Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, extraits

il te reste à passer quelques matins rugueux, plus habités d’attente que le sont les songes des
eaux esseulées qui portent la rivière, suivant les courbes de leur pente calme avec, au bout, là-
bas, la profondeur pensive de la mer

ici, à cette heure d’alcôves, tièdes encore des sommeils, le soleil est nu et tremblant comme un
enfant que l’on réveille, la vitre froide à la fenêtre, le ciel en crue déjà par-dessus le noyer de
la cour, comme à portée de main

il règne des lueurs qui viennent se jeter dans le peu de mots qu’on prononce, décousus,
indécis d’eux-mêmes, que rien du jour n’allume encore, hésitant sur l’issue de leur voie
incertaine

 

∗∗∗

céder, tenir, trop tôt, plus tard, et rien, peut-être, qui ne soit égal à ce qui croit le contrarier

tant apprendre pour tant oublier, reprendre chaque jour le nom que l’on habite, ne rien trahir
ni de ce que l’avait semé de doutes ni de ces tremblantes clartés, ces rasantes lueurs au
lointain des questions

il y a pourtant quelque chose, qui demande encore à y être et brûle silencieux dans l’ombre,
qu’il délivre

mais qui cherche à se souvenir de quels fruits tombés de la nuit peut se nourrir ce qui
prolonge, dans l’espace clos de la pièce, au-dessus du café qui fume, le grand silence

indifférent du monde

vivre demande de s’en emparer, sans d’abord le comprendre, avant que visages et corps y
reprennent lèvres et voix, que le matin éveille d’autres lieux, que s’y
poursuive le récit des êtres et des choses

∗∗∗

il te faudra passer ce jour où ne t’occupe plus la signification de toute chose sur quoi l’œil
arrête la pensée, où tu as appris à ne rien attendre qui ne soit frappé au sceau du pur
étonnement et de la plus simple amitié
où incroyable est de te sentir être, de te croire toujours vivant, réel et existant, de devoir défier
encore quelque chose du temps et du désordre tapageur du monde, et la nécessité d’une
destination qui divague d’une heure à l’autre qui annonce la suivante, sans aucune trace où
poser tes pas
mais suivant l’unique fanal d’un matin retrouvé, dans un désir poli à vif, la seule chose qui
importe, sans même en connaître l’objet

juste la soif d’un autre jour que tu distinguerais comme un pays où habiter, où tu te sentirais
chez toi, en exil enfin consenti, n’y aurais plus rien à poursuivre que d’essayer à exister plus
sûrement, sans céder aux appels des sombres nostalgies, sous un ciel tout entier offert au vol
des passereaux, ouvert à toutes les blessures de la terre et penché sur un soir que tu n’aurais
pas dû connaître

∗∗∗

il reste sous tes doigts l’éloignement des rêves, inexorablement, la couleur des paroles
perdues, rien qu’un souffle de vent, à peine deviné, la paisible inquiétude d’un nouveau soir
qui tombe, ce moment de soi-même où se rassemblent tous nos âges

où il est tout aussi incroyable de croire que l’on est pas mort encore, de se croire soi-même
l’illusion d’un autre ou une âme privée de son corps, la porte entrebâillée pour le passage de
ces ombres, réunies au jardin pour pleurer sur la solitude du vieux noyer qui s’affaisse sur ses
racines ou accompagner la belle agonie d’un cerisier en fleurs

 

Présentation de l’auteur




Guillaume Janin, Bruits de Sibérie

Nuit en train

Par la fenêtre, les étoiles roulent
Sous les ronflements du ciel
Je regarde l'aube mourir
Dans les yeux de mon voisin
J'avance, toujours, j'avance
Droit devant
Des lanières pendent comme des lianes
Avec au bout des morceaux de rêves.
Les fées ont cessé d'exister
Dans ce monde merveilleux

 

Paroles

La nuit est tombée plus soudaine
Ce soir que les autres
Mais le bébé aux grands yeux
Ecarquillés derrière la vitre
N'est pas encore endormi.
Un plat de nouilles
Jonche le plancher des steppes
Dans les bras de sa mère
L'enfant au pullover vert
Parle sans aucun son.
Il parle des maisons de bois
Qui se perdent dans l'horizon
Des poteaux du téléphone
Qui transmettent les ultrasons
Des couples séparés, des vieux isolés.
Il parle de la route qui file parallèle
De son asphalte noir
Des quelques phares qui la sillonnent
Un homme dans un pick-up
Rentre chez lui ce soir.
Il parle de sa vie à lui
Qui grandira pas loin d'ici
Il parle à la nuit
Qui vient le prendre
Avec tous ses amis.
Il parle des policiers
Qui patrouillent, menottes et revolver
Rangés au garde à vous
Juste au cas où
On ne sait jamais.
Il parle des bouleaux, des pins
Des arbres qu'il dépeint
Sur son cahier de coloriage
Dont l'encre séchée
Déborde des pages.
Il parle pour tout le monde
Entre ses quenottes
Encore en terre
Pour la mère qui finit le souper
En attendant ses enfants du siècle passé.
Il parle à n'en plus finir
Mais personne n'y prête attention
Au petit garçon
Qui voit et entend
Tout ce que les hommes ont enterré
Depuis le premier jour.

 

Avikn

Mollets veinés et chevilles gonflées
De la babouchka qui dort,
Aimable voisine
Sur son sac Baci d’Italie
Une bagouze
Pour chaque annulaire potelé
Deux perles grises se balancent
Au gré des rêves
Qui viennent troubler le repos du corps
Avec les sursauts d'une âme
En tous points banale.
Des marguerites semblent prises au piège
Dans ce dédale incohérent où
Les lignes azur s'étirent
Jusqu'à croiser les nues
Tapis brillant à l'infini
Sur lequel le soleil
Étranger d'une autre galaxie
Vient s'étaler (avec délectation)
Pschitt !! Ventoline Ventoline
Pour ne pas que mère Russie
Ne s'étouffe sans un cri
D'un châle noir le visage recouvert,
Un chat miaulant sans fin
Sa féline détresse,
Et ne finisse, beauté alcaline
Rongée par les vers de l'oublis
Un peu d'humus vert et gris
Au pied des saules meurtris
Des iles Sakhalines
Le bruit des tempes
Les turbulences ralenties de l'esprit
Je rame sans me mouvoir
Au-dessus des plaines
De Moldavie
Nappées d'or et d'argent
Jusqu'à enfin tomber
Disparaitre
Dans mon désert de paradis
Engouffrant la carlingue
Et le reste du monde
Dans un lent sanglot

 

Las Ici-bas

Sous les lames du froid
Les maisons de bois
Meuglent et crie
Sous les coups qui broient
Leurs plaintes quotidiennes.
La neige bourdonne
Autour des habitations
Essaim de guèpe
Venus butiner joyeusement
Les fleurs qui poussent
Dans les plaines de Sibérie
Les chiens aboient
La Lada nevia passe
Entre les tours de bois
Que l'hiver réduira
À peau de chagrin
Avant les premières chaleurs de juin.
La cheminée tousse
Un filet qui vient prendre
Les derniers rayons de lumière
Dans ses mailles tendres
Pêcheurs au grand air
Dans les steppes austères
Et les gens dans tout ça ?
Ils sont au chaud à attendre, à s'instruire
À s'activer, à réparer, à construire
De nouvelles maisons
Pour les futures générations.
Certains ont déjà foutu le camp
Loin de cet enfer blanc envahissant.
D'autre que la fatigue a pris
Dans ses lambeaux, ses bras
Noient leurs malheurs tristes et aigris
Dans l'alcool de Taïga
Parfois, un humain un peu bizarre
S'approche un peu et puis repart
Comme un animal sauvage
Mais ce n'est qu'un touriste de passage
Ephémère venu gouter aux charmes exotiques
De ces contrées subarctiques.

 

24.10

Une pause rapide
Dans l'air froid du soir
Dans une ville, un quai
De gare.
Les fumeurs descendent
Et attendent
Que la neige
S'arrête de fumer
Les mains tiennent en tremblant
Le trait longiligne
Lueur louvoyante
Perdue au milieu de nulle part
Des chiens vaquent
Muets aux alentours
L'un semble prêt
Pour le grand départ
Elle entoure, elle embrasse
Et etreint
La taiga partout
S'etire dans l'horizon
Seuls les oiseaux migrateurs
En connaissent la fin
Comme le dit le vieux russe
Au bord du chemin
La glace crisse et craque
Rouée de coup
Le camion est bloqué
Au milieu de la flaque.
Des trains dans tous les sens
Viennent et vont
Avec eux l'espérance
Des jours radieux
Au chaud, derrière la fenêtre
Je contemple chaque seconde
Le spectacle identique
De cet océan blanc
Qui défile sous mes yeux
Caméras au front
Bien décidés
A se déclarer témoin
Du meurtre qui a été
Sous mes yeux ébahis
Mais dans l'indifférence normal
Des hôtes de ces lieux
Une nouvelle nuit est tombée
Sous les balles du jour
La forêt s'endort
Et le train passe.

 

Présentation de l’auteur




Florence Dreux, Sylve et autres poèmes

Sylve

 

                        À Claire Espanel,

La fenêtre est ouverte.
L’est-elle vraiment ?
Le temps toujours
Abolit le cadre.
Alors l’âme apprend l’arbre
Dans l’humilité du ciel
Et s’émeut du vent
Dispersant ses prières.
Deviendront-elles nuages,
Traversées d’oiseaux ?
Qu’importe !
Ici l’air est vaste
Où les mots ne suffoquent pas.
Mais peut-être faudrait-il se taire ?
Ne rien écrire
Pour ne rien gâcher du silence ?        
S’immiscer dans les interstices du langage ?
Mais comment, si ce n’est en empruntant
Les voies mêmes du langage ?

***

Le cœur dit pourtant :
- Célèbre aujourd’hui le vol de l’oiseau :
Milan, mouette ou tourterelle, 
Qu’importe ?
Nulle lutte de classe ici,
Nulle distanciation.
Entre ton œil et leurs ailes,
Entre ton lit et leur ciel
La lumière
Et dans celle-ci, leur ombre.
Est-ce au-delà de la fenêtre
Ou au-delà de toi ?
Qu’importe !
Ici est le lieu
De la conversation secrète.
Si tu ne peux comprendre
Sache écouter.
Habite ce qui t’échappe.

***

Mais déjà les longs fûts gris s’élèvent
Tout chargés d’âmes.
Si la nuit te tient éveillée,
Ne l’empêche pas ;
Elle seule a pouvoir de renaissance.  
Avec elle, un autre chant ;
C’est Orphée s’enfonçant
Jusqu’aux plus profondes racines
Où l’espoir s’est niché 
Sous la morsure du temps.
Dis-moi,
Comprennent-ils, tes frères humains,
Qu’ici se trouve leur fondement ?
Et toi, sauras-tu descendre ?
Retrouver la terre du commencement ?
Dans tes veines, sens-tu couler
La sève devenue sang ?

***

Racines en toi se perdent
Que tu ne soupçonnes pas.
Cherche, 
Explore
Ce qui existe déjà
Et ce qui n’est pas ;
Ce qui est en-deçà de toi
Mais pas encore toi.
N’essaie pas de démêler l’entrelacs,
Le nœud est trop puissant.
Trouve l’intervalle
Espère en ton silence. 
Si dire ne se peut,
Ecrire se doit.
Mais déjà le ciel s’incline
Et tu gis,
Horizontale.
Pardonne-leur,
Ils ne savaient pas.
A eux, il reste les étoiles.

***

Le jour est déjà là,
Les vers de la nuit
Perdus.
Qu’importe ?
Les riches eaux t’emportent
Au pied des aubes nues.
Poussé par le désir de sève,    
L’arbre s’époumone :
- Je viens du sol d’où sourd la lumière ;
Qu’importe si mes branches n’embrassent que l’air,
Elles seules connaissent l’amour du vent !
Survient alors le grand éploiement :
Feuilles, plumes
Corps et rêves                                                
Jaillis du fleuve vert
Où chacun en l’autre s’écoule.
L’écorce se tait
- Rivières et torrents ont tant de choses à raconter-
Et tu entres, comprise, dans la pensée organique du poème.

***

Sur tes lèvres, une parole :
- Même abattue je reste ;
Embrassée par le regard de l’enfant
Je croîs.

 

Peuplier I

À Gabriel, ces « paroles d’entre les paroles »

 

Nichée d’air dans le grand peuplier
Poudroiements
Pulsations de lumière

Une brassée de ciel                                        
Absorbe l’œil
 La fenêtre

Affranchie
L’oreille explore
L’oreille espère

-Que dit l’oiseau devenu feuille ?-

Frémissements
Des murmures de sève
Saisissent le pied, la main, le bras
Eploient le corps d’écorce

Envolement

 

Peuplier II

Ballet fantasque dans le vent
Branches de  nuages
Gonflées de pépiements

Les feuilles s’ébattent
Les milans

L’oreille convoque l’œil
L’interpelle

-Que dit la feuille devenue oiseau ?-

Tressaillements

Les trilles syncopés
Secouent  le cœur, le ventre, les reins
Débordent  l’arbre

Commencement

 

Le saule

Le trille de l’oiseau
Pour seul réveil
La rosée
Son éclat en toi
Et le souffle du saule
Au-delà de toi

Le cerisier blanc

À chaque Printemps
Virginité renouvelée
Par le Vent déflorée

 

 

Le grand acacia

Pour Marcelle, in memoriam

Bourrasque dans le grand acacia
L’orage a emporté les feuilles
Parmi elles, ta vie

Ce matin, pourtant,
Dans l’œil de la tourterelle
Les mêmes bleus, verts et blancs ardents

Les mêmes ?

Observe d’une âme plus attentive
La Nature jamais ne te désavoue

Ce nuage
Cette fleur
Cet éclat
C’est encore un peu de toi
Dans notre devenir  

 

Les cheminantes

                                                                                  À Patrick Chamoiseau

Les longues mains    
Se ferment                             
S’ouvrent  
Sur les blés étonnés

Capturent
Captent plutôt
Le réel

En  présences
En absences

Promènent
Leur rêve de tourterelle
Autour du grand peuplier vert

Effeuillent
Le chant de l’oiseau qui ne chante plus

Appellent                                                                                                                
L’humus
La voix antérieure                                                                                                                                                    
Acceptent
Inventent
Rassemblent
L’enfant

Parcourent
Le pont des ailleurs
L’indicible entre-là

Ainsi vont les cheminantes
Au silence radieux

Yeux renommant toute chose
En ne nommant pas

Comprenant tout

 

Présentation de l’auteur




Christophe Pineau-Thierry, La saveur de la joie et autres poèmes

la saveur de la joie

 

se libérer de l’empreinte des sources

les paroles enfouies de tes lèvres

le fragile de nos touchers suspendus

 

une vie qui savoure la joie de l’aube

l’herbe assise à l’écoute du vent

le battement des vagues de l’océan

 

ta force au soleil

la fraicheur de tes mains

au creux de l’argile des mots

la beauté de ton souffle

dans l’évocation de l’avenir

 

l’instant de tes regards

nos pierres cousues d’herbes

et le dessin de nos joies

l’ombre de ta force au soleil

 

le simple des mots

une feuille de pluie

ce chant dans ma tête

l’appel d’un jardin

 

un texte qui frémit

le souffle des images

ce jour nous regarde

 

les scènes d’un carnet

le cadeau d’un son

cette simple beauté

 

nos paroles de silence

cette parole du soir

cousue des mots de l’aube

a le sourire des tendres

 

le dessin de nos souffles

parle de l’univers

et du silence des étoiles

 

dans la liberté de nos pas

cette caresse du jour

est la pierre de l’éveil

Poèmes extraits du recueil Le regard du jour publié aux Editions du Cygne en 2021.

Présentation de l’auteur




Datcho Gospodinov, Devant la gare routière et autres poèmes

Traduit du bulgare par Krassimir Kavaldjiev

Le vent fleurant le gazole brûlé
saisit soudain
de la poussière et des tickets déchirés
et en remplit
la sébile du mendiant.

 

La fille du café

La fille rentrait les parasols –
ailes ballantes.
Et le lendemain
– pour la quantième fois? –
elle les rouvrirait
au-dessus de la bière aux tables dehors
et du bavardage quotidien.
Les parasols frémiraient au vent
sans jamais
                   jamais s'envoler...

La fille étreignait
des ailes ballantes.

 

Poéte

Vulnérable de façon peu moderne. Et illogique :
tu cherches le filet de l'univers
dans l'essence propre...
Irréel au milieu du terre-à-terre humain.
Vrai –
  dans le cosmodrome du rêve
    (au bout d'inquiétudes inachevées).
D'où –
  chargé d'attentes,
    explosé de mots tus –
      avec ton vers le plus exquis
        tu t'envoles...
Sans même avoir atteint
la perfection poétique,
nécessaire à présent
aux dimensions touchées par l'amour.

Présentation de l’auteur




Khalid EL Morabethi, Poèmes inédits

Ma viande possède une connotation…La meilleure volonté. Je m’efforce de réfléchir, ce n’est pas mon point fort, je ne pense surtout pas aux conséquences et j’engage l’essentiel de mon existence. Je suis fier de ma cuisine, alors, c’est ma viande qui parle, donc, c’est ma viande qui contrôle la continuité de mes textes. Je suis fier de mes miroirs qui entourent ma salle de bain. Je soutiens mon regard et devant l’analyse accrochée au-dessus de mon lavabo, je prends mes réflexes. Ma viande me représente, elle me guide vers l’évidence. Tout agent rêve d’être un architecte, il faut juste que l’esprit soit préparé à accueillir l’idée.

∗∗∗

 

Je sors de mon front. La démesure a beaucoup de formes. Je sais quel titre je vais recevoir. Alors, ça n’a aucun rapport, la folie est drôle. Donc, ça n’a aucun rapport, c’est les témoins choisis qui ont choisi d’être pas drôle. Surtout, ça n’a aucun rapport, il y aura des entretiens pour connaitre la vérité sur le titre que je vais recevoir. Je ne suis pas sous hypnose, c’est un avantage. Les conseils d’orientation professionnelle ne sont pas sous hypnose, c’est un grand avantage. Ma propre définition de l’essentiel sort de mon front rouge.

∗∗∗

 

Tentacule me pousse. L’évocation avant l’évolution. Il met le labyrinthe dans une phobie en cours de construction. Je porte une tombe en bâtière. La procédure avant la mise en place. Normalement, je ne la porte pas vraiment, je la pousse. L’entrainement avant la mise en scène. Je pousse des tombes depuis l’âge de dix ans. Il me répète que c’est un exercice, que cet entrainement me rend de plus en plus puissant. Je me prépare avant tout avant le combat. Je pousse. Maintenant ça fait 731 tombes. C’est mon nouveau record.

∗∗∗

 

C’est une carapace. Désormais et systématiquement, je mange pour m’intégrer. Pour que ce soit possible. Pour avoir le droit de marcher dans la foule. Pour circuler normalement et poliment parmi les gens. Je pense, mais il y a une autre existence et ça se forme comme un trou, qui se met en face de moi et qui me parle lentement, qui articule et qui n’a pas le même tentacule au-dessus de la tête et au-dessous du cerveau. Donc, je prends la logique au second degré. Le tentacule fait tout ce qu’il veut et il met la réalité dans une boite des c’est-à-dire. Voilà, je prends la logique avec de l’eau salée. Le tentacule coud mes pulls et à partir de là, cela permet d'oxygéner plus efficacement ses cellules.

C’est supposé être drôle. Ce n’est pas n’importe quel passage, ce n’est pas n’importe quel sentiment, ce n’est pas n’importe quel organe, ce n’est pas n’importe quels mouvements des mains, ce n’est pas n’importe quel mutant et ce n’est pas n’importe quel regard. Il faut que tu crèves tes yeux pour que tu me voies, pour que tu voies et pour que tu le voies.  Au fond de l’attitude absurde à l’égard de la carapace tout court.

∗∗∗

 

Tentacule prend le pouvoir. La part de la température raisonnable. La part du bien qui pue les cadavres fascinés par la fatigue.

J’obtiens mon billet, il n’y a pas de perplexité, je n’ai pas besoin de mentir, j’ajoute du sucre, je mettais quatre, mais aujourd’hui, je mets exactement une et demi, pour que je ne garde pas la même odeur et pour que le téléphone fixe sonne.

De manière certaine, je me retrouve avec mes preuves. Mes yeux me donnent plusieurs choix et je leur donne plusieurs chances.  Je réchauffe mon thé. Ça va avancer la carrière du pousseur. Je me retrouve avec mes bons résultats. De manière gratuite. Ça va. Ma carrière avance. Je pousse.

Tentacule branche ses prises. Il explore son appartement. Il n’y a pas de flash-back. Il y a une peinture dans le mur, il ne doit pas l’enlever.  

Mes discussions m’énervent comme les décisions de ma première année. Mes interventions m’énervent comme mes premières compréhensions. Voilà, je dois continuer de construire des places, des pièces, des plateaux et des chaises. Personne ne peut m’attacher par la cheville. Il faut que je prenne le temps. Mes arguments m’énervent comme mes crachats aux gueules.

∗∗∗

 

Oui, je déteste les forêts, c'est trop. Je prends vraiment tout ce que je reçois. J'ai besoin de construire des bâtiments, je suis en train de construire des bâtiments et des autoroutes, c'est le futur, mon propre futur, c'est le bon futur. Je dois construire des ponts, beaucoup de ponts, personne ne peut construire des ponts comme moi. Oui, il y a dix observateurs à la peau orange que je dois payer tous les trois mois et surtout payer leurs impôts. Oui, j'ai fait un casting, j’ai bien sélectionné ces dix observateurs qui font bien leurs travail, qui m'observent en train de construire des restaurants, des bâtiments et des autoroutes, des labyrinthes, des escaliers et un zoo où les visiteurs peuvent voir mes volontés me prier.

∗∗∗

 

Les crises sont toujours en cours de constructions. Puis l’opération. Pas d’enfance. Conduire les souvenirs vers une autre province. Pas d’anniversaires. Pour que je sorte. Les crises font des miracles. Il faut que je me noie pour que je me prépare. Il faut que je me noie pour que mon esprit se sépare en 4 parties, 2 parties, 8 parties, 631 parties. Il faut que je me noie pour un remplaçant libre. Puis l’opérateur. Pas de vertige. Pour que je sorte. Les crises suppriment la faiblesse. Il faut que je me noie pour que je ne doute jamais. Il faut que je me noie pour que je sorte de l’autre côté de la construction. Il faut que je me noie pour que je voie le grand regard honnête. Pas de mensonges. Prendre le risque. Pour que je sorte. Les crises pénètrent les consentements. Il faut que je me noie pour que j’articule. Brûler le ventre. Les crises m’apprennent. Arracher la chair. Les crises m’entourent. Voir plus clair. Les crises se présentent comme remède. Pour que je sorte. Pas d’hésitation. Il faut que je me noie pour que je sorte.

∗∗∗

 

L’avantage. Je trouve en moi des facultés. Je traverse la croûte de lave. Je pose des ceintures. Je lance un défi. J’essaie de faire une blague sur la gravité. Je donne mon point de vue sur n’importe quel sujet. J’analyse. Mais surtout.  Je trouve que je ne suis pas juste logé dans son corps. Le tentacule n’est pas juste logé dans mon esprit. Mais surtout. Je trouve que je ne suis pas juste logé dans ses propres variations. Mais surtout. Je suppose. Nous ne sommes pas juste logés dans un grand hôtel, ailleurs dans… Au milieu de… Bien loin de. Je prends mon doigt et je vise.

∗∗∗

 

Au début, je collectionnais des formes carrées, puis je me suis penché sur la définition parfaite de la forme ronde. Aujourd’hui, chaque matin avant de me laver le visage, je dessine sur mon front une forme triangulaire.  

Mon attitude. Je me rends compte que ce n’est pas du poids que je suis en train de prendre. Je compte comme les clefs qui accentuent mon rôle. La force du compte à rebours.

Je force le contrôle. Je me rends compte que ce n’est pas du bois que je suis en train de couper. Je prends des photos de mon sourire. J’attends comme le chiffre onze.

Je prépare mon propre petit déjeuner comme si je prépare mon déménagement. Je me lève tôt pour être en forme. Je fais des exercices abdominaux. C’est sourd comme les remboursements des dettes financières.

Mes tentatives sont constantes. Chaque dix minutes, j’ajoute un organe comme le code qui représente l’antagoniste. Chaque douze minutes, j’ajoute une série comme le code qui met toute sa force à répandre l’agitateur.

∗∗∗

 

Ma concentration sort de mon mode d’emploi. Je sors de la salive architecturale, elle est pourpre. Ma conscience sort de ma salive, elle est professionnelle. Je peux utiliser toutes mes capacités maintenant. Ça se voit, je peux frapper mon entraîneur au visage, il faut dire qu'avant ça me prenait cinq heures, juste pour un coup faible qui le faisait rire, mais maintenant je peux en une minute, le frapper, entendre sa mâchoire et le voir saigner.

∗∗∗

 

Tentacule observe mes positions sur la fondrière. Et l’aspect définit mon regard vide fait  comme. Ce n’est pas par pur hasard. Il habite dans une création qui se tourne sur elle-même comme. Ses mains prennent les assiettes sans faire de bruit, mais cependant. Mes mains se tournent vers moi comme. Il habite dans une enquête, mais cependant. Il ne laisse aucune trace comme. Je ne laisse jamais la porte du laboratoire ouverte, mais cependant. C’est curieux. Je reste calme comme. J’habite dans une interrogation.  L’atmosphère est curieuse, mais cependant. Je roule par terre. Il fait des instruments non-musicaux avec mes os. L’eau salée sort de mes poumons comme. Le tunnel, mais cependant. Le seul objectif, c’est la survie comme.

∗∗∗

 

L’imprimante est dans le cou du poumon. Je discute avec la forme triangulaire et puis, une grande soucoupe volante de marque Toyota.  J’assiste à un grand processus.  Je suis kidnappé. C’est imprimé.  Je suis sauvé par une masse gélatineuse. Je suis placé au milieu. Prendre l’évidence bornée.  C’est comme un contrat qui s’imprime. Je signe. Prendre la parole. Me prendre au sérieux ! Je signe.

Présentation de l’auteur




Marie-Noëlle Agniau, Nuit. Tombe. Sur. Univers

Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Jardin. Flux. Mécanique. Eau. Flux. Cascade. Soleil. Incessant. Chaleur. Épaules. Genoux. Pastilles. Jaune. Yeux. Pouces. Yeux. Feu. Trèfles. Bleu. Mouches. Vent. Là. Herbe. Tremblement. Léger. Gramme. Or. Creux. Main. Jardin. Flux. Mécanique. Incessant. Fort. Incessant. Faible. Cris. Chien. Enfants. Eau. Torrent. Véhicules. Lents. Véhicules. Vite. Flux. Cascade. Fleuve. Mécanique. Herbes. Couchées. Vent. Grand. Nuit. Tuiles. Feu. Herbes. Pli. Force. Courbe. Terre. Peur. Enfants. Fenêtre. Nuit. Pli. Bruit. Chien. Cris. Peur. Bleu. Nuit. Éclair. Éclair. Éclair. Image. Nuit. Vent. Feuilles. Courbe. Casse. Flux. Fluide. Mécanique. Eau. Soleil. Pluie. Chaleur. Poids. Chaise. Corps. Longue. Nuit. Courbe. Torrent. Boue. Feuilles. Vol. Claque. Porte. Panique. Fort. Faible. Jour. Tombe. Blé. Vert. Long. Mer. Roule. Vent. Courbe. Sol. Haut. Couché. Yeux. Eau. Flux. Tonnerre. Éclair. Bruit. Vent. Herbe. Roule. Mer. Vagues. Herbe. Yeux. Orage. Fenêtre. Casse. Vent. Gouffre. Sol. Herbes. Trèfles. Mouches. Bleu. Pouces. Yeux. Jaune. Soleil. Voir. Air. Vent. Peau. Chaude. Lourde. Chaise. Corps. Descendre. Herbes. Trèfles. Terre. Sol. Verre. Eau. Claire. Main. Fraîche. Vitre. Orage. Fenêtre. Cris. Question. Porte. Claque. Eau. Trèfles. Verre. Mouches. Air. Ombre. Yeux. Mouches. Air. Soleil. Chaud. Coton. Terre. Fleurs. Fraîches. Ombre. Acacia. Feuilles. Trous. Maximum. Air. Soleil. Ombre. Avance. Frais. Sombre. Épaule. Froid. Frisson. Nuit. Orage. Vite. Fenêtre. Pluie. Ouverte. Pluie. Fraîche. Sol. Herbes. Terre. Ombre. Vent. Feuilles. Jardin. Flux. Mécanique. Arbre. Feuilles. Ombre. Parasol. Trou. Visage. Chaud. Tête. Cheveux. Sentir. Bon. Eau. Flux. Gorge. Cascade. Eau. Sentir. Flux. Blé. Roule. Herbes. Hautes. Prairie. Grande. Herbes. Hautes. Maximum. Toi. Taille. Elles. Herbes. Hautes. Courbe. Casse. Herbes. Fleurs. Trèfles. Eau. Flux. Pollen. Yeux. Gloire. Ombre. Goutte. Eau. Pli. Yeux. Sérum. Nu. Mains. Flux. Incessant. Fort. Faible. Moins. Peu. Nul. Rien. Sol. Trèfles. Chaise. Longue. Peur. Corps. Remise. Tôle. Froid. Pluie. Vent. Tempête. Pluie. Eau. Bleu. Vert. Soudain. Nuit. Air. Électrique. Masse. Eau. Herbe. Verte. Nuit. Bleu. Blanc. Colline. Eau. Nuit. Tuile. Bruit. Toux. Poussière. Nul. Toux. Herbes. Bêtes. Plumes. Nid. Corps. Peur. Peuple. Nuit. Herbes. Casse. Vent. Clair. Frais. Nuit. Genoux. Eau. Flux. Cascade. Pré. Bêtes. Gros. Grasse. Herbe. Lait. Âge. Rouge. Blé. Nuit. Vent. Beau. Loin. Fort. Herbes. Hautes. Corps. Dedans. Feuilles. Carré. Ivoire. Boutons. Yeux. Pollen. Rouge. Creux. Parfum. Yeux. Terrible. Sol. Feu. Pré. Herbe. Grasse. Nuit. Vent. Soleil. Tombe. Nous. Corps. Ombre. Chair. Seule. Jour. Nuit. Terre. Seule. Ombre. Chaleur. Yeux. Main. Pluie. Lourde. Vent. Casse. Herbes. Tôle. Feuilles. Branches. Nid. Trèfles. Blé. Vert. Haute. Herbe. Rose. Pétales. Rouge. Noir. Nuit. Non. Eau. Bleu. Courbe. Brille. Vent. Noir. Dedans. Nuit. Clair. Fort. Seul. Flux. Grand. Ivre. Peur. Sel. Noir. Yeux. Nuit. Jardin. Flux. Soleil. Corps. Nul. Nuage. Sombre. Blanc. Oiseau. Haut. Meule. Chaud. Chaleur. Soleil. Roule. Corps. Sieste. Boule. Meule. Rien. Nuit. Jour. Herbe. Sel. Eau. Tremble. Tête. Front. Yeux. Bleu. Eau. Coule. Joues. Jardin. Flux. Mécanique. Juste. Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Du sol vivant a surgi …

 

    1

 

Du sol vivant a surgi le doublon de l’homme et du poisson. La cordée d’une pêche miraculeuse. Loin la mer derrière la plage immense. Le pain par les miettes avance tout de suite. On tient le chapeau en papier volatile. Lui le grand innocent. Du sol vivant a surgi la ronde tambour et le cri droit – hélas, la perspective est close. Hauteur dont les genoux cognent. Ils marchent à l’abri du temps dans un linge usé et cette œuvre inédite ravale la face de Dieu. Ils avancent, un filet d’or sur l’envers. La nuque est tranquille avec son collier de vents. Du sol vivant a surgi la courbe d’un dos. Le poids de l’être. Le cuir d’un poisson. Ils n’ont pas eu peur de s’accoupler en ouvrant grand la bouche. Du sol vivant a surgi l’huile – le pigment pour écrire – la couronne et l’assise : rouge sang. Un bébé de neuf jours. Son crâne est mou comme une éponge. Les souvenirs s’agglutinent et perçoivent l’orée du fond.

 

               2

 

En marchant avec toi qui marches lent. Non loin de la verdure, l’avant-dernier jour d’un nom. On rajoute à minuit ce qu’il faut de secondes – la masse lourde d’une Terre surchargée d’elle-même. Témoin : la vie muette.

Dites – quelle forme avons-nous ? Un corps semé de particules luminescentes. Nous voyons trouble. Que voyons-nous ? La patte d’un insecte soudain fractionné. Est-ce une seconde ? Peut-être moins ? Lichen de feu ? Dès qu’on y pense. Quel est ce corps qui happe les collisions ? Un sentiment dans l’être humain.

                        3

 

Et les méduses changent de couleur.

Est-ce que ça flotte les billes ?

 

Est-ce que ça flotte les billes ? Se demande celui qui regarde à travers comme on cherche à voir l’entrechoc des mondes. Est-ce que ça flotte avec la lumière et son tilt indéchiffrable ? Est-ce que ça flotte les billes dans l’eau claire d’une rivière ? Dans la main de l’enfant qui joue à Jonas saisissant la baleine ? Est-ce que ça flotte comme une feuille ? Comme la lotte ? Est-ce que ça flotte comme le sens ? La répétition des leçons ? Est-ce que ça flotte comme le mime qui balaie tout langage ? Ou bien l’ombre qu’on bouge pour s’éloigner de soi ? Se rapprocher ? Est-ce que ça flotte ? Comme les noms que ça porte ? Les agates ? Les araignées ? Les tornades ? Les dragons ? Est-ce que ça flotte depuis longtemps ? Depuis toujours ? Depuis qu’on joue ? La première roue ? Est-ce que ça flotte dans les parois ? Avec quelle main ? Est-ce que ça flotte avant de couler ? Combien de temps ? Peut-on le voir ? L’instant d’avant ? Avant de couler ? Est-ce que ça flotte ? De quelle couleur ? Faudrait-il un filet ? Pour les garder ? De couler plus bas ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on partage en deux tas ? Est-ce que ça flotte comme la nef qui sauve Hélène ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on jette en colère ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on n’a pas ? Qu’on a perdues ? Qu’on palme entre ses doigts ? Pour nager avec ? Est-ce que ça flotte les billes en terre cuite ? Qui ne cessent pas – jamais – de jouer. Est-ce que ça flotte ? Comme une toupie ? Multicolore.

 

Marelle

 

De la terre jusqu’au ciel, marelle, rien ne défait le jeu noir ni la nuit ni le vent. Les enfants ont grimpé à cloche-pied sur le sol. Sont tombés plusieurs fois en jetant les cailloux. Fallait-il ou non mordre la ligne ?

Tu n’es pas rentré alors que j’avais un récit à te faire. Celui de ma journée – désormais en souffrance. Tu vois, il y avait des abeilles ou peut-être des guêpes dans un crâne de chien. Le nid était sûr. S’agitait furieusement à l’approche des enfants. Au Muséum d’Histoire Naturelle, une jeune fille dont j’ai su le prénom, disait d’un ton décidé à son petit ami que les dinosaures – non vraiment – n’ont pas pu exister. Il n’y avait pas d’hommes alors et les hommes ont tout inventé. En plus, les squelettes sont des faux et comme la verrière est cassée, il pleut sur les os. Moi, je préfère les bocaux avec les fœtus. La leçon de vocabulaire fut atroce. On installait un cirque d’hiver pour les animaux. Dans les grandes villes, on cherchait de quoi manger. S’achetaient parfois des grillons et des fourmis grillées à l’épicerie fine. Il y eut un incendie au moment des travaux : une étincelle, des grésillements, un feu de prise et puis de l’eau. On jouait à trap-trap dans les écoles. Un coup de vent a fait chuter les marronniers et sous les coquilles d’œuf brisées – une paire de chaussons taille 28. Le sang fuse dans mes petites artères. Partout la paille brûlait et des humains coulaient au fond des mers depuis le canoë. Ailleurs, de gentilles personnes s’occupaient des ancêtres à les faire manger et boire, les langer comme des bébés et leur parler comme aux braves bêtes. J’avais perdu mon doudou dans les rayons d’un grand magasin. Le temps était maussade : il fallut remettre à la maison le ronron du chauffage au fuel et comme toujours en ce début d’automne, on s’étonnait à l’avance de voir les décorations de Noël accrochées aux fenêtres. Mais qui peut hâter les jours ? Au fond d’une cour – un jeune homme eut l’œil perforé par un morceau de verre. Les raisons de l’attaque sont restées troubles avant d’apparaître comme une histoire de cœur. On ramasse à la pelle des insectes tout secs, un bout d’aile de papillon jauni par le manque d’oxygène. Le démantèlement des centrales nucléaires terminait à peine. Des êtres hybrides poussaient leurs cellules. De jeunes cancers couraient partout. À l’hôpital, le plus ancien organisait les courses de bolide. Dans les couloirs, le jeu du requin faisait des ravages avec la taie d’oreiller. Sur un fil à linge, les cintres tintinnabulaient comme les ô ma d’un catamaran. En un mot, fallait dire, l’orthographe s’effondrait. Dans mes cahiers d’école, tous les émoticônes pleuraient. On installait au bord des routes des groupes électrogènes. Un bleu de ciel kilowatté. Je n’ai pas vu Didi tomber de la voiture. Les gens ne savent plus lire et rêvent pourtant des anneaux de Saturne. En chemin, les cinémas montraient la plus belle des fictions : la guerre rendait les armes et les morts se relevaient au jardin d’éden. La lampe solaire du colibri vibrait la nuit toutes les 5 secondes. Il y avait des graffitis sur la table, gravés peut-être au compas. Des écritures obscènes ta race ! Les enfants avec des bouts de bois fabriquaient des ponts. Pimpon. Pimpon. La bibliothèque bruyante disait 1, 2, le vol de livres n’est pas autorisé. Les ondes harmoniques cherchaient des portes dans les ordinateurs et la suprématie quantique. Le tambour des machines tournait très vite et la douleur est un circuit supraconducteur, logique ! Des conflits militaires agitaient toujours la même bande de terre. Entre deux raids, les mamans lavaient les enfants dans une jolie bassine. L’eau n’était pas bien comestible et des poupées à la tête coupée regardaient le ciel. Nul ici ne se connait. Ce sont d’autres enfants que les mères nettoient. Et d’autres mères que les enfants enlacent. Au passage à niveau, j’hésitais entre vertige et rouge phare. Dans le train, paraît-il, une grande sœur consolait son petit frère de la longueur du voyage. J’avais dans mes oreilles le bruit du IPod. Les oiseaux n’existaient même pas. Les hommes se partageaient le souvenir de la Terre à travers des tablettes. La poussière collait aux écrans et la pulpe des doigts. Un bébé naissait sans visage mais les jeunes aiment bien faire de la glisse urbaine et descendre en vitesse les éléments du skate-park. Mon sac à dos pesait lourd et les affaires d’école. J’eus même l’idée de peser chaque mot mais seules les choses ont un poids : mystère et boule de gomme.

Présentation de l’auteur




jean-Marc Barrier, Poèmes

 

Amer      d’une sève sans sillon
premier mot      sang   
sans racine dans le monde évanoui

 sans corps encore le son
lui fibre     lui nœud     aisselle ligneuse
et moi corps perdu     verbe flotté

 premier mot vers

 archet au cœur du tronc
agrafe muette

mot premier     clos     vert
plus lourd que l’air
articule      l’anatomique folie
d’un possible amer     tendre

 

 

∗∗∗

 

J’étais l’aile du corbeau
j’étais l’accident

là où le rocher imite le rocher
qui imite le silence
je penchais dans les brumes

antérieur pour toujours  
essoré debout  
j’attends encore l’aiguille du jour
les démentis du lac

le froid ment
même la frontière est chaude
et je tiens sur l’eau
et je tiens sur l’air
et le temps revient
        rien ne renonce

je serai rouge    rouge encore
je soulèverai ma robe
et la rive sera mienne.

 

∗∗∗

 

Tourne en arbre    torse    
tourne noir    ces lentes mémoires
en brûlis philosophe   
vis la cadence du passage
sens des pluies la corde oblique
le silence aux yeux noirs
arbre bercé     recousu d’amour
dans cette pluie de l’être   
scarifié     tendre  goutte à goutte
sois céruse claire
une main vers le bleu
du bois noir à la pousse torse
égare ce grain de blanc coton
où s’étire muet le
corps de l’amant brûlé.

 

∗∗∗

 

Ostinato

dans l’eau veloutée des bois
le désir dans sa ruine
grogne      hume l’absence

flèche de soi dans les paumes
cette ouïe mobile
s’amourache d’une nuit noyée
pleure sa joie sombre 
perdue dans les irrévocables

il trouvera les élégies fauves
la fleur sonore du gésir
cadence qui sonde parmi
les débris de frairies nocturnes

errance coriace devant

et les scories du mort-bois
le coursent entre tête et sexe.

 

 

∗∗∗

 

Vous trouverez mes sandales
et il n’y aura pas de volcan

J’ai quitté le temps de la nuit   son épaisseur
je bouge et c’est un grand ciel décomposé
où le vouloir s’échappe
au fond     dessus dedans   
il est question de lumière     de vent léger

sur ce lieu de rien      cet instant de pente
je goûte la possibilité d’un déséquilibre
j’habite les branches et l’envers des feuilles

ce temps de rêve et de chute      il est à toi
ce temps exact tu le respires
il pulse dans un cœur que tu n’entends plus
tu tombes      peut-être

tu le sais tu ne sais rien
sinon qu’un geste t’attend    entre deux phrases
un pied un mot que tu poses te redresse

déjà je penche.

Paru dans la revue Décharge.

 

 

∗∗∗

 

Goutte à goutte longtemps
ce qui s’ouvre
dans la fondamentale

de source en larme
et s’éloigne la poésie des ruines

être élargi
être élargi et toucher
le pardon à mains nues

vacance des mains sous l’œil
voix proche
oiseau de nuit espace autour

le solitaire dépli.

 

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, Chemin de montine, inédits

 

Tu ne sais pas où loger tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils
si nombreux
recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

 

Ce n’est pas rien le maintien
la belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent
juste

une autre fois il pleuvait
allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre

tes yeux vibraient de la folie

 

Devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à nous dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle rêvée

 nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de toi
si vite oublieuse de ma présence

 je pioche  dans ta mémoire
indistinctement
sans rien attendre
ni voir
la main tendue aux vents

 

 

Tu t’approches
lui montrant la vallée
et soudain
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier
ce qu’il était venu chercher

pourquoi
être allé si loin

rejetant le passé
il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

 

 

Présence de ton corps au bord de l’arbre
dans le cri des corneilles
sur la lisière
où tu t’avances vêtue de lait de braises
tu lis un poème
alors des couteaux de larmes viennent
irriguer tes rêves

tu songes au regard que je te porte
celui
qui te traverse
et te mène au lieu du langage

quelle vérité que cela

 

Où sont nos compagnons
le sais-tu
l’ocre du ciel
et l’herbe douce

nouveau temps 

de quoi ont-ils besoin
je tremble sous le figuier méditant
sur ces choses 

l’hiver reverdit
le temps se sépare
pourquoi nous ont-ils laissé ce qui se perd

Ils ont bu à la santé de ce moment
de ce temps
qui continue à venir
ils ont trinqué
comme on rit d’un rien
pour oublier
comme pendant un discours
une messe

quand le temps se fige
accroché aux souvenirs
et personne ne s’étonne

 

 

personne n’est vraiment triste l’on se tient l’un à l’autre
sans pouvoir se quitter

on chanterait presque
alors
circule un gobelet de vin
il est chaud de chacun
vit dans chaque main
fiévreux comme un enfant

après
nous sommes seuls dans la blancheur de ce moment
démunis
à dire tout un long jour des choses bêtes

 

Ce soir
que reste-t-il
de ton regard

peut-être la transmission de ton regard
la terreur du vide
cette mémoire qui se refuse
teigneuse
comme un bouquet d’absence au monde

peut-être
la contrainte de ce lieu
impossible et calm
qui nous obsède et nous encercle

ce nouvel état de la vie

plus tard longtemps après
tu vins jouer dans mon sommeil

comme hors de toi
retournée

 

 

 

 

Cet autre rêve dans la chaleur
assoupi derrière le muret
tu viens vers moi
indélicate
et merveilleuse
tête à l’envers
me donner ton odeur
ta déchirure

plus tard
assise sur le seuil
au lieu d’éclats
enragée
une brèche à la taille

tu me regardes même vieillir

insolence de ce moment

et puis ce temps nouveau
bouquet d’absinthe
roule
sans rien de ce qui fut
même plus la mémoire
tout a sauté
sombré par le fond

 

 

 

Temps d’ivresse
ta lèvre est un cœur
de silence
tu tais la fièvre
tu fais l’ensevelie
tu es la corde

alors

je n’écris plus de beaux poèmes
plus de lumière
je te regarde aller venir

juste j’attends ce moment

le rire que tu portes
sera notre fardeau

 

 

 

 

Présentation de l’auteur




Marie Tavera, Le temps vient

 

quelque chose dure

quelque chose comme une aile

une plaine

je traverse les pas les chiffres qui avancent

l'allure de la forêt

vers le corps

au milieu des hectares il y a un sentiment

ou la durée du champ

jusqu'au bord

 

*

 

depuis la langue

le pas depuis la langue ailleurs est autre chose

comme une solitude

une flaque de verre

ce qui quand se construit

autre chose                     autre part                   

une durée longue

 

dans l'espace dépassé d'une demeure la lumière dépassée

atteint le jour

atteint le ciel blotti de nos bras

l'orée du bleu

les accords tangibles

on marche dedans c'est la neige

 

 

touchant le temps de se le dire

cette nue solitude                              

a pénétré l'espace au plus clair de nos doigts

 

 

*

 

quitter le jour

 

quitter le jour qui vient

 

nous quittons nos mains de velours pour partir nous n'avons

pas de place

pour partir

l'espace trop grand au bord vient le temps de le dire

l'une après l'autre chaque chose

 

                                                           disparaît

            chaque chose égarée

la place des arbres ou le bruit des fenêtres

il n'y a rien à dire

de cela dans le silence

mais tout s'écoule

la neige est forte comme les graines

du silence passe

on met la main autour du silence passe

dans les ajours des doigts

la neige lourde recouvre d'un bruit de passereau

ou de source

 

 

*

 

le temps dévoré

distinctement

une plaie ouverte au sol

on recouvre sans arrêt le lieu ouvert de soi

Présentation de l’auteur