Les Haïkus de L’Ours dansant

L'Ours dansant, n. 3, le journal du haïku, novembre 2020 est une publication gratuite disponible sur la page de l'association pour la promotion du haïku, qui publie également Ploc¡ La revue du haïku. Toutes deux à retrouver sur le site de l'association 

Avec son titre joueur et son logo évoquant l'animal totémique, L'Ours dansant propose très sérieusement 6 pages en pdf téléchargeable, où l'on trouve sur trois colonnes :

un florilège, sur thème libre, de haïkus « 100%100 français »,

une série de haïkus japonais extraits de la revue  Haiku international n. 148 ,

l'appel à textes lancé par Dominique Chipot pour le n.5, prévu en janvier 2021,sur le thème « Première fois » (les consignes se trouvent en page 3 de la revue)

ainsi qu'une riche sélection de parutions et de notes de lecture, impressionnante pour une revue au format aussi bref  que les textes qu'elle défend. Il y a là de quoi satisfaire les haijins confirmés, mais aussi tous ceux qui souhaiteraient progresser dans la compréhension et la réalisation de ces tercets.

Je vous propose deux exemples extraits au hasard des deux rubriques de poèmes  pour vous inciter à rendre visite au site de l'association, et à vous abonner !

Sur le seuil

prenant le soleil

mes chaussures côte à côte.

Eric BERNICOT

 

 

A la fenêtre

d'un musée fermé

un pot de cyclamen

MANABE Ikuko




Poésie mag

Eric Dubois, créateur et animateur de la revue en ligne « Le Capital des mots » dont il annonçait récemment la fin, après des années d'existence, crée un nouveau blog sur WordPress " Poésie mag " .

On peut regretter la disparition de la revue précédente, qui permettait à nombre de poètes de trouver leur voix/leur voie dans l'univers de l'édition – peut-être pas de façon sélective, mais l'accueil avait le mérite d'ouvrir largement la porte. L'association culturelle associée demeure active.

S'ouvrant sur un portrait de Verlaine par Jacques Cauda, le site d'une grande sobriété annonce la couleur : le menu également sera sobre (comme celui de la revue « Ce qui reste » lors de sa création par Vincent Motard-Avargue) – ce qui ne veut pas dire insuffisant.

On a donc, dans une présentation très dépouillée un poème/un auteur/ un livre (par le biais d'un lien vers le site de l'éditeur ). Eric Dubois ne veut plus publier que des extraits de livres de poésie contemporaine ( édités à compte d'éditeur ) . Et de jolies surprises à venir sans doute : pour ce départ, un texte d'Etienne Ruhaud, un poème de Catherine Andrieu, et un très joli retour de Langage, publié en 2017, recueil dont Carole Mesrobian avait parlé ici dans un article retraçant le parcours poétique de l'auteur : https://www.recoursaupoeme.fr/eric-dubois-un-chemin-de-vie-plus-quun-parcours/




Poesiarevelada

Créé et animé par Philippe Despeysses et Hervé Hette, ce site poétique affiche d'emblée sa vocation internationale avec un bandeau trilingue – français, anglais, portugais.

Le premier, qui se présente comme « écrivain-marcheur, poète et journaliste » vit depuis plus de dix ans à Lisbonne, et le second, photographe et graphiste, depuis 1994.

Je citerai le début de leur présentation, qui signe l'originalité de leur démarche : 

 

 

La Poésie s’est endormie dans les livres, les bibliothèques, les librairies, les universités,...

Aujourd’hui si un livre de Poésie se vend ne s’agit-t-il pas d’une sorte de petit miracle !?

Pourtant quand la Poésie est dite par les poétesses, les poètes, les unes et les autres, elle semble alors prendre une sorte d’envol et plus encore si des images, des sons ou des musiques l’accompagnent. 

 

Ce qu'ils proposent donc, c'est un site « ouvert à tous », en toutes les langues, présentant une sorte de « vitrine » vivante de la Poésie dépoussiérée. En quoi Recours au poème ne peut qu'adhérer, et soutenir l'initiative en vous invitant à visiter et alimenter cette source d'échange de poésie et de fraîcheur.

 

https://www.poesiarevelada.com

 

Liens possibles :

https://knu-slam.bandcamp.com/track/ma-mise-amore

https://knu-slam.bandcamp.com/track/ma-mise-amore

 

 




La petite Ficelle ombilicale du Poème

Il y a eu les annulations de presque tous les lieux où la Littérature peut vivre. Le feu des genèses de la création attisé par la partage, la fraternité, la Parole qui énonce hors des briques qui enferment les âmes n'a pas pu créer de monde nouveau, pas encore. Mais Ça continue, rien ne peut faire cesser cette source libératoire, le Poème. Une petite revue, Ficelle, arrive justement régulièrement dans ma boîte aux lettres. 

J'ouvre l'enveloppe et la qualité du travail éditorial me ravit toujours. Ces tout petits volumes au papier épais, dont la typographie discrète laisse place à des couleurs portées par le travail d'un plasticien, sont tenus dans leur couverture à trois rabats comme un secret dans le bruit du vent. Que l'on ait en main le n° 143, qui nous emmène  dans "l’intime féminin",  grâce à une "poésie végétale à fleur de peau", et à "l’esprit du sensuel partagé" qui se dégage des poèmes de Nicole Barromé accompagnés par des gravures de Vincent Rougier, directeur éditorial. "En découvrant ces poèmes et en les illustrant  « Ai-je été le papillon ou l’abeille qui, gourmande, butine cette fleur ou ai-je rêvé d’être cette fleur, son pistil ?  », dit-il à propos de ce petit volume. Ce numéro a d'ailleurs été publié en coffret avec des gravures originales du plasticien et éditeur. 

Revue Ficelle n° 143, Génésiques poèmes, Nocile Barromé, Editions Vincent Rougier, Livret broché tiré à 200 ex, 48p 10,5 x 15 cm., 13€.

Les autres numéros ne démentent pas la grande qualité des contenus tout comme la haute tenue éditoriale de l'ensemble : par exemple et comme on ne peut les citer tous (il y en a presque 150) le numéro FP7, De rupestre mémoire, consacré à Marc Delouze, dont les poèmes sont en "Conversation avec des tableaux de Jean Villalard", puis se prêtent à une "danse sur le papier, Conversation avec un triptyque de Patricia Nikols", et accompagnent le "chant des terresConversation avec des poteries de Puisaye".

 

Revue Ficelle, FP7, De rupestre mémoire, Marc Delouze, Editions Vincent Rougier, Livret broché tiré à 300 ex., 40p, 10,5 x 15 cm, tirage courant 13€.

Au bord du vide, Jean Villalard, dans la Revue Ficelle, FP7, De rupestre mémoire, Marc Delouze, Editions Vincent Rougier, Livret broché tiré à 300 ex., 40p, 10,5 x 15 cm, tirage courant 13€.

Il faut donc saluer ce qui est, perdure, et porte la Poésie encore comme un écho jamais tari. Ficelle parmi d'autres, tient, arrive chez nous puisqu'on ne peut plus aller vers elle, lien comme ombilic du monde, d'un à un, de nous à nous, tous, réunis par ce fil d'Ariane qu'est la Poésie. Merci !




Des liens de liens : Poésie à la une

Poésie à la une est une « revue des revues du net » est « Une sélection de l’actualité des poètes, des poèmes et de la poésie proposée par l’Union des Poètes & Cie, « l’union de tous ceux qui – forcenés des mots écrivent, promeuvent ou défendent des textes inclassables »».

 

Cette association ainsi que les publications de l’Union des Poètes & Cie  sont présidées par Paul de Brancion. Le numéro spécial du 21 octobre « Les maux et les mots de la crise » rappelle les nombreuses annulations subies par les éditeurs, poètes, organisateurs, revuistes, auteurs… qui se sont vu interdire toute possibilité d’organiser les événements prévus pour la promotion de la Littérature. 

Une attention particulière est portée à la suppression pure et simple du Marché de la Poésie de Paris. Les liens vers des articles et les différents courriers envoyés par Yves Boudier et Vincent Gimeno-Pons, au Préfet de police de Paris et à Madame la Ministre de la Culture, permettent de prendre connaissance des étapes qui ont ponctué la bataille de ces deux organisateurs dont les courriers sont à ce jour encore sans réponse.

Diverses actualités suivent ensuite pour cette édition spéciale. Notamment l’évocation des « subventions du CNL aux (grosses) maisons d’édition ». L’équipe de Poésie à la une rappelle tout de même que « Si la situation actuelle de la poésie peut inviter à un certain pessimisme, un retour en arrière permet un optimisme certain ». Suivent des citations d’Yves Charnet, d’Anne Waldman, et de l’immense Tahar Ben Jelloun : « La poésie sauvera le monde » !

,Alors, si le numéro suivant met l’accent sur la fermeture des librairies, décision qui enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de la Poésie (ce qui n’est pas sans rappeler le sort de la Culture dans les régimes totalitaires)  c’est sans compter les forces vives et limpides qui portent ces mails, ni les articles vers lesquels ils mènent, ni ceux qui les lisent, les écrivent, encore moins avec ces organisateurs et éditeurs qui se battent et ne comptent ni leur temps ni leurs deniers, sans oublier les poètes qui connaissent pour l’avoir entrevue cette porte vers la liberté suprême, celle de créer avec cet outil libératoire du langage, la poésie.  

C’est rouge, comme la colère, la une de Poésie à la une !

 

 

Au micro d’Anne Roumanoff, sur Europe 1, Tahar Ben Jelloun explique pourquoi la poésie est ce dont a le plus besoin la société.




Décharge 185

Ce qui frappe en premier, de ce numéro de printemps 2020, est ce visage, en couverture, tout en matière et en couleurs de l’artiste syrien Kazem Khalil qui propose, pour la revue, dix portraits d’une force prodigieuse et un nu dont Jeanne Delestré tire un merveilleux texte p.78-81 (Audace expressionniste. Gestes nerveux et spontanés, les nuances d’acrylique sont étalées avec la mobilité permise par la technique du couteau.).

Décharge 185 s’ouvre sur la chronique de Georges Cathalo « Phares dans la nuit » consacrée aux éditions La Boucherie littéraire – le visage peint par Kazem sur la page en miroir, charnel et sanguin, en est un beau reflet. Suit un ensemble dédié à Lambert Schlechter, une note de Jacmo et 13 proseries inédites. Des poèmes de Jacques Ancet qui créent un écho étrange (prophétique ?) du confinement que nous avons vécu de mars à mai 2020 « Entrer Sortir » (Dehors ressemble à une gueule ouverte)  ; textes de Peter Wortsman et un entretien avec ce poète et traducteur New Yorkais ; puis, des poèmes de Michel Bourçon (Écrire / c’est consentir à la neige / pour parvenir au feu), Jacques Robinet, Bruno Berchoud, Christian Bulting, Sanda Voïca (je continue : / retourner la terre dans le jardin / et écrire), François de Cornière (D’autres poèmes continueront / de s’accrocher à mes jours / à mes nuits), Marilyse Leroux. « Les chroniques du Furet » avec Chloé Landriot qui nous parle des cabanes à partir de sa lecture de Nos cabanes de Murielle Macé, « la poésie comme moyen de construire des cabanes – de trouver des façons de vivre dans un monde abîmé ».

Un dossier intéressant dans la rubrique « Les Ruminations » de Claude Vercey sur « Un nouveau paysage éditorial » où six éditeurs expliquent pourquoi ils ont fait le choix « déraisonnable » de publier de la poésie.  Des notes de lectures de Jacmo qui invitent à découvrir et à lire de nombreux recueils. Articles, recensions, le Choix varié de Décharge font de cette belle revue, riche et vivante, un rendez-vous incontournable pour les amoureux de la poésie !




Diérèse n°78 : Poésie et Littérature !

La soixante-dix huitième édition d’une très belle revue dédiée à Bernard Demandre. ""L'aube est à l'aube sa lueur" Pierre Lecuire (1922/2013)" pour exergue, et un édito dans lequel Daniel Martinez nous propose d"habiter "poétiquement" le monde, dans son étonnante diversité, et lui donner par là-même une autre dimension, où les visions conquérantes perdraient de leur superbe".

« Domaine allemand », « Domaine chinois », « Domaine anglais » … Un chapitre liminaire qui nous propose des poèmes du monde, représenté en l’occurrence par Martin Krüger, Li Shutong et John Silkin dont les versions originales jouxtent les traductions. Une démarche que Recours au poème soutient et met en œuvre dès que possible, tant il est vrai que la musicalité de la langue est une composante incontorunable du travail du poème. Il y a aussi la graphie qui ici dans les idéogrammes des textes de Li Shutong ouvrent à cet univers incroyable d’autres sphères scripturales qui laissent entrevoir combien est diverse la manière d’exprimer notre appréhension du monde.

Diérèse n°78, Poésie et Littérature, mars 2020, 307 pages, 15 €.

Comme il est d'usage pour cette revue généreuse tant en terme de quantité que pour ce qui est de la qualité des contenus, ce volume laisse toute latitude à la poésie de vivre, d'éclore la multiplicité des univers qu'elle révèle à chaque passage de nos regards. Des poètes tels qu'Alain Brissiaud et  Claude Pélieu que nous retrouvons un peu plus loin dans les pages de la revue, qui se sont accompagnés à la vie tels deux grands amis, mais aussi Bernard Grasset, Pierre Dhainaut, Isabelle Lévesque ou Gérard Mottet, suivent les pages qui ouvrent sur  la thématique du volume.

Poésie mais pas que, puisque le "Cahier 3" est une rubrique « Proses ». Avant Bruno Sourdin nous offre cet entretien avec Philippe Lemaire qui cite Claude Pélieu dont le poème "Journal 1983/84", inédit, suit  : "Pour moi le collage, c'est écrire avec des images". Bien sûr, on voudrait écrire comme les collages de Philippe Lemaire !  Sept reproductions   en couleur de très belle tenue accompagnent cette rencontre qui nous plonge dans l'univers de l'artiste, riche et émouvant, lorsqu'il évoque Dan et Guy Ferdinande, ses année passées au Havre, à Lille, et la grande richesse des artistes avec lesquels il a travaillé. C'est un univers qui vit, revit, et montre combien l'art est empreint de notre quotidien et du partage.

Après  ces "Cahiers" dont le troisième est consacré à philippe Lemaire vient la rubrique « En hommage » dont il faut saluer l'originalité. Ce "Tombeau des poètes XIII" mené par Etienne Ruhaud nous emmène cette fois-ci au cimetière de Bercy où reposent Maurice Rapin et Mirabelle Dors son épouse dont il évoque la vie, l'œuvre, quelques paragraphes. Puis, pour clore ce volume épais, les  « Bonnes feuilles », qui offrent un groupement d’articles signés par des noms que nous retrouvons avec plaisir : Max Alhau, Jeanine Poulsen, Olivier Massé, Philippe Genest…

Une très belle revue, si tant est que belle signifie qu'elle permet l'évasion non pas de soi-même mais de ce qui enferme soi-même dans les limites de perceptions qui ici sont portées bien au-delà des mots et des pages. "Habiter "poétiquement le monde" ! Il me semble que c'est ce qui est offert ici.

 




Verso n°179, Ici & ailleurs

Ayant organisé deux expositions sur le thème universel  Ici et Ailleurs1, grande est la tentation de consulter la  revue trimestrielle Verso2. Son choix suscite l’envie de lire et d’observer les ricochets de poème en poème, recto ou verso d’eux-mêmes! Un incipit-dessin (formule inventée), esquissé par Michel Julliard, prélude à  une certaine liberté de ton avec son lézard lascif et son oiseau aux ailes ocellées.

 «Ici désigne un lieu précis. Ailleurs n’est pas visible » précise Alain Wexler, directeur de publication. Tout apparaît donc possible. Ainsi sa proposition d’ « appartenir au rêve d’un autre »  incite la lectrice à fantasmer cet ouvrage traversé par un vif bouillonnement créatif. 

Certes l’ailleurs du voyage impose sa priorité. « Il n’avait pas plu depuis longtemps. Les hommes dansaient pour faire tomber le verbe pleuvoir », constate le poète Charles Vanhecke en un périple – peut-être imaginé - vers une tribu éloignée. L’audace poétique vient que la pluie d’eau attendue est remplacée par le « verbe » qui l’exprime ! Une passion similaire pour les mots anime Véronique Joyaux, exploratrice d’un « livre qui n’existait pas ». Rêveuse d’amour, elle s’imagine être l’héroïne de l’ouvrage que lit l’homme « du wagon » assis en face d’elle. Il en émerge une belle phrase énigmatique : « Penseur, j’ai abîmé tes étoiles », annonce probable d’une relation ultérieure.

 Ici & ailleurs, Editions Verso, n°179, 120 p., décembre 2019, 6€

Cet ailleurs  entraîne  le poète Jean-Paul Prévost dans son propre spleen : « Tout s’écroule. Je perds mon temps. De mon matin/Frileux, entre mes dix doigts je ne retiens rien ».  Il conduit aussi Géraldine Serbourdin vers la tristesse de l’abandon : « Je suis agenouillée sur le sable en attendant la mer,/Je suis sur la longue route de la perte de toi ». Il pousse même Marc Mériel au désespoir existentiel : « Je n’arrive pas à croire que je suis le fils de quelqu’un. Il me semble que je suis né de rien du tout. D’un vide». Il est emprisonné en lui-même : « En habit de bagnard / Une statue me représente. » Quel constat fait-il ? « On croyait changer le monde / Mais c’est le monde qui nous change, / Il a fait de nous ce que nous sommes ; / des Poètes » . Patrice Blanc connaît cette même affliction, mais « au nom du désir et des flammes, au nom du sang » : « C’est comme une explosion/un corps ouvert à l’amour / qui ne sait plus de secret ».  Quant à Marinette Arabian,  son désarroi est un émouvant écho d’enfance. Fillette punie pour une dangereuse bêtise (se pencher dans le vide à hauteur du troisième étage),  elle suggère à son père  en sanglotant : « Rends-moi au Monsieur du magasin où tu m’as achetée ».

Certaine douleur enfin, moins personnelle, hante ces villes détruites par la guerre et  rongées par les « cicatrices » de Clément Bollinot : Alep « à jamais béante dans l’étouffant ciel rouge de l’humanité », la route vers Tel-Aviv « criblée d’impacts de balles/une voiture calcinée / encore fumante / dans laquelle jouent /quatre enfants ».

Tous ces « ailleurs » progressent parfois jusqu’au bout d’eux-mêmes, à leur propre négation. Joëlle Pétillot (Seishin) ressent un mutisme exalté: « Pour décrire un ailleurs, des mots sont nécessaires. On écrit avec du silence, mais du silence fertile, un vide fécond qui devient autre à mesure que le blanc du départ gagne en apesanteur ».  En ce silence qui se déconstruit, la poétesse se retrouve « debout, face à un océan dont l’éternité aboie », puis « L’éternité n’aboie plus, elle danse ».

Ailleurs invite à modifier son regard sur le monde. A L’approcher autrement ou à se sentir quelqu’un d’autre. De façon insolite comme Patrice Blanc qui s’exclame : « J’appelle la pierre ». De façon fusionnelle et troublante :  « Je connais bien ce monde, c’est ma peau » comme l’affirme Joëlle Pétillot. De façon charnelle : l’ailleurs peut aussi prendre corps. Tristan Allix, si sensible aux « plaies poétiques des marges », invente une femme aussi effrayante (« Tu es mon enfer par ton mystère ») que désirée (« Je suis ton appétit, ton ventre / Je suis ton paradis quand mes rêves deviennent réalité »).

Au-delà du contenu, cet Ailleurs répercuté dans l’ici de ces poètes propose aussi à jouer avec les formes expressives. Parfois la musique qui émane des poèmes leur donne forme. Christian Kakam joue avec les sons, impulsant un rythme afro : «  les saccades continuent par saccades », « la fronde fait fondre », « tous les terreaux rotent », « l’ire dans les heurts » ou « les pulsions hâtent les pulsations ». Parfois le poète Michel Gendarme manie l’art de la répétition. Créant une rengaine, il répète ainsi onze fois « les mots », dix-huit fois « elle », vingt-neuf fois l’interjection « ha »…. Son but, en capturant les mots comme par magnétisme, est de rédiger un poème pour ses amis : «  Je veux écrire sur l’eau/, (…) écrire sur la peau de l’eau/, (…) j’écris sur la peau de l’eau ».  Son écriture  porte en elle et décrit sa propre musicalité : « tout vibrait parfaitement tremblements éboulements ». Un saxophone lançait « des chants lancinants » dans une ville bombardée pleine « d’horreurs ».  « Il dansait en-dehors de lui / hors de lui / entre les bombes et le saxo ». Cette musicalité de l’ailleurs peut parfois être constatée sans s’inscrire dans le flux poétique. Ainsi Marcel  Faure évoque « Ce baume noir des plaies béantes » dans le bar «du « blues camarade ». « C’est toujours d’actualité / Nègres de toutes les couleurs / Dans le tempo des jours ».

Et moi lectrice, me promenant en bonne compagnie avec ces Ici et Ailleurs poétiques si vivants, j’aurais volontiers ajouté2  l’ici de l’ici, l’ailleurs de l’ailleurs, l’ici de l’ailleurs, et même l’ailleurs de l’ici… Pour clamer à quel point nous sommes emprisonnés et limités par nos propres concepts. Mais… soudain l’interrogation puissante d’Eric Sicilien, me nargue et claque comme une leçon ou une menace : « Et si nos rêves avaient pour vocation d’être poursuivis sans jamais être réalisés ? Et si c’était justement cette quête sans fin qui nous maintenait en émoi ? Autrement dit, en vie ? » Heureusement,  ces hypothèses à l’imparfait sont peu probables (pour ne pas dire improbables). Alors ai-je bien lu ou ai-je seulement rêvé?

 

Notes

  1. Broderies d’ici et d’ailleurs (2014), Animaux d’ici et d’ailleurs (2015), Gilles 28260.
  2. Emportée par la fébrilité de la recherche.




Des revues numériques à la page

En cette période d’enfermement, physique, spatial, mais aussi mental et psychologique, on remercie vraiment les revues numériques qui viennent à nous, si belles que l’épaisseur de leurs pages et que le plaisir de les feuilleter est aussi immense que lorsque nous tenions celles qui ne nous sont plus accessibles facilement entre nos mains. 

Pour ce qui concerne Le Ventre et l'oreille et Ressacs les sommaires ainsi que la disposition des articles et rubriques énoncés sont servis par une mise en page usuelle, c'est à dire celle qui présidait à la mise en page des revues papier : éditos et rubriques, accompagnés par pléthore d'images et de couleurs, mis en page sur un support Calameo que l'on peut feuilleter, tout comme pour les revues papier. 

Les possibilités offertes par les outils numériques sont surtout exploitées dans les choix des lignes éditoriales : typographies  et iconographie qu'il est bien plus facile de tester afin d'en apprécier le rendu immédiat. 

 

Le Ventre et l'oreille n°4.

Ces possibilités graphiques sont surtout appréciables pour ce qui concerne  l'iconographie. Les possibilités sont décuplées, propulsées au rang de ce qui aurait été impossible avec les revues papier. Non seulement parce que la palette de couleurs est infinie, mais parce que le rendu est une fois de plus modifiable et adaptable. Une autre raison de cet afflux de beauté graphique est que bien entendu les coûts d'impression n'existent plus. Et qu'en serait-il s'il fallait payer pour la qualité des rendus numériques ? Quand bien même ce serait possible d'obtenir un rendu approchant, peu s'y risqueraient, c'est certain. 

Enfin, bien sûr, il faut évoquer la gratuité de ces publications. Il ne s'agit pas bien entendu d'affirmer que les revues. numériques remplacent les revues papier, car  ce sont deux vecteurs différents. Ces dernières sont bien évidemment irremplaçables, et leur fréquentation n'est bien sûr pas du tout comparable à celle des revues numériques. Mais on peut voir là une nouvelle catégorie de publications, qui exploite toute les ressources des outils numériques et les adaptent à un support dont le protocole éditorial reste celui des revues papier telles que nous les connaissons. Il faut parier que ces espaces en ligne offrent au genre l'opportunité d'explorations formelles et paradigmatiques qui ne manqueront pas d'ouvrir vers des pages pluri-génériques et novatrices. 

Le Ventre et l'oreille, une revue aussi belle que truculente

Parmi celles-ci il faut citer la très belle revue d'Organe Hurstel et d'Emmanuel Desestré, Le Ventre et l'oreille. Une revue pluridisciplinaire qui propose des rencontres croisées de différentes disciplines artistiques réunies au tour d'une thématique définie par les directeurs éditoriaux, avec pour positionnement ces mannes sensorielles et paradigmatiques que sont la cuisine et la musique réunies dans, par, à travers le prisme d'artistes et de rédacteurs venus d'horizons variés. 

Des couleurs et des images d'une rare qualité, qui portent un sommaire très riche et original. Les directeurs de la publication sont très attentifs à ce que tout  soit harmonieux, signifiant, et c'est une très belle réussite. Les productions mises en ligne sont d'une qualité remarquable. Cette si jeune publication est un très bel exemple de ce qu'il est permis de faire avec les outils numériques, mais aussi avec ce désir de faire évoluer la catégorie de périodiques qui concernent les arts.

 

Le Ventre et l'oreille n°4.

L'humour est le parfum d'ambiance qui préside à ce numéro et porte la thématique qui est déployée dans ce syncrétisme artistique et culturel, le sous titre "Vous allez déguster" en témoigne ! Les outils numériques offrent aux maîtres d'œuvre des possibilités infinies... Illustration et mises en page déploient des couleurs à couper le souffle, pour pléthore d'articles dont les rédacteurs issus de différentes disciplines déclinent les inscriptions dans une pluralité de supports artistiques.

 

 

 

Un quatrième numéro dont la thématique, "Temps et mouvement", est d'une très belle facture et d'une grande richesse. Un sommaire suivi par les articles, où on peut trouver des textes sans distinction de catégorie générique. Seul lien, la tonalité, entre sérieux, humour et réflexion. Tout vient interroger la thématique mise en œuvre, et offrir des pistes d'investigation. On referme (numériquement) la revue et on y est encore, dans ce temps en mouvement, qui est celui du défilement des pages ou bien celui de nos existences qui depuis peu ne subissent plus qu'une temporalité exempte de tout mouvement autre que celui mental qui nous est encore accessible.

Le Ventre et l'oreille n°4.

Alors voyager dans Le ventre et l'oreille est tout à fait salvateur, c'est un territoire, un pays hors du monde et dedans, et un refuge s'il en est en cette période de sidération.

 

Marie-France Leccia, Jason Weiss, Jean-Pierre Marty, Isabelle banco, Françoise Breton, et tant d'autres, servent cette thématique, qui est annoncée en début de volume par les directeurs de la publication pour lier les productions proposées. Après plus rien n'a besoin de venir orchestrer l'ensemble, si ce n'est l'appareil iconographique qui est pure merveille. 

Un syncrétisme facilité par les multiples possibilités offertes par la publication en ligne. Et que penser des multiples possibilités d'évolution qu'offre le support de publication en ligne ! Nous ne sommes pas au bout des étonnements c'est certain, quand on voit l'originalité au service d'une qualité qu'aucune faute de goût ne vient contrarier.

Le Ventre et l'oreille n°4.

Ressacs n°6

Ce numéro 6 de Ressacs, "Revue sénégalaise de poésie" consacre la revue de Géry Lamarre et Laîty Ndiaye. deux coordinateurs, dont un est lillois et l'autre dakarois. La qualité et la diversité des publications qui y figurent sont réunies sous la bannière de la poésie. Chaque centimètre de ce numéro lui offre un support digne des plus belles publications papier. 

Dans son édito, un des directeurs de la publication, cette fois-ci Géry Lamarre, présente le "nouvel habillage" de ce numéro. Il rappelle sa volonté de susciter un dialogisme entre le texte et l'image. Et la thématique de ce numéro : la poésie !

Après un éditorial dans le sillage de ceux qu'il est possible de trouver dans la plupart des revues papier les voix s'effacent et nous offrent des poèmes de jean-Marc Barrier, de Patrick Joquel, de James Noël et d'autres. Ces textes sont mis en page sobrement et soutenus par un appareil iconographique d'une très belle qualité. 

 

Revue Ressacs n°6.

Tout parataxe est exclu de ce champ dévolu à l'espace poétique. Les illustrations font face aux poèmes. Une pour chaque auteur. A la fin une petite présentation des poètes clôt l'ensemble. Celle-ci permet de mettre l'accent sur l'internationalisme des voix qui y sont présentées. 

La typographie ainsi que la présentation des extraits confiés à Ressacs semblent s'effacer, pour laisser place à la beauté de poèmes dont nul ne peut discuter le choix.

A côté des textes qui illustrent la thématique, une page "Champ libre" en fin de volume donne carte blanche à un poète, ici Khalifa Ababacar Faye avant la présentation des participants, qui affiche clairement cette volonté de créer un espace poétique pluriculturel et international. 

Grâce aux nouvelles technologies, et au-delà de toute considération pragmatique de possibilités offertes hors des contraintes de l'impression sur papier des productions offertes, nous avons donc une revue sénégalaise de poésie qui offre en plus du croisement pluridisciplinaire, un espace hors de toute frontière  à l'expression artistique. Espérons que l'objectif de cette revue fasse école et ouvre la voie à une internationale humaniste et politique. mais ça, c'est une autre histoire...

Revue Ressacs n°6.

Ressacs est un espace de rêve et d'évasion, et quel espace ! La sobriété des pages et la beauté des poèmes qu'accompagnent ces couleurs profondes et enveloppantes des images dont les teintes ici encore nous emportent dans des univers d'une extrême richesse  sont au diapason de l'ensemble.

Peu de pages, peu de textes, ce qui est un choix délibéré du directeur de la publication. C'est bien sûr toujours le cas, mais c'est encore plus remarquable pour les  publications en ligne, qui peuvent mettre en œuvre une pluralité de pages sur des supports variés sans risquer de doubler voire de tripler le coût de la publication. Il s'agit donc de décrypter ce qui avant était s'adapter aux nécessités économiques, comme des choix délibérés et signifiants.

Ce numéro de Ressacs est donc délibérément léger et dense, qualités qui peuvent certes paraître antithétiques, mais qui ici se rejoignent pour nous offrir une revue ténue mais d'une extrême qualité.

Revue Ressacs n°6.




Les Cahiers littéraires des Hommes sans épaules

Les Hommes sans épaules ne sont pas à proprement parler une revue. C’est une somme, le tour complet d’un horizon déterminé par la thématique ou l’auteur abordés à travers l’élaboration des dossiers trimestriels.

A côté il y a des rubriques récurrentes, qui structurent l’ensemble. Le tout offrent une plongée en général profonde tant elle est riche et pertinente, dans les domaines abordés, ou bien proposent des textes d’auteurs qui y côtoient les rédacteurs appartenant à des domaines disciplinaires variés.

Ces numéros 48 et 49, respectivement du dernier trimestre 2019 et du premier trimestre 2020, sont un bon exemple de la diversité de mise en œuvre de ces volumes toujours importants tant au niveau de leur épaisseur physique que de leur contenu.

Le numéro 48 annonce un dossier Georges Henein, “La part de sable de l’esprit frappeur”. Après un éditorial signé Sarane Alexandrian vient la rubrique “Les porteurs de feu” qui offre pour ce numéro son espace à deux poètes, cette fois-ci César Moro et Roland Busselen, qui sont présentés  par un rédacteur, qui varie bien sûr en fonction de l'auteur publié, avant une série de poèmes à découvrir ou à redécouvrir.

Les Hommes sans épaules, n°48, Nouvelle
série/second semestre 2019, 307 pages, 17 €.

Encore une ouverture que rien ne contraint, car ces avant-propos offrent juste des clés de lecture, et accompagnent au seuil de la découverte de ce qui est proposé ensuite. Puis les nouvelles rubriques : les "Wah 1", où sont proposés des poèmes de divers auteurs contemporains, et les "Wah 2", dans ce numéro une thématique, “Les poètes surréalistes et l’amour”. A côté de ces passages incontournables, d'autres rubriques viennent enrichir l'ensemble,  “Les pages des HSE”, et “Avec la moelle des arbres”, où on peut trouver des notes de lecture.

 

Le numéro 49 obéit au même protocole éditorial, mais son dossier thématique concerne “La poésie brésilienne”. Autant dire une somme, une espace de découvertes et de réflexion, et une ouverture, comme c’est toujours le cas, à des univers bien souvent inconnus, à l'histoire de la Poésie et de la Littérature ailleurs. Les points de vue proposés par différents spécialistes qui encadrent les poèmes et les auteurs présentés, sont didactiques, objectifs et neutres, afin de guider le lecteur sans   influencer sa rencontre avec le poète dont il est question.

 

Les Hommes sans épaules, Cahiers littéraires, sont LE Cahier littéraire, celui dont on ne se sépare que lorsque le trimestre suivant arrive, et qu’alors on peut commencer le nouveau numéro.

 

 

Les Hommes sans épaules, n°49, Nouvelle
série/premier semestre 2020, 351 pages, 17 €.