Maëlan Le Bourdonnec, Embarcadères

nue Maude à la fenêtre

de toi je garde l’attente pluvieuse. le genévrier mouillé. la chair en-dessous

je suis revenu dans la cuisine où la vaisselle d’hier est restée.

rémanence. en dehors pourtant de toute photographie,

même très nue

la maison que nous habitons a des parfums – ce que l’on accroche aux murs – il y a de
nombreux bocaux de sauce tomate. la poussière et la cueillette en été cela se produisait par ta
main

à la fenêtre se joue la peinture de ton corps attendu. de nombreuses géographies défilent sur le
téléviseur

assoupie, cueillie, élucidé ton visage qui se couvre un peu de la lumière d’autres pays, semant
en nos gorges d’autres langues.                          

la mienne est serrée.

de toi. de toute toi,

                             et de toi sur le rebord

[j’ai connu la mer et ce qui mène à la mer. ses voiliers
emportés. les premiers pins. le pique-nique éprouvé par
le vent. car Maude est une « impeinte », une oubliée du
chanvre et de ses paroles ne reste qu’une enfance. qu’un
joli timbre de carte postale à la devise inconnue]

il n’y aurait plus de quais ni d’embarcadères.

même très enfuie de moi tu es tout près

indue

comme un roman dont on retarderait la fin                                                             jusqu’à la mer.

Présentation de l’auteur




Nil Didier, présentée par Marc Delouze, Poèmes

Un livre des naissances

Un noyau emmuré dans un fruit oublié des oiseaux, par ce vers extrait du poème inaugural, me vient l’envie de définir ces textes comme tombés d’un nid dont on ignorait l’existence. Ce pourrait être le Livre des Naissances. Naissance d’une poète : Nil a de très peu passé la trentaine. N’a jamais publié. Pas encore entendue. Déjà étonnement audible ! Naissance du poème, qui impose d’emblée sa scansion singulière. Avec force et légèreté. Naissance dans la langue d’une autre langue, qui dit la naissance d’avant la langue, puis de l’inquiétante étrangeté d’avoir à se frayer un chemin entre, sans distinction, / les instants perlés et les instants sombres.  Naissance, par effraction dans le temps, d’une graine qui nous dépasse, irruption dans le monde du vivant d’un « ce-qui-fut » dans le « ce-qui-advient ». On le sent, je le sais : la langue de Nil est grosse de poèmes (que j’espère avoir le temps de découvrir). En voici la première promesse.

Marc Delouze, Fécamp, 4 novembre 2022

L’année de ses trois ans, l’enfant comprit qu’elle déposerait un jour l’anse de son chemin. L’idée de
la mort fut celle de la solitude intacte, éblouissante ; l’ivoire marin qu’elle avait ramassé sur le visage
d’une passante quelques jours auparavant. Un noyau emmuré dans un fruit oublié des oiseaux.

*

 

J’ai ouvert une ligne en son centre ;
y coulait quelques gouttes de liquide amniotique
dont tu avais laissé un petit réservoir
pour l’avenir d’un langage qui s’ignorait.

*

 

S’étendait sous ses pieds le damier des décennies semblables à des cales de bateaux.
Il y avait demeuré entre deux mondes, imperceptiblement logé sous le niveau du fleuve mais tenu
à respirer l’oxygène ballotant la petite embarcation que sa mère avait lancée sur le courant le jour
de sa naissance.
Nous pouvons croire à tout ce qui nous serre le cœur : la somme des rives perdues, la somme des
rives invisibles.

 

*

 

L’enfant joue à remonter le courant à cloche pied.
Il crie : jadis j’avais deux pattes, maintenant une arme unique.

 

*

 

De tes bois tu crains la poussée puis la chute des velours.
Tes os te connaissent mieux que nous ; ils conservent la roue des syllabes qui résonnait sur les
pavés de ton enfance.
Une clarté, une clarté, une épaule, une sève.
Un treuil.

 

*

 

Je pouvais croire, en observant ce rêve au microscope, qu’il avait parcouru plusieurs fois le tour de la chambre.
Ses cellules se serraient les unes contre les autres.
En tournant la molette, le noyau enveloppé dans les bras de chacune d’entre elles devint plus précis.
M’apparue une première bâtisse au milieu des champs, inusable soliste vu du ciel.

 

*

 

L’audace fiance sa fourrure au sol, la colonne fumante
et, d’un mouvement inattendu,
rompt subitement l’étreinte.
J’ai rêvé de cette citerne d’élan, de ce solstice de bouche.
Aide-moi à faire pousser l’œil jaune, l’iris bondissant 

*

 

Nos vies amphibies cognent dans notre poitrine.
Toute vitesse éponge ce qui devrait former un lac.

 

*

 

Le sommeil fêlé laisse entrer la nuit dans la chambre et déplie des heures insulaires bordées de
signes.
Enfant, j’ai appris rapidement à faire la planche.

 

*

 

Sur le glacier noir, le guide avançait quelques mètres devant nous.
Un craquement débouchait sur un craquement.
Un chat entrait sur un parquet ancien ;
chaque latte sur laquelle il s’engageait échangeait avec lui un son contre un contact.
Ni peur de poursuivre
Ni destin modifié
Un son contre un contact.
Je jetai un œil derrière moi et pris sa suite.
Mon père avait son visage d’enfant sur son visage d’homme, son regard de chimpanzé sur son
regard d’homme.
Ni peur de poursuivre
Ni gerçure de l’être
Un son contre un contact.

 

*

 

 

La seconde qui précède le souvenir dresse une falaise lisse ; celle qui lui succède nous consent des
cavités où jouer, par temps de pluie, des parties d’escalade.

 

*

 

Il prit trois longues inspirations.
Trois fois tu apparus dans sa gorge, descendant en rappel, le regard franc. Trois fois son torse se
couvrit de fruits.

 

*

 

Nous serions soulagés de confier aux fourmis nos symptômes,
qu’elles traversent les étendues successives à notre place,
les hiéroglyphes emmaillotés sur leur dos robuste.
Soulagés qu’elles les introduisent dans la terre,
les tirent au fond de leurs galeries ; que d’autres individus les absorbent dans leur propre
labyrinthe.
Alors, nous pourrions attendre, filet à la main,
des choses petites,
partiellement desséchées,
partiellement vivantes ;
deux ou trois idées dégrafées du cours de nos pensées.

 

*

 

 

Au commencement de la nuit, nous saisissons nos rames. Le goût de la farine nous avait laissé
penser que la chasse aux épaves était ouverte. Mais c’est le futur que nous suivons.

 

 

*

 

L’hiver cicatrise.
Je trouve en ton œil une marmite fumante.

 

*

 

J’observe le glacis du souvenir d’enfance,
mince film formé entre nos pattes tandis que nous butinions,
sans distinction,
les instants perlés et les instants sombres.
Au-delà de notre conscience.

 

*

 

Et l’ossature attire les chemins le long desquels remonter contre le vent.

Présentation de l’auteur




Carmen Penn Ar Run, Il y eut des jours… et autres poèmes

Il y eut des jours qui ne furent pas des jours
il y eut des nuits qui ne furent pas des nuits
car les jours s’évanouirent dans le vide
tandis que la nuit intensifiait leur chute
sacrifiant tout au silence.

L’âme, elle-même, louvoyait dans la vase
et les rêves stagnaient sans jamais parvenir
à atteindre le noyau terrestre où l’étoile
de cristal appelait de ses douze bras
la consonance humaine.

J’attendais l’algorithme du jour véritable
   la simplicité d’une barque affrétée par le ciel 
mais rien de désirable ne vint calmer
l’arythmie de mon horizon où seul le chant
de la mer sous le déploiement des vagues.
avec ma solitude se risquait à l'amble.

Je ramassais des galets polis à la perfection
ils étaient menus comme les cris que ma respiration
suspendait à la verticale de mes aspirations
    des dents de lait, pensai-je !

Dans ma folie d’écrire
les mots ne lèvent pas des cailloux
ni ne secouent la boîte des dents, petites
sur les consciences
tout n’est que mur de feuilles
et l’arbre est caduc - bientôt
il perdra son rideau vert -
peut-être verrons-nous, cet hiver
son œil pâle se fendre de milliers de fenêtres
pour peu qu'on ose considérer les vides.

Chaque feuille du décor
est à saisir telle que branche l’offre
qu’elle soit parfaitement configurée
ou que ses contours soient grignotés.
Le crayon de bois est plus tranchant
qu’un canif, il entaille l’écorce de l’âme
feuillage pour y graver des initiales - des jours !
Il consigne les existences
dans la persistance de la beauté

                            **

Celle qui a perdu la mer 

Je suis celle qui a perdu la mer et creuse le sillon.
Je suis celle qui contemple les nues et tisse des arcs-en-ciel.
Par l’alchimie du verbe je ressuscite mes sœurs,
les filles de Nérée,
et les séraphins transfusent leur ardeur.
C’est d’un même chant que s’élèvent nos voix
afin que vibre sur la Planète une imposition plus légère
     une lumière rayonnante et joyeuse
conçue                                         en terre plénière. 

                           ** 

Soir de novembre aux Sables d’Or

Glacial - le vent giflant sur la plage d’or -
et le sable grinçait        sous l’ivoire des dents
Souffle coupé et chardons bleus
au fond des gorges             ouvertes

La lune allumait les vagues déferlantes 
- une ligne de démarcation frétillante
entre la mollesse de la grève et la mer létale -
Dans la turbulence   la feinte de l’air      dure

L’homme plus fragile qu’un oyat de la dune
en terre noire ne peut aligner ses pas
ni choisir la voie qui résiste au vent
Il marche dos offert   à la pression de la bise

On entendait la plainte des amants naufragés
Vent et chant funèbre hurlaient leur tristesse

                                ** 

Psychose

Elle avait déchiré le voile et elle souffrait,
infiniment. Ses maux griffés dans le silence
d’une chambre de jeune fille troublaient son âme

Elle ne possédait de la vie que mille voix
qui la  hantaient, la laissant là sur le carreau
brisée, parmi les tesselles de ses rêves.

Seule, elle écrivait :

« Citadelle enflammée au bout du mirage...
Et l'avenir se retourne
Sur les pas de l'homme qui marche... »

N’oubliez pas l’enfant que le lait de l’existence
n’a pas nourri. Sa vie était de famine
et sa mort certaine. L’esprit avait fui la citadelle.

N’emmenez pas l’enfant, elle n’est pas oubliée,
elle dort dans la mémoire des vivants qui l’aiment,
son absence est un éveil que les pleurs trahissent.

Seule, elle dansait :

« Noé a brûlé son Arche
Et la jungle s'est faite reine
Au milieu des catacombes... »

Les songes qui l’habillent sont des parchemins
où s’égarent les élans de joie dans les suintements 
d’un monde déchiré de sauvagerie qui lui est interdit.

Étrangère à la jungle elle se pare de grâce,
s’excuse de ne pouvoir annoter à l’encre
du réel les signes qui chavirent son arbre de vie

Seule, elle pensait :

« Les ordures fleurissent par tous les temps
Et la dent arrache les pétales.
Pour manger l'âme hostie ! »

À la lisière de l’éternité je tends
des feutres de couleurs, dans l’espoir que fleurisse
une  thérapie douce, avant l’extinction des étoiles fragiles.

                                    **

Fenêtres ouvertes une nuit d’été

La pelouse compte sur ses doigts d'herbe
les étoiles que les rêves d'août étourdissent

Les fenêtres laissent courir dans la maison
l'énigme du sommeil. L'arbre s'en brouille

Les sons, les couleurs migrent dans la nuit
la vie serpente d'un nid d'hirondelle au cosmos

La transhumance résonne dans l'immobilisme

                                **

Les corbeaux

Les gouttes d’eau
sur les ailes des corbeaux
sont autant de boules de cristal
que la flèche des regrets amène
depuis nos nuits cataleptiques

On laboure le ciel
et s’envole l’âme des arbres
                            en paradis
On déracine le calvaire
ainsi se plantent les maisons
dans l’immobile
d’un espace bétonné d’ennui

et les vieilles routes s’oublient
au bout d’une impasse
tandis que la vie             cherche
sa voie autour des ronds points

Les gouttes d’eau labourent le ciel
et du miroir de son granit
le calvaire reflète un champ
que les corbeaux colonisent

                          **

Automne en friche

Elle a retourné la terre de ses sentiments
il ne reste plus rien de ses tourments
pas la moindre résurgence n’offre son accroche
à la lumière blanche du jour naissant.

Maintenant son jardin est devenu plage
où roule la joie, s’encoquille l’espérance
qu’il suffit de ravir – trésor à collectionner
puis à livrer aux caresses intemporelles.

Même celles du temps gris, celles du temps lourd
du temps à prendre comme il vient, comme il s’en va
comme on détresse ses angoisses, comme on agite
un mouchoir de rêve pour disperser ses larmes.

Sur la plage n’être que roseau sans racine
laisser nos pieds explorer les passions fertiles
les frissons remonter le long de notre tige
      une colonne où file l’énergie, aérienne.

Au-delà des nuages elle cueille la lumière
elle danse sur sa parcelle défrichée.
Où qu’elle s’aventure se coule un tapis
de sable blond comme l’or de l’automne.

Ne pas croire cette gymnastique facile
les coups de vent viennent amplifier la lame
au fond de laquelle trépide le dé de l’espoir.
Elle danse, simple graminée, sœur des oyats.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Reha Yünlüel, rehaïku, et autres poèmes

rehaïku V

toplu şiir yazmak
nasıl bir suçtur ?
:
cocuk suçu

 

rehaïku IX

şâir dediğin nedir ki ?

bir ağaçtan bir ağaca
ibret-i âlem için
asılan salıncak

 

rehaïku XX

Röne Şar’a ve Paskal’a

en civcivli yerinde
hançerden keskin
bir fırtınanın,
sapına,
hançerine kadar
saplanmış bir kuşun
senin için
hep üşüdüğünü

rehaïku V

écrire un ball’ade en commun
où est le crime ?
:
des mineurs co-accusés

 

rehaïku IX

mais qu'est le poète ?

une balançoire
qu'on pend entre deux arbres
pour servir d'exemple au monde

 

rehaïku XX

pour René Char et Pascale

tu le verras,
au plus fort de l'orage
plus tranchant qu'un poignard
l'oiseau perce
de sa lame
poignardé à son manche
jusqu'à la garde
et frissonne toujours
pour toi

rehaïku V

Eine Ballade zusammen zu schreiben
wo ist das Verbrechen :

minderjährige Mitangeklagte

 

rehaïku IX

Was ist aber der Dichter ?

eine Schaukel
die man zwischen zwei Bäumen hängt
und als Beispiel für der Welt zu dienen

 

rehaïku XX

für René Char und Pascale

Du wirst es sehen
mitten im stärksten Gewitter
schärfer als ein Dolch
bohrt der Vogel
mit seiner Klinge
an seinem Griff geheftet
und zittert stets
für dich

 

Extraits de Rehaïkus  (avec les illustrations de Firuz Kutal), Editions du Petit Véhicule, Nantes-2022, pp. 10-11, 16-17, 26-27. Traductions : Belkis Sonia Philonenko et Pascale Gisselbrecht avec la complicité du poète ; Übersetzung Marc Chaudeur.

 

∗∗∗

-cauchemar mouvant-

sablier dans la main
nous les statues de sable
passons toutes nus dans ce désert dévorant
qui était une belle plan’te d’antan
à son chevet un vieux cercle vicieux maintenant 
migrant pas à pas grain à grain
sabliers dans le sablier
trou dans le trou
tombons par cette porte noire
sans nous en rendre compte
en ribambelle
telle une étoile filante qui s’abat
dans un cendrier teinté
nous les statues de sable
consciemment inconscientes
vert désormais
est une couleur oubliée
sauf pour la moisissure sauf pour la mort
pas un chat pas un insecte
l’horizon est un sanctuaire
un abîme un immense cimetière
tout calciné
la terre est une belle pierre brulée
par cette crème solaire
jusqu’à en être consumée

savourons la fumée !

 

∗∗∗

Retour à la ligne, poème de Reha Yünlüel  lu par le poète-philiosophe Philippe Tancelin.

∗∗∗

instantanés de vie sans hobby, sans phobie, sans toutou, ("instantanés de vie sans hobby, sans phobie, sans toutou") poème de Reha Yünlüel lu par le poète-philosophe Philippe Tancelin.

Présentation de l’auteur




Francis Coffinet, Le signe vertébral sécable

Poésie et Fictionnalisme scientifique

Ou cette part du souffle glissée dans la mort que l’on incise.

***

1/ Si l’on considère la substance de notre lendemain comme l’unique possibilité de  nous identifier dans le temps, nous pouvons alors tenter par le subterfuge de la langue poétique d’en entrouvrir la chambre, que nous définirons comme secrète : glissement à l’intérieur de notre bouche d’un caillot de verbe qui pourra  déployer dans notre corps fractal et fictionnel  [éternel ] le principe actif romanesque, la formule chimique: le sel des possibles. 

Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.

L’écriture comme nouvelles tables de la loi revient, conglomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous  fixe ainsi  un coin dans le cœur - et  le tient entrouvert - 
Elle vampirise le vide  et nous assure une descendance  réelle dans la pensée. 

2/  Le jour où nous pourrons mesurer les constantes sanguines de nos rêves nous remonterons le fleuve des morts.

La fiction est en quelque sorte un art quantique, et la rétine  est pour chacun «  la boîte de Schrödinger ». Qui  se risque à briser l’oeil connaîtra la fin de l’histoire. 

Dans l’enlèvement de Patrocle par Achille de Fussli / on assiste à un combat cosmique où à l’inverse des  stratégies déployées en ce monde la fiction aspire  notre vie et notre sang.

« Visite l'intérieur de la terre ». · « En rectifiant ». · « Tu trouveras la pierre cachée. » peut on entendre dans la tradition.

« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux 

Il faut non seulement analyser toutes les combustions mais sans relâche jeter la fiction  dans le foyer du réel pour l’alimenter et tenter la mise en orbite du sens.

"Patience, patience, patience dans l'azur ! Chaque atome de silence est la chance d'un fruit mûr !" écrit Paul Valéry- Notre histoire c’est aussi  cette patiente observation de la germination des symboles… [ à regarder longuement mûrir la foudre  on en devient le maître plus que la victime].

3/ Mâcher la fiction comme du kath, en écraser les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le système nerveux central. 

Ainsi nous conduisons le Vaisseau fantôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fictionalisme à hauteur du réel - et nous pouvons répondre au chant des fées qui nous appelle.

Paul Éluard introduit une phase quasiment chorégraphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être »  / ainsi il existe une sémantique génitrice dans l’écriture, ( une captations d’image(s) et de racines  qui équivaudrait, par un geste de la main, à la capture d’un papillon  en plein vol - / au réveil nous en gardons les traces sur les doigts/.
Figer  le vivant à hauteur de lévitation et de mythologie comme un lac d’huile nous  met à l’arrêt tel un  fixeur devant le réel.

***

Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavillon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wernicke, là où se forment, en quelque sorte, la lave et  la compréhension du mot. Voilà ce qui initie le nourrisson à la durée et à la construction du soi.
Un monde de chair nommé croît dans le jardin des fictions . Mais il faut le nommer et le renommer sans cesse afin qu’il persiste.

Concept percé au foret le jour ou transmis comme un onguent par  imposition du verbe la nuit. Golem et cataplasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se battre avec la fièvre [ derme, épiderme et organes] comme avec un tigre.

4/ Mutation de l’être / lent déplacement  dans l’espace mental, il n’en tient qu’à nous que la chorégraphie du mot ouvre un geste, une échappée dans le monde physique. Le léviathan sommeille toujours à nos pieds. 

Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la secousse tellurique qui dessinent notre futur par frottis. 

L’épistémologie, c’est le babil des dieux.

Une symbolique des arcanes de la sémantique et de la grammaire qui à chaque fois  donne un tirage différent.

Ce nouveau codex recèle sur le recto de chaque page les griffures écrites et sur le verso la cristallisation de la matière même du vivant. Le papier qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction. 

***

Le livre de la grande science humaine se tiendra là, ouvert,  tant que quelqu’un pourra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aiguisée qui à la fois pourrait lui ouvrir les veines et lui permettre en même temps la découpe de chacune des pages. 

Toute la substance du temps , selon saint Augustin, tient dans l'instant indivisible qu'est le présent.

***

« C’est l’alouette ou c’est le Rossignol ?  » écrit Shakespeare dans Roméo et Juliette bien avant que Deleuze et Guattari ne songent à mêler ( dans la philosophie du rhizome) le chant des deux oiseaux donnant ainsi tous  trois la réponse dans une même trille. 

***

Poèmes extraits du Signe vertébral sécable

Le corps non exempt de corps

et l’œil :  petit cadran qui implose

 sous la ligne de flottaison du visible.

Premier principe alchimique :

à chaque fois que tu me tournes le dos, une saison se fane -

ou bien : 

en raclant les cellules de l’intérieur de la bouche 

on y trouve ton schéma, ta crête biologique-

ou encore : 

ouvrant une toute petite trappe dans ta joue

                       j’y glisse un destin à ton insu. 

  ∗

Une langue pour désapprendre,

une langue, à l’inverse du baiser,

 pour dénouer une à une les 

                                   bandelettes du sens.

Ligature

 

parole dissoute 

 

lumière criblée de sel

 

petit ange lingual.

 

Grain de fleur et pression sur la phalange de la tendresse-

 

l’aube évide le jour de sa matière

 

- dans chacun de tes os résonne l’une de tes vies –

 

quatre baies posées sur ton corps suffisent à m’en ouvrir les portes.

Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-

une chirurgie sans fin

où chaque corps touché reste en équilibre sur le fil –

je mords la chair

j’ouvre les deux plaies

j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-

le poids de chaque organe est un code chiffré :

même densité pour le cœur, l’âme et la rétine.

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Michel Gendarme, Les Poèmes Arrangés (Le fils du muet n’a pas la parole), extraits

Cette poésie parle de ce qui est en lisière, de ce qui peut être vu depuis un refuge du point de vue d'un être indéfini, caché, par besoin, par survie Son refuge est une forêt dans laquelle il enfouit sa vie Dans laquelle il s'enfuit De laquelle il ne peut s'enfuir vraiment Alors il longe ce qui le sépare des hommes Les sons, les allures, les rires, les gestes, les mots séparent Voir sans être vu, entendre sans être écouté, jouer sans y être appelé L'être maudit a pour lui la confession intérieure et les actes de solitude Cette poésie exprime la crainte que le monde atteigne par trop de folie l'être démuni de naissance.

Avertissement : les mots entre parenthèses ne sont pas lus, mais leur présence est nécessaire, les mots en italiques restent ainsi.

10

ainsi arriver marais et flaques trouver ramasser inventer des choses bruits des rayons lumière dans les yeux devenir petit minuscule c’est le silence de l’eau avec des éclats de chatoiement des odeurs de lune alors marcher par l'ennui les dents mordent ma langue marcher par l'ennui les dents cassent en morceaux marcher par l'ennui briser des branches (casser) rompre des planches fouler les orties massacrer les orties les orties ennemies trancher les têtes puis les corps écraser les pousses admirer le lieu du combat s'assoir sur une souche pleurer là sans savoir sans eau qui coule, dans nuit attendre dans cabane demain je grimperai en haut des arbres voir le soleil admirer plaine le clocher du village vers l'école prendre route vers sur la grande route vers sur la très grande route noire route dessinée (de) les lignes blanches zozotantes (ou)… longues parfois (très)… dessous les arbres saisir les nuages

11

les mains de l'homme de fer la poigne empoigner secouer secouer secouer la souffrance ça commence un jour jour précis l'instant de brute ça devient brute c'était mais devient alors (et) ça s'appelle la la brute coups le mal grimaces cassures brisures rien à briser le rien qui dit qui fait ça suffit à tuer ça du bonheur on est dans bonheur puis d'un coup frayeur le corps meurt de ça il meurt le mouvement meurt la grâce quand elle et qu'elle la grâce non non plus jamais plus élégance... parfois si encore un peu elle danse en elle dernière joie joie... dans dans cabane je vois encore (sa) la joie le vent des robes elles tournoyaient je riais... dans forêt les arbres dansent c'est elles et chantent... je ralentis je freine je stoppe comme si comme si je restais je moi dans le mouvement de ses robes

12

ils gagnent le terrain mangent la terre bonne bétonnent goudronnent ça on sait ils arrivent avec leur vitesse sûrs des moteurs de vie la leur une mécanique d'anges anges détournés de l'attente déjouée leur esprit des anges tordus (des) anges perverses des anges ont ils ont mangé la loi les cathédrales elles protègent leurs mandibules croch(ues)ets les gargouilles dirigent recrutent repèrent crachent les petits je je les appelle les petits ils cavalent alors aux ordres aux ordres je me suis réfugié oui un réfugié ne plus quitter ça la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude être immobile mais pas immobile je suis mes mots mes mots mes mots

13

je fais plus vite plus mieux (que) le temps du jour avant le jour pour être prêt (avant) toujours avant toujours j'éclaire tout les étoiles qui les appelle(nt) qui le matin avec le réveil rayon le réveil soleil du chasseur du luisant des nuits avec des voyelles avec des consonnes (à) avec des sons la quiétude d'être dans le silence mais pas le silence la solitude mais pas la solitude (que) le temps les vagues de géant j'en ai devine mes mots mes mots mes mots mes mots

14

je ne songe pas pas à moi pas à moi mais pas à moi un barouf du barouf du fracas même l'orage ne fait pas ça ô rage ma colère je ris quand l'éclair je ris quand tonnerre quand la grêle je me marre j'entends le cristal archange déluge de chant d'étoiles 

ici l'eau fait ça si on veut sur des bateaux de glace sur des voiliers de l'été feuille de noix coquille radeaux de chêne plouf plaf pluf toc coulé re-coulé dépanné sauvé font ça les livres aux couleurs inventent les mares ce qu'on fait là 

ça explose là-bas je sais mille bombes dix mille j'entends plus j'entends plus (geignent) ça geint les ruines ruines décharnées les corps fumées fantômes aux écoles les sons les rires les souvenirs muets j'entends plus le chien le chat vente vent ce n'est plus un souffle en haleine, charogne, les nuées les mouches des monceaux des monceaux

au bord (de) regarder la peau de l'eau attendre l'eau à soi attendre l'eau à soi c'est ça mais là-bas immense incroyable immense les yeux ne s'arrêtent pas le loin est loin loin loin sans jamais d'arrêt tirer l'eau à soi la plage l'immense mare salée c'est ça

des monceaux gémissants des vers, plein, le ventre ouvert geint et ça coule un liquide du fiel noir ça coule un son diable sa peau écorchée peu à peu ça s'ébruite ça se déshabille en sang caillotte et bulles ça pourrit avec des sons bruits de ça ça pourrit sur les champs de ça une guerre les nuées carillonnent de leurs ailes il suffit d'elles (de) elles sept mouches pour un nuage un silence ça n'existe plus

(et) je ramasse aux champs les chutes de voix célestes

15

gouttes qui font ding dong
poings défaits mains ouvertes
posées sur la terre posées vers le ciel
mains de gouttes (clignent) de chatouillis
mains libres de pluie de gouttes mains nénuphars
des mains libellules

il me reste la guirlande du rêve
ange grenadine
elle est venue là et
elle chante rit
je mire la lumière dans ses yeux
stop
puis les mots les gestes
stop
rien
juste dans l'éclat
juste un éclair

nous aurons les gestes minimum pulsations infimes les sons du cœur des vaisseaux à fleur de peau avec des fleurs les toisons d'or

il y a une vie qui bouge partout sous les écorces dans un caillou ça grouille même à la queue de la comète

16 et 17

grand arbre mon ami je t'embrasse mais tu grattes

une bête sent la fourrure la terre feuille sauvage (d')étoiles filantes incandescentes dans le corps les yeux lâchent des balancelles stop la magie stop elle parle elle sourit bouge ne fait plus la lumière (parle s'enfuit) explique raconte elle ment ajoute ça multiplie ça soustrait elle additionne elle divise (perd je perds) elle montre sa tête ses bras ses jambes sa chair rose ses yeux bruns ses cheveux tous frisés elle met du bleu des bleus sur ses ongles du vert sur les orteils bijoux au cou à la cheville (les doigts) des bijoux (les) diamants avec de l'or encore les améthystes et les rubis encore les émeraudes (et) en chrysalide

elle cache puis elle laisse une trace quand partie loin elle disparue une bague comme en toc tic toc accrochée dans le rayon soleil contre la pendule tic tac j'attends un mirage sans lumière je plie et je replie bras jambes corps têtes pieds mains lesoreilles même ferme tout ça et pose ça en rond sur les fougères oranges

des millions et une fourmis bavassent elles torturent le cadavre encore dans la vie elles (déchirent) découpent arrachent (piétinent acidifient) percent et boivent et rongent, le cadavre hurle des faux cris, (ce sont) elles qui tchatchent qui montent au ciel le (un) vrombissement des maux humains les bouffent les digèrent les crachent en sons incroyables tuent les oreilles

moi j'entends tout ça assis moi plié contre l'arbre (j')écoute les peurs humaines toutes les terreurs mondiales de la nuit moderne je me plaque contre le tronc (j')ouvre grand ma gueule et (je) mords l'arbre

un hellébore de fin d'hiver (elle) tombe dernier(s) (r)appel(s) (l')avant le (à) présent

 18

donne-moi de la gaieté l'univers (en) dans la poche une pierre un pétale une écorce donne-moi que ça et toujours que ça chante des instants de trésor à garder siroter l'été réchauffer l'hiver je fixerai la lune je peindrai la lune je la frôlerai la lune elle me fera une note suspendue en attendant que le requiem s'élève

19

le maître me donne à moi (moi) contre le radiateur la bonne place c'est (ce) qu'il faut trouver toujours avec des gommettes (et des) les images les mots des autres les additions des autres ah les récitations ah les récitations les mots des récitations les images des récitations écho des mots des récitations ah les images des récitations  ah les images des récitations longtemps en écho même en récréation écho des images et des mots à dessiner sur le sol des faux mots des fausses images

allongé je regarde le ciel venir établir l'ordre je croyais que la terre elle allait vite si vite quand le vent et ça filait dans le ciel les nuages ils défilaient si vite sans bruit le vent si mais les nuages non ils imitaient les sons des songes m'emmenaient loin dans la terre à l'intérieur(e)

 20

tu veux jouer aux billes je suis bon aux billes (bonne bille) (bonnes billes) le champion peu s'affrontent je pique toutes les billes (car champion) peut pas perdre car champion le terrain connu gratté du regard promenade des doigts du doigté paf la bille dedans au pied de la racine (un) tilleul (doit) dix billes vingt billes gagnées les belles (billes) agates (belles) brillent elles s'amoncellent petite vasque au pied de l'arbre nid de billes richesse des lumières mettre la bille entre les doigts s'éblouir au soleil il y a des mondes là-dedans si je bouge si je tourne des mondes magiques des planètes interdites (seules connues seules) je les gagne toujours alors perdent déçus eux pleurent eux jalousent eux voudraient les billes les planètes les cieux du(e) magicien jamais me les prennent mes agates eux boudent s'éloignent ne jouent plus jamais (longtemps longtemps) car eux savent mon armée mes galaxies de couleur

moussaillon, à l'abordage de la vie ha ! ha ! tout droit, courir, sauter, berlinguer dans tous les sens ! bourlicoter avec espoir, c'est quoi (l'espoir) ? la peau s'éveille ! les fantômes (ils) rapetissent ! sympa ! belle journée ! ce sera comme ça, avec le cœur ! vas-y mets(-y) la joie !

 

 

 




Franck Bouyssou, 5 poèmes

Tu veux mimer une saison morte
être un bois flotté sur une plage en hiver
un grincement de porte, une couleur sur un mur qui ne sépare pas

ce qui est là pour être là
que rien ne traverse

arrière-pays qui ne manque à personne
mais dont l'absence mutilerait l'apparence du monde.

∗∗∗

À portée du temps
tu façonnes un lieu avec des mots
couverts du silence des rivières
boisés comme un rêve en novembre

où le seuil est une ombre qui danse
dans l'espace mesuré d'une page non écrite

et tu attends, errant,
que l'encre bleue de l'enfance se lève
et vienne mourir sur les fleurs de ta tombe.

∗∗∗

Tu trembles d'un incessant refrain
qui du dedans cherche une fenêtre
au bord de ton corps grillagé

tu ne vois plus ni la tourterelle
ni le visage des saisons ni le garçon qui t'appelle
du fond de sa forêt

prisonnier d'un printemps sans oiseaux
tu te répètes comme cette goutte
dans le ventre de l'évier

automate rouillé criant au bord du vide.

∗∗∗

Tu sens l'odeur chaude de la pierre
prêt à te brûler aux ailes de l'été

dans la chambre moite
               un après-midi de sable
                               emplit ton sommeil

une gorgée de bleu comme une griffe
dans une carrière d'ombres

tu te délectes – animal assoiffé de feu !

Tu saisis toute la densité du temps
sincère intervalle
                          où passe
                               l'impeccable clameur de ton être
renonçant à vivre ou à mourir.

∗∗∗

On t'a parlé une langue de sable
tu as su l'aube, le vent, la dune
le ciel à côté du ciel réparer la beauté

et cette main errante
dans l'abîme du jour

cherchant un reste de nuit
au fond d'un sarcophage.

Présentation de l’auteur




Philippe Leuckx, Christophe Pineau-Thierry, 12 poèmes inédits

Foudre et fulgurance
tout fut signe
dès le premier regard
la beauté de tes yeux
l'accueil de ta voix
nous parlions la même langue
et nos poèmes avaient
le même goût de vivre
j’ai l’impression
de te connaître
de longtemps
nous avons la même main
pour cueillir le don
et le désir de nous comprendre
loin en nous

∗∗∗

face à l’adversité
qui s’empare de chacun

avec toi pour ami
je m’engage sur la voie

je sens ta présence
parmi ces étoiles

qui à mes côtés
brillent pour éclairer

ce magnifique chemin
qui s’offre à nous

∗∗∗

Ta belle voix douce
rameute les étoiles
vers le cœur

tu cherches à mieux
voir je t’accompagne
en pleine lumière

j’ai besoin de ta main
pour écrire le soutien
et retenir tes mots

∗∗∗

quand le sort s’acharne
que les combats s’engagent

avec l’épée de nos mots
nous écrivons le chemin

avec pour seule lumière
le sens de nos vies

∗∗∗

Je recueille tes mots
à l’aune de l’amitié

le chemin est lent
devant

parfois un peu de gêne
m’égare

les amis osent-ils
tout se dire ?

ta vie en tout cas
m'importe

∗∗∗

les mots ont aussi à nous dire
les joies de nos présents

quand l’horizon s’éclaire
accompagné par les anges

et que nos vies filent si pressées
de retrouver l’origine du monde

∗∗∗

Si mes mots peuvent
être ce velours pour toi
et si la confiance
dont tu m’honores
ne prend aucune ride
je vais devant
les yeux fermés
cœur ouvert
pour sabrer la voie
du renouveau
demande moi l’impossible
je serai là
sans défaut

∗∗∗

l’impossible est un chemin
emprunté par les heureux

les oiseaux nos regards
qui portent au plus loin

les bienfaits de l’amour
et l’espoir du lendemain

c’est le chemin des amis
qui voyagent en confiance

pour rire ensemble de la vie
et écrire ce qui rassemble

∗∗∗

Oui nous nous ressemblons
et nous rassemblons
pour l’autre
ces mots
baumes peut-être
quand le tourment
torpille le cœur
nos mots pour que l’autre
vive mieux
se soulage de vivre

∗∗∗

ces mots qui viennent de loin
de cet autre qui me ressemble

installé sur une terre brûlante
bercé par le chant des cigales

j’invite le gris-bleu de ton ciel
veillant sur les contrées du nord

à rafraîchir mon âme errante
et ainsi apaiser ses tourments

∗∗∗

Te rappelles-tu
ce n’est pas si loin
puisque c’est proche
en nos cœurs
nous avons décidé
l'un et l’autre
d'emprunter le chemin
d'unir nos mains
aux mots de l’entente
j'ai trouvé des réponses
grâce à toi
je t’ai assuré
de ma fidèle présence
et toi de même
tu t’es engagé
et je suis heureux
de te ménager la voie

∗∗∗

au cœur de nos mots
émerge le projet

d’une quête
d’une vie apaisée

de découvrir le sens
de nos rêves cachés

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Aytekin Karaçoban, Ce que Orphée contemporain disait lorsqu’il réparait sa lyre cassée

Ce que tu as été

Je ne voulais pas grand-chose.

Tu as été la gomme magique qui a effacé
de toutes mes photos
la peur sur le visage de mon enfance ;
tu as été, autant que possible,
au tournant de chaque voie qui s'ouvrait à nous,
la réponse à mon appel
qui était l’héritier de la recherche d'une autre langue.

Tu as été mon phare,
avec une autre analogie
gardien des navires ;
ma peur de heurter les rochers a disparu.

Tu as été mon aube
que j'ai retirée de ma nuit,
que j'ai placée dans mon horizon.

Tu as été la forme,
couverture de mon contenu. 

Tu as été ma ligne de haute tension,
transmettant le courant de sa langue à la mienne
dans mon univers humain
avec ses steppes, ses sommets, ses vallées.

Tu as été mon cours d’eau qui songeait d'aller
aux grappes d'étoiles sur les branches
avec le talisman de l'abondance
quand il tombait en cascade avec des applaudissements.

Je n’avais rien demandé de tout cela
sauf que tu ne sois pas mon bourreau.

Pourquoi

Pourquoi mon désir s’accroit-il,
juste au moment de tailler la vigne,
d'apprendre au temps de t'écrire,
de déployer un chemin de rêves sous ses pieds
pour qu'il apprenne aussi
à ne pas se contenter seulement
de sa science de traverser le réel ?
Pourquoi pas,
par exemple,
juste au moment où je glisse ma voiture
entre deux lignes dans le parking
ou bien au moment où je saisis le sourire forcé
de la vendeuse chez le boulanger ?

Pourquoi fondent les notes,
se tendent les voix
les heures deviennent lierres
dont les fibres tressent des cordes
quand j'attends une mélodie valable
de l'opéra à trois sous de la vie ?

Pourquoi l’envie de me mesurer avec l’ouragan de la foule,
de courir en hurlant se mêle-t-elle dans l’affaire
juste au moment où mon pied glisse sur la marche
et pourquoi pas
quand je regarde en colère dans mon fauteuil moelleux
les canons à eau déployés en plein hiver
pour repousser des migrants
qui tentent de traverser la frontière ?

Je fais semblant comme si ces heures n'existaient pas
comme si tu n’étais pas
mon abri,
mon refuge,
            mon sauveur
juste au moment où mon pied touche le sol.

Ma mémoire devient l’attrape-guêpe.
Partout le brouillard. 

Parle

Tu dois parler de quelque chose ;
parle que
je puisse te faire naître.

Par exemple, parle du champ marin à Zanzibar
où des femmes cueillent des algues,
parle, si tu veux, d’une femme
qui prépare le repas à cinq doigts au Kirghizistan
que je devienne le capitaine sur terre
du navire qui y va.

Parle de ton désespoir
quand la corde d'une turbulence de sens
passe soudain autour du cou de tes mots,
parle du mistral qui piétine les herbes du verbe
là où ton œil touche,
parle d’un pianiste maladroit
qui étrangle le clair de lune
dans la nuit des sonates.
Parle si tu veux de ton sommeil,
de ce puits plein de cauchemars ;
parle que
j’invente des histoires,
contre le lever du jour.

Parle de ta colère
car l'homme vole l'avenir de l'homme,
il rend étroit le monde pour lui aussi.
Tu dois parler de quelque chose
par exemple,
de charrue qui décore le jardin
ou du lancement d’un ticket de métro au Chili
comme un poids de boulet de canon
contre la figure de l’Etat.

Tu dois parler de quelque chose ;
parle que
je te fasse germer dans le sillon de la langue.

Nous trouverons

Nous trouverons un nouveau langage,
comme le vent habille les branches
au-delà des limites du silence
couvrant nos rêves de son souffle.
Un nouveau langage
qui ajoute des valeurs inconnues 
à l’équation de l'homme.
Un langage comme un faucon qui monte
dès que tu détaches la ficelle de ses griffes
pour inscrire sur ses plumes ce qu’il voit du haut.

 Nous trouverons un nouveau langage
qui nous apprend à lire le monde
à dépoussiérer le temps,
à le polir,
à savoir comment un soupir résume
la grandeur d'un regret. 

Nous trouverons, nous trouverons un nouveau langage
pareil à la corde qui relie à nos flancs 
une note au-delà des notes,
une dimension au-delà des dimensions.

Un langage 
qui à l'ombre de nos sens
exprime les uns après les autres
les mains ardentes des flammes, 
les secousses des rivières,
sans brûler,
sans détruire.
Généreux de son sourire,
réveillant de son toucher,
un langage que nous donnerons une voix ; 
n'aie pas peur, personne ne le supprimera. 

 Nous le trouverons.

Entre les murs 

Par où commencer ce poème
alors que je consacre au feu tout ce que je sais
sur l'autel où j'écris l'avenir ?

Sont érigés des gratte-ciels du capital
comme des couteaux qui creusent ma blessure
De là vient le rhinocéros de la colère
pour aiguiser sa corne dans mon squelette.
Le monde qui m'est promis
est un jeu d'ombres dans la lanterne magique.
Seuls des murs autour de moi.

Par où commencer ce poème ?
Est-ce par mordre en pleines dents la chair d'une belle journée
en regardant le sang de la mer,
en écoutant son cœur bleu couler dans nos veines ?
Même si nous ne connaissons pas le sens de tous ses mots,
Entre temps, nos mains trouvent-elles quelque chose à se dire ?
Est-ce le seul moyen de casser les ciseaux des distances
pour qu'ils ne coupent pas mes élans vers toi ?
Le remplit-on enfin du sens d'une phrase ?
un vide que la journée laisserait ?
Pas de mer quand tous mes sens sont en éveil
pas de cœur bleu
pas de mots, pas de dictionnaire,
nous n'avons pas de mains
Seuls les murs autour de moi.

Si je commence par dire « tu », une rivière folle,
cette couvée des phosphorescences broyées
me remplit, cogne contre mes parois.
Là, tu es la lumière rouge,
l’impasse,
l’horizon qui s’éloigne,
la faim blessée,
la tour renversée,
l’animal civilisé,
le vrai mensonge,
le poignard incrusté de sang,
l’univers à trou noir,
la baguette à double tranchant,
le mal de tête,
la gâchette tendue,
la pensée à pou
et moi j’écris un poème pour toi
dans le temps que je dérobe aux murs.

Par où commencer ce poème ?
Tous mes sens sont en éveil.
Seuls les murs autour de moi.

Présentation de l’auteur




Lili Frikh, Tu t’appelles comment et autres poèmes

Textes tirés de l'album Tu t'appelles comment fait en collaboration avec Brieuc Le Meur.

 

 

Lili ?
Oui
C’est toi qui écris ?
Non
Alors c’est moi ?
Non plus

 Alors c’est qui ?
                                                                                                                      tu m’entends là ?
Personne en particulier quelqu’un en général
Tu t’appelles comment

Quand tu dis Je alors tu dis quoi ?

Je
non plus
Je
Je ça dit pas
Je ça fait dire

Lili à Montpelier en 2015 - Brieuc Le Meur

on avait dit Chiens

c’est les Chiens    qu’on est obligé de rencontrer
pour voir autre chose
voir autre chose
c’est toujours
c’est toujours les bêtes qui accompagnent les hommes
c’est jamais les hommes qui accompagnent les hommes
c’est toujours les bêtes les monstres
qui sont là

 où personne ne va chercher personne

ma vie, la vie

c’est ma disposition d’esprit quand je suis libre
quand je prends des trains et des avions
j’fais ça
je décide
que la vie c’est ça
et ça et ça et ça et ça tu vois
et
je suis comme ça au départ
et je trouve la vie
comme ça
une
je trouve la vie comme ça
ma vie
la vie

c’est la dedans que je suis le plus
le mieux le plus libre
capable justement de parler
en dehors de tous les clichés un homme et une femme ça baise ben non
pas toujours   
ça peut mieux faire

 

Présentation de l’auteur