Revue Contre-allées — revue de poésie contemporaine, n°46, automne 2022

Contre-Allées, menée de main de maître par Amandine  Marembert et Romain Fustier, énonce, en prologue, à travers la voix de ce dernier, "La poésie, c'est tenir le coup". Et il faut le dire, elle nous donne de quoi "tenir bon", dans ce numéro d'automne. Ce "Carnet de voyage", titre du poème liminaire signé par l'invité de ce numéro, Alain Duault, ouvre au lecteur un espace de pure poésie, dans lequel les textes signés par des noms que l'on a plaisir à retrouver occupent un espace immaculé, sur la page A3 de ce petit fascicule de belle facture.

Ludovic Degroote, Samuel Martin-Boche, Valérie Canat de Chizy, Florentine Vieilly-Eymard, Patrick Argenté, et Alain Duault, invité de cet automne 2022 :

Tu t'en vas parce que tu as peur tu ne veux plus de cris
De ton pays jeté aux chiens tu veux danser avec les fous
Tu ne veux plus des yeux épuisés de sang dans ton pays

Revue Contre-allées, revue de poésie contemporaine, n°46, automne 2022, 47 pages, 5 €.

A côté de ces poèmes, suivis d'une biliographie de l'auteur concerné, les pages sont ponctuées par des entretiens, à commencer par celui de l'invité Alain Duault qui suit immédiatement ses poèmes. La rédaction a également recueilli les propos de Christian Degoutte, Guy Perrocheau, et Jean-Marc Bourg éditeur, pour sa maison  Faï Fioc.

Il est également possible de lire quelques extraits des livres présents dans la rubrique "Livres reçus", qui au lieu de publier une lecture de ces derniers permet au lecteur de disposer d'un extrait, ce qui est merveille, et qui s'inscrit dans la ligne éditoriale choisie, qui est celle d'une sobriété qui sied parfaitement à la poésie, qui n'a besoin que d'elle-même pour faire sens.

Une lecture termine ce volume : Romain Fustier rend compte du Chœur maritime de la Maye de Jacques Darras.

Une douce et grande promenade donc, avec des escales dans de multiples univers, pour ce numéro que l'on a plaisir à recevoir, à parcourir, à habiter. 




Revue Traversées n°101

Un numéro consacré en grande partie à Anne-Lise Blanchard. Un panorama de son écriture à travers différents regards, de ses engagements poétiques et bénévoles en Irak en particulier. L’écriture poétique est en soi un engagement humain et politique, Anne-Lise Blanchard en est un exemple.

Nos cœurs

peuvent-ils trembler du poids

de l’hiver

en même temps que

ceux qui dorment

sous le vent

Traversées n°101, février
2022, 15 €.

Le jour pousse la fenêtre
m’accordant la grâce
de sa splendeur et demain
me visitera
singulier aussi
un autre jour qui suppliera
plus grande présence
entre la mésange du matin
et la résonance de la nuit

Parmi les regards portés sur le travail d’Anne-Lise Blanchard, on trouve Florence Noël, Angèle Paoli, et Jacqueline Persini qui lui consacre un long et bel entretien, au plus près du quotidien.

D'autres poètes enrichissent ce numéro 101 de Traversées : j’ai eu plaisir à retrouver Nadine Travacca, Chantal Couliou que nous avons publiées dans Cairns. J’ai découvert à quelques poèmes Fidèle Mabanza :

 

mot du voyage

une brume émerge de la terre
comme une île au milieu des eaux
la nuit enflée dissémine ses ténèbres

la tristesse demeure en moi
comme la pluie du ciel demeure dans la terre
traversant les couches de mes accablements

mes souvenirs chargés de supplices et d’angoisses
ressemblent à la nuit de dunes géantes
où le vent vient effacer les sillages du voyage

entre le rêve d’enfant et la nuit du voyage
comme un passé recouvert dans un linceul
s’interpose le vélum des nuages ombreux

*

la guerre est un jeu

il était là,
parmi les feuilles
accrochées au corps des branches
parmi ceux combattaient.
Il torturait la brume et les ténèbres
entre les formes et le silence des mers
entre la chair et l’os
sous l’effroyable
l’incroyable tempête des cris à mi-vois.

C’était un enfant de mon quartier
il était devenu le soldat
dont l’arme avait un visage,
un langage et un pouvoir.

Lui, l’enfant soldat du peuplé
n’avait pas de drapeau à défendre
ses jours étaient sans regard
son ennemi n’avait pas de visage.

Ses nuits inutiles
se passaient sur des corps mutilés.
Du fond de la vacuité
la guerre était un jeu,
le jet de grenade
était un jeu d’enfant.

 

 




Revue Malpelo n°4

Malpelo, c’est tout un symbole. Si L’undicesima copia (le onzième exemplaire) – nom de la maison d’édition – se réfère à Kafka1, le nom de la revue, quant à lui, est un clin d’œil à la nouvelle de Giovanni Verga2, histoire d’un enfant maltraité à cause de la couleur de ses cheveux, sorte de lointain cousin de notre Poil de carotte.

Mais pourquoi avoir choisi ce nom : Malpelo ? L’enseignant, documentaliste et critique de cinéma Demetrio Salvi, son fondateur, s’en explique dans le numéro un de la revue. Malpelo, donc, parce que le vérisme de Verga, c’est aussi « l’attention à l’autre, participation, regard politique, engagement culturel, civil et social. Une instinctive révolte contre ce qui ne nous plaît pas, le plaisir de mettre à mal les incontournables implications logiques, l’envie de se divertir et de bousculer, si nécessaire, ce qui s’oppose à notre plaisir : ce sont les éléments déclencheurs qui nous ont convaincus de baptiser de cette manière irrévérencieuse une revue que nous voulons vivante, vitale, vive, à contre-courant quand cela a du sens d'être à contre-courant, curieuse et prête à rechercher le plaisir où qu'il soit ».

Ainsi est née Malpelo, jeune revue littéraire bimensuelle, à Naples, en septembre 2021. Elle est ouverte à la prose mais aussi à la poésie, secteur confié à Bernardo Rossi. Thématique, la revue se présente sous forme d'un agréable livre de plus de deux cents pages, illustré par un(e) artiste qui diffère à chaque numéro. On peut y lire une trentaine de textes d'auteurs connus ou moins connus, souvent napolitains et romains mais du fait de son audience nationale elle accueille volontiers les auteurs de toutes les régions d'Italie. Et pas seulement. En effet, Malpelo est aussi ouverte à l’international (les textes reçus doivent toutefois être écrits ou traduits en langue italienne).

Revue Malpelo n°4, mars 2022, Éditions L’Undicesima copia, 200 pages, 10 euros.

Ce numéro 4 intitulé Fiabe, racconti e storie (fables, contes et histoires) offre à la lecture, entre autres, des textes d’Elio Pecora, Antonio Spagnuolo, Enrico Fagnano, Wanda Marasco, Francesco Papallo, Ciro Tremolaterra, Demetrio Salvi, Bernardo Rossi et me fait une nouvelle fois l’honneur de publier plusieurs de mes poèmes. Les illustrations, en noir et blanc, sont de Rosa D’Avino, plasticienne qui aime conjuguer tradition et formes contemporaines, réalité fascinante du passé et possibles évolutions du présent et surtout raconter la vie à travers ses créations quel qu’en soit le genre, quelle qu’en soit la matière.

Malpelo ? Une revue de création de qualité, interactive, respectueuse des auteurs aussi bien que des lecteurs… un « espace qui fait place, aussi, à ceux qui sont en dehors d’une dynamique commerciale de l’écriture »3.

Notes 

  1.  « André a vendu onze livres. J’en ai acheté dix. Je voudrais vraiment savoir qui a le onzième » Franz Kafka. Phrase inscrite en bas de chaque sommaire de Malpelo.

     2. Rosso Malpelo, paru pour la première fois en 1878.

     3. Demetrio Salvi, Malpelo  n.1 page 10




Revue Dissonances n°42, mai 2022

Si on ne connaissait pas les subtilités ou les choix radicaux de Dissonance, on s’étonnerait du présent numéro au style plutôt funéraire : fond noir et lettres dorées à l’appui. Une contre-illustration dans la lignée dissonante ?

Quoiqu’il en soit, les « sans-dents » et les «  fafs » sont aujourd’hui désormais  invités à boire le champagne pour l’anniversaire des vingt ans de cette revue, invités  à remplir la coupe sans préciser la marque du vin proposé cette vague de l’humour noir ? Sabrons donc sans sabre ! Après avoir également sabré le champagne et multiplié les extravagants alléluia, les auteurs de ce numéro 42 ont su abandonner leurs délires à l’écriture. La muse éthylique propose une belle cuvée ! Un bonheur à déguster avant l’ivresse. Les lecteurs éméchés participent au banquet. Pourquoi pas moi en lisant ?

Ainsi les chiens et les écrivains éthylisés (néologisme) « lapent » déjà  le champagne renversé sur le tapis - Etienne Michelet et Côme Fredaigue, découvrent la « neuro mâchoire inférieure vidée ou presque des dents du fond (..) des yeux noirs démentent aussitôt, regard abimé, vertige dans lequel, elle pourrait nous entraîner » (Côme Fredaigue). Les élucubrations plaisantes et débordantes d’excès sont agrémentées par les élégantes illustrations pointillistes d’Anne Mathurin, confortant le thème alcoolisé de la rédaction, le symbole du champagne : « la frontière s’estompe entre sa tradition, son image raffinée, son gout subtil et la vulgarité de l’excès, à la nôtre ! ». Brigitte Fontaine, elle,  décrit le « décorum voilé de noir et d’or (évocation de l’énigmatique couverture peut-être sans certitude qui s’appelle l’aurore) ».

Dissonances #42, Champagne, mai 2022, 56 pages, 7 euros.

Où sont les « profondeurs pétillantes où plus rien n’existe ? Hors de ces « profondeurs pétillantes » hormis, « le fameux péril jaune » selon Rigodon de Céline…

Traversant le rideau de mégots et de cendre, un auteur se souvient (Arthur Le Reste- Juliard) du discours tenu en 1974 par le poète Odysséas Elytis. Ce poète, coutumier du poète Brautigan, connu pour ses excès de bar, révèle à la fois son amour du champagne tout en lui opposant son animosité envers les buveurs, les invités réunis pour le Nobel, des « pompeux snobinards » ! ... Il est vrai que malgré les choix de cette médiocre année 1974 - Johnson et Martison - auront autant de place dans l’histoire de la littérature « que deux glaçons creux vers les courants chauds avec leur petite ombrelle en papier plantée dans le cul » !!! Et nous, lecteurs et lectrices, versons-nous vite une coupe de champagne pour la route ! Mea culpa au champagne !

Dissonances lance déjà le prochain thème du numéro 43 « trans ». Je transpire déjà, transpercée par l’urgence de rendre la copie trans avant la date-butoir du 24 juillet…  Il me faudra ingurgiter au minimum un jeroboam avant ; à moins que le moine bénédictin transsexuel… Dom Pérignon n’ épouse enfin la transgenre, une Veuve Clicquot  !!! Mumm !




Nouveaux délits, Revue de poésie vive, Numéro 72

Cathy Garcia Canalès, la « Coupable responsable » de cette revue se voulant délibérément « délictueuse » nous prévient dès la première page, elle se trouve du côté des « poètes voyants, des poètes pythies, des poètes monstres. » Elle le reconnaît, néanmoins, « ce genre d’écriture n’est pas à la mode » quant au poète !

« Pauvre poète (…) s’il se tait, il devient fou ; s’il parle, on le prend pour un fou. Ce poète est excessif et peu vendeur (…) Il sait et il ne sait rien. Il est l’ignorant qui ne peut jouir de son ignorance (…) il est un vivant mort autant de fois qu’il aura fallu pour se dépouiller jusqu’à l’os (…) Il partage ses visions, se fait conteur, éclaireur, compagnon. » Car « Il s’agit de guérir » et de « briser les maléfices », de dénoncer ce qui nous fait du mal. C’est dire à quel point le ou la poète renversent la table du monde, permettant une « transvaluation des valeurs » pour parler comme Nietzsche. S’ils semblent excessifs dans leurs cris c’est qu’ils s’affrontent à un monde qui l’est, de fait, dans le mal.

Nouveaux Délits n°72,
Avril 2022, 7 €.

On ne sera donc pas étonné que la revue se termine par la recension d’un ouvrage d’Anouk Grinberg sur l’Art Brut, valorisé enfin par Jean Dubuffet et les poètes surréalistes : « Alors que la vie elle-même est démente, qui de nous peut dire où se trouve la folie ? » cette citation de Cervantès clôturant la revue comme les « poètes voyants » l’avaient ouverte.

Une mention particulière pour les textes de Michel Woelffle, inspirés par « la mort d’Isabelle », un parcours, une méditation autour de tout ce que peut inspirer l’absence, le silence, la présence, peut-être, d’une âme sans le corps. Et une très belle image, au terme de ce voyage intérieur, celle d’un nid contenant quatre oisillons dans la bouche ouverte d’un mort, lequel devient, peu à peu un arbre. J’ai rarement autant ressenti cette impression de liberté subjective qu’en lisant cette suite de textes, tantôt en vers, tantôt en prose, mais toujours tournés vers cette « autre » vie qu’est la mort. La poésie seule peut tenter non pas de percer, mais d’approcher ses mystères. Et dans la « bio » qu’il tente, Michel Woelffle avoue préférer « le silence propice à l’inspiration et écrire quand la paresse le (lui) permet. »

Cette revue appelle à la « justesse » d’une parole, moins à l’engagement pour de justes causes comme le sort des migrants que la mer engloutit, par exemple, même si Anne Marie Bernad en fait le thème central de sa contribution, qu’à ce dégagement du prosaïque quotidien pour cerner et dire l’Étranger essentiel. « Quotidien d’une étoile / Ma tâche accomplie / Je rentre chez moi / Le corps criblé de météores » (Jérémy Semet). Ou bien encore, cette vanité de la poésie, devant l’univers :

Défaite du poème

Il te faudra admettre finalement

que le poème n’est rien face à la Mer

(Vincent Calvet)

J’ai particulièrement aimé, dans cette revue, les « commentaires » au bas de chaque page, prolongeant, contredisant parfois le texte disposé en leur centre :

En voici un exemple :

« Maléfice

Aux portes des granges

Les chouettes clouées

Ailes écartées (…) »

(Odile Steffan-Guillaume)

Auquel répond en bas de page :

« Elle a décloué le hibou qui était sur la porte,

Remis en place ses os brisés

Lissé ses plumes,

Lui a fait reprendre son chant »

(Sandrine Davin)

J’aime la modestie du format, ainsi que celle des intervenants, comme Stéphane Mongellaz qui avoue « Aujourd’hui, à 42 ans, je commence à confronter le possible intérêt de mes textes à la réalité du lecteur ». Il y a toujours, dans ces textes, des moments d’intensité poétique étonnants :

Demain le raisin

jugulaires pleines

mordra son propre jus.

Moi

(…)

Lassé des cycles

que répète l’ivresse

j’assècherai ma gorge

d’un caillot de sang. 

∗∗

Dehors existe, je l’ai vu 

(Perle Vallens)




Le Japon des Chroniques du çà et là n°18

Philippe Barrot met le cap vers le Japon pour ce dix-hitième numéro des Chroniques du çà et là. Un volume illustré par les photographies d’Anne Uemura, qui propose « une immersion dans une culture toujours proche de ses traditions ancestrales ».

Effectivement, l'article liminaire du numéro signé Edouard L'Hérisson propose un focus sur le rôle des itako, intermédiaires qui permettent d'entrer en contact avec le monde invisible. Puis suit une entretien avec Corinne Atlan, traductrice et auteure de plusieurs ouvrages et romans sur le Japon. Il y est question de roman japonais, et de l'évolution de celui-ci, panorama historique qui part du roman traditionnel et considère les métamorphoses qui l'ont mené vers la modernité, et vers ce qu'il est devenu aujourd'hui, à travers une approche d'auteurs contemporains, comme Murakami ou Ogawa.

C'est encore vers une analyse qui sous-tend la modernité littéraire japonaise, dont les structures semblent impossible à départir de ce socle ancestral, que nous convie la suite de ce numéro : une note sur l'esthétique japonaise, une analyse du roman policier "Les (r)évolutions de la Littérature criminelle japonaise", de Gérard Peloux, un regard sensible sur la ville d'Ozu, Onomichi, évoquée par Philippe Barrot, un pèlerinage à Kamakura, une séquence sur les sumos de Luc Drian avec de très belles photographies d'YMB, une histoire du manga signée Thomas Maksymowicz...

Chroniques du çà et là n°18, revue trimestrielle, PhB éditions, 2021 143 pages, 14€.

Ces articles consacrés à la thématique du n°18 des Chroniques du çà et là sont accompagnés de deux notes de lecture, une de Philippe Thireau sur le poème de Marilyne Bertoncini La Noyée d'Onagawa, l'autre signée par Makiko Tsuchiya-Matalon qui évoque le poème en prose d'Hishimure Mishiko écrit après la catastrophe du 11 mars. Ces deux poèmes interrogent l'écriture aussi, et cette question qui jalonne toute la littérature, comment écrire l'impossible.

Ce numéro très riche, mène vers la compréhension de cette société japonaise  qui n'a pas renoncé à ses mythes, à ses croyances et à ses traditions, tout entiers perceptibles dans une modernité littéraire qui s'est édifiée sur ce socle ancestral. 




REVUE PHOENIX — NUMERO 35

Le dernier numéro de la revue phocéenne "Phoenix", livraison 35, fait le tour de l'oeuvre du poète Jean-Pierre Lemaire, proposant entre autres ses inédits de la période "Pandémie", très en prise sur la crise, les gens déboussolés, les villes désertes.

Un bel entretien, mené par André Ughetto, rend clairs les projets d'écriture déliée, les étapes, la place des images bibliques etc.

L'oeuvre lyrique est analysée par Daniel Bergez, "parole lumineuse" de franche humilité, par Geneviève Liautard, , François Deletre... Dans "Le cavalier vert", Lemaire ajuste son regard sur les villes désertées : "Dans le monde dépeuplé l'oiseau du jour dégage les choses une à une de la gangue des siècles". Catherine Fromilhague cherche à percer la "cartographie" de Lemaire, sa "place" poétique, ses "passages" dans les traces proustiennes.

L'éclairage, par Patrick Trochou, de l'oeuvre de D. Grandmont nous rappelle qu'il fut fêté par un numéro ample et mérité d'"Autre Sud".

Un riche "Partage des voix" rassemble des tons et des écritures divers : Arabo, Boucebci, Rannou, entre autres talents.

Je retiens surtout les "sonnets" de Quélen, huit variations cadrées, en quatrains et tercets qui libèrent les formes.

Phœnix n° 35 - Printemps 2021, 192 pages, 14€.

De Karim De Broucker, "Deux poèmes du tabac" : "Enfant, avant de connaître le tabac, je ne pouvais sortir sans avoir bien enfoncé dans ma poche ce que mes père et mère appelaient mes fétiches, je garde en mémoire un petit masque africain servant de pendentif".

De nombreuses lectures (les fameux "Grappillages" d'Ughetto, et des autres collaborateurs). Ce volume de plus de 190 pages est l'expression d'un travail collectif unique autour de la poésie, de la littérature.  Philippe Leuckx




La Revue des revues

La Revue des revues constitue avec le site Ent’revues un fond d’archives, un lieu où la mémoire de ce foisonnement offert par les publications périodiques est préservée. C'est également une revue des revues où l'actualité des revues contemporaines est accessible, actualisée, et qui permet de constater que, quel que soit leur domaine de prédilection, la vie de ces nombreuses publications est riche et dynamique. Archives et recensements de ce qui paraît qu’il s’agisse de sorties ou de créations de revues contemporaines, ou bien de rendre compte du destin d’autres disparues pour des raisons qui sont également abordées, car ces lieux que sont les revues trouvent bien peu d’écho chez les libraires, en bibliothèque ou dans d’autres revues… la Revue des revues et Ent'revues sont des outils précieux de communication et d'élaboration d'une pensée sur ces univers éphémères que sont les revues.

La Revue des revues dessine un panorama diachronique et synchronique riche et essentiel pour que ne disparaissent pas ces fils signifiants venus représenter ce qu’est leur domaine de prédilection, en enrichir la pensée théorique, et en restituer l’évolution. Publication papier, elle a longtemps été placée sous la houlette d’Olivier Corpet que nous regrettons vivement, et a pour rédacteur en chef André Chabin, accompagné par François Bordes, Bernard Condominas, Yves Chevrefils Desbiolles, Erc Dussert, Jérôme Duwa, Claire Paulhan, Jacqueline Pluet-Despatin, Hugo Pradelle à la rédaction et Yannick Kéravec pour secrétaire de rédaction.

Des rubriques récurrentes structurent l'ensemble et permettent un accès clair au contenu : "Etudes et documents", qui met d’emblée l’accent sur le panorama dossier proposé, qu'il soit thématique ou paradigmatique, des "Chroniques", un chapitre consacré aux "Nouvelles revues", un accès à d’"Autres publications et événements", et un dernière rubrique qui propose  des entrées rapides vers l'ensemble et des éclairages sur les participants, "Résumé, auteurs".

La Revue des revues n°67, Mars 2022, 180 p., 60 illustrations n/b, ISSN : 0980-2797, ISBN : 978-2-907702-85-0, prix : 15,50 €.

Le numéro 67 du printemps 2022 partage son sommaire entre Jean Daive, Michel Deguy, Roland Barthes et les petites revues, Mwa Vée, une revue culturelle Kanak que le lecteur peut découvrir, et un focus sur les revues consacrées au cinéma, avec deux articles : "Les cahiers d’études de radio-télévision" et la revue "1985, revue d’histoire du cinéma n°95". Les Chroniques et les pages consacrées aux nouvelles revues complètent ce volume agrémenté par des documents iconographiques de qualité, et qui donnent à voir les unes des publications dont il est question, un plus très appréciable notamment pour la rubrique "Nouvelles revues", car cela permet d’en apprécier la charte graphique, les lignes éditoriales, et la diversité.

Le numéro 64 de cette revue trimestrielle suit le même modus operandi bien qu’elle soit très différente, car ce volume est élaboré autour de la thématique « Femme en revues ». La rubrique "Études et documents" propose une série d’articles écrits par des femmes sur des femmes revuistes. Le dernier article nous offre un "Portrait de groupe avec femmes" impressionnant qui permet d’évaluer l’importance de la contribution féminine à la vie des revues, de leur création à leur cheminement, quel que soit le domaine concerné.

La Revue des revues représente un lieu incontournable dans l’univers des revues, ces laissées pour compte qui bien souvent sont des espaces essentiels parce que dédiés à des positionnements indépendants. Elles garantissent en effet la liberté de propos, des axes de lecture sur une discipline qu’elles permettent de considérer sous des angles bien souvent inédits, et sont également l’endroit où un ferment créatif novateur trouve écho. Somme et lieu de réflexion, Ent’revues et La Revue des revues mettent en lumière le long cheminement mené par ces publications périodiques bien souvent malmenées par l’économie du livre, et pour certaines vouées à une existence de courte durée. Ainsi ne tombent-elles pas dans l’oubli. Mieux encore, grâce à ce fabuleux travail de recensement, de mise en exergue et de réflexion, on se rend compte que chacune contribue à l’élaboration d’un ensemble de publications qui témoignent des pensées et les courants d’une époque et leur offrent la possibilité de s’inventer.




La revue Voix n°6

Le n°6 de la revue Voix reste fidèle aux précédentes éditions. Une tenue sobre et apaisante, grâce au format A4 et à une couverture délicate violet pastel, où une typographie fine et élégante renseigne le lecteur sur les contenus proposés. Des illustrations déployées sur un papier glacé, et un espace scriptural où les impressions sont présentées de manière aérée et légère.

Ce numéro, porté par l’association « Le buffet littéraire » qui est présidée par François Minod, reste sur sa ligne éditoriale : littéraire et artistique. Cette fois-ci encore l’intitulé de ce volume, « Solos, duos, ailleurs & critiques » énonce clairement ces choix qui sont motivés par le désir de créer un syncrétisme artistique et culturel.

Une pléiade de poètes comme Claude Ber, Marilyne Bertoncini, Danièle Corre, Danièle Beghe, Anny Pelouze, François Minod, Mireille Diaz-Florian, Georges de Rivas, Luc Vidal… pour les voix française, côtoient des voix italiennes en les personnes de cinq poètes italiens, un dossier porté et présenté par Marilyne Bertoncini qui après nous avoir permis de lire des poètes anglophones (je pense notamment à Gili Haïmovitch et à Soleil hésitant que les lecteurs francophones peuvent découvrir grâce à son travail) est également la traductrice des poèmes et  nous offre de relire ou de découvrir des voix novatrices de la poésie italienne : Danièle Beghè, Lucas Ariano, Alessandro Rivali, Giancarlo Baroni, Roberto Mosi.

A ces pages qui offrent toute latitude à la poésie de déployer ses multiples horizons sémantiques se joignent des notes critiques, ainsi qu’une rubrique, « Parole à », qui pour ce numéro 6 est donnée à Patrick Quillier. Ses propos font écho aux éditos, et interrogent sur la place et la nécessité d’une parole poétique dans le monde d’aujourd’hui.

Revue Voix n°6, 3ème trimestre 2021, 78 pages, 13 €.

Un volume qui ne fait pas l’économie de moyens, qu’il s’agisse des contenus ou de la tenue, qui en fait un lieu où on aime se rendre, et retourner.




Revue Mot à Maux Numéro 19

Dès son éditorial, Daniel Brochard prévient le lecteur, « on ne croit plus au changement, qui d’ailleurs nous fait peur » (…)

« Il ne nous reste plus que la vie à porter les bras tendus vers le ciel » (…) « Nous sommes condamnés à mourir, ignorés, méprisés … Créer une revue est l’acte le plus désespéré qui soit ». Le poète ne changera rien, il ne sauvera personne, il ne croit pas à sa propre « éternité », il reste marginal et ignoré, pourtant, « chacun dans son coin » « organise sa riposte ». Riposte à quoi ? Au monde tel qu’il croit aller ? La poésie questionne tout d’abord celui qui l’écrit. D’ailleurs, ce même Daniel Brochard, dans son beau plaidoyer pour l’autoédition, plus loin dans la revue, dénonce les « faux éditeurs sur Internet » et termine son argumentaire en affirmant : « Halte au compte d’auteur abusif ! Autoéditez-vous ! » Être poète serait avouer son peu d’importance tout en dénonçant les impostures de celles et ceux qui « s’approprient la misère des plus pauvres » ainsi que leurs rêves.

La revue est riche de voix très différentes, de sujets très divers, justifiant l’éditorial : harcèlement physique ou moral dans le monde du travail, réchauffement climatique, etc.

Revue Mot à Maux Numéro 19, décembre 2021, 4 euros, directeur de la publication Daniel Brochard, 9, avenue des Taconnettes 85440 Talmont-Saint-Hilaire ISSN : 1773-9098

Parmi ces voix singulières, toutes intéressantes, je retiendrais en particulier celle de Catherine Andrieu qui parle de son « vieux Paname », un « chat de gouttière », dont elle a déposé les cendres dans le ventre de son piano, et qui fait un détour par son père : « Non, papa, tu n’as pas cogné un ange ». En quelques pages, fleurit tout un jardin d’imaginaire autour du chat, du père et du piano … Ou encore, Lithopedion, à la poésie-malaise, qui évoque l’énigme d’une conscience : « MA LANGUE ME GÈNE ». On y entend des choses qu’on n’ose pas toujours s’avouer. 

Ma langue me gêne
Elle m’étouffe
Elle est de trop.
Si je pouvais la laisser dégorger
Tiède
Sur un support propre (…) 

 

Ou encore le « Dies irae » de Michel Lamart, type même d’une poésie anti poétique, à propos de l’urgence climatique.

J’ai beaucoup aimé, dans cette revue, la variété des tons ainsi que leur simplicité, laquelle s’allie fort bien à la sobriété de sa maquette. Chaque poète porte avec lui un monde modeste mais irremplaçable. Merci de l’avoir si bien souligné.