Quentin Baffreau, D’hier soir

1.

A l’ombre de la chandelle
Le marron pâlit

Les cailloux de sang de l’automne
Frappent
Aux fenêtres dépouillées

J’ai peur
J’ai froid
Je ne peux pas

2.

Un matin
Il y eut le bruit d’un papier que l’on froisse

Ouvrant les yeux, nous
Sommes devenus muets

Nos yeux ouverts sur le grand noir :
L’argus piégé dans un verre obscur,

Entre deux briques, le ciel,
Une rose cernée de marbre rose,
La douce-amère sous le joug du soleil

Nos muses, des murs,
Des lointaines prisons,
Des horizons carcéraux

Il y eut aussi
Ces deux hivers
Et d’autres,
Moins silencieux

Il eût fallu
Que la neige fonde,
Que les cendres absorbées,
Que la chair des noms
Soient adressées,
Par nos lèvres noires, creuses,
Que le silence soit rendu

3.

Sur le bas-côté,
L’horizon bleuâtre
Bridé par d’obscures lignes
Tournées vers l’enfer

La mue humaine
A perte de vue
Semble un ciel embourbé,
Un diamant de poussière

D’hier, l’horizon était un sac d’orange
Sur un vélo qui passait,
Un infini de poche,
Des livres dans une chambre,
Et dans cette chambre
Une fleur blanche à la fenêtre

Aussi reculé
Que les bogues d’automnes,
Qu’une fleur de muguet dans les ombres

Ton sourire, toujours
Un pli de boue,
Une pluie qui va d’est en ouest,
M’accompagnait vers quelques gouffres de fleur

De nuit sur le chemin,
Le visage creusé
Du soir, ton visage
En grève noire de sourire

De nuit sur le chemin
Aux ongles noirs de la terre :
L’inavouable séjour

Chaos bleu du soir
Je serais mort
S’il ne m’avait ravi
Aux serres de la seule vue

Quelques morceaux de miroir
Sous des pas. Aux prières crissaient
Le silex noir et proche,
Le noir grouillement des rêves
Dans une haie flammée

Epars reflets sous les bottes
Trouées de l’écriture
Que les astres étiolaient, silencieux

D’une vague impossible, d’une rive amère, ces mots sont passés des pâles cailloux du ruisseau jusqu’au coquelicot au rebord de la nuit ; une réponse à l’ombre : que la mort soit une réponse, que demain soit la maison, une voix sans savoir, et ce visage entre les murs, et ce visage étreint de brume et de feuillage.

4.

Désert de veiller au silence
L’effort du mot
Vacille

Les murmures de la braise
A l’heure du chant cadet,
A l’heure des bûches blêmes
Et des bouquets pourpres

Je fuis

Des cailloux blancs
Sous une robe rouge sang

Sur la barque rosée du rameau
Sous une pluie fine de cendre

Vers un sourire

Une ruine ajoutée à l’histoire

Mais je n’ai fait, ce soir-là, qu’effleurer

L’autre sourire,
Plus opaque, plus tardif,
Porteur d’une rumeur
Plus sombre qu’une fenêtre d’été

Le voir
Je ne peux

Mais un sifflement dans un brasier,
Un éclat au-dessus du gouffre

5.

Je regardais le ciel
Et ses ombres sur la terre

Les averses gâtaient mes fruits
Mais ce n’était pas grave

Je les laissais tomber
Comme des étoiles dans l’herbe

Vous les regardiez comme on regarde
Les yeux ou le sourire
De quelqu’un qui s’en va,
Vous regardiez cette chute bénite,
Vous souriiez au sourire d’été de cette ruine

Les tertres qu’ils formaient
Etaient comme autant de fêtes,
Autant de concerts dans les squares en fleurs,
C’était leur dernière danse
Avant d’être cueilli par la mort
Jusqu’aux prochaines chansons de mai
Des étoiles sous un pommier
Comme des refrains de feu

J’ai peur et froid, je ne peux pas. La nuit m’ouvre son regard noir, mes doigts s’y posent sans y laisser leur ombre, à pas de loup, comme un duvet, comme une fleur sur un banc de neige. Parfois, avec le tranchant emprunté d’une étoile, je coupe les plis de ses pages brunes. Mais son cœur est de craie et s’écrit avec du vent, et c’est moi qu’elle coupe, et c’est moi qu’elle brûle, et comme l’éphémère, entre jour et nuit, je ne peux, de ce peu de lumière.

Présentation de l’auteur




Gérard Le Goff, Cadastre des décombres et autres poèmes

Entre les feuilles froissées du schiste mauve, des lichens gris, tels des lézards, racontaient encore hier la patience de ceux qui vécurent ici. Ce sont leurs mains habiles qui construisirent ces murs, qui plantèrent ces arbres, qui ouvrirent ces fenêtres sur le bonheur avec des gestes d’aurore. Ils ont aspiré au bon vouloir du soleil. Ils ont pris pour guide la nécessité du ciel. Tant d’années ont passé. Tant de siècles, peut-être.

Regarde : aujourd’hui, on détruit le miracle de leur maison, abolit la beauté de leur jardin, efface leur nom, martèle les dates de fondation aux linteaux des portes.

On abat les arbres et les demeures, on efface toute leur mémoire pour couler demain le béton cupide. Là tenteront de croître des populations déterrées de leur propre oubli.

Regarde : à force de déraciner le passé, de nommer présent leur rapacité, c’est leur futur qui s’effondre.

Angélus

Le carillon joue plusieurs tons
L’un plus grave
L’air arrêté dans la chaleur
De cette fin du jour
Semble soudain trembler
Vibre avec les ailes
C’est la voix de bronze de Dieu dit-il
Assis au bord du soir
Il a déjà rangé la canne à pêche
Ecarté le panier vide
Les heures ont coulé
Sans qu’il n’y prenne garde
N’a-t-il pas veillé la rivière
Epié sa fuite éperdue
Sur l’autre rive
Penche un bouquet de roseaux
Dérivent au long cours
Les chevelures vertes et or
De toutes ses Loreley
Des éclairs d’argent
Fraient encore avec la lumière
Le carillon joue plusieurs tons
Dont deux à l’unisson
Histoire de bénir les hirondelles
La voix de bronze de Dieu répète-t-il
Déjà sur le chemin

Tel que

Le temps avance
Dans le même sens
Que l’eau
Sans cesse du ciel au ciel
La mer n’est qu’un voyage

Le temps se moque
De notre attente
Cet espoir que comble
Le vide
Ou la douleur bien apprise

Le temps nous invite
A transparaître
A l’envers du néant
Inconsolables
De ne pouvoir rien abréger

Le temps nous couture vifs
Dans sa chrysalide
Translucide
Nous libère un jour
Sans ailes

In L’inventaire des étoiles, inédit, 2022

∗∗∗

A tisser la terre à force
A étendre leur bâti de patience
Ils ont ouvragé le pays

Les haies lui offrent leur partage
L’horizon l’éternise
Les sources du ciel l’irriguent

Les mains enracinées aux outils
Chaque pas arraché à la glèbe
Ils ont écrit les lignes du pain

Ils ont donné congé à la faim
Sans apprendre à prier
Ou alors du bout des lèvres

Leur langue parle l’instant du lieu
Ce cadastre encombré de légendes
Où paissent les troupeaux

Tous ces lieux-dits sauvés du silence
Pour les convaincre de préserver
Cette identité qui les clarifie

Ils auraient pu durer au pays
Vivre la grande patience du grain
La joie simple des bêtes repues

Malgré la gale et les orages
Malgré l’organisation sociale
Qui les laissa gueux pour de bon

Et puis la guerre a drainé leur sol
Pour des moissons d’acier
Où seuls leurs fils furent fauchés

Aujourd’hui le pays s’époumone
Son souffle de bocage coupé
Ses eaux désenchantées

De ne vous avoir su j’ai l’âme en peine
Oubliés les dates gravées aux linteaux
Les noms secs comme fleurs de reliquaires

*

Elles descendent du nord
Engendrées par le brouillard
Les Grandes Compagnies

Gens de sac et de corde
Coquillards familiers du Malin
Commensaux du malheur

La plume au chapeau
Ils s’enivrent du vin nouveau
Crachent des crapauds

Bâfrent gras aux tavernes
Gibier et poularde
Toisent qui les dévisage

Clouent les clowns
Aux portes des granges
Enfourchent les nonnettes

Lancent des cailloux aux serfs
Détroussent les pèlerins
Bâtonnent les mendiants

Moquent les familles
Lorgnent la promise
Jusqu’à l’autel de sa noce

Egarent les troupeaux
Brisent les échaliers
Assomment les bergers

Souillent les eaux vives
Maudissent les labours
Jettent un sort aux moulins

S’en retournent au printemps
Ombres efflanquées
Que saigne l’aurore

Ou finissent pris par les preux
Puis gigotent au gibet
Les yeux crevés par les freux

*

Elle souhaite raconter encore
La même histoire
Pourtant
Elle tremble d’effroi
A chaque fois
C’était à la croisée des jours sombres
Commence-t-elle
Je m’en souviens
L’épouvantail se tenait
Debout mais de guingois
Sur la rive d’un fossé
D’ordinaire
Ces hommes de paille
Se dressent
Au milieu du blé
Quelques oiseaux moqueurs
Couronnaient de leur chant
Ses cheveux de chaume
Sa main droite
Faite de sarment sec
Etreignait un bâton ferré
Un bâton de marche
Son autre bras invisible
Dans la manche cousue
Ses yeux
Deux boulets de charbon
Fixaient l’horizon du chemin
Qui s’amorçait à ses pieds
Son ample capote déchirée
Laissait voir sur sa poitrine creuse
Une croix de métal suspecte
Au bout d’un ruban écarlate
Sa bouche était-elle faite d’un fruit
Trop mûr pour s’ouvrir ainsi
Une chanson
Il se mit à marcher
Frappant le sol de son bâton
Non pas épouvantail
Mais revenant de guerre

*

Le vent d’hiver
Vêtu de feuilles mortes
Mène grand tapage
Ecoutez-le mugir à la porte
Le vent mauvais
Puisse-t-il briser dessus
Ses poings de givre
Empêchons-le d’entrer
Le soûlard
Le mauvais plaisant
Il soufflerait le feu
Renverserait la soupe
Briserait la vaisselle
Entendez-le corner
On prétend qu’il rameute
Des bonshommes de neige
En marche vers le hameau
Pour commettre grand dommage
On affirme qu’il réveille
Les grands loups noirs
Des contes d’autrefois
La bave aux crocs
Pour dévorer tous les âges

*

Vous croyez connaître votre ville
Il suffit pourtant d’un faux pas
D’un écart de conduite
A la tombée de la nuit
Pour emprunter une voie inconnue
Parce que se devine gravé
Dans la pénombre d’un mur
Le porche de toujours inaperçu
Que claquemure un vantail
De bois noir
Plus sombre que le soir
Une poussée désinvolte de la main
La porte cède à votre caprice
Les yeux s’écarquillent
Et vous voici déambulant
Dans une cité qui n’existait pas
Quelques secondes auparavant
Le pavé raboteux est d’un autre âge
Se succèdent inégales et sans plan
De hautes demeures aux toits pointus
Aux murs de terre et de bois apparent
Qu’éclairent mal quelques lanternes
Ces ruelles et ces bâtisses
Vous évoquent une époque lointaine
Dont vous ignorez tout
Si familière  à votre esprit cependant
Puisque vous la rêvez de longtemps
Vous restez là immobile et interdit
En l’attente du miracle
Au terme d’un moment
Qui ne vous semble mesurable
Vous ne vous étonnez même plus
Que lors vous submerge
La sarabande trouble et enchantée
De vos étés d’antan
Une mascarade tissée de rires
Où les belles de la grange à demi-nues
Simulent une fuite éperdue

*

Les branches ploient
Sous le poids du ciel
L’herbe semble cendre
La terre blanche poussière
Le goudron huile de nuit
La lumière effeuille les ardoises
Qui resplendissent
Tels des soleils noirs
Les nuages épongent les fenêtres
Livides de bévue
Les portes se referment
Au nez de la fournaise
Les ventilateurs patrouillent
Dans la pénombre des volets clos
L’air se conditionne
Se raréfie
Dans le jour exsangue
Les peaux mises à nu
Mises à mal
Le souffle court
Le geste au ralenti
Un rêve de pluie
C’est l’été dans la cité

In L’estran des jours, inédit, 2022

Présentation de l’auteur




Metin Cengiz, La Guerre et autres poèmes

Partout nous sentons l’odeur de la guerre
rien que son nom nous la fait monter au nez
de loin comme l’odeur du pain frais.
Comme si d’aucuns se battaient en notre sein
la vie éprouve la mort avec son arme
en faisant couler le sang des mots.
Les écrans sont si proches du ciel
qu’il est impossible de ne pas voir Dieu
en passant d’un front à l’autre.

Mon fils dit : « Je crois que Dieu est devenu fou
ne peut être à ce point son propre ennemi
même celui qui court après sa raison ».
Je me demande un instant ce qu’est la raison.
J’ai presque envie de m'asseoir sur une chaise
et boire encore du raki jusqu’à l’ivresse.
Peut-être retrouverai-je alors ma bague 
cadeau de ma femme dans une nuit scintillante
que j’ai perdue parmi les cailloux.

Adieu mon amour d’enfance.
Adieu mon enfance.

Bonjour Dieu

CONNAÎTRE

L’infini est là où commence la fin
Aride, j’ignorais ta chaleur
Je suis un roi de Perse plongé dans ses rêves
En quête de campagnes, de contrées, de frontières
Toi mon règne dans mon propre pays
Mon père seul m’avait parlé de tout cela
Qui m’avait tout appris, ce qu’est une frontière, un pays, une expédition
Comment les cavaliers se lancent à l’assaut
Ce qui succède au son du clairon
Les loups par exemple n’attaquent jamais une armée
Les animaux ont très peur des hommes en nombre
Puis tu as commencé à me montrer les insectes
Ce qu’est la religion ce qu’est Dieu et comment on prie
C’est aussi toi qui m’as fixé des limites
Ce sont des lettres aux yeux de Dieu
Des noms et des qualités pour les hommes
Des allumettes qu’on allume pour le plaisir
Mais tu m’as défendu de jouer avec les limites
De ce jour-là dès que je vois une paire de jambes
Je dis que s’ébranlent mes notions de limites
Tout à coup se prépare une expédition
Or moi je suis un roi de Perse
Je ne puis mettre mon pays en péril
D’autres rois existent, d’autres pays
Or moi j’ai des révolutions à faire
C’est cela connaître ta chaleur
J’ignore ce qu’est vivre, mais tuer est défendu

DÉSERT

Je suis un voyageur d’images
Je cherche mon jumeau sur les chemins
Tout le monde me reconnaît à ma chemise ensanglantée
Des champs de vignobles pleins de récolte
Des cours d’eau abondants au milieu de la verdure
Des filles au firmament comme des étoiles
Cette forêt de visions si profonde
Je suis entouré par des amis
Sur notre table des plats et des fruits
Quel bel éclat de rire argentin
Mais des voix mortes résonnent à mes oreilles
Le jumeau de chacun est mort, le mien est au loin
Ils me jettent au feu quelquefois
Ils me maudissent me chassent de leurs villes
Je mendie des mots pour assouvir ma faim
Au moment de s’accomplir le sortilège est rompu
La chaleur me rôtit le froid me brûle
Je m’étrangle moi-même au lieu de mon jumeau
Je remets toutes les pierres à leur place
Devant moi s’étend un désert sans fin
Les gens en route ainsi que des crânes
Où le soleil viendrait s’abreuver
Je découvre enfin ma propre image
Le désert était la route qui se prolonge en nous
Et chaque vision n’était qu’une oasis

ELI

Eli, Eli, lama sabachtani *
Cela doit être ainsi, disent les écritures
Que cette coupe passe par moi, que ta volonté soit faite
Que des roses m’imprègnent de la tête aux pieds
Comprenne qui lira. Malins comme des serpents
Naïfs comme des colombes soient-ils
Que les morts enterrent les morts
Que nul ne pose aucune question, qu’on laisse passer un moment
À chaque jour suffit sa peine
Les lys des champs ne chantent ni ne travaillent
Comment cacher une ville au sommet d’une montagne
Vous êtes le sel de la terre, si le sel perd sa saveur
Comment la lui rendra-t-on ? Aux pieds il sera foulé
Or moi je chassais les chasseurs d’hommes
Et je disais : l’homme ne vivra pas que de pain
Mais aussi de paroles sortant de la bouche de Dieu

Le rideau se déchire, la terre tremble, les rochers se fendent
Les tombes s’ouvrent, de leur sommeil tant de morts se relèvent

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » : dernières paroles de Jésus de Nazareth sur la croix.

Seigneur je te remercie

Seigneur, je te remercie
Pour les fruits et les légumes
Pour le pain pour le vin pour le raki
Pour les vieilleries de notre maison
Pour le lit, pour la couette
Pour la nourriture consistante
Pour le jour pour la nuit
Pour les étoiles s’ouvrant dans la nuit
Pour la lune au regard lascif
Pour les enfants sifflant la lune
Pour tout Seigneur oui pour tout
Même pour la misère qui nous accable
Et surtout Seigneur pour mon amour
Pour ses baisers ses embrassements
Parce qu’elle sent comme le matin
Pour son teint pour ses cheveux
Seigneur je te remercie
Mais ne nous envie pas je t’en prie
Parce que tu n’as plus ce que tu donnes
Surtout ne nous empoisonne pas la vie
Tu peux te retourner vers le passé
Et voir un peu tout ce qui advient
Puis nous te prions humblement
Ne parle pas d’angoisse à notre place

Ces cinq poèmes ont été publiés pour la première fois dans le livre nommé Hayat ve Şiir (Vie et poésie)

 

 

Présentation de l’auteur




Romain Fustier, Terre — mer

le vent sinistre dans les peupliers – elle

associe depuis toujours ce bruit à un
malheur, quelque catastrophe qu’il présage

– mon poème aux pavillons d’oreilles fines
saisit cette menace, cette inquiétude

longeant le canal : les écluses retiennent
l’eau, les sons qui se combinent – ça sent le

bois pourri, le feu de bois dans la forêt
qu’elle imagine – nous entendons au loin

des chiens de chasseurs, puis la mélancolie
arrive sur nous par bouffées, intervalles

– elle paraît s’échapper de la bouche même
des arbres que je chausse de baskets, à

qui j’enfile son blouson pour cheminer

                                                                 ] Vaux

un joli petit bruit – nous rebroussons tous

chemin creux devant ce qu’elle a pris pour une
source, qui s’avère rétrospectivement

un reste de ruisseau se perdant parmi
la prairie – avons croqué dans la galette

du crépuscule un ou deux quarts d’heure plus
tard : le ciel émiettait sa lumière sur

la cime crénelée des arbres, marchait
sur les forêts – tout était sauvagerie

calme autour, tranquillité irradiant cette
terre qu’aucune métaphore ne par-

vient à croquer – il n’en est guère resté
la nuit tombée – ces souvenirs secrets, quelques

cupules, et des glands au fond d’une poche

                                                                          ] Beissat

les oiseaux qui vont boire partent pour la

baignade – ma petite a lâché la phrase
précédente, ou un propos y ressemblant de-

puis la voiture, levant les yeux au ciel
dont un menu morceau a émergé entre

les immeubles, derrière le pare-brise
– elle a remarqué que les freux chaque soir

descendent à la rivière, à la brune en
ville, venus des côtes qui la surplombent

où ils retourneront – les berges deviennent
la bouche du monde s’abreuvant d’eau : quel

pays merveilleux s’est ouvert entre les
deux lèvres de ma fillette – elle en étrenne

l’histoire, éteignant ces néons clignotants

                                                                           ] Montluçon

nous serons allés, nous croirions à la mer

pour un peu – les lumières du port sur la
berge opposée sont celles du parking de

l’étang, pas les reflets de celles de la
station balnéaire que nous fantasmions

– nous longeons la berge, nous la longeons : j’en
suis longé à mon tour, poursuivant tout droit

pour gagner le pont de bois franchissant le
ruisseau – les bords sont des limites dont nous

ne connaissons pas la limite : l’eau re-
prend son cours telle la vie après la digue

dont l’éclusier a ouvert les vannes – je
reviens près de l’école de voile où j’a-

vais rendez-vous, plein de cet écoulement

                                                                          ] Étang de Sault

des bouts de neige sur le pré, restes de

chutes de la semaine – j’écris depuis
l’intérieur de mon vécu sans que je sois

en capacité de faire autrement, fuir
mon tempérament – ces reliquats sur le

sol en haut de la côte réveillent quelles
rêveries, sont les débris de quels instants

dont je croise les ruines, j’exhume les
vestiges, virant à gauche – l’eau de fonte

s’écoule dans l’herbe qui servira de
nourriture au bétail : les vaches dans le

pâturage s’en gorgeront jusqu’aux sexes
– ça sentait la betterave fourragère

tout à l’heure – la vie respire, charnelle

                                                                       ] Les Réaux

Présentation de l’auteur




Fabien Marquet, Le Poète anonyme (Poèmes de la dernière modernité), extrait

Descendre.
En quel lieu sûr descendre.

Pour recevoir un legs des lumières vives.
Pour que flashs
Ou manchettes
Écrans publicitaires – avec leur lot de pixels
Dernier Cri –
Ne laissent plus sur la rétine
Qu'un souvenir d'ahuri...

Oui
Pour un crâne perforé                                                         
Le jour passe
Les épaules s’affaissent
Le corps     vidé
Ne tient plus que par la tête – sans qu'on sache comment –
Suspendu comme un poids
Il avance...

*

Lumière de ma lampe économe lumière molle ma lampe

Quelle idée de lait ce soir renfermes-tu donc ?
Quelle Puissance nourricière gît derrière ta paroi ?
Je chuchote
– Pour ne pas te froisser –
Et la musique à tes côtés monte vers toi
Et redescend afin de te bercer
Lumière de ma lampe économe lumière molle...

*                                                                            

Le soir
Autour de nous les premières lumières s’allument écrasées
Par le ciel nocturne
Sur le bitume encore fumeux

Quelque part
L'orage gronde
Comme un ouvrier
Tout noir de poix

Mais on sait déjà que la terre va pleurer ses eaux perdues
La radio
Est à deux doigts d'annoncer la naissance d'une catastrophe
Ou d'une révolution

Ouf ! Quelle journée...

Tant de bruits qui ont passé en rafale
De soleils virulents
Dans le clapotement des sirènes :

Le cœur a perdu pied dans un mirage d'asphalte...

A l'autre bout
La main tremblote                                                 

*

Rien à midi
Pas même sa lumière blanche et mauvaise
Qui a fait de moi
Sa bête somnolente

Par l’air dense ce soir
Le monde avec elle pourra transiter
Et venir se presser

Sensible au bord d’une mémoire béante
Que j’aurai devant moi – occupé à fouir...
Fouir
Et à me dérober

Peut-être ferai-je bouger les lignes...

∗                                                                                                                                        

Écoute-le... maintenant
Il passe sur la route et se démultiplie
Grondant tout feu tout flammes
Dans une embardée

Se perd comme un tonneau
Au roulement de tambour

Puis il disparaît...

Sous les dernières gouttes
Les feuilles lasses tout à l'heure crépitantes
A laisser interdit
Fabriquent un bruit moelleux :

Le temps a été sec et lourd
Caniculaire

 Le Poète anonyme (Poèmes de la dernière modernité), éditions Unicité 2022

Présentation de l’auteur




Jacques Merceron, Coiffures et mégalithes pulvérisés

Dans le salon de coiffure
Teinture
Balayage
Lissage
Tous les –ages sur fond
De musique insipide
Tandis que je tente de lire pour tenter
De m’incruster plus avant
Dans l’intimité de la pierre
Dans les vertigineuses spirales de Gavrinis
Dans le squelette abattu
Des géants de granit
Désenterrés

Radicale mémoire des pierres
Des menhirs et dolmens
Des cairns des tombes à couloir
Et l’aventure des pionniers
De l’archéologie mégalithique

Mais fait irruption
Balayant tout
Dans l’instant de grâce
Louis Armstrong et son
What a Wonderful World
Voix mélodie m’enveloppent
Toute lecture cessante

Armstrong me saisit
De sa poigne
À la racine des cheveux
M’entraîne dans la spirale
Balancée de sa voix rauque et
Suave

Oh ! paradoxe
Percuteur et polisseur des métronomes
Implacables

Pas exagéré de parler de
Charme envoûtement
Moment de suspension
Absolue du Temps
Pendant
Ah !
Deux minutes et dix-huit secondes

Impossible à reconstituer
Impossible à prolonger
Mais purifié
Deux minutes et dix-huit secondes

21 avril 2022

*

Gnossiennes de Satie

Cliquetis
Plumetis de notes produites
Sur des gammes légèrement
Désarticulées désaccordées

On gravit en déhanché
Et redescend des degrés
En spirales
On glisse sur
D’entêtants anneaux de Moebius

On emprunte
Des escaliers d’Escher 
Où de loin en loin
Des marches font défaut

Aube ou crépuscule
Du monde
On attend un lever de rideau
Qui ne vient jamais

On progresse peu dans ce
Château de Marienbad

Ô lourde
âpre fluide hypnose de ses miroirs
Biseautés
Tout en girations

Dans ses grands parcs labyrinthiques
En trompe-l’œil
On croise de belles et lentes processions
De femmes errantes échappées
Des tableaux de Delvaux

Et dans le lointain
Tournent encore
Mis au pas

Silencieux

Des chevaux de manège
Autour de l’orbe du ciel

14-16 mai 2022

*

Satori arcueillais 

Me plaît le guingois de Satie, Erik
Le clinamen arpégé de sa triade
De morceaux en forme de poire

Leurs chevaux de bois soudain
Échappés du carrousel
Leur vaillant petit trot et
Leurs ruades nerveuses
Pétaradantes 
Leurs soubresauts
Claquant comme éventails
Ou bien leurs pas solennels
Cadencés
Un rien hallucinés
Puis

Clau
di
quant
Iront s’abreuver
Au Chat Noir
Beau matou
Dont la queue ébouriffée
S’électrise aux nuits
De Montmartre

Toujours assoiffés de vie
Hennissant à la barrière d’Enfer
Et pivotant à la Vache Noire
Vers l’aqueduc
À Arcueil rejoindront
(cortège oh ! tant tantrique
que satyrique)
Le bouc enguirlandé de Ronsard  
Et Bibi-la-Purée (qui jadis cirait
Les pompes de Verlaine)
Et puis retrouveront Satie-Socrate
Et les blanchisseuses des bords
De Bièvre (mais point
Donatien marquis de Sade)
Pour des agapes dionysiaques
Et rosicruciennes
Sous l’œil gai et brumeux
Du géant Sire de Malassis

25-28 avril 2022

Présentation de l’auteur




Sébastien Coccoz, Écrivant chemin

L'un à l'autre
où que tu sois
apostrophé
sur des chemins
de terre
où les ombres
se couchent
à force d'inventions

L'un à l'autre
en ces lieux
d'une fois
qui nous tissent
et nous lient
par des anneaux
imaginés

L'un à l'autre
par le toucher
des multiples
regards
qui patientent
au seuil
de nos paupières

L'un à l'autre
par nos paroles
offertes
comme des secours
établis
qui jalonneront
nos solitudes

L'un à l'autre
sans rien
qui nous délivre
des aubes
de nos rencontres

L'un à l'autre
enlaçant
l'heure dernière

L'un à l'autre
menant
jusqu'à nos noms

L'un à l'autre
survivant

∗∗

Ici s'invite
en mon absence
la vie introuvée

dans le partage d'une ombre et d'une lumière
où la vie et la mort s'entrouvrent avec la même évidence

Présences qu'aucun crible ne conserve

Vibrato de cordes et de hautbois jamais entendu

Imagine un arbre qui se délesterait
d'une branche morte

ou un mur qui s'effrite
dans les longues journées de son abandon

C'est une lutte des feuilles et du vent
pour recueillir tout le silence
présent dans les heures quelconques

Je comprends cet humble secret qu'une ronce murmure

Je le tairai 
C'est loyal 

On ne trahit pas la parole des eaux vives et des mousses 

Sait-on si elles cessaient 
ce que nous conserverions de notre propre mystère

Forêt conforme à mon amour 
réalité où j'appuie le front de mes vouloirs 

 

∗∗

Quoi qu'il arrive
la vision de l'existence tient dans un mot
de la taille d'une offrande

par tes yeux bleus ou noirs

Comme une maison pour attendre
que toute vie devienne

Je maintiendrai cet éveil en moi
par des insomnies répétées

Espoir qui restera à la fenêtre
guette un combattant qui revient de la bataille

Car il n'a pas de tombeau il faut qu'il vive

O volontaire
O météore

Sous tes pas ce sont nos bouches qui te nomment
à seule fin de dissiper un malentendu

∗∗

 

Notre propre chemin est une parole 
suivie d'un acte 

Bien sûr c'est l'assurance de n'arriver nulle part 
qu'au sommet de notre force invisible 

Voici donc un monde qui n'existe que dans le contour de notre regard 

J'écris pour en raconter les possibles au-delà 
sans jamais m'éloigner de mon intuition qui me sert de boussole 

La seule incertitude est le lieu où enterrer le retour 

 

∗∗

Entre ciel et terre est l'horizon 

Entre toi et moi aussi 

C'est la raison pour laquelle 
nous n'emportons jamais rien
quand nous partons 

Tout est dans le regard que tu maintiens posé 
sur les territoires que j'invente 

Et où je vais est ton visage 

 




Étienne Faure, 3 croquis de Vaché, interprète des tranchées

  Quel trou-quel trou-quel trou ! 

Vaché, Lettre à A. Breton, 1916.
Lettres de guerre

 

Souvent caressant les troncs des futaies, revient la 
fibreuse énergie mêlée d’écorce, sève et liber,
dès 1916 éclatée d’obus, rendue déchiquetée
à la désertion des ciels de toute idée
végétale, animale, terre détruite où Jacques
Vaché avance, traducteur des tranchées,
à rire tout en réserve et radicalité, disant
c’est compliqué, nous sommes piqués, les (h)êtres
(h)umains passés de forêt à trépas en quelques nuits
ou jours, on ne voit pas, tout s’équivaut sous les racines,
les restes de fûts grêlés d’éclats qui dans vingt ans
reverdiront entre deux fémurs remontés des 
profondeurs de la terre –de profundis, futaille, mitraille, 
maintenant chaque essence d’arbre a ses feuilles,
égare les scrutateurs d’horizon naguère bleu,
arbre à foudre, à justice, foudre de guerre,
fagus orangé, pare-feu de l’automne
qui jaunit sitôt noir, point de mire des yeux.

(les) hêtres umains

 

Jaune pâle puis jaune paille, le soleil entre 
par n'importe quel œil dans nos vies, 
hors saison poudroie puis console de l'ordinaire
lueur à même le sol d'antan, traverse
nos séjours sur terre en pleine heure creuse 
d'hiver puis d'été -le front n'avançait pas, nous étions
inhumés sur notre lieu littéral d'enterrement,
littéralement 
portant dans la main le cœur des Flanders Fields,
coquelicots puis bleuets enfouis avec
nos grades et nos unités, nous étions
couchés dans l'herbe, amoureux de la bourrache
bleue du même ciel craquant où l'on rend la justice à 
huis-clos puis ouvertement éclatant,
à nous sentir déjà pousser de l'herbe dans le dos
un été sur un pré légèrement pentu, au regret
de l’avoir échappé belle pour rien,
comment dit-on ça en anglais.

un été en Somme

 

Et puis finir sans plus aucun futur, averti
de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout,
beau pêle-mêle des choses à venir en cet hôtel
résolument de France et de farce où chantèrent les
oiseaux fluets à la voix de stentor,
Vaché devenu mentor à son corps défendant,
riant, écrivant, ultime umore, avec de si belles 
mains à solitaire
 une ixième lettre à André Breton
le 19 décembre 1918 : Les belles choses 
que nous allons pouvoir faire –MAINTENANT !
interprète des tranchées, des cadavres
exquis avant l’heure, en croquis et dessins signés
Tristan Hylar ou Harry James, souvenirs remués
avec la boue sans âge de la jeunesse,
les ennuis et les pensées recluses, lui rentré de
lugubre mémoire, étable à cochon, umour noir
du néant, vide d’idées, enregistreur inconscient
secrètement passé par les larmes –pof –
et tout est maintenant All right.

croquis de Vaché, interprète des tranchées

Présentation de l’auteur




Lea Nagy, Attente permanente et autres poèmes

Nous bégayons tous, chacun à notre façon.
Lea Nagy

 

L’une des moitiés du lit est vide.
Le coussin y repose pourtant,
la couverture pliée avec soin,
et la serviette, au bout du lit.
Cela provoque toujours de l’attente
en moi,
comme si à tout instant
déboulait quelqu’un,
ici,
dans cet appartement,
où je passe mes vacances d’été,
et il se lancerait,
ce quelqu’un,
il déplierait la couette pliée
avec soin,
et se coucherait dessus, juste comme ça,
pendant que l’une des moitiés du lit reste vide.

∗∗

Feu rouge

 La peur, une partie de moi élémentaire.
En quelque sorte, les trams clignotant
dehors le sont aussi.
Des gens y sont assis,
je les vois flous,
leurs contours,
comme
cette fille
ronge ses ongles,
feuillette des papiers,
puis regarde sa montre,
soupire.
Le tram démarre,
devant le feu rouge
resté là un temps.

La fille se rongeant les ongles reste en moi,
La partie élémentaire de sa peur. 

Le tram est à l’arrêt.

 

∗∗

Il n’avait qu’un seul but

Une chauve-souris vole au-dessus des sphères.
Le labyrinthe terrestre s’est installé sous la bête.
Dans le dédale, tout ce qui bouge
paraissait minime et sans couleur.
Des points transparents,
sans destination,
et même
sans direction.
La petite bête n’avait qu’un but :
voler au-dessus de l’univers
comme organisme noir ébène,
pendant que tout reste éclatant,
dans ce jeu sans issue.

 

∗∗

Rétrécissement

 Le chat est arrivé.
La lumière de la porte-fenêtre
lui scinde le visage en deux.

 Il grimpe sur la tête chauve de son maître.
Il se fait les griffes sur son dessus-de-tête,
dans l’ivresse de la nuit glaciale.

 La bête grandit dangereusement.
Alors que le chauve ne fait que rétrécir.

 

∗∗

Seulement un moment

Le pêcheur passe par là.
Il s’équilibre sur un buisson épineux.

Le temps s’arrête.
Seulement un moment.

Tout. 

La lune commence à luire.
Elle tourne toute seule.

Des cigales se cachent dans la poche du pêcheur.

Un vieux trompettiste dans un coin du cimetière.
Il se met à jouer à l’aube.

Le ciel change d’allure.
Des fourmis se pressent sous le banc en bois.

Une petite fille chantonne toute seule.
La mer a délavé sa robe blanche.

Sa mère la cherche depuis des jours.
Dans deux mondes différents.
Séparés de quelques mètres.

Elles se parlent à travers des tunnels.

Le vieux a attrapé un poisson.
Il a glissé dans le port salé.
S’écrasant sur son pied gauche.

Fendu en trois.

Les larmes de la petite fille dans les blessures.
Le pêcheur s’exclame.
Ils s’exclament ensemble.
Dans une barque qui tangue.
Un moment seulement.

 

Présentation de l’auteur




Claire Legat, Promenoir des déracinés

Aura papillon

 

par delà les haies de cris

il y a

en pure perte

la voix du paysage

 en marge de nos gestes

se déjoue 

l’équation du temps 

 

m’apprendras-tu

 

la pyramide fraîche de l’aube 

et

ta présence

hors des phalanges secrètes

de l’eau

  

que je sois

fleur

encore

 pour que tu me

respires

∗∗

Autant que le grain

 

autant que le grain de sable
le caillou  le rocher
violentés
sans avoir eu l'octroi du temps

   j'ai charge 
de
commencements 

une enfance
affleure à nouveau les quais

presqu'île
en
partance 

réinvestie dans l'oeil initial

   je m'affranchis
 d’un recel 

    dans la filiation
des
silences

∗∗

entre la veille

entre la veille
et
le sommeil
dans l'intimité de l'itinérance
mes doigts auraient tressé
ce
berceau vivant
style malle de voyage
prête à appareiller sur mon vaisseau d'osier
j'aurais négocié ce que l'un et l'autre
pouvaient m'offrir
ou me laisser en gage
le cyclone
son oeil
la pluie sa perle
le scolyte ses galeries rayonnantes
le rouge-gorge son carnet de rendez-vous
le martin-pêcheur
l'exclusivité d'un bleu intemporel

    qui parle d'héritage
j'ai reçu j'ai rendu j'ai donné mes baies
aux passereaux
mes noisettes aux écureuils
ma chair et mon sang à mon enfant

en son temps
dans la mise au monde
j'ai revendiqué 

ma douleur de femme
mon bonheur

∗∗

et

cette
conque

 hier propice à l'élection du silence

 cette conque
paupière
d'île

palpite le désir

convergent les mythologies

 cette conque

se répondent les échos à naître

se font et se défont les noeuds de l'extase

 escale
permanence de l'impermanence

des
gestes
s'achèvent
d'autres
recommencent

 sans discontinuer

 la chorégraphie de la solennité

∗∗

éventail
angle vivant

    ondoiement du souffle 

   transe
  du
  corail 

    stridence de l'offrande
     virginale
      diaphanéité 

       m'atteler
      à l'avant-dernière     

    larme

∗∗

piège
stratagème

 cri
dérouté à l'infini

 en hachures
exfoliées

 en écheveaux d'énigmes
à
la
dérive
en réconciliations
existentielles

témoins
l'arbre
le rocher
scarifiés par solidarité

comme pour ceindre malgré elles
les constellations
rebelles

∗∗

la fontaine
proche ou lointaine
n'a rien à envier
au
cerisier

  monologue sans voix

   chacun
est
offrande
chacune a sa neige
et moi
au coeur de la déferlante
avant-dernier rempart de l'absurde
des termitières
des
cimetières
j'attends l'inventaire des êtres
le répertoire
des
roselières

     au pied du volcan

       statuaire en instance d'inspiration
   je transcode
  les scories du futur

 clé
      pour la mise en abyme

∗∗

la gifle  la griffe  l'étreinte

défieront-elles 

la patience à toute épreuve

du poème à naître

et sa chance rendue au coquillage

 de s'éveiller 

bourgeon  lèvre  étoile

émergence

de

 l'absolu

∗∗

la ride en fleur
sur
ton
visage

 onde
fragrance
restée
en
transparence

  avec ce qui est
ce qui existe
ce qui se crée
dans
l'irréalité émergée 

    la ride en fleur
   au coin de l'oeil
a-t-elle
séduit
le
bouvreuil

∗∗

mieux que nous
leurs ailes
réconcilient nos trajectoires 

ils ne feront de nid
dans la blessure
ni
à la fourche
où rosit entrouverte la boutonnière
de
l'abandon

ordre désordre
peu importe 

tant que je frémis sous l'écorce
que je me coule dans l'incision de l'éclair

 que je me décline de siècles
en
décennies
de secondes en miettes
d'
agonie 

au risque de devenir
insolvable

∗∗

hors pistes 

il m'incombe de rester
passerelle
crédible
vers
l'incréé

 il m'incombe de vibrer encore 

quand
la beauté me taraude
me
fracasse
jusqu'à la moelle

me 
trahit
pour la magie de la plus belle eau

essor de serpents

grelots

c'est ainsi que des coquelicots
ont poussé
dans mon coeur

∗∗

irisée par la caresse
sertie
dans mes vrilles
promise
à
l'univers révélé

je revisite la partition de l'infini

moi
et
moi

mon souffle accordé aux claviers du vent
mon double
anticipé dans le futur du passé
ma châsse de miroirs impactés par les printemps
d'exil
incandescents

 moi et moi
tous feux éteints
à la fracture de l'humain

à mains nues

mon escalade en solitaire

vers

les années-lumière

 

∗∗

glaciers blancs devenus bleus
au clair de
l'onde 

me reconnaîtrez-vous
quand j'orchestrerai la poussière
et
les
transes
jusqu'à la tendresse
infinitésimale

serez-vous au pied de la lettre
pour exacerber
ma nudité
et
styliser mes absences

demeurerons-nous
l'âme ratissée jusqu'à l'os

écueils  ressacs  récifs 

angle mort
s'il en est

témoins et acteurs
du
génie de la vie

∗∗

ferveur
ma richesse
hors d'atteinte
dans ma racine extrême

autour de moi
à travers
moi
des doigts de saules transitent
pour arborer l'au-delà

survivre
surmourir

 avec ou sans toi les sources
s'
émeuvent 

le ciel palpite sans preuve

or
le champ de blés
qui  rêve  d'oiseaux
contestera
bientôt
la
souffrance
du
pain

∗∗

I

il se peut que par pur hasard
on découvre
sous l'écorce rosée
d'un
bouleau complice
la nostalgie de mon premier
sourire
ma cicatrice d'humanité

n'en déplaise au vent
passeur
non identifié

n'en déplaise à la pluie
qui
redistribue jusqu'à nos larmes
qui
abolit
dans la clandestinité
les fermetures
à
glissière
de l'être et de la chose 

avec
cette élégance baroque
de ne jamais noyer
l'
espoir

∗∗

I

implacable 

le puits des puits 

 

chute libre

 

vers les abysses
 les corridors
en
anneaux

  les mosaïques
de
cristaux 

jusqu'au tréfonds 


un sanglot
ferait
déborder
la
mer

 

∗∗

I N T I M I T E    D E    L  '  E X T R E M E

souffles
harmonie du chaos
poser mon front plus haut ou plus bas que l'horizon
faire comme si le hasard existait
ou
n'existait pas
désirer
la part équitable de la pluie 

VERROU  GEANT
A TIRER SUR L'ENVERS DU
MONDE 

à l'instant où je m'effrite dans le chas de l'aiguille
un arbre me traverse
dans l'aube
qui
s'ignore

si j'ose
je revendiquerai les stigmates
de l'extrême
la
syllabe égarée
archivée pour la postérité

quelles cimes rehausser pour échapper aux cendres
par quelle ride
remonter
jusqu'à la trace
de
mon
sillage

 quel silence soutenir
pour que le sacrifice des uns
bénéficie
ou
pas
aux autres

VERROU GEANT A TIRER SUR L'ENVERS DU MONDE

 

parée de mon collier de bourgeons de chair
et
de braises
je m'abandonnerai jusqu'au flirt initial
à genoux
dans la fragrance des citronniers
feuilles fleurs
fibulées en bracelets
à mes chevilles
à
mes
poignets

trousseaux de clous
balisant le périple

aimanté
de nos pas recomposés

 me hisser jusqu'aux créneaux
d'écoute
jusqu'à la signature sonore des étoiles
prisonnières
du
vide

MON EXISTENCE

au nombre des constellations
des citadelles des cathédrales des exoplanètes
au nombre des cités des îles des demeures
aériennes
mon existence signifiée
par ma toute première goutte de sang
en résonance
au tout premier pas du tout premier enfant 

gerbes d'oiseaux
échappés de nos  chevelures
des
tombeaux 

VERROU A TROUS FRONTIERES VITRAIL EN MIROIR

 

∗∗

L'ETERNEL ADIEU 

un matin nous nous retrouvons bouche à bouche
dans l'asphalte
le coeur noué d'algues et de mésanges
une main écarte nos paupières
nos bras d'écume portent le poids du ciel
l'haleine de l'aube traverse
nos
visages
nous sommes nus
 lianes
vrilles de verre

apprivoisées
dans la fusion de nos veines
en filigrane dans la geste d'éveil
en
    métamorphose
des
moissons
d'
amour
transfusion d'encres
sous les grilles
d'où pleuvent
les
soifs
     paraphes de nos
    blessures

           dans l'immanence du retour
         dans la vitesse inversée de chaque élément
        l'éternité à reculons
        aurai-je intégré mon temps
         celui d'après-demain
           avons-nous prévu une seconde de réserve pour l'éternel adieu 

tu précèdes tes
enfances

en grappes autour de ton double
en archipels dans l'empreinte
fluide
de cette nuit
à l'intérieur de la nuit
ne te retourne pas sur les pointillés
d'amour

tu viens de naître parmi les matins bien rangés
d'un sursaut de la terre en charpie

d'une hémorragie d'alphabets
de hoquets primitifs
tu entames
la symphonie sans voix des étoiles muettes
dans notre ciel
souffle d'un silence cadenassé
en
mailles de chair
te voici riche
de réponses sans  questions
en décalage de ton ombre
dans la vallée d'aurore
l'état d'urgence
vers
l'
escale
de tes yeux
en confinement sous la chape de cristal
où le pied musical de la gitane
épelle
le cri des héros
où l'inflorescence du jour
est devancée par le reste du monde

Présentation de l’auteur