Place de la Sorbonne n° 7

Qu’ajouter après l’éditorial de Laurent Fourcaut qui ouvre cette livraison annuelle forte de plus de 400 pages ? Tout y est dit, ne reste plus qu’à lire attentivement ce n° 7 de Place de la Sorbonne.

La première partie est consacrée à Olivier Barbarant, spécialiste d’Aragon mais aussi poète : étude sur la poésie et poèmes inédits. Une étude qui s’attache à montrer comment le quotidien (le réel) peut être à l’origine du poème, quotidien qui ne se confond pas avec la contingence dit Barbarant :

La fêlure, la fragilité, la douleur du deuil personnel, y empêch(ai)ent toute mise au pas de la voix » (p 17)

Il était bon que ces choses-là fussent dites. Les poèmes se veulent illustrations de ce que recèle l’étude (à moins que ce ne soit l’inverse). Suit un entretien avec Djamel Meskache des éditions Tarabuste réalisé par Laurent Fourcaut pour PLS. De cet entretien, il faut retenir ce que dit Meskache : à propos de la diffusion et de la distribution des livres qu’il édite, il répond, à la question posée sur la portion congrue des étals de poésie et de la faiblesse en mètres linéaires des rayonnages de cette même poésie chez les libraires : « Admettons qu’ils ne soient pas nombreux : cela ne dit rien de l’état de la poésie en France. Tout au plus, ça décrit l’état de renoncement dans lequel la médiocrité ambiante tente, sans toutefois y parvenir complètement, de plonger une part de plus en plus importante de nos concitoyens » (p 32). Dont acte.

Place de La Sorbonne n° 7 (Revue internationale de poésie de Paris-Sorbonne) : ce numéro 428 pages, 15 euros. Publié par les Presses Universitaires de Paris-Sorbonne (28 rue Serpente 75006 Paris, pups@paris-sorbonne.fr)… PLS : Université de Paris-Sorbonne ; 1 rue Victor Cousin. 75005 PARIS.

Place de La Sorbonne n° 7 (Revue internationale de poésie de Paris-Sorbonne) : ce numéro 428 pages, 15 euros.

Publié par les Presses Universitaires de Paris-Sorbonne (28 rue Serpente 75006 Paris, pups@paris-sorbonne.fr)…

PLS : Université de Paris-Sorbonne ; 1 rue Victor Cousin. 75005 PARIS.

 

La deuxième partie de la livraison annuelle est consacrée à la poésie contemporaine de langue française : une anthologie de 15 poètes (sur 107 pages) suivie d’une série de notices consacrées à ces poètes qui court sur une trentaine de pages. Il faut noter la diversité des poètes présentés, PLS n’appartient pas à une école littéraire ! J’ai découvert Julien Blaine par sa revue Doc(k)s, il y a déjà de longues années ; je le retrouve ici égal à lui-même, iconoclaste d’une certaine poésie. Je retrouve un Blaine paradoxal qui donne à imprimer ses poèmes alors qu’il est hostile au livre. Comment aborder les poèmes ici reproduits ? Comme la volonté de détruire la poésie du passé, comme l’œil qui voit et qui note ? J’ai bien aimé les poèmes de Murièle Camac pour leur atmosphère ; parmi les poètes connus (de moi), j’ai apprécié Francis Combes pour son usage du réel, sa façon de coller à ce réel. Les routes de mica d’André Ughetto me plaisent pour leur lyrisme et leur côté expérience… Jean Renaud et ses compressions de textes m’ont intéressé car la poésie est expérimentation : et là, je ne suis pas déçu de cette importation d’une technique de la sculpture. GB (Gérard Berthomieu ?) explique longuement dans sa notice ce que voudrait Jean Renaud : essai ou notice ? Cette mini-anthologie permet au lecteur de trouver son dû ; elle rappelle que la poésie est condamnée à innover sinon elle se cantonne dans la répétition des formes du passé. Les notices rappellent le rôle indispensable des revues comme banc d’essai de l’écriture poétique… Cependant le signataire ces lignes se pose une question : aimerait-il moins la poésie que dans sa jeunesse ? S’intéresserait-il moins aux nouvelles écritures poétiques que dans sa jeunesse ? Il est vrai qu’il en a vu (et lu) de ces expériences sans lendemains, ce qui explique qu’il soit de plus en plus difficile.

La troisième partie explore une partie du continent de la poésie de langue allemande : quelques 120 pages sont réservées à ce domaine… Plus précisément, le titre de cette séquence est : « Six poètes germanophones européens  », six poètes qui ont choisi d’écrire en allemand alors qu’ils sont nés dans un autre pays européen. De l’essai introductif de Bernard Banoun et d’Aurélie Maurin, il faut retenir ces mots : « … c’est dans les frontières de pays européens de langue allemande que vivent des écrivains étant passés à l’allemand » (p 150). De 1985 à 2016, le Prix Chamisso (du nom d’un noble français qui émigra en 1792 et qui passa à l’allemand tant par ses poèmes que par un conte justement célèbre, La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemil ) récompensa de tels écrivains mais il s’arrêta en 2016 pour la raison qu’il s’agirait là de marquer comme étrangers ces auteurs… Essai fort intéressant au demeurant.

Pour Maja Haderlap les choses sont simples : écrire en allemand permet au slovène d’exister par la traduction de la langue de Goethe. On est loin de la revue poétique croate Le Pont (qui exista dans les années 60-70, au siècle dernier), encore que les traductions en anglais, en allemand, en français et en italien étaient nombreuses. C’est le problème des langues minoritaires qui est ainsi posé.  Haderlap s’interroge : «une langue sait-elle tirer une autre à soi / ou seulement la repousser ?» (p 163). Mais en même temps, elle interpelle le lecteur, seul capable de comprendre. Cependant les autres poètes ne manquent pas de poser des questions révélant le passage d’une langue à une autre, avec mine de rien, des contradictions internes clairement exprimées. Aurélie Maurin ne manque pas de remarquer qu’elle s’est fait aider par Christophe Manon qui ne parle pas un traître mot d’allemand ! À l’opposé des poètes écrivant en vers qui maîtrisent l’allemand et souvent la langue de la minorité à laquelle ils appartiennent : c’est révélateur de ces moments de suspension où la langue hésite. C’est passionnant, jusqu’au bilinguisme de José F.A. Oliver (p 219-220) !

La partie suivante est intitulée Contrepoints : des praticiens des beaux-arts passent au crible de la langue leurs productions respectives ; fragments d’entretien pour Claudine Griffoul (à propos de son travail plastique), comment passer du monotype au discours, de l’eau forte au texte, de la linogravure au poème ? Hugues Absil commente par des estampes, aussi les poèmes de Katia Sofia Hakim. De cette confrontation naît du sens qui doit beaucoup à l’exégèse de Laurent Fourcaut.

La séquence qui suit consiste en commentaires dûs à Catherine Fromilhague de plusieurs poèmes de Paul de Roux : réinscription dans l’histoire de la poésie, le commentaire du premier poème m’a paru très savant, décryptage de la métrique du poème pour le deuxième… Voilà qui prouve que parler de la poésie est un vrai travail. Catherine Fromilhague, très attentive, signe de véritables essais au déroulé du poème de Paul de Roux dans lesquels elle met en lumière les caractéristiques de cette poésie…

La livraison se termine par trois séquences : Échos qui donne à lire un essai de Christian Doumet qui est par ailleurs membre du comité de rédaction de Place de La Sorbonne, essai consacré aux rapports entre poésie et politique ; De l’autre côté du miroir qui regroupe des hommages rendus à des poètes lors de leur disparition et enfin Comptes-rendus & Livres reçus où l’on retrouve de multiples signatures dont celle de Laurent Fourcaut qui est décidément infatigable.

Je n’aurai fait que survoler ce numéro d’une richesse insoupçonnable, manque seulement l’index des n° 1 à 6 de PLS pourtant annoncé en quatrième de couverture. Il fallait bien un mastic et le voilà !

 

*

 




Chiendents n° 118, consacré à Marie-Josée CHRISTIEN

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guiscriff en Cornouaille morbihannaise. Sa poésie est très marquée par sa Bretagne natale où elle vit. "La poésie pour viatique" est bienvenue. Gérard Cléry, Guy Allix, Bruno Sourdin, Michel Baglin, Jacqueline Saint-Jean, Luc Vidal (l'animateur des éditions du Petit Véhicule) et Jean Chatard collaborent à cette livraison de Chiendents qui dresse le portrait de M-J Christien.

Authenticité et sensibilité au monde sont les caractéristiques de cette œuvre que Gérard Cléry met en évidence. Sensibilité au monde, à l'univers et non sensibilité étriquée à la Bretagne : Marie-Josée Christien se sert du paysage qui l'entoure pour interroger l'univers et en tirer des conclusions qui concernent tous ses lecteurs, quel que soit l'endroit où ils vivent. Guy Allix met en lumière la concision de ces poèmes et leur aspect "mystique" (l'important est dans les guillemets, car l'athéisme est de mise ici) : le n° 19 de Spered Gouez (L'Esprit sauvage, en breton !) n'est-il pas intitulé "Mystiques sans dieu(x)" ?  Le miracle - et c'est Miche Baglin qui l'explique - c'est que Marie-Josée Christien, tout mystique qu'elle soit, ne perd jamais le contact avec le réel. Elle ne cultive pas la couleur locale, pour autant.

Chiendents n° 118 : Marie-Josée Christien

Chiendents n° 118 : Marie-Josée Christien

La partie la plus captivante de ce numéro de Chiendents est celle où Marie-Josée Christien répond aux questions de Gérard Cléry. On y apprend que, pour elle, "écrire est ce qui lui permet de tenir" (p 19), qu'elle se méfie de l'intellectualisme en vogue actuellement chez les poètes, que l'école primaire et le lycée ont beaucoup compté pour son éveil à la poésie, que son intérêt pour le peintre Tal Coat explique son goût pour "la venue de lointains profonds, les lents dépôts millénaires" (p 22) qui lui permet de saisir la fulgurance et le surgissant, qu'elle a le goût de la préhistoire, qu'elle se sent éloignée "de la morne poésie du quotidien" (qui a pourtant donné de belles réussites pleines de sensibilité comme chez François de Cornière, mais sans doute, ne mettons-nous pas les mêmes mots derrière l'expression…), qu'elle condamne l'art contemporain pour des raisons politiques… C'est une véritable leçon de poésie !

Un choix de poèmes poursuit la livraison. Poèmes courts souvent aux vers brefs dont, malheureusement le lecteur ignore s'ils sont inédits (à moins de le deviner aux titres qui renvoient à des recueils déjà publiés et à l'avant-dernier texte qui indique qu'il s'agit d'extraits inédits d'un ouvrage en cours d'écriture tout comme le dernier ensemble). Mais poèmes qui sont bien à l'image de Marie-Josée Christien encore que les Éclats d'ombre et de lumière fonctionnent comme une accumulation de versets indépendants l'un de l'autre…

Ce n° 118 de Chiendents est représentatif de l'œuvre tout en prouvant que Marie-Josée Christien sait se montrer inattendue… ll se termine par  deux études (ou deux lectures) l'une de Luc Vidal (consacrée à un florilège, Les Extraits du temps, préfacé par Guy Allix) et l'autre de Jean Chatard (consacrée à Entre-temps précédé de Temps composés)…

 




Dissonances – Le Nu

Voici une revue qui  tombe des mains. Je la ramasse. Elle retombe. Je tourne trois pages…Cela devient un jeu. Par où commencer ?

Dissonance est parfaitement dérangeante, idéalement décalée. Cela  réjouit d’être enfin poétiquement dérangée, sans se laisser pour autant recaler en lecture. Entre les opuscules d’un sérieux inexorable, conçus- rédigés-et-lus par des gens au sérieux  inoxydable qui participent au grand fatras informatif et parfois poétique, cette Dissonance là paraît une exception donc un privilège. Ni plus, ni moins. Elle se joue des codes depuis 33 numéros. Il nous faut quand même  apprendre à la… décoder.  Osons ?

L’édito d’une exemplaire discrétion (de Jean-Marc  Flapp, en haut de la page 2)  esquisse et ébauche les inévitables dévoilements du thème « Nu ». De fait « nu », c’est ni Le nu, ni La nudité, mais la liberté du stylo. Attention de ne pas le confondre avec  les thèmes proches précédemment choisis - comme Le vide et La peau… Nu, c’est nu,  l’état brut de l’art et de la chair. Pas nunuche du tout !  Dans ce bazar – le mot  qui n’est pas méprisant  en révèle la richesse contenue -  du nu de hasard, on trouvera du cul sous forme l’ « haÏcul » (Marc Benetto) ; on trouvera de  la mise à nu par deux auteures dont l’une (Béatrice Machet)  déshabille carrément  l’alphabet, tandis que l’autre (Ingrid S. Kim) effeuille, elle, la langue (et ses « mots-tapins en résille ») ; on trouvera aussi du vieux sous forme de « encore belle » (toilettage de vieille dame de la marquise de Carabas) ; on trouvera…. Qui dit mieux ?

Dissonances, Nu, Eté 2017, revue pluridisciplinaire à but non objectif, 5€.

Dissonances, Nu, Eté 2017, revue pluridisciplinaire à but non objectif, 5€.

Ainsi donc, une porte d’entrée s’est ouverte à ce foutu « Nu » qui ne l’est en rien, car il est fait de  surprises essaimant de rubrique en rubrique. Des surprises rangées selon deux parties (création et critique), dont la première possède une apothéose créative (la carte blanche), tandis que la seconde accouche de quatre sous-parties critiques (dissection, disjonction, dissidences, digression). Des surprises qui  ne peuvent pas ne pas en être : le projet éditorial marque une volonté démocratique basée sur l’idée que « tous les auteurs ont la même chance de se faire publier ». Pour ce faire et pour obtenir le précieux visa de publication, les textes reçus sont  purement et simplement « anonymés » quels qu’ils soient (issus de collaborateurs ou d’auteurs autres) avant d’être sélectionnés par l’équipe éditoriale.

La  dissection dissonante - presque entomologique - a choisi le poète Philippe Jaffeux (pas le délégué pharmaceutique, son double ?,  qui plastronne  sur Internet).  Il faut bien s’arrêter quelque part, être injuste en piochant dans un ouvrage collectif, en raison des limites de toute lecture ou la finitude d’une recension-notule-critique de livre. C’est lui que je choisis parce qu’il a  choisi  pour épitaphe un point d’exclamation ( ?), parce qu’il apprécie les « questions sans réponse » et que toute question – justement – contient déjà sa propre réponse (dont  la question cruciale «  Qu’est-ce que la poésie ? » et – enfin – parce qu’il attend des autres qu’ils ne soient plus « des autres ».  Sa photo – est-ce lui ? - en gamin perplexe n’a même  pas de besoin d’être légendée (« petit ») car il n’a rien d’un vieillard cacochyme.

La disjonction (critique) est paradoxalement une conjonction (aye, tant pis) :  un haro en quatre temps qui tombe sur le paletot du sieur Michel Houellebecq.

La dispersion propose un flopée de citations tous azimuts qui s’égarent : à  nu dans les nues, sur une double page,  de Quignard à Barrico en passant par Foucault et en venant de…. Musset.

Tiens, la distinction, à ne pas oublier : les élus publiés dans la revue peuvent, par ricochet, élire un film, un disque et un livre de leur choix. Mon élu  à moi sera Lambert Schlechter (Montaigne-Truffaut-Glenn Gould) !

Question distribution, la revue Dissonance donne au lecteur et à la lectrice une envie : se rendre au bistrot La route du sel qui, à Ingrandes- sur-Loire, la propose en vente.

Quelques questions néanmoins (la maladie de la philosophe) ? « ?? » Je case déjà mes deux points d’interrogation, à l’espagnole. Question 1. Est-ce par ce qu’un des écrits qui commence  chaque alinéa par des points de suspension mis de surcroît entre parenthèses  dépasse la contrainte  de 9 000 signes? Ou l’auteur Henri Clerc  a-t-il  simplement proposé un texte  pourvu de cette logique derridienne ? Question 2. L’œuvre de Laure Missir, Madame Image, concrétise-t-elle les phantasmes de Ducasse Isodore, à savoir la rencontre fortuite sur une table à dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ? Celle qui fait « dérailler le déjà vu », fera-t-elle désormais dérailler le déjà nu ?

Bref, toute la revue est un appel du pied expérimental, rédigé parfois sur une vieille Remington (typo) que certains auteurs d’époque (lesquels ? il y en a tant) n’auraient  pas renié. Bref  (autre bref plus bref), cette revue non conforme est du vrai poil à gratter et ça me plaît.

 




CHIENDENTS n° 109, consacré à Alain MARC.

 

 

), le second approfondit la notion d'écriture du cri ; on peut relever cette affirmation que l'Histoire confirme : "Il est connu que les pays et périodes totalitaires ou de guerre ont toujours produit une littérature forte en contre, conjointement avec une amplification de son écoute. Ce qui explique aussi le peu de cette littérature dans notre période actuelle où les «ennemis», responsables des déboires de nos sociétés, sont difficilement identifiés." Malheureusement, tout n'est pas de cette eau, le jargon philosophique n'est pas évité, qu'on en juge : Murielle Compère-Demarcy n'écrit-elle pas : "… une critique lucide et «révolutionnaire» de ce qui traverse l'écrivant chevillé au monde pour en transcender la page dans une expression de l'affect relié à l'expérience d'un Je transcendantal immergé dans la nuit de l'Être pour en expulser l'indicible muration dans cet entre-deux de son cri intellect / de son Dit." Coquille ou néologisme compris ! Il est vrai que je ne suis pas de formation philosophique mais de tels propos passent difficilement dans la moulinette cérébrale du littéraire que je suis…

 

Reste que ce numéro de Chiendents est nécessaire. Ne serait-ce que parce qu'Alain Marc note : "D'où l'on peut aisément convenir que la poésie n'est pas que linguistique mais qu'elle est également anthropologique, philosophique, théologique, sociale et politique…" Oui, la poésie, si elle veut enfin retrouver ses lecteurs, doit cesser d'être intellectuelle et poétique. Mais lisez donc Alain Marc !

 

 

 

Chiendents n° 109, Alain Marc : "Il n'y a pas d'écriture heureuse". Éditions du Petit Véhicule, 40 pages, 5 € (+ 2 € pour l'envoi) : 20 rue du Coudray. 44000 NANTES.




PHOENIX 24, invité Titos PATRIKIOS

La livraison 24 de la revue littéraire phocéenne met à l’honneur le poète grec Titos PATRIKIOS, né en 1928, l’un des derniers Prix Max Jacob (étranger). Le poète réussit à donner du quotidien des images claires et prenantes :

Comment faire pour ne pas perdre
La chaleur de sa main dans la mienne…

(…)

La première fois que je me suis mis à écrire, c’était pour vaincre mon ennui.

(…)

Moi aussi, j’ai essayé, dès l’enfance, d’entendre le bruit de l’herbe qui pousse. Ceux qui disaient l’avoir entendu n’étaient pas nombreux, mais ils le soutenaient d’un air absolument convaincant…

Serge Pey dresse en un beau poème anaphorique le portrait de ce « guide » des lettres poétiques (qu’il fut pour ce disciple qui le chante aussi, trace d’un déjeuner athénien : Dervis Bournias) :

Titos continue Homère entre les îles car elles seules sont nos utopies.

Titos apprend l’espace entre les mots où le poème se faufile avec ses morceaux de vie.

Titos est le feu central dans la république clandestine des Prométhée.

Toujours très riche, le partage des voix donne à lire des textes de Forgeot, Machet,Villani, De Breyne…

Le printemps avait l’œil fou/ d’un étalon en rut (L. Tirgilas)
J’ai grandi dans une grotte
Il faisait noir je n’y voyais rien

Dans un âtre de langues et de lèvres chaudes

J’étais dans une grotte nomade C.Forgeot)

Dans « Voix d’ailleurs », l’on suit les errances du poète péruvien Diego Valverde Villena :

Le quinquagénaire voyage autour des mots, autour du monde (de Lübeck à la solitude du pays) retourne en « enfance » : « Un enfant fouineur qui de soi/ veut tout savoir ».

« Perdido/ abandonnato entre filas extranas » : Perdu/ abandonné dans des rangées étranges.

Le numéro de 160 pages est une copieuse livraison qui se complète de beaux textes de Blot, Cosnay, ainsi que de notes de lectures de poèmes récents (Badescu, Fustier, Ughetto, Ber…)

*

 




Tombeau de Jointure (100)

 

 

            Ce n'est pas sans un léger pincement au cœur qu'on assiste à la disparition d'une revue car ce n° 100 est le dernier. Même si l'on sait que la flamme de la poésie continuera de brûler dans la nuit ; la nature ayant horreur du vide, une disparition est vite comblée par des naissances ! Jointure se présente comme une revue catalogue (quelques pages consacrées à un poète), une sorte d'anthologie… Georges Friedenkraft, dans son éditorial intitulé "Bon cent : nous y voilà !", retrace l'histoire de cette revue et annonce d'autres aventures sans en préciser la teneur…

            Poésie sans doute "classique" (vers comptés, rimés, regroupements strophiques attendus…) mais on peut aussi découvrir quelques poètes que j'aime particulièrement pour les thèmes qu'ils abordent, des poètes que je suis depuis  plusieurs années comme Georges Drano, Nicole Drano-Stamberg, Marc Dugardin, Guénane, Jean-François Mathé, François Perche, Geneviève Raphanel, Roland Reutenauer, Jean-Claude Xuereb : que des auteurs Rougerie ! Mais il est vrai que Rougerie s'est offert une publicité en quatrième de couverture… Dont quatre des poètes précédents figurent dans la réclame ! Ce qui tend à prouver que, non seulement, Olivier Rougerie soutient financièrement les expériences les plus obscures, mais qu'il sait mettre en valeur les poètes qui sont à son catalogue. Et ce n'est pas rien en ces temps d'arnaques sonnantes et trébuchantes ! Mais ce ne sont pas les seuls poètes au sommaire de Jointure : je retrouve aussi Jeanine Baude, Guy Chaty, Ferruccio Brugnaro que j'ai appréciés à divers titres.

            Et, surtout, ce n° 100 se termine par un historique des 17 premières éditions du "Festival Populaire de Poésie nue". Je me souviens d'avoir participé à la septième édition à la demande de Miguel-Angel Fernandez-Bravo (qui avait souhaité que je mène une enquête auprès des revues de poésie à une époque où l'informatique domestique était hors de prix !) qui s'était tenue à Nanterre en 1981 : de quoi prendre un coup de vieux, malgré tout  ! Mais j'aurais garde de ne pas omettre que le nom Jointure vient de "jointée" qui désigne le contenu de deux mains jointes en grains de blé : voilà qui devait être dit.




POSSIBLES, et INFINIE GÉO-LOCALISATION DU DOUTE n° 2 & 3

 

 

 

            Je vais commencer par évoquer quelques souvenirs que les moins de 20 ans ne connaissent pas ! Possibles fut d'abord une revue papier paraissant dans les années 1970 du siècle dernier… Pierre Perrin, son animateur, la fait reparaître depuis octobre  2015 sous une forme électronique. Et Possibles en est à son n° 18 à l'heure où je rédige cette note. Et Pierre Perrin annonce que "le passant est sollicité pour s'inscrire pour recevoir un avis de mise en ligne des numéros successifs le 5 de chaque mois". Il suffit de taper sur son ordinateur préféré "Possible, revue de poésie" et, ensuite de cliquer tout en bas de la page sur "Je m'abonne pour recevoir…" Et c'est gratuit !

 

            La revue d'aujourd'hui est dans la lignée de la revue papier. D'ailleurs, Pierre Perrin reprend dans sa rubrique Hier des poète jadis publiés (Y Martin, D Pobel, A Laude, Th Plantier, G Chambelland ou P Vincensini pour ne nommer que ceux-là) dans les années 75-80… Mais il s'intéresse aussi à des poètes contemporains (G Bellay, B Douvre, JF Mathé, M Baglin, A Borne, J Réda, Fr Laur ou M Bertoncini… ) et n'hésite pas à faire appel à des écrivains fins connaisseurs de ces poètes. Mais dans sa rubrique Invitation, Pierre Perrin écrit ses lectures à propos d'une revue (Friches, par exemple) ou d'un poète comme JP Georges ; mais il donne également la parole à d'autres, sous forme d'extraits en prose (JCl Martin) ou de poèmes ( CA Holdban, JCl Tardif…). Coup de projecteur donc sur une certaine poésie faite de sensibilité et d'attention au monde en général, une poésie à hauteur d'homme pour reprendre une expression qui fit florès en son temps…

 

            Possibles est une revue nécessaire. Il ne faut la manquer pour rien au monde…

°°°

          Denis Heudré a créé en 2016 une revue en ligne et gratuite afin d'attirer l'attention des éditeurs sur sa production (cette revue est unipersonnelle, comme il le dit si bien) et celle des lecteurs. La diffusion en est double : sur la toile et via facebook. Ce qui lui permet d'offrir poèmes, dessins, photographies et notes de lecture.

            Le n° 3 (publié en janvier 2017) donne ainsi à lire, après un éditorial où il s'explique sur le titre de cette revue et sur son absence de certitudes, deux poèmes illustrés de beaux dessins, une note consacrée à "Éternité à coudre" d'Esther Tellermann. Le n° 2 (publié en décembre 2016) offre à la curiosité un bref poème extrait de "Une couverture noire" et un inédit ( ? ) intitulé "Bricole", une note de lecture où Denis Heudré présente "Circonvolutions" de Stéphane Sangral (un ouvrage que l'auteur a bien voulu m'envoyer et dont j'ai rendu compte dans un Fil de lecture à paraître (à l'heure où j'écris ces lignes) dans une prochaine livraison de Recours au Poème.

            C'est gratuit, je me répète. Et il ne faudrait pas manquer Infinie Géo-Localisation du Doute qu'on peut lire à l'adresse électronique suivante : http://denisheudre.free.fr. À suivre…




La collection Folio + collège

 

 

Calée sur les programmes de collège, cette collection offre un texte intégral assorti d’un dossier. Celui-ci est classiquement organisé autour de 4 pôles : la découverte du texte, l’analyse, l’expression de l’élève (écriture poétique et débat) et les prolongements vers les textes contemporains et les œuvres d’art. Classique, mais j’observe un soin particulier apporté dans la clarté des informations, que ce soit dans les notes de bas de page du texte que dans le dossier. Prenons par exemple le chapitre sur la versification des Romances sans paroles :

Une métrique de poésie ou de chanson ?

Le mètre est le nombre se syllabes prononcées dans un vers. Lors de la publication des romances sans paroles, les vers les plus fréquemment utilisés restent (…) On trouve également dans le recueil des vers de quatre, cinq, six, sept, neuf, onze syllabes, ce qui est une palette très divesifiée pour l’époque ! De plus Verlaine utilise le vers impair, un vers alors très rare (…) L’hendécasyllabe, hérité de la chanson (…) Selon Verlaine, cette instabilité donne davantage de musicalité au vers.

 

Dans le Prévert, on ne pourra que louer le glossaire sur l’argot parisien qui, outre l’intelligence des poèmes, peut faire l’objet d’un support de cours sur les registres de langue.

Les questions posées au jeune lecteur, loin d’être décoratives, sont claires et sans ambiguïté, aidant à s’ouvrir à l’œuvre et à ouvrir son attention au sens, au style, au monde. Les prolongements forment d’intéressants groupements de textes et d’œuvres, lesquelles profitent de la quadrichromie des 2ème et 3ème de couverture.

 

Fidèle à sa tradition d’élégance, la maison Gallimard propose une mise en page qui mérite le détour des élèves et de leurs enseignants.

La présentation des poèmes est dans une typographie classique garamond, qui donne un aspect « vrai livre littéraire ». Des polices plus « documents » sont réservées au dossier. Dans ce dernier, on ne peut qu’être séduit par les pictogrammes intelligents conçus par Laura Yates. Intelligence qui, loin d’être accessoire, participera utilement à une formation de l’œil de l’élève.

 




Voix féminines dans la poésie des Rroms : Journal des Poètes 4, 2016 et 1, 2017

 

Le très bel éditorial, de Jean-Marie Corbusier, dans le numéro de janvier, justifierait à lui seul que l'on parle de la revue. Sous le titre "poésie à l'oubli", il pose la question, chère à notre coeur, de la place du mystère et du chant dans la poésie contemporaine : "Elle n'est plus une interrogation, c'est-à-dire une résistance", lui semble-t-il, "le sens n'est plus balancé entre ombre et lumière, mystère et clarté." Qu'on partage ou non ce constat, l'invitation pressante qui le conclut – "méditons" puisque "le poème est le présent sans réplique d'une trace antérieure à son apparition" - est une belle porte ouverte sur cette livraison en deux volumes, dont les dossiers sont consacrés aux voix oubliées d'une poésie peu connue, sinon même tout à fait négligée.

 

Sous le titre "Combien de chants étouffés dans leurs gorges? Voix féminines dans la poésie des Rroms", le JDP propose une anthologie historique fouillée, accompagnée de nombreux exemples, réalisée par Marcel Courthiadei. Dans le premier volet, l'auteur resitue le rromani dans le contexte historique des langues indo-européennes, et dans le contexte actuel des langues parlées en Europe. Il en souligne la fécondité poétique, à partir de la distinction en "mot" et "terme", et note le double fait rare que les premiers exemples en sont des poésies de femmes (la toute première toutefois en russe, au début du 19ème siècle, et non dans sa langue maternelle), de même que les dernières voix créatrices leur appartiennent.

La deuxième partie du dossier (dans le numéro 1, ouvert sur la très belle reproduction du détail – un visage implorant - d'une peinture d'Yvon Vandyckeii) commence par l'évocation du "Samudaripen", le génocide – cet "impensé réalisé" - perpétré par les nazis et les régimes qui les admiraient et dont les conséquences, sont encore vives pour les victimes,. cette catastrophe survit dans la poésie rrom,fémninie, peu portée par ailleurs sur les thèmatiques et problèmes de la vie des femmes :  poésie ni revendicative ni militante, elle est chargée de cette omniprésente question de la mort et d'une réécriture de la cosmogenèse, de passages sur la nature et la "vraie vie".

L'auteur conclut son essai sur la question du statut des "dernières" voix rroms féminines – traces d'un monde à l'agonie, ou regain d'une poésie en langue maternelle rrom, s'interroge-t-il.

. Larticle est suivi d'une bibliographie (hélas non traduite en français) et de trois conseils de lecture complémentaire, d'ouvrages traduits par Marcel Courthiade, chez L'Harmattan.

 

Outre cet excellent dossier, très nourri (deux fois une quarantaine de pages) le lecteur retrouvera les riches rubriques habituelles, parmi lesquelles on notera  les "voix nouvelles" de Marie-Clémence Gaunand et Jennifer Lavallé dans le numéro 4 de 2016, et celle (non créditée au sommaire) d'Aurélie Delcros dans le numéro 1 de 2017.

 

____________________________

notes : 

i - Marcel Courthiade est responsable de la section de langue et civilisation rromani à L'INALCO – Paris-City, Sorbonne, et commissaire à la langue et aux droits linguistiques de l'Union rromani Internationale.

ii - Yvon Vandycke, peintre, poète, polémiste, infatigable animateur belge (1942-2000) défendant une certaine idée de l'art, qui a marqué l'histoire de la peinture de son pays, à découvrir sur le site qui lui est consacré http://users.belgacom.net/gc053794/index.html




Diérèse 68 et 69

 

DIÉRÈSE n ° 68, SUR LE BLANC DU MONDE.

 

  Cette livraison de Diérèse fait 304 pages : cela se passe de commentaires. Daniel Martinez, dans son éditorial, commence par signaler que si la démarche d'un poète est on ne peut plus personnelle, elle ne va pas de soi pour autant dans la mesure où elle relève d'une quête incertaine, d'un travail constant, intérieur qui exige une certaine lisibilité pour trouver son lectorat. Ce n'est pas pour rien que de nombreux poètes sont aussi traducteurs…

    Tout d'abord, le domaine étranger (international) est réservé à quatre pays ; le Brésil, le Danemark, les USA et l'Afrique du Sud. C'est une découverte car je ne connaissais pas les poètes traduits. Le premier cahier de poésie française est une mini anthologie qui regroupe huit poètes dont je lis trois d'entre eux depuis longtemps. Pierre Dhainaut est fidèle à l'habitude qu'on lui connaît depuis plusieurs années : il fait suivre ses vers de réflexions sur la poésie. Il donne ici à lire une série de notes sur trois pages, j'y relève : "Aux mots du poème n'ajoute pas les tiens : abréger, tu le peux, tu allongeras le chemin" (p 47). Pierre Dhainaut se montre ouvert et disponible, d'une totale liberté. Je ne dirai rien des poèmes de Jeanpyer Poëls et de Jean Chatard (sauf que je les apprécie) car j'ai déjà beaucoup écrit sur leur façon de faire des vers… Quant aux autres poètes de ce cahier qui sont de parfaits inconnus pour moi, dire simplement que Patrice Dimpre est un spécialiste de l'absurde, de l'humour à froid et du jeu de mots. Que les trois poèmes en prose de Michel Passelergue sont caractérisés par une sensibilité exacerbée. Qu'Anne Emmanuelle Voltera (Suisse d'expression française) troue ses poèmes de barres de scansion ou de tirets séparant les vers. Que Raymond Farina est aussi poète à côté de ses traductions, ses poèmes sont de longues laisses de vers comptés et sa poésie est plutôt cosmique. Que la poésie de Gérard Engelbach se situe à l'opposé de celle de Farina : poèmes brefs de vers libres. Mais sans doute est-il vain d'ainsi vouloir caractériser une poésie à partir de quelques poèmes, au lecteur de se forger son avis ! Je ne dirai rien des poètes regroupés dans le second cahier anthologique, si ce n'est qu'Isabelle Lévesque, Gilles Lades et Gérard Le Gouic ne sont pas des inconnus pour moi, contrairement aux six autres poètes… Diérèse joue parfaitement son rôle de revue. Je m'arrêterai par contre aux lettres de Malrieu à Jean-François Mathé, missives dont Pierre Dhainaut dit dans sa présentation que Malrieu "préférait [aux livres] les revues et les lettres puisqu'elle favorisent les rencontres, le dialogue". Je rappellerai seulement que Pierre  est un excellent connaisseur de la poésie de Jean Malrieu puisqu'il a réuni l'œuvre poétique de ce dernier en 2004 en un gros volume intitulé "Libre comme une maison en flammes" au Cherche-Midi. C'est ce qui fait l'intérêt de sa présentation. Les lettres de Jean Malrieu sont complétées par trois poèmes de Jean-François Mathé que je lis avec plaisir.

    Le cahier "prose" est varié : ça commence avec un récit d'Hélène Mohone ; à ce rythme, Diérèse va éditer les œuvres complètes de celle-ci au fil des livraisons. Le lecteur est transporté dans un pays pas précisé géographiquement ni temporellement encore qu'il devine peu à peu : la littérature est une affaire de patience. La multiplicité des personnages empêche le lecteur de savoir qui est qui, de s'y repérer précisément. La vie, quoi ! Ici ou là-bas, va savoir ! Pierre Bergounioux signe un ensemble de notes qui va du 1er au 31 mai 2016. Ce que je retiens de ce journal, c'est la casse industrielle de la France, les maladies et les morts des proches, le vieillissement de l'auteur qui souffre de cent maux. C'est éprouvant et je sors comme essoré de cette lecture. Daniel Abel donne un texte incassable qui revisite l'histoire de l'art et la mythologie grecque. Les tournures de style participent de cet essai captivant. Étienne Ruhaud poursuit son exploration du cimetière du Père-Lachaise et s'arrête plus particulièrement aux tombeaux du cinéaste Jean Rollin en un texte qui vaut bien les notices des ouvrages cinématographiques et de Gérard de Nerval. Arrêtons-nous un instant à ce dernier qu'on retrouvera pendu en janvier 1855 rue de la Vieille-Lanterne à Paris et qu'André Breton aurait pu ajouter dans sa liste des poètes du passé qui sont surréalistes dans son Premier Manifeste ! Il faut lire l'article de Ruhaud… Ce n° se termine par 57 pages de notes de lecture (39 au total) dues à 16 auteurs différents…

    Diérèse sait se faire l'écho de la vie de la poésie.

 

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DIÉRÈSE n° 69, À L'ORÉE DU REGARD.

 

, Le n° 69 de Diérèse (qui paraît trois fois l'an) est aussi copieux que d'habitude : 280 pages ! Comme de coutume, ce n° est divisé en plusieurs cahiers : un domaine étranger, deux cahiers de poèmes de langue française, un de proses et, enfin, un cahier consacré aux notes de lecture.

  Le domaine étranger, cette fois, offre une ouverture sur l'Italie et le Brésil. Deux poètes italiens et cinq brésiliens que je ne connais pas : nul n'est parfait et je mourrai moins ignorant ! Mais il faut souligner que Raymond Farina continue son travail de traducteur afin de faire découvrir au lecteur la poésie brésilienne, travail commencé dans le n° précédent… Plus que les cahiers de poèmes [qui ne sont pas sans intérêt, loin de là : j'aime particulièrement les ensembles de vers de Daniel Martinez (qu'on ne voie nulle flagornerie dans ce choix !), Hervé Martin, Isabelle Lévesque, Raymond Farina, Jeanpyer Poëls (que je lis depuis longtemps),  Sébastien Minaux (pour l'exploration de ses insomnies, pour son "vélomoteur qui toussote" à trois heures du matin), Hélène Mohone…], m'a intéressé plus que tout l'entretien de Daniel Abel avec Bruno Sourdin. Au-delà des éléments biographiques, j'ai lu avec passion l'influence exercée par le paysage sur l'écriture : "On élargit son paysage, on se sent presque éternel" (p 116).  Ou autrement : "Faucher, ratisser, faner, rassembler en andains, charger sur la charrette les javelles…", n'est-ce pas la métaphore de l'écriture, depuis le brouillon jusqu'à la publication ? (p 116). Et que dire du "côté flamboyant, révolutionnaire" du surréalisme ? (p 124) que va découvrir Daniel Abel en même temps qu'il fait la connaissance d'André Breton. Quatorze pages à la richesse insoupçonnée qui se terminent sur un impossible "à suivre" ! Patience donc.

  Diérèse continue sa publication des poèmes d'Hélène Mohone ; dans ce n° 69, il s'agit de poème inédits. Dans sa présentation, Jean-Luc Coudray note que certains sont des ébauches qui demeurent "dans le statut ambigu de l'attente" (p 132).  Mais tous ces inédits ne se comprennent sans pas une connaissance de la biographie d'Hélène Mohone ; émotion et distanciation sont au rendez-vous. Dans le cahier "Proses", et plus précisément dans son premier texte intitulé "Marcher profondément", Michel Antoine Chappuis dissèque par les mots la marche profonde comme on parle du sommeil profond. On pense bien sûr au nouveau roman qui remettait sur le métier l'écriture. Michel Antoine Chappuis s'intéresse aux rapports entre les mots (qui veulent dire le monde, selon l'écrivain) et le monde (qui, toujours,  échappe à cet effort). Autrement dit à l'écriture. Qui rappelle que le vrai pouvoir de la littérature est de déjouer tous les pièges de la description (ou de l'extrapolation) du réel… Par ailleurs, descriptions et descriptions - à moins que ce ne soit des récits  ? - (entrecoupées d'hypothèses ou de décisions sans appel ou encore de conclusions dont on ne sait que penser) se succèdent… C'est aussi ça, la littérature...

   Enfin, le cahier "Bonnes feuilles" témoigne que la littérature (la vraie) se fait en dehors des sentiers battus (c'est-à-dire qu'on ne la trouve pas sur l'étal des libraires commerciaux). Mais le lecteur, un tant soit peu nostalgique, regrettera les interventions d'Étienne Ruhaud qui, depuis le numéro 65 de Diérèse, par le biais d'une visite des cimetières parisiens (voir les rubriques "en hommage" ou "tombeaux") refaisait vivre certains poètes disparus. Et ce n'est pas de penser que les choses (comme les vies) ont une fin qui consolera !

    Diérèse est donc une revue indispensable pour découvrir la vraie littérature. Mais ne serait-ce pas la véritable raison (la seule avouable) d'être des revues ?