La Peinture La Poésie, Numéro 81 de Poésie/première

« Ut pictura poesis », la formule initiale d'Horace, relatant les alliances entre la poésie et la peinture, traduite soit par « La poésie est comme la peinture », soit par « Il en va de la poésie comme de la peinture », se trouve au commencement de ce fil déployé, en tissage des relations entre ces deux arts respectifs, tant dans les lectures et réflexions que dans les créations et autres poèmes. C'est ce parcours que se propose de tracer l'article liminaire de Gérard Mottet, mettant en exergue la citation de Léonard de Vinci au cœur de sa pensée : « La poésie est une peinture qu'on entend au lieu de la voir », l'histoire d'une connivence intime entre les deux champs d'où semble s'élever un même chant à l'unisson !

Rappelant comment, au fur et à mesure des mouvements artistiques, l'appréhension de ce partage entre ces deux domaines a vu ses conceptions évoluer, de la mimesis aristotélicienne, envisageant la représentation et la littérature selon le régime de l'imitation de la nature, depuis l'Antiquité jusqu'à notre âge classique, au tournant de la Querelle des Anciens et des Modernes, vers la fin du XVIIème siècle, à travers le Siècle des Lumières jusqu'à l'orée du Romantisme, où il ne sera dès lors « plus question de reproduire des modèles dépassés, le mot d'ordre sera d'inventer des formes littéraires et artistiques nouvelles ». Place à la Critique de la faculté de juger dans laquelle Emmanuel Kant ne parle plus d'imitation fidèle mais d'imagination créatrice, que n'auront de cesse d'illustrer la peinture et la poésie romantiques ! 

La Peinture La Poésie, Numéro 81 de Poésie/première, Janvier 2022, 112 pages, 16€.

Avec, qui plus est, l'avènement, au début du vingtième siècle, des « arts plastiques », c'est le trait d'union entre la dimension plastique, du grec ancien « plattein » : « modeler », et la dimension poétique, du grec ancien également « poiein » : « fabriquer », qui n'en finira jamais de redéployer ce noyau créateur de telles affinités en autant de livres d'artistes...

L'histoire, en définitive, de ces œuvres associant peintres et poètes, aura donné ainsi une résonnance plus resserrée au célèbre « Ut pictura poesis », non plus mimesis, mais justement poiesis, non plus imitation, mais véritablement création, rendant possible le renversement du jeu entre les images et les mots : « Ut pictura poesis – ut poesis pictura : dans cette comparaison à double sens, qui a traversé les siècles, peu importe les places du comparant et du comparé, peu importe la préexcellence de l'une ou de l'autre, dès lors que le réel peut s'agrandir, par la magie du langage et de l'art, aux dimensions illimitées de l'imaginaire. » Dès lors, les diverses considérations et interprétations n’iront qu’explorer encore au plus près ces relations, du « drôle d’endroit pour une rencontre » d’Alain Duault en contrepoint, aux Peintures 2003-2021 de Pierre Delcourt sous le regard de Jacqueline Persini, en passant par l’analyse du « Regard de Proust sur Chardin et Rembrandt » et l’historique des « Jeux d’encre, trajet Zao Wou-Ki » à travers l’influence d’Henri Michaux, deux contributions sous la plume de Dominique Zinenberg, et enfin le magnifique dossier consacré aux « Jardins-Femme » dont la philosophie de Peter Slotedijk, dans Sphère, opère le renversement de perspectives à la notion judéo-chrétienne de péché originel ayant coûté l’expulsion d’Adam et Ève du Paradis : « Tous les arbres du savoir plongent dans l’intimité des femmes » ! Rendant ainsi honneur au deuxième sexe, en faisant fi des généalogies misogynes, Marilyne Bertoncini dessine avec finesse les contours de ces havres féminins dont Pascal Quignard, à l’instar de Lucie Delarue-Madrus et Colette,  mais aussi de Nerval, Zola ou Cocteau, témoigne de sa fascination dans le troisième tome de Dernier Royaume, Abîmes : « Je ne sais plus où se trouve ce lieu ou cette espèce de ruisseau qu’il me semble avoir connu sur la terre. Il était peut-être, sur la terre, dans ma mère, derrière son sexe invisible, dans l’ombre qui y était logée. C’est peut-être tout simplement un lieu, un pauvre lieu, un minuscule lieu, cette chose que je nomme le jadis. »

Autres échos et connivences, la présentation également par Alain Duault du lyrisme de Jean-Michel Maulpoix, « au plus près de ce qui se dérobe », dont Une histoire de bleu traduit, derrière l’intimité d’une couleur emblématique scellant la part de poésie dans la peinture, la paradoxale volonté de dire « adieu au poème » : « Il faut à la parole des digues et des gués, des passerelles, des ports et des patries, toutes sortes de petites affaires rassurantes, des choses simples autant que précises à quoi penser et auxquelles se tenir, des colliers et des chiens, mettre ce bleu en boîte, tenir le large en laisse », jusqu’à l’expression de son doute teinté d’un tel bleu : « il n’est pas de chant pur, pas de parole qui ne rhabille de bleu notre misère ». En parallèle, la redécouverte de Maurice Chapelan par Bernard Fournier, semblant inviter, en conjuration à notre condition de simples mortels, à perpétuer l’ordre de Charles Baudelaire, Enivrez-vous : « Sans attendre demain, dès aujourd’hui sois ivre / Et vide avidement la coupe jusqu’au fond : / À l’inverse du vin, la vie est un flacon / Où ne transparait pas ce qu’il reste de vivre. ». Autre exploration dans L’Amitié des voix de Jacques Ancet par Martine Morillon-Carreau, traçant tout un réseau d’affinités entre Jean de la Croix et Rimbaud puis entre Rimbaud et Mallarmé, une façon pour chacun de trouver « le lieu et la formule », dont les mots choisis perlent presque, dans Les yeux gris-blues sous la plume d’Aglaé Mouriaux, cette poésie plurielle renouant avec l’art et la manière rimbaldiennes : « Reflet de tes yeux / La poussière / C’est l’amer / Vague des adieux ressassés / Pas vraiment bleus, de fond / Mais pas vraiment gris / Plutôt gris-blues / Mélodie » !




La revue M U S C L E

M U S C L E , une revue de poésie « posée sur une feuille de papier »

Contrairement à ce que les capitales du titre semblent indiquer, M U S C L E est une revue minuscule : une longue feuille pliée 4 fois, imprimée recto/verso, soit un petit objet de 16 x10 qui tient dans une banale enveloppe de correspondance.

M U S C L E s’amuse et joue des couleurs – un arc-en-ciel de publications (33 à ce jour, disponibles sur le site, au numéro ou par abonnement) offrant un riche mesclun de 66 auteurs (2 par numéro) du monde entier.

Chaque numéro associe les textes de deux auteurs, qui s’enchaînent avec (paraît-il) une infime différence de typographie. Parmi les derniers numéros, Sofia Elhilllo (traduction de Roxana Hashemi ) et Philippe Rahmy, sous couverture lilas, Claudine Galea et Yang Xiao en gris souris, Jean d’Amérique et Maud Veilleux sous le feu d’un orange, et sous une couverture jaune moutarde, le numéro 33, pour Olivia Tapiero, écrivaine et traductrice québecoise, en regard avec Nadia Anjuman - poétesse et journaliste afghane, née le 27 décembre 1981 et morte le 4 novembre 2005 sous les coups de son mari ( dans la traduction de Franck Merger).

M U S C L E est composée, pliée et éditée par Laura Vazquez et Roxana Hashemi qui décident des associations de poètes, et définissent un fil de lecture variable selon les humeurs et les récepteurs – je perçois la révolte dans les univers urbains et rythmés de Jean d’Amérique et Maud Veilleux, la vie absurde et la solitude dans l’échange des mots de Sofia Elhillo et Philippe Rahmy ; « Je vais bien. Et bien sûr que non / mais j’exécute les mouvements. Je me réveille/ au hurlement du réveil (…) écrit l’une – et l’autre « (…) la gesticulation atroce des individus, et la fatigue de bête qui emboite une génération dans l’autre, ne ressemblent à rien de ce que j’endure (…) » - la dépossession dans l’échange virtuel entre la « fille d’Afghanistan » et les vers matériels d’Olivia Tapiero , évoquant justement « la gélatine comme expérience de la dépossession » dans un poème intitulé « Asmr slime. »

Laura Vasquez, créatrice de M U S C L E avec Arno Calleja, en septembre 2014 à Marseille, déclare, dans un entretien donné à la maison de la poésie de Nantes que le nom singulier de la revue provient d’un rêve… Les Muses visitent les poètes dans leur sommeil, et leur inspirent aussi des titres prophétiques :

M U S C L E, enfin, ne rime avec rien – c’est sans doute ce qui souligne son originalité d’objet poétique non identifiable… c'est un pari gonflé, et c’est aussi sa force.

M U S C L E existe dans quelques librairies, sur Internet et publie des vidéos sur sa chaine Youtube, souvent dans d'autres langues que le français.

Safia Elhillo, lecture pour Muscle

Lecture diffusée à Montévidéo, à Marseille, dans le cadre d'une soirée autour de la revue muscle.

Dernière minute : la revue M U S C L E s'étoffe, le nouveau numéro est un petit livre qui sort en même temps que cet article : il s'agit d'un échange épistolaire entre Maggie Nelson et Björk, traduit par Céline Leroy. 

Il sera présenté le mardi 8 février, à 19h00, à L'Hydre aux mille têtes, 96 Rue Saint-Savournin, 13001 Marseille, et peut s'acheter sur le site de la revue.




Comme en poésie n° 88

Infatigable revue Comme en poésie vient de me rejoindre. Une revue éclectique. On y croise beaucoup d’auteurs, connus, à connaître, ou méconnus.

Une revue accueillante. Ouverte. Nous sommes nombreux à y être passé un jour ou l’autre.

Une revue artisanale conçue par un passionné. Un passionné de poésie mais surtout un passionné de l’humain. Jean-Pierre Lesieur est un de ces animateurs totalement tournés vers autrui, et dont la plus grande joie est de donner.

J’aime beaucoup cette revue et son dynamisme sans fioriture. On ne se prend pas au sérieux dans Comme en poésie mais on y vit avec le sérieux de l’enfance.

Comme en poésie, 730 avenue Brémontier 40150 Hossegor

 

 

Comme en poésie n°88, revue trimestrielle de poésie, 4 €.




Revue Festival Permanent des Mots, numéro 26, La Poésie Manifeste

La Poésie Manifeste

 

S’inscrivant dans une tradition qui brille autant par des écrits programmatiques que par des éclats spontanés, de La Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay aux manifestes dadaïstes, surréalistes, et autres, jusqu’au tout personnel Manifeste de la poésie vécue d’Alain Jouffroy auquel le titre du numéro 26 de la revue virtuelle des Éditions Tarmac, Festival Permanent des Mots, créée par Jean-Claude Goiri, « La Poésie Manifeste », semble se référer, moins par déférence, que pour réhabiliter le plaisir du texte comme prélude à une poétique incarnée tant dans la chair du poème que dans le vif de la vie, selon le vœu initial de l’aîné de vivre cette dernière comme un mode de relation à soi, aux autres, au monde, au cœur des existences : « Un manifeste écrit au temps de la pseudo-« fin des manifestes » pour transgresser l’esprit du temps, coïncider avec l’espace réel, celui où la poésie, avant de s’écrire, est un défi du corps à toutes les formes de manipulation de la pensée. Le contact direct avec l’extérieur absolu – le satori comme praxis du regard -, la poésie vécue comme être-au-monde. »

C’est tout le kaléidoscope de ces croisements de regards, de ces relations entre les mots et les choses, les choses et le monde, fort de la diversité des plumes invitées à déployer leur rapport littéraire au réel, en autant de réalités palpables de cette expression multiple que les signataires de ce Manifeste au Pluriel, dans la rencontre, l’échange et le partage, donnent à lire, réfléchir, sentir, sans chef de file et sans doxa préétablie, ce qui fait toute la richesse de cette proposition moins d’écrits théoriques, derrière le titre évocateur de l’ensemble, que dans les nuances singulières et à travers les portes sensorielles où c’est la poésie même qui ainsi se manifeste… Le sens de la formule aphoristique de Sandrine Davin en forme un des exemples les plus probants, illustrant comment en quelques mots se dessinent les racines de la parole entre ciel et terre : « Sous un ciel à l’agonie / La nuit trouée d’étoiles / Bâillonne mes pupilles / ... / Apprendre la langue de la terre / Et respirer le même silence / Là où la pierre prend corps / Là où les chairs rident le temps / ... / Entre ciel et terre / Les paroles s’enracinent »

Témoin des épreuves au fil du hasard, le poème Alea de Fabrice Farre déploie, quant à lui, en trois temps, ses paragraphes de prose méditative comme autant d’énigmes aléatoires, celle de l’appel à l’aide d’un rescapé : « 1 L’amour entre chez le rescapé sans boussole. Au sud, l’aiguille s’emballe, cherchant un nord revenu de vaines certitudes. […]

Festival Permanent des Mots n°26, https://fr.calameo.com/read/004626323279c2c0bf082

La fin, inévitable, s’émousse contre le récif droit de la vie. L’équilibre menacé révèle le tout premier matin autour de la main tendue. », celle également d’un visage témoin de l’ineffable du destin : « 2 Tu me peins le visage, il ne manque que les plumes tout autour. Sous ta main de glaise je prends conscience de moi, apercevant alors, dans le regard d’or du destin, le silex de mes os. », celle enfin de la vision d’un jardin où se fredonne pourtant un air presque frondeur : « 3 On ne voit tomber dans le jardin que le blanc animé. […] Pourtant l’air chante »

Véritable ostinato du langage par ailleurs, le ressassement obstiné de la parole en quête de véridicité du long texte de Carole Carcillo Mesrobian, paru en octobre 2021, aux éditions Unicité, nihIL, est partagé dans la revue selon des extraits choisis dont la présentation annonce toute la portée de l’indicible : « Il ne dit rien, car il n’y a rien, absolument rien à énoncer d’autre que l’abondance sonore d’un silence accompli dans l’oubli de la parole, nihIL. » Dès lors, l’anaphore locutrice de ce (nih)IL, qui n’est pas sans évoquer la « disparition élocutoire du poète » visée par la plume mallarméenne, se développe de phrases en phrases, comme le chant têtu d’un champ des possibles sans cesse labouré pour ne signifier rien, si ce n’est nihIL, autre signe manifeste, à travers ces diverses manifestations d’écriture en autant de trouées du dire, des potentialités de « La Poésie Manifeste », ce beau numéro 26 !




La revue Voix n°6

Le n°6 de la revue Voix reste fidèle aux précédentes éditions. Une tenue sobre et apaisante, grâce au format A4 et à une couverture délicate violet pastel, où une typographie fine et élégante renseigne le lecteur sur les contenus proposés. Des illustrations déployées sur un papier glacé, et un espace scriptural où les impressions sont présentées de manière aérée et légère.

Ce numéro, porté par l’association « Le buffet littéraire » qui est présidée par François Minod, reste sur sa ligne éditoriale : littéraire et artistique. Cette fois-ci encore l’intitulé de ce volume, « Solos, duos, ailleurs & critiques » énonce clairement ces choix qui sont motivés par le désir de créer un syncrétisme artistique et culturel.

Une pléiade de poètes comme Claude Ber, Marilyne Bertoncini, Danièle Corre, Danièle Beghe, Anny Pelouze, François Minod, Mireille Diaz-Florian, Georges de Rivas, Luc Vidal… pour les voix française, côtoient des voix italiennes en les personnes de cinq poètes italiens, un dossier porté et présenté par Marilyne Bertoncini qui après nous avoir permis de lire des poètes anglophones (je pense notamment à Gili Haïmovitch et à Soleil hésitant que les lecteurs francophones peuvent découvrir grâce à son travail) est également la traductrice des poèmes et  nous offre de relire ou de découvrir des voix novatrices de la poésie italienne : Danièle Beghè, Lucas Ariano, Alessandro Rivali, Giancarlo Baroni, Roberto Mosi.

A ces pages qui offrent toute latitude à la poésie de déployer ses multiples horizons sémantiques se joignent des notes critiques, ainsi qu’une rubrique, « Parole à », qui pour ce numéro 6 est donnée à Patrick Quillier. Ses propos font écho aux éditos, et interrogent sur la place et la nécessité d’une parole poétique dans le monde d’aujourd’hui.

Revue Voix n°6, 3ème trimestre 2021, 78 pages, 13 €.

Un volume qui ne fait pas l’économie de moyens, qu’il s’agisse des contenus ou de la tenue, qui en fait un lieu où on aime se rendre, et retourner.




Voix d’encre numéro 65

Sobre, élégante, la revue Voix d’encre est également une maison d’édition. La revue paraît deux fois l’an, au printemps et à l’automne.

Sobre, élégante, la revue Voix d’encre est également une maison d’édition. La revue paraît deux fois l’an, au printemps et à l’automne. Ce numéro 65 est donc un numéro d’automne. Il s’ouvre sur un hommage de Hervé Planquois à Jandek, un musicien américain de l’extrême à propos duquel Hervé Planquois n’hésite pas à parler de « psychédélisme cistercien ». Douze poèmes, comme douze « adresses », si « l’esprit du chant » est bien de « révéler/ depuis un fond inconnu/ les racines de notre condition. » Mais s’agit-il seulement de la musique de Jandek ?

Béatrice Libert, elle, dans son ensemble « TRANSPARENCE et autres poèmes », cherche peut-être à atteindre la simplicité « du lilas ce poème qui se débat/Contre lui-même et contre toi »… Le poème fait « Volte-face », il n’est que « le vide précaire d’une forme poétique ».

(…) tes pensées
Vont sans guidon ni boussole
Elles n’obéissent à personne
Ni à quoi que ce soit
Pas même à toi

Voix d’encre numéro 65, Août 2021, 64 pages, 12 €.

Paul Roddie propose trois ensembles : « IODISATION », « Suite hiémale » et « Aphorismes ». Les deux premiers évoquent des forces naturelles plus puissantes que celui qui les côtoie, l’océan et l’hiver. « (…) Comme la nature est discontinue : au moment même où je m’allonge sur mon lit d’édredon, à deux pas d’ici, dehors, dans la nuit infréquentable, l’étang continue de geler (…) » Le dernier, quant à lui, présente des maximes, des paradoxes, ou des questions, séparées par des astérisques. « C’est dans le flou artistique que les contours du poète se précisent. »

Giovanni Angelini, quant à lui, présente quelques extraits d’un recueil à paraître, Ce qui nous manque, et il les a intitulés COUPER DU BOIS. Laissons à sa poésie toute sa sensualité énigmatique :

Comme les forestiers
le cercle de cette clairière
augmente-les
par soustraction
           tes mots
ainsi tu ne les auras
pas volés. 

Mohammed El Amraoui a lui-même traduit de l’arabe un ensemble de poèmes qu’il a appelé LE VENT REND LES CHOSES PLUS CLAIRES. Il y parle, non sans tendresse ni humour, de ces absents qui le hantent, son père et sa grand-mère, morts, mais dont les paroles lui reviennent sur Satan, la mort, l’ange Azraël, le vent …

Et j’affirme alors
que le vent a au moins
l’avantage de rendre les choses
plus claires 

Camille Loivier, avec (IL FAUT CONTINUER DE CREUSER SOUS LES MOTS) propose cette méditation paradoxale sur « les mots absents » : « on est comme dans le noir avec eux/Quelque chose est là ». « il existerait d’autres langues »… Recherche d’un mot singulier « -un mot ajusté à ce que l’on éprouve- » « jusqu’à tomber/sur une langue qui ne voudrait rien dire » et « tomber dans l’oubli » avec elle ?... Beau vertige hésitant aux limites.

Jean-Michel Bollinger, lui, propose des « extraits » : PÉNOMBRES LAMPES ET LUMIÈRES, où se lisent l’absence, « Le jeu de l’enfant est plus sérieux/que la plus sévère correction » et surtout la nescience féconde du poète :

Il griffonne trois mots
et songe
qu’il ne sait pas encore
C’est peut-être ce désordre
le travail du poète.

Pour finir, Henri Perrier Gustin avec LE GRILLON PÈLERIN nous fait voyager au Japon, sous la pluie, l’eau se trouvant partout. On y découvre des temples, des auberges :

Ces bâtiments toujours renouvelés
murmurent l’âme d’un pays 

Et un regard étrange, étranger, se pose sur ces paysages, ces bâtisses, cet espace et ce temps qui sont ceux du voyage.

Les acryliques de Maurice Jayet, tout en nuances de gris, dialoguent avec l’énigme des poèmes en proposant des univers où peuvent, ou non, se reconnaître des formes.

L’ensemble du numéro 65 de VOIX D’ENCRE est donc une suite de voyages dans des imaginaires très différents les uns des autres … Très évocateurs, en tout cas, que d’autres mondes sont possibles.




Revue FUORIASSE — Officina della cultura

Née en 2011 FuoriAsse est une revue semestrielle attentive aux nouvelles formes de communication tout en construisant un véritable dialogue avec les traditions. Elle se présente sous la forme d’un livre aux riches couleurs, élégant et épais (222 pages) de grand format (21x29,7) rassemblant, dans ce numéro paru en juin dernier, quarante-deux auteurs et cinquante-trois photographes et illustrateurs, italiens et étrangers.

FuoriAsse signifie « HorsAxe », autrement dit « non alignée par rapport à un axe de référence » (le I est d’ailleurs incliné ce qui est impossible à représenter ici).  Elle accueille donc des regards critiques, confronte les points de vue, et se révèle être une véritable fenêtre sur la vie littéraire et culturelle au-delà de toute frontière, fuyant « une idéologie à sens unique toujours plus en accord avec un monde capitaliste qui favorise l’homologation et le conformisme »1.

Ce numéro, dédié à Sofia Graviilidis (professeur de littérature comparée pour l’enfance à l’Université Aristote de Thessalonique, décédée en novembre 2020 et membre du comité scientifique du Centre International d'Études sur la Littérature Européenne) a pour titre La pietas et pour couverture une magnifique illustration d’Andrea Ferraris (lequel est aussi écrivain). Alliant éthique et esthétique, Ferraris nous livre une interprétation de ce que peut être la pietas au XXIè siécle, mêlant à la profondeur de ses bleus intenses (de la Méditerranée) le destin tragique des migrants. Pourquoi le mot latin pietas et non le mot italien pietà ?

Revue  FUORIASSE - Officina della cultura, numéro 26 (juin 2021), 222 pages, 22 euros.

 « Pietas est un mot qui n'est plus à la mode » nous dit Caterina Arcangelo, la directrice de rédaction, dans son éditorial. C’est pourquoi elle invite à « revenir à la lecture des grands poèmes classiques, source d’un savoir scientifique moderne, qui se révèlent encore à la hauteur des discussions les plus actuelles » et cite entre autres l’Iliade ou le poème de la force, une relecture d’Homère par Simone Weil et le Zibaldone de Leopardi, des œuvres qui nous permettent de comprendre le processus d'actualisation du mythe nécessaire à l’élargissement perpétuel de la connaissance. Elle cite aussi Ungaretti et son Allegria di Naufragi (l’allégresse signifiant ici retour à la force intérieure), Ernst Jünger, Marco Revelli lequel focalise son enquête sur l’écroulement des valeurs. Sa « modernisation régressive » révèle comment l’évolution, en particulier technologique, n’est qu’une course contre le temps. Prosperi, lui, en introduction à son Un tempo senza storia, la distruzione del passato (Un temps sans histoire, la destruction du passé) Einaudi 2021, appelle le lecteur à réfléchir sur la nécessité de se réapproprier l’Histoire et dénonce les brèches qui se sont ouvertes, « entre la réalité des nombreuses cultures humaines dans le monde et la fermeture ethnocentrique de ce qui est lu et enseigné ». En effet, aujourd’hui, on se heurte à un modus operandi qui se conjugue avec une idéologie à sens unique et toujours plus conforme à un monde capitaliste qui favorise l’homologation et le conformisme. On ne vise plus « la croissance intellectuelle de personnalités libres mais l’apprentissage d’aptitudes fonctionnelles à l’exécution exacte de ce qui est demandé par les exigences du système ».

Beauté, densité et multiplicité caractérisent la revue FuoriAsse dont il est impossible de rendre compte en détail. Ce numéro 26 réunit ainsi, dans ses vingt rubriques, des articles de recherche, des photos d'art, des biographies et d’amples notes de lecture, le tout abondamment illustré. Si la poésie est présente dans nombre de ses pages, FuoriAsse va largement au-delà : on y parle de littérature et de philosophie, de musique, de cinéma, de questions politiques et sociales… aussi y rencontre-t-on des poètes, des philosophes, des psychanalystes, des acteurs, des réalisateurs, des auteurs de bandes dessinées, des peintres, des directeurs d’associations culturelles etc. Au détour d’une page, on peut y lire un vibrant hommage à Francesco De Francesco, médecin de Bergame mort pendant la première vague du Coronavirus et qui était - aussi - un brillant illustrateur.

Arrêtons-nous aussi sur la rubrique « Impare a scrivere con i grandi » (Apprendre à écrire avec les grands), dans laquelle Guido Conti nous donne à lire quatre micro-récits2 extraits de I centodelitti (Les centcrimes) de Giorgio Sceranenco (Kiev 1911-Milano 1969) qu’il analyse pour nous montrer comment donner de l’épaisseur à des personnages en pratiquant l’art du non-dit, de la suggestion, de la concision, la création de personnages dont la vie secrète est à imaginer par le lecteur… « ce qui se cache entre les lignes n’est-il pas plus important que ce qui est dit ?»3 et nous donne des pistes de travail. « Chaque histoire de ce recueil est comme la pointe d’un iceberg : ce qui fait émerger la page écrite est en général la partie immergée, celle qui est restée dans l’ombre, cachée. »4

FuoriAsse une revue ouverte sur le monde, sur tous les peuples et sur tous les âges (elle inclue une rubrique intitulée Quaderni per l’infanzia, Cahiers pour l’enfance) et se veut être un guide et une référence pour les jeunes (cf. rubrique La parola ai giovani, La parole aux jeunes.)

À noter que ce numéro consacre un long article (sept pages) à Amedeo Anelli, poète dont plusieurs textes ont paru dans Recours au poème. Il est ici interviewé par Caterina Arcangelo, la directrice éditoriale. On y croise également Margherita Rimi, elle-aussi publiée dans Recours au poème et Guido Oldani, le « père » du Réalisme terminal.

Comme une invitation à prolonger la lecture, les deux dernières pages restent blanches, offrant au lecteur la possibilité d’y inscrire les traces de sa propre réflexion, deux pages blanches comme un espace de dialogue incitant à ne pas rester passif mais à continuer sa propre lecture intérieure.

Notes

  1.  Extrait de l’éditorial de Caterina Archangelo.
  2. La schiava (L’esclave), Notte di distruzione (Nuit de destruction), Il più bel ragazzo del mondo (Le plus beau garçon du monde) et Non ti spaventare (N'aies pas peur).
  3. et 4. Guido Conti.

 

 




ll faut sauver la revue ARPA !

Fondée en 1976, Arpa risquait de disparaître en 2022, sa subvention annuelle étant supprimée. La revue, qui n'est pas une revue de littérature et de poésie régionales, mais « une des rares revues de référence sur la poésie contemporaine française et étrangère », tire son nom de l'Association de Recherche Poétique en Auvergne , et fait vivre la poésie sous la direction de Gérard Bocholier depuis 1991.

 Il lui fallait au moins 40 abonnés supplémentaires pour pouvoir continuer. Le dernier numéro assuré, 133-134 est paru en automne... Il aurait donc été le dernier numéro si la campagne d'appel à l'aide n'avait offert un sursis : la revue pourra survivre, avec une formule nouvelle : l'abonnement (4 numéros, 42 euros) offrira 2 numéros simples de 80 pages et un numéro double de 160 pages – mais un sursis n'est pas une garantie de longévité.

Or, une revue qui disparaît entraîne dans sa mort tout un pan de la culture.

Pour vous abonner (mode de diffusion principal)voir ici : http://www.arpa-poesie.fr/Contact.html

La poésie, déjà si marginale dans le monde de la littérature, pratiquement inexistante dans la presse à grand tirage, a besoin de ces parutions périodiques pour permettre à des voix nouvelles de « tester » leurs textes – un champ littéraire sans apports nouveaux ne peut que s'étioler : si les « poètes » prolifèrent sur le web, et dans des groupes de facebook, tout s'y aplatit, comme l'information omniprésente. Une revue a un projet éditorial, ce qu'elle publie répond à une sélection, et permet à un lecteur – novice ou non – de lire des poèmes de qualité. Par ailleurs, les revues entretiennent une culture commune, qui fait défaut, pour la poésie contemporaine, aux institutions d'éducation. Par la publication d'inédits d'auteurs déjà reconnus, l'exhumation de textes qui sans elles tomberaient dans l'oubli, l'ouverture à des littératures du monde, la revue fait œuvre d'éducation... sans compter qu'elle permet aux éditeurs - et aux auteurs - de faire connaître leurs ouvrages, dont la diffusion déjà restreinte (le bouche-à-oreille plus que les librairies, on le sait) a besoin de ces lectures d'invitations proposées par les critiques.

Les animateurs d'Arpa ont toujours voulu rester ouverts à une grande diversité de styles – les sommaires permettent de retrouver presque toutes les grandes voix de la poésie actuelle, des poètes confirmés et des auteurs débutants.…

Arpa fait aussi une grande place à la poésie étrangère et dans chacun de ses numéros, tient aussi à publier des poèmes d'auteurs encore inconnus, dans Le regard des autres

Le numéro 132 présentait un hommage à Cédric Demangeot, une série de poèmes et de proses, une série de notes de lecture, la chronique de Gérard Bocholier et un groupement de poèmes sous le titre « le fil du temps ». La revue offrait aussi des photos N&B de Bernard Pauty disséminées au fil de la lecture.

Le numéro 133 – octobre 2021 – porte en couverture le titre « proses poétique ». Il propose de rencontrer 37 poètes ou prosateurs, auxquels s'ajoutent les 7 invités du « fil du temps ». On trouvera deux essais – sur François Graveline par Denis Rigal, et sur le thème « vers ou prose » par François Migeot, une série de notes de lecture, une chronique de Colette Minois, ludiquement intitulée « Tirer la langue », qui traite de l'usage exponentiel des jargons et barbarismes qui sévissent sur les médias depuis la crise sanitaire, et de la censure exercée par une bienpensance antiraciste, antisexiste... qui va jusqu'à débaptiser ou condamner des livres. Les « préférences » de Gérard Bocholier - cette « chronique des temps difficiles » nous fait voyager dans les livres qui ont retenu son attention. Au fil du numéro, des pointes sèches de Valérie Peret-Remors associent poésie et art visuel.

On attend avec impatience le premier numéro de 2022 - numéro gagné par le soutien des lecteurs, dont on espère qu'il s'élargira à de nouveaux abonnés. La survie de la poésie est en jeu aussi !




I Vagabondi, revue littéraire des deux rives de la Méditerranée

C'est avec plaisir que nous accueillons la naissance de la toute nouvelle revue éditée en Corse par Jean-Jacques Colonna d’Istria et les éditions Scudo. I Vagabondi, revue grand format sous couverture colorée annonçant son ancrage sur les « deux rives de la Méditerranée » se présente comme une revue largement ouverte sur les arts et les cultures. Plus de 70 participations reçues pour ce premier numéro, qui en a retenu 51, dont les auteurs sont présentés d’emblée, avec photo et biographie succinte, juste après le sommaire.
Le titre, ainsi que l'explique Jean-Jacques Colonna d'Istria dans son édito, fait d'abord référence à l’histoire corse, et à « l’accademia di i vagabondi », dont les publications propageaient les idées nouvelles dans tous les domaines, académie créée en 1650 par l’évêque de Nebbio, Carlo Fabrizio Giustiniani, académie reprise en 1749, puis en 1978…

I Vagabondi, revue littéraire des deux rives de la Méditerranée, n. 1, juin 2021, éditions Scudo, 168 p. 20 euros

Mais les vagabonds, précise l'éditeur, ce sont aussi tous les acteurs de la vie culturelle, tous les « non-essentiels », tels qu'ils furent définis durant les confinements, et dont pourtant la société ne peut se passer. Sans oublier les « vagabonds d’âme », tous ceux qui passent d’une forme d’expression à une autre, qu’ils soient créateurs ou lecteurs : c’est donc une revue qui se veut généraliste, et éclectique, toutefois tournée davantage vers les arts liés à l’écriture, visuels ou sonores désormais, grâce au QRcode.

Au sommaire de ce premier numéro, le festival Romain Gary, dont Sarrula Carcupinu souligne, en introduction, le caractère international donné à cet événement sous l'égide d'un auteur multiple à plus d'un titre. A ce projet se rattachent des articles sur la double personnalité Gary-Ajar et une série de beaux portraits, œuvres d'artistes divers, disséminés dans la revue.

Egalement mis en avant, les liens entre Corse et Algérie, pays invité cette année, avec un grand nombre d’articles variés et de photos, mais aussi des poèmes et des calligraphies, dans une belle mise en page graphique et colorée, sur un papier satiné, qui met en valeur textes et images sans les étouffer – et sans transformer la revue en lourd objet de salon difficile à feuilleter.

Outre les dossiers, dont on nous annonce que certains seront récurrents, je découvre un feuilleton, « La Maison sur la mer », et des textes en langue corse , dont les poèmes et traductions par Norbert Paganelli, auquel on doit une brève nouvelle autobiographique émouvante, « Noratlas », évoquant avec un regard d'enfant les années 1958 et 1962 et son parcours de « migrant/réfugié » d'une rive à l'autre de la Méditerranée, de Sartène (en Corse) à Bône et Philippeville, en Algérie. Faute de tout citer je retiens encore la nouvelle de Leïla Sebbar, « Isabelle. Sur la route », qui parle de Bône aussi, avec une évocation d'Isabelle Eberhard, la nomade aventurière, à travers le lien tissé entre elle et le jeune Ahmed, qui deviendra instituteur. Jean-PIerre Castellani affronte de face cette binarité du regard, dan sun article intitulé « Entre Corse et Algérie, Mes vagabondages autour de la Méditerranée », évoquant les tensions entre identités fortes et parfois antagonistes. Parmi les photos, dans leur belle pleine page, un « Dante et l'Enfer » de Jacques Cauda, « L'autre rive » de Patricia Pinzuti-Gintz, l »La vie et la liberté » de Soraya, et la double page graphique de Xavier Dandoy de Casablanca, intitulée « La Corse »... Mais les photos se mêlent aussi aux textes, comme dans « La Mort » poème et photos de Laurent Demartini mis en page par Katia Jannin – quand ce ne sont pas les calligraphies qui envahissent l'espace : ainsi « Spices painting with Trumeric – Spices poem Arabic- French » de Ness, ou le poème d'Amin Khan, « Il faut détruire Carthage », présenté et traduit par Terci Boucebci (dont un poème figure aussi dans ce numéro).

Pour clore ce rapide survol, on ne peut que citer la participation de Danièle Maoudj, « Naître au dialogue, ma Méditerrranée » : c'est ce que propose I Vagabondi, dont le numéro 2 prévoit les thèmes de la sexualité en Méditerranée, et du respect de la nature.




Contre-Allées revue de poésie contemporaine N° 41

Qu’est-ce que la poésie contemporaine ?

Les premiers mots que l’on lit dans ce quarante et unième numéro de Contre-Allées constituent le début d’une question : « La poésie contemporaine est-elle… ». Et voilà un enjeu de lecture intéressant pour ce numéro qu’Amandine Marembert et Romain Fustier placent sous le signe du poète Jacques Darras : quelle est la fonction de l'écriture poétique contemporaine ?

Une première réponse est donnée par la belle illustration de la couverture, signée par Valérie Linder, où l’on voit annoncé les thématiques que l’on retrouvera par la suite : l’attention à la nature, aux objets du quotidien, la fragmentation de la voix et du rythme, la nature qui s'immisce dans le béton de la ville. L’image délicate et réflexive de Linder confère un charme particulier à cette revue.

Romain Fustier donne une première réponse à la question que nous évoquions dans son texte introductif : « L’amateur de poèmes [...] ce qu’il quête, c’est de la relation ». Cette relation est celle que Contre-Allées tente de construire avec huit poèmes et un entretien de Jacques Darras, l’invité du numéro. Ses poèmes sont une relation entre la nature — il y est question des Trémières, des Pivoines, du hérisson dans le fabuleux poème Hedgehog —, la ville — qui introduit le prosaïque dans le poème — et l’écriture poétique. Le poème Adieux au merle en est une belle synthèse : Voyez-le sur la faîtière en tuile noire comme un accident / de cuisson générale dans le soleil couchant [...] pourquoi ne sommes-nous pas chanteurs nés ? Darras tisse ainsi des liens profonds entre la vie et l’écriture — je cite «  Verhaeren Bis » : Ecrire, [...] c’est prescrire ce qu’ensuite / Nous vivons —, ce qui répond déjà à la question implicite de Contre-Allées : l’écriture poétique sert à devenir Lecteurs de nos actes que [la réalité] écrit à travers nous.

Contre-Allées, revue de poésie contemporaine, n° 41, printemps 2020. 48 pages, 5 euros.

Darras développe ensuite l’importance poétique et politique du rythme dans un entretien qui se présente comme une grille de lecture pour les contributions poétiques dans la suite du numéro. Le lecteur trouvera des poèmes de Christiane Bouchut, Isabelle Sancy, Maud Thiria et Christain Degoutte, tous marqués par le regard intime qu’ils portent sur des objets de la vie quotidienne (un fauteuil chéri, le linge blanc, les mirabelles).

Je retiendrai volontiers le poème D’un jardin d’Anne Brousseau. Il s’agit d’une belle et longue métaphore filée à la fois du poème et de l'existence comme un jardin. Elle écrit :

D’un jardin de saveurs
thym sauge et ciboulette
chaque jour en prendre la mesure

chaque jour ce temps au temps
et garder le souffle juste sur la ligne
pour que ça tienne
pour que ça veuille

ainsi t’attendre

 

Ce jardin est certes une métaphore du poème, mais aussi de l'existence humaine comme le confirme son dernier vers : le monde est un jardin. Un jardin d’attention et de rencontre avec ceux qui ne sont plus en vie. Le poème d’Anne Brousseau répond ainsi, très humainement, à notre question : la poésie c’est une autre science, c’est avoir fleuri / et tourné le dos / vers un autre chemin // ou le même / le sien.

Enfin, deux entretiens avec Henri Droguet et Christian Garaud nous ouvrent les portes de l’atelier du poète pour répondre à la question : Dans quelle mesure l’écriture est-elle un chantier pour vous ? Le numéro entier de Contre-Allées semble ainsi répondre à la question qu’il suggère : la poésie contemporaine est un perpétuel chantier (pour reprendre le mot de Garaud), c’est-à-dire, un perpétuel devenir. Et une revue de poésie contemporaine est l’épicentre de ce chantier, où tout conflue, certes, mais aussi où l’on voit la poésie se construire, une poésie d’attention aux détails, à la vie, et aux liens profonds entre la vie et l’écriture.