La revue Voix n°6

Le n°6 de la revue Voix reste fidèle aux précédentes éditions. Une tenue sobre et apaisante, grâce au format A4 et à une couverture délicate violet pastel, où une typographie fine et élégante renseigne le lecteur sur les contenus proposés. Des illustrations déployées sur un papier glacé, et un espace scriptural où les impressions sont présentées de manière aérée et légère.

Ce numéro, porté par l’association « Le buffet littéraire » qui est présidée par François Minod, reste sur sa ligne éditoriale : littéraire et artistique. Cette fois-ci encore l’intitulé de ce volume, « Solos, duos, ailleurs & critiques » énonce clairement ces choix qui sont motivés par le désir de créer un syncrétisme artistique et culturel.

Une pléiade de poètes comme Claude Ber, Marilyne Bertoncini, Danièle Corre, Danièle Beghe, Anny Pelouze, François Minod, Mireille Diaz-Florian, Georges de Rivas, Luc Vidal… pour les voix française, côtoient des voix italiennes en les personnes de cinq poètes italiens, un dossier porté et présenté par Marilyne Bertoncini qui après nous avoir permis de lire des poètes anglophones (je pense notamment à Gili Haïmovitch et à Soleil hésitant que les lecteurs francophones peuvent découvrir grâce à son travail) est également la traductrice des poèmes et  nous offre de relire ou de découvrir des voix novatrices de la poésie italienne : Danièle Beghè, Lucas Ariano, Alessandro Rivali, Giancarlo Baroni, Roberto Mosi.

A ces pages qui offrent toute latitude à la poésie de déployer ses multiples horizons sémantiques se joignent des notes critiques, ainsi qu’une rubrique, « Parole à », qui pour ce numéro 6 est donnée à Patrick Quillier. Ses propos font écho aux éditos, et interrogent sur la place et la nécessité d’une parole poétique dans le monde d’aujourd’hui.

Revue Voix n°6, 3ème trimestre 2021, 78 pages, 13 €.

Un volume qui ne fait pas l’économie de moyens, qu’il s’agisse des contenus ou de la tenue, qui en fait un lieu où on aime se rendre, et retourner.




Voix d’encre numéro 65

Sobre, élégante, la revue Voix d’encre est également une maison d’édition. La revue paraît deux fois l’an, au printemps et à l’automne.

Sobre, élégante, la revue Voix d’encre est également une maison d’édition. La revue paraît deux fois l’an, au printemps et à l’automne. Ce numéro 65 est donc un numéro d’automne. Il s’ouvre sur un hommage de Hervé Planquois à Jandek, un musicien américain de l’extrême à propos duquel Hervé Planquois n’hésite pas à parler de « psychédélisme cistercien ». Douze poèmes, comme douze « adresses », si « l’esprit du chant » est bien de « révéler/ depuis un fond inconnu/ les racines de notre condition. » Mais s’agit-il seulement de la musique de Jandek ?

Béatrice Libert, elle, dans son ensemble « TRANSPARENCE et autres poèmes », cherche peut-être à atteindre la simplicité « du lilas ce poème qui se débat/Contre lui-même et contre toi »… Le poème fait « Volte-face », il n’est que « le vide précaire d’une forme poétique ».

(…) tes pensées
Vont sans guidon ni boussole
Elles n’obéissent à personne
Ni à quoi que ce soit
Pas même à toi

Voix d’encre numéro 65, Août 2021, 64 pages, 12 €.

Paul Roddie propose trois ensembles : « IODISATION », « Suite hiémale » et « Aphorismes ». Les deux premiers évoquent des forces naturelles plus puissantes que celui qui les côtoie, l’océan et l’hiver. « (…) Comme la nature est discontinue : au moment même où je m’allonge sur mon lit d’édredon, à deux pas d’ici, dehors, dans la nuit infréquentable, l’étang continue de geler (…) » Le dernier, quant à lui, présente des maximes, des paradoxes, ou des questions, séparées par des astérisques. « C’est dans le flou artistique que les contours du poète se précisent. »

Giovanni Angelini, quant à lui, présente quelques extraits d’un recueil à paraître, Ce qui nous manque, et il les a intitulés COUPER DU BOIS. Laissons à sa poésie toute sa sensualité énigmatique :

Comme les forestiers
le cercle de cette clairière
augmente-les
par soustraction
           tes mots
ainsi tu ne les auras
pas volés. 

Mohammed El Amraoui a lui-même traduit de l’arabe un ensemble de poèmes qu’il a appelé LE VENT REND LES CHOSES PLUS CLAIRES. Il y parle, non sans tendresse ni humour, de ces absents qui le hantent, son père et sa grand-mère, morts, mais dont les paroles lui reviennent sur Satan, la mort, l’ange Azraël, le vent …

Et j’affirme alors
que le vent a au moins
l’avantage de rendre les choses
plus claires 

Camille Loivier, avec (IL FAUT CONTINUER DE CREUSER SOUS LES MOTS) propose cette méditation paradoxale sur « les mots absents » : « on est comme dans le noir avec eux/Quelque chose est là ». « il existerait d’autres langues »… Recherche d’un mot singulier « -un mot ajusté à ce que l’on éprouve- » « jusqu’à tomber/sur une langue qui ne voudrait rien dire » et « tomber dans l’oubli » avec elle ?... Beau vertige hésitant aux limites.

Jean-Michel Bollinger, lui, propose des « extraits » : PÉNOMBRES LAMPES ET LUMIÈRES, où se lisent l’absence, « Le jeu de l’enfant est plus sérieux/que la plus sévère correction » et surtout la nescience féconde du poète :

Il griffonne trois mots
et songe
qu’il ne sait pas encore
C’est peut-être ce désordre
le travail du poète.

Pour finir, Henri Perrier Gustin avec LE GRILLON PÈLERIN nous fait voyager au Japon, sous la pluie, l’eau se trouvant partout. On y découvre des temples, des auberges :

Ces bâtiments toujours renouvelés
murmurent l’âme d’un pays 

Et un regard étrange, étranger, se pose sur ces paysages, ces bâtisses, cet espace et ce temps qui sont ceux du voyage.

Les acryliques de Maurice Jayet, tout en nuances de gris, dialoguent avec l’énigme des poèmes en proposant des univers où peuvent, ou non, se reconnaître des formes.

L’ensemble du numéro 65 de VOIX D’ENCRE est donc une suite de voyages dans des imaginaires très différents les uns des autres … Très évocateurs, en tout cas, que d’autres mondes sont possibles.




Revue FUORIASSE — Officina della cultura

Née en 2011 FuoriAsse est une revue semestrielle attentive aux nouvelles formes de communication tout en construisant un véritable dialogue avec les traditions. Elle se présente sous la forme d’un livre aux riches couleurs, élégant et épais (222 pages) de grand format (21x29,7) rassemblant, dans ce numéro paru en juin dernier, quarante-deux auteurs et cinquante-trois photographes et illustrateurs, italiens et étrangers.

FuoriAsse signifie « HorsAxe », autrement dit « non alignée par rapport à un axe de référence » (le I est d’ailleurs incliné ce qui est impossible à représenter ici).  Elle accueille donc des regards critiques, confronte les points de vue, et se révèle être une véritable fenêtre sur la vie littéraire et culturelle au-delà de toute frontière, fuyant « une idéologie à sens unique toujours plus en accord avec un monde capitaliste qui favorise l’homologation et le conformisme »1.

Ce numéro, dédié à Sofia Graviilidis (professeur de littérature comparée pour l’enfance à l’Université Aristote de Thessalonique, décédée en novembre 2020 et membre du comité scientifique du Centre International d'Études sur la Littérature Européenne) a pour titre La pietas et pour couverture une magnifique illustration d’Andrea Ferraris (lequel est aussi écrivain). Alliant éthique et esthétique, Ferraris nous livre une interprétation de ce que peut être la pietas au XXIè siécle, mêlant à la profondeur de ses bleus intenses (de la Méditerranée) le destin tragique des migrants. Pourquoi le mot latin pietas et non le mot italien pietà ?

Revue  FUORIASSE - Officina della cultura, numéro 26 (juin 2021), 222 pages, 22 euros.

 « Pietas est un mot qui n'est plus à la mode » nous dit Caterina Arcangelo, la directrice de rédaction, dans son éditorial. C’est pourquoi elle invite à « revenir à la lecture des grands poèmes classiques, source d’un savoir scientifique moderne, qui se révèlent encore à la hauteur des discussions les plus actuelles » et cite entre autres l’Iliade ou le poème de la force, une relecture d’Homère par Simone Weil et le Zibaldone de Leopardi, des œuvres qui nous permettent de comprendre le processus d'actualisation du mythe nécessaire à l’élargissement perpétuel de la connaissance. Elle cite aussi Ungaretti et son Allegria di Naufragi (l’allégresse signifiant ici retour à la force intérieure), Ernst Jünger, Marco Revelli lequel focalise son enquête sur l’écroulement des valeurs. Sa « modernisation régressive » révèle comment l’évolution, en particulier technologique, n’est qu’une course contre le temps. Prosperi, lui, en introduction à son Un tempo senza storia, la distruzione del passato (Un temps sans histoire, la destruction du passé) Einaudi 2021, appelle le lecteur à réfléchir sur la nécessité de se réapproprier l’Histoire et dénonce les brèches qui se sont ouvertes, « entre la réalité des nombreuses cultures humaines dans le monde et la fermeture ethnocentrique de ce qui est lu et enseigné ». En effet, aujourd’hui, on se heurte à un modus operandi qui se conjugue avec une idéologie à sens unique et toujours plus conforme à un monde capitaliste qui favorise l’homologation et le conformisme. On ne vise plus « la croissance intellectuelle de personnalités libres mais l’apprentissage d’aptitudes fonctionnelles à l’exécution exacte de ce qui est demandé par les exigences du système ».

Beauté, densité et multiplicité caractérisent la revue FuoriAsse dont il est impossible de rendre compte en détail. Ce numéro 26 réunit ainsi, dans ses vingt rubriques, des articles de recherche, des photos d'art, des biographies et d’amples notes de lecture, le tout abondamment illustré. Si la poésie est présente dans nombre de ses pages, FuoriAsse va largement au-delà : on y parle de littérature et de philosophie, de musique, de cinéma, de questions politiques et sociales… aussi y rencontre-t-on des poètes, des philosophes, des psychanalystes, des acteurs, des réalisateurs, des auteurs de bandes dessinées, des peintres, des directeurs d’associations culturelles etc. Au détour d’une page, on peut y lire un vibrant hommage à Francesco De Francesco, médecin de Bergame mort pendant la première vague du Coronavirus et qui était - aussi - un brillant illustrateur.

Arrêtons-nous aussi sur la rubrique « Impare a scrivere con i grandi » (Apprendre à écrire avec les grands), dans laquelle Guido Conti nous donne à lire quatre micro-récits2 extraits de I centodelitti (Les centcrimes) de Giorgio Sceranenco (Kiev 1911-Milano 1969) qu’il analyse pour nous montrer comment donner de l’épaisseur à des personnages en pratiquant l’art du non-dit, de la suggestion, de la concision, la création de personnages dont la vie secrète est à imaginer par le lecteur… « ce qui se cache entre les lignes n’est-il pas plus important que ce qui est dit ?»3 et nous donne des pistes de travail. « Chaque histoire de ce recueil est comme la pointe d’un iceberg : ce qui fait émerger la page écrite est en général la partie immergée, celle qui est restée dans l’ombre, cachée. »4

FuoriAsse une revue ouverte sur le monde, sur tous les peuples et sur tous les âges (elle inclue une rubrique intitulée Quaderni per l’infanzia, Cahiers pour l’enfance) et se veut être un guide et une référence pour les jeunes (cf. rubrique La parola ai giovani, La parole aux jeunes.)

À noter que ce numéro consacre un long article (sept pages) à Amedeo Anelli, poète dont plusieurs textes ont paru dans Recours au poème. Il est ici interviewé par Caterina Arcangelo, la directrice éditoriale. On y croise également Margherita Rimi, elle-aussi publiée dans Recours au poème et Guido Oldani, le « père » du Réalisme terminal.

Comme une invitation à prolonger la lecture, les deux dernières pages restent blanches, offrant au lecteur la possibilité d’y inscrire les traces de sa propre réflexion, deux pages blanches comme un espace de dialogue incitant à ne pas rester passif mais à continuer sa propre lecture intérieure.

Notes

  1.  Extrait de l’éditorial de Caterina Archangelo.
  2. La schiava (L’esclave), Notte di distruzione (Nuit de destruction), Il più bel ragazzo del mondo (Le plus beau garçon du monde) et Non ti spaventare (N'aies pas peur).
  3. et 4. Guido Conti.

 

 




ll faut sauver la revue ARPA !

Fondée en 1976, Arpa risquait de disparaître en 2022, sa subvention annuelle étant supprimée. La revue, qui n'est pas une revue de littérature et de poésie régionales, mais « une des rares revues de référence sur la poésie contemporaine française et étrangère », tire son nom de l'Association de Recherche Poétique en Auvergne , et fait vivre la poésie sous la direction de Gérard Bocholier depuis 1991.

 Il lui fallait au moins 40 abonnés supplémentaires pour pouvoir continuer. Le dernier numéro assuré, 133-134 est paru en automne... Il aurait donc été le dernier numéro si la campagne d'appel à l'aide n'avait offert un sursis : la revue pourra survivre, avec une formule nouvelle : l'abonnement (4 numéros, 42 euros) offrira 2 numéros simples de 80 pages et un numéro double de 160 pages – mais un sursis n'est pas une garantie de longévité.

Or, une revue qui disparaît entraîne dans sa mort tout un pan de la culture.

Pour vous abonner (mode de diffusion principal)voir ici : http://www.arpa-poesie.fr/Contact.html

La poésie, déjà si marginale dans le monde de la littérature, pratiquement inexistante dans la presse à grand tirage, a besoin de ces parutions périodiques pour permettre à des voix nouvelles de « tester » leurs textes – un champ littéraire sans apports nouveaux ne peut que s'étioler : si les « poètes » prolifèrent sur le web, et dans des groupes de facebook, tout s'y aplatit, comme l'information omniprésente. Une revue a un projet éditorial, ce qu'elle publie répond à une sélection, et permet à un lecteur – novice ou non – de lire des poèmes de qualité. Par ailleurs, les revues entretiennent une culture commune, qui fait défaut, pour la poésie contemporaine, aux institutions d'éducation. Par la publication d'inédits d'auteurs déjà reconnus, l'exhumation de textes qui sans elles tomberaient dans l'oubli, l'ouverture à des littératures du monde, la revue fait œuvre d'éducation... sans compter qu'elle permet aux éditeurs - et aux auteurs - de faire connaître leurs ouvrages, dont la diffusion déjà restreinte (le bouche-à-oreille plus que les librairies, on le sait) a besoin de ces lectures d'invitations proposées par les critiques.

Les animateurs d'Arpa ont toujours voulu rester ouverts à une grande diversité de styles – les sommaires permettent de retrouver presque toutes les grandes voix de la poésie actuelle, des poètes confirmés et des auteurs débutants.…

Arpa fait aussi une grande place à la poésie étrangère et dans chacun de ses numéros, tient aussi à publier des poèmes d'auteurs encore inconnus, dans Le regard des autres

Le numéro 132 présentait un hommage à Cédric Demangeot, une série de poèmes et de proses, une série de notes de lecture, la chronique de Gérard Bocholier et un groupement de poèmes sous le titre « le fil du temps ». La revue offrait aussi des photos N&B de Bernard Pauty disséminées au fil de la lecture.

Le numéro 133 – octobre 2021 – porte en couverture le titre « proses poétique ». Il propose de rencontrer 37 poètes ou prosateurs, auxquels s'ajoutent les 7 invités du « fil du temps ». On trouvera deux essais – sur François Graveline par Denis Rigal, et sur le thème « vers ou prose » par François Migeot, une série de notes de lecture, une chronique de Colette Minois, ludiquement intitulée « Tirer la langue », qui traite de l'usage exponentiel des jargons et barbarismes qui sévissent sur les médias depuis la crise sanitaire, et de la censure exercée par une bienpensance antiraciste, antisexiste... qui va jusqu'à débaptiser ou condamner des livres. Les « préférences » de Gérard Bocholier - cette « chronique des temps difficiles » nous fait voyager dans les livres qui ont retenu son attention. Au fil du numéro, des pointes sèches de Valérie Peret-Remors associent poésie et art visuel.

On attend avec impatience le premier numéro de 2022 - numéro gagné par le soutien des lecteurs, dont on espère qu'il s'élargira à de nouveaux abonnés. La survie de la poésie est en jeu aussi !




I Vagabondi, revue littéraire des deux rives de la Méditerranée

C'est avec plaisir que nous accueillons la naissance de la toute nouvelle revue éditée en Corse par Jean-Jacques Colonna d’Istria et les éditions Scudo. I Vagabondi, revue grand format sous couverture colorée annonçant son ancrage sur les « deux rives de la Méditerranée » se présente comme une revue largement ouverte sur les arts et les cultures. Plus de 70 participations reçues pour ce premier numéro, qui en a retenu 51, dont les auteurs sont présentés d’emblée, avec photo et biographie succinte, juste après le sommaire.
Le titre, ainsi que l'explique Jean-Jacques Colonna d'Istria dans son édito, fait d'abord référence à l’histoire corse, et à « l’accademia di i vagabondi », dont les publications propageaient les idées nouvelles dans tous les domaines, académie créée en 1650 par l’évêque de Nebbio, Carlo Fabrizio Giustiniani, académie reprise en 1749, puis en 1978…

I Vagabondi, revue littéraire des deux rives de la Méditerranée, n. 1, juin 2021, éditions Scudo, 168 p. 20 euros

Mais les vagabonds, précise l'éditeur, ce sont aussi tous les acteurs de la vie culturelle, tous les « non-essentiels », tels qu'ils furent définis durant les confinements, et dont pourtant la société ne peut se passer. Sans oublier les « vagabonds d’âme », tous ceux qui passent d’une forme d’expression à une autre, qu’ils soient créateurs ou lecteurs : c’est donc une revue qui se veut généraliste, et éclectique, toutefois tournée davantage vers les arts liés à l’écriture, visuels ou sonores désormais, grâce au QRcode.

Au sommaire de ce premier numéro, le festival Romain Gary, dont Sarrula Carcupinu souligne, en introduction, le caractère international donné à cet événement sous l'égide d'un auteur multiple à plus d'un titre. A ce projet se rattachent des articles sur la double personnalité Gary-Ajar et une série de beaux portraits, œuvres d'artistes divers, disséminés dans la revue.

Egalement mis en avant, les liens entre Corse et Algérie, pays invité cette année, avec un grand nombre d’articles variés et de photos, mais aussi des poèmes et des calligraphies, dans une belle mise en page graphique et colorée, sur un papier satiné, qui met en valeur textes et images sans les étouffer – et sans transformer la revue en lourd objet de salon difficile à feuilleter.

Outre les dossiers, dont on nous annonce que certains seront récurrents, je découvre un feuilleton, « La Maison sur la mer », et des textes en langue corse , dont les poèmes et traductions par Norbert Paganelli, auquel on doit une brève nouvelle autobiographique émouvante, « Noratlas », évoquant avec un regard d'enfant les années 1958 et 1962 et son parcours de « migrant/réfugié » d'une rive à l'autre de la Méditerranée, de Sartène (en Corse) à Bône et Philippeville, en Algérie. Faute de tout citer je retiens encore la nouvelle de Leïla Sebbar, « Isabelle. Sur la route », qui parle de Bône aussi, avec une évocation d'Isabelle Eberhard, la nomade aventurière, à travers le lien tissé entre elle et le jeune Ahmed, qui deviendra instituteur. Jean-PIerre Castellani affronte de face cette binarité du regard, dan sun article intitulé « Entre Corse et Algérie, Mes vagabondages autour de la Méditerranée », évoquant les tensions entre identités fortes et parfois antagonistes. Parmi les photos, dans leur belle pleine page, un « Dante et l'Enfer » de Jacques Cauda, « L'autre rive » de Patricia Pinzuti-Gintz, l »La vie et la liberté » de Soraya, et la double page graphique de Xavier Dandoy de Casablanca, intitulée « La Corse »... Mais les photos se mêlent aussi aux textes, comme dans « La Mort » poème et photos de Laurent Demartini mis en page par Katia Jannin – quand ce ne sont pas les calligraphies qui envahissent l'espace : ainsi « Spices painting with Trumeric – Spices poem Arabic- French » de Ness, ou le poème d'Amin Khan, « Il faut détruire Carthage », présenté et traduit par Terci Boucebci (dont un poème figure aussi dans ce numéro).

Pour clore ce rapide survol, on ne peut que citer la participation de Danièle Maoudj, « Naître au dialogue, ma Méditerrranée » : c'est ce que propose I Vagabondi, dont le numéro 2 prévoit les thèmes de la sexualité en Méditerranée, et du respect de la nature.




Contre-Allées revue de poésie contemporaine N° 41

Qu’est-ce que la poésie contemporaine ?

Les premiers mots que l’on lit dans ce quarante et unième numéro de Contre-Allées constituent le début d’une question : « La poésie contemporaine est-elle… ». Et voilà un enjeu de lecture intéressant pour ce numéro qu’Amandine Marembert et Romain Fustier placent sous le signe du poète Jacques Darras : quelle est la fonction de l'écriture poétique contemporaine ?

Une première réponse est donnée par la belle illustration de la couverture, signée par Valérie Linder, où l’on voit annoncé les thématiques que l’on retrouvera par la suite : l’attention à la nature, aux objets du quotidien, la fragmentation de la voix et du rythme, la nature qui s'immisce dans le béton de la ville. L’image délicate et réflexive de Linder confère un charme particulier à cette revue.

Romain Fustier donne une première réponse à la question que nous évoquions dans son texte introductif : « L’amateur de poèmes [...] ce qu’il quête, c’est de la relation ». Cette relation est celle que Contre-Allées tente de construire avec huit poèmes et un entretien de Jacques Darras, l’invité du numéro. Ses poèmes sont une relation entre la nature — il y est question des Trémières, des Pivoines, du hérisson dans le fabuleux poème Hedgehog —, la ville — qui introduit le prosaïque dans le poème — et l’écriture poétique. Le poème Adieux au merle en est une belle synthèse : Voyez-le sur la faîtière en tuile noire comme un accident / de cuisson générale dans le soleil couchant [...] pourquoi ne sommes-nous pas chanteurs nés ? Darras tisse ainsi des liens profonds entre la vie et l’écriture — je cite «  Verhaeren Bis » : Ecrire, [...] c’est prescrire ce qu’ensuite / Nous vivons —, ce qui répond déjà à la question implicite de Contre-Allées : l’écriture poétique sert à devenir Lecteurs de nos actes que [la réalité] écrit à travers nous.

Contre-Allées, revue de poésie contemporaine, n° 41, printemps 2020. 48 pages, 5 euros.

Darras développe ensuite l’importance poétique et politique du rythme dans un entretien qui se présente comme une grille de lecture pour les contributions poétiques dans la suite du numéro. Le lecteur trouvera des poèmes de Christiane Bouchut, Isabelle Sancy, Maud Thiria et Christain Degoutte, tous marqués par le regard intime qu’ils portent sur des objets de la vie quotidienne (un fauteuil chéri, le linge blanc, les mirabelles).

Je retiendrai volontiers le poème D’un jardin d’Anne Brousseau. Il s’agit d’une belle et longue métaphore filée à la fois du poème et de l'existence comme un jardin. Elle écrit :

D’un jardin de saveurs
thym sauge et ciboulette
chaque jour en prendre la mesure

chaque jour ce temps au temps
et garder le souffle juste sur la ligne
pour que ça tienne
pour que ça veuille

ainsi t’attendre

 

Ce jardin est certes une métaphore du poème, mais aussi de l'existence humaine comme le confirme son dernier vers : le monde est un jardin. Un jardin d’attention et de rencontre avec ceux qui ne sont plus en vie. Le poème d’Anne Brousseau répond ainsi, très humainement, à notre question : la poésie c’est une autre science, c’est avoir fleuri / et tourné le dos / vers un autre chemin // ou le même / le sien.

Enfin, deux entretiens avec Henri Droguet et Christian Garaud nous ouvrent les portes de l’atelier du poète pour répondre à la question : Dans quelle mesure l’écriture est-elle un chantier pour vous ? Le numéro entier de Contre-Allées semble ainsi répondre à la question qu’il suggère : la poésie contemporaine est un perpétuel chantier (pour reprendre le mot de Garaud), c’est-à-dire, un perpétuel devenir. Et une revue de poésie contemporaine est l’épicentre de ce chantier, où tout conflue, certes, mais aussi où l’on voit la poésie se construire, une poésie d’attention aux détails, à la vie, et aux liens profonds entre la vie et l’écriture.




La minute de lecture, Minute de poésie

Fondée en 2014, La minute de poésie est une chaîne YouTube canadienne qui propose des vidéos de poèmes sans aucune distinction entre des noms qui appartiennent au répertoire classique ou bien contemporain. Des pages Facebook, Twitter, Instragram et un compte  iTunes complètent cette chaîne.

Des groupements thématiques, comme Les essentiels de la poésie à l'école, Poétesses, etc..., ou bien des groupements nominatifs, Louise LabéCharles Baudelaire, Arthur Rimbaud, René Vivien, pour ne citer qu'un tout petit échantillon de ce travail énorme, sont regroupés dans des Playlists, nommées La Minute poésie, ou La minute de lecture, intitulé générique suivi du thème ou du poète proposés. Il y a même une série de vidéos consacrée aux poèmes chantés qui regroupe 9 vidéos de poètes très différents et se termine avec un film de 5 minutes consacré au Spectacle Bénéfice du Chic Resto Pop  qui s'est déroulé le jeudi, 4 février 2021, et qui a mis la poésie à l'honneur.

Le format est identique pour nombre de ces petits films qui durent en moyenne deux minutes : une introduction qui reste discrète à l'image de la chaîne, et un fond de couleur sur lequel les paroles du poème s'affichent en même temps qu'une voix le lit, le raconte, le propose aux auditeurs qui n'ont que l'embarras du choix. 

La minute de poésie, Poétesses.

Les auteurs de cette somme poétique restent discrets et quasiment invisibles. Sur YouTube, Twitter et Facebook on peut trouver deux noms, Michael Mansour et Robert Chidiac. Mais  ils semblent désirer rester discrets malgré le travail remarquable, et le succès de fréquentations de ce lieu éminemment poétique. Cette parcimonie ne fait que renforcer la puissance des films qui laissent toute latitude à la poésie de se déployer, de toucher l'auditeur/lecteur/spectateur. A signaler enfin la qualité sonore et iconographique des contenus. 

Dire, offrir la poésie, est une affaire d'effacement, un don qui doit être pur de toute présence. Il semble que La minute de poésie soit le lieu d'une parole où auteurs et poètes s'effacent au profit d'une voix, celle du poème. Bravo pour cette chaîne qui a presque dix années d'existence.

La minute de poésie, Ma bohème, Arthur Rimbaud.

La minute de lecture, Alphonse Daudet, La Figue et le Paresseux.




La Volée (poésie) (écritures) (rêveries), n. 19

Douze pages de papier glacé au format carré 21x21, pour cette  revue provenant de Lodève, dirigée par Teo Libardo, tirée à 100 exemplaires, et qui dispose d’une page facebook  www.facebook.com/RevueLaVolée,  On y trouvera, dans une mise en page élégante, alternant fonds blancs et fonds de couleur (vert et noir) sans ostentation, des poèmes  et des travaux de plasticiens.

Dans ce numéro, des textes d’Emma Trebitsch, dont le premier recueil est attendu, de Nicolas Giral, auteur de trois recueils chez Rafaël de Surtis, Elisa Coste, dont le dernier titre, Les Chambres, vient d’être publié au éditions Rosa canina, ainsi que des haïkus de Sandrine Davin, des extraits de Il suffira de Téo Libardo, musicien  et poète rencontré au festival de Sète, où il était présent pour les éditions Rosa canina et Phloeme, et où j’ai acquis le très beau CD présentant 12 poèmes de Cesare Pavese mis en musique et chantés par lui sous le titre Anche tu sei l‘amore. Au centre, une double page de très belles encres légères comme des peintures japonaises de montagne et d’eau – shanshui – et leur légende sous forme de sizain , par la plasticienne :

J’ai trouvé un caillou

La pierre a frémi

Un signe est apparu

Et puis plus rien

Reste un dessin

Les cendres du caillou.

 

En une, l’édito de Dominicella et Teo Libardo retrace – avec la concision imposée par le format - les 5 années d’existence ayant permis à une cinquantaine d’auteurs et plasticiens de faire vivre La Volée, et annonce une pause pour se consacrer aux très belles éditions Rosa Canina qui viennent de naître – les précédent numéro de cette sympathique publication sont toujours disponibles ici : http://www.telolibardo.com/ecriture/revue-la-volée/ 




Dissonances, n. 41

La revue Dissonances atteint un âge respectable pour une revue – créée en 2002, elle a largement dépassé l’étape de l’âge de raison et atteint sa dixième année, avec le numéro « Opium » que j’ai en main, et la proposition du numéro « Champagne »  - sans doute pour commémorer l’événement, que nous saluons.

On voudrait  toutefois suggérer à l’équipe de modifier, peut-être, la formule, car après l’opium et le champagne, c’est la bière que risque l’entreprise, étouffée par un certain conformisme de la dissonance à tout prix.

Dissonances, numéro 41, hiver 2021. 56 pages, 7 euros.

Invariablement divisée en 2 volets – l’écrit et la mise en image (ici le portfolio de 12 pages consacré aux photos de Grégory Maitre), dont la note d’intention explique son regard de plasticien plus que de photographe, intéressé par les matières et les traces de l’activité humaine et sa fragilité – propos intéressant mais peu en rapport avec le titre de la revue qui propose également  un entretien sous la forme canonique avec Christophe Esnault, diverses lectures et « coups de cœur », outre les textes retenus pour illustrer le thème, dont le premier accroche grâce à son titre : « Tartine d’opium »… Et c’est là qu’on souhaiterait le changement de menu.




Portulan bleu n°36

Un portulan est une sorte de carte de navigation qui servait autrefois principalement à repérer les ports. La revue Portulant bleu "Revue de création, poésies contemporaines" est une carte elle aussi, qui sert à repérer la poésie. Cette brochure de format A4 qui paraît trois fois par an (octobre, février et mai) est intégralement conçue et gérée de par Martine Rigo-Sastre.

Revue ouverte, ce numéro 36 placé sour le signe du Désir (thème du Printemps des Poètes 2021) n'offre pas moins de 33 noms de poètes dont les textes occupent les pages centrales du volume :  Michèle Levy, Morgan Riet, Francine Caron, Laurent Grison, Patrick Navaï, Joël Vincent, Ivan Watelle, Jacques Fournier, Salvatire Sanfilippo, et bien d'autres...

Parfois accompagnés d'images, de photos ou d'un travail plastique ou graphique, les textes, bien sûr placés sous la dictat de la thématique annoncée sur la couverture, offrent une belle variété de ce que la poésie contemporaine propose d'écritures. Les noms d'ailleurs énumérés sur la quatrième de couverture en témoignent, et si quelques uns ont été lus, ou aperçus déjà, d'autres sont une découverte. Portulan bleu est donc un lieu qui accueille toutes les écritures poétiques, sans distinction, une carte, qui dessine le territoire d'une parole partagée, parce que Martine Rigo-Sastre le sait, la poésie c'est la voix de tous, unie dans le poème.

Un édito ouvre la lecture. Ce mois-ci il se veut manifeste, et énonce le lieu de rassemblement qu'est le poème, dans cette tourmente que nous vivons.

 

Portulan bleu n°36, éditions Voix Tissées, Montrouge, octobre 2021, 71 pages, 10 €.

écrire le poème qui manque
celui que tu désires le plus
amour dans les cœurs
et joie dans les regards
le monde est bousculé
et rien ne tient plus
le poème qui manque
reste à écrire avec toi

Tant de poètes, d'artistes disparus
récemment, comme Alain Boudet,
troublent les champs de vision et pas 
seulement cela.
Le désir avant se trouvait peut-être
dans les choux, comme les bébés...
A vous de continuer avec nous !
      Voix Tissées est votre
      association
      Nous publions les mots de la
      poésie.

Martien Rigo-Sastre

 

Quelques articles suivent cet édito, des hommages, à Paule par Michèle Lévy, à Jean Foucault par Jacques Fournier. Puis quelques notes de lecture, plus descriptives que critiques, mais qui donnent envie de découvrir les ouvrages proposés, ferment les pages de Portulan bleu. Au milieu, la Poésie, accompagnée de plages graphiques, colorées ou monochromes,  rythmée par l'espace de la page  laissé comme un silence viendrait ponctuer les voix qui se côtoient. 

Cette revue publiée aux éditions Voix Tissées, est une des nombreuses activités menées par Martine Rigo-Sastre. Editrice de poésie, de livres pour enfants, et revuiste, elle anime des rencontres, qui sont de précieux moments de lectures et d'échanges, tous les mois à Montrouge. On voit donc combien la Poésie est affaire de femmes et d'hommes entièrement dévoués, qui lui dédient leur existence parfois dans une pénombre qui ne ternit en rien la lumière qu'ils portent et qu'ils offrent à qui les côtoie. Et sans jamais cesser malgré ces temps difficiles.