Maria Galkina, Une histoire du blanc

« mais traduire est une séparation aussi.      Traduire

la séparation »1

*

 

    Et puis, il y avait des forêts blanches. Champs à perte de vue. S’il fallait écrire une histoire du
blanc, ce serait l’histoire russe. Une fumée, et les tâches de sang dans la neige. En blanc : le
caméléon.

La neige est la couleur éblouissante du deuil

Tu t’es endormi : j’éteins

(On devient imprononçable)

*

 

    S’il n’y avait pas eu du noir, je ne t’aurais jamais remarqué. Mais le noir est, comme le sont les
étendues d’eau noire cet hiver sans neige dans un endroit proche comme l’Orient et distant comme le
ventre d’un étranger. Les champs s’alternent avec les champs, et la route est couverte de vides roux.
La tête de Jean Baptiste est déjà coupée, et elle saigne en laissant ses bassins s’étendre de l’Est à
l’Ouest.

Le monde n’est plus.

 

Les plaies sont en paix, je ramasse leurs couleurs.

 

*

 

    Tes cheveux sont partout : tempête de questions. Enfuis vers l’Est, les voici – à la ligne de front. Il neige.

    (Claquement de briquet)

 

    Feu.

 

*

 

    Et chaque visage est pauvre quand il n’est pas à toi. Les lacs de nuit se taisent devant ton
silence. Dans chaque flaque règnent tes lèvres discrètes. La cruauté de la mer ignore ses frontières
où le nous vacille avant de tomber. A peine toucher ta manche en partant et –

    m’effondre.

 

*

    Tu dis : « la double absence est inscrite dans nos visages de l’Est ». Je souris. « Un bourreau
n’a pas de visage ». Je ferme les yeux. Déjà vu.

 

*

    Je rêve d’un hiver nucléaire, et je ne sais plus dans quelle langue je parle, dans quelle langue
j’attrape les che
nilles (elles me brûlent les doigts, les peignent en bleu). Je te raconte les lacs des
morts, la terre. Vers nulle part coule – ma tête d’eau. Un soldat lui chante. Chut.

 

    Le lac se lave : se lève. Soulèvement des mers.

    Vent.

 

 

 

 

 

 

Note 

1. André du Bouchet, Ici en deux, Gallimard, p. 98.

Présentation de l’auteur




Michel Cassir, La poésie, Carnet du Chili

La poésie ne raconte pas d’histoire. Elle emprunte
le souffle qui ravage la nuit et crée la blancheur
jusqu’à l’aube. Allumeuse de pépites au point de
les engloutir dans les marais et les faire renaître
dans des mains étrangères à l’autre bout du récif.
Brève et muette sauf à l’épaisseur d’une lèvre qui
saigne le mot. Elle tourne à l’envers imaginant et
reculant des précipices. Algue de l’Asie charnelle.
Éthiopienne qui naît à l’amour. Traineau en
Laponie qui soulève le bruissement de forêt.
Épopée elle déroule ses lames fracassantes. Elle
n’imite pas le passé bouleverse la donne. Telle une
horde de cloîtrés qui découvrirait la perte d’espace
et la force de tout se jouer dans la poussière et le
vent. Insuffler le conte d’aujourd’hui dans le
remue-ménage et les courts-circuits.
Hors de son creuset la pensée se débat flotte ou
meurt. Un grand livre à moitié visible trace le
sillon l’éparpille dans le désert surpeuplé de rêves.
La poésie précède le parcours sous-jacent des pas.
Elle crie soudain son refus de figer la beauté !

 

Carnet du Chili

tout carnet inaugure un tremblement
imperceptible au décor fuite en avant

l’ordre du papillon en froisse le parcours

comment agit la pulsion si au moins la feuille
incarnait le souffle

les doigts engourdis par la frappe canonique
agrippent le stylo de secours

survivre au robot savamment infiltré science chue
au rang de bluff

où allons-nous murmure le bruissement de l’encre

la graphologie perçoit la levée du sens à travers la
main libre devient-elle privilège

relevons la gueule étrange préhistoire à l’affût du
temps

Présentation de l’auteur




Jacques Rancourt, Fragments du temps qui court, extraits

Renaissance                                                                                                   

Un matin comme celui-ci
l’eau revient du ciel
après des semaines d’absence

elle arrive sous forme de pluie
se mêle aux bruits
dissipe le gris sur la matière

un enfant passe en courant
il n’avait rien prévu du temps qu’il fait
il devient le temps qu’il fait

 

Évanescents                                                                                                   

C’est ainsi que nous passons
en discontinu
dans la vie les uns des autres

le soleil ni l’horloge
n’y trouvent à redire
sur le fond ni sur la forme

parfois les ascenseurs se croisent
on se souvient du futur ou du passé
on n’est que plume au vent

 

Retour

Ce jour de neige à Paris
ne ressemble à aucun autre
de mémoire récente

les platanes ont déjà feuillé                                                                            
les magnolias fleuri
presque les cerisiers

l’hiver est revenu sans prévenir
la tête à l’envers
il faut lui faire une place

 

Discrétion

Au moment de partir
il a voulu relire sa bible
et rembourser ses dettes

le toit était à refaire
et l’aspirateur à remplacer
il n’en a pas parlé

il s’est éteint tout seul
comme une bougie à court de cire
comme une âme à court de corps

 

Disparition                                                                                                              

Quel serait votre avis
sur un jour en train de déraper
vers son fac-similé ?

votre avis sur l’enfance
déplacée d’école en école
sans ses instituteurs ?

on dirait la pluie
en train de fuir au loin
sans attendre le vent

 

Recueillement

Je représente la nuit
ce qui reste de lumière en moins
sur mon ombre personnelle

la parole s’est assise
à côté du silence 
comme auprès d’un frère aîné

nous comptons les survivants
ils se comptent entre  eux
le compte n’est jamais juste

 

Absorption                                                                                                     

Le tu était souvent un je
énoncé en plus discret
pour n’effrayer personne

cela se passait en fait
à une époque lointaine
non encore révolue

vous versiez l’eau dans la bassine
et c’est l’eau
qui finissait par vous boire

 

Image de Une © Caroline Halazy, mai 2018.

Présentation de l’auteur




Salah Al Hamdani, Le Début des mots et autres poèmes

Je vous appelle dans cette aube blanche dépourvue de neige. Vous qui habitez le même matin
que moi, qui voyez le même ciel que moi. Cela fait trente ans que j’essaie de vous rejoindre
avec mon exil.

Ma jeunesse, mes belles années, je les ai enterrées auprès de vous, je les ai
comptées, je les ai mastiquées et recomptées pour fabriquer des souvenirs.

Ma vie d’autrefois ne racontait rien d’important. En Orient, avant cette plongée dans votre
histoire, votre civilisation, ma vie n’avait pas d’autre forme que la prison, l’angoisse et les
pleurs.

En 1975, mon bateau a jeté l’ancre dans les gencives de votre ville, de vos rues. Avec vos
chiens, vos poètes, vos écrivains, vos artistes et vous-même, ma vie prenait l’apparence du
rêve. J’ai alors tellement dissipé de joies sur les murs de Paris, sur vous, sur votre nuit et sur
vos matins.

Je ne voulais rien perdre. Donner sans compter, mais ne rien gaspiller, tout consommer pour
vivre l’instant. Durant ma convalescence, après Bagdad, pour m’habituer à l’absence de la mère, j’écrivais des poèmes.

J’ai suivi les chemins fébriles de toutes ces années, grêle de froid qui s’écrase en sanglots
amers. Tous ces sanglots de vos histoires s’écoulaient en moi avec sécheresse.

Tout le marbre des monuments, figurines, statuettes, effigies, bustes babyloniens, mes nuits,
mes fleuves et mes appels à la souveraineté ont été dérobés de mon corps au grand souk de
l’Orient, par Napoléon-Saddam.

Dans mon pays natal, on allait à la mosquée, on se mettait en rang devant Allah et on disait
bonjour à la mère de celui qu’on avait exécuté la veille à mains nues. On nourrissait les
mensonges, on faisait le ramadan le jour et on se saoulait le soir. Les discours autour du livre
saint étaient raffinés. La nourriture l’était aussi. Les morts et les victimes avaient la couleur du
sable de l’Orient.

On y était les champions innommables de la conjugaison du verbe tuer : Je tue, tu tues, il (elle)
tue, nous tuons, vous tuez, ils (elles) tuent. On avait inventé le zéro à seule fin de
comptabiliser tous les morts. Nous sommes les champions dans notre manière de faire nos
choix entre nos cadavres et ceux des autres.

Je vous appelle de très loin, de mon cimetière et de ces morts pour rien. Je vous écris de mes
champs de victimes, de ce silence amer, de la lâcheté de tous les dieux des hommes.
Le mal de vivre loin des miens m’affole. Je n’ai pas grand-chose pour menacer ma nuit, ni
inquiéter ma tumeur en pleine obscurité, sinon prononcer le nom de la lumière des steppes à
haute voix :

Madinat Al-Salam, Bagdad mon amour
je suis heureux que le boucher de tes enfants, Saddam soit mort

Oh ! Malheur de ma mère, dis-moi quel bourreau sera le suivant...

Dans ma chambre, l’autre soir, j’ai souri à un aigle venu me couver de ses ailes déployées,
comme un nuage noir sur un jardin d’hiver. Ma nuit est toujours la même, moi, le silence et
cette idée de posséder le jour.

Extraits de Bagdad mon amour (suivi de) Bagdad à ciel ouvert, Editions du Cygne, Paris, 2024

Présentation de l’auteur




Steve-Wilifrid Mounguengui, Cahiers d’adieu à la mélancolie

Regarde par où je vais 
Tous ces territoires et ces rivières 
De la Lozère à l'Aveyron 
Des berges de la Rimeize aux gorges de la Jonte
Tant de ciel et de terre
J'ai planté ma tente au bord du Tarn
Le canyon a drainé le chant de la rivière 

 

La rumeur de mes propres pas empoigne le vide des pensées. J’avance et les heures sur la route
me reviennent. Elles charrient nos silences. Les plans sur la comète. Toi et moi faisant et
refaisant le monde. Il y a des choses qui naissent de la lumière, entre les lignes, la clarté espérée.
Les odeurs de la forêt réveillent une ivresse qui remonte à l’enfance. L’odeur du sapin est
une douce chanson. Les odeurs et les parfums suffisent pour recomposer la prose d’une vie. Toi
aussi, il te suffit d’une odeur pour retrouver le paysage de ton pays d’enfance, l’atelier de ton
père, ses gestes sur le bois, ses mains dans ta chevelure, sa voix apaisante. Je ne songe plus au
passé. J'oublie et ne garde que l'essentiel, dans cette présence qui puise en elle-même, dans cette
transparence absolue du moment. Je perçois tout avec une étrange acuité, mon corps, les
battements de mon cœur. Tout ce qui, en cet instant même, me relie au vivant. Je suis vivant.
C’est un peu plus que le cogito mutilé de Descartes. Je ne suis pas emmuré dans ma tour d'ivoire,
encore moins réductible à un esprit insulaire. Je suis aussi un corps qui respire, sent et ressent
le monde autour et en moi. Un être relié aux hêtres, aux saules, à la pierre, à tout ce qui respire,
au pouls indéchiffrable du minéral que seuls perçoivent ceux qui façonnent la pierre. Un être
vivant, car vivre c’est être fondamentalement relié à tout ce qui est, même au minéral.

Tu me traverses
Comme une ombre
Comète lancée dans l'espace 
Visage fugace aux confins de l’éternité

 

Il nous suffisait la mer, le vent après le sillon de la route. Un éclat de liberté ou peut-être
d'amour. Un élan au bout des lèvres. Et tes yeux comme autant de voyages, de méandres sur
l'océan. Il suffisait d’un rien, d'un regard profond dans l'abandon d'une nuit, de ta respiration et
des pulsations brûlantes du désir. 

J'ai su que tu ne renoncerais pas dans le tremblement de tes mains, dans la lumière matinale du
Morvan, dans la brume du Pays d'Ouche, quand la rivière est une blessure d'argent dans la
vallée. Tu m'es devenue souffle, luciole dans le bord des nuits, prière entre deux trains. Ne
respirant qu'à l'abordage des quais où je devinais ta silhouette. Entre tes seins, je sentais enfin
battre le pouls du monde.

Il suffisait que tu sois entre la mer et moi, tout près du ciel. Souviens-toi les goélands sur la
façade blanche de la roche à Tréport ou quelque part au Pays de Caux. Tu étais déjà toi, le songe
et le mirage, promesse d'oasis, rêve de sable, indéfectible amour. Ton corps enroulé autour de
mon corps et mes doigts allaient se perdre dans ta chevelure où se brisait en éclats d’or la
lumière du soleil des fins d'après-midi.

 

Écrire
Saisir l'éclaircie
Entrer dans le royaume
Ma mémoire un miroir sans tain

 

J'ai écrit, souvent des fragments. Quelle langue sinon celle du poème pour accueillir la dérive.
Quelle langue pour abriter la nuit. Je fais l’inventaire des paysages, des odeurs, des couleurs.
Une vie entière à cartographier l'absence, à dessiner les contours du pays d’enfance.
Une vie à rassembler les morceaux d’un chant, d’un visage, d’un pays qui se refuse à franchir
le seuil du songe. Je suis le fils des femmes qui dansaient, qui chantaient en entrant dans la
rivière. Et je porte ici la rumeur d’un pays qui s’éloigne et qui vit au fond de moi.

 

Nos chemins nous ont dispersés comme des étoiles jetées dans le ciel infini. Je songe à toi, à
ton visage enfoui dans le ciel. Ton ombre derrière les brumes porte l’épaisseur des absences.
Cette nuance de lumière qui n’appartient qu’à toi. Je la dessine entre les signes, les lignes, les
pages. Lumière basse qui porte ta voix, ton sourire perlé à la lisière de ma vie, pareil aux
éoliennes dans le lointain d’une nuit. Tu me reviens, traversant les forêts de silence,
écho inlassable. 

Je jette sur nos sillons des poignées de ciel
Lui seul peut faire mûrir des étoiles pour éclairer nos vies déracinées
Émerveille-toi de l’étincelle mon amour
Elle est l’enfance de la flamme qui éclaire une vie
Émerveille-toi de nos éternités brèves

 

Aucun deuil ne te prépare au deuil. Oser ouvrir la porte et s’en aller vers aucun lieu. Partir
simplement, s’abandonner au temps et au chemin. Ce qu’il reste de lumière, derrière les
silhouettes de l’aube, est une chanson.

Il grêle sur nos années. Saisons d’orage, mer désertée. Navires échoués sur le rivage. Toi aussi
tu scrutes les horizons lointains et tu espères derrière chaque mirage.

N’oublie pas mon amour. Ne m’oublie pas même si le temps s’allonge quand il neige sur nos
belles années. Le lierre s’enroule sur l’infini. Nos citadelles en lambeaux s’agitent au vent qui
tremble. 

Ta nuit est semblable à la mienne. Je me tiens entre la noirceur des limbes et les rives de
l’abîme. J’écris cet exil, encore cet exil. Des cloches aboient, émaillent le silence. Elles
viennent de l’évanescence des jours.

 

Présentation de l’auteur




Muriel Augry, Suite parisienne, extraits

 

Les lucarnes se hissent sous le ciel safran
A l’angle droit elles embrassent les nuages
De l’ angle gauche elles chahutent les écharpes de vent

Un cordon rutilant serpente
nargue les bâtisses
Histoires croisées
sous l’œil clément de la basilique

Les badauds se frôlent dans l’île de convoitise
en vagues séculaires
Le temps s’effiloche
au gré des déambulations
Sous le ciel safran

La dame bleue

La Seine joue sous les ponts
sans partition
une ritournelle
Elle porte dans ses flots
l’enfant à naître
le vieillard en devenir
Elle cache dans ses flancs
l ‘exilé de l’aube
Dame bleue
Dame grise
elle tend ses rives
pour une éternité
à l’ hôte de passage
Mais ce soir la Seine a revêtu des habits de gala
une péniche s’est invitée
à la recherche d’un compagnon de danse
la lune a allumé ses feux
le spectacle peut commencer

La bohème

La bohème n’a pas de terre
la bohème a un air
une note
une lettre

une ivresse
une étreinte

elle se chante
danse à la surface de la nuit
reprend souffle à la source du jour
A bras le corps elle dessine
ses contours
fuyantes limites
Odeurs de lointains

L’éloge des chimères

Les toits s’allument au grand soir
l’un suivant l’autre
En monologues ou dialogues
prières ou querelles
ils entonnent la mélodie du quotidien
l’éloge des chimères
en détaillent le déroulé menu
sur le cadran
inflexible
Les toits dressent la table
et attendent l’invité
à la ride joviale
Au sous-sol
le taciturne
demeure exclus des festivités
Les toits se racontent leur passé
nostalgies contagieuses
éphémères douleurs
En hommage

Sous la brillance de lune

Une pyramide de verre
à travers la vitre
casse la nuit
Les siècles courent à gorge déployée
dans la cour de pierre
Les réverbères saluent le promeneur
d’ailleurs
Le musée dort
L’heure est à l’écho
Aux souffles intermittents
Aux reflets de l’audace
Sous la brillance de lune

Un dancing s’allume

Arpenteurs
Inventeurs
ils franchissent les murs de leur chambre
pour toucher aux confins de l’inconnu
Place de Clichy la Butte s’agenouille
et prêche
et déclame
et chante
La brasserie accueille l’errance à sa table
la nourrit
Une boule de billard perd le Nord sur la rive droite
Un dancing s’allume dans la nuit solaire
Les coupes s’entrechoquent
au carrefour des arrondissements d’une ville
aux amours croisées

 

Présentation de l’auteur




Fabien Reignoux, Quatre poèmes

Plusieurs yeux plus contre le béton dont se désarme la main en corailleuses
déchirances rance le temps s'assiège
Peintures écaillées
Coups de gris
Mauvais temps
Ce sont les alertes vaincues du surmenage, quelqu'un parle et se lamenterait cent
fois si la fuite en bas n'arrachait sa peau et vaine
Bruits rouleurs
Lourds faux
Puits d'os
Regarde ces énormes carrés rouillés auxquels périt un constant instant consom-
mateur dont s'enfantent
Autres morts
Lointains ailleurs
SOS ténébreux
Le rail s'enfuit passe la ville trouve dans son regard absorbé la couleur sent
tressaillir devant le temps ses cils
États de misères
Absurdes sens
Fils époux
Mais bientôt parce que tout est dans un jour l'œil aura du lendemain la fade cendre
au cœur et finira de battre sous les neiges enfui belles d'inutile prison
Vents passeurs
Charrons poreux
Rets d'hormis

*

 

C'était près de ces nuits qu'ils marchaient
Le ciel étonnamment clair
Des morceaux de feuilles se déchiraient sous leurs pas
La veste bleue lui glissant aux coudes et la bretelle du sac
Glissait
Écoutant ils firent le dernier pas
Mais dans l'air froid leurs mains
Ne se rencontrèrent
Ils pensaient Peut-on imaginer peut-être que nos mains se touchent
Mais dans l'air froid ils n'auraient rien dit
Dans les millions d'années jamais ils ne se seraient dit une parole
Sous le ciel étonnamment clair
Sous la pollution lumineuse d'une grande cité trop proche
Eux trop près du monde

Un hurlement pouvait tuer

Se rêvaient seuls
Leurs yeux clairs regardaient leurs corps
Sans y paraître
Mais silencieux ils ne se toucheront pas
Ils ont passé trop de temps debout l'un près de l'autre
Ces perdus
Se rejoignent et ne seront pas
Tous deux
Ne seront pas

*

 

La table la chaise face à la fenêtre c’est où passe le jour.
Le jour éclaire tout,
Le jour, c'est la mémoire d'une nuit très longue froide mortelle
Les noms

S'il regarde par la fenêtre,
Le jour est un long moment et vertigineux de survenues,
Dont toutes les lumières les plus lointaines voltigeront et
Lui passeront de leurs doigts l'ancienne invisible braise
Que brûlèrent tant de lèvres

Sur les siennes il passe alors un charbon froid et noir
Il frappe lourdement le volet dans la croisée dont le verre se fend et
Lui a fait crisser les dents
Noires de cette chair ancienne du monde qu'est le charbon
Ce goût cette force en son corps
Vont toucher aux chairs vives
Elles sont les braises nouvelles des jours
Aux volets clos
Aux mains ouvertes pendant le long de la chaise puis
Puis soudainement serrées sur la table et
Il tient amoureux ce qu'il aime par-dessus tout sans tout en aimer
Comme on sent l'amour sans le connaître
Des nuits et des nuits tiennent entre ces deux mains serrées
Qui n'enferment rien que de libre et
D'où revit

*

 

Ils l'ont pris
L'ont noué sur un arbre
Un vieux pin aux branches maigres, au tronc maigre
Avec un lierre épars
Ils ont tiré leurs flèches et l'ont percé dans son corps
Il mourait devant eux, triste

Puis, ils l'ont
Détaché
Lui était mort.

Longtemps après, sur le corps du pin
L'on pouvait voir chaque hiver
Les longues coulées blanches de sève sèche
Pleurées de sous l'écorce en quelques points que la flèche a touchés

C'était aussi comme la cire d'une bougie mourante
La glace plue aux corps abandonnés
Le regret d'un vieux complice
Les larmes honteuses au vent trop aride
Que pleurent les survivants
Quand ils revoient la mort

 

Présentation de l’auteur




Paul Vidal, Mélodie des Villes et des temps, petit recueil

 

1) Ile méridionale

La grève défie le temps pendant que les poches de fruits sont retournées par le vent de
l’Orient.

Au port les bateaux s’enivrent d’un départ pour des côtes lointaines ou chavirent les sens.

Quelle est brève la vie pour contempler l’étang, affronter l’orage tapis sous un porche la nuit
me grisant ainsi du fumet des citrons et des palmiers et rêvant de gréements.

Au bord des canaux, je me délivre du regard lourd de mes fautes anciennes, je respire de
nouvelles essences.

 

Courant au milieu des avirons, les jouteurs s’arrachent au son des trompettes.

On attend une Antigone qui enflammera le théâtre qui surplombe les flots.

Garçons preux en pompons, ces acteurs aux airs bravaches rêvent chansons et conquêtes.

J'entends cette Babylone qui rit avec fracas de ces régates ou on dénombre tant de
matelots.

 

Sur la place du marché des négociants prennent le pouls de la ville en devisant autour d’un
café.

Les mouettes dansent une sarabande qui entraîne un ballet d’ombres sur les allées de
tombes blanches soigneusement rangées l'âme du poète s'est envolée.

L’Azur embrasse les orchidées, les accents se traînent d’un ton si doux et tranquille comme
un instrument qui marque le jour étoilé.

Des vaguelettes passent avec l’élégance d’une atalante, les sirènes divinisées sortent de la
pénombre pour une nature que Valery a célébré de manière si féconde de toutes ses
branches, onguents raffinés qui enflamment la vue des êtres abandonnés.

 

Les notes de guitare sonnent encore, ci git l’homme à la pipe qui à travers les âges versifia
un idéal.

À quelques encablures du troubadour est allongé sous la terre un héros qui a connu l'enfer.

Il escamote le brouillard des hommes qui emprisonne les corps, le Py dernier forum ou
s'agrippent les trouvères avec le rivage empli de magnolias comme seul égal.

Immortel malgré ses blessures, sa bravoure força le respect de ses pairs, autour de Thau il
parcouru encore d'innombrables hivers.

 

2) Aliénor des Merveilles

L'espace éphémère d'un soupir, je rebrousse le temps
le siècle oublié du fin amour me saisi comme une chanson par le bras
Une fleur occitane chantée par chaque troubadour, grave son nom dans l'Histoire avec fracas
Jeune héritière d'un empire, héroïne à la source de tant de romans

Loin si loin des rires et de la chaleur des couleurs poitevines
Aliénor la magnifique flanquée d'un bien triste sire embarque pour l'Orient lointain
Météore agnostique et enjouée promise à un moine copiste, elle chevauche son destin
Rêvant d'amour à bord d'un navire, la duchesse se meurt sur la route de Palestine

Soudain la rose d'Occident s'arrache aux rancunes d'une union délétère
Gagnant les cours enjouées d'Aquitaine, on crée avec frénésie sous la férule de la fougueuse mécène
Cependant les vautours l’assiègent par dizaines, de diplomaties en conciliabules, elle est peinte en Hélène
Un Angevin ambitieux et fringuant, vint lui proposer de partager sa bonne fortune, par-delà la mer

Noble dame tenant fièrement les rênes de ses fiefs, nonobstant la tyrannie royale et patriarcale
Affrontant sans faillir, les querelles de ses rejetons princiers, cœur de lion et sans terres
Tristes enfants à chérir, guerroyant sans pitié, uniquement freinés par l'ardeur et la passion d'une mère
Loin des vignobles de l'âme, Robin et Petit-Jean égrainent leurs griefs, passent les ans sans poésie, dans un dédale

Enfin l'écume des tempêtes de ce monde vint à s'apaiser, l’infatigable combattante sent que le soir de sa vie arrive
Gagnant la quiétude de sa chère abbaye ou dormait déjà les siens, elle pensait à Lancelot, penchée sur son écritoire
Trompant la solitude en narrant sa vie de merveilles, alors que résonnait dans le lointain les sanglots de la Loire
Jetant son enclume, la comète de Gironde tint à s'envoler, incontrôlable et trépidante ses victoires furent décisives

 3) Magnifique chevauchée

Du haut des remparts d'Alésia Vercingétorix contemplait les corbeaux tournoyant dans le ciel

Il y'a longtemps déjà le fils de Celtillus courrait et riait dans les champs lumineux du pays arverne

Pas un printemps ne passa sans que ne s'affermisse son respect d'Uranus, il arpentait les forêts,
s'instruisait en devisant avec les dieux convaincus que sa patrie n'aurait pas un rôle subalterne

Loin des assauts de César, la guérilla des gaulois atteignait son paroxysme, ils marchaient tel un
troupeau, beuglant leur fiel

 

Gobannito l'intriguant avait conduit à la perte de son frère.

Son neveu brave guerrier fier de son sang et de sa lignée avait tracé son chemin

La chanson des tempétueux et graves sorciers avait marqué les temps, les troubles dans la cité
conduisaient les cavaliers au son du déclin
Le drapeau des insolents trouvait son agonie dans la découverte d'une nouvelle bannière

 

Rome était en lien avec de nombreux peuples de la Gaule depuis toujours

Vercingétorix s'imposa aux siens et fit le choix des armes pour que son intrépide pays trouve la
liberté

Tel un phénix il culbuta les romains à Gergovie suscitant émoi et alarmes, le recours aux oraisons
des druides avait guéri des brouilles et des malhonnêtetés
Les hommes s'armaient avec entrain, les valeureux peuples marchaient derrière leur icône dans une
nuit emplie de vautours

  

Le calvaire d'un siège infini s'acheva par une réddition pleine de gloire

Pour sauvegarder ses tribus des misères et de la faim il se sacrifia aux tribuns
Harassé par la vue de tant de disparus et de cimetières, il se livra à ses assassins en simple patricien
Un sévère sortilège l'avait vieilli, il trépassa un soir, ultime humiliation de celui qui avait les rênes

 du pouvoir

 

4)  Un jour viendra l’été

Les combats font rage sur les plateaux enneigés comme dans les plaines arides.

L’ennemi invisible est tapi dans chaque recoin, distribuant l’infortune.

Les rats pour seul compagnonnage, murs et barreaux souillés de l’opium des haines sordides.

Pari pénible que de jouer sa vie un opaque matin, priant pour revoir la lune.

L’aube fracassante vint réchauffer ces soutiers du crépuscule.
Arme au poing ils déferlent dans les villes et les villages désertés par l’oppresseur.
Le charme remplace le chagrin, les héros défilent avec des yeux qui pétillent, les visages
bouleversés, car enfin c’est l’heure.
Les Robes éclatantes de lin bleuté, ont submergé un pays encore incrédule.

Âmes tourmentées continuellement par un engagement sans failles.
Hommes de l’ombre venus des entrailles de l’Hexagone.
Femmes héroïsées se sacrifiant le cœur battant sous la mitraille.
Capharnaüm soutenu par Londres, fil tenu d’une maille qui s’étend dans le Rhône.

Combattants armés de leur seule foi en des lendemains meilleurs.
Artisans, employés et militaires se muent en missionnaires de la liberté.
Haletants, traqués seul l’honneur est leur loi, ils ont faim de grandeur.
Militants dévoués et sincères, ils remuent ciel et terre dans une intense fraternité.

   

5) Respiration Pastorale

Des nuages de sable, sertis de rouge s'égrènent sous nos pas.
Le soleil réchauffe les doigts dans un écrin de verdure sans âge.
Les ramages insaisissables comme sortis de gouges accompagnant le pouls de nos voix.
Pareil à une gaufre qui laisse coi, suivant un chemin à petite allure, croisant de paisibles pâturages.

Sur des terrains hyppiques les juments soigneusement pansées se frottent au mouvement des
Alysées.
Quelques arpents de neige défient encore ces vallées silencieuses.
Azur vaccin que cette promenande bucolique, le temps silencieusement arrêté, comme une note
parcourant l'été.
Comme un auvent qui protège la vie, de la boite de Pandore, les bosquets d' azalées
miséricordieuses.

Au loin les sonates résonnent tour à tour graves puis légères.
Les villages déploient artifices et lumières.
Soudain un tocsin bourdonne sans détours tel un vautour, il est temps de trouver un havre ou
fermer les paupières.
Des mages tournoient emplis d'une malice qui libère.

Enfants et adultes farandolent dans les rues.
Les esprits et les corps s'enjolent sans fin.
Les chants émergent des tumultes et des cabrioles, jusque dans les charrues.
La nuit plante son décor ou s'égayent les lucioles, en haut des s

Présentation de l’auteur




Marc-Henri Arfeux, Initiation d’amande

Seule est la maison seule
Environnée de neige
Et de distance épanouie,
Hurlant le blanc de son silence ;
Et seule offerte illimitée comme un désert 
Est l’étendue des vents premiers.
La nuit implore la nuit,
Le temps s’est entièrement vidé de ses viscères
Que le haut gel a résorbés.
Tu es dans la maison natale des nombres purs
Assis parmi le cercle en un,
Devant les fins esprits du feu 
Ouvrant au centre 
Un jardin spiralé.

Puis les paupières ébènes
Inversement,
Te conduisant 
Au lent couloir d’abolition.
Les voix se lèvent
Ainsi que des lueurs
Aussitôt résorbées,
Frôlant tes joues
Tandis que tu respires 
Dans l’abandon,
Laissant répandre tes lambeaux 
Parmi les ombres oublieuses ;
Et seuls frôlant la nuit
Les rameaux chuchotés,
Comme un brouillard marchant à pas de léopard.

Puis les appels froissés,
Le chant des talismans
Faisant trembler le vide entier
Qui te remplit,
Comme si tu n’étais rien qu’une simple flamme
Sur l’eau nocturne de l’absence,
Et les ténèbres autour de toi s’étendent à l’unisson,
Prenant ta forme écartelée.
Il n’est d’espoir au pli du rien
Que ce noyau d’exil,
Tel un visage demeurant clos.

Alors, en cercles de furies,
Les songes et les clameurs,
Les talons rouges battant le marbre du néant,
Et les lanières de lune ensorcelant tes souterrains.
Tu es renard, hibou, écorces amères,
Imploration d’étoiles trouées dans le grand gel,
Bourrasques de l’immense 
Annulant ton image.
Le thé bouillant du fer prend maintenant ta place.

Il te faudra franchir par abstention,
Livrer bataille sans un mouvement,
Offrir la poudre d’os de ta douleur
À la dureté du labyrinthe 
Murant l’amande
Où tu persistes
En un pétale.

Voici l’esprit de l’aigle.
Il boit en toi la cendre
Et les éclats coupants,
Le gravier funéraire de tes membres épars
Et les anneaux d’épines
Entrelacés d’organes ;
Il brûle
En un grand cri qui se propage
Ton lièvre de blessures,
Rendant leurs seuils
Aux larmes dénouées.

Voici la mousse,
L’humus humidifié de ses constellations,
La fine enfance de l’herbe nue,
Et les cavernes des racines ensemençant 
Les souvenirs d’outre-nuage,
Et les masques d’ancêtres 
Soufflant l’ardeur dans les forêts du bronze,

Voici la nuit,
La haute nuit de la lumière
En sa vie ramifiée,
L’encens des résonances
Touchant les tempes,
Et le feuillage multiplié des doigts
Recomposant ta tête ainsi qu’un vase
Où sont versées les huiles de tes reflets 
Transfigurés
Et réunis
En une seule aube.

Elle a, tandis que tu éclos,
L’apesanteur des gouttes
À la surface d’une obsidienne.
Devant toi sont les lampes,
Aussi légères que les fontaines ressuscitées
De ton cœur jaillissant.

Présentation de l’auteur




Alain Brissiaud, Livres pauvres

La terre blanchie sous le pas
réprouve la trace laissée
air
l’air suffoque dans le paysage
comme aboiement le feu
dit l’ivresse tendue du retour

  

La terre cogne contre la porte
mais tu restes muet
de l’eau
l’eau des poussières inaudibles disent
l’improbable
tu sais cela

 

De la terre coule de tes yeux
dessinant une brèche
ligne
au fond du ciel
entachée

 

Terre immobile
bascule sous l’horizon
laisse venir
s’emparer des failles du langage
tes mains ne peuvent y parvenir
indécence

Me force à garder le visage ouvert
attentif
tenace comme la langue
la terre épouse le vent d’ici
où si peu de réalité

 

La terre marche sous ton pas
saisissant dialogue entre chemin
et
désir quand les mots
deviennent langue
alors l’espace a la taille de tes mains

 

La terre se penche
au chevet des pierres
surplomb improbable
discontinuité de la parole

 

Il y a une lecture de la terre
happée par le vent d’ici
failles et ruissellements
la façonnent

Reviens
reviens
terre d’encre
ultime tentative
mémoire bouche coupée
oubliée
qu’importe

 

Qui nous apporte un rêve
une tentation
sous l’ourlet de l’âme
abîmée
quelle chute pour cette
rédemption

  

Juste un regard
ivre
supplicié donne à voir
le désordre des choses
qui nous lient

  

Ce naufrage est une vapeur de feu
un frémissement de la peau
alors vient le silence
comme pierre sortie de
terre

  

Et nous prends
tout
brassée d’indulgences feintes
descendue des collines poussières
cailloux
innocence

 

Terre au souffle écorché
l’écho des apparences
noie la suie de tes yeux
délaye le souvenir
destructions et carnages
ce que l’on sait
ignorance

 

Ravins terre
meurtrie
talus     haies    broussailles
quand soudain muet
vient l’oubli

 

La terre qui se voit
archipel boueux
joliesse de ces moments
ensevelis

 

Terre improbable
tu cherches le repos
en vain
nue
elle est celle que tu ne vois pas

 

Alors
tu lèves ton regard
songe qui est un signe
où s’ensevelissent
les derniers incendies

demeurent les mots tombés à terre

 à rebours

Le poème est un ciel               

qui s’assombrit

en cours de route

Même décousu le poème

pousse au cœur de l’homme

avec une constance fiévreuse

Paroles de voix
sonnent et se souviennent
dessinent le chemin
vers toi
à la parole absente

viennent à mesure
de la marche
et buttent
sur la pierre
dans la vérité
de cet instant

il écrit
l’écriture du mot
ramassé accroupi
dans le souffle
effacé
il écrit

gratté
gommé
avec l’étoile du bâton
avec les ongles
en venir à bout

aujourd’hui ce silence
demain le cri
au-delà
un éboulement

Je feuillette l’album de photos de ma mère.
Ma grande soeur, Marie- Hélène paraît toujours fragile et Françoise la plus jeune, tellement espiègle.

Mon père pose debout, très droit, sérieux. Jamais il ne regarde vers l’arrière et s’enferme dans le silence.
Ma mère, une femme douce, disparaît souvent à l’intérieur jusqu’au lointain.

Les photos mentent et jouent.
D’elles s’échappe la tristesse.
Alors, mon regard se perd ; demain est déjà si loin.

Tu piétines sous le monde comme les pierres
et tes rêves basculent vers la nuit.

Cette jouissance s’ouvre sur un chemin de cendres.

Juste, tu enlaces mes membres apeurés.

Nous n’étions tenus que par la nuit
ainsi marchant
jusqu’au jour
séparés de peu
et pourtant si pleins de la tendresse
des choses simples

à ce moment
sans le savoir

vibrant lointain
oui
si loin

Partie de voix
cède
au ciel qui s’enflamme

le manche de la nuit s’en empare
et succombe
avec le silence comme équipage

mais bientôt
nous marchons sur la terre hostile

pour l’ultime embardée

Eau de roche ne veut pas venir
elle dort sous le siège
du grand cinéma

sa frayeur rejoint le ciel incertain
sous la nuit que je lui porte

alors de grandes idées l’encerclent
de leurs doigts féconds

plus tard nous reprenons
cette impensable discussion

je suis comme le livre
diras-tu

près de la bouche

Déjà je cours
juste au devant tu cris lâchez-moi
lâchez-moi
bras de fer dans le bois de bouleaux
vers quelle immensité
indéchiffrable immensité
et tu hurles le visage muet
parole contre parole
trop humain ton beau visage désaccordé

déjà ce visage
l’immensité persona
couché sur le soleil
tu cris lâchez-moi lâchez-moi
te lâchent
sous l’arbre
brutalisée
ta pauvre chevelure cette immensité
en finir juste un murmure
venez
venez voir
je suis trop faible j’exhibe ma sotte mélancolie

nos yeux désemparés

répétition répétition
ce petit corps en fuite
gisant au sol ainsi
ficelle d’herbe

immensité
Deux discordes accordées
mêlées
à ne plus voir
qui rançonne l’autre

deux vies mêlées
qui se chassent
ça n’est pas possible
une dérive
retournée ça n’est pas possible
tous les accords affirmés
ajoutés l’un à l’autre
sonnent et tressaillent
se raccrochent aux accords donnés

alors tu hurles
ta haute voix aux anges
aux anges survoltés
la vie
la vie
aux papillons ôtée raccommodée
aux mille instants saturés
et toute l’énergie vole de l’un à l’autre
ne laisse pas de paix les hauts les bas
ta voix
ta voix d’amour vie vie donne donne
voix voix ne laisse pas en paix
s’envole aux flots donnée

pur esprit

Il pleut sur ta voix c’est le matin
nous allons et venons dans la chambre
tout contre le miroir
j’ai entendu ton rêve frissonner
au creux de ma peau

avons-nous le temps

assise derrière ma main tu souris
comme un éclat de ciel
entre les branches
sans bruit le livre chute au bas du lit

aurons-nous le temps

dire l’autre parole de l’errance
sur quelles rives débarquer nos vies
est-ce la vérité cela
tes yeux se troublent et puis s’effacent
comme un unique bien

le temps donné

L’autre rive à bord de l’embarcation
suffoque de lumière
nous sommes allés chercher le passeur
l’éreintement
sa main tient fermement la corde
tirée de l’eau
des éclats de voix dansent dans l’air
les hommes marchent en silence jusqu’à la nuit
et s’éteignent un à un

abandonnés de ce coté-ci du monde
seule la terre liquide nous accueille
elle nous prend dans sa main et nous agite en riant
pauvres rien que de nous

nous sommes sous la voix en dessous
dans la contrainte du mot
un ciel de cendres nous tient lieu d’église
où nos corps désossés flottent au vent

 

Présentation de l’auteur