

L’impasse que je suis

Est entre ma disparition

Et ce qui réapparaît

C’est un amour en travail

Si vous préférez

Car si l’amour a toujours existé

Il m’a fait douté de son existence

(le doute des créateurs)

***

 

L’impasse des créateurs

Dans ce qu’ils ont transmis

« La création leur a échappé »

(Je me transmets moi-même

Aujourd’hui un au-delà

De la création)

                                 échappé

Car ils ont échappés

 

À leur propre transmission 

J’avance à l’intérieur de l’impasse

La tragédie du sens

Est une absence de signification

Donnée à l’histoire individuelle et commune

 

Un déni devant l’inconscient des évidences

(un délit du psychisme)

 

***

 

A l’extérieur de l’impasse

Il y a le vouloir volontaire

D’un grand chemin mais

D’un petit cheminement

 

Ce qu’ils font subir à leur corps

L’âme le leur fera subir

 

Le grand chemin est une

Idée de toute puissance

Le cheminement est une

Intériorité de la toute puissance

 

« L'homme est quelque chose qui

doit être surmonté » (F.N.)

 

***

L’impasse comme puissance contrariée

Ou l’égarement vers une mortalité maîtrisée :

immaturité de l’esprit qui ne peut concevoir

le naissant et le redevenir-poussière

Ou la course effrénée vers une soif de l’impossible

(ce qui est possible ne sera jamais possible)

Ce qui est possible ne sera jamais possible dans l’impasse

Dès qu’on se rapprochera d’une possible possibilité

Dans ma soif pour l’impossible         je me permets

De croire à l’idée d’un oasis     mais quand celle-ci

Devient une réalité   je n’y crois plus et je me

Mets en situation d’échec

***

L’impasse comme processus

À l’humble endurance des « guerriers sans combat » (I.M.)

Qui placent leur prouesse dans une gloire noble

Mon être est supérieur à la reconnaissance qu’on lui attribue

Car il se reconnaît d’abord lui-même par son désir de créer

(l’œuvre dépasse souvent la mort de son auteur)

 

***

Lenteur dans l’impasse

Marathon organique et spirituel où

Je questionne ce contre quoi je butte

Dans un temps autre que celui du réel brut

Parfois je ne vois pas ce contre quoi

Je butte car je ne veux pas voir

 

***

 

Souffrance & impasse 

Ce que je peux voir est synonyme de bravoure

L’épreuve d’un œil ouvert sur son monde interne

Où je contemple le miroir de ma haine soutenue par l’amour

Faire l’impasse sur la haine

Et croire qu’elle est antagoniste

À l’amour est une erreur car

Pour haïr faut-il encore avoir aimé

Pour pouvoir en douter par la suite

Faire l’impasse sur sa propre haine

Revient à tromper l’authenticité

De sa vérité et c’est prétendre

Une certaine imperfectibilité

 

***

L’émotion d’une impasse

Dans ce qu’elle fait vivre

Au moment où je tombe

(Qui appelle à se relever)

Parce qu’il est nécessaire

De vivre pour mieux

Se connaître         Se connaître

Étant une entreprise secrète où

J’apprends l’oublie de ce que

Je ne disais jamais               

J’oublie ce que j’ai appris

À ne pas dire

 

***

Souplesse dans l’impasse

Où ce qui aliène — le fantasme —

Demande qu’on s’y attache pour

S’en détacher : la peur de ne pas

Pouvoir sauver par exemple —

Le fantasme de sauver — exige

Une gymnastique mentale

Avant de renoncer     faut-il reconnaître

La source de cette souffrance

Source de l’impasse

Où la perte me fait

Aveugle d’une infaisabilité

Apparente

Où ce que je sais faire

 

À l’état de penseur embryonnaire

 

***

  

Enfant de l’impasse

Ce vers quoi je me

Risque si je tends

Vers la tendresse 

Aventureuse d’aller

Rencontrer cet autre

Qui m’arrache à moi-même

 

***

 

L’arrachement de cette impasse

Nous rappelle un départ

Comment quitter « soi » et tout

Ce que ce mot recouvre :

Son attachement à la douleur

Son goût pour la convoitise

Sa hantise, ses obsessions,

Ses limites etc.

L’égo — dans cette impasse

Ne se fie pas à ce qu’il a

Traversé mais traversera

Identifie son être non à ce qu’

Il est devenu mais deviendra

Ne défie pas son existence

Au détriment d’un autre

Ne se méfie pas de l’impasse

Car il passe par elle

Pour la dépasser

PARADOXES — EXTRAITS

 

ÉCRASE

« écrase », je t’ai dit d’écraser mais je ne me suis pas dit d’écraser,
je t’ai dit « écrase », mais le problème c’est que tu m’écrases même
pendant que je marche et j’ai pensé « m’aime pas en trêve celui-là »
sauf que j’ai penché pour le problème car tu penses comme lui, je veux
dire tu dépenses le problème par des rêves qui écrasent la marche droit
derrière moi car devant c’est très loin derrière, d’ailleurs je suis si près
de mon père que je deviens ce qu’il n’est jamais devenu, alors tu es
revenu à sa place et cette place m’écrase, elle tasse mon petit devenir
pensant qu’il faut toujours penser ce qui va arriver par la pensée même
pendant que je marche  et j’ai pensé « m’aime pas celle-là » sauf que
j’ai penché pour la solution mais elle écrase toujours le problème auquel
je repense, que c’est lui chercher un sens qui fait que je ne ressens
pas ce qui veut me trouver devant sans éprouver de ressentiment où
je règle mon sentiment sur toi qui ne peut pas me sentir car je
descends d’un père que le derrière a écrasé pour subir son devant
avant qu’il ne surgisse, alors je continue de marcher pour croiser
l’auteur du problème qui rêve d’une solution comme on écrit son nom,
d’ailleurs comment je m’appelle, tu vas voir qu’on ne peut pas oublier que
c’est moi qui vais revenir car je descends bien d’un père que
le sentiment a donné pour dérégler son ressentiment et marcher tout
en devenant « celui-là » même quand il m’écrase, « m’aime bien
celui-là » j’ai ressenti

 

 CE QUI REVIENT TOUJOURS

quand l’un demande, l’autre répond, toujours, quand je lui demande
pourquoi ça revient toujours, il me répond comment ça ne reviendra
plus, quand je lui demande comment être sûr que ça ne revienne plus,
il me répond pourquoi une telle question, alors je continue de le
questionner car ça revient toujours mais lui ne cesse de répondre que
c’est à cause de la question, que c’est la question qui provoque toujours
ce qui revient, alors moi je demande ce qu’il y a derrière la question et 
lui me répond qu’il n’y a que ce qui veut revenir, que c’est devant qu’on
arrête de voir, mais moi je lui demande ce qu’on arrête de voir, ce à
quoi il me répond d’arrêter de voir ce qui revient toujours, alors je lui
demande comment voir sans que ça revienne puisqu’il faut bien
comprendre et lui me répond qu’il n’y a rien à comprendre car ça
reviendrait à se comprendre soi-même — ce qui revient, venant de soi
— et se comprendre soi-même reviendrait à ne pas être, alors je lui
demande comment peut-on ne pas être, lui me répond que c’est en
étant responsable de ce qui revient toujours, alors je lui demande
comment ne pas être responsable de ce qui revient toujours, lui me
répond que c’est en étant responsable de ce qui est en train de venir, 
alors je lui demande de m’expliquer, lui me répond qu’expliquer ce qui
est en train de venir fait revenir ce qui revient toujours, que c’est
chercher derrière la question sachant qu’il n’y a rien à voir, que c’est
devant qu’on arrête de voir, ce qui revient toujours, venant de soi, fera
venir autre chose, alors je lui demande quelle est cette autre chose, lui
me répond que c’est cette chose qui déplace la question dans l’en train
de venir, je lui demande alors si ça ne revient pas au même, lui cette
fois me demande de revenir à moi-même

  

IL N’EMPÊCHE

je ne vois pas ce qui m’empêche car je suis ce qui m’empêche,
il n’empêche que si j’en parle c’est que ce qui m’empêche ne               
m’empêche pas complètement, je sens bien que je peux m’autoriser
encore à ne plus être empêché, ça commence comme ça, c’est une
question d’adresse, il y a quelque chose qui veut s’adresser à un autre
pour être autrement parce que sinon je suis toujours ce qui m’empêche
et non celui que cette chose n’empêche pas mais cette chose ne                     
fait que vouloir car elle questionne
l’adresse au lieu d’y répondre
directement par l’adresse pour justement voir ce qui empêche, si                 
c’est l’autre, moi ou les deux, il se trouve que c’est souvent les deux
quand on choisit une adresse que l’autre refusera, sans le savoir
évidemment, cela s’explique au moment où on nous a refusé cette
chose qui nous autorise d’accepter ce qui nous empêche car on ne peut
pas tout accepter ou alors tout accepter différemment, c’est-à-dire
accepter de ne pas être accepté sans chercher de raisons, en se
persuadant par exemple que tel autre nous refuse parce qu’il se                 
refuse lui aussi de voir, de voir ce qui l’empêche, à la différence qu’il                 
le dissimulerait, en interprétant donc ce qu’on prête à soi comme vrai
mais qui   nous empêche de vraiment vivre tel ou tel autre comme une
part de soi qu’on voit mourir pour pleinement renaître, je vois ce qui ne
m’empêche pas car je ne suis pas ce qui m’empêche

  

AIME

Il t’aime tel qu’il ne s’aime pas, comme il n’est pas, mais ce que tu aimes
c’est qu’il ne t’aime pas ainsi car si en plus tu dois aussi t’aimer, ça fait
beaucoup, ce que tu aimes c’est qu’il aime ce que tu n’aimes pas chez
toi, vous êtes deux à chercher l’amour chez l’autre qui a trop aimé vous
le prendre, je veux dire  que cet autre n’était pas prêt à le laisser vivre
comme il l’a donné malgré lui, on peut penser qu’il le voulait au point
d’y penser, jusqu’à ne rien faire que toujours le reprendre pour ne jamais
être surpris, puisqu’il faut bien garder l’amour contre soi et ne pas
regarder qu’il provoque, autrement c’est trop de place dans une place
vide, je parle de ce qui ne veut pas parler car en aimant il donne sa
place sans savoir que tu la lui donnera à ton tour, de sorte qu’on             
tourne autour de cette grande place qui vous tient dans une
contenance où l’on retient le déplacement, celui de deux êtres au sein
d’une même place qu’ils partagent, sans quoi c’est chacun sa place                
et il manquera toujours un peu de chaleur pour manquer le froid qui
envahit le manque parce qu’il serait trop envahissant, c’est sûrement par
peur d’être envahit, envahit par lui, mais  on comprends bien que ce qui
l’envahit c’est de pouvoir être l’objet de ce manque car c’est un objet
qui prend la place du sujet tandis que le sujet lui, vit le manque comme
un pouvoir se renonçant à prédire ce qui pourrait l’abolir, encore faut-il
reprendre sa place sans chercher l’amour chez l’autre qui a trop aimé
vous le prendre puisque cet autre n’est plus vous :

il t’aime tel qu’il s’aime, comme il est, ce que tu aimes c’est qu’il t’aime
ainsi car ce que tu aimes c’est qu’il aime chez toi ce que tu n’aimes pas,
qu’il t’aime comme tu es tout comme ce qu’il aime chez toi c’est que tu
l’aimes, comme il est

 

INDIGNE

il justifiait ses plaintes avec l’injustice d’un monde qui avait échappé                  
à son propre monde dont il s’était fait l’étranger, sans le savoir, car                    
il défendait, comme un jouisseur défendu, ce qu’il ne pouvait défendre                    
à l’intérieur, un jouisseur d’extérieur que retient sa jouissance dans ce
qu’elle procure, naturellement, une jouissance bien en place qui ne
change pas de place et ne se trompe pas de monde, on ne règle pas                    
un problème, on dérègle une solution, toute solution étant un raccourci
qui rallonge l’étendue du problème car toute solution est de croire
l’autre monde à notre portée comme si cette portée était mondialement
accessible mais c’est en fait ne pas croire au monde que nous
intériorisons, ou  alors c’est vouloir mondialiser ce qui a été localement
mis sous silence, à titre personnel, où chaque projection vers l’autre
devient le titre d’une grande page de couverture sans livre à vouloir livrer
la vérité d’un sauveur qui peine à se sauver car c’est matraquer l’objet
de sa peine comme on traque un rebelle qui braque ce qu’on a chouré
chez lui, une cause qu’il s’est approprié pour  ne pas s’occuper de la
sienne, je parle de la cause qui ne cause que sur lui-même et pas sur
ce qui le provoque en écho, à ce qu’il a vécu comme provocation, en
écho de coco, envieux de ce qu’il n’a pas eu parce que le coco envieux
veut absolument tout avoir sauf son être, ou alors en écho de bobo qui
s’écoute  parler du monde entier, monde qu’il divise en deux pour
simplement faire entendre soit une haine sans amour soit un amour
sans haine selon ce qui l’arrange dans telle ou telle situation,
parce que l’oppressé évoque avant tout son impossible vocation, celle
de ne pas être devenu cet oppresseur rencontré à la naissance,
d’ailleurs, ce qu’il déplore provient d’un manque dans ce qu’il n’a pu
explorer, un pleureur qui questionne l’objet de ses pleurs, un pleureur
en quête de sujet : il justifie l’injustice du monde avec ses plaintes que
son propre monde laisse échapper et dont il se fait l’héritier

PAS DE PROBLEME

il voulait ce que je ne voulais pas, je voulais ce qu’il ne voulait pas, c’est
pas toujours facile, nous sommes deux à vouloir, vouloir différemment,
que nous soyons deux n’est pas problématique, c’est bien normal,                   
la problématique c’est de ne pas s’entendre sur le vouloir car chacun
veut être pleinement lui et pas l’autre qui veut l’être aussi sauf que ça
peut devenir un problème où l’un empêche l’autre d’être et inversement
alors on finit par vouloir que l’autre ne veuille plus ou alors ne veuille
plus que ce que l’autre veut sauf qu’à ce rythme on piétine sur l’être qui
se relève avec de moins en moins d’être qui voudra de plus en plus
contenir ce qu’il veut pour de vrai car celui-ci apprend à ne devenir que
cet autre pour le garder, c’est en réalité un faux problème car on peut
bien vouloir à deux et même différemment, que nous soyons deux n’est
pas problématique, c’est bien normal, la problématique c’est de ne pas
vouloir s’entendre car chacun n’entend que ce qu’il veut et l’autre aussi
sauf que si chacun entend le vouloir de l’autre ça ne deviendra plus un
problème et l’un n’empêchera pas l’autre de vouloir car si je comprends
ce qu’il ne comprend pas, qu’il comprend ce que je ne comprends pas,
ce sera plus facile de vouloir ensemble comme deux êtres vivant
pleinement leur vouloir, chacun pourra exister pour l’autre sans
disparaître et à ce rythme au contraire on sera porté sur l’être et quand
il piétinera de ne plus être on le relèvera avec de plus en plus d’être qui
voudra de moins en moins contenir ce qu’il veut pour de vrai car celui-
ci apprendra à devenir avec cet autre pour cette fois le regarder, ce n’est
plus un problème

IL N’Y A PAS MIEUX

Il n’y a pas mieux, je me dis, pas mieux que toi, dans ce que tu fais,
pourtant je ne te connais pas, je n’ai aucune idée de ce que tu te dis,
peut-être tu ne te dis rien de ce que je me dis, peut-être que c’est normal
pour toi, peut-être tu te dis même, qu’on peut faire mieux, voir qu’on fait
mieux, ailleurs, je ne sais pas, en tout cas, je sais qu’ailleurs, il n’y a
personne, car ailleurs, on ne sait jamais et si je crois qu’il y a quelqu’un,
ce n’est que moi qui me voit en un moi qui voit tout ce qui se fait de
mieux, un grand moi qui se revoit quand il était un petit moi, qu’on a
voulu grandir, parce que la grandeur dépassait ces autres moi dans ce
qu’ils avaient de trop ou de moins, ce qui les poussait à me repousser
jusqu’à ce que moi je les repousse pour grandir par moi-même, alors                
il n’y a pas mieux, je me dis, pas mieux que moi, dans ce que je fais,             
car ce que je fais n’est pas ce que tu fais, c’est facile à dire, pourquoi
ce que tu fais est ce que j’aimerais faire,

pourquoi je n’aimerais pas faire ce que tu n’as pas fait, je me connais
pourtant, j’ai bien une idée de ce que je me dis, peut-être tu n’es rien
d’autre que cet autre que je n’ai jamais voulu être mais que je suis
devenu, faute de moi, peut-être que c’est normal pour moi, peut-être             
je me dis même qu’on ne peut pas faire mieux voir qu’on fait bien mieux,
ici, je ne sais pas, en tout cas, je sais qu’ici, il n’y a que moi, car ici, on
sait toujours, et si je crois qu’il y a un autre, ce n’est que toi qui me voit
en un moi qui voit encore mieux que ce qui se fait de mieux, un petit
moi qui se revoit déjà avoir été un grand moi, qu’on a voulu diminuer,
parce que ces autres moi ne dépassaient pas la grandeur dans ce
qu’elle avait d’indépassable, ce qui la poussait à me pousser jusqu’à ce
que moi je la repousse pour me grandir moi-même

 

 TRANSGRESSION

il voulait transgresser le pouvoir de sa graisse qui le transportait
lentement comme chaque pas qu’on reporte pour asseoir une paresse,
c’est pour ça qu’il voulait grandir son paraître et snober l’authenticité
trompeuse de cette graisse ou plutôt faire apparaître l’endurance de
son origine tout en épurant son corps, il voulait transformer sa pensée par
l’abolition des questions et des réponses car ni l’un ni l’autre ne pouvait
pas nier le chemin qui chemine dans le pas même surtout quand ça
glisse,  parce que c’est là qu’il voulait transgresser la loi du sol qui
l’engraisse avec son goût pour la paresse en arrêtant de vouloir, il avait
alors   décidé de voir, de voir à l’extérieur de lui car à l’intérieur on veut
toujours croire à ce qui empêche le pas et dépêche la paresse qui
dissimule sans dire la détresse au lieu de rencontrer son désirant en
train de désirer autre chose que ce qui devait absolument le désirer               
car dans ce k ce sera toujours la déception d’un k venu pour analyser
le manque jusqu’à l’anesthésier, histoire de rester dans l’histoire,                      
une histoire qui manque le présent à venir pour désirer son désir absent,                                   
il racontait alors comment régresser l’amenait cette fois à engraisser              
la transgression de son pouvoir qui le transportait rapidement comme
chaque pas qu’on porte pour grandir une paresse, c’est pour ça qu’il              
ne paraissait plus mais transgressait dans l’apparition, faisant
apparaître l’origine de son endurance tout en incorporant son épurant,
il pensait l’abolition par la transformation des réponses en questions

Je suis (dans la vie) - © Voix & Musique : Damien PAISANT // Réalisation : Vanina TACHDJIAN




Lorenzo Foltran, Naufragé dans la piscine

 

Ogni cinquanta metri, alla virata,
la giravolta mette sottosopra
la clessidra e resetta in una spinta
propositi anaerobici e subacquei.
La bracciata col ritmo cadenzato
segue il tempo deciso dalla testa
e si adatta, dal grave all’allegretto,
in base alla distanza della gara.
Ogni cinquanta metri, fino al bordo,
il metronomo oscilla e giunto al muro
il mosaico prende forma, lo si tocca,
ma con lo sguardo altrove: l'altro lato.
L’olimpica fatica di nuotare
nel fremito dell’acqua di cottura.

*

Tous les cinquante mètres, au virage,
la pirouette met à l’envers
le sablier et réinitialise d’une poussée
des propos anaérobiques et sous-marins.
La brassée avec un rythme cadencé
suit le temps décidé par la tête,
et elle s’adapte, du grave à l’allegretto,
en fonction de la distance de la course.
Tous les cinquante mètres, jusqu'au bord,
le métronome oscille et atteint le mur,
la mosaïque prend forme, on la touche,
mais le regard est ailleurs : de l’autre côté.
L’olympique fatigue de nager
dans le frémissement de l’eau de cuisson.

 

∗∗∗

Alla deriva, naufrago in piscina,
il cloro esala i fumi soporiferi,
narcotizzanti, droghe a poco prezzo,
che a bocca aperta inspiro quando emerge
in una smorfia dall’acqua la testa.
Fino a che posso libero i polmoni
per tenere lo sguardo sull’abisso.
Ma dal bordo di marmo si propaga
la luce fluorescente dei fanali
che impedisce alla fossa di salire.
Sotto, le orecchie piene di silenzio
e costante il gorgoglio in superficie.
Con le onde in alto, scelgo di affondare,
avvolto dalla massa, urlo di bolle.

*

À la dérive, naufragé dans la piscine,
le chlore exhale des vapeurs soporifiques,
stupéfiants, drogues bon marché,
que je respire la bouche ouverte quand
la tête sort de l’eau avec une grimace.
Tant que je peux, je libère mes poumons
pour garder les yeux sur l’abîme.
Mais du bord de marbre se propage
la lumière fluorescente des feux
qui empêche la fosse de monter.
En bas, les oreilles pleines de silence
et à la surface un gargouillement constant.
Avec les vagues en haut, je choisis de couler,
enveloppé dans la masse, cri de bulles.

∗∗∗

 

Chilometri passati in acqua, in vasca.
Il cloro anestetizza la fatica,
un velo opaco brina la vetrata.
Vago l’orario, presto, forse l’alba
o un tramonto d’inverno oppure entrambi.
Il giorno dura sessanta secondi.

Il bordo, la virata, un’altra vita
cambia la consistenza,
la sostanza dell’acqua.

Galleggio in una melma spessa e torbida.
Le braccia ai fianchi, i palmi chiusi a pugno.
D’un tratto luci fredde accese in vitro.
Come riapparso da un sogno mi volto
e il cronografo sullo sfondo segna
il tempo: fine dell’allenamento.

*

Des kilomètres passés dans l’eau, dans la piscine.
Le chlore anesthésie la fatigue,
un voile opaque givre la fenêtre.
L’horaire vague, tôt, peut-être l’aube
ou un coucher de soleil d’hiver ou les deux.
La journée dure soixante secondes.

Le bord, le virage, une autre vie:
la texture de l’eau,
sa substance change.

Je flotte dans une vase épaisse et trouble.
Bras aux hanches, paumes fermées en poings.
Soudain, des lumières froides allumées in vitro.
Comme réapparu d’un rêve, je me retourne
et le chronographe en arrière-plan marque
l’heure : fin de l’entraînement.

Présentation de l’auteur

Lorenzo Foltran

Après avoir obtenu un master 2 en langue et littérature italienne à l’Université Roma Tre, Lorenzo Foltran s’est spécialisé en management des biens et activités culturelles (Mastère spécialisé - École Supérieure de Commerce de Paris). Il a travaillé pour des importantes institutions culturelles comme la Maison des Littératures (Festival des Littératures) et l’Institut français (Festival de la fiction française) à Rome, et la Fête de la Gastronomie et le Pavillon de l’Eau à Paris, où actuellement il habite.

Bibliographie 

Il a publié à compte d’éditeur deux recueils poétiques : In tasca la paura di volare (Oèdipus, 2018) et Il tempo perso in aeroporto (Graphe, 2021. Préface de Jean Portante). En Italie et en France (auto-traduction), ses poèmes ont été publiés dans plusieurs revues littéraires.

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