Les phaleanopsis sont, au matin, odorants ; le soleil, d'une lumineuse caresse, pétrit l'espace de l'appartement. Le pain cuit lentement : il reste, sur le plan de travail, un peu de farine dont la blancheur éclaire, d'en dessous, ton beau visage de femme matinale.
Nous étions, il y a peu, au réveil, blottis l'un contre l'autre. Nos corps, comme le blé, battus, vannés, serrés. Nos corps pétris : le sel, nos baisers, le levain, nos caresses. Les âmes, forme de notre corps, blutées.
Une viole résonne. Un tableau mobilise nos regards.
Le fond blanc, peint sur une toile de chanvre au grain apparent, réfléchit la lumière bien au-delà du cadre : ton visage, la blancheur, la farine. Légères craquelures du pain, du tableau.
Une suite de couple, figurant une guirlande de fleurs, embarque pour une île. Certains ont cru y voir une progression dans les jeux de l'amour : persuasion, consentement, harmonie. Laquelle de ces femmes serais-tu ? Toutes, au même instant.
Les repentirs, les syntagmes corrigés, supprimés : correspondances, harmonies, volontaires répétitions. Le pain, ces lignes, la lumière, nos corps sont périssables. Dans le cadre, la proue est tournée vers le rivage et voilà que tu me souris. L'eau coule sur tes larges épaules, ton bassin étroit, Roya. Denise, l'eau sur ton visage : transparence, douceur, vitalité. Je te lave, l'eau décolle de vastes songes ombragés, cette seconde peau. Tes mains sont fortes, vigoureuses. Elles savent d'instinct les nœuds de mon corps, ta voix connaît les nœuds de l'écriture, Roya.
Tes robes sont des fleurs. Nous n'aimerons jamais assez les fleurs. Les fleurs échappent aux yeux des hommes, honteux, peut-être inquiets d'y lire une trop grande fragilité qui serait la leur. Des fleurs : tes robes ont le charme suranné de peintures choisies, de prénoms rares, exquis et ce sont pétales, sépales qui ondulent et soulignent l'élégance de la marche. Denise, jamais nous n'aimerons assez les fleurs.
Le vin coule allègrement, mais d'un geste précis, retenu, dans l'ovale géométriquement imparfait du verre. Il faut d'abord en observer la robe ou bien peut-être laisser l'un de nos sens en saisir le parfum, les effluves. Ce que tu aimes, ce que nous aimons, ce sont, il me semble, les échos, les accords, correspondances. Choisir un vin c'est exercer son goût. Or le goût est de toutes les opérations de l'esprit peut-être la plus cruciale. C'est à travers le goût que l'on opère des choix, qui nous définissent.
Les feuilles de chênes, Denise, les taches d'or du soleil, je rêve aussi de fleurs. Je rêve : l'alvéole de feuillage, l'enfant, beau, qui chasse les vipères. Ta respiration, les livres, une rose séchée entre les pages, un herbier, tu es là, ton souffle : genévriers, fougères, hêtres. Je rêve aussi de fleurs. Tu es belle : tes joues, senteur de la pluie, ton cou, le parfum de la rosée, Roya. Tu es là mais tu sais ce que sont les rêves : quelque uns baignés de lumière, d'autres plus frêles, obliques. Roya, ne me réveille pas.
Ta langue n'est pas la mienne. Dans ta langue, la lune est cerclée de ténèbres : c'est l'aura de l'homme ; le soleil est une femme : astre, chaleur, naissances. Denise, tu dis : « les mots sont source de vie ». Ma voix est la forme de ton corps.
L'odeur du café et le rituel qui le précède ; nue, ou vêtue d'une simple chemise. A droite, sur l'étagère, en grain, moulure épaisse ou plus fine : arômes de vanille, de noisette, de caramel, c'est selon. Ta main précise, ton souffle régulier. L'eau, la vapeur qui monte de la tasse, les effluves : parfums de forêts, arômes floraux, épicés. Et puis, surtout, nous parlons.
D'une voix, il faudrait en retenir les inflexions, pouvoir en retranscrire l'accent, les couleurs. Ta voix, donc, est baignée de douceur, et tu as cette façon de faire rouler les r sur ton palais, avec joie, comme l'on fait danser un vin sur sa langue. Tu fais fondre ce langage qui, à l'ouest de la Norvège, est souvent bien trop lourd et guttural.
Les cinq sens, c'est l'amour. Entendre un parfum : tu murmures à mon oreille, je me plonge dans ta chevelure. Je te regarde alors que tu t'effeuilles. Nue, ma main parcours cette géographie. Ta peau a ce goût subtil, tout juste perceptible : légère acidité, quelques notes de sucre, à peine poivrée.
La juste mesure pour la joie, c'est la communion, puis la distance. Te laisser vivre, séduire : jeux. Puis, instants : il s'agit de protéger notre amour de ce monde. L'amour, principe de délicatesse. Ton corps contre le mien, le mouvement de tes lèvres : dictions, caresses, labiales sonores. Délicat, le moindre de tes gestes. Précis, le rythme tracé sur le papier.
Dans cette pièce, avec toi, je fais le tour de mon cœur, et c'est un monde que l'on parcourt : chaud, humide continent de tes hanches ; baisers, frais comme neige à tes lèvres ; dunes, sables qui s'élèvent. Je frôle tes lèvres, Denise ; le sang afflue vers mon cœur.
Le soleil sur ta peau : vent, printemps, peau souple et satinée, lisse. Le silence : langage des fleurs, vols de pollens, pistils parfumés. Le silence, le soleil, être là, Roya. Denise, dans ce verger, sous un pommier, nos mains, baignées de soleil et de silence, enlacées. Je t'aimerai là où ta mère fut abandonnée. Grâce, songes, douceur.
Mon regard est tout en toi : paradis des sens, souffle de l'air. Dans la nuit sereine un enfant joue, qui chassait les vipères. Dans la nuit, pleine, où l'amour fait se mouvoir les étoiles, ton souffle donne forme, sens à mon corps : paradis du langage, souffle de l'aimée porté à l'oreille de l'amant. Au loin, en contrebas, l'eau de la rivière redit la course des étoiles.
L'amour, les jeux, la jeunesse : c'est la saison des roses Denise. Le vin au goût agréable, Roya, les bains, les caresses. Les livres traversent les âges ; un chant, qui est doux, s'invite dans ma page.
Tu m'enseignes la joie Denise : c'est à dire saisir le monde via le truchement des sens. Essence du moi intime, du monde ; analogies, correspondances. Et ce chant, qui est doux, s'écrit sur cette page.
Des paroles baignées de douceur, dans la lumière et l'amour. Des paroles : délicate douceur ; l'amour : flamme vive parmi les fleurs. Te voilà de dos à la fenêtre, Denise : la pluie s'en est allée.
La joie c'est aussi s'aimer, au matin, dans la distance : les corps baignés de fatigue, se toucher à peine, apprécier le silence. Puis : regards, ravissement, rires. La joie, Roya, c'est aussi chercher un mot dans un livre : un mot qui relit le chant à l'intime.
Ton doigt éprouve le grain du papier, puis ta main, éclairée par la lumière diffuse des bougies nocturnes, se promène dans ta chevelure : délassement, mèches défaites, sculptées. Roya ton sourire redit, d'un instant à l'autre, la course du soleil.
L'amour Roya : secrètes étreintes, distance, enlacements. Dans les livres : un même tronc unit le tilleul et le chêne ; la rose et le cep de vigne enlacés. Dans les livres Denise : ici nous choisirons la distance, nous choisirons le vin, les jeux, nous dirons l'espace où s'accroît l'étreinte ; c'est que nous parlons le langage de l'amour et des fleurs Denise !
L'amour, c'est être là, Roya ; c'est aussi te laisser vivre, ici, là-bas, dans ce lointain, mais proche, verger d'éclair.