Perrin Langda, Poèmes beaufs

 

Fast blood

 

j’ai envie d’un macdo
j’ai envie d’un macdo
j’ai envie d’un STOOOOP
tu prononces encore ce nom
et l'horrible clown obèse
dégoulinant de sauce potatoes
va venir dévorer la viande
bouffie de tes grosses joues

Zapping

très chers téléspectateurs
##################
le corps du pangolin
#####################
payable en trois mensualités
###################
a fait au moins huit morts
################
et une tranche de céleri rave
#####################
qui tiiire juste au-dessus
######################
des normales de saison alors
#################
lâche vite ce flingue Bob

Popoème

elle avait un derrière
tellement parfait
que j'aurais pu marcher
derrière elle comme un âne
derrière sa carotte
jusqu'à la dernière heure
et sans arrière-pensée
mais elle prit à gauche

Bière-foot

allez les êtres humains
« allez les êtres humains ! »
la vie c'est pas un match
« la vie c'est pas un match ! »
y'a pas de maillots
« y'a pas de maillots ! »
y'a qu'une seule équipe
« y'a qu'une seule équipe ! »
soûlée à la mauvaise bière
« soûlée à la mauvaise bière ! »
et votre seul vrai supporter
« et votre seul vrai supporter ! »
c'est moi mais pour l'instant
« c'est moi mais pour l'instant ! »
on se fait bien laminer
« on se fait bien laminer ! »

Tune ta caisse

dans ma bagnole tunée
j'suis passé par la vie
130 km/h sur l'autoroute
yeux rivés à l’asphalte
j'ai suivi tous les panneaux
les carrosseries bien lustrées
mais à la fin du voyage
marche arrière impossible

 

 




William Blake, The Tyger, Dylan Thomas, Do Not Go Gentle…

Pourquoi Jean Migrenne nous offre-t-il ces deux sources vives que sont William Blake et Dylan Thomas  pour accompagner la fin de notre année 2019 ? Pourquoi ce rapprochement, ce compagnonnage ? 

Nous pourrions voir dans la rencontre de ces deux poètes anglophones une similitude d’inspiration. Le retour aux sources judéo- chrétiennes, ainsi que l’ouverture à l’expression d’une parole éminemment personnelle, une voix intérieure, le discours d’une âme, un monologue du poète vers l’humanité, autant dire une veine romantique. C’est vrai, bien que leur œuvre respective s’inscrive à presque un siècle d’intervalle dans une histoire littéraire qui a bien sûr changé de paysage, répondu à d’autres sources d’inspiration, à d’autres contraintes contextuelles. Malgré cela, ils sont si proches, parce que leurs vers incantatoires s’adressent à la même source qu’est l’âme humaine. Ils en restituent toute la complexité, toute la brillance, toutes les dimensions. Sûrement est-ce pour cette raison qu’ils sont ici, réunis, et que leur voix ne s’est jamais éteinte.

Traduction, Jean Migrenne. 

∗∗∗

William Blake : The Tyger ( 1757-1827)

The Tyger

 

Tyger Tyger, burning bright, 
In the forests of the night; 
What immortal hand or eye, 
Could frame thy fearful symmetry?

In what distant deeps or skies, 
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare seize the fire?

And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?

What the hammer? what the chain, 
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp, 
Dare its deadly terrors clasp! 

When the stars threw down their spears 
And water'd heaven with their tears: 
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?

Tyger Tyger burning bright, 
In the forests of the night: 
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

 

William Blake, Songs of Experience

 

Le Tigre

 

Tigre, tigre, feu ardent
Des bois du fond de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Osèrent ton orde symétrie ?

De quel antre ou de quels cieux
Jaillit le feu de tes yeux ?
Sur quelle aile osa-t-il partir ?
Et de quelle main le brandir ?

Par quel art, quelle vigueur
Bander les arcs de ton cœur ?
Et quand ce cœur se mit à battre,
Quelle main ? Quelle marche opiniâtre ?

Quelle chaîne ? Quel marteau ?
Où fut forgé ton cerveau ?
Quelle enclume ? Quelle horrible peur
Osa contraindre ses terreurs ?

Quand des étoiles churent les armes,
Quand le Ciel fut bain de leurs larmes,
A-t-il vu son œuvre et souri ?
Lui qui fit l’agneau, t’a-t-il fait aussi.,

Tigre, tigre, feu ardent
Au fond des bois de la nuit
Quelle main, quel œil hors du temps
Ont osé ton orde symétrie ?

 

 

∗∗∗

Dylan Thomas : Do Not Go Gentle… (1914-1953)

Do not go gentle into that good night

 

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on that sad height,
Curse, bless me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

 

In In Country Sleep, éd. New Directions,  New York, 1952.

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit

 

Ne va pas sans fureur au repos de la nuit,
L’âge doit s’embraser quand s’éteint la lumière ;
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

Le sage au trépas trouvant raison malgré lui,
Qui n’a vu de ses mots jaillir le moindre éclair,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’honnête homme, à l’adieu des flots, pleurant son fruit
Fragile et beau dont n’a joué nul golfe vert,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Le barde fou, pêcheur de l’astre qui s’enfuit,
Découvrant trop tard que ses chants l’importunèrent,
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.

L’homme austère, à sa fin, lorsqu’il voit, ébloui,
Qu’aveugle l’œil fulgure sans être sévère,
Se révolte et rage contre un jour qui périt.

Et toi, mon père, au triste sommet, je t’en prie,
Maudis-moi, bénis-moi, de tes larmes amères.
Ne va pas sans fureur au repos de la nuit.
Rage, révolte-toi contre un jour qui périt.

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Cathy Garcia, Graminées et autres poèmes

Graminées
Herbes sauvages
En longues pelouses
Échevelées
Tiges folles
Fruits secrets

Graminées
Striant le ciel
Cordes de violon
Détachées
S’en vont jouer
L’air du vent

Graminées
Partitions célestes
Quand je me roule
A vos pieds
Permettez que je vole
Un peu de vos parfums

Graminées
Qui font le pain
La galette
Le ventre plein
Depuis que les hommes
Vous ont cultivées

Graminées
Incendie de sève
Où je marche
Comme sur des braises
Dans le crépitement
Des sauterelles

Graminées
Innombrables
En fouets, en plumes
En aigrettes
Et même étoilées

La nuit vous respire
Et vous fait transpirer
Et galope entre vos jambes
La multitude des prés

Graminées
Je vous aime
Je vous le dis
Je vous aime

∗∗∗

Le Chant de la vieille

Corps tordu
Incendie
Calcinée
Je suis

Soumise
Tel fut mon satori
Ma beauté demeure
Hors de ta portée

Vie et mort
J’ai la connaissance
Des profondeurs
C’est pour cela
Que le serpent m’a aimée

Toutes les bêtes
M’ont apprivoisée
Pattes griffes
Plumes toisons
Je règne animale
Sur toute la création
Ma flèche touche au cœur
Tout prédateur nommé homme

J’ai initié bien des peuples
Qui m’ont nommé lunaire
De la génisse à la brebis
Pour m’asservir
Nombres de lois
Ont été dictées
Mais joug après joug
Je demeure l’Indomptée.

Je parle la langue des oiseaux
Qui lisent dans mon cœur
Les mauvais augures
Ne portent pas de plumes
Mais des bâtons cracheurs de feu
Des couteaux et des bombes

Au commencement des temps
J’étais déjà penchée
Sur le berceau de l’humanité
En moi était contenue
L’empreinte de toute forme
Et la mémoire des abysses

Ma puissance est immense
Je suis la porte des mondes
Je suis le cobra
Prends garde humain
Si tu ne respectes pas l’équilibre
Tu seras balayé pulvérisé

A genoux homme
Ferme les yeux
Ouvre ton cœur
Ton sexe est sacré
L’as-tu donc oublié ?

Allez viens danser avec moi
Sens-tu sous tes pieds
Le frisson des racines ?
Sens-tu le rythme du vent
Les tourbillons de la sève ?
Viens danser avec moi
Viens sentir l’étreinte
Et la lune dans nos veines

Je connais les partitions du frisson
Et les passes secrètes
Qui font du plaisir
Un art sacré

Je connais les paysages intérieurs
Des quêtes et des illuminations
Vers le nord hypothétique
Je vois au loin sur les plaines
La lente pérégrination des hommes

Pour se connaître
Il leur faut pénétrer la terre
Eriger des totems
Pour ensemencer les cieux
Mais ils se trompent
Et n’encensent
Que faux dieux.
Pour me connaître
Qu’ils suivent la piste
Féline.

Ils pourront me trouver aussi
Nue et lisse au creux des pierres
S’ils posent leur oreille
Contre les os de la terre
Ils entendront battre
Mon cœur

Je suis l’innocence faite chair
Mais ne te laisse pas bercer
Par la douceur de mes courbes
Une part de moi ne dort jamais
Sous le regard de l’Eveillée
Tu es nu comme un nouveau né

Mystère et magie
Art des saltimbanques
Depuis le début des temps
J’accompagne les nomades
Car mon nom est mouvement.

Je suis la première et la dernière
Sœur amante mère épouse
Je suis toutes en Une
Et Une en toutes
Je suis la Voie du cœur
La voix enchanteresse

J’ai pouvoir de vie et de mort
Tant de fois j’ai enfanté les ténèbres
Huilé la nuit de mon corps
Je suis le serpent primordial
Qui enlacera le monde.

Après tant de siècles à m’humilier
Comprendras-tu enfin ?

∗∗∗

 

 

 

Celle qui manque (extrait)

Si j’écris donc, je vais mot dire. Cris, clameurs, siècles, foules et le chuchotis d’une fleur.

C’est vrai, un rouge-gorge peut m’arracher des larmes. Une mésange au soleil. Du pain trempé, une flaque d’eau. Douce lumière du présent parfait. Le sourire intérieur s’épanche aux lèvres.

Partager ? Alors j’écris, je te parle, du fleuve, du cœur. Je te parle du labyrinthe et je crois savoir que tu m’attends là. Au centre, au cœur de la cible.

Noces dans un jardin adossé à la dormance. Érosion de l’épice. Mon nom tracé au parfum.
La conscience décousue rayonne. Une volupté violente gicle des fissures d’enfance.

Tout se fond, se confond, ombres dans la nuit. Périple vers la gorge douce et verte des grottes tapissées d’eau. Le château et la source, autobus de mes rêves, bouton à presser d’un blanc de lait.

Je cherche un lieu qui me cherche.

Aide-moi, ouvre-moi, sors-moi de ce trou où je suis tombée ! J’ai cru un instant, oui je t’ai cru. Je navigue seule pourtant. Je devine des sons, des mots, des odeurs, des sensations. Les vastes possibles…

Pourquoi cet entêtement ? Je me tords en point d’interrogation. Vertige de lettres. Je voudrais parfois être normale, c'est-à-dire comme tout le monde, mais comment font-ils ?

Dites-moi, comment font-ils pour avoir cet air-là ? Rien ne les étonne ? Tout est déjà pesé, soupesé. Rien qui n’ait son étiquette ?

Je les arrache celles qu’on m’a collées, je les déchiquette.

(…)

Il y a dix, vingt, trente ans et la vie passe. Inconsciente. Même nœuds, mêmes impasses. Nos grimaces et nos cris, étranges colifichets empruntés au théâtre d’ombres. Impasse des tourments, des rancœurs à déloger, des caillots de vanité.

Passez-moi la lame qui incise la matière du langage. Sève d’étoiles, draille des signes. Babel fond sous ma langue. J’en fixe simplement l’ombre sur le papier. Infini fugitif. Mes empreintes sur les neiges éternelles de l’inconnaissance.

Editions Asphodèle 2011




Thibault Biscarrat, Joie

A Roya Denise H.

    Les phaleanopsis sont, au matin, odorants ; le soleil, d'une lumineuse caresse, pétrit l'espace de l'appartement. Le pain cuit lentement : il reste, sur le plan de travail, un peu de farine dont la blancheur éclaire, d'en dessous, ton beau visage de femme matinale.

   Nous étions, il y a peu, au réveil, blottis l'un contre l'autre. Nos corps, comme le blé, battus, vannés, serrés. Nos corps pétris : le sel, nos baisers, le levain, nos caresses. Les âmes, forme de notre corps, blutées.

   Une viole résonne. Un tableau mobilise nos regards.

  Le fond blanc, peint sur une toile de chanvre au grain apparent, réfléchit la lumière bien au-delà du cadre : ton visage, la blancheur, la farine. Légères craquelures du pain, du tableau.

  Une suite de couple, figurant une guirlande de fleurs, embarque pour une île. Certains ont cru y voir une progression dans les jeux de l'amour : persuasion, consentement, harmonie. Laquelle de ces femmes serais-tu ? Toutes, au même instant. 

   Les repentirs, les syntagmes corrigés, supprimés : correspondances, harmonies, volontaires répétitions. Le pain, ces lignes, la lumière, nos corps sont périssables. Dans le cadre, la proue est tournée vers le rivage et voilà que tu me souris. L'eau coule sur tes larges épaules, ton bassin étroit, Roya. Denise, l'eau sur ton visage : transparence, douceur, vitalité. Je te lave, l'eau décolle de vastes songes ombragés, cette seconde peau. Tes mains sont fortes, vigoureuses. Elles savent d'instinct les nœuds de mon corps, ta voix connaît les nœuds de l'écriture, Roya.  

  Tes robes sont des fleurs. Nous n'aimerons jamais assez les fleurs. Les fleurs échappent aux yeux des hommes, honteux, peut-être inquiets d'y lire une trop grande fragilité qui serait la leur. Des fleurs : tes robes ont le charme suranné de peintures choisies, de prénoms rares, exquis et ce sont pétales, sépales qui ondulent et soulignent l'élégance de la marche. Denise, jamais nous n'aimerons assez les fleurs.

  Le vin coule allègrement, mais d'un geste précis, retenu, dans l'ovale géométriquement imparfait du verre. Il faut d'abord en observer la robe ou bien peut-être laisser l'un de nos sens en saisir le parfum, les effluves. Ce que tu aimes, ce que nous aimons, ce sont, il me semble, les échos, les accords, correspondances. Choisir un vin c'est exercer son goût. Or le goût est de toutes les opérations de l'esprit peut-être la plus cruciale. C'est à travers le goût que l'on opère des choix, qui nous définissent.

  Les feuilles de chênes, Denise, les taches d'or du soleil, je rêve aussi de fleurs. Je rêve : l'alvéole de feuillage, l'enfant, beau, qui chasse les vipères. Ta respiration, les livres, une rose séchée entre les pages, un herbier, tu es là, ton souffle : genévriers, fougères, hêtres. Je rêve aussi de fleurs. Tu es belle : tes joues, senteur de la pluie, ton cou, le parfum de la rosée, Roya. Tu es là mais tu sais ce que sont les rêves : quelque uns baignés de lumière, d'autres plus frêles, obliques. Roya, ne me réveille pas.

 Ta langue n'est pas la mienne. Dans ta langue, la lune est cerclée de ténèbres : c'est l'aura de l'homme ; le soleil est une femme : astre, chaleur, naissances. Denise, tu dis : « les mots sont source de vie ». Ma voix est la forme de ton corps.

   L'odeur du café et le rituel qui le précède ; nue, ou vêtue d'une simple chemise. A droite, sur l'étagère, en grain, moulure épaisse ou plus fine : arômes de vanille, de noisette, de caramel, c'est selon. Ta main précise, ton souffle régulier. L'eau, la vapeur qui monte de la tasse, les effluves : parfums de forêts, arômes floraux, épicés. Et puis, surtout, nous parlons.

  D'une voix, il faudrait en retenir les inflexions, pouvoir en retranscrire l'accent, les couleurs. Ta voix, donc, est baignée de douceur, et tu as cette façon de faire rouler les sur ton palais, avec joie, comme l'on fait danser un vin sur sa langue. Tu fais fondre ce langage qui, à l'ouest de la Norvège, est souvent bien trop lourd et guttural.

  Les cinq sens, c'est l'amour. Entendre un parfum : tu murmures à mon oreille, je me plonge dans ta chevelure. Je te regarde alors que tu t'effeuilles. Nue, ma main parcours cette géographie. Ta peau a ce goût subtil, tout juste perceptible : légère acidité, quelques notes de sucre, à peine poivrée.

  La juste mesure pour la joie, c'est la communion, puis la distance. Te laisser vivre, séduire : jeux. Puis, instants : il s'agit de protéger notre amour de ce monde. L'amour, principe de délicatesse. Ton corps contre le mien, le mouvement de tes lèvres : dictions, caresses, labiales sonores. Délicat, le moindre de tes gestes. Précis, le rythme tracé sur le papier.

   Dans cette pièce, avec toi, je fais le tour de mon cœur, et c'est un monde que l'on parcourt : chaud, humide continent de tes hanches ; baisers, frais comme neige à tes lèvres ; dunes, sables qui s'élèvent. Je frôle tes lèvres, Denise ; le sang afflue vers mon cœur.

   Le soleil sur ta peau : vent, printemps, peau souple et satinée, lisse. Le silence : langage des fleurs, vols de pollens, pistils parfumés. Le silence, le soleil, être là, Roya. Denise, dans ce verger, sous un pommier, nos mains, baignées de soleil et de silence, enlacées. Je t'aimerai là où ta mère fut abandonnée. Grâce, songes, douceur.

  Mon regard est tout en toi : paradis des sens, souffle de l'air. Dans la nuit sereine un enfant joue, qui chassait les vipères. Dans la nuit, pleine, où l'amour fait se mouvoir les étoiles, ton souffle donne forme, sens à mon corps : paradis du langage, souffle de l'aimée porté à l'oreille de l'amant. Au loin, en contrebas, l'eau de la rivière redit la course des étoiles.

 L'amour, les jeux, la jeunesse : c'est la saison des roses Denise. Le vin au goût agréable, Roya, les bains, les caresses. Les livres traversent les âges ; un chant, qui est doux, s'invite dans ma page.

 Tu m'enseignes la joie Denise : c'est à dire saisir le monde via le truchement des sens. Essence du moi intime, du monde ; analogies, correspondances. Et ce chant, qui est doux, s'écrit sur cette page.

 Des paroles baignées de douceur, dans la lumière et l'amour. Des paroles : délicate douceur ; l'amour : flamme vive parmi les fleurs. Te voilà de dos à la fenêtre, Denise : la pluie s'en est allée.

  La joie c'est aussi s'aimer, au matin, dans la distance : les corps baignés de fatigue, se toucher à peine, apprécier le silence. Puis : regards, ravissement, rires. La joie, Roya, c'est aussi chercher un mot dans un livre : un mot qui relit le chant à l'intime.

 Ton doigt éprouve le grain du papier, puis ta main, éclairée par la lumière diffuse des bougies nocturnes, se promène dans ta chevelure : délassement, mèches défaites, sculptées. Roya ton sourire redit, d'un instant à l'autre, la course du soleil.

  L'amour Roya : secrètes étreintes, distance, enlacements. Dans les livres : un même tronc unit le tilleul et le chêne ; la rose et le cep de vigne enlacés. Dans les livres Denise : ici nous choisirons la distance, nous choisirons le vin, les jeux, nous dirons l'espace où s'accroît l'étreinte ; c'est que nous parlons le langage de l'amour et des fleurs Denise !

  L'amour, c'est être là, Roya ; c'est aussi te laisser vivre, ici, là-bas, dans ce lointain, mais proche, verger d'éclair.

Présentation de l’auteur




Poèmes de Juan Gelman traduits par Jacques Ancet

 

la table

je suis né dans une forêt du sud / j’ai été un pin / sur moi
se sont levés des soleils / des nuits sont tombées / des lunes / des présages / sur moi
ont chanté des oiseaux différents / ont fait leur nid des oiseaux / par exemple ta voix
a fait son nid / en moi précisément / belle et douce /
 

là où j’ai brûlé silencieux / j’ai cru ou su
que la main élue pour s’asseoir et dormir /
la main qui jaillissait sur ton sein vers le sud /
était ma main qui aujourd’hui erre par ici  bouche ouverte / folle / triste /
 

pourquoi es-tu triste / petite main ? / pourquoi crépites-tu dans l’obscur sans me laisser
         dormir ?/
te fais-tu main comme si une femme et un homme s’étreignaient dans un œuf de lumière ? /

        comme un cygne

qui jette son temps par la fenêtre ? / comme douce lettre qui me racles les os ? / main qui m’écris ? / pourquoi pleus-tu / main /
 

avec étonnement ou vertu ? / deux lunes t’entourent /
la lune de la nuit et la lune de l’âme /
la lune de la lune et la lune de toi /
main qui jaillit avec vérité / tu résonnes
 

comme dimanche ou cloche /
main qui m’a fait table /
sur moi on couche les prisonniers de la dictature militaire /
on leur met la gégène dans la bouche qui annonçait la révolution /
 

on leur met 220 volts dans la bouche qui annonçait le règne de la révolution /
la gégène sur la tête qui rêvait couchée sur les doux oreillers de la révolution
la gégène sur les testicules qui frappaient aux porte de la révolution
220 volts sur les lèvres des vagins / pulvérisant leurs ciels /
 

les enfants ne vont plus sortir par là / ni les lyres / ni les chevaux sauvages /
une haine pure va sortir par là / non pas des vols / petites frères /
on torture le jus des vagins de mon pays /
le jus de mon pays ressemble à une bête /
 

il ressemble à king kong attrapant un aéroplane /
il ressemble à un puits de sang qui arrose mon pays /
il ressemble à un président militaire qui arrose /
des vagins où un jour l’épouse eut un sommeil plus sûr /
 

jouissance et effroi de l’âme / on les passe à la gégène sur moi /
des soleils se sont levés sur moi / des nuits sont tombées / des lunes, aujourd’hui tant
de désolation / la bave de la peur / l’urine / les cris
sur la table /  certains
 

trahissent la vie et se laissent tuer /
d’autres trahissent les vivants et se laissent vivre /
j’ai été pin / sur moi
sont tombées des nuits / une ombre à présent
 

secoue sa chevelure de lumière / salue
avec son chapeau de chair et d’os /
son chapeau est de miel /
elle salue les compagnons de chair d’os et de miel
 

 

nids

à francesco

les compagnons qui ont débarqué dans la mort
ont la bouche pleine d’orangers
plantés en plein milieu de leurs soirées /
des arbrisseaux à qui ils donnaient à manger chaque fois
 

qu’ils combattaient l’ennemi ou qu’ils rêvaient /
avec l’écho et la rage de leurs coups de feu ils leur donnaient à manger /
la petite tourterelle blessée d’amour faisait son nid dans les coups de feu /
les orangers ouvraient leurs branches et tombaient
 

les crépuscules que les compagnons serraient pour qu’ils fassent silence /
et qu’on entende la beauté qui viendra /
les compagnons avaient un petit morceau de beauté qui viendra /
il la laissaient tomber pour que tous sortent
 

chercher la justice dans la rue /
chercher le soleil pour ces froids du sud /
les compagnons ont la bouche pleine de silence /
comme de petits enfants sans nouvelles du lieu où la vie dodeline /
 

les orangers s’ouvrent comme une fenêtre /
les compagnons penchés regardent passer le temps
qui transforme leur chair en cloche
sonnant contre le vent du sud /
 

 

autres écritures

la nuit te cogne le visage comme les pieds de dieu /
quelle est cette lumière qui monte de tes morts ? / vois-tu quelque chose
à la lumière de cette lumière ? / que vois-tu ? de petits os
soutenant l’automne ? / quelqu’un qui
 

racle les murs du monde avec ses os ? / vois-tu plus ? /
raclent-ils les murs de l’âme ? écrivent-ils
« vive la lutte » ? raclent-ils
les murs de la nuit ? écrivent-ils « vive l’âme » /
 

raclent-ils le feu où j’ai brûlé où nous sommes morts / tous les compagnons ? / écrivent-ils ?
dans le feu ? / dans la lumière ? / dans la lumière de cette lumière ? /
à présent passent les compagnons la langue fermée /
ils passent entre les pieds et les chemins des pieds /
 

ils passent cousus à la lumière /
ils raclent le silence avec un os /
l’os écrit le mot « lutter » /
l’os est devenu un os qui écrit /

 

 

sur la poésie

il y aurait deux choses à dire /
que personne ne la lit beaucoup /
que ce personne c’est très peu de gens /
que tout le monde ne pense qu’au problème de la crise mondiale / et
 

au problème de manger tous les jours / il s’agit
d’un sujet important / je me rappelle
quand l’oncle juan est mort de faim /
il disait qu’il ne se souvenait même pas de manger et qu’il n’y avait pas de problème /
 

mais le problème vint plus tard /
il n’y avait pas d’argent pour le cercueil /
et quand finalement le camion municipal passa pour l’emporter
l’oncle juan ressemblait à un petit oiseau /
 

ceux de la municipalité le regardèrent avec mépris et dédain / ils murmuraient
qu’on leur casse toujours les pieds /
 

qu’eux ils étaient des hommes et qu’ils enterraient des hommes / et non
des oisillons comme l’oncle juan / spécialement
 

parce que l’oncle s’était mis à chanter cui-cui tout le long du voyage au crématorium
         municipal /
ce qui leur avait semblé un manque de respect dont ils étaient très offensés /
et quand ils lui donnaient une tape pour qu’il ferme sa boîte /
le cui-cui volait dans la cabine du camion et ils sentaient que ça leur faisait cui-cui dans la tête
        / l’

oncle juan était comme ça / il aimait chanter /
et il ne voyait pas pourquoi la mort était une raison pour ne pas chanter /
il entra dans le four en chantant cui-cui / on sortit ses cendres elles piaillèrent un moment /
et les compagnons municipaux regardèrent leurs chaussures grises de honte / mais
 

pour en revenir à la poésie /
les poètes aujourd’hui vont assez mal /
personne ne les lit beaucoup / ce personne c’est très peu de gens /
le métier a perdu son prestige / pour un poète c’est tous les jours plus difficile
 

d’obtenir l’amour d’une fille /
d’être candidat à la présidence / d’avoir la confiance d’un épicier /
d’avoir un guerrier de qui chanter les exploits /
un roi pour lui payer trois pièces d’or le vers /
 

et personne ne sait si ça se passe comme ça parce qu’il n’y a plus de filles / d’épiciers
        / guerriers / de rois /
ou simplement de poètes /
ou les deux choses à la fois et il est inutile
de se casser la tête à penser au problème /
 

ce qui est bon c’est de savoir qu’on peut chanter cui-cui
dans les plus étranges circonstances /
l’oncle juan après sa mort / moi à présent
pour que tu m’aimes

Vers le sud et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 2014 (à paraître)

Traduction : Jacques Ancet

 




Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, extraits

il te reste à passer quelques matins rugueux, plus habités d’attente que le sont les songes des
eaux esseulées qui portent la rivière, suivant les courbes de leur pente calme avec, au bout, là-
bas, la profondeur pensive de la mer

ici, à cette heure d’alcôves, tièdes encore des sommeils, le soleil est nu et tremblant comme un
enfant que l’on réveille, la vitre froide à la fenêtre, le ciel en crue déjà par-dessus le noyer de
la cour, comme à portée de main

il règne des lueurs qui viennent se jeter dans le peu de mots qu’on prononce, décousus,
indécis d’eux-mêmes, que rien du jour n’allume encore, hésitant sur l’issue de leur voie
incertaine

 

∗∗∗

céder, tenir, trop tôt, plus tard, et rien, peut-être, qui ne soit égal à ce qui croit le contrarier

tant apprendre pour tant oublier, reprendre chaque jour le nom que l’on habite, ne rien trahir
ni de ce que l’avait semé de doutes ni de ces tremblantes clartés, ces rasantes lueurs au
lointain des questions

il y a pourtant quelque chose, qui demande encore à y être et brûle silencieux dans l’ombre,
qu’il délivre

mais qui cherche à se souvenir de quels fruits tombés de la nuit peut se nourrir ce qui
prolonge, dans l’espace clos de la pièce, au-dessus du café qui fume, le grand silence

indifférent du monde

vivre demande de s’en emparer, sans d’abord le comprendre, avant que visages et corps y
reprennent lèvres et voix, que le matin éveille d’autres lieux, que s’y
poursuive le récit des êtres et des choses

∗∗∗

il te faudra passer ce jour où ne t’occupe plus la signification de toute chose sur quoi l’œil
arrête la pensée, où tu as appris à ne rien attendre qui ne soit frappé au sceau du pur
étonnement et de la plus simple amitié
où incroyable est de te sentir être, de te croire toujours vivant, réel et existant, de devoir défier
encore quelque chose du temps et du désordre tapageur du monde, et la nécessité d’une
destination qui divague d’une heure à l’autre qui annonce la suivante, sans aucune trace où
poser tes pas
mais suivant l’unique fanal d’un matin retrouvé, dans un désir poli à vif, la seule chose qui
importe, sans même en connaître l’objet

juste la soif d’un autre jour que tu distinguerais comme un pays où habiter, où tu te sentirais
chez toi, en exil enfin consenti, n’y aurais plus rien à poursuivre que d’essayer à exister plus
sûrement, sans céder aux appels des sombres nostalgies, sous un ciel tout entier offert au vol
des passereaux, ouvert à toutes les blessures de la terre et penché sur un soir que tu n’aurais
pas dû connaître

∗∗∗

il reste sous tes doigts l’éloignement des rêves, inexorablement, la couleur des paroles
perdues, rien qu’un souffle de vent, à peine deviné, la paisible inquiétude d’un nouveau soir
qui tombe, ce moment de soi-même où se rassemblent tous nos âges

où il est tout aussi incroyable de croire que l’on est pas mort encore, de se croire soi-même
l’illusion d’un autre ou une âme privée de son corps, la porte entrebâillée pour le passage de
ces ombres, réunies au jardin pour pleurer sur la solitude du vieux noyer qui s’affaisse sur ses
racines ou accompagner la belle agonie d’un cerisier en fleurs

 

Présentation de l’auteur




Yves Gasc, L’Étoile et autres poèmes

 

PRÉFACE

Pour en finir une fois pour toutes avec soi-même, (mais n’est-ce pas impossible ?) rien de tel que de se mettre en prison. Toutes les peurs, toutes les sueurs nous assaillent. Des corps se dressent, détenus d’un moment, et meurent d’abandon ; des rêves asphyxiés reprennent souffle ; la passion nous encercle mieux que les murs. Tout le reste s’inscrit en graffiti plus ou moins conscients, tracés d’une main ENNEMIE.

À force de tourner autour de soi, on finit par se perdre. Restent les regards au dehors, qui se veulent fraternels, vers les autres, la vie qui décline si vite, comme le jour à son second versant.

La poésie est qu’un moyen de se perfectionner soi- même, en projetant vers l’avenir tout ce que le passé ne nous a pas permis d’appréhender.

Si la mort demeure inacceptable, c’est que tout désespoir n’est pas perdu et qu’en tout cas l’écriture, comme le rêve, est une seconde vie.

∗∗∗∗∗∗

L’ÉTOILE

Chaque jour meurt en moi l’étoile
Qui reprend vie avec la nuit
Je traverse les jours les mois
Avec cette clarté blessée
Et personne ne la voit.

Elle porte les espérances
De la lumière incorruptible
Brûlante étoile au frais de l’ombre
O lourde lampe de mes rêves
Dans la demeure de la mort.

 

BEAU MARBRE

Statue coulée dans le désir sans forme
Que mes mains ont rendue vivante

J’ai parcouru tes horizons polis
Tes frontières de marbre veiné de sang noir
J’ai réveillé tes lèvres d’une faim dormante
Tes yeux ont battu devant les merveilles
Ma bouche a couru sut tes ruisseaux d’ombre
J’ai bu ta vie à la source délivrée
J’ai fait couler en toi la rivière profonde
Et me suis couché sur tes eaux

Nos mains se sont rejointes affluents de la nuit
Nous avons roulé loin vers la mer
Et tu t’es brisé dans mes bras
Mon marbre en morceaux de beauté.

*

Ton corps a trop de plages nues
Pour y laisser du sable sec
Le reflux des vagues lamente
Sur le rivage illuminé
Le soleil que j’y déposai

Le sel sur ma mangue assoiffée
Brûle mon désir de te boire
Tu allonges toutes tes dunes
Sous les caresses qui te brisent

Toute la nuit je chercherai
Dans ta toison d’ombre fleurie
La perle où jaillira l’aurore.

 

*

Je pense à ce corps ainsi qu’à une fête de l’âme
Sorti des remous de la mer comme un désir vivant
Sorti des vagues de l’amour comme une meurtrissure
Bain d’écume offrant au soleil son insolence
Offrant aux regards le pouvoir de la torture
Je pense à ce corps ainsi qu’à un emblème
Ruisselant des onguents de la lumière
Couvert des crachats de la lune
Superbe de se voir érigé en statue de silence
Enlacé par le lien des soupirs
Cloué au poteau du vertige
Les veines vidées du plomb subtil.

Quand le temps sera revenu
Je poserai les mains sur toi
Tu vivras ailleurs qu’aux rivages
Oubliés des minces mémoires
Et tu me donneras la force de ton sang.

 

LA MORT PROMISE

Quand je n’aurai plus rien à donner
Quand je serai pauvre de mes refus
de mes erreurs de l’oubli de la vie
Quand toutes mes peaux seront tombées
lambeaux de mes incertitudes
Je serai nu devant la mort promise
enfant de mes découvertes
héritier de mes silences
fils d’une autre éternité

Quand tout sera dit à jamais
Gardez-moi un coin de terre
Pour y déposer mon secret
Lourd comme le poids du monde.

Mon nom sera perdu mon nom
Telle une pièce de monnaie
Qui a traversé tous les siècles
Et qui ne vaut plus rien
Comme un caillou qui a roulé
Du haut des collines fières

Et rebondit au désert
Dans les champs du labour futur
La graine ne poussera plus
Plus de fleur à sentir de visage à aimer
De nom à prononcer Mon nom
Plus d’écho de nos voix dans les vallons du rire
Plus de nos ricochets sur l’eau morte du temps
Mes Pères j’ai trahi votre belle espérance
Je me retrouve seul ancre rouillée au port
Je serai le dernier d’une chaîne qui lie
Vos espoirs mon destin votre vie et ma mort.

*

Depuis longtemps plus rien n’existe
Je vis une vie enfouie
Enterrées sous le sable d’hiver
Sous les pelletées quotidiennes de l’amour
Du mensonge monotone
Où sont donc les éclats du rire en rut
Les berceuses de l’attente
Les plaisirs de l’improbable
Maintenant plus rien n’existe
À peine un instant de repos
Et il faut repartir
Vers quel mur en faillite
Ou quelle porte sur le vide.

Ouvrir les mains
Pour que renaissent les sources.

*

Quand tu rentres le soir seul
Après une journée lourde de paroles
D’actes plus ou moins avortés
Avec ta solitude en bandoulière
Les yeux vides de ne rien voir de plus près
que ton chemin solitaire
Pousse la porte et regarde la chambre déserte
(Aucune lampe ne brûle pour consumer ta soif
Pour te dire que la lumière existe
Pas de musique pour t’entendre
Ni de poème où lire ta vie
Pas de rose où la femme geint
De glaïeul où s’érige l’homme)
Tu es seul et tu parles quand même
À quelqu’un qui n’existe pas
qui ne répondra jamaisqui se tait sur ta lâcheté ta paresse
ton besoin d’être seul et d’attendre malgré tout
une réponse à des questions que tu n’as pas posées
Est-ce Dieu dis-moi est-ce  Dieu qui parle
et pourtant n’existe pas
Est-ce une prière à la plus haute  Solitude 
                          qui soit
Tu as puni tes frères de ne pas te ressembler
de ne pas être toi-même une fois encore
Et mille fois encore d’être tes frères
Rien n’a été créé pour toi
Rien ne te renvoie plus au pouvoir
De dire : Solitude à quelqu’un qui aime
Et est aimé
Rien ne te lie à la chaîne des solitaires
Tout est brisé entre tous
Tout est séparation infinie éternelle
Tout est absence infinie éternelle
Ce qui grandit en ton corps diminué
C’est une mort fatale et solitaire.

 

VOIX FRATERNELLE

 

Je voudrais être une voix fraternelle
Que tout chante par cette voix
Mais les mots dévorent ma bouche
Le sang de la colère rougit sans moi
Les larmes gèlent sans moi
sur la joue de marbre des mères
Il se fait quelque chose quelque part
où je ne suis pas
Les arbres grandissent sans moi
gardien vigilant de la ville
La pluie fait ses confidences
mais je ne les entends pas
Tout coule flux perpétuel
et retourne à la source première
Et je reste sur la rive
à regarder dans l’eau qui dort
l’image de ma défaite
La terreur brûle sans moi
La mort a peut-être ma voix
mais logée dans une caverne
où personne n’entrera.

 

Poèmes extraits de Donjon de soi-même (1985). © Librairie-Galerie Racine. 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre
mais lente à couler comme l’huile labile
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil...

Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres.
La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage.
À semer
Des bienfaits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village

Étranger en moi-même

Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé

Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané

Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison

Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seulement me chauffer à ton nom
ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Toujours l’attente

comme une scie
qui violente à coups répétés
le tronc abattu

comme une hache qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit
violette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs

Allège tes gestes            Déploie
tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches

Quand ne souffle
un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris

Tranche ma vie

*

La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir

La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour

Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
- lumière consumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (19 96). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile 
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil...

Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage. À semer
Des bienfaits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village

Étranger en moi-même
Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé

Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané

Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison

Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seulement me chauffer à
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Toujours l’attente

comme une scie
qui violente à coups répétés

*

le tronc abattu

comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit
violette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs

Allège tes gestes
Déploie tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches

Quand ne souffle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris

Tranche ma vie

*

 

La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir

La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour

Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
-lumière consumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (1996). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

HAMAC

Île du bel été flottant sur l’eau des herbes
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage

Ma vie est suspendue à ton balancement
Je sens couler vers moi les rivières de l’air

Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-

Je remonte le cours des sources délivrées
L’ombre verte survit aux décombres du jour.

 

SEMENCES DE FEU

 

Soleil bougie
Lampe miroir
Tout te dénonce
À mon regard

 

*

Le corps dessiné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cendres vivantes –
Tu renaîtras de l’attente

*

Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme
Abandonnée à mes mains

*

Tout est possible
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie
Sur la mienne

*

J’ai rêvé que tu étais en vie
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde

*

Dans tes bras
Je m’emplis de toi
J’expulse mon amour
Dans l’enclos de ton corps

*

Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine
Tes yeux éteints

*

Être de l’instant
Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct

 

*

La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile

Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.

 

La ville me cerne mais de si loin

Murs étroits lavés de soleil
Où glissent des ombres stériles

Le sang ne circule plus
Dans les veines de l’arbre

Dimanches bêtes où se promène
La fatigue Enfants en laisse

Cœurs plombés par l’ennui
Broyés par la machine

De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs

Être de l’instant Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct

La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile

D’une mer aux vagues fortuites
Je suis une île que le temps oublie

*

Insupportable fatigue d’être soi
Ne plus se comprendre ne plus se surprendre
Je traverse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré
Objets précieux cachés sous le linceul de la lumière

Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse
Comme si cette eau ne pouvait baptiser
Un nouvel espoir une reconquête plus facile
De présents éparpillés vainement toutes les prières
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles
            défrichées

Chaque chose est à sa place et je reste immobile

*

Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses
Sans les voir
Au moindre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de battre soudain

Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la contemplation réciproque du ciel
Le remuement énorme de la mer
S‘entend au loin pourtant
Telle une autre parole confuse
Un Verbe sacré
Inconnu dans la langue des vivants

 

CHERGUI

Le vent qui me pousse
Vers toi
Toujours plus avant
Le vent qui violent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente
Se lève en moi
Quand se dresse le vent
Rempart contre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante
Élément du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouillonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même
Qui souffle le feu
Dans les veines de ta vie

Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.

 

Une ombre se profile
derrière l’écran du soleil

Est-ce toi ou moi-même
ou l’Autre ?

Dans l’incandescence du jour
la nuit se repose et blêmit

Si je t’aime
pourrai-je supporter ma mort ?

 

 

Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.

Christophe Dauphin

Vois           le monde
expulse sa rage dans un souffle de mort

Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix
les brebis ensanglantées ne paissent plus

Le berger clame au ciel sa prière amputée
aucun sursis pour les bourreaux

Écoute le fracas se dissout
par ma voix qui t’exauce

*

Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe

Oui je crois te voir mais je rêve
j’illumine d’or ton absence

De mots inventés je couvre ton corps
comme d’un linceul étoilé

Explorant plus bas que ton cœur
mes lèvres t’inspirent

*

Je me cache au creux de ton ombre
comme une œuvre en devenir

Tu es mon unique avenir
mon présent réconcilié

Ma preuve d’exister            ma chance
d’être encore parmi les morts

Solitaire déshabité
un vivant qui respire

Ma planète n’est pas la vôtre.

Henri Rode

Ils restent là accroupis sur leurs déchets
les mangeurs de merde aurifère
Inconnus à eux-mêmes ignorants de tout
attendant le solstice de mort
qui les foudroiera dans leur gloire
Tandis que leurs âmes fripées
rejoindront le désert de l’île
rendant le souffle aux bergers de la mer

*

Les rêves du désir poussent dans
la lumière            roses d’abîme

Ton corps n’est plus un souvenir mortel
mais la réelle offrande de la nuit

Je me souviens de tout du moindre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance

C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire

 

Poèmes extraits de Soleil de minuit (2010). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

 

 

APPORTE-MOI UNE PLUME ET DE L’ENCRE

Apporte-moi une plume et de l’encre
que j’écrive l’histoire de notre rencontre.

Elle sera brève, Ô Khalîl,
(je suis à genoux aux pieds de l’orage)
brève comme l’éclair et la foudre,
mais lente à couler comme l’huile labile
de la lampe, goutte à goutte,
car la lampe dans les ténèbres jamais
ne s’éteindra.

Elle éclaire un pan de muraille, une ruelle,
la nuit s’entrouvre et te laisse passer.
Quand le jour te ramène sur ses crètes
le flot de l’équinoxe te porte à moi.

Ô nuits égales aux jours,
Silence pareil au mouvement des mots,
Regard qui brûle le soleil lui-même,
Sourire qui se fait soleil...

Enlevez-moi cette plume et cette encre,
Je ne veux plus rien dire,
Car maintenant je suis seul à ma table
Les mains nues

 

TU AS JOUÉ AVEC MA VIE

Tu as joué avec ma vie
Mais personne ne perd ne gagne,
On ne gagne qu’avec la mort
En y perdant la vie.

Avec la mort on gagne l’oubli
De soi-même et souvent celui
Des autres. La mémoire
N’est pas fidèle Amie.

J’ai voulu changer ton destin,
Je ne sais si je parviendrai
À faire sourire les roses
Sur ton passage. À semer
Des bienfaits sous tes pas.

Tu as joué avec mon cœur
Mais tu n’as pas triché,
Les cartes sont bonnes et tu
Les distribues avec bonheur.

Au jeu de l’Ami, de l’honneur,
Continue à jouer encore,
Je ne saurai vraiment si tu m’aimes que
Quand je ne serai plus là pour l’apprendre.

 

QU’AI-JE À FAIRE D’UNE MAISON

Qu’ai-je à faire d’une maison
Si je n’habite le monde

Qu’ai-je à faire d’un toit
Si j’ai quitté le village

Étranger en moi-même
Exilé hors de tes murs

Qu’ai-je à faire de ces murs
Si je ne peux les abattre

Forcer la porte la serrure
Entre en toi secret violé

Si j’ai perdu la clé des mystères
Si le temple est profané

Si je vois se pencher les roses
Dans le vieux jardin défloré

Qu’ai-je à faire d’une chambre close
D’un lit ouvert d’un corps offert

Qu’ai-je à faire d’un ciel sans lumière
D’une mer qui s’est figée

Dans l’abandon de ses vagues
Dans l’oubli de ses marées

Qu’ai-je à faire de ce monde
Si je n’ai plus de maison

Sinon voyager dans ton rêve
Quand ton sommeil habite ma prison.

Poèmes extraits de Khalîl (1995). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

L’odeur de tes cheveux sur l’oreiller meurtri
Le poids de ton sommeil dans les draps qui respirent
Ta présence en éclats de beauté
Miroitant aux murs éblouis

La porte qui se referme est une douleur
Ton sourire qui s’éteint est une douleur
Mais toi parti ma solitude est grande
Tu es le géant qui l’habite.

*

Dire ton nom
comme un aveu fait à l’ombre
ne m’apaise pas

Crier ton nom à l’air à ceux qui
ne peuvent l’entendre
déchire ma raison

Écrire ton nom c’est le mien
qui s’efface
dans la mémoire d’un autre

Je peux seulement me chauffer à
ton nom ton nom est ma lumière
fruit de l’arbre du soleil.

*

Toujours l’attente

comme une scie
qui violente à coups répétés

*

le tronc abattu

comme une hache
qui fend la bûche
atteint le cœur du bois tendre

Et saigne la forêt tout entière

Et se lamente
dans l’abri de l’ombre
l’infirme lueur vacillante

Puis le temps refleurit
violette étoilée

*

Vois : la terre s’ouvre
Fouillée de nos flancs

Allège tes gestes
Déploie tes membres de marbre noir
Deviens bouche de brasier
fusant de ses feux farouches

Quand ne souffle un vent de fournaise
Ravive les flammes enfouies
Et bâtis de tes bras
un château d’incendie

Écartèle mon désir

Puis affûte ton couteau
Tranche ma langue
Fais saigner nos cris

Tranche ma vie

*

 

La mort ne dure pas
c’est un bref instant
comme le plaisir

La volupté est longue longue
comme la vie
mais le plaisir est bref

Et je me retrouve dans
des bras innocents
coupable d’amour

Mais ma jouissance s’attriste
de n’être que cette courte lueur
cette flamme de bougie
qu’on souffle vite

Et la mort dans la nuit
est longue longue et je ne perçois plus
-lumière consumée – plus rien

rien que le corps enseveli de l’ombre.

Poèmes extraits de Fenêtre aveugle (1996). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

HAMAC

Île du bel été flottant sur l’eau des herbes
J’oublie en ton berceau les rumeurs du rivage

Ma vie est suspendue à ton balancement
Je sens couler vers moi les rivières de l’air

Je libère tous les oiseaux de ma poitrine -
Mes désirs envolés dans des vagues ailées-

Je remonte le cours des sources délivrées
L’ombre verte survit aux décombres du jour.

 

SEMENCES DE FEU

 

Soleil bougie
Lampe miroir
Tout te dénonce
À mon regard

 

*

Le corps dessiné de l’absence
Dans les draps inhabités
L’âtre éteint – cendres vivantes –
Tu renaîtras de l’attente

*

Jamais plus peut-être
Tes yeux clos
Sur le secret de ton âme
Abandonnée à mes mains

*

Tout est possible
Rien ne m’attache
À l’ombre de ta vie
Sur la mienne

*

J’ai rêvé que tu étais en vie
Ma mort seule
Te déliera de l’énigme
De n’être pas au monde

*

Dans tes bras
Je m’emplis de toi
J’expulse mon amour
Dans l’enclos de ton corps

*

Tête d’ange
Renversée
Le plaisir illumine
Tes yeux éteints

*

Être de l’instant
Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre
Être de l’instinct

 

*

La nuit partout
Je te suis où tu vas
Tu es en marche
Dans mon rêve immobile

Poèmes extraits de Travaux d’approche (1999). © Librairie-Galerie Racine.

 

La ville me cerne mais de si loin

Murs étroits lavés de soleil
Où glissent des ombres stériles

Le sang ne circule plus
Dans les veines de l’arbre

Dimanches bêtes où se promène
La fatigue Enfants en laisse

Cœurs plombés par l’ennui
Broyés par la machine

De si près de si loin s’infiltre un bruit d’ailleurs

Être de l’instant Tu cherches ton image
Dans les yeux de l’autre Être de l’instinct

La nuit partout Je te suis où tu vas
Tu es en marche Dans mon rêve immobile

D’une mer aux vagues fortuites
Je suis une île que le temps oublie

*

Insupportable fatigue d’être soi
Ne plus se comprendre ne plus se surprendre
Je traverse le jour opaque où je me perds
Je demande à la vie ce qu’elle ne peut me donner
Et je refuse ce qu’elle m’offre : don désespéré
Objets précieux cachés sous le linceul de la lumière

Soudain la pluie tombe et je fuis la terrasse
Comme si cette eau ne pouvait baptiser
Un nouvel espoir une reconquête plus facile
De présents éparpillés vainement toutes les prières
Il y aura peut-être d’autres jours, quelques paroles
            défrichées

Chaque chose est à sa place et je reste immobile

*

Silence creusé au cœur du patio
Puis posé comme une pierre qui regarde les choses
Sans les voir
Au moindre écho d’un signe qui me parle
Tout s’anime en moi
Même l’immobilité de mon cœur
Arrêté de battre soudain

Ce silence-là ne laisse pas de traces
Sur le mur absorbé
Dans la contemplation réciproque du ciel
Le remuement énorme de la mer
S‘entend au loin pourtant
Telle une autre parole confuse
Un Verbe sacré
Inconnu dans la langue des vivants

 

CHERGUI

Le vent qui me pousse
Vers toi
Toujours plus avant
Le vent qui violent m’étreint
Comme le front tes bras
Une aurore encore plus ardente
Se lève en moi
Quand se dresse le vent
Rempart contre le ciel d’écume
Je deviens torche vivante
Élément du désir vibrant
J’ai sur les lèvres
Le goût des étoiles sans lumière
Je bruis comme les arbres
Je bouillonne comme la mer
Je deviens le vent lui-même
Qui souffle le feu
Dans les veines de ta vie

Poèmes extraits de La Lumière est dans le noir (2002). © Librairie-Galerie Racine.

 

Une ombre se profile
derrière l’écran du soleil

Est-ce toi ou moi-même
ou l’Autre ?

Dans l’incandescence du jour
la nuit se repose et blêmit

Si je t’aime
pourrai-je supporter ma mort ?

 

 

Le monde se construit dans l’homme que l’on tue.

Christophe Dauphin

Vois           le monde
expulse sa rage dans un souffle de mort

Nul oiseau ne répond à l’appel de la paix
les brebis ensanglantées ne paissent plus

Le berger clame au ciel sa prière amputée
aucun sursis pour les bourreaux

Écoute le fracas se dissout
par ma voix qui t’exauce

*

Ton bras dressé dessine
dans l’ombre une blancheur de songe

Oui je crois te voir mais je rêve
j’illumine d’or ton absence

De mots inventés je couvre ton corps
comme d’un linceul étoilé

Explorant plus bas que ton cœur
mes lèvres t’inspirent

*

Je me cache au creux de ton ombre
comme une œuvre en devenir

Tu es mon unique avenir
mon présent réconcilié

Ma preuve d’exister            ma chance
d’être encore parmi les morts

Solitaire déshabité
un vivant qui respire

Ma planète n’est pas la vôtre.

Henri Rode

Ils restent là accroupis sur leurs déchets
les mangeurs de merde aurifère
Inconnus à eux-mêmes ignorants de tout
attendant le solstice de mort
qui les foudroiera dans leur gloire
Tandis que leurs âmes fripées
rejoindront le désert de l’île
rendant le souffle aux bergers de la mer

*

Les rêves du désir poussent dans
la lumière            roses d’abîme

Ton corps n’est plus un souvenir mortel
mais la réelle offrande de la nuit

Je me souviens de tout du moindre éclat d’azur
et du pas doucereux de l’ombre qui s’avance

C’est dans la tombe ou dans le feu
que sera enfouie ou brûlée ma mémoire

 

Poèmes extraits de Soleil de minuit (2010). © éditions Librairie-Galerie Racine.

 

 

 




Christophe Pineau-Thierry, La saveur de la joie et autres poèmes

la saveur de la joie

 

se libérer de l’empreinte des sources

les paroles enfouies de tes lèvres

le fragile de nos touchers suspendus

 

une vie qui savoure la joie de l’aube

l’herbe assise à l’écoute du vent

le battement des vagues de l’océan

 

ta force au soleil

la fraicheur de tes mains

au creux de l’argile des mots

la beauté de ton souffle

dans l’évocation de l’avenir

 

l’instant de tes regards

nos pierres cousues d’herbes

et le dessin de nos joies

l’ombre de ta force au soleil

 

le simple des mots

une feuille de pluie

ce chant dans ma tête

l’appel d’un jardin

 

un texte qui frémit

le souffle des images

ce jour nous regarde

 

les scènes d’un carnet

le cadeau d’un son

cette simple beauté

 

nos paroles de silence

cette parole du soir

cousue des mots de l’aube

a le sourire des tendres

 

le dessin de nos souffles

parle de l’univers

et du silence des étoiles

 

dans la liberté de nos pas

cette caresse du jour

est la pierre de l’éveil

Poèmes extraits du recueil Le regard du jour publié aux Editions du Cygne en 2021.

Présentation de l’auteur




Camille Sova, Humeurs printanières, extraits

sous le souffle du vent des feux rouges s’accumulent
longs sont ces mois d’hiver où le matin décline

l’enfant a perdu la joie
il n’est plus qu’un être de tissus
qui se souvient du mouvement

même si la soif s’éloigne de lui
il y a encore de l’espoir

dans la terre les fleurs apparaissent
mais c’est dans le ciel que naissent les bourgeons

dans sa coquille l’enfant déplie ses visages

il sait qu’une averse arrive

II

les beaux jours naissent dans le même fleuve
puis chacun d’eux revient toucher la terre

dans tous les sens je le vois
les indésirables les autres les moindres beautés

cette fille par exemple qui rappelle le métal

allongée même debout elle apprend à sentir
la foudre les forêts
la partie de la maison réservée aux secours

quand elle pourra éclore
l’au-delà sera déjà en nous

la canopée peut-être s’accorde au désir
mais ne soigne pas les pulsations

après tout
l’organisme ne se baigne jamais deux fois
dans l’eau qui brille

III

l’herbe est triste
elle réalise l’impermanence de l’arbuste

elle dit « j’ai quelqu’un à perdre
c’est le genêt
en sa compagnie le jardin n’est jamais solitude
il est l’infini »

elle observe les bois
demain sera fait d’un existe plus
la fraicheur perdra

elle pense « je me sens comme l’être humain
inutile et obligée de survivre »

elle verse un rayon
un frisson se colle à son oreille

c’est le vide qui s’amuse

IV

« les chutes qui m’ont ouvert la voie se révèlent à la terre
j’aménage le cordon pour me faire funambule
c’est le réveil d’une autre lumière
je me sens enfin être un seuil germé
quelque chose qui a faim et qui part à la chasse »

je m’imagine penser ça
mais je ne suis pas l’avril qui arrive

moi
j’habite le monde
où pour faire sa cueillette il faut ses ciseaux

moi
si je change ma main en nuage
resurgit l’envie de pulsion de geste d’écran
d’effondrement

moi
je ne suis pas le printemps

V

au plus profond du tambour je descends avec la sauge
ensuite le monde change
c’est un pansement naturel

peut-elle avaler pour moi
les animaux du sommeil ?

regardez dans ma bouche
j’ai le deuil chronique

sur le chemin un détail et on doit partir

il faut que le cerisier meurt
pour qu’on éprouve l’été

un nichoir n’est pas une vraie question

seule la nuit est à l’abri du crépuscule

 

Présentation de l’auteur




Bilal Moullan, Noyé et autres poèmes

J'ai marché jusqu'au bord de la mer, là où la
rivière, glacée par la plage de galet, se déverse
dans un torrent doux-salé.
J'ai cru qu'à l'embouchure tout prendrait un
sens. Dieu, l'univers. Et même toi. Je me suis
allongé dans le lit de la rivière, le roulis des
vagues me berçait en s'écrasant à mes pieds...
Et j'ai regardé le ciel en attendant la fin du monde.
Un pêcheur a sorti un poisson de l'eau. Plus
loin, un rire a percé le ronronnement des
vagues. Une femme a posé sa tête sur l'épaule
de son partenaire. Et moi ? Et moi je ne me suis
même pas noyé.
J'ai  fini par regarder en arrière. J'étais loin.
J'aurais voulu mourir ici. Me noyer sans le faire
exprès. Qu'on me pleure, qu'on se rappelle de
moi comme de celui qui était si brave, si triste,
qui a tout essayé. Avant d'aller tout gâcher.
Et j'ai rebrousé chemin. Sain et sauf, juste
mouillé. La rivière n'a rien gardé de moi. Ni
l'empreinte de mes pas, ni ma pisse, ni les galets
que  j'ai ricoché. La mer avait tout emporté. La
vie  reprenait son cours.

Papillons de nuit

on s'est réveillé
en défaisant les plis
du matin
ceux qui ont fait les ombres
de la nuit

la tresse enroulée de nos corps
enjambés dans les draps
de mes bras

les entrelacs de nos cils
où dorment encore
des restes de noir

un battement
et s'envolent
les derniers papillons de nuit

 

Le paravent

Son regard se perdait
au-délà du paravent.

Discrètement, je le contournais pour voir ce qu'elle scrutait ainsi. Rien.
Rien de visible. Pas pour moi. Elle regardait le bois.
A travers le bois.
L'autre versant du paravent,
celui où l'on met de côté les choses invisibles à soi-même
qui réaparaissent de temps en temps
dans les regards absents.

Ses yeux étaient rivés à l'intérieur.

Parfois ils tressaillaient de droite à gauche
comme si elle commandait de cet imperceptible mouvement des ordres à des objets secrets.

 

Aux jours meilleurs

quel est le prix
de ces sourires charnus
bouffis
qui déforment tes traits
ravagent ton visage
du poids du bonheur

il pèse sur toi quand tu ris

comme l'amant passager
qui a servi à  noyer
la solitude

personne ne voit
les cicatrices
que laissent les sacrifices
offerts aux jours meilleurs
et le rire que tu portes
comme un creux

 

Tout brûler

je crois qu'il faudra tout brûler
mon amour
tout
pas seulement les téléphones la télé le canapé
tout
la maison la voiture
les papiers surtout
je crois qu'il faut tout brûler mon amour
tout
on dira aux enfants que  c'est un jeu
on dansera
je ne sais pas
on leur dira que c'est pour Dieu
un feu de joie
ils nous en voudront pas
il faut  tout brûler mon amour
sinon on vieillira
le cul bordé par la télé
à soutenir les discours de ceux qui font tout
pour empêcher que les autres aient
ce qu'on n'a jamais su prendre
on peut tout recommencer
se réinventer
mais il faut tout brûler mon amour
tout

 

Présentation de l’auteur