Margutte, non rivista di poesia on line

photo : Rinuccia Marabotto 

Malgré le titre, le nom des Rédacteurs, Gabriella Mongardi, Silvia Pio, et la ville d'origine (Mondovi), la revue "Margutte" accueille des textes en français, anglais, espagnol, et allemand. Elle est née comme un site ouvert à toutes les formes d'expression artistique, aussi bien les plus classiques comme la littérature, la musique, le théâtre et les arts visuels, que les arts plus modernes comme le cinéma, la bande dessinée et les jeux vidéo. Elle  s'ouvre au plus haut point aux contenus d'autres zones géographiques, avec l'ambition de devenir un moyen, à sa petite manière, d'élargir au maximum les horizons.  

Le site peut prévoir, à la fois la présentation d'œuvres originales et d'articles de critique et d'analyse des différentes formes d'art elles-mêmes, avec une attention particulière portée aux formes artistiques-littéraires expérimentales privilégiées par l'outil numérique. La revue annonce également que dans la mesure du possible, les meilleurs contenus de Margutte seront transposés sous forme papier dans une publication à caractère épisodique. 

Pourquoi "Margutte" comme titre d'une revue en ligne?

 

Margutte est un géant nain, écuyer de la "Morgante" de Luigi Pulci, un écrivain du cercle des Médicis, qui a composé l'œuvre en 1478 et a commencé avec elle la tradition de la Renaissance italienne du poème héroïque-comique.  Margutte est au service du paladin par excellence, Orlando – notre Roland. Les deux recueils où il apparaît, imprimés à l'époque aussi indépendamment, probablement sous forme de feuilles volantes, prennent le nom de "Marguttino".

La référence à la figure de "Margutte" se veut une référence aux valeurs de la Renaissance telles que la centralité de l'homme et l'aspiration à l'utopie sous ses diverses formes hautes et basses, entre la Nouvelle Atlantide et la terre de Cuccagna, d'Erewhon à la contre-culture sous ses diverses formes. "Margutte" est née à Mondovì; un centre apparemment mineur, mais qui avait une noble tradition dans l'art de l'imprimerie à la Renaissance, à l'origine de l'une des premières (sinon la première) traditions du livre illustré typographique. L'un des pôles de cette « autre » Renaissance à valoriser et à redécouvrir, enquêtant sur une tradition de contre-culture. Et en s'ouvrant largement aux contenus d'autres zones géographiques, pour devenir un moyen, à sa petite manière, d'élargir au maximum les horizons.

Logo conçu par Damiano Gentili

Le site est divisé en rubriques : 

La valise d'Hermès, sous l'égide de ce dieu, est une partie consacrée aux essais et à la critique littéraire soulignant inspection approfondie d'un texte, sans parler de l'importance de l'hermétisme dans la littérature italienne. 

La voix de Calliopée présente la poésie, le règne de Clio  les récits, le pentagramme d'Orphée est dédié à la musique, et les chambres de Chronos à l'histoire et l'utopie.En particulier, Margutte veut s'intéresser au domaine de l'utopie, de son épanouissement de la Renaissance au débat contemporain. En cela, Cronos évoque aussi les "Royaumes de Saturne", son pendant latin, que les Romains voulaient être le maître d'un âge d'or dont ils attendaient avec impatience le retour. 

On trouve l'art, le théâtre, le cinéma ; la BD, les jeux vidéos... dans l'ambroisie de Dyonisos, les textes expérimentaux et les récits de voyage dans  Les distractions platoniciennes , titre paradoxal dont la rédaction explique le choix  :  

« pourquoi « platonicien » ? En partie, avec un peu d'ironie, c'est vrai pour « utopique », … l'utopie est une caractéristique importante de Margutte. Mais, bien sûr, la référence à Platon est une référence que nous avons voulu inclure comme référence au Monde des Idées, cet espace virtuel hyperuranien que, d'une certaine manière, le web est en train de réaliser. 

Enfin, La vitrine de Margutte , née en 2018, la rubrique accueille chaque mois un article sélectionné par la rédaction parmi ceux déjà publiés, pour lui redonner de la visibilité,  « non concorso », inaugurée en 2020, rassemble les différentes éditions annuelles du "Non-concours" et « progetto Alberro » est l'espace destiné à accueillir tous les articles de l'"Arbre à Projets" publiés à partir de 2017. 

Vivante, variée, ouverte et accueillante , Recours au poème ne peut qu'inciter ses lecteurs à visiter les pages de cette revue, et d'y participer !




Poesia Revelada, revue nomade

"La Poésie s’est endormie dans les livres, les bibliothèques, les librairies, les universités,... Aujourd’hui si un livre de Poésie se vend ne s’agit-t-il pas d’une sorte de petit miracle !?"

Ce sont les mots qui introduisent la présentation de cette revue, qui souhaite "être une des vitrines de ce que peut devenir la Poésie au-delà des livres, des codifications et autres codificateurs, de certains langages poétiques parfois incompréhensibles, de montrer combien la Poésie se révèle quand elle se marie avec les voix des poètes, des images, des musiques, combien elle redevient alors parole fraîche, libre et conviviale."

Faire vivre, entendre, bouger presque comme le bruit du vent dans les feuilles de tous les arbres que nous sommes un peu, appelés ici à nous réunir, car "Ce blog est ouvert à toutes et à tous, dans toutes les langues... Exprimez-vous..."

Et, il faut le reconnaître, la poésie y est vive, colorée, différente mais  réunie dans toutes les langues, toutes les envergures et tous les genres, dans les fenêtres qui s'affichent sur la page d'accueil. Des videos, des photos, des encres, des peintures, de la musique, proposées avec les poèmes... Une mise en scène, en jeu, en abîme parfois, rien de gratuit, mais un tout cohérent et savamment orchestré.

C'est donc l'hétérogénéité qui cimente, mais pas n'importe laquelle, car parfois ne se crée pas un ensemble signifiant, et l'effet de bric à brac clos tout espoir d'aboutir à une globalité, et à la possibilité de voir cette globalité un jour apparaître. Là c'est au contraire une somme en train de se former de mille petits cailloux de formes et de couleurs différentes. Langues, pays, rencontres de divers vecteurs artistiques, tout se croise et s'enrichit.

Photos : Hervé Hette.

Bribes de conversation(s) minérale(s) avec Kenneth WHITE, https://www.poesiarevelada.com/post/l-âme-de-la-roche

Le format des visuels et la belle taille des caractères typographiques offrent une impression d'espace. La qualité des couleurs et des mises en page renforcent cette sensation d'avoir pénétré quelque part, entre un univers virtuel et un espace dévolu à l'imaginaire, celui du poète, du plasticien, du musicien, mais surtout au nôtre car on est habités autant que nous habitons les pages de Poesia Revalda.

Un poème de  Li BÁI (701-762), Poète chinois, un des plus grands de la dynastie Tang, accompagné d'un Azulejo (carreau de faïence) «Pêcheur des Açores» de Christine De Roo (artiste plasticienne) ; un poème et un dessin de Joseph D., un jeune artiste de 6 ans ; des vidéos internes dans de très belle mises en pages ! 

SUL , LUGAR NENHUM, GRAFONOLA VOADORA & NAPOLEÃO MIRA

 

Et puis cette remarquable mise en page du très beau texte de Marilyne Bertoncini, L'Anneau de Chillida, qu'un enregistrement de la poète dont on connait désormais la voix profonde et expressive agrémente grâce au lieu Soundcloud qui clôt l'ensemble.

L’Anneau de Chillida, publié en 2018 à l’Atelier du Grand Tétras – Voix de Marilyne Bertoncini

Une très très belle revue, donc, qui se consacre à la poésie, juste à la poésie, qui est sa seule et unique rubrique. Des instantanés, des univers, des pays et des langues, autour, dedans, avec. Des rencontres, aussi, et surtout, ce qui est l'essence même de tout poème, le partage, qui cimente une communauté, celle des femmes et des hommes pour qui la transfiguration offerte par le travail des mots permis par le poème réunit. La matière textuelle devient visuelle, sonore, sensible, et le poème est offert à tous, dans le simplicité de ce qu'il est, ce lien d'âme à âme.




REVUE PHOENIX — NUMERO 35

Le dernier numéro de la revue phocéenne "Phoenix", livraison 35, fait le tour de l'oeuvre du poète Jean-Pierre Lemaire, proposant entre autres ses inédits de la période "Pandémie", très en prise sur la crise, les gens déboussolés, les villes désertes.

Un bel entretien, mené par André Ughetto, rend clairs les projets d'écriture déliée, les étapes, la place des images bibliques etc.

L'oeuvre lyrique est analysée par Daniel Bergez, "parole lumineuse" de franche humilité, par Geneviève Liautard, , François Deletre... Dans "Le cavalier vert", Lemaire ajuste son regard sur les villes désertées : "Dans le monde dépeuplé l'oiseau du jour dégage les choses une à une de la gangue des siècles". Catherine Fromilhague cherche à percer la "cartographie" de Lemaire, sa "place" poétique, ses "passages" dans les traces proustiennes.

L'éclairage, par Patrick Trochou, de l'oeuvre de D. Grandmont nous rappelle qu'il fut fêté par un numéro ample et mérité d'"Autre Sud".

Un riche "Partage des voix" rassemble des tons et des écritures divers : Arabo, Boucebci, Rannou, entre autres talents.

Je retiens surtout les "sonnets" de Quélen, huit variations cadrées, en quatrains et tercets qui libèrent les formes.

Phœnix n° 35 - Printemps 2021, 192 pages, 14€.

De Karim De Broucker, "Deux poèmes du tabac" : "Enfant, avant de connaître le tabac, je ne pouvais sortir sans avoir bien enfoncé dans ma poche ce que mes père et mère appelaient mes fétiches, je garde en mémoire un petit masque africain servant de pendentif".

De nombreuses lectures (les fameux "Grappillages" d'Ughetto, et des autres collaborateurs). Ce volume de plus de 190 pages est l'expression d'un travail collectif unique autour de la poésie, de la littérature.  Philippe Leuckx




Dans la collection Encres blanches : Gérard Le Goff, L’élégance de l’oubli, Vincent Puymoyen, Flaques océaniques

Gérard Le Goff, L'élégance de l'oubli

Ce voyage dans le temps commence en feuilletant un album de photographies, ou en retrouvant dans une boîte à biscuits en métal peint des images du passé. D'emblée, ces gestes quotidiens sont sublimés, puisqu'on adopte la candeur inquiète de l'orpailleur sur le point de séparer le sable de l'or.

Se dresse alors un portrait de famille, à travers des textes en prose et des poèmes qui parlent des parents et grands-parents de l'auteur. Les souvenirs se confondent parfois avec les rêves d'un enfant qui joue dans des paysages qui deviennent une jungle de haut sainfoin, d'où jaillissaient des constellations de papillons. Dans cette famille humble, le train miniature que le père, marin, ramène de New York devient un morceau d'Amérique. On retrouve aussi le plaisir des jeux d'un âge innocent, où l'on dresse face aux marées des barrages de sable, dans l'espoir de faire face au temps et à la réalité.

Une nostalgie douce enveloppe le récit, qui se termine quand l'auteur entre au lycée et sent que l'enfance venait de s'achever. Il voit alors comment le temps s'accélère, et assiste aux transformations de son environnement -immeubles construits, routes inutiles- pour affirmer : Ils se sont acharnés sur le moindre recoin de mes territoires de songes.

Le style tendre et lumineux de l'auteur reflète parfois l'histoire familiale à travers des objets hérités, comme une médaille de guerre, pour en garder une mémoire étonnée. Il ne s'agit surtout pas de réécrire le passé, mais de nous montrer où se trouve l'élégance de l'oubli à laquelle fait allusion le titre de l’œuvre, afin de mieux nous expliquer comment on façonne les souvenirs.

Gérard Le Goff, L'élégance de l'oubli, Encres Vives, Collection Encres Blanches n°802, novembre 2020.

 

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Vincent Puymoyen, Flaques océaniques

L'auteur nous propose vingt-trois poèmes ou textes en prose à travers lesquels s'établit un contact direct avec la nature. Il nous parle notamment des environs de Brest, où il habite : à l'est le lac saumâtre de l'origine / à l'ouest les confins qui rougeoient déjà. L'Auberlac'h, le phare du Minou, le moulin Blanc sont inondés d'eau et de lumière : c'est ainsi que Flaques océaniques cherche à dévoiler nos liens avec les éléments.

Toutefois il ne s'agit pas seulement d'exprimer ses sensations immédiates, mais d'évoquer aussi nos rapports avec le temps qui nous a construit. En ce sens, le regard inquiet et curieux de l'enfance (Métal conducteur de l'enfance / Argent du plateau lisse / Surface où s'étalent des pans de brume) demeure présent et semble être la colonne vertébrale de la pensée du poète.

Loin d'être un simple observateur, Vincent Puymoyen pose des questions existentielles et tisse jour et nuit pour attraper la note rare, et ne pas oublier que L'âme est le souffle chaud qui remplit la tuyauterie complexe du corps, alors tu deviens bouée, radeau ou steamer, selon ton goût de l'aventure. Sans oublier, tout de même, de prendre garde chaque fois de revenir au port.

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Revue Francopolis, numéro 166

Francopolis, revue en ligne, paraît tous les deux mois, pour cinq éditions dans l'année (relâche en juillet-août), en appelant à toutes les francophonies, et privilégiant la poésie mais pas seulement, raffolant des arts (visuels et autres)...

D'ici un an, elle fêtera 20 ans d'existence ! À travers le numéro 166 de Mars-Avril 2021, c'est le partage du printemps et du renouveau qui est à l'honneur avec une édition spéciale consacrée par ailleurs à  « L'adieu-clarté de Philippe Jaccottet », lecture par Dana Shishmanian de La Clarté Notre-Dame, paru en février 2021, aux éditions Gallimard, dont la dédicataire, José-Flore Tappy parle en ces mots : « Il y a quelque chose de testamentaire dans ce texte. On sent le poète prêt à franchir le dernier seuil, mais aussi vouloir retenir quelque chose – ou se tenir à une main invisible pour ne pas glisser trop vite… le son d’une cloche, le murmure d’une eau vive, un vers de Hölderlin, de Dante ou de Leopardi, un haïku. C’est un vieil homme qui se prépare au dernier voyage. » Véritable madeleine de Proust d’où s’élève ce chant ultime !

Revue Francopolis, http://www.francopolis.net

Temps de la mémoire en prélude à la saison du merveilleux, dont certaines rubriques montrent les horizons, comme la nouvelle de Bibliothèque Francopolis consacrée à Éloge de l’émerveillement de Jeanne Gerval ARouff, livret représentant, toujours selon sa préfacière Dana Shishmanian, « la quintessence d’une œuvre et d’une vie, dans l’expression de leur but ultime : retrouver le regard qui nous regarde quand nous regardons dans le monde… et en nous-même. », quête plongeant ses racines dans la philosophie antique de Socrate auquel on prête l’adage : « La sagesse commence dans l’émerveillement ». Spiritualité d’une démarche aux yeux des poètes, dont les billets d’humeur et aphorismes en réflexions sur notre temps gardent la nostalgie, tels Le temps d’oublier Dieu par Michel Ostertag : « Dieu est sorti de notre pensée, de  notre réflexion, nous sommes entrés dans un temps d’oubli, de lui de ses préceptes. Mais pourra-t-on continuer ainsi indéfiniment ? Le temps d’oublier Dieu est forcément un temps court, donné sur une période calculée. Le tumulte du monde devra s’estomper un jour ou l’autre, la sérénité devra réapparaître pour nous tous, qui ne souhaite pas cela ? Espérons que le temps d’oublier Dieu devienne un vague souvenir dont plus personne ne se souviendra ! » 

Toutefois, sans querelle de chapelles, riche de ses différences, la revue offre autant d’occasions de pérégrinations à la fois célestes et terrestres, comme ceux en quelques haïkus newyorkais, des notes de voyage Dans la ville avide de Mireille Podchlebnik, dans la rubrique pieds des mots « où les mots quittent l’abstrait pour s’ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre… » : « Sous un vent glacial, arrivés sur la 34ème rue par le métro à la station Brooklyn Bridge, nous entamons à pied la longue traversée du pont, nous retournant à chaque instant pour découvrir et admirer la vue à couper le souffle sur ces tours immenses. / Multitudes et contrastes / Dans la ville avide / Un étranger nous sourit ». Appel au départ qui retentit également dans le Raga du voyage, poème de Dana Shishmanian : « Partir juste partir / en rêvant de palmiers / sur une plage déserte / ton corps à l’abandon des flots / d’une marée montante / dissout par le vent / pulvérisé en mille graines / de sable fin / doré sous l’ardeur assagie / du crépuscule ». Vestige de ce grand souffle, Juste le vent… poème inédit de Mireille Diaz-Florian : « Je me suis arrêtée / À l’échancrure du vide / S’ouvriraient ce jour-là / Des pages de sable nu // Derrière moi s’effritait le silence / Des mots / En taille dure / En blessure vive // Je me suis avancée / Au bord de la ligne d’horizon // Un pan entier du ciel avait disparu // Sur la ligne estompée / J’ai vu glisser le vent // Juste le vent »…

Ciel disparu, envers du monde que les plumes de Francopolis n’ont de cesse d’explorer, par-delà les carcans de pensée et les prismes idéologiques, selon la philosophie de la charte dont « L’esprit du multiple » retraduit cet esprit collectif : « Francopolis est ouvert à tous, il ne s’agit surtout pas pour nous de participer à une quelconque entreprise d’uniformisation par la langue, ou d’impérialisme d’une culture unique, mais au contraire d’établir et d’encourager la voie qu’au-delà même de cette langue des façons d’être, de penser et de sentir, ont été rendues possibles, sont rendues possibles ou vont être rendues possibles. » Expansion des potentialités de vie par la poésie, dont la revue, à travers ses diverses contributions, en demeure une charnière ouvrière, des lectures, chroniques, essais, jusqu’aux francosemailles et à la créaphonie, autant de contours inédits d’une création en partage, pour un « voyage cosmopolite » en hautes terres explorées !




L’Intranquille fête ses dix ans

Une revue qui fête ses dix ans, avec un cadeau de Julien Blaine qui sur la page liminaire lui offre un texte anniversaire. Et ce numéro 20 confirme la belle épaisseur que nous lui connaissons. L’Intranquille a su conserver sa haute qualité graphique, mais, encore plus important, le caractère hétéroclite et riche des contenus.

Ce qui d’abord est remarquable c'est que L'Intranquille laisse une belle place aux poèmes, qui ici sont proposés par Céline De-Saër, Laurent Grison, Maxime H. Pascal, Tristan Felix, Philippe Boisnard, Claude Minière, Lenaïg Cariou, Anne Barbusse… Textes en prose, poésie, poésie spatiale, accompagnés ou pas de gravures, encres ou toiles signées Tristan Felix, Pierre Vinclair, Laurent Grison, ponctuent donc ce volume. Les auteurs sont présentés discrètement juste au-dessous, dans un petit encadré aérien tout comme l’ensemble est léger, mais juste grâce à la mise en page, car les textes proposés et les illustrations sont de très belle facture.

Les rubriques rythment la lecture : Le domaine critique est servi Françoise Favretto, Jean Esponde et Jean-Pierre Bobillot... Autant dire que nous retrouvons ces quelques pages avec plaisir, tant pour la découverte guidée de certains recueils que pour la plume de celle et ceux qui la servent.

L'intranquille n°20, Atelier de L'Agneau, 2021, 88 pages, 18 euros.

Les traductions cette fois-ci offrent une appréciable découverte : trois poètes scandinaves, une nourvégienne, Charlotte Vaillot Knudsen, et deux poètes suédois présentés par Marie-Hélène Archambeaud, Erik Bergqvist et Maja Thrane.  Un entretien avec Carole Naggar, et une rubrique Art caricatures où certains découvriront Damien Glez, dessinateur de presse franco-burkinabé qui publie deux extraits d’un recueil de dessins et poèmes à paraître aux éditions La Trace, dans la collection Regard. Enfin, après Denis Ferdinande, Liliane Giraudon, Patrick Quillier, notamment, c'est au tour du  photographe Duane Michals d'occuper  la rubrique Changer d'air/changer d'art. 

Une revue au contenu contemporain, mais pas que. Des extraits de Georges Orwell sont offerts, ce qui laisse supposer de la qualité didactique et critique de ces pages qui mettent en relation toutes les dimensions de l'Art, et toutes ses époques. Ce foisonnement s'enrichit grâce à la juxtaposition des thématiques. Le lecteur découvre, redécouvre, est émerveillé ou interpelé par les articles, les textes, les images. Un très beau numéro donc, pour une revue à qui nous souhaitons encore bien des anniversaires !




La revue Davertige, en direct d’Haïti

Au format d'un cahier d'écolier, cartonné en « dur » , la revue lancée par Loque urbaine s'annonce comme une revue ouverte autant que de couleur, chaque auteur, représenté par un galet sur la 4ème de couverture, repris sur la première par une forme où l'on cherche à lire un cairn, un silhouette dansante et bousculée... une proposition de vertige sans doute – même si l'édito précise que le titre est un hommage au poète haïtien éponyme qui était aussi peinte sous le nom de Villard Denis, entré sur la scène littéraire haïtienne en  1961  avec un court recueil intitulé Idem 

Revue Davertige, crée par Loque urbaine, Haïti, n. 1. 62p, 15 euros 

Revue de couleur alternant d'épais feuillets mats évoquant plus un support de dessin que des pages imprimées, dans les couleurs vives des galets de la couverture, Davertige déconcerte. Revue haïtienne, elle se propose, tous les deux ans, de regrouper les contributions inédites des poètes prenant part au festival Transe Poétique - lancé par Jean D’Amérique et qui a lieu en septembre - sur deux éditions, afin de diffuser les voix neuves qui s'y expriment au-delà de l'île même, tout en renouvelant l'espace éditorial de la poésie haïtienne, avec le projet, annoncé dans l'édito, de renouveler le milieu littéraire :  

Au sommaire de ce premier numéro, 13 poètes donc, dont Jean-Pierre Siméon, Makenzy Orcel, James Noël que connaissent les lecteurs de poésie francophones, ainsi que d'autres dont je découvre le nom, et le travail :  Adlyne Bonhomme,  Pina Wood, Ricardo Boucher, Milady Renoir, Coutechève Lavoie Aupont, Lisette Lombé, Eliphen Jean, Annie Lulu, Bonel Auguste, Hugo Fontaine : première étape de mission accomplie pour la dynamique équipe de Loque Urbaine. 




La revue Cunni lingus

Un article de Solenn Real Molina et Miguel Angel Real

 

La première question que pose la revue cunni lingus est “mais que font le genre et la langue à la poésie”. Dans leur accueil-manifeste, cette publication revendique son intention de “déconstruire le phénomène de naturalisation des rôles femme-homme, qui conditionne la reconduction de la domination hétéro-patriarcale”.

Il s'agit en effet de créer un espace où la réflexion sur le langage soit le point de départ pour arriver à transformer, retourner et renverser les normes de genre hétéro-sexistes et binaires. Cunni lingus  se définit donc comme une revue poétique, queer et féministe pour laquelle le corps, la langue, la poésie émettent des messages éminemment politiques que personne ne peut ignorer.

On peut y trouver des objets textuels à lire, à écouter, des textes critiques, théoriques, d’auteur·e·s vivant·e·s ou mort·e·s ainsi que des textes de création. Ces productions littéraires à dominante poétique peuvent également revêtir un caractère pamphlétaire, expérimental, post-pornographique, ou de toute autre nature propre à bousculer la langue qui invisibilise la présence, la place et le rôle dans la sphère publique et privée des personnes qui ne rentrent pas dans la catégorie homme hétéro-sexuel cisgenre et celles qui sortent des catégories de genre : personnes trans, intersexe, agenrée, non-binaires.

Parmi les articles qui figurent dans la publication, réunis sous l'onglet « à lire-à écouter », on peut trouver des essais, comme celui d'Eliane Viennot, extrait de son œuvre « Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française » (Editions Ixe). Sur la même tonalité, nous lisons « Femmes, poésie et démasculinisation » de Chloé Richard.

Par ailleurs, Flora Moricet, retrace l'histoire de Danielle Collobert, écrivaine bretonne (1940-178) qui « a écrit des textes avec peu de mots, dans une langue chargée de sensations, minimale et concise », avec « une écriture dense et moderne sur les limites du langage ».

Le langage poétique a toute sa place dans la plume de Murièle Camac, qui présente un extrait de son recueil inédit « Pas d'histoire », ou dans l'intensité de la voix de Josée Yvon qui lit « filles-commandos-bandées ». Citons aussi le poème « Le e muette », de Marie Pierre Bipe Redon, qui s'inscrit pleinement dans l'objectif de la revue avec ses vers percutants :

Nous montrons nos seins pendants
Nous montrons nos langues à vif
Nous mettons nos mains en cornet devant nos bouches
pour crier encore plus fort
Nous relevons nos jupes,
Baissons nos pantalons
et pissons debout


Nous nous clamons d’abord
Et nous calmerons après.
Peut-être. 

 

De belles trouvailles graphiques apparaissent dans « La Ronde, en française dans le texte », qui à l'intérieur d'un calligramme rond explique que « La réveil a sonné tôt cette matine, elle y a des journées comme celle-là . » Notons aussi la performance vocale de Béatrice Brérot « QQOQCCPP sur le féminin »

La revue recueille aussi des textes d'auteur·es comme Paul B. Preciado (« Féminisme amnésique »), qui nous parle de la domination du langage dans la modernité, Gertrude Stein ou Virginia Woolf.

Cunni lingus est en définitive une publication à suivre, qui propose de mettre en lumière des points de vue historiquement et socialement minorisés, invisibilisés ; ceux-ci apportent leur pierre à l'édifice d'une réflexion tout à fait nécessaire sur le langage comme outil poétique mais surtout comme catalyseur de changement social.




Naissance d’une revue : POINT DE CHUTE

Animée et réalisée par Lénaïg Cariou, Victor Malzac  et Stéphane Lambion (deux jeunes poètes dont Recours au poème avait accueilli les premiers écrits), nous est arrivée la jeune revue « Point de chute » - entreprise courageuse que nous saluons, en cette époque trouble où plus que jamais il nous semble important que se diffuse la poésie. 

Sobrement présentée sous une couverture sépia illustrée d'une œuvre énigmatique signée Murphy Chang, évoquant une couronne ciliée, comme on imagine la lumière absorbée par un « trou noir » de l'espace, le numéro 1 de la revue présente, selon le vœu de ses fondateurs, des textes, rien que des textes, portés par des voix qui n'ont pas encore eu la chance de se faire connaître, espérant aussi toucher un public « amateur de poésie jeune et vive »... Projet que nous ne pouvons que soutenir. 

Ce numéro avait été précédé d'un banc d'essai, sous couverture blance, marquée d'une série de points de chute, et annonçait le souhait  de l'équipe de devenir une revue biannuelle paraissant au printemps et à l'automne : nous engageons nos lecteurs à s'y intéresser, s'ils veulent découvrir de nouveaux territoires.

Point de Chute, 66p, 5 euros, contact : revuepointdechute@gmail.com

Au sommaire du numéro 1, cinq voix françaises, donc, et trois traductions – de l'anglais, de l'espagnol et du lituanien. Des poésies plutôt narratives pour les trois premiers poètes :  avec les souvenirs d'enfance chez Loréna Bur, et un regard décapant, notamment sur sa mère dans le savoureux « La Racaille », et chez Hortense Raynal, dont le rythme des vers libres, ample et souple, supporte une thématique liée à la vie rurale et à la langue :  

 

 La paille c'est pour les veaux mais c'est aussi pour la gamine qui 

voit le placenta au fond de la cour de la grand-mère 

Sabiez que léu...               si tu le touches.  

 

Et des souvenirs de voyage avec Pierre Bégat, entre « Upper Alma Road » et « A une éthiopienne ». 

Les propositions de Zsofia Szatmari et Joep Polderman explorent d'autres pistes, d'autres rythmes, la première plus proche d'une poésie sonore, la seconde analysant, ainsi que l'annonce le titre, l' (E)motion créative, dont une strophe me semble donner sens à l'illustration de couverture :  

 

peut-être un abîme attractif 

un tunnel parallèle 

au creux des yeux 

 

La poésie traduite de Christopher A.K Gellert pose la question du genre avec un extrait du poème hirondelle – elle est suivie par la poésie plus métaphysique d'Elisa Chaïm, dont le dernier texte, une « lettre à Alfonso Reyes » indique la filiation revendiquée, et Gabia Enciuté, poète lituanienne ferme la sélection de ce numéro, pour lequel nous remarquerons l'importance accordée aux voix de femmes poètes, et saluerons aussi les traducteurs : Lénaïg Cariou, Inés Alonso Alonso et Thibault jacquot-Paratte .  

 

L'appel à textes final est largement ouvert, et c'est avec plaisir que nous le répercutons :  

 

Nous faisons feu de tout bois. Nous recevons tous les textes poétiques, longs ou brefs ; des poèmes, des histoires, en prose ou en vers, des intermittences de blanc, des planches mal ajustés, du matériau brut, du béton, de l'argile, tout ce qui sonne, résonne. Peu de notes, des percussions surtout – à peine le bruit des mots qui chutent. 

 




Les Hommes sans Epaules n°51, dédié à Elodia Zaragoza Turki

Tout d'abord signaler que ce numéro du premier semestre 2021 est dédié à une grande poétesse disparue en 2020 à qui il rend hommage, Elodia Turki, dont ces quelques mots introduisent le volume :

Je n'accorde à rien ni à personne le droit de ressentir à ma place...

Quand le cœur devient l'unique occupant d'un corps et se pend au gibet de sa gorge, se fait lourd, outre veloutée et tiède qui menace de choir... alors la main spontanément se tend, s'arrondit pour recevoir, protéger, caresser, protéger, aimer. Et cette émotion suspendue, le temps d'un étonnement, comme un éclair domestiqué, abrite et habite, Hôte absolu, l'Autre, dans une reconnaissance éperdue.

Elodia Turki, Inédits.

Ce volume, comme les autres, est une somme inouïe avec cette fois-ci pour thématique "La poésie et les assises du feu". Dans son édito Christophe Dauphin évoque Pierre Chabert et La revue La tour de feu, "fédération de tempéraments, c'est à dire d'hommes-symboles". Suivent les portraits de ces Porteurs de feu : Edmond Humeau évoqué par Paul Farellier et René de Obaldia par Christophe Dauphin. Une longue présentation, contextuelle autant que littéraire précède de long extraits des œuvres de ces deux poètes. Remarquable déjà.

"Une voix un œuvre" est une des rubriques habituelles de la revue. Elle nous présente Les univers imaginaires de Matei Visniec, puis place au dossier La poésie et les assises du feu. Pierre Boujut et la tour de feu, présenté par Christophe Dauphin, accompagné par un poème de Claude Roy. Un panorama aussi bien historique que didactique, et de nombreux poèmes sont là pour accompagner le propos.

Les Hommes sans épaules n°51, Nouvelle série/premier semestre 2021, 350 pages, 17 euros.

Adrian Miatlev fait suite à Pierre Boujut. Dans un article "la mémoire, la poésie", Christophe Dauphin évoque la vie et le "feu" qui a tracé le chemin du poème pour cet homme dont l'œuvre est révélée par ces pages riches et denses.

Les articles ainsi que le dossier proposé dans ce numéro sont ponctués par des poèmes d'auteurs qui s'inscrivent dans la rubrique "Ainsi furent les WAH 1, 2, puis 3, car ces plages poétiques ponctuent le volume. Des auteurs comme  Alain Breton, Odile Conseil, Paul Roddie, Michel Lamart, Béatrice Pailler, Claire Boitel, Alain Brissiaud, Anne Barbusse, et d'autres,  enrichissent cette somme à chaque fois impressionnante. 350 pages pour ce n° 51, où le lecteur peut découvrir des auteurs, mais aussi parcourir des étendues immenses de poésie, de mondes poétiques, de lieux où se sont écrites les pages de l'histoire d'une littérature dont Les Hommes sans épaules témoignent tant il est vrai que cette revue est le lieu d'une parole exégétique sans pour autant perturber la réception des œuvres qui sont présentées par les propos qui guident la lecture plutôt qu'ils n'en restreignent la réception.

Des notes de lecture ainsi qu'une rubrique "Infos/echos" et "Tribune" viennent clore cet impressionnant volume.