A L’Index, n°24

La belle revue A L'Index, sous titrée espaces d'écrits, et emmenée par le poète Jean-Claude Tardif, nous livre sa vingt-quatrième livraison. Après un mot d'accueil de Tardif relevant que la poésie se porte "moins mal qu'il n'y paraît", et évoquant la vitalité de trois revues en ligne -Recours au Poème, Paysages d'Ecrits et La Gelée Rouge - comme l'image d'un phœnix que sait prendre la poésie pour continuer à être , à être "devant nous" et "en avance sur le monde", la revue s'ouvre alors sur une alternance de poèmes et de nouvelles.

Les nouvelles sont signées Michel Baglin, Jean-Claude Tardif, Didier Le Nagard, Françoise Delahaye, Jean-Albert Guénégan et la présence du vent de Roscoff, et Fabrice Marzuolo. Nous allons ici nous intéresser exclusivement aux poèmes, non pas que la création de la nouvelle ne puisse contenir du poétique, mais enfin le lieu d'élection de la poésie étant le poème, et Recours au Poème s'y consacrant exclusivement, nous laisserons aux amateurs de ces histoires courtes le plaisir de les découvrir par eux-mêmes.

Ce vingt-quatrième numéro d'A L'Index est riche, et plutôt que d'en faire une note exhaustive, nous soulignerons arbitrairement les poètes et les extraits qui nous ont davantage parlé.

Tout d'abord le poète Jean-Claude Chenut qui, à travers son beau poème Le jardin aux rives des lèvres, égrène des vers épris de mystère :

 

 

C'est une griffe de rubis,
son orient est brûlant
comme larme en mémoire.

 

Entame de poème, invite à lire cette parole liant l'écrit et le désir.

Autre registre avec Christian Leray, qui nous sert deux très beaux haïkai. Nous en reproduisons un :

 

 

Rose du matin
Au cœur de Brocéliande
Une fleur vient de prendre vie.
 

 

 

Jean-Pierre Chérès, avec i comme..., associe la verticalité à Icare, en un poème lui-même vertical de plusieurs pages :

 

Mettre sur la verticale
le point
pour i
celui final
de l'infini
le i
du rire
des fins
le cri
lapis-lazuli
l'ire
ultime
de la vie
poing dans l'azur
le ivre
sublime
de la cime
pied dans l'abîme
 

 

 

Changement de décor avec la parole de Hafsa Saifi, qui murmure presque sereinement :

 

Sur les rives du lac
La silhouette d'une femme
Qui écoute
L'eau lui dire qui elle est
L'effrayant reflet
De ses lèvres
Couvertes d'orge

 

Nous terminerons cette petite présentation en évoquant le superbe poème final, signé Marc Le Gros, Sic Transit, un poème d'un équilibre subtil entre la sémantique du dit et du non-dit, le raffinement des images muées en métaphores, la beauté de la langue tentant de dire et disant réellement l'éphémère du passage de la vie et la présence du rien. En voici le début :

 

 

Rien
 

Pas même l'os
Où fleurirait la lèpre,
Ni l'âme du feu en l'exil de
Ses cendres
 

Quelle urne jetée à la mer
Pourrait encore prendre le temps de
Mourir, quel
Abandon
 

Et quelle ivresse, surtout,
Nourrirait le soleil
 

 

Un numéro riche et l'on peut saluer l'esprit d'éclectisme de Jean-Claude Tardif qui permet à ces voix différentes de trouver lieu d'ancrage en même temps que d'appareillage. Car la poésie, en cette modernité cultivant la superficialité comme un mythe divin, relève de la haute navigation en même temps que de l'amer permettant à nos fors intérieurs d'éviter les écueils nocturnes et les naufrages sans fonds.

A L'Index, n°24, septembre 2013, 15 euros.

 




Passage en revue : Mange Monde

 

Les éditions Rafael de Surtis publient depuis plus de quinze ans de beaux livres cousus et pliés main, à l’image de la revue Mange Monde. Paul Sanda, poète et animateur des éditions a toujours aimé et développé des revues, que l’on pense à Pris de Peur autrefois et à son activité de redécouverte du surréalisme contemporain et/ou souterrain, en proximité de la revue Supérieur Inconnu de feu Sarane Alexandrian. Ces aventures font partie, si l’on veut, du « monde de la poésie », par nécessité ou accident sans doute, mais elles s’inscrivent aussi dans une autre histoire, celle d’un regard dévoilé sur le réel, et de cela la poésie est un des moyens ou bien l’un des modes opératoires. Il en est d’autres, et ils ne sont pas forcément incompatibles. Paul Sanda ne s’est sans doute pas installé à Cordes sur Ciel, en plein pays cathare, sous l’égide de Saint Michel, pour rien. La poésie, ici, est plus que de la poésie, elle touche au plus de réel autrefois revendiqué par le surréalisme, un surréalisme que l’un des correspondants habituels de Mange Monde, Patrick Lepetit, a récemment rattaché aux courants souterrains de l’ésotérisme occidental, en un essai fort convaincant.

L’un des membres fondateurs de Recours au Poème a publié ses premiers livres chez Rafael de Surtis, contribué à Pris de Peur, animé une petite collection dédiée à la fiction et coordonné, en compagnie de Paul Sanda, une belle Anthologie de l’imaginaire, en dix volumes. C’était entre 1997 et 2000, Rafael de Surtis première époque en somme. Ce n’est donc peut-être pas entièrement un hasard si Recours au Poème croise certains de ses amis, anciens ou actuels, proches ou éloignés, dans la « liste » des animateurs et des correspondants de Mange Monde : Marc Petit, Paul Sanda, Jean-Philippe Gonot, Jacques Basse, Nicolas Brard, Christophe Dauphin, Pierre Grouix…

Ce cinquième opus s’ouvre sur un texte de Marc Petit, « Aube, à jamais », que l’on voit avec plaisir fidèle à son amitié avec Paul Sanda. On reconnaît sa plume acérée et sans concession avec Das System : « D’habiles Sollers exercent leur magistère autoproclamé dans l’indifférence générale, à commencer par celle des lecteurs. Houellebecq est désigné comme un nouveau Shakespeare, le débagoulage de Christine Angot comparé à un solo de violoncelle. Profitant de l’ignorance et de la crédulité des nababs, une camarilla de singes savants réussit à faire prendre Jeff Koons, Damien Hirst ou Maurizio Cattelan pour des artistes ». Le reste à l’avenant. Et surtout : « Voilà qui nous ramène à l’aube d’été. A l’aube de tout. A cet adolescent rêveur surpris un jour par l’étrange beauté de quelques mots, troublé par eux comme par le froissement d’une robe de soie dans l’escalier. Car cela seul, cette émotion, suffocation, est poésie, et tout le reste n’est que (mauvaise), littérature, n’en déplaise aux cuistres. Vous n’avez pas changé, Marc Petit. Les pages de Recours au Poème vous sont ouvertes, sachez le. 

La parole est ensuite à Paul Sanda, en sa « chronique des temps poétiques actuels » en laquelle il poursuit son combat justifié, c’est le moins que l’on puisse dire, contre ce qu’il appelle « la poésie de patronage ». Il suffit d’avoir « lu » une fois une revue comme Décharge, pour peu que ce soit une revue, pour saisir ce que Sanda veut dire. On est ému aussi à l’évocation de l’ami poète Alain-Pierre Pillet.

Le sommaire propose ensuite de très belles choses, à commencer par un entretien revigorant avec Julien Blaine. Les revues des éditions Rafael de Surtis ont toujours fait la part belle à de longs entretiens permettant de rencontrer véritablement des poètes de « l’underground ». Vient ensuite un ensemble intitulé « Regard sur… les poètes à Voix haute », l’expression nous plaît. La hauteur de la voix est une élévation de l’âme ou du temple, quelque chose de la troisième dimension sans laquelle on ne perçoit guère le réel. On lira dans ces pages des textes de Sandra Moussempès, Yves Gaudin, Dominique Massaut, Edith Azam, Benoît Bastide dit Zob, Franck Doyen et Sandrine Gironde, Pierre Soletti. Un second entretien pointe ensuite son nez, comme il est d’usage dans Mange Monde, cette fois avec Jean-François Bourdic, un des créateurs des éditions Les fondeurs de briques, à Toulouse. La dernière partie, « Créations actuelles », donne la parole à Frédéric Vitiello, Pierre Mironer, Eric Barbier, Almosnino, Irène Gayraud, Julien Grassen Barbe, Jean-Jacques Dorio, Alain Raguet et Michel Carqué.

Tout cela forme un ensemble de grande force, affirmant une identité claire et sans discussion, avec laquelle tout un chacun ne sera pas en accord, on s’en fiche, le propre d’une revue est d’être… une revue. Le lecteur ferme ces pages en se disant qu’il lira le prochain Mange Monde avec gourmandise.

 

revue Mange Monde n° 5/juin 2013
Directeurs de publication : Paul Sanda et Serge Torri
Rédacteur en chef : Vincent Calvet
Editions Rafael de Surtis. 7, rue Saint Michel. 81170 Cordes-sur-Ciel.

      Le numéro : 15 euros.




Passage en revues

IntranQu’îllité, la revue mise en œuvre par James Noël, qui a son port d’attache en Haïti, se présente comme « revue littéraire et artistique », et ne dédaigne pas la poésie, bien au contraire. James Noël donne un éditorial tout en foi en l’art et en l’action de ce dernier sur le concret du monde. Le maître d’œuvre de la revue écrit : « Portée par le chaos, la revue fraie son chemin, dans le flou de l’heure. Et nous, nous assurons pour la forme, le dosage d’un imaginaire en overdose ». Puis : Nous avons opté, façon boîte noire, pour un outil qui capte des vibrations, avec une périodicité annuelle. Produire des rêves, fixer des vertiges une fois l’an, n’est-ce pas une façon écologique de (se) penser sans polluer le ciel mental, sans brûler la nuit en soi ? ». Tout lecteur un peu habitué de Recours au Poème comprendra aisément que nous nous reconnaissions dans ce programme. L’architecture d’ IntranQu’îllité fonctionne par thèmes successifs. Ainsi, en ce second opus :

8 textes autour de « Jorge Luis Borges, l’œil du maître », forment « l’épicentre » de ce numéro. James Noël et sa complice Pascale Monnin ont sollicité des écrivains, des plasticiens et des photographes passionnés par l’œuvre du maître ici choisi, Borges. Ce sont des voix diverses et engagées, globalement très à gauche : Chao, Ramonet ou Depestre par exemple. On lira aussi les tons d’écrivains tels que Hubert Haddad, Christian Garcin ou Dany Laferrière. La revue met le curseur haut.

IntranQu’îllité s’intéresse ensuite au « Che comme métaphore ». Chaque écrivain appelé à contribuer à cette partie s’est vu demandé de raconter sa rencontre avec le Che par « le prisme de la littérature ». Cela donne un ensemble de très belle facture dans lequel on peut lire des textes de Francis Combes, Ernest Pépin ou Yahia Belaskri, entre autres. Le dossier se termine par un entretien avec Ramiro Guevara.

Troisième morceau d’architecture : « Tous les vents du monde », orchestré par Valérie Marin La Meslée, « Bons vents vivants de tous les mondes en un seul, magnifiquement épars ». On trouve trois poèmes d’Adonis, poète que nous considérons ici comme l’un des grands poètes des profondeurs vivant, des textes de Diamanka, Pierre-Marc de Biasi ou Arthur H.

Vient ensuite la partie qui a priori concerne le plus Recours au Poème : « De la poésie avant toute chose ». On ne saura mieux dire, autant en ce qui concerne l’ordre des priorités que le réel de l’origine de la vie. La poésie est ce qui est venu en premier. Et son chant est une quête perpétuelle et cyclique d’un retour constructif de et vers l’Origine. C’est ce que nous pensons ici. Accompagnés de belles photographies et/ou reproductions d’art, on lira des poèmes de Fabian Charles,  Enna Saplum, Henri Poncet, Alex Laguerre, Paul Wamo, Cécile Desmaisons, Gilbert Bourson, Martine Salmon, Madeleine Monette, Massimo Saidel, Eliphen Jean, Michel Vézina, Arnaud Delcorte, Antoine-Hubert Louis, Felwine Sarr, Franz Benjamin, Bernard Noël, Nadol’s, Anne Mulpas, Charles Dobzynski, James Noël, Jacques Taurand et Paul Harry Laurent. Le choix est à la fois diversifié et de qualité.

Ce second numéro d’IntranQu’îllité se prolonge le temps de trois autres fortes rubriques : Coq à l’âne, Villa Médicis, Retours en aller simple.

A lire.

 

revue IntranQu’îllité n°2, mai 2013

Directeur/ Maître d’oeuvre : James Noël

La revue est annuelle

Contact : passagersdesvents@gmail.com

 

N4728 propose ici sa 24e livraison, et s’affirme une fois de plus comme l’une des très belles revues de poésie du paysage littéraire français. C’est du reste plus qu’une revue, un laboratoire de travail et de recherche, aspect accentué en cet opus par la création d’une nouvelle rubrique pensant la poésie : Sentiers. Le comité pose une question à plusieurs poètes, ici : Lire la poésie contemporaine ? On trouvera des réponses de Bourg, Deyrolle, Emaz, Gellé, Jouan, Vogels et un entretien avec Florence Trocmé, animatrice du site Poezibao. Nous aimons bien cet espace et en faisons régulièrement la « promotion » dans Recours au Poème, y compris sur les réseaux sociaux. Sentiers offre un ban d’essai convaincant qui donne envie de lire la suite, avec des voix diverses (ce qui est annoncé d’ailleurs par le directeur de la publication).

Du côté des poèmes, le sommaire est très riche. On lira, entre autres, les forts poèmes ou textes de Dugardin, Baumier, Dudouit, Girard, Le Lepvrier, Le Penven, Hanea, Peigné, Torlini… Des voix diverses qui rendent comptent en partie de ce qui s’écrit maintenant.

Ce numéro commence, comme à l’habitude de N4728, par la mise en avant de trois voix singulières et reconnues : Ludovic Degroote, Jacques Ancet et Dominique Dou.

L’ensemble forme un numéro qu’il convient de se procurer. Ceux qui ne connaissent pas encore N4728 et qui aiment la poésie feraient bien d’aller faire un tour du côté de ses pages.

 

revue N4728, numéro 24, juin 2013.

Direction : Christian Vogels

Comité : Antoine Emaz, Albane Gellé, Alain Girard-Daudon, Yves Jouan, Christian Vogels.

Contact : n4728@zythumz.fr

Le numéro : 12 euros

 

 

La revue Bâtarde, en son second numéro, s’attaque au bonheur. C’est pourquoi sa couverture s’orne de la photo d’un skieur « heureux », accroché à la barre d’un remonte-pente. Une image à la Philippe Muray, celle d’un homo festivus contemporain. L’équipe (clandestine) de Bâtarde ne manque ni d’humour ni de cynisme, un tantinet situationniste même, cette belle revue, tant en ce qui concerne son contenu que sa forme ou son fond artistique. Du papier aux œuvres d’art en passant par les textes et les photos. Elle tient son quartier général et son comité central en Belgique, probablement du côté de Bruxelles.

Ici l’on dit que « le dialogue entre usagers conscients du monde examine de près les possibles infrastructures du bonheur et de son oppression à l’échelle intime tout autant qu’à l’échelle sociologique » et que « Pierrot rit à pleines dents, dents jaunes ». Nous sommes en complet accord avec cette critique du monde contemporain, que l’on retrouve par ailleurs, du côté du théâtre, dans les travaux en cours d’un dramaturge comme Falk Richter. On retrouve le côté prolongements d’un certain situationnisme dans l’organisation des pages de la revue : les auteurs conviés sont listés au début, avec indication des pages où on peut les lire, et ensuite les textes ne font pas apparaître de nom d’auteur. Cela donne une forte unité à l’ensemble, faisant ressortir d’ailleurs l’intelligence du travail des acteurs de la revue. On lira ou on découvrira les œuvres plastiques de Blondeau, Dejaeger, Ergo, Gosselin, Jacobs, Dreszniak, Pennequin, Baumier, Tholomé, Nisse… Et bien d’autres. Cette revue n’est pas de celles qui cumulent des textes sans pensée, c’est une vraie revue littéraire, et donc politique. Il y a quelque chose d’un regain de l’avant-garde dans ses pages. A se procurer absolument.

 

revue Bâtarde, numéro 2, juin 2013

apériodique

contact : contact@indekeuken.org

www.indekeuken.org

 




Passage en revues

Les Chroniques du ça et là, la revue de Philippe Barrot, n’est pas à proprement parler une revue « de poésie » mais elle propose des textes poétiques et des poèmes. Les numéros 2 et 3 s’organisent autour d’un thème, écriture et ordinateur, de fictions, de nouvelles, de poèmes, de textes inclassables. Le numéro 2 poursuit un travail autour de la fiction, sous toutes ses formes, et étudie les effets de la technologie sur la critique littéraire, la lecture, l’écriture… Philippe Barrot choisit ensuite d’inscrire sa revue dans le présent historique en publiant des textes qui s’apparentent à des journaux ou des carnets. On lira, par exemple, Atom-Nâmeh (l’épopée de l’atome), d’Iraj Valipour, passionnante plongée dans l’Iran actuel ou récent. Viennent ensuite des nouvelles, de superbes photos, et enfin des poèmes inédits de Marie Gabriel Guez Ricord, publiés sous le titre de Lacrima Verrae. Le numéro 3 présente un document d’actualité, étant donné les commémorations à venir : des extraits du journal inédit d’un poilu dont le nom n’a pas été retrouvé. C’est toujours impressionnant de lire ce genre de document, de se souvenir qu’il y a cent ans, simplement cent ans, les grands pères de nos pères vivaient cette atrocité : 14-18. Puis, le sommaire donne à lire L’intranquille assoupie, de belles notes sur Lisbonne, évidemment, signées Philippe Barrot. Vient ensuite un fort texte de Jorge Aravena, Jeunesse au Chili, sur l’époque de Pinochet, et l’enfance sous la dictature. Toujours de superbes photos, une dizaine de nouvelles, et un ensemble intitulé « Poésie persane & post-islamisme », présenté par Sepideh Jodeyri, dossier qui à lui seul légitime l’acquisition de ce troisième numéro des Chroniques du ça et là.

 

Revue Chroniques du ça et là.

Directeur : Philippe Barrot

La revue est semestrielle.

75 rue d’Hautpaul. 75019 Paris.

http://www.chroniques-du-ca-et-la.fr/970A5236-B7BF-4349-BCF3-3F7960E3A85D/Accueil.html

Le n° : 12 euros

Abonnement : 19 euros pour deux numéros.

 

 

Troisième numéro de la revue internationale de poésie de Paris Sorbonne, Place de la Sorbonne, née en même temps que Recours au Poème. Un beau pavé de près de 300 pages comme à son habitude. L’aventure est menée par Laurent Fourcaut et on retrouve quelques amis proches de nos pages au sein de son comité de rédaction, Joëlle Gardes ou Pierre Maubé par exemple. La revue propose un entretien éclairant et fort intéressant avec Jean-Pierre Siméon, puis une vingtaine de poètes de langue française, dont Lionel Bourg, Laurent Demoulin, l’atelier superbe de Pierre Drogi, Dominique Grandmont, Philippe Mathy ou James Sacré. Ensuite, une partie « langues du monde » avec des traductions provisoires de beaux textes de la poète bulgare Kéva Apostolova, ou encore ceux de l’américaine Rosanna Warren. La partie « contrepoints » donne à lire de très beaux poèmes de José Angel Cuevas, en compagnie d’œuvres de Manuel Torres. Enfin, on est heureux de pouvoir lire les réflexions de Michel Deguy sur la poésie et la quête du sens. Quelle autre question en effet ?

 

Revue Place de la Sorbonne.

Rédacteur en chef : Laurent Fourcaut.

29 rue Boursault. 75017 Paris.

Mail : pls@edrelief.fr

La revue est éditée par les éditions du Relief.

Le numéro : 15 euros.

 




Arpa, n°106–107

 

Au mitan du printemps 2013 a paru le dernier numéro de la revue de Poésie Arpa, numéro double agrémenté d'une belle couverture bleue sur laquelle est reproduite une carte du monde, peuplée du mot poésie. Le titre choisi pour ce printemps est mappemondes.

Nous entrons, dès la couverture, dans une énigme : quelle est la raison de ce pluriel appliqué au mot mappemondes alors qu'une carte uniforme représente la terre habitée de poésie ?

L'explication la plus évidente, celle se faisant jour dès que nous tournons les pages de ce numéro d'une richesse exceptionnelle, réside dans le fait que pour Arpa, il y a des mondes poétiques, et non un seul. Ce numéro 106-107 met à l'honneur des poètes du Portugal, de Chine, d'Allemagne, d'Espagne, des USA, d'Italie, du Japon, de Grande-Bretagne, du Maroc, du Cameroun, d'Irlande, du Brésil, de Suisse, du Canada, etc... Il y aurait donc des mappemondes poétiques. Mais alors, pourquoi avoir reproduit la carte de notre monde actuel, avec la répétition du mot poésie comme garant de l'unité de cette carte ?

Cette interrogation nous conduit soudain à relativiser notre interprétation de la sémantique de couverture, et à considérer l'affaire d'une toute autre façon. Il y aurait donc la poésie, mais, selon le titre, plusieurs cartes du monde. Et celle que choisit de représenter Arpa sur sa couverture est la carte de la poésie. A l'exclusion d'autres cartes, ne contenant pas le poème.

Nous pouvons donc lire cette couverture du dernier Arpa comme une discrète revendication : la carte du monde poétique vient se sur-imprimer sur la carte du monde actuel. Il y aurait donc deux cartes, deux mondes, et Arpa, silencieusement, humblement, prend acte de la partition du monde : celle opposant la poésie, qui est la vie si l'on considère, comme Baudelaire, que Poésie et Vie étaient un ; et celle ignorant la poésie, donc ignorant la vie et travaillant pour le nihilisme totalement organisé ayant pénétré toutes les couches de notre culture, de notre complexion humaine, des structures de la société, des rapports de genre, de notre appréhension de la terre, etc...

Nous ne sommes plus dans la prophétie de la catastrophe, nous ne sommes plus dans l'annonce d'un conflit mondial imminent, nous sommes aujourd'hui entrés dans la partition du monde, et cette partition divise le monde en deux : le nihilisme organisé par le Simulacre, et la Vie.

Qui n'est pas pour la vie est contre le monde. Qui n'est pas pour le Poème est contre la vie. Cette partition, perceptible dans le titre d'Arpa, n'aura de cesse de s'accentuer et d'opposer deux clans, deux groupes, deux humanités, et les violences qui ont cours aujourd'hui risquent de n'être que des chamailleries infantiles face à la violence pour la survie de la vie qui s'annonce.

Le bio s'oppose à la culture hors sol. L'homme s'oppose à la femme. L'homme s'oppose à la terre. Le culte de l'opulence à la misère. Etc...

Aussi ouvrons-nous Arpa avec la certitude d'avoir dans les mains de quoi nous faire quelques lignes d'extase, ce réservoir à énergie vitale pour qui en manquerait pour poursuivre le combat.

Pour choix ces fragments de poèmes, piochés dans cette anthologie mondiale :

 

***

 

L'automne est aussi calme
Qu'un penseur
Las de penser. Cependant
Calme et poignant
Il médite encore.

L'automne est aussi clair
Qu'un agneau
Au fond de la prairie. Impuissant
Et si pur que le ciel
Sur lui se penche.

 

            Shu Cai (Chine)
           extrait de Extrême automne

 

***

 

Ou bien comme le poète s'étonne
de sa propre inspiration
qui, reliant
une rive inconnue à la sienne,
lui découvrit tout un continent

 

            Reiner Kunze (Allemagne)
           extrait de Les descendants de Vasco de Gama

 

***

 

Inutile que tu insistes
pour repriser tes paroles
avec des fils d'espoir.

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Désaffection

 

***

 

Dans le silence d'une nuit
maîtresse de deux lunes propres
nos paroles éclairent
un lys blanc lumineux

 

            Alicia Aza (Espagne)
           extrait de Le silence d'un lys blanc

 

***

 

Tu veux savoir
le secret de la pierre,
la vision
qui bat dans ton crâne.

 

            Jim Barnes (USA)
           extrait de Ces mystères

 

***

 

Que le silence était doux et terrible et que chacun se demandait
pourquoi ne sais-je pas parler pourquoi ne puis-je pas agir
qu'est-ce qui me retient que de mains

 

            Fabio Pusterla (Italie)
           extrait de Procès-verbal des choses non dites

 

***

 

L'aveugle habitant le quartier
le sourd débarquant du ferry
le bossu à bord du 6h25
et aussi le banquier de mon père
les rondouillards les chétifs les chauves les hirsutes
l'étudiant le boulanger le chaudronnier le marin
et puis comme moi les bons à rien

font la queue
aux portes d'un bordel en fer forgé
dans l'Istanbul des faubourgs

 

            Moris Farhi (Turquie)
            extrait de Les affamés font la queue

 

***

 

Une porte ouverte
Et d'entrée
Une galerie
Une galerie d'art
Une galerie d'art souterraine
On descend

La nuit
La chaux
Les murs
L'aube
Le plat cuisant

Nourrir
Donner à manger
A l'espoir.

 

            Aziz Zaâmoune (Maroc)
           extrait de Blancheur

 

***

 

Voilà un petit aperçu de nos préférences, de la quintessence de ce qui se joue ici, par Arpa, et que revendique Recours au Poème, cette carte du monde du poème appelé par un monde en attente de poésie, comme une terre asséchée épongeant la moindre source impolluée pour continuer ses rêves porteurs d'une humanité ré axée sur la vie et non sur son envers, porteurs de chants terriens pour l'agrément des étoiles, celles du microcosme, celles du macrocosme.

 

 




Revue La Passe, n° 17

La revue des langues poétiques consacre son n° 17, en grande partie, à la poésie roumaine. On se souvient (peut-être) que le très parisien Salon du livre avait décrété qu'en 2013 la Roumanie ferait figure d'invitée d'honneur, à défaut de faire de la figuration. On passera sur le côté rocambolesque des suites de cet oukase : boycott décidé par certains auteurs pour des raisons politiciennes internes à la Roumanie (mais la presse d'ici nous a fait grâce des lecteurs français pris en otage !), début d'une polémique, pléthore de traductions (parfois approximatives si l'on en juge par le résultat en français)…

    Enfin, voici un peu d'humour et de fraîcheur avec La Passe qui avoue sacrifier à la manie. L'humour ne manque pas avec ces références à Dracula (qui "signe" cet aphorisme en bas de page, "Gageons que cette rencontre créolise et qu'entre étrangers à soi-même, l'on se reconnaisse", qui est tout un programme : ces mots auraient pu servir d'exergue à cette livraison). Albsi Neijra donne une petite prose intitulée "Le Chant des Quarts-Pattes", pastiche poétique du conte noir. La fraîcheur est apportée par le dossier "Éclairs d'enfance / Fragments de mort" qui donne à lire (en traduction) cinq jeunes poètes roumains que Tristan Félix (la directrice de rédaction de La Passe) a accompagnés de photographies. Pas des illustrations au sens commun, mais des équivalents plastiques, des traductions des vers qui sont eux-mêmes traduits ; une sorte de mise en abysse bien réjouissante au-delà des pertes et profits attachés au passage…

    Côté français, le lecteur découvrira quelques expériences intéressantes. Comme le passage d'une langue à l'autre tel que le voient Tristan Félix et Carivan, son traducteur : le poème est "farci" de sa traduction, le vers tantôt français et le vers tantôt roumain alternent pour donner un nouveau poème qui met en évidence la musicalité du roumain. L'Hymne Gagaouz de Maurice Mourier est hilarant avec sa langue inventée… qui est traduite ! Christine Minot, partant d'une des célèbres gravures des Caprices de Goya, dont le titre en français est Le sommeil de la raison produit des monstres, remarque que le mot espagnol suenõ a deux sens : sommeil et rêve. Elle se livre alors à une improvisation passionnante qui interroge la traduction. Malheureusement, elle tombe dans le piège de la polysémie du mot matérialisme pour n'en retenir que le sens vulgaire (état d'esprit caractérisé par la recherche des jouissances et des biens matériels, selon le Petit Robert). Exit alors le sens philosophique ! D'où un raisonnement boiteux, voire fallacieux dans la troisième partie de son texte : l'idéologie dominante a de beaux jours devant elle…

    Figurent aussi dans ce numéro de nombreux textes de création qui relèvent de l'expérimentation et qui illustrent parfaitement la raison d'être de La Passe. Relevons Anomalies Incovar : le point de départ en est une note de service adressée par un supérieur à ses employés. Tristan Félix en "emprisonne " le texte dans un poème lui-même farci de "réminiscences apollinariennes". Frédéric Moulin le transforme ensuite de semblable manière à sa façon. Et il donne enfin naissance à un dessin d'humour dû à Hervé Borrel. C'est décapant ; toute la prétention et l'absurdité du chefaillon (mais aussi de l'époque) apparaissent dans ce jeu. Ou la poésie comme outil de critique sociale, ou la langue comme outil occasionnel de subversion…

    La Passe : une revue qui sort des sentiers battus et qui sait, parfois, être jubilatoire.

 




Les Cahiers du Sens : la colère

Ce 23e volume de l’excellente revue Les Cahiers du Sens est centré sur la colère, ce qui n’étonnera guère ceux qui connaissent Jean-Luc Maxence, lequel ressent bien des colères légitimes devant l’imbécilité qui semble se développer (sans cesse) ici et là. La revue est divisée en deux parties : une trentaine de textes d’abord, répondant de diverses manières à la thématique ; une anthologie permanente de poèmes, ensuite, comme chaque année, regroupant environ 80 poètes. Ce numéro s’ouvre sur un texte… de colère, justement, signé Jean-Luc Maxence, le genre de texte qui fait un bien fou, En domaine de poésie ma colère est toujours froide. Extraits :

« Depuis plus de trente ans, je connais la chanson des « ego » en domaine de poésie. Sans m’appeler Charles Baudelaire, j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Je ne confonds plus un bon journaliste avec un poète, je sais qu’un romancier pris en flagrant délit de plagiat, en France, n’empêchera jamais le tricheur de demeurer rédacteur en chef d’un magazine qui n’a plus rien de littéraire à force d’être maffieux dans ses méthodes, je sais qu’être condamné sans appel pour un recueil de poésie copié à partir d’un manuscrit reçu en lecture dans une maison d’édition (un comble !) n’empêche pas de garder son prix littéraire, même en dépit de l’ampleur du désastre que symbolise la supercherie. Je sais que prôner la simple « lisibilité » est jugé réactionnaire par les militants furieux de la poésie de laboratoire, je sais aussi que l’attribution d’un prix de poésie, dans notre hexagone de jean-foutres de salon, n’est trop souvent que le résultat d’une bonne magouille mondaine entre éditeurs intouchables ». On reconnaîtra, selon ses habitudes, les uns ou les autres, on verra des visages à droite ou à gauche, derrière les mots de Maxence, à gauche surtout, d’ailleurs, c’est presque comique ce décalage qu’il y a, parfois, entre les valeurs affirmées et le quotidien concret (en « milieu » de poésie) des moralisateurs. Cela ressemblerait presque aux emplois fictifs de la mairie de Paris sous Chirac. Plus loin : « Buvons, buvons, buvons aux divinités qui n’existent plus ! Nous irons tous au paradis. Ceci est mon testament philosophique. Pour le paradis du Grand pardon. J’avale mon catéchisme d’enfant et je sème ma rage blanche sur le prologue de Saint Jean. Je suis à moi tout seul la revanche de toutes les inquisitions visant les poètes. J’avale de travers le sens du monde ». Voilà qui détonne dans le consensus mou des mondanités contemporaines. Le poète, c’est aussi un coup de gueule, un état de l’esprit. Merci à vous, Jean-Luc Maxence, de ce coup de gueule revigorant.

Ce cahier consacré à la colère comporte divers textes, je ne peux tous les évoquer. Mon œil et mon intérêt on été plus particulièrement attirés par la « colère anthropologique » d’AxoDom, avec lequel nous serons, du moins sur ce point précis, en accord : « Le monde est triste et cruel, c’est entendu. Y insuffler sans relâche le poème est le seul moyen efficace qui nous reste de l’enchanter un peu ». Serons-nous aussi en accord avec l’affirmation d’une nécessité de défendre « la place de la poésie en France » ? En apparence, oui ; qui ne serait… pas d’accord avec cela ? Cependant, tout dépend de ce que l’on entend par « la place ». S’il s’agit des pratiques ayant conduit au désastre actuel de cette poésie qui, devenue « milieu », se vit en France essentiellement entre poètes, non. Pas plus si cet appel procède d’une confusion entre « la place » et « les places occupées ». Reste que le texte d’AxoDom est d’une vigueur bienvenue. Un très beau poème de Laurence Bouvet vient après, une chanson de l’arbre. Cela réinstalle dans le réel profond : la vie se joue dans le chant de l’Arbre. Un merci à Laurence Bouvet, merci de nous rappeler ce fait essentiel et enraciné. On retrouvera par ailleurs des chroniques du bel aujourd’hui, signées Pascal Boulanger, chroniques dont on peut aussi lire quelques morceaux d’architecture dans nos pages, puis Bruno Thomas avançant une colère qui nous est commune, colère noire, blanche, rouge. On ne mesure sans doute pas encore assez clairement ce que peut receler une telle architecture coléreuse. Cela viendra.

L’anthologie de poèmes et de poètes donne à lire de bien belles choses, et là aussi la modeste chroniqueuse doit choisir, on ne lui en voudra pas. Je retiens donc le poème de Salah Al Hamdani, et cet extrait :

 

Ici on ne voit rien d’autre
que la désolation
des hommes sans travail
des hirondelles qui ne tiennent pas en place
un ciel presque éteint
des nuages qui se penchent
et très loin en moi
ceux qui écorchent les rives du fleuve
les mots inutiles
qui effacent les traces des fusillés
tatouées sur des chemins abandonnés
 

Les textes, ensuite, de Damien Guillaume Audollent, Matthieu Baumier, rejoignant d’une certaine manière le chant de Laurence Bouvet, et rendant hommage à l’aventure poétique continuée d’Olivier Rougerie :

 

Le ciel plante sa pierre
Sous l’œil du temps
Et fredonne le chant
des arbres
 

Tout est immobile
Quand le monde se met
en mouvement

 

Jean-Marie Berthier, Dominique Boudou, L’Appel de Patrice Bouret :
 

Arrêtez les refrains du quotidien
Ils n’ont jamais eu cours dans ce lointain si brutal et si proche
 

Le temps des visions
Le temps de la lumière
Oui
L’appel intérieur vient de plus loin

 

Puis Michel Cazenave, Jean-Bernard Charpentier, un Alambic signé Marie-Josée Christien :

 

Le poème naît
après avoir été vécu
intensément
 

À l’inverse
il arrive parfois
que le poème
nous précède
 

Seule l’essence
du destin
est réelle.

 

Un poème dédié à René Daumal. Cela fait sens.

Viennent ensuite les poèmes de Danny-Marc, Christophe Dauphin, Bruno Doucey (un poème/lettre à FJ Temple), G. Engelbach, le corps présent de Gwen Garnier-Duguy, et cette irruption salvatrice d’un visage de femme sur la figure amie, Lionel Gerin, Kiko (« Un jour sans colère nous pourrons parler d’humanité »), Jean-Luc Maxence en quête de paradis, et puis… la beauté sidérante de deux poèmes qui m’ont littéralement transpercée, poèmes signés Mélodie Quercron, poèmes qui s’installent violemment et profondément dans l’âme, du moins dans ce qui reste de la mienne.

Le « panel » est fort et beau, pas forcément sage, puisque on lira aussi Jean-Yves Vallat, et Jacques Viallebesset, et son superbe « J’en appelle ». On peut d’ailleurs écouter ce poème ici, dans une lecture exceptionnelle :

https://www.facebook.com/photo.php?v=607032769324749

Revue Les Cahiers du Sens, La Colère, n° 23, juin 2012, 270 pages, 20 euros. Direction : Jean-Luc Maxence et Danny-Marc. Editions Le Nouvel Athanor. 70 avenue d’Ivry. 75013 Paris. 

godme@free.fr

Site : www.lenouvelathanor.com

 




Le centenaire de la NRF

La NRF a eu cent ans. Ce n’est plus seulement une revue, c’est une institution, d’autant qu’elle s’identifie dans l’imaginaire collectif et la réalité éditoriale avec l’aventure des éditions Gallimard. Nous ne sommes pas ici de ceux, un peu mesquins tout de même, qui passent leur temps à casser du sucre sur les éditions Gallimard et la NRF, bien au contraire. Il y a en cela, ces ressentiments fréquents, une petitesse qui ne nous émeut guère. Non, ici, nous tirons notre chapeau et nous saluons la vieille Dame bien vivante quand elle passe devant nous. Ce n’est pas être béats ou naïfs, nous savons bien que ni la NRF ni Gallimard ne publient que des chef d’œuvres. Non, il s’agit juste de reconnaître l’extraordinaire travail mené là dans tous les domaines de la littérature, de la pensée ou de la poésie. L’aventure de la NRF, dès 1908, puis de la NRF et de Gallimard, à partir de 1911, a tout simplement produit le fond le plus important de tout l’espace littéraire et éditorial français, avec un impact évident sur le monde entier. Chapeau bas, donc, et, n’en déplaise, chapeau bas sans restriction aucune.

Au cœur de la NRF, il y a des hommes. Et de notre point de vue, celui de Recours au Poème, un homme admirable : Jean Paulhan. Gide, bien sûr, Rivière, oui, mais… avez-vous déjà regardé le visage de Paulhan ? Si tel n’est pas le cas, vous devriez. On y lit les contours d’une âme, et ce n’est humainement pas si fréquent. Ce bateau qu’est la NRF a vécu tant et tant de voyages qu’il est bien difficile de les résumer, ici, tout comme du reste dans ce volume proposant au lecteur les actes de trois colloques centrés sur ce thème du centenaire. Rien n’est donc exhaustif en ces pages, et de toutes les manières il y aurait prétention à penser pouvoir présenter de l’exhaustivité en cette matière. La prétention n’est pas rare au sein du monde littéraire. Touche-t-elle la NRF en son histoire ? Je ne le crois pas. Il y aurait même un texte intéressant à écrire à propos de « l’humilité de la NRF ». Sans doute, l’idée étant lancée, quelqu’un s’attellera un jour prochain à un tel travail.

Trois colloques, donc. Et ainsi un volume divisé en trois parties d’égal intérêt : Positions de la NRF, où huit contributions reviennent sur ce que fut la NRF à ses débuts et dans ses rapports à l’esprit normalien, le roman, l’avant-garde, la poésie… On lira avec plaisir, dans cette première partie, le texte enlevé, le texte de poète, de Jacques Réda, lequel fut aussi directeur de la NRF au crépuscule du siècle passé ; viennent ensuite 11 contributions consacrée à La NRF, naissance d’un mythe, où l’on parle du style, de la place de la première NRF dans le paysage des revues de son époque, de Rivière et de Paulhan, de la notion de «  communauté NRF » ou encore des relations de la revue avec l’étranger, à travers les exemples de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Argentine ; la dernière partie est la plus conséquente, en taille, et aussi celle qui concerne les préoccupations les plus récentes au sujet de la revue, à l’exception de la période Drieu la Rochelle, laquelle ne fut d’ailleurs pas que cela, « la NRF de Drieu » comme l’on dit bêtement, la silhouette de Paulhan n’était pas loin, comme si une sorte de NRF invisible, clandestine, passait par là. Et d’ailleurs – cela ne plaira pas mais qu’y puis-je ? Tout en me fichant heureusement de plaire ou non – Drieu ne fut pas que le « Drieu de la NRF » comme l’on dit tout aussi bêtement, pas plus qu’il ne fut que ce « fasciste » dont on parle à tort et à travers sans assez le lire, ni surtout le lire dans les différents contextes de la vie de cet homme / poète torturé. Il n’y a pas eu tant que cela d’âmes bouleversées de la stature d’un Drieu, et elles sont somme toute assez rares aujourd’hui. On n’excusera évidemment pas les accointances de Drieu avec le fascisme en rappelant les contradictions de l’homme/poète, sinon sans doute dans l’esprit de quelques attardés mentaux « littéraires » qui écument encore parfois (mais de moins en moins, c’est heureux) les travées tardives des plateaux télévisés, au nom de la lutte sans cesse recommencée contre la bête sans arrêt de retour. On rigole bien tout de même en observant le défilé des âmes mortes qui pensent vivre au cœur des années 30 du siècle passé. Messieurs, n’oubliez pas d’y prendre un peu de plaisir.

Cette dernière partie, L’esprit NRF : définition, crises et ruptures (1909-2009), comporte une vingtaine de contributions, évoquant entre autre Pontigny, Proust, la « querelle Rivière », le surréalisme, la relation de la NRF aux écrivains catholiques (quelle bêtise que cela – l’expression, pas la contribution –, que signifie «  écrivain catholique » ou « écrivain chrétien », rien évidemment), l’entre-deux-guerres, Jouhandeau, Arland, la critique, le Collège de sociologie, la relation Gaston Gallimard / Jean Paulhan, Bousquet, Céline… Quelle richesse que l’ensemble de ce volume, une véritable histoire de la NRF qui touchera tous ceux qui sont capables de vivre passionnément dans le giron d’une extraordinaire aventure humaine autant que littéraire ou poétique ! Nous ne pensons pas ici que littérature et poésie appartiennent au même champ, c’est pourquoi nous distinguons les termes. Paulhan et Breton ne nous en voudront pas.

On ne rendra donc pas compte d’un tel ensemble en détail. Quelques lignes simplement sur les préoccupations principales qui nous animent, ici, en ces pages : la poésie, et donc le rapport de la NRF à la poésie ; les liens entre la NRF et le Collège de sociologie de Caillois et Bataille, et ainsi de la question du sacré, question de notre point de vue absolument inséparable de celle de la poésie, tout autant que de celle d’une poétique de l’être humain. C’est pourquoi Recours au Poème a été fondé. Sinon… À quoi bon ? Les chapelles « littéraires » sont assez nombreuses sans qu’il soit besoin d’y mettre son grain de sel sans conviction profonde à défendre. Car, avec la poésie n’est-ce pas, c’est de l’entier de la vie de l’humain qu’il va, et d’un entier en lien extrême avec cet autre entier qu’est la vie en son ensemble. On l’aura compris, la poésie, ce n’est pas rien pour nous. Et ce n’est pas rien dans l’histoire de la NRF et dans celle de Gallimard, il suffit de jeter un œil au catalogue de l’éditeur pour s’en convaincre. Une opinion qui ne nous empêchera pas de considérer comme tout aussi important, par exemple, le catalogue de Rougerie. En tout cas, poésie, sacré, Collège de sociologie, Daumal, Caillois, Paulhan, Breton, Bataille, pour faire vite, c’est cette NRF que nous aimons, et cette NRF existe au long, tout le long de l’ensemble de l’histoire de la revue ; car la NRF est revue à visages multiples, contradictoires et complémentaires en même temps, visages vivant les uns avec les autres, se rencontrant, se nourrissant, et cette manière d’être de la revue ne permet pas d’échapper au visage de Paulhan. Cette NRF-là, ouverte, porteuse de tous les tourments de toutes les époques de son histoire, c’est avant tout celle de Paulhan. Et nous tenons, ici, que la place occupée en France par la NRF résulte essentiellement de cette capacité à être cette NRF là. On remerciera donc Michel Jarrety de nous offrir un texte nécessaire autour de « La NRF et la poésie », ainsi que Louis Yvert de donner à lire une exceptionnelle étude consacrée à « La NRF et le Collège de sociologie ». On ne mesure pas encore la réalité de l’influence de cette dernière opération en partie secrète, dans la vie de la pensée du siècle passé.

 




Hopala, une revue ouverte à la poésie

    Editée en Bretagne, la revue Hopala accorde une place importante à la poésie. Placée sous le signe de la  littérature, du débat, et de la création artistique, elle ouvre ses colonnes à la fois aux auteurs bretons et aux auteurs de pays étrangers. Ce n’est pas pour rien que cette revue de qualité est sous-titrée « La Bretagne au monde ».

    Dès sa création en 1999, à Brest, autour d’intellectuels, d’universitaires et de militants associatifs (en particulier attachés au développement de la culture bretonne), la revue Hopala, en effet, ne s’est jamais crispée sur l’identité bretonne. Sa volonté d’ouverture au monde (confirmée depuis quatre ans par sa formule rénovée)  a toujours été manifeste, ce qui lui a permis de mettre récemment sur la sellette des poètes « venus d’ailleurs » comme Amadou Lamine Sall (Sénégal), Cun Shai (Chine), Gérard Chenet (Haïti), Fred Johnston (Pays de Galles), Keva Apostolova (Bulgarie) et beaucoup d’autres… Sans oublier les auteurs de haïku japonais présentés par le Brestois Alain Kervern, un des spécialistes mondiaux du genre..

   La part belle est néanmoins accordée aux poètes bretons (que les médias régionaux ignorent bien souvent) dont la revue publie régulièrement des textes originaux. Ce fut le cas, au cours des quatre dernières années pour Hervé Carn, Michel Dugué, Charles Madezo, Jean-Pierre Nédélec, Jean-Louis Coatrieux, Eve Lerner, Pascal Rannou, Gérard Prémel, Mireille Privat, Jean-Michel Maubert, Jean Cloarec, Paul Goarzin, Olivier Cousin, Daniel Kay, Jean-Paul Kermarrec…

   Certains poètes sont également longuement interrogés sur leur parcours poétique, comme Jean-Pierre Boulic, Gilles Plazy, Jean-Luc Le Cléac’h, Marc Bernol, Louis Bertholom , Isabelle Sauvage… Un hommage peut aussi, à l’occasion, être rendu aux petits éditeurs, dont deux récemment disparus : Yves Landrein (La Part commune) et René Rougerie (éditions Rougerie).

   Cette éminente place accordée à la poésie est enrichie, enfin, par l’analyse des œuvres de grands poètes bretons : Tristan Corbière, Xavier Grall (à l’occasion des trente ans de sa disparition), Georges Perros, Yves Elléouët, Jean-Paul Hameury…

   « Nous avons à cœur d’être colporteur, exigeant colporteur. Non de nous complaire aux valeurs consacrées, aux plaisirs fugaces et sans grandeur, parce que sans gravité, des best-sellers. Car la littérature, c’est – qu’on le veuille ou non – du bonheur difficile en plus, cette corde qui vibre et chante, malgré tout, l’allégresse de vivre quand tout semble endeuillé », écrivaient Alain-Gabriel Monot et Nathalie Duguélès, dans l’édito du numéro 34 de la revue.

Cette ambition ne s’est jamais démentie.




Le 23e numéro de A l’Index

 

Tournant la dernière page de cette 23ème livraison de la revue A l'Index avec l'intention d'en faire une note de lecture, le désir de parler de chaque poète et d'en donner un fragment me tient, tant ce numéro est de grande qualité. Malheureusement, une note de lecture doit être un précipité, et il ne sera pas possible, à moins de se lancer dans des longueurs lancinantes, de tenir un tel projet. Nous allons toutefois tenter de rendre justice à la qualité du travail rassemblé dans cette très belle revue, au physique soigné, à la mise en page impeccable rendant honneur au travail des poètes.

Jean-Claude Tardif ouvre cette parution sur un ton roboratif, admonestant une ironie à propos des poètes et poétesses ne s'intéressant qu'à leurs propres poèmes au détriment de l'immense trésor s'écrivant autour d'eux et relativisant leur place.

Puis vient le premier chant, celui de Werner Lambersy que nous sommes heureux de retrouver dans ces pages, offrant un bel hommage, inspiré, à Pina Bausch :

Au temps qui s'use dans la durée
Pina Bausch
Peut danser immobile et montrer
 

Ce qui danse
Et constitue
La matière des poupées russes de
 

L'univers
La marche contenue dans la chute
Et les bonds
 

Les sauts de cabri des désirs qui ne
Peuvent rester tels
Sans retomber dans l'ordre violent

 

Dans la posture
Où Pina Bausch attend les passages
De comètes de l'amour
 

Le terrible goutte à goutte
De la beauté qui perce l'acier le plus
Dur de l'âme

 

A cet hommage métaphysique nous intimant de danser la vie sous peine de perdition (« danse, danse où nous allons tous mourir » disait Pina) succède la prose métaphorique de Dominique Sampiero qui, s'occupant de son jardin, y déplorant de n'avoir pas la main verte, se concentre sur l'arrachage des mauvaises herbes. Nous y verrons le lien étroit entre le jardin et le paysage intérieur, l'espace verdoyant entourant la maison et la discipline de l'écriture hantée par les mauvaises pensées, si elles existent, voire la mauvaise vie, si elle ne nous torture pas. Un texte brillant comme un héliotrope.

Nous entrons ensuite dans la partie intitulée Jeux de paumes, petite anthologie portative, rassemblant 6 poètes de valeur : Olivier Chéronnet, Guillaume Decourt, Samuel Dudouit, Jacques Houssay, Juliette Mouquet et Roberto San Geroteo.

Nous retenons ces extraits, donnant une idée de ce qui les habite :

 

nous sommes des êtres de passage
attentifs au mystère d'exister
les conduites exemplaires
le cœur en miettes
elle ne sait pas si à la fin du mois elle a gagné de l'argent
elle dit : "qui n'a pas ces embêtements ?
Ceux qui habitent les cafés sont sans amour"
mais qui est vraiment jamais sans amour

extrait de : Droit d'asile au XXIe siècle
Olivier Chéronnet

 

Puis cet extrait du magnifique poème de Guillaume Decourt, Je porte le nom des poissons qu'on pêche au filet

 

Le chant du ferrailleur
C'est le matin qu'on l'entend
A l'ombre des rides de l'olivaie
 

Le sperme noir du poulpe à bout de trident
Avec l'âne patte avant
Avec l'âne patte avant patte arrière liées
 

Et cet extrait de Bande Passante de Samuel Dudouit :

 

casanièrement tissé des eaux troubles où tu dors
hypnotiquement pressé comme agrume cérébral
ton je fait le toutou
sur les pelouses d'un moi vautré dans sa berline
la radio décervelle la clim'anesthésie
au feu rouge la mort bâille
es-tu encore en vie ?

 

Ces six poètes laissent ensuite la place à la Voix donnée à Eric Chassefière, qui nous chante ses Nocturnes ainsi qu'un Chopin maestro, avec des poèmes comme ce bel onzain :

 

Etoiles filantes de la pluie
dans un ciel d'arbres sombres
de prairies aux gris ductiles
filaments de l'eau blanche
qui s'étirant sur le vitrage
paraissent les reflets d'un fleuve
et parfois quand la pluie faiblit
que s'effrangent les traînées de gouttes
c'est un vol d'oies sauvages qui passe
approfondit sous lui la secrète estampe
dont détacher le pinceau des yeux

Nous avons plaisir, au sortir de ce chant réclamant notre attention silencieuse et recueillie, à lire la belle tessiture de Gabriel Okoundji, nous offrant des fragments d'un ensemble nommé SAHARA :

 

Désert !
A l'aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc il te nomma dès l'instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais l'énigme du silence des pierres.
 

Graine semée :

Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu'est le silence
 

Un poète que l’on retrouvera dans nos pages : http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/gabriel-okoundji

Ne pouvant donc pas citer tous les poètes, nous terminerons par la partie nommée Voix d'ailleurs, partie bilingue rassemblant deux poètes de l'Etat de Bahia, dont Antonio Brasileiro, dont nous reproduisons l'un des riches poèmes en son intégralité :

 

Diviseur d'eau
 

Messieurs, nous sommes tous
de la même souche vus aux jumelles.
            Mais nous ne sommes pas les mêmes.
 

Moi, avec mes poèmes impénétrables
vous, avec vos cravates colorées/
moi, avec cette conscience de moi
vous, avec votre table riche/
moi, à la recherche de l'éternel inatteignable
vous, avec vos cravates colorées/
moi, méditant toujours sur vous
vous, avec votre table riche.
 

Nous ne sommes pas de la même souche, mais vus
aux jumelles nous sommes les mêmes.
            Voilà une grande injustice.
 

Il faut saluer le travail passionné du poète Jean-Claude Tardif qui se donne corps et âme dans cette revue remarquable.