Revue Teste XXX : Véhicule anonyme

Un numéro inédit, inouï, digne du beau talent de Teste, confirmé ici par ce numéro XXX, un Véhicule anonyme... Entendons par là que les poèmes qui se distribuent au gré des grandes pages du volume ne sont pas signés. Tout le monde la même croix pour patronyme, et voilà ! Ce que rêve de faire tout auteur qui se respecte, s'effacer de la couverture, pour la rendre plus légère, pour confier le poème à la sobriété de réception que pourrait lui conférer l'effacement de l'ego, Le collectif  Teste l'a fait... En soutien et annonce cette exergue  de début de numéro : 

 

Qui eût vu Fragilité
Ayant sa tonne débondée
Dans le cul de la Vanité !
Ceux qui disent blanc pour noir
S'en sont fort bien acquittés.

ANONYME Les Fatrasies d'Arras

 

Qu'il s'agisse d'une épigraphe allographe est douteux.  J'y verrais plutôt une citation autographe, signant ainsi par son invention de la main du Collectif une annonce qui vaut préface et art poétique...

Quoi qu'il en soit, dans ce numéro XXX dédié à Alain Robinet avec un remerciement pour sa participation au précédent numéro, "Acronymes = tous anonymes",  l'édito nous propose après une définition du mot "ANONYME" tirée du petit Robert, un topo sur la figure auctoriale, avant de laisser place aux poèmes.

 

Revue Teste XXX, Parole d'Auteur, Toulon, printemps 2018, 10 €

Numérotés de XI à XXXX, des textes très différents les uns des autres se suivent, sur des pages d'une belle qualité. Une dispositif iconographique participe de cette belle allure. Un plasticien dont on connait la paternité des gravures choisies pour accompagner l'ensemble. Son nom est caché dans le bas de la sixième page. Il s'agit du talentueux Sacha Stoliarova. Teste est ainsi qu'il est énoncé sur la quatrième de couverture, "une revue trimestrielle dont l'objectif est de permettre la découverte et la promotion de la poésie et des arts visuels". 

Le lecteur peut lire les poèmes dans un état d'esprit inédit, à savoir qu'il reçoit les fragments sélectionnés hors de tout horizon d'attente quant à une oeuvre et un auteur connus, déjà lu, vu, appréhendé. Le jeu va même jusqu'à essayer de deviner, car  immanquablement survient cette réflexion : "tiens, on dirait...". Il faut dire qu'on a eu droit au jeu du sommaire, en page 7 : Il s'agit de relier "chaque auteur au chiffre de son texte/poème"... Et quels auteurs, parmi les plus talentueux... Julien Blaine, Charles Pennequin, James Sacré, Sylvie Niève, et bien d'autres comme Philippe Jaffeux !

Alors, Teste nous présenterait-elle comme il est écrit dans l'édito un "seul et même Auteur multicéphale " ?  Pour ma part, je sais que non, car j'ai la solution de la devinette du Sommaire...! Que l'on se rassure, elle accompagne chaque numéro, mais sur une feuille volante, pour ne tenter que les irréductibles.




La lettre-mail “Vous prendrez bien un poème ?”

Comme une revue en miniature  (pas plus d'une page - et d'un poème -  à la fois ), la "lettre" hebdomadaire de Françoise Vignet, joliment intitulée "Vous prendrez bien un poème ? " et illustrée de la jolie photo du pont du Jardin Japonais de Toulouse,  fait circuler la poésie contemporaine de façon moderne, via mail, à son réseau d'abonnés,  en toute simplicité :

nous lui donnons la parole.

"Vous prendrez bien un poème?",
feuille
 hebdomadaire gratuite
par abonnement à  
framboise.bergelle@gmail.com

 

 Vous prendrez bien un poème ?  est né d’un désir inachevé, il y a huit ans. Fraîchement installée à l’écart du monde, je disposais de temps libre : il m’est apparu naturel de partager les poètes que j’aime, ceux qui m’ont formée - partager et découvrir- puisque la poésie n’a jamais cessé de m’accompagner, plutôt en secret. Aussi ai-je commencé en janvier 2011 avec les amis anciens, les amis voisins, les amis familiaux, les compagnons de voyage – peu nombreux mais divers. Là où je vis, des lecteurs se sont ensuite présentés. Et la Toile m’a permis de joindre tout le monde, sans frais ni retard.

Très vite, pour suspendre le temps…

La formule initiale, toute simple, n’a pas varié. Un titre sans façon. Une totale gratuité, qui me laisse ma liberté. Une démarche à l’inverse de celle du blog,  puisque le poème vient se glisser dans la boîte aux Lettres du lecteur : intimité assurée. Un poème adressé « au visage » et non en dossier joint : présence immédiate. Une fréquence hebdomadaire, qui donne à la Poésie sa place au fil des jours. Un format réduit, qui facilite la lecture : le « morceau choisi » ne dépasse pas une page, en principe, mais un même auteur est diffusé à tout le moins pendant deux semaines consécutives : ainsi peut-on goûter (mise en bouche) davantage son écriture. Un souci de rigueur, puisque seuls sont diffusés des poèmes publiés en revue ou édités à compte d’éditeur, bien tangibles en leurs feuillets, assortis de leurs références. Une exigence de qualité, qui privilégie le plus souvent la poésie contemporaine d’expression française … sans exclure bien des pas de côté (côté cœur), dans l’espace et dans le temps.

Quant au choix, autant dire que c’est le poème qui me choisit. Le « hasard » a sa part, l’heureux hasard, avec/malgré son « coup de dés »… J’agis par « plaisir », celui « du texte ». Ce qui n’est pas futile (et quand bien même ! …). Un lecteur a suggéré, il y a quelques années, de participer aux choix : ainsi est née la  Feuille Volante, ouverte à tous, qui, le 15 de chaque mois, accueille un poème aimé par un lecteur.

En février 2011, après seulement trois « envois » (deux poèmes de Judith Chavanne et des haïkus pour le Nouvel An lunaire), les lecteurs ont réagi si généreusement que j’ai rassemblé leurs propos dans un Courrier des lecteurs N°1,  Courrier  qui perdure à ce jour. Leurs retours - réactions aux poèmes, informations poétiques ou artistiques, envois de textes - ajoutent à cette circulation de la parole du poème une épaisseur humaine, une résonance singulière, réconfortantes. Ce sont des êtres qui ont « de l’amitié envers la poésie », selon l’expression de Gaston Puel, qui se pencha avec bienveillance sur le berceau de Vous prendrez bien un poème ?

Multiples et celles de L'Arrière-Pays, notamment, ont amené nombre de lecteurs. C’est dire que le lectorat de Vous prendrez bien un poème ? (une centaine environ, répartie dans l’hexagone et quelque peu au-delà), est varié – ce qui est tout à fait précieux, parce que cela lui confère une énergie et une saveur particulières.

En mai 2012, une Anthologie permanente, dont les accès sont privatifs, a vu le jour. Ainsi chaque lecteur, quelle que soit la date à laquelle il s’est abonné, peut-il découvrir ou relire tous les textes, à son gré.

Lors du premier anniversaire, le 6 février 2012, ces mots me sont venus :

« En ces temps de disette et de galimatias, ce que j'aurais à dire tiendrait en peu de

mots : JOIE à découvrir le poème, JOIE à le partager. (…) ».

Huit ans après, ils sonnent toujours juste.




Revue L’Hôte

L’Hôte est une nouvelle revue mensuelle créée par Didier Ayres. Elle allie l’esthétique à un contenu raffiné, précieux, remarquable, tout comme l’est la couverture argentée sur laquelle un titre élégant chapeaute le paratexte, « Esthétique et Littérature ». Le numéro de la revue soutient le tout et fait office d’illustration. Une thématique pour ce volume sept : « De la nature »… Nous avons donc en main un concentré de qualité, tant la légèreté du volume se conjugue avec celle de son esthétique. Malgré son petit nombre de pages, cinquante ce mois-ci, à la lecture rien ne dément ces premières impressions.

 

L'Hôte n°7, De la nature, septembre 2018,
Saint-Junien, 51 pages, 5 euros.

Les articles sont en effet signés par des noms qui ne sont pas inconnus des lecteurs de revues littéraires : Yasmina Mahdi, Gabrielle Altehn, Jean-Paul Gavard-Perret, Bernard Grasset, Gérard Bocholier, Chrostophe Stolowicki. Ces critiques n’ont plus à faire leurs preuves et on connaît la densité de leurs analyses. Ils nous éclairent immanquablement et nous préparent à une lecture avertie, à une compréhension plus fine des auteurs et de leurs productions. Ils nous offrent ce savoir faire dans L’Hôte ! Après l’Edito signé par Didier Ayres, on ne sait pas où commencer tant on a hâte de découvrir les articles…

Parmi les rubriques qui soutiennent le fil des publications de cette revue, des titres qui annoncent l’orientation du contenu rédactionnel : opérer un synchrétisme artistique, en convoquant toutes les formes d’expression : le cinéma, l’histoire de l’art, un contenu iconographique de grande qualité, des poèmes, y compris des traductions d’auteurs méconnus car éloignés de notre horizon littéraire…

A ces rubriques répondent des contenus complémentaires. Un dossier, ce mois-ci signé Brigitte de Bletterie, qui aborde la thématique annoncée : « Le Jardin pour apprivoiser la nature ». Puis une présentation circonstanciée des auteurs convoqués.

Un Hôte chez qui on aime séjourner un long moment ! Saluons donc cette revue qui se démarque grâce à sa belle allure, à la qualité des articles proposés, et à son prix modique, cinq euros ! Il y a là de quoi s’émerveiller, s’interroger, réfléchir sur les sujets abordés, enrichir nos connaissances et ravir le regard. Souhaitons à L’Hôte une longue vie !

Site internet : http://revuelhote.wordpress.com/




La Lettre sous le bruit

Cette revue (littérature, arts, idées) a été conçue, en 1992, comme un acte politique, son titre le dit  - j’écrivais dans l’éditorial du premier numéro : 

Il y a du bruit. Il y a beaucoup de bruit. C’est-à-dire un formidable silence sur le fond.

Un acte de résistance, avec ce petit moyen, ridicule et nécessaire : 4 pages A4 photocopiées - parfois même 6 ou 8 !... Par lassitude, j'ai mis fin à cette publication en 2002, après 57 numéros. J'ai repris la parution en 2011, au format numérique : il s'agit d'un simple PDF que j'adresse gratuitement à qui le désire ; je ne souhaitais pas me lancer dans les contraintes techniques d'un blog et encore moins d'un site (Je vous salue d'autant plus admirativement d'avoir conçu Recours au poème qui est de très belle teneur, vivant, divers, et très élégant). Voilà. J’essaie de faire ma part. Ma part de résistance. Au brouillage du tout se vaut et du tout est culturel, à la marchandisation de l’humain, à la mise en compétition des êtres.

J’ai conçu dès le début La Lettre sous le Bruit et la conçois toujours sans aucune ligne directrice. Je sollicite des écrivains. Mais aussi je reçois des propositions de contribution, que j'accepte si elles me disent quelque chose (c'est-à-dire si je sens qu'il y a véritablement quelqu'un dans le texte, une nécessité de la personne à avoir écrit cela), même si je ne partage pas nécessairement totalement le propos ou que je trouve des faiblesses - c'est aussi je crois le rôle d'une revue de donner une chance à une écriture non encore forcément aboutie mais qui comporte en elle des promesses. 

La parution est aléatoire, afin que je ne me trouve pas contraint de remplir les pages coûte que coûte. Je sors un numéro quand j’ai la matière. La revue est numérique, même si je la préférerais sur papier, mais cela permet une diffusion rapide, gratuite et plus nombreuse, ainsi que la création de liens informatiques vers d’autres contenus. J’essaie de limiter le nombre de pages à une dizaine désormais car je trouve la lecture sur écran très rapidement lassante et pénible. Le numérique n’est donc pas un vrai choix, je compose avec cette contrainte. 

Mon travail pour cette revue fait partie d'un ensemble : écrire, être publié, lire en public, organiser des rencontres-lectures, rencontrer des lecteurs, rencontrer de nouveaux auteurs, maintenir des liens avec d'autres, publier leurs textes. Tout cela comme une énorme contradiction que j'apporte au solitaire sauvage que je suis !

Le numéro 39 est sorti !




“Dissonances” numéro 35 : La Honte

Recours au poème parle régulièrement de la revue Dissonances, revue thématique et semestrielle qui, depuis 2002, explore avec constance et sans barrières des domaines variés et souvent effectivement "dissonants" – traités avec originalité et un goût certain de la provocation, qu'on apprécie dans un discours ambiant consensuel et policé. La liste des thèmes est éloquente : Les Etats-Unis, L'Europe, la Religion, le Sexe, la Mort, la Folie, la Laideur (on aimerait y jeter un coup d'oeil à l'aube d'un Printemps des poètes consacré à la beauté), l'Argent, le Futur, la Merde, l'Amour, la Peur, Ivresses, L'Autre, Insurrection, Masques, Entrailles, Idiot, Maman, Le Vide, Rituels, Superstar, le Mal, la Peau, Animal(s), Orgasmes, Ailleurs, Tabou (auquel j'ai eu le plaisir de participer - plaisir augmenté du fait de savoir que les publications, anonymées, ne permettent pas les "coups de pouce" aux "copains), Que du bonheur!, Désordres, Nu, Fuir, Traces, La Honte - et à venir : La Vérité.

La revue se revendique "revue pluridisciplinaire à but non objectif" – mission accomplie !

La partie création présente des textes (poèmes ou prose) et un portfolio de 10 pages consacré à un artiste qui a "carte blanche". Suit un volet "critique" divisé en 4 parties : la "dissection" d'un auteur répondant à un questionnaire fixe, la "disjonction" où 4 chroniqueurs rendent compte de leur lecture d'un livre remarquable, puis "dissidences" qui présente 8 ouvrages "coups-de-coeur" parus chez de petits et moyens éditeurs, et "digression", consacrée à un domaine autre que la littérature.

Soit, pour le numéro que j'ai en main, 16 variations autour de la honte, accompagnés de belles photos en noir et blanc, comme toujours pour cette revue grand format sur papier glacé. Où la vergogne se pare de nuances, mais prend source le plus souvent au sein de la famille ou dans le rapport amoureux.

Le portfolio est consacré à la photographe Rim Battal et s'ouvre sur la carcasse d'un lapin écorché : l'artiste a photographié, en très gros plan, les entrailles de l'animal, comme l'aruspice tripier, en quête de l'éventuel siège de la Honte – en résultent des photos étranges, dans des nuages de gris où se devinent plèvre, tissus gras, nerfs et os... comme des épiphanies presqu'irréelles - et envoûtantes.

C'est Laurent Abarracin qui se plie au jeu questionnaire, tandis que Le Corps lesbien, de Monique Wittig, fait  l'objet de 4 lectures par Julie Proust-Tanguy, Jean-Marc Flapp, Anne Monteil-Bauer et Côme Fredaigue. Le lecteur de la revue se fera - peut-être - une idée complexe de l'ouvrage, entre l'émotion ressentie par la première lectrice et l'ennui évoqué par le dernier... il aura à coup sûr envie d'y aller voir par lui-même.

Le numéro se clôt sur un article de Nicolas Le Golvan, établissant un parallèle entre l'humoriste Repp et Jacques Lacan.

On a plaisir à annoncer que le numéro 36, sur la vérité, attend des contributions,  à envoyer jusqu'au 31 janvier - et qu'il est très facile de s'abonner.




L’Intranquille

Une revue toujours élégante, toujours attractive, et dont le contenu vaut la forme. L’Intranquille , pour ce numéro 14, propose comme à son habitude un dossier, cette fois-ci dédié à la thématique du refus.

Celui-ci est magnifiquement servi par des poètes comme Jacques Demarcq, Linda Maria Baros, Christophe Esnault, Perrine le Querrec, entre autres, et en exergue quatre extraits de Fernando Pessoa.

Jacques Demarcq est également à l’affiche de la rubrique suivante qui propose un hommage à Christiane Tricoit, éditrice, et à Passage d’encres, et à son époux, Frater, décédé juste après elle. Une vie passée à défendre et porter la poésie, qui est ici honorée par des voix différentes : Yves Boudier, Pierre Drogi et Martine Monteau.

D’autres rubriques sont au rendez-vous de ce numéro printemps/été 2018 : des Traductions, un espace réservé à de Nouveaux auteurs comme Typhaine Garnier, Alexandre Desrameaux et d'autres, et un article sur les arts plastiques. Nous pouvons pour ce numéro consacré à l’Art brut, avec pour entrée "les femmes qui cousent", faire connaissance avec Marie Pelosi, dont le lecteur découvrira des dessins  exposés au musée de la création franche de Bègles.

 

L'Intranquille, revue de littérature n°14, printemps/été 2018,
Atelier de l'agneau éditeur, 2018? 91 pages, 16 euros.

Enfin, ce qui est rare, une rubrique consacrée aux métiers du livre, et pour clore des critiques, servies par Jean-Pierre Bobiloot, Myrto Gondicas, Denis Ferdinande et Françoise Favretto, à qui le lecteur doit également la photo de couverture de ce beau numéro.

Plaisante mais pas seulement, légère mais d’une belle épaisseur sémantique, L’Intranquille ne cesse de porter la parole poétique au regard de tous. Une revue dirigée par Françoise Favretto, qui mène aussi d’une main avertie et sûre les Editions de l’Agneau. Nous espérons qu’elle poursuivra ce travail d’éclaireur.

La thématique du dernier numéro de L’intranquille, La grande guerre, est le point focal du dossier servi par des textes de Françoise Favretto, Victor Segalen, Pascale Alejandra et une planche de BD de Tronchet. Les rubriques habituelles ne manquent pas, une fois de plus, d’attrait : Parmi les nouveaux auteurs, le lecteur pourra entre autres découvrir ou redécouvrir Damien Paisant avec cette écriture toujours saisissante. Entre slam et silence, le rythme de sa poésie est celui d'une symphonie représentative d’une modernité sidérée. La rubrique Traductions tout aussi attractive, offre une très belle traduction de Doina Ioanid signée Jan Mysjkin. Des Etudes : ce trimestre Philippe Di Meo aborde l’œuvre de Zanzotto non sans humour : « Par quel bout commencer »…et des extraits de Deuil pour deuil de Christophe Stolowicki  paru chez Lanskine. 

Mais le plus remarquable reste la rubrique liminaire, qui offre cette surprise : Lambert Schlechter et Jacques cauda, dont les vers ne trahissent en rien la richesse de ce quinzième numéro…Peintre qui n’est plus à présenter, poète non moins talentueux, Jacques Cauda place ses vers sous l’égide de Philippe Jaffeux, que nous laisserons conclure cet article avec une citation tirée de Courants blanc, publiés eux aussi aux Ateliers de l’agneau :   

 

Les lettres sont belles si elles donnent un sens incompréhensible à des images imprononçables

 




REVU, La revue de poésie snob et élitiste

Il y a certes du dandysme dans la posture qui consiste - de nos jours - à présenter une revue comme "snob et élitiste", et au fond, c'est loin de nous déplaire : nous n'aimons guère les meutes ou les troupeaux, encore moins la bien-pensance respectueuse de l'air du temps et des idées en vogue... Qu'on revendique une position différente de la doxa est une belle chose en poésie comme dans la vie...

Voici donc, dès la couverture (sobre, photo de fougères monochrome sur fond ocre, le titre en beaux caractères blancs art déco...) une revue très élégante qui, une fois ouverte dévoile, sur de belles pages ivoire,  une profusion de textes, dessins et photos en n&b...

REVU, la revue de poésie snob et élitiste,
numéro 4/5,  "Pieds nus sur la lande",
130 p., 5 euros, ou par abonnement, par chèque
à l'ordre de l'association REVU 
59 rue Voltaire, 54520 Laxou

Feuilletons-la comme elle nous y invite, et découvrons  l'édito, qui nous annonce tout de go la position de la rédaction  - dont on comprend, à la lecture de cette livraison, tout ce que la posture initiale enferme de vérité, et de provocation amusée :

 

Effort semble soudain le mot qu'il faut pour faire le tri, après tant de concepts, d'avant-gardes et de commentaires – on a oublié qu'écrire de la poésie demandait un effort. La poésie s'étudie au cordeau.

 

Cette "petite corde tendue entre deux points fixes afin de tracer des lignes droites, utilisée notamment dans le bâtiment et en horticulture" selon la définition du TLF nous amènera à envisager la poésie comme un jardinage (et je repense au charmant Parcelle 101 de Florence Saint-Roch recensé sur ces pages en octobre) . Toutefois, je ne peux m'empêcher aussi de penser à "L'unique cordeau des trompettes marines" qui nous ramène à la poésie d'Apollinaire - et me voici en condition pour lire ce numéro double de la revue.

        numéro 1.

 

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numéro 2.

 

 

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numéro 3

Le "sommaire", lui,  annonce 4 volets : poèmes en archipel, Relâche, Dossier (ici "pieds nus sur la lande" - mais les numéros précédents portaient sur "La Psychologie des mouettes" ou "La Ville à nos pieds" et l'esprit des bardes) et enfin :  Situations. Le premier volet - qui se réfère au titre de René Char - s'ouvre sur deux double pages de photo (la même, et son "écho" inversé) accompagnées de cette légende : "Les Poèmes en archipel invitent à se perdre dans les chemins des peaux et des forêts. Tel le Petit Poucet rêveur guidé par le chuchotement d'un fleuve, on y croisera les animaux curieux des contes : à moins que le parchemin des corps à nu ne nous égare vers un désert peuplé de mirages." Il regroupe des textes qui se parlent ou se font écho, comme toujours les voix poétiques. On y retrouve Fabrice Farre dont nous avons récemment présenté un recueil , Hawad, traduit par l'auteur et Hélène Claudot-Hawad, présentant aussi la version originale en tamajaght, Dom Corrieras qui nous emmène sur les chemins "De Bordeaux à Roncevaux", avec "Vingt kilos sur le dos / ma sueur soignant mon âme", et de belles gravures de Gérard Hutt et Michèle Forestier...

Le volet "Relâche" se présente (toujours sur la luxueuse double page de photo) comme "cabinet curieux, lieu de la friction, du mélange des genres, de l'insolite, espace du jeu et de la bigarrure, îlot désemparé, oeuvre vive, carène fissurée". Y sont proposées de curieuses recommandations de Roy Chicky Arad, traduit par Marianne Louis, desquelles nous relevons celle-ci (pas la plus étrange !) :

 

Je conseille à mes lecteurs

de s'asseoir près de la fenêtre

et d'éviter la guerre par tous les moyens

il n'en sortira rien de bon

et évitez aussi les luna parks. Ça ne vaut vraiment pas

le déplacement (...)

 

On y lit aussi la biographie fantaisiste d"une imaginaire Lisette Poupidor par Alexane Aubane, de vrais textes d'un illustre inconnu ou de Pierre-Albert Birot, dans un article intitulé "De REVU à revue SIC (1916-1919)" - frère aîné revendiqué, donc, et dont  l'importance et l'originalité ne sont  pas à démontrer, cette publication ayant accueilli - mais qui l'ignore? - Philippe Soupault, Pierre Reverdy, Gino Severini, Pablo Picasso, Blaise Cendrars, Tristan Tzara...

Le "dossier" quant à lui interroge l'état et la variété de la poésie contemporaine, à l'ère des nouveaux médias en particulier, en présentant un aperçu des différentes directions où s'aventure la poésie – des recherches formelles renouant avec la tradition, aux nouvelles formes à lire et écouter... Il s'ouvre sur un texte de Chloé Charpentier, "La Poésie est un jardin". La métaphore qu'y file l'auteure s'accompagne d'une "bibliographie verte" citant Le Jardin Perdu chez Actes Sud (2011), et les ouvrages des poètes cités au cours de l'article (Gilbert Vautrin, Gilles Baudry, Tahar Ben Jelloun).

Suit un écrit de Mathieu Olmedo consacré à "La Sorgue en Kayak avec Dom et René Char" – texte sur la parole "percutante" du poète, et son intérêt pour le monde végétal... tempéré par les considérations de Dom, lors de la descente en kayak annoncée dans le titre, considérations qui permettent à l'auteur d'aborder l'intérêt des aphorismes du poète, avant de se conclure sur un bel hymne à La Sorgue, dont les vertus "sont semblables à celles de la poésie. Lié au mouvement et au jaillissement, le poème est comme le cours d'une rivière, un cri propice à l'abandon, au brouillard, au sinueux, à l'incomplet (...). C'est un très beau texte, très géopoétique, que je relirai volontiers - j'y laisse un marque-page (et pour rester dans l'humeur générale de ce numéro horticole, je choisis plutôt d'y mettre une fleur séchée).

Etonnant dans ce dossier, également, la "recette" pour réaliser un iris en origami (ainsi s'explique la feuille pliée étrangement collée à la fin du numéro, où se lisent les mots du poème qui n'apparaîtra qu'une fois  le pliage réalisé – très poétique idée due à Théo Maurice). Le dossier contient aussi  une série de dessins et photos de paysage "déshabités" (si l'on me permet le néologisme), et un texte d'ana nb intitulé :"(images et sons captés lors d'une contemplation dans un jardin sauvage)" - il s'agit du listage (accompagné de chiffres dont j'ignore le sens) entrecoupé de paragraphes/strophes décrivant le parcours de "il", jardinier-bourreau des fleurs rouges qu'il écrase, et la surprise du lecteur/auditeur sans doute habituellement, à la lecture de la dernière strophe. Il se clôt sur une double page intitulée "photosynthèse", sorte de planche botanique, fort scientifique et délicieusement dessinée, faisant naître - comme d'un arbre généalogique - depuis des racines "Baudelaire, Hawad, Ronsard", ou Vivaldi ou Dalida... en passant par les branches de toutes les rencontres inspirantes,  l'oeillet de poète sauvage que nous rêvons tous de cueillir.

 

Le voyage se termine, avec "Situations", par une invitation au voyage – à la découverte du poète vénézuelien Miguel Bonnefoy, mais aussi par un historique du fascinant voyage dans l'espace et le temps du quinquina, par Samir Boumediene, et un série de brefs poèmes bilingues de Omar Youssef Souleimane, traduit de l'arabe par Caroline Boulord et l'auteur. On apprécie la générosité qui fait que ces poèmes, en bas de page, laissent tout l'espace ivoire au lecteur pour rêver dans cette immense marge, si rare dans l'édition.

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©mbp




La revue AYNA

À l’heure actuelle, il n’existe pas sur le web français de site spécialisé qui fasse connaître la poésie turque contemporaine. Le public français a de plus en plus d’intérêt pour les romans turcs, l’augmentation du nombres de romans traduits en français le montre, mais il ne dispose pas de suffisamment d’ouvrages pour avoir un aperçu de la création poétique turque.

Ayna signifie miroir en en  turc. La revue se veut en effet le miroir de la poésie turque en direction du public francophone. Le fait que la revue Ayna soit  en version bilingue franco-turque et qu’elle présente les textes en langue originale lui donne également la vocation d’être un lieu miroir entre les langues et les cultures.

 

Ayna est une revue qui permet à tous, francophones ou turcophones, d’avoir accès à un panel de poètes contemporains reconnus. Elle a été créée en 2013 par Claire Lajus, traductrice et poète.

Cette revue numérique est gratuite et met en ligne des poèmes originaux, leurs traductions, leurs enregistrements sonores et des entretiens avec les poètes. Elle met également à disposition du public l’actualité des événements poétiques en Turquie et donne des focus sur certains poètes ou ouvrages.

Vingt  poètes sont actuellement présentés dans la revue. Des lectures publiques sont aussi organisées pour apporter la parole des poètes au plus près des gens.

Ayna a pour objectif à moyen terme de présenter une base de données suffisamment importante pour constituer un espace de référence pour toutes les personnes intéressées par la poésie turque.

 




Les carnets d’Eucharis (portraits de poètes vol. 2)

Dernier opus annuel version papier, suite du numéro « portraits de poètes vol.1 » paru en 2016. C’est Gustave Roud qui se fait tirer le portrait avec les honneurs. La couverture nous invite à un plongeon en des eaux qu’on devine accueillantes malgré l’inconnu sous la surface. Comme toujours, en plus de poésie, il est question d’arts visuels pénétrés en mots et en images. Et cette « entrée dans l’eau » imprime tout son mouvement en portfolio par la maîtresse des lieux, Nathalie Riera. Les rédacteurs habituels, Richard Skryzak, Martine Konorski, Laurence Verrey, Alain Fabre-Catalan, Tristan Hordé, Angèle Paoli, Claude Brunet… mettent leur savoir-faire et leur inspiration au service des divers portraits, entretiens et traductions (3 poètes italiennes).

Les Carnets d'Eucharis, Portraits de
poètes vol.II / 2018: "Gustave Roud"

 

 

Un travail grâce auquel des auteurs vivants et très actifs en côtoient d’autres disparus, tels que Marina Tsvetaïeva, Armel Guerne ou Czeslaw Milosz, dont la singularité de leur écriture comble un lectorat qui subsiste – faut-il le rappeler ? « A claire-voix », quête, fondements et genèse des écrits chez Julien Bosc, Brina Svit ou Esther Tellerman (souriez, vous êtes filmés !). Chacun, à sa manière, tente de faire ressortir du poème la portée universelle de sa problématique. C’est entre pudeur et besoin de révélation que sont évoqués ces ferments nécessaires que sont traumatismes et blessures internes.

« Au pas du lavoir » propose des poèmes de gens plus ou moins connus sur la place (de Rodolphe Houllé à Hélène Sanguinetti, de Jean-Paul Lerouge à Isabelle Lévesque). Le dossier consacré à Gustave Roud foisonne. Pas moins de quatorze auteurs (dont James Sacré, Nathalie Riera, J-C. Meffre… L. Verrey et A. Fabre-Catalan, tous deux coordinateurs du dossier) pour donner envie de lire l’auteur suisse (donc à part), cerné par ses tropismes bucoliques aptes à faire rimer Amour et Nature sous une résonance parfois élégiaque. Idyllique, champêtre sont des adjectifs qui reviennent à propos de l’œuvre du poète vaudois – néo-romantique ? Traducteur de Rilke, Hölderlin, Novalis ou Trakl, son travail « s’apparente à la lente approche d’un paysage », il aura influencé Philippe Jaccottet, Anne Perrier ou Maurice Chappaz, pour ne citer que ses pays. Il faut évoquer enfin Roud photographe (avec quelques reproductions ici), amoureux aussi de la peinture ; celle de Gérard de Palézieux notamment en laquelle il se retrouvait, comme en témoigne leur échange épistolaire qui dura 25 ans jusqu’à la mort du poète en 1976. Deux autres artistes moins connues sont également mises à l’honneur. Nancy Cunard, poète d’origine anglaise, également éditrice, maîtresse d’Aragon (dur métier !), ayant fui son milieu social aussi argenté qu’étriqué à tant d’égards. Elle y répondra par son engagement militant pour la cause afro-américaine et afro-européenne discriminée comme on le sait dans le monde occidental et contre la montée des totalitarismes de l’époque. Sa  Negro anthologie  de 1934, au faible retentissement alors, se voit re-publiée en 2018 aux nouvelles éditions J. M. Place en fac-similé, « augmentée d’un appareil critique ».

Charlotte Salomon ferme ce trio d’honneur du numéro : « jeune peintre allemande morte en 1943 dans le chaos du nazisme », par ailleurs soumise au germe héréditaire de la folie. « Liberté de ton » et « audace ironique » caractérisent ce jeune tempérament bien trempé de son temps qui laissera à la postérité un millier de gouaches et un livre (graphique) intitulé  Vie ? ou théâtre ?, publié en français aux éditions du Tripode en 2015 où l’histoire de sa vie est peinte et dépeinte. On retiendra la suite de la « conversation autour du poste de télévision » amorcée dans le numéro de 2017 entre Alain Bourges et Richard Skryzak, le second interviewant le premier, cette fois-ci sur son œuvre écrite. On disserte entre autre sur la façon dont la réalité est finalement aussi indexée sur l’imaginaire que l’inverse, prétexte à organiser sa vie tout en résistant « à la soumission ou la folie ». Au bout du compte, un numéro qui confirme son foisonnement éclairé, à aborder par où l’on veut. D’un mot une image, d’une image la sensibilité du lecteur qui s’anime et glisse entre les disciplines, pas si éloignées que ça les unes des autres.




Revue Florilège

Une revue certes d’allure tout à fait classique. Un format A4, une couverture qui présente un paratexte qui appartient au genre. Les rubriques sont elle aussi attendues, mais quelle richesse, dés l’ouverture, une foison d’articles, de rubriques, et, surtout, de poèmes ! 67 auteurs, dont les noms s’égrainent dans la rubrique « Les Créations ». Des noms connus ou moins, des poèmes qui se suivent mais qui sont mis ne pages de manière rythmée et attractive.

Florilège, revue trimestrielle, n °168,
septembre 2017.

A cette manne de textes et de références se mêlent d’autres rubriques, après l’éditorial. Des articles et des « Chroniques et  notes de lecture ». Les pages de fin sont consacrées à la présentation des recueils fraîchement parus, à la vie associative, et offre le portrait d’artistes qui présentent succinctement leur activité.

Revue trimestrielle oblige, l’épaisseur informationnelle est au rendez-vous. Et étant donné la multiplicité d’informations et d’auteurs publiés, il serait aisé de basculer dans la catégorie des revues indigestes, désordonnées, brouillon…Ce n’est pas le cas ici. Tout est plaisant, attirant, mis en valeur, et surtout d’une densité inégalée. Un numéro à emporter pour les longs trajets, ou bien pour passer quelques heures dans cet univers de la pôésie, servie ici par une belle esthétique, et un vive intelligence quant au propos retenus.