Roselyne Sibille, L’ombre est une ligne de crête

L'ombre est une ligne de crête
fissurée de lave et d'impossible

Elle griffe son appui illisible sur le ciel écorché

Pour acheminer le noir
         – sa partition verticale –
un pont craquelé enroule écailles et copeaux

L'autre moitié de l'ombre est granulée de neige bleue

Dans ce livre de cendres
aucune parallèle n'attend le ressac

Tu sais le gouffre derrière l'œilleton
      suspends ta signature
      au liseré des lèvres de l'ombre

 

The shadow is a ridgeline
splintered by lava and impossibility

It scores its illegible brace on the grazed sky

To transport darkness
           – its vertical screen –
a splintered bridge reels in shells and shavings

The other half of the shadow is grained with blue snow

In this book of ashes
no meridians await the surf

You know the chasm behind the peephole
         Dangle your signature
         to the edges of the shadows’ lips

Traduction Karthika Naïr

Présentation de l’auteur




Tristan Felix, Augures (extraits inédits)

à la vie, imprévisible 

 

 

 

En sous-titre de chaque poème,
une concrétion littérale des poèmes eux-mêmes, en italiques.

 

L’augure est l’alibi du poème 
son identité transfuge
Gwen Dhu
L’Albatroce

 

 

 

elle tenta la figure de l’oiseau
percutant le ciel

perdant tout d’elle
par morceaux
à genoux dans le vide
où tournoyaient des ailes

sans corps

(civid)

 

 

pris d’un doute
le vigile crève l'alvéole noire
d'un coup d'ergot, tac

 

qui demeurerait en sa larve
à touiller un sang d’encre ?

aussitôt elle s’envole, hilare
vers une cime d’air
avec sa mort acrobatique

(meurhil)

 

 

la pulpe d’horizon
une fois seule

s’ouvre à chair

aux hébétudes aussi
des berges où court un demi-chien
vêtu-vif

combien de bris de vie qui courent
ras la tranche
à demi vêtus-vifs !

(ubris)

 

 

flanque ta voix dehors

claque entre les pavés
où le sabot gelé trébuche
ton écho d’insomnie

quand ta viande ne pourra plus arquer
te viendra une mouche
brailler tes humeurs frelatées

des gueules de fleurs
figent en suc mortel
la sueur de la nuit

flanque ta voix dehors

(guehors)

 

 

elle est tu
d’une maison tout en paille

sous la grand’nuit d’été à respirer
trois fois les bois huants

prête à brûler quand midi
brandira la sentence

légère adossée contre un semblant
elle est têtue

(fédoss)

 

 

sans appui que l’air
la marche d’un cheval de biais

qu’en foraine idylle on surprendra
l’âme pincée

alors ne pas
dégringoler de l’arçon

revenir à tâtons
au point ferré d’oubli

(dydoubl)

 

 

dans l’antre aux aurochs

si cru de son corps
que dedans le roc
se griffe et récidive
en dix doigts écarlates

l’os pariétal cogne
se fêle et se brise
qu’il sache dedans lui
qui l’a orné de cornes

lui l’aurochs   le chantre

(rocorn)

 

 

au nœud des terres meubles
j’enfonce inexorablement

et loque à loque ruisselantes
défilent les Absentes  les Inouïs
et les Proies de la soif

que ralentisse la mort
couchée dans notre loup !

le bleu des écorces au crépuscule
quitte les bois et hisse aux cimes
une lumière prochaine

être loin de soi
où nuiter !

(rupucim)

 

 

 

revenue du pont suspendu
où l’insecte blanc se lançait dans l’éclair

e d’une poudre d’enfant
à la lisière de son incandescent suaire

un clown vague en sa grime

un vagabond assis par la stupeur

(nefansu)

 

 

— pourquoi tuer cet oiseau si petit ?

— il chantait dans les dunes, il frôlait de ses ailes l’écru du sable

— il n’avait pas le droit d’identifier ton désir de le savoir vivant ?

— son chant n’avait presque plus d’air, ses ailes que l’ombre pour agiter sa fin

— un oiseau t’a tué et tu ne sauras où il t’a échoué

— j’aurai donc dormi tant et tant

— à tire d’aile

(ombaile)

 

 

de ses yeux l’enfant-carbon tire
une colle noire

pâte à souiller les genoux
sculpter l’informe

il passe la nuit au bloc de sa falaise

et tout tombe au fond de soi
enraciné par les cheveux

(olloc)

 

 

on a froid vert
contre la pierre d’église

les fougères tiennent leurs crosses

et les vents de prière
paissent à mi - mots

la tiédeur de nos assassinats

(piross)

 

 

poisse et mouise en besace
tout luit hors du visible champ défécatoire

comment dire pétunia, courroux, mica

courir écervelée là-bas
brouiller sa forme
se perdre au mot

desserrer l’étreinte des joies feintes ?

(poinia)

 

 

un quart d’assise
un demi-ponton
un revers d’équilibre
cent fois la ligne de flottaison
moins la coque

la reine abyssale n’a pas quitté son roc
ni sa robe ôtée   elle pense dessous

invisible soit-elle
morte peut-être

notre hésitation juste
dans l’axe du corps défait un mystère

(ortyst)

 

 

Face
l’empreinte acéphale d’un lézard

Pile
la crête d’un roi

l’Idiot retrouvera une écaille de sa tête
entre ses doigts frotteurs d’écus

il en mourra de rire

(fadio)

 

 

entre les œillères brûlantes
sa tête cogne à sa carcasse

remorque de phrases d’abattoir
qui sonnent à cloche-fêlée

un âne blanc, hi ! la carriole pleine de têtes, han !
traverse la place à grand fracas

« cherche poète à main nue
pour taire un peu tout ça »

(pharriol)




Louise Dupré, Plus haut que les flammes

 

Ton poème a surgi
de l’enfer

un matin où les mots t’avaient trouvée
inerte
au milieu d’une phrase

un enfer d’images
fouillant la poussière
des fourneaux

et les âmes
sans recours
réfugiées sous ton crâne

c’était après ce voyage
dont tu étais revenue

les yeux brûlés vifs
de n’avoir rien vu

rien
sinon des restes

comme on le dit
d’une urne
qu’on expose

le temps de se recueillir
devant quelques pelletées de terre

car la vie reprend
même sur des sols
inhabitables

la vie est la vie

et l’on apprend à placer
Auschwitz ou Birkenau
dans un vers

comme un souffle
insupportable

il ne faut pas que le désespoir
agrandisse les trous
de ton cœur

tu n’es pas seule

à côté de toi
il y a un enfant

qui parfois pleure
de toutes ses larmes

et tu veux le voir
rire
de toutes ses larmes

il faut des rires
pour entreprendre le matin

et tu refais ta joie
telle une gymnastique

en levant la main
vers les branches d’un érable
derrière la fenêtre

où une hirondelle veut faire
le printemps

il y a cet enfant
que tu n’attendais pas

arrivé avec ses bronches
trop étroites
pour retenir la lumière

cet enfant né de la douleur
comme d’une histoire
sans merci

et tu le regardes caresser
un troupeau de nuages
dans un livre en coton

en pensant
aux minuscules vêtements
des enfants d’Auschwitz

à Auschwitz on exterminait
des enfants

qui aimaient caresser
des troupeaux de nuages

leurs petits manteaux, leurs robes
et ce biberon cassé
dans une vitrine

cette pauvre mémoire
à défaut de cercueils

et les visiteurs
en rang serré
sous l’éclairage artificiel

tandis que tu attendais

le corps ployé
comme si le monde tout à coup
s’appuyait sur tes épaules

avec ses biberons cassés

car les enfants d’Auschwitz
étaient des enfants
avec des bouches pour la soif

comme l’enfant
près de toi

sa faim, sa soif
et des promesses que tu tiendrais
à bout de bras

s’il ne s’agissait que de toi

mais ici c’est le monde
et sa folie

puanteur de sang cru
et de chiens lâchés
sur leurs proies

même quand tu refais
ta joie
telle une gymnastique

ou une prière
sans espoir

il y a des prières
pour les femmes
sans espoir

 

 

Montréal, © Éditions du Noroît, 2010
© Éditions Bruno Doucey, 2015  




Nohad Salameh, Le mandala et autres poèmes

 

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

Celle venue d’Orient
escortée de ses phénicies
ses alphabets
et ses dieux d’outre-ciel
arbore la fracture de la terre
et la déchirure de vos regards.

Celle surgie des vergers d’Ève
avec ses oracles
ses nostalgies douloureuses
et la fureur des songes
progresse d’un pas de désert
vers le Centre
où se concentrent
l’exil et la mémoire de la rose.

La voyageuse de minuit
qui pose ses ailes sur vos aubes
toute entière tannée par les couchants
incante en vos sommeils
un chant d’espace
par excès d’errances
et appel d’air.
 

∗∗∗

D’un vol preste de cigogne
je reviens tenir compagnie
à ceux qui dorment, les mains nouées
sous les jardins de l’épouvante.

De transparence en transparence
je patine vers mon halo premier.
Sans fracas
ni brisure
je chute dans la durée paresseuse du sable.

Je m’endors sous la trame des bouvreuils
- tout mon souffle pour lisser la pierre
et je m’écris au hasard sur les lentes parois
d’où se penche le temps.

Revenante
de mer en mer
d’absence en absence
les chevilles ravivées de soleil et d’encens.
J’enjambe pêle-mêle des fortifications
d’absinthe et de ronces
afin de devenir l’épiphanie du retour.

 

∗∗∗

Lorsqu’on a la maladie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pendule qui se remet en marche
remontée par le bec d’un oiseau.
Aussitôt on cesse de déchiffrer les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gommer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

La douleur : notre fruit
plus écarlate que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.

Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa ferveur.

D’autres annonciations viendront
quand se rétrécira le monde
et que retentira l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échappant à nos chairs
tel un feu à l’envers.
 

Présentation de l’auteur




Dominique Hecq : Archive Fever / Mal d’archive et autres poèmes

Archive Fever Making Tracks

the arkhē appears in the nude Jacques Derrida

You are I am a tracker bent crouched close to the page ground looking
for traces and signs that sense you has have passed this way

You sniff sniffing for the scent of absence you
but above all feeling
for the gap in your my life
that wants to fill this page
alone


The air is incandescent


The white page track glows

Emptiness talks back talks back talks back
to the heat that cracks open the world ground


This is a land of surfeit and lack
of hardness and clarity of image
of absence that opens out
or closes up the world
and sometimes the heart

Derrida, J 1998 Archive Fever: A Freudian Impression.
Chicago: University of Chicago Press. Trans Eric Prenowitz, p. 92.

Mal d’archive

l’arkhē apparaît à l’état nu — Jacques Derrida

Traqueur, tête penchée sur la page, yeux avides
de traces et de signes témoins de sens

Tu recherches l’odeur de l’absence
mais par-dessus tout
c’est le vide dans ta vie que tu désires sentir

L’air est incandescent

La page blanche s’embrase

Et le vide se fait l’écho écho écho
de la chaleur qui fracasse le monde

Cette terre d’excès et de manque
d’images à la fois dure et claires
d’absence agrandissant
ou refermant ce monde
et parfois aussi le cœur

Derrida, J 1995 Mal d’archive: Une impression freudienne. Paris: Galilée, p. 98

Hushed

Light pours down
the unrelenting sky
to earth ribbed and ridged
with the tough stroke
of Drysdale’s brush

I track down words
for hues and shades in books
envy the skill of artist-explorers
who forged new ways of seeing

The cries of crows fall

Through blues onto rusty ochres
pulsing with raven dust

This place stills my tongue

Stupeur

La lumière coule à flots
d’un ciel implacable
sur la terre ridée et striée
d’un coup de pinceau
dru à la Drysdale

Je traque des mots voisins
D’ombres et de teintes dans mes lectures
enviant l’adresse des artistes-explorateurs
qui forgèrent de nouvelles façons de voir

Les cris des corbeaux tombent

Au travers de bleus sur des ochres rouillés
palpitant de poussière de jais

Ce pays me coupe la langue

Fire relies on the leaves of gum trees

No sound fits this spectacle No sound
but the hiss of fire bark grass
searing your world into sheer whorls
of alliterations Hallucinations
of words resounding with nothing

Following faultlines a gorge aflame
furrows erased in granite and sandstone
lines of scribble gums forever
receding The gorge
               barring you

Now how could I speak again
when syllables shatter on my page
turning words inside out
when letters hover in the air
like the smell of your burning skin?

We were discussing poetics
on our mobiles How we didn’t need
manuals for wordsmiths
preferred to work words as an end
in itself make a poem fulfilled

in its enaction look inwards
to the materiality of language
on the page and in the mouth
stress the event not the effect
                 You said good bye

And now I dream that you flit
out of my skin your voice
lettering me Poetic enjoyment
perhaps as if to resist
the etiolation of language

Don’t put individual utterances on show
you say Perform their moves
of repetition re-use reiteration
             show your reader the absurd
desire to contain ( )

For here is the gum and its inferno remains
the grave among blistered roots
the mouthless earth lulling one to leave

                  If it could speak it would say
here is the silence here is the question

Le feu s’élève des feuilles d’eucalyptus

Aucun son ne rend compte de ce spectacle Aucun son
hormis ce sifflement feu écorce herbe
donnent de ce monde la brûlure le tourbillonnement pur
des allitérations Hallucination
des mots qui résonnent de rien

Suivant les fissures une gorge enflammée
creuse secrète le granit le grès
avale des lignes d’eucalyptus
à jamais Cette gorge
qui te nie

Comment réapprendre à parler
quand les syllabes se fracassent sur ma page
mettent les mots sens dessus dessous
quand les lettres flottent dans l’air
comme l’odeur de ta peau qui brûle ?

Nous parlions poésie
sur nos portables Comme nous n’avions nul besoin
de manuels pour faiseurs de phrases
et préférions le travail des mots comme fin
en soi accomplir le poème

son passage à l’acte pénétrer
la matérialité de la langue
sur la page dans la bouche
privilégier l’événement non l’effet
                 Tu m’as dit au revoir

Et maintenant je rêve que tu m’échappes
que tu quittes ma peau ta voix
gravée en moi Jouissance poétique
peut-être comme pour résister
à ce qui s’étiole dans la langue

Ne te mets pas en scène
dis-tu Joue de ce qui se déplace
dans la répétition le réemploi la réitération
                  montre à ton lecteur l’absurde
désir de maîtriser ( )

Car voici l’eucalyptus et sa dépouille infernale :
tombeau parmi les racines boursouflées
terre sans bouche qui nous invite à la quitter

                  Si elle pouvait parler elle dirait
voici le silence voici la question

Catch

Smell the rain on the breeze
down at the river mouth
where fishermen stand
in the swirl of incoming waters
Feel the first drops on your skin
where the mystery of the ocean
draws away from salt spray
and the chill of the west wind
Ribbons of kelp sway in the deep
Refracted light dapples your face
as the child comes up for air
Your hands, useless
against the sky
Arms, broken wings
skeleton dust
Osprey kestrel tern skua shearwater sandpiper swift

Pêche

Hume la pluie dans la brise
à l’embouchure du fleuve
là où les pêcheurs se tiennent
dans le remous de la marée montante
sens comme les premières gouttes sont douces
là où le mystère de l’océan
se retire des embruns salins
comme le vent d’ouest est frais
Des rubans de varech s’enroulent dans l’eau profonde
Des taches de lumière miroitent sur ton visage
quand l’enfant fait surface
Tes mains, inutiles
contre le ciel
Bras, ailes cassées
poudre d’épave

Paul Klee on the beach

Yellow major swells and heaves
beneath abstracted skies where
angels float across the horizon
casting shadows in the foreground
between you and the sea afire
Textures ebb and flow, ebb and flow
exposing scoured and scarred surfaces
as if time had scraped the body
of the world clean, leaving
filaments of salt in the cracks
You can feel the white hot thing
moulding itself into shape, thrusting
its arms and legs into the corners
of the dissolving canvas, glazing
your eyes and the sand in your soul

Paul Klee à la plage

Crescendo de jaune majeur
sous des cieux abstraits là où
des angles flottent ver l’horizon
insérant leurs ombres au premier plan
entre ta silhouette et la mer embrasée
Le flux et le reflux des textures
expose des surfaces raclées et mutilées
comme si le temps avait récuré le corps
du monde à mort, abandonnant
des filaments de sel dans les cicatrices
On sent la chose chauffée à blanc
se mouler en une figure, fourrant
ses bras et ses jambes dans les coins
de la toile qui fond, vitrifiant
tes yeux et ton âme ensablée

Les poèmes ci-dessus sont extraits de Tracks (inédit).

Excepté "Le feu s’élève des feuilles d’eucalyptus", dont la version française est de Claude Held, les traductions des textes rédigés en anglais sont de l’auteure.

Les poèmes suivants ont été publiés auparavant :

  • 2016 — Archive Fever, In S. Holland-Batt, The Best Australian Poems. Melbourne: Black Inc., p. 88.
  • 2015 — Archive Fever, Axon.
  • 2015 — Mal d’archive, La Traductière, Revue internationale de poésie et art visuel, 33, 121.
  • 2008 — Fire relies on the leaves of gum trees / Le feu s' élève des feuilles d'eucalyptus. La Traductière: Revue Franco-Anglaise de poésie et art visuel, 26(June), 96 - 97.

Présentation de l’auteur




Isabelle Lévesque, Tout Oracle

Or se levait sur la branche
la feuille irisée en même soleil : s’assoupir
bercé des nues. Les ramures orientaient
le secours du jour.

Nos pieds mesurés dansaient sur la mousse et l’écorce,
le pli d’une résistance. Tout
à l’arbre rapporté. La toise offre une ombre
ou un repos de mémoire (l’abri des feuilles).

Tes mains retournaient les graines.
Je craignais la vie : répandre sur le sol l’attente.
Fine couche et, légère, la dispersion du chant.
Une voix sereine pour les mots de l’or
levés en mouvement pareil.

Lire sur tes lèvres. Un espoir
s’arrête sur nos pas, craquent les feuilles
(l’hiver dernier, sédiment).
Te regarder.
Accroche hier en souffle.

Le poème ne fut
qu’un retour – le repère ?

J’attends blottie le pur essor des ailes.
Quelques feuilles caduques affrontent le vent
avant la chute des mots infimes. Assourdis,
dernier rebond.

Disparaître. Un murmure.
Nos certitudes offrent une issue : au printemps
l’or retient son souffle pour écrire l’été.

Retour à naître.

Nos pas soulèvent les feuilles.
Même et toujours, depuis l’orée. À finir,
une branche
silencieuse.

Le jour vient : plus une écharde au ciel.
Le souffle des saisons porte la nouvelle :
semence de lumière.
Plus une ombre à courir, ronde et surface,
la glace fond. La transparence, plus à prouver.
Tout oracle.

C’est l’été, son règne éternel.
Sur mes doigts, j’épelle tes couleurs.
Nous apprenons, murmure savant,
l’orthographe des tables d’argile :
une fois le jour, ajout.

 

Présentation de l’auteur




Claudine Bertrand, La poésie s’abreuve

la poésie s’abreuve
à la cruche trouée
en gouttelettes de vie
chaque seconde

vie et mort toujours
sur le même sentier
collant à chaque pas
comme sable aux semelles

les peaux saignent
sur terre orange brûlé
ne respirant plus
entre chair et air

un vieillard tire sa révérence
c’est une bibliothèque
qui disparaît de l’humanité
de toutes mémoires

chacun ses musiques
ses temps primitifs
odes abandonnées
pulsation de la marche

faire le guet
sur la potence
révélation des sages
offrant certains mots

qu’on laisse sécher
deux jours deux nuits
s’il sont encore là
d’autres mots se déposent
pour un nouveau poème

confronté
à l’arbre fétiche
l’écrivain enfante
de grands bouleversements

Extrait de Émoi Afrique (s), Éditions Henry, 2017.

 

 

Présentation de l’auteur




Claire Legat, Promenoir des déracinés

Aura papillon

 

par delà les haies de cris

il y a

en pure perte

la voix du paysage

 en marge de nos gestes

se déjoue 

l’équation du temps 

 

m’apprendras-tu

 

la pyramide fraîche de l’aube 

et

ta présence

hors des phalanges secrètes

de l’eau

  

que je sois

fleur

encore

 pour que tu me

respires

∗∗

Autant que le grain

 

autant que le grain de sable
le caillou  le rocher
violentés
sans avoir eu l'octroi du temps

   j'ai charge 
de
commencements 

une enfance
affleure à nouveau les quais

presqu'île
en
partance 

réinvestie dans l'oeil initial

   je m'affranchis
 d’un recel 

    dans la filiation
des
silences

∗∗

entre la veille

entre la veille
et
le sommeil
dans l'intimité de l'itinérance
mes doigts auraient tressé
ce
berceau vivant
style malle de voyage
prête à appareiller sur mon vaisseau d'osier
j'aurais négocié ce que l'un et l'autre
pouvaient m'offrir
ou me laisser en gage
le cyclone
son oeil
la pluie sa perle
le scolyte ses galeries rayonnantes
le rouge-gorge son carnet de rendez-vous
le martin-pêcheur
l'exclusivité d'un bleu intemporel

    qui parle d'héritage
j'ai reçu j'ai rendu j'ai donné mes baies
aux passereaux
mes noisettes aux écureuils
ma chair et mon sang à mon enfant

en son temps
dans la mise au monde
j'ai revendiqué 

ma douleur de femme
mon bonheur

∗∗

et

cette
conque

 hier propice à l'élection du silence

 cette conque
paupière
d'île

palpite le désir

convergent les mythologies

 cette conque

se répondent les échos à naître

se font et se défont les noeuds de l'extase

 escale
permanence de l'impermanence

des
gestes
s'achèvent
d'autres
recommencent

 sans discontinuer

 la chorégraphie de la solennité

∗∗

éventail
angle vivant

    ondoiement du souffle 

   transe
  du
  corail 

    stridence de l'offrande
     virginale
      diaphanéité 

       m'atteler
      à l'avant-dernière     

    larme

∗∗

piège
stratagème

 cri
dérouté à l'infini

 en hachures
exfoliées

 en écheveaux d'énigmes
à
la
dérive
en réconciliations
existentielles

témoins
l'arbre
le rocher
scarifiés par solidarité

comme pour ceindre malgré elles
les constellations
rebelles

∗∗

la fontaine
proche ou lointaine
n'a rien à envier
au
cerisier

  monologue sans voix

   chacun
est
offrande
chacune a sa neige
et moi
au coeur de la déferlante
avant-dernier rempart de l'absurde
des termitières
des
cimetières
j'attends l'inventaire des êtres
le répertoire
des
roselières

     au pied du volcan

       statuaire en instance d'inspiration
   je transcode
  les scories du futur

 clé
      pour la mise en abyme

∗∗

la gifle  la griffe  l'étreinte

défieront-elles 

la patience à toute épreuve

du poème à naître

et sa chance rendue au coquillage

 de s'éveiller 

bourgeon  lèvre  étoile

émergence

de

 l'absolu

∗∗

la ride en fleur
sur
ton
visage

 onde
fragrance
restée
en
transparence

  avec ce qui est
ce qui existe
ce qui se crée
dans
l'irréalité émergée 

    la ride en fleur
   au coin de l'oeil
a-t-elle
séduit
le
bouvreuil

∗∗

mieux que nous
leurs ailes
réconcilient nos trajectoires 

ils ne feront de nid
dans la blessure
ni
à la fourche
où rosit entrouverte la boutonnière
de
l'abandon

ordre désordre
peu importe 

tant que je frémis sous l'écorce
que je me coule dans l'incision de l'éclair

 que je me décline de siècles
en
décennies
de secondes en miettes
d'
agonie 

au risque de devenir
insolvable

∗∗

hors pistes 

il m'incombe de rester
passerelle
crédible
vers
l'incréé

 il m'incombe de vibrer encore 

quand
la beauté me taraude
me
fracasse
jusqu'à la moelle

me 
trahit
pour la magie de la plus belle eau

essor de serpents

grelots

c'est ainsi que des coquelicots
ont poussé
dans mon coeur

∗∗

irisée par la caresse
sertie
dans mes vrilles
promise
à
l'univers révélé

je revisite la partition de l'infini

moi
et
moi

mon souffle accordé aux claviers du vent
mon double
anticipé dans le futur du passé
ma châsse de miroirs impactés par les printemps
d'exil
incandescents

 moi et moi
tous feux éteints
à la fracture de l'humain

à mains nues

mon escalade en solitaire

vers

les années-lumière

 

∗∗

glaciers blancs devenus bleus
au clair de
l'onde 

me reconnaîtrez-vous
quand j'orchestrerai la poussière
et
les
transes
jusqu'à la tendresse
infinitésimale

serez-vous au pied de la lettre
pour exacerber
ma nudité
et
styliser mes absences

demeurerons-nous
l'âme ratissée jusqu'à l'os

écueils  ressacs  récifs 

angle mort
s'il en est

témoins et acteurs
du
génie de la vie

∗∗

ferveur
ma richesse
hors d'atteinte
dans ma racine extrême

autour de moi
à travers
moi
des doigts de saules transitent
pour arborer l'au-delà

survivre
surmourir

 avec ou sans toi les sources
s'
émeuvent 

le ciel palpite sans preuve

or
le champ de blés
qui  rêve  d'oiseaux
contestera
bientôt
la
souffrance
du
pain

∗∗

I

il se peut que par pur hasard
on découvre
sous l'écorce rosée
d'un
bouleau complice
la nostalgie de mon premier
sourire
ma cicatrice d'humanité

n'en déplaise au vent
passeur
non identifié

n'en déplaise à la pluie
qui
redistribue jusqu'à nos larmes
qui
abolit
dans la clandestinité
les fermetures
à
glissière
de l'être et de la chose 

avec
cette élégance baroque
de ne jamais noyer
l'
espoir

∗∗

I

implacable 

le puits des puits 

 

chute libre

 

vers les abysses
 les corridors
en
anneaux

  les mosaïques
de
cristaux 

jusqu'au tréfonds 


un sanglot
ferait
déborder
la
mer

 

∗∗

I N T I M I T E    D E    L  '  E X T R E M E

souffles
harmonie du chaos
poser mon front plus haut ou plus bas que l'horizon
faire comme si le hasard existait
ou
n'existait pas
désirer
la part équitable de la pluie 

VERROU  GEANT
A TIRER SUR L'ENVERS DU
MONDE 

à l'instant où je m'effrite dans le chas de l'aiguille
un arbre me traverse
dans l'aube
qui
s'ignore

si j'ose
je revendiquerai les stigmates
de l'extrême
la
syllabe égarée
archivée pour la postérité

quelles cimes rehausser pour échapper aux cendres
par quelle ride
remonter
jusqu'à la trace
de
mon
sillage

 quel silence soutenir
pour que le sacrifice des uns
bénéficie
ou
pas
aux autres

VERROU GEANT A TIRER SUR L'ENVERS DU MONDE

 

parée de mon collier de bourgeons de chair
et
de braises
je m'abandonnerai jusqu'au flirt initial
à genoux
dans la fragrance des citronniers
feuilles fleurs
fibulées en bracelets
à mes chevilles
à
mes
poignets

trousseaux de clous
balisant le périple

aimanté
de nos pas recomposés

 me hisser jusqu'aux créneaux
d'écoute
jusqu'à la signature sonore des étoiles
prisonnières
du
vide

MON EXISTENCE

au nombre des constellations
des citadelles des cathédrales des exoplanètes
au nombre des cités des îles des demeures
aériennes
mon existence signifiée
par ma toute première goutte de sang
en résonance
au tout premier pas du tout premier enfant 

gerbes d'oiseaux
échappés de nos  chevelures
des
tombeaux 

VERROU A TROUS FRONTIERES VITRAIL EN MIROIR

 

∗∗

L'ETERNEL ADIEU 

un matin nous nous retrouvons bouche à bouche
dans l'asphalte
le coeur noué d'algues et de mésanges
une main écarte nos paupières
nos bras d'écume portent le poids du ciel
l'haleine de l'aube traverse
nos
visages
nous sommes nus
 lianes
vrilles de verre

apprivoisées
dans la fusion de nos veines
en filigrane dans la geste d'éveil
en
    métamorphose
des
moissons
d'
amour
transfusion d'encres
sous les grilles
d'où pleuvent
les
soifs
     paraphes de nos
    blessures

           dans l'immanence du retour
         dans la vitesse inversée de chaque élément
        l'éternité à reculons
        aurai-je intégré mon temps
         celui d'après-demain
           avons-nous prévu une seconde de réserve pour l'éternel adieu 

tu précèdes tes
enfances

en grappes autour de ton double
en archipels dans l'empreinte
fluide
de cette nuit
à l'intérieur de la nuit
ne te retourne pas sur les pointillés
d'amour

tu viens de naître parmi les matins bien rangés
d'un sursaut de la terre en charpie

d'une hémorragie d'alphabets
de hoquets primitifs
tu entames
la symphonie sans voix des étoiles muettes
dans notre ciel
souffle d'un silence cadenassé
en
mailles de chair
te voici riche
de réponses sans  questions
en décalage de ton ombre
dans la vallée d'aurore
l'état d'urgence
vers
l'
escale
de tes yeux
en confinement sous la chape de cristal
où le pied musical de la gitane
épelle
le cri des héros
où l'inflorescence du jour
est devancée par le reste du monde

Présentation de l’auteur




Michèle Finck, Suite

1

 

 A Billie Holiday

 

 

Voix noire    serre le gosier.    Serrre.
Ô Harlem    Harlem    Harlem !
Voix noire    croque la pomme.    Croque
La pomme    jusqu’au trognon.    Crie l’amour
Jusqu’au râle.    Âcre.    Jazz pour pas crever

2

 

 À la patience

 

 

Mais nous boitons    de la langue.
Langue maternelle :    la musique.
Langue paternelle :    le mutisme.

Notre miroir :    la poussière.

En rêve    nous cherchons un tableau
Peint     à la salive     de phénix.

Nous nous ébrouons    de mémoire.

Nous nous immolons    par la patience
Car patience    est ce qui reste de feu.

Nous allons seuls    avec sur la langue le sel
Éternel    des  larmes    de nos morts.

3

 

À une fraternité silencieuse

 

 

À la terrasse chuintante    des Deux Magots
Regarder    les nuages    s’effilocher

Au-dessus du clocher pointu    en vol
De l’église Saint - Germain - des - Prés

Regarder    les visages des passants   virevolter
Respirer   l’odeur   de leur détresse

( « Chaalie Hebdo !    Chaalie Hebdo ! »
Hulule    le vendeur de journaux)

Inhaler    les larmes    invisibles    de tous
Par les cicatrices    grandes    ouvertes      

Des mots    qui crient    dans l’os.

Ça gicle.   La vie.   La poésie.

4

À la résistance

 

 

À Anna Politkovskaïa .    Profession :
Journaliste.    Vocation :     vérité.
Cadavre    découvert dans la cage d’escalier
Pistolet     et quatre balles    aux côtés.
Vocation :     vérité.
À sa tombe    couverte de neige et de silence.
À sa langue    coupée.    A sa langue
Dans ma bouche.    Vocation :     vérité.
Aux langues de tous.    Dans sa bouche.    Dans la mienne.
À Anna.    « Muse des pleurs, la plus belle des muses ».
Et moi pouvant à peine marcher.    Marchant vers elle.
Marchant vers elle    pour des millénaires.
Marchant sans jambes    elle et moi    vers la lumière.
Assassinée    le sept octobre 2006    à Moscou.
A-t-elle eu le temps  de respirer    la dernière rose d’été ?
« La poésie c’est un bruit de glaçons écrasés, un sifflement ».
À Anna Politkovskaïa.    Vocation :     vérité.
Aux larmes de tous. Dans le bûcher lucide de son œil. Dans le mien.
En vers et contre tout.
Poésie :    Résistance.

5

 

À l’obstination

 

 

Poésie :
Obstination.

Ça    insiste    en moi.
Par   l’âpre   des larmes.
Quoi ?    Une voix.

Exposée.    Obsessionnelle.

Plus  vie        oppressante
Plus    poésie       obstinée.

Os    sur le qui-vive.
Urgence
Hurlée.

Obstination

Que rien    n’apaisera.
Même    la mort.

Écrire
Encore
               Morte.

Présentation de l’auteur




Marie-Noëlle Agniau, Nuit. Tombe. Sur. Univers

Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Jardin. Flux. Mécanique. Eau. Flux. Cascade. Soleil. Incessant. Chaleur. Épaules. Genoux. Pastilles. Jaune. Yeux. Pouces. Yeux. Feu. Trèfles. Bleu. Mouches. Vent. Là. Herbe. Tremblement. Léger. Gramme. Or. Creux. Main. Jardin. Flux. Mécanique. Incessant. Fort. Incessant. Faible. Cris. Chien. Enfants. Eau. Torrent. Véhicules. Lents. Véhicules. Vite. Flux. Cascade. Fleuve. Mécanique. Herbes. Couchées. Vent. Grand. Nuit. Tuiles. Feu. Herbes. Pli. Force. Courbe. Terre. Peur. Enfants. Fenêtre. Nuit. Pli. Bruit. Chien. Cris. Peur. Bleu. Nuit. Éclair. Éclair. Éclair. Image. Nuit. Vent. Feuilles. Courbe. Casse. Flux. Fluide. Mécanique. Eau. Soleil. Pluie. Chaleur. Poids. Chaise. Corps. Longue. Nuit. Courbe. Torrent. Boue. Feuilles. Vol. Claque. Porte. Panique. Fort. Faible. Jour. Tombe. Blé. Vert. Long. Mer. Roule. Vent. Courbe. Sol. Haut. Couché. Yeux. Eau. Flux. Tonnerre. Éclair. Bruit. Vent. Herbe. Roule. Mer. Vagues. Herbe. Yeux. Orage. Fenêtre. Casse. Vent. Gouffre. Sol. Herbes. Trèfles. Mouches. Bleu. Pouces. Yeux. Jaune. Soleil. Voir. Air. Vent. Peau. Chaude. Lourde. Chaise. Corps. Descendre. Herbes. Trèfles. Terre. Sol. Verre. Eau. Claire. Main. Fraîche. Vitre. Orage. Fenêtre. Cris. Question. Porte. Claque. Eau. Trèfles. Verre. Mouches. Air. Ombre. Yeux. Mouches. Air. Soleil. Chaud. Coton. Terre. Fleurs. Fraîches. Ombre. Acacia. Feuilles. Trous. Maximum. Air. Soleil. Ombre. Avance. Frais. Sombre. Épaule. Froid. Frisson. Nuit. Orage. Vite. Fenêtre. Pluie. Ouverte. Pluie. Fraîche. Sol. Herbes. Terre. Ombre. Vent. Feuilles. Jardin. Flux. Mécanique. Arbre. Feuilles. Ombre. Parasol. Trou. Visage. Chaud. Tête. Cheveux. Sentir. Bon. Eau. Flux. Gorge. Cascade. Eau. Sentir. Flux. Blé. Roule. Herbes. Hautes. Prairie. Grande. Herbes. Hautes. Maximum. Toi. Taille. Elles. Herbes. Hautes. Courbe. Casse. Herbes. Fleurs. Trèfles. Eau. Flux. Pollen. Yeux. Gloire. Ombre. Goutte. Eau. Pli. Yeux. Sérum. Nu. Mains. Flux. Incessant. Fort. Faible. Moins. Peu. Nul. Rien. Sol. Trèfles. Chaise. Longue. Peur. Corps. Remise. Tôle. Froid. Pluie. Vent. Tempête. Pluie. Eau. Bleu. Vert. Soudain. Nuit. Air. Électrique. Masse. Eau. Herbe. Verte. Nuit. Bleu. Blanc. Colline. Eau. Nuit. Tuile. Bruit. Toux. Poussière. Nul. Toux. Herbes. Bêtes. Plumes. Nid. Corps. Peur. Peuple. Nuit. Herbes. Casse. Vent. Clair. Frais. Nuit. Genoux. Eau. Flux. Cascade. Pré. Bêtes. Gros. Grasse. Herbe. Lait. Âge. Rouge. Blé. Nuit. Vent. Beau. Loin. Fort. Herbes. Hautes. Corps. Dedans. Feuilles. Carré. Ivoire. Boutons. Yeux. Pollen. Rouge. Creux. Parfum. Yeux. Terrible. Sol. Feu. Pré. Herbe. Grasse. Nuit. Vent. Soleil. Tombe. Nous. Corps. Ombre. Chair. Seule. Jour. Nuit. Terre. Seule. Ombre. Chaleur. Yeux. Main. Pluie. Lourde. Vent. Casse. Herbes. Tôle. Feuilles. Branches. Nid. Trèfles. Blé. Vert. Haute. Herbe. Rose. Pétales. Rouge. Noir. Nuit. Non. Eau. Bleu. Courbe. Brille. Vent. Noir. Dedans. Nuit. Clair. Fort. Seul. Flux. Grand. Ivre. Peur. Sel. Noir. Yeux. Nuit. Jardin. Flux. Soleil. Corps. Nul. Nuage. Sombre. Blanc. Oiseau. Haut. Meule. Chaud. Chaleur. Soleil. Roule. Corps. Sieste. Boule. Meule. Rien. Nuit. Jour. Herbe. Sel. Eau. Tremble. Tête. Front. Yeux. Bleu. Eau. Coule. Joues. Jardin. Flux. Mécanique. Juste. Nuit. Tombe. Sur. Univers. Clair.

 

Du sol vivant a surgi …

 

    1

 

Du sol vivant a surgi le doublon de l’homme et du poisson. La cordée d’une pêche miraculeuse. Loin la mer derrière la plage immense. Le pain par les miettes avance tout de suite. On tient le chapeau en papier volatile. Lui le grand innocent. Du sol vivant a surgi la ronde tambour et le cri droit – hélas, la perspective est close. Hauteur dont les genoux cognent. Ils marchent à l’abri du temps dans un linge usé et cette œuvre inédite ravale la face de Dieu. Ils avancent, un filet d’or sur l’envers. La nuque est tranquille avec son collier de vents. Du sol vivant a surgi la courbe d’un dos. Le poids de l’être. Le cuir d’un poisson. Ils n’ont pas eu peur de s’accoupler en ouvrant grand la bouche. Du sol vivant a surgi l’huile – le pigment pour écrire – la couronne et l’assise : rouge sang. Un bébé de neuf jours. Son crâne est mou comme une éponge. Les souvenirs s’agglutinent et perçoivent l’orée du fond.

 

               2

 

En marchant avec toi qui marches lent. Non loin de la verdure, l’avant-dernier jour d’un nom. On rajoute à minuit ce qu’il faut de secondes – la masse lourde d’une Terre surchargée d’elle-même. Témoin : la vie muette.

Dites – quelle forme avons-nous ? Un corps semé de particules luminescentes. Nous voyons trouble. Que voyons-nous ? La patte d’un insecte soudain fractionné. Est-ce une seconde ? Peut-être moins ? Lichen de feu ? Dès qu’on y pense. Quel est ce corps qui happe les collisions ? Un sentiment dans l’être humain.

                        3

 

Et les méduses changent de couleur.

Est-ce que ça flotte les billes ?

 

Est-ce que ça flotte les billes ? Se demande celui qui regarde à travers comme on cherche à voir l’entrechoc des mondes. Est-ce que ça flotte avec la lumière et son tilt indéchiffrable ? Est-ce que ça flotte les billes dans l’eau claire d’une rivière ? Dans la main de l’enfant qui joue à Jonas saisissant la baleine ? Est-ce que ça flotte comme une feuille ? Comme la lotte ? Est-ce que ça flotte comme le sens ? La répétition des leçons ? Est-ce que ça flotte comme le mime qui balaie tout langage ? Ou bien l’ombre qu’on bouge pour s’éloigner de soi ? Se rapprocher ? Est-ce que ça flotte ? Comme les noms que ça porte ? Les agates ? Les araignées ? Les tornades ? Les dragons ? Est-ce que ça flotte depuis longtemps ? Depuis toujours ? Depuis qu’on joue ? La première roue ? Est-ce que ça flotte dans les parois ? Avec quelle main ? Est-ce que ça flotte avant de couler ? Combien de temps ? Peut-on le voir ? L’instant d’avant ? Avant de couler ? Est-ce que ça flotte ? De quelle couleur ? Faudrait-il un filet ? Pour les garder ? De couler plus bas ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on partage en deux tas ? Est-ce que ça flotte comme la nef qui sauve Hélène ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on jette en colère ? Est-ce que ça flotte les billes qu’on n’a pas ? Qu’on a perdues ? Qu’on palme entre ses doigts ? Pour nager avec ? Est-ce que ça flotte les billes en terre cuite ? Qui ne cessent pas – jamais – de jouer. Est-ce que ça flotte ? Comme une toupie ? Multicolore.

 

Marelle

 

De la terre jusqu’au ciel, marelle, rien ne défait le jeu noir ni la nuit ni le vent. Les enfants ont grimpé à cloche-pied sur le sol. Sont tombés plusieurs fois en jetant les cailloux. Fallait-il ou non mordre la ligne ?

Tu n’es pas rentré alors que j’avais un récit à te faire. Celui de ma journée – désormais en souffrance. Tu vois, il y avait des abeilles ou peut-être des guêpes dans un crâne de chien. Le nid était sûr. S’agitait furieusement à l’approche des enfants. Au Muséum d’Histoire Naturelle, une jeune fille dont j’ai su le prénom, disait d’un ton décidé à son petit ami que les dinosaures – non vraiment – n’ont pas pu exister. Il n’y avait pas d’hommes alors et les hommes ont tout inventé. En plus, les squelettes sont des faux et comme la verrière est cassée, il pleut sur les os. Moi, je préfère les bocaux avec les fœtus. La leçon de vocabulaire fut atroce. On installait un cirque d’hiver pour les animaux. Dans les grandes villes, on cherchait de quoi manger. S’achetaient parfois des grillons et des fourmis grillées à l’épicerie fine. Il y eut un incendie au moment des travaux : une étincelle, des grésillements, un feu de prise et puis de l’eau. On jouait à trap-trap dans les écoles. Un coup de vent a fait chuter les marronniers et sous les coquilles d’œuf brisées – une paire de chaussons taille 28. Le sang fuse dans mes petites artères. Partout la paille brûlait et des humains coulaient au fond des mers depuis le canoë. Ailleurs, de gentilles personnes s’occupaient des ancêtres à les faire manger et boire, les langer comme des bébés et leur parler comme aux braves bêtes. J’avais perdu mon doudou dans les rayons d’un grand magasin. Le temps était maussade : il fallut remettre à la maison le ronron du chauffage au fuel et comme toujours en ce début d’automne, on s’étonnait à l’avance de voir les décorations de Noël accrochées aux fenêtres. Mais qui peut hâter les jours ? Au fond d’une cour – un jeune homme eut l’œil perforé par un morceau de verre. Les raisons de l’attaque sont restées troubles avant d’apparaître comme une histoire de cœur. On ramasse à la pelle des insectes tout secs, un bout d’aile de papillon jauni par le manque d’oxygène. Le démantèlement des centrales nucléaires terminait à peine. Des êtres hybrides poussaient leurs cellules. De jeunes cancers couraient partout. À l’hôpital, le plus ancien organisait les courses de bolide. Dans les couloirs, le jeu du requin faisait des ravages avec la taie d’oreiller. Sur un fil à linge, les cintres tintinnabulaient comme les ô ma d’un catamaran. En un mot, fallait dire, l’orthographe s’effondrait. Dans mes cahiers d’école, tous les émoticônes pleuraient. On installait au bord des routes des groupes électrogènes. Un bleu de ciel kilowatté. Je n’ai pas vu Didi tomber de la voiture. Les gens ne savent plus lire et rêvent pourtant des anneaux de Saturne. En chemin, les cinémas montraient la plus belle des fictions : la guerre rendait les armes et les morts se relevaient au jardin d’éden. La lampe solaire du colibri vibrait la nuit toutes les 5 secondes. Il y avait des graffitis sur la table, gravés peut-être au compas. Des écritures obscènes ta race ! Les enfants avec des bouts de bois fabriquaient des ponts. Pimpon. Pimpon. La bibliothèque bruyante disait 1, 2, le vol de livres n’est pas autorisé. Les ondes harmoniques cherchaient des portes dans les ordinateurs et la suprématie quantique. Le tambour des machines tournait très vite et la douleur est un circuit supraconducteur, logique ! Des conflits militaires agitaient toujours la même bande de terre. Entre deux raids, les mamans lavaient les enfants dans une jolie bassine. L’eau n’était pas bien comestible et des poupées à la tête coupée regardaient le ciel. Nul ici ne se connait. Ce sont d’autres enfants que les mères nettoient. Et d’autres mères que les enfants enlacent. Au passage à niveau, j’hésitais entre vertige et rouge phare. Dans le train, paraît-il, une grande sœur consolait son petit frère de la longueur du voyage. J’avais dans mes oreilles le bruit du IPod. Les oiseaux n’existaient même pas. Les hommes se partageaient le souvenir de la Terre à travers des tablettes. La poussière collait aux écrans et la pulpe des doigts. Un bébé naissait sans visage mais les jeunes aiment bien faire de la glisse urbaine et descendre en vitesse les éléments du skate-park. Mon sac à dos pesait lourd et les affaires d’école. J’eus même l’idée de peser chaque mot mais seules les choses ont un poids : mystère et boule de gomme.

Présentation de l’auteur