La revue Mot à Maux

Daniel Brochard convoque, pour sa 15e livraison, sept auteurs et non des moindres. Y figurent ainsi Jean Chatard, poète chevronné, l'excellent Cathalo, et de nouvelles voix.

Quarante-huit pages de beaux poèmes très divers.

À son habitude, le poète Georges Cathalo consigne dans un long poème, réparti en quatrains, la « peur » contemporaine, saisissante, incontrôlée, incontrôlable.

Ils ont peur de la jeunesse
de la vitesse et des couleurs
de ce qui s'élance et sourit
au-delà des mondes que l'on s'invente

 

Revue Mot à maux, n°15, décembre 2020, 4 euros.

Avec son acuité foncière et une dose d'humour, il joue à « qu'est-ce que la poésie ? » et « qui suis-je ? » Plus lyrique, Chatard raconte entre « effroi » et « coursives du ciel » l'approche de la mort et l' « émoi » qui va avec.

 

On ouvrira les tombes et le grain sera lourd devant
l'outil hospitalier devant la main frileuse
qui repeint la clarté

 

Eric Chassefière, en un très long poème de dix pages, dévide une chronique du « vent », entre caresse, souffle, « qui touche à peine », « ce vent-là tout près des mots » ou « page de la mer gonflée de vent ».  Beaucoup de souffle, d'intense créativité.

Un pessimisme assez aigu traverse les poèmes de Victor Malzac, qui « attend que les jours passent ».

Alexandra Bouge rend à la mère un hommage contenu, tentant de préserver dans les mots « l'esprit de ma mère bâti dans ce qui m'entoure ».

La revue s'honore encore des textes  de Lise Debelroute et Daniel Hartmann. Revue à suivre, bien sûr.




Revue La Page Blanche : entretien avec Pierre Lamarque

Denis Heudré nous présente la revue La Page blanche, à travers les propos de son créateur Pierre Lamarque, qui explique quelles sont ses motivations et ses objectifs. 

Comment La Page Blanche est-elle née ?
La revue La Page Blanche est née en 2000 par le hasard d'une rencontre entre mon ami roumain Constantin Pricop et moi sur le site de l’ambassade de France au Canada. L’ambassade offrait en 1998, au commencement de l’internet, un espace dédiée à la poésie sur son site, un lieu de rencontre entre poètes francophones qui y publiaient des textes, lieu tenu par un jeune poète français qui faisait là son service militaire, un soldat de la vie. Constantin Pricop et moi avons le même âge, nous sommes nés en 1949, j’exerçais le métier de médecin généraliste dans un quartier nommé La page blanche à Mérignac-Arlac près de Bordeaux. Pricop était un écrivain, dont le livre « La marge et le centre » était en devanture de librairies roumaines, un critique et revuiste professionnel, devenu professeur de lettres à la faculté de Iasi. Un professeur de français pour moi.

Quelle est sa ligne éditoriale, ou plutôt sa personnalité, les traits de son caractère ?
La ligne éditoriale part du constat que désormais tout le monde peut publier ses écrits grâce à internet. Notre revue fonctionne comme un filtre.
LPB est fondée sur la gratuité et le don, elle est articulée entre création, critique, traduction et poètes ‘du monde’…c’est sa personnalité, son caractère.
La revue est structurée en rubriques, dans l’ordre on trouve les rubriques suivantes :

La page blanche n°52, lapageblanche.com.

« Simple poème » en général un texte sélectionné, « éditorial », un billet, ou point de vue du rédacteur en chef – dans les derniers numéros cette rubrique n’est plus présente car le rédacteur en chef, Constantin Pricop a entrepris à la place de publier dans la revue la traduction en feuilleton de son roman La nouvelle éducation sentimentale, « Poète de service », un ou plusieurs poètes de service par numéro avec pour chacun la publication d’une dizaine de textes, « Moment critique », un article de critique littéraire ou culturelle, « Bureau de traduction », où sont présentées des traductions, « Séquences », où sont présentés des suites organisées de textes d’un ou plusieurs auteurs, « Poètes du monde », où sont présentés des textes d’auteurs publiés, connus et reconnus, et pour finir « E-poésies », où sont présentés des textes isolés de différents auteurs participant à la revue.

 

La page blanche n°54, lapageblanche.com.

A quel tirage et comment est-elle diffusée ? 
Notre revue sur papier n’est pas diffusée en librairie, par paresse. Chaque numéro est imprimé à 30 exemplaires, ces exemplaires sont offerts par la revue LPB aux poètes invités dans le numéro. Cette économie autarcique permet à la revue de survivre sur le papier depuis vingt ans. C’est l’internet qui nous permet de vivre depuis vingt ans. Pour moi, les valeurs d'internet ont ceci de supérieur aux valeurs de l’imprimerie qu’elles sont la mise en pratique de la gratuité et l’exercice concret de l'oblativité intellectuelle. L’ère et l’aire de l’internet est l’aire et l'ère de la communication.
En vingt ans, comment a évolué La Page Blanche ?
Des hauts et des bas, des calmes plats et des tempêtes, des gains et des pertes, la vie… assez vite nous avons trouvé notre rythme naturel de croisière, moins de numéros, des textes, …
Parlez-moi de votre rubrique Le Dépôt
Le Dépôt est un endroit qui rassemble les quatre articles essentiels de la revue LPB, création, critique, traductions, poètes du monde, et où se retrouvent des poètes qui font vivre la revue. Notre maître de toile, Mickaël Lapouge a réalisé un ajout au site LPB qui me permet d’administrer le Dépôt.
Votre travail d’éditeur de cette revue doit vous prendre du temps sur vos travaux d’écriture, le regrettez-vous ?
Je protège mon temps : le temps le plus important, peu importe sa durée, c’est le temps de la lecture. Mon travail d'éditeur fait partie de mon travail d’écrivain, j'y trouve inspiration, j’y fais mon marché…
Quel(s) auteur(s) rêveriez-vous de publier dans votre revue ?
Michel Butor, mais il est mort et on l’a déjà publié de son vivant dans le numéro 20. 
Quels ont été les impacts de la crise covid sur votre revue et ses lecteurs ?
Je ne regarde les statistiques de visiteurs lecteurs qu’une fois quand j’y pense tous les vingt ans. Récemment j’ai vu qu’il y avait eu 25000 visites en un an. Pour notre part nous n’avons pour le moment personne de touché par cette maladie à ma connaissance. Comme tout le monde nous espérons passer entre les gouttelettes…
Quels sont vos projets pour les prochains mois ?
Continuer le mouvement, aller aux avant-postes comme des braves.
Quel regard portez-vous sur l’évolution depuis vingt ans de la poésie française ?
On lit un livre, on en lit un autre, on découvre. On ne sait pas quoi retenir du temps qui passe, du style qui dépasse, mais heureusement, en poésie le temps ne passe pas vraiment.
Dans le n° 55 qui paraît bientôt, on ne sait jamais exactement quand - car cela dépend de l’emploi du temps de maître toile, on trouvera un peu tous les styles, aujourd'hui il n’ y a pas grand mouvement dans les astres, c’est ça le post-moderne, il n’ y a que des directions dans tous les sens, dont les oulipiens… mon français personnel, minimaliste, a bien changé en vingt ans..
Et de la poésie du monde ?
Nous recevons des poètes de différentes points du globe et notre microscope nous montre une vie fourmillante et tourbillonnante, difficile de ne pas tomber amoureux de notre microscope qui lit et écrit  !
Selon vous la e-poésie est-elle l’avenir de la poésie ?
Oui, sauf exceptions.
Que peut-on vous souhaiter pour les vingt ans à venir ?
De rester en vie ! Je songe à plus tard dès maintenant. Je cherche depuis quelque temps à savoir comment s’y prendre pour que LPB continue de vivre après ses trois fondateurs, Mickaël Lapouge, Constantin Pricop et moi.




Florilège, revue trimestrielle, n°174

Recevoir en bloc un florilège de Florilège peut surprendre : 5 numéros d’un seul coup, une année de cette revue à découvrir. Un tel privilège permet d’en saisir la logique et la continuité, tout en limitant les effets de hasard.

Avec sa couverture brillante et épaisse en quadri et son look à l’ancienne, chaque exemplaire est en quelque sorte protégé par une citation, laquelle instaure une certaine communication. Cette dernière évoque les liens entre les arts ou les êtres,  le contenu d’un art ou l’âme d’un artiste : tantôt Léonard de Vinci (« La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir »), tantôt Matisse (« Un ton seul n’est qu’un couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie »), tantôt Baudelaire (« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie »), tantôt le psychanalyste jungien Guy Corneau  (« Lorsque nous mettons des mots sur les mots, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits »). A la une, un tableau contemporain marque sa quête trimestrielle : un remarquable trompe-l’œil-rébus de Bruno Logan illustre ainsi des « romans terrifiants à tomber dans les pommes » dont Bram Stoker, Lovecraft, Allan Poe, Shelley.

Florilège, revue trimestrielle de création littéraire et artistique, 56 pages, du n° 174 (mars 2019) au 178 (mars 2020), 10€

Chaque numéro conjugue les forces des « poètes de l’amitié » et des « poètes sans frontières » sous l’égide de deux auteurs-compositeurs-interprètes puissamment engagés (Jean Ferrat et Charles Dumont). Il montre que l’association participe systématiquement à des lectures dans les Ehpad et les maisons associatives ou à divers hommages à ses mentors. Une large part de la revue est réservée aux « créations » (une vingtaine de pages) avec un attrait spécifique pour les sonnets et les vers alexandrins et avec une ouverture discrète à la prose. Une poésie qui se veut un « subtil mélange d’un être qui sent, qui souffre, qui jouit, qui est vivant et qui veut dépasser ses propres ombres au nom d’une Lumière supérieure, celle du grand art », selon Michel Lagrange (n°177). Elle nous rend « plus ouverts au monde » (néanmoins sans nous apporter le bonheur).

On sent de part en part le plaisir de chacun à se promener dans le jardin des mots. Une dominante générale lui donne une tonalité particulière où la simplicité se mêle au bon cœur. Quelle raison d’être du poème ?  Maurice Amstatt évoque la retraite, Gérard Mottet sa terre natale, Stephen Blanchard l’amitié… « L’écriture ne sert qu’à dompter la peur », affirme Adeline Baldacchino. Parfois le poète surprend par son goût de l’homonyme (même orthographe et/ou prononciation) « J’ai / Dit Gérard / un geai rare / Couleur / Jais », précise Jean Faux (n°175) qui, dans un autre poème, évoque « L’apprenti maçon / Qui taloche une cloison / S’est pris une taloche / Par son père décrépit / Qui décrépit un mur ».  Quant à Claude Dussert, il loue Baudelaire avec des acrostiches ou s’amuse à imaginer l’avenir de la poésie (très posthume!) après l’intervention de …l’intelligence artificielle.

Pas de frontières pour les poètes. Ainsi on découvre les poètes tzantiques d’Equateur (dérivé de tzantza, tête réduite des Jivaros) qui rejettent radicalement « les valeurs bourgeoises dès 1962 (n° 178). Le très beau poème d’Euler Granda révèle cette créativité d’Amérique du Sud : « Ici Equateur / blessure de la terre, / os pelé / par le vent et les  /… Ici / la faim / Indiens battus à coups de pied comme des bêtes». Ainsi la revue participe à la Journée internationale des droits de l’homme. Dominique Simonet rappelle l’histoire de la photo d’Aylan, cet enfant noyé au bord de la mer Egée : « Aylan semblait dormir, allongé sur la plage / Bercé par une vague au sommeil de la mort ! »  Cet enfant syrien exprime à lui seul le destin de tous les migrants, ces « malchanceux perdus, cueillis en fleur de l’âge (…) Tous ont vu leur songe, au-delà de la mer : / Bonheur, richesse et paix dans les flots d’espérance. » (n°178). A côté, une photo du « tapis » exposé à Dijon  qui mentionne les noms des 17 306 personnes noyées en Méditerranée en tentant leur migration vers l’Europe. Rêve romantique des gitans de Jean-Claude Fournier: « Danse pour moi, fille de braise,/ Corps captivant, corps enjôleur,/ Joue-toi des flammes tout à son aise/ Mais ne joue pas avec mon cœur ! » (n° 177).

Il se peut que la revue cherche l’universel dans les cœurs poétiques. Un poème de Victor Hugo, qui chante les « millions d’étoiles » de la Voie Lactée (extrait de Abîme, n° 176), illustre bien la profusion de cette quête de Florilège. Pour preuve, la revue rend hommage aussi paisiblement à Saint John Perse qu’à Maxime du Camp ou à Renée Vivien.




Revue Phœnix n°34

Une revue trimestrielle qui commence par un très bel édito du directeur de la publication Karim De Broucker, suivi par le focus sur un auteur, pour ce numéro 34 il s’agit de Marie Cosnay…

Un entretien précède un nombre impressionnant d’articles et  de textes critiques signés par des spécialistes, ou des auteurs, des autrices, des ami(e) de la poète. Une approche pluridisciplinaire, et riche, qui permet de faire découvrir l’œuvre de l’artiste élu(e), sans empiéter sur la découverte de son univers et de ses productions.

D’autres rubriques supportent le sommaire de cette revue : « Partage de voix », « Voix d’ailleurs », « Mémoire », « Sporades »,  « Arts », et « Grapillage/lectures » …  Ces rubriques laissent une large place au poème, tant il est vrai que « Partage de voix » constitue les deux tiers du volume. Aux côtés de Jacques Lucchesi et d’Ada Mondes, quel plaisir de retrouver Claire Légat, qui se fait bien trop rare !

Revue Phœnix n°34, Cahiers littéraires internationaux.

Le nom des autres rubriques signale clairement le souci d’ouvrir les horizons et les approches. Il s’agit de créer des ponts entre les langues, les pays, les poètes, en proposant des publications bilingues. Pour ce numéro Daniel Beghè, poète italien traduit par Marilyne Bertoncini, et Franck Merger qui nous offre  un aperçu de la poésie iranienne. Ces rubriques permettent également aux lecteurs de croiser des noms parfois peu aperçus, voire pas du tout. Les Grapillage/lectures  permettent de clore le volume sur des critiques de recueils à découvrir. Divers points de vue se succèdent, des lectures signées notamment  Marie-Christine Masset, Marilyne Bertoncini ou bien encore Philippe Leuckx...

Une revue qui compte donc dans ce paysage francophone, parmi celles qui portent la parole poétique en cette période où elle est si malmenée par le contexte sanitaire. Une passerelle comme en évoque si magnifiquement Claire Légat dans ces pages :

Hors-piste

Il m’incombe de rester 
passerelle
crédible
vers 
l’incréé

 

Et pour aller plus avant dans cette démarche, l’équipe a pu organiser avec EntreRevues sa première vidéo élaborée à partir de ce beau numéro 34, en attendant celle du 28 date du Jeudi des Mots qui sera diffusé sur YouTube,  et mettra André Ughetto, fondateur de la revue, à l'honneur.

 

 

Soirée Phœnix, organisée par EntreRevues, "Marie Cosnay & Co". La revue Phœnix vous propose une rencontre autour de l’autrice invitée de son dernier numéro, Marie Cosnay, ainsi que d’autres contributeurs du n° 34. Une conversation avec Marie Cosnay, Warren Motte, Jane Sautière, Bernabé Wesley, Daniele Beghè & Marilyne Bertoncini .




Gustave : de fanzine à mensuel gratuit et toujours en ligne

Gustave, qui fut créé comme un  hebdomadaire de poésie (j'ai conservé avec plaisir le numéro 99 abondamment illustré) se présente désormais comme "le premier mensuel gratuit de poésie qui se lit et qui s'écoute" et sort en janvier 2021, sous la houlette de Stéphane Bataillon, son numéro 106. 

C'est en effet un format bref – 4 pages téléchargeables – auquel est associée une radio qui, pour janvier,  présente quatre poèmes audio de Zoé Besmond de Senneville, "modèle d'art, comédienne et poète". 

 Les anciens numéros sont téléchargeables à partir du numéro 42 (anvier 2015) et permettent de se faire une idée de la ligne éditoriale résolument moderne de la revue, alors sous-titrée "fanzine indestructible" : ce que sa longévité tendrait à prouver. 

L'édito du dernier numéro donne quelques informations sur la philosophie du projet entièrement réalisé avec des ressources informatiques libres et opensource, dans le prolongement de leur philosophie, celle d'  

offrir, à tous, sans conditions, une poésie résistante aux algorithmes. Gustave se pare également d'un nouveau slogan et retrouve sa pagination d'origine pour réaffirmer la singularité de son projet : la mise en valeur des formes brèves. Ce sont celles que nous voulons défendre dans un monde ultra connecté.  

 Outre la lecture de ce nouveau numéro, je conseille de picorer dans les précédents, via le site, et de voyager dans cette revue fantaisiste qui s'est aussi considérée comme "organe poétique du parti neutre" (n.53),  "le journal qui prend son temps" (n.61 – abondamment coloré)... J'y ai retrouvé un superbe "Numéro des statues-menhir"(n.77) – 4 pages de haikus, le numéro "contre la nuit" autour du recueil de Stéphane Bataillon aux éditions Bruno Doucey, et l'avant-dire du numéro 90 pour conclure, en vous incitant à soutenir cette publication sympathique :  

Pour un fanzine, organe vivant et fragile, chaque nouvelle dizaine est une petite victoire sur l‘éphémère. Une marque de fidélité, de persévérance, de ligne tenue qui permet de continuer à rêver, à créer, à expérimenter, sans cesse mais sans se perdre.  (...)  Un fanzine, demande de la chaleur, de l’amitié et des regards. Nous avons de la chance d’avoir ces ingrédients pour faire ensemble ce quelque chose qui nous fait espérer malgré les catastrophes. 




Vinaigrette, revue moléculaire de photo/poésie

Sandrine Cnudde, qui a conçu, et qui compose et réalise la revue à toutes ses étapes de fabrication (hormis l'appel à un imprimeur professionnel), propose tous les deux mois (soit six fois par an) l'envoi par la poste d'un « pli » timbré au format A4, ingénieusement fermé et élégant comme un origami, recélant le trésor d'un poème imprimé au verso d'un papier semi-mat agréable au toucher, et un tirage  photo format carte postale sur papier Fine Art.  Le recto de la feuille porte également, sous forme caviardée, quelques éléments de biographie de l'auteur auquel la lettre est consacrée.

Chaque numéro est consacré à un unique auteur, poète ou photographe. L'année écoulée (la revue est née en février 2020) propose donc en alternance 6 poètes (hommes et femmes dans une stricte égalité) : 

Amandine Monin, Howard McCord, Hélène Sanguinetti, Rémy Chechetto, Bérengère Cournut, Christophe Manon, et 6 photographes : Aëla Labbé, Pierre de Valembreuse, Laurence Loutre-Barbier, Piergiorgio Casotti, Olivia Lavergne, Jérémie Lenoir.

Sur le blog de la revue (https://revue-vinaigrette.blogspot.com/), Sandrine Cnudde explique ainsi son projet – et l'on comprend bien le titre et la métaphore culinaire filée par la poète dans la réalisation de celle-ci :

L’un des intérêts de la revue est de mélanger et de stimuler l’une et l’autre discipline chez un même contributeur, dans un esprit décontracté d’expérimentation et de partage.
Un coin de table où les arts se croisent et les auteurs se rencontrent, pour le plaisir des lecteurs.

La cuisine expérimentale de « Vinaigrette » s'adresse à des lecteurs gourmets, et ne se trouve que sur abonnement, ou par vente directe lors de festivals ou salons. 3 formules d'abonnement sont proposées – outre une version allégée (5 euros/ numéro) : équilibrée (30 euros) – à la crème, ou douce.

Tous les ans, en tout début d'année est prévu un numéro spécial "double crème" au format A3 qui se plie sur un texte et une photo de deux auteurs, l'un poète, l'autre photographe – et pour cette première publication ; Danièle Faugeras – Eric Le Brun
Offert à tous les adhérents (abonnés avant le 31 décembre) ce numéro spécial sera également accessible sur commande, à l'unité pour 8€.

Voilà, on vous a tout dit : un petit écart pour assaisonner l'année qui s'ouvre est recommandé, en passant par le site de la revue




DISSONANCES, Feux, n°38

Les dissonances prennent « feux » ! Décidément ce numéro de la revue risque de s’enflammer et de finir brûlé comme dans Fahrenheit 451! On connaît l’originalité durable de cette revue. Choisir des poèmes pour leur qualité d’expression et non pour la gloire du nom de l’auteur/autrice (dont le nom est masqué aux sélectionneurs). Une extravagance à l’heure où les auteurs ou éditeurs connus sont une pré-publicité, donc méritent a priori une consécration.

« Écrire est une pulsion », décrète Alexandre Gloaguen à la page 38 de la revue Dissonances. Je suis prête à le croire. Je l’ai toujours pratiqué. Ma « pulsion » m’incite aujourd’hui à m’interroger philosophiquement : « Peut-on dissoner dans la dissonance ? ». Un peu comme si je demandais : peut-on manquer de manque ? ou pire : quel est le néant du néant ? Dissoner dans la dissonance impose-t-il d’imposer l’harmonie… Être en accord avec le dissonant impose-t-il d’entrer dans le flux débridé d’une anarchie délicieuse ?

Le dossier Feux m’incite à une promenade à travers les prénoms (puis les noms) des artistes-auteurs-autrices qui y ont collaboré : deux Aline (Robin et Fernandez) et deux Mathieu (Le Morvan et Marc) et deux Benoit (Baudinat et Camus) et deux Louis (Zerathe et Haëntjens), une seule Perle ou Miel. Une telle forêt de syllabes qui se croisent à Mauges-sur-Loire (domiciliation de la revue) me fascine sans porter à conséquence, même si j’ai déjà planché sur cette revue pour RAP en 2017.

DISSONANCES, Feux, n°38, Revue pluridisciplinaire à
but non objectif, Eté 2020, 48 pages, 5€,

Les mots qui disent l’incendie (contre-feux, pyromane du business, brûlante question, flammes d’encre, etc.) dans l’édito de Côme Fredaigue sont naturellement plus impératifs que les mots « inondation, aération », etc... Comment échapper aux mots portant en eux des flammes ! Oui, mais quelles flammèches, réelles ou figurées ? En vérité, chacun se consume selon son propre feu dans ce Dissonance là,  tout comme jadis  régnait le « à chacun ses besoins2 ou selon son travail ». Aujourd’hui, c’est à chacun selon ses désirs brûlants dans notre monde  à la carte.

Le feu est d’abord le feu réel, tout en flammes et en braises. Ainsi Lionel Lathuille estime « qu’il n’y a pas d’autre possibilité pour obtenir la chaleur que de mettre le feu à l’habitation ». « Méconnaît la nuit celui qui retire ses mains du feu » (…) « Méconnaît la vie celui qui retire son pied du feu » dit ce poète qui « emboîte le pas au feu qui nous traverse ». Pour un autre romancier Thierry Covolo, une autre maison brûlant pendant la nuit.  Le « prétentieux » manoir Hunter « construit pour les autres » « qui confère respectabilité et pouvoir ». Le propriétaire « carbonisé » est identifié grâce à ses plombages. A la fin de cette nouvelle à l’américaine, la narratrice allume une cigarette ! Il se peut qu’une voiture flambe en une « nuit Cheyenne » de Benoit Camus. Il se peut qu’une forêt flambe en Amazonie, « on éteint le feu qui arrache les poumons de la terre », précise Stephanie Quérité. Ce feu réel peut être celui – terrible - de la bombe atomique : ainsi le seul journaliste à Nagasaki, (cad William Leonard Laurence) est évoqué par Joseph Fabro. Il « marche toute la vie avec le feu et son mensonge,  (…) comme un cancer dans le ventre, comme un incendie à l’arrière de la pupille ».

Le feu peut être celui de l’amour.  Ainsi Christophe Esnault qui décrit d’abord « une adolescence sans flamme (sans amour) sans vie ». Plus tard, il retrouvera autrement cette adolescence manquée : « C’est avec la peau et les baisers que l’on fait les feux les plus hauts ». Le feu de l’amour peut se transcrire en une version persane. Ainsi Clément Rossi évoque cette amoureuse qui l’enlace « si fort » qu’il sentira « des mois après le dessin de ses mains » sur ses omoplates et « le relief de ses omoplates »   sur ses propres mains. Et pourtant, « Lou va arriver et j’ai déjà hâte qu’elle reparte pour… rêver ». Voilà qui nous transporte chez le poète Qays-Madjoun et Leyla, conte où la Leyla rêvée est plus importante que la femme réelle. L’amour d’une femme est-il plus important que celle qui le suscite ? Cependant l’amour peut être un hymne de Miel Pagès à Médée, ce « volcan parmi les étourneaux », cette « petite-fille du soleil » : « Il m’a semblé qu’elle pouvait être belle si des flammes lui léchaient le fente ».

Et il peut aussi être celui du langage, lorsqu’il est cet adjectif signalant  les décès : « Feux les exécutés » par Benoit Daudinat. Dans la liste des hommes exécutés au Texas, l’un Troy Clark qui écrivait des poèmes, a noyé une femme dans sa baignoire et disposait d’une arme à feu (22 colibris) ; l’autre Jeffrey est meurtrier révolté d’un agent de police : « tous ces bouffons de flics, assassins de gamins innocents ».

Et puis j’ai une ferveur pour les  énigmatiques  les « en-allées » de Catherine Bedarida « éloignées / du feu des volcans /  les en-allées marchent pieds nus ». Sont-elles des mortes ?  Des braises ?  Des étoiles ou des laves ? Qu’importe d’ailleurs puisqu’elles s’en sont allées… sans disparaître de sa mémoire. Au matin, elle se lavent « dans un reflet de ciel », « elles marchent / hébergées par le vent le ciel l’horizon ». Je les rêve.

Notes

(1) 451 degrés, température où le papier s’enflamme version Farenheit, soit 232,8  degrés en version celsius.

(2) Louis Blanc 1839, puis Marx 1875.




Revue Cabaret n° 29 et 30

La revue Cabaret numéro 29 est intitulée « Les mystères de l’Ouest » : il fut entendre ouest par océan et Bretagne…  Pour reprendre le slogan publicitaire (en son temps) de La Corde Raide, j’écrirais« La plus petite des revues, mais non la moindre ! »

Deux femmes que je connais, pour ses sollicitations pour la première et pour la seconde grâce aux notes de lecture que j’écris sur les SP  qu’elle m’envoie, la revue, fidèle à son habitude ne publie que des poèmes de femmes et UN homme, jamais je n’ai lu sous la plume de Nadia Gilard, sous le titre de « Mon démodé », un poème d’amour aussi impatient (« la convulsion d’amour et de mort »). J’aime Marie-Laure Le Berre pour ces vers : « La marche lente des menhirs / Tu folâtres dans leurs rangs /  Homme malheureux » (p 8). J’aime le texte d’Olivia del Proposto qui fait  dire à l’héroïne de son poème qu’elle jettera ses dix ans « demain /  A 9h 53, / ça fera 3650 grandes pensées exactement » : je compte 3656 (ou plus ou moins ?), ça dépend comment on compte les années bissextiles ; je sais, elle écrit pensées

Numéro 30 ; intitulé « Massalia Soul System », je suis étonné par la diversité du paysage éditorial français ou francophone. Il est vrai que les éditions du Seuil ont une autre surface que la revue Cabaret et les éditions du même nom.

Revue Cabaret : abonnement 4 n° annuels, 12 euros

Consacrée à Marseille, les écritures (poèmes ou prose) sont marquées par les inégalités ( il est vrai que Marseille est l’école de la misère !)




Feuilleton Bernard Noël sur Poezibao

Doit-on encore présenter le site de la journaliste Françoise Trocmé, créé en 2004, riche de milliers d'articles, et dont la vitalité ne se dément pas? Poezibao, accessible en suivant le lien, est à la fois une anthologie permanente, avec un extrait quotidien de poésie, un journal de l'actualité de la poésie, un magazine nourri de reportages, de rencontres, de notes de lecture, une revue littéraire avec une recension régulière des revues de poésie et une base de données.

Depuis septembre 2020, elle héberge également la revue NU(e) de Béatrice Bonhomme ((https://w7ww.recoursaupoeme.fr/revue-nue-n69 )), proposée au format PDF. Le numéro 72 (septième publication au format électronique) est consacré à Serge Ritman.

 

Photo ©Maxime Godard

Pour l'anniversaire de Bernard Noël, écrivain majeur dont l'oeuvre traverse, outre la poésie, roman, théâtre, essais sur la peinture, en passant par des textes politiques, Poezibao, en lien avec le site "Atelier Bernard Noël", propose à ses lecteurs un feuilleton sur le thème "Quel plaisir avez-vous à lire Bernard Noël ?"

Onze auteurs sollicités on expliqué ce qui, dans l'oeuvre ou la personnalité de l'écrivain, qui fêtait le 19 novembre ses 90 ans, suscitait leur admiration, tout en joignant un extrait de l'oeuvre qui illustre ce qui leur semble primordial.

Sont ainsi à suivre les témoignages de Jacques Ancert, Marie Etienne, Sophie Loizeau, Jean-Marie Gleize, Jean-Louis Giovannoni, Marcel Migozzi, Claudine Galea, Ludovic Degroote, Anne Malaprade, Patrick Laupin, Amandine André, qui forment un passionnant panorama des puissantes raisons de lire ou relire Bernard Noël.




Revue L’Hôte, esthétique et littérature, n. 9, « De la nuit »

Je reçois le nouveau numéro de la revue de Didier Ayres, dont nous avions salué la naissance en janvier 2019. Le numéro que j'ai en main, luxueusement présenté sour une couverture or marquée d'un "9" en calligraphie cursive, tout comme le sous-titre thématique, s'ouvre sur des pages de papier satiné, où les marges abondantes rendent la lecture particulièrement agréable.

Onze contributeurs recensés au sommaire proposent des textes de forme variée: poème en vers ou en prose, essai, nouvelle, traduction... chacune introduite par un sobre encadré noir surmontant titre et auteur, et indiquant la direction de notre lecture. Je retiens particulièrement, dans ce numéro que je feuillette encore, la contribution d'Emmanuel Moses, auteur rate à la plume exigeante, présent ici avec 6 poèmes sur la poésie nocturne urbaine.

Des pages 25 à 35, un portfolio, composé par Yasmina Mahdi , propose de visiter une série d'oeuvres d'auteurs variés, dont deux techniques mixtes de Yasmina Mahdi. Toutes illustrent la thématique nocturne du numéro dans des techniques variées : peinture, gravure, photo...

On soulignera également ici la qualité de la reprographie, particulièrement dans le rendu si délicat des nuances de gris.

Le lecteur intéressé pourra trouver davantage d'informations et s'abonner en suivant le lien vers le site de la revue 

 

L'Hôte, esthétique et littérature, n. 9, « De la nuit »mars 2020, 60 pages format A4, 5 euros.