Catherine Lamagat, Il tremble (extraits)
Son vrai travail c'est vieillir, vieillir avec l’enfance, vieillir sans
âge, être ce qu’il est, ce qu’il sera. Il se demande pourquoi on dit
c'est bien d'être né, ce qui est si merveilleux alors qu'on ne
connaît rien d'autre. Si j’étais arbre, après tout, qu’on se soit
trompé de vie, de destination quand je suis né.
Il pense à ce qu'il lit, ce qui s'écrit, ce qu'écrivaient les morts qui
continuent d'écrire à l'intérieur de lui. Les mots, pense-t-il
encore, il faut les dire un par un, comme une saveur, et la garder.
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Toute la journée, il dit, on mécanique la pensée, on passe les
doigts sur des écrans, des heures, des années, toute la journée on
vient d’où on va nulle part.
Il oublie tout sauf le présent. Comme les livres quand il les lit,
comme lui quand il s’émiette et se reconstitue.
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L’oiseau, le brin d'herbe, quelle est ma forme à leurs yeux, il se
demande, et qui de moi ou d’eux tremble le plus.
Il est dans un endroit qui le sépare et d'autres jours le lie à tout,
il marche sur la ligne, entre les eaux, entre les temps, les
mondes, c’est ça, le tremblement, l’endroit qui s'ouvre en
permanence, qui fait qu'on est sans cesse une forme puis une
autre.
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Quand il sort, il prend l'espace, il prend les gens, les émotions,
il prend ce qui est là, visible et invisible. Parfois n'écoute plus
tellement le monde entre en lui. Trop d'autre, trop de mots,
rentre chez lui comme perdu, éparpillé, puis l’horizon se rétablit,
il voit au loin tout le lointain, comme une géographie restituée.
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Il attend de la lumière, du c'est pas grave, du c'est rien, ça
passera. Ça passe toujours, comme les nuages. Ils passent
jaunes, là, il pense ce pourrait être la fin du monde.
La nuit il redoute une pluie sans fin qui finirait par déborder du
ciel sur sa tête, le craquement d'un arbre vieux, redoute le jour
qu'il verra, qu'il verra pas, écoute les bruits, s'arrête dans le
silence. Au matin, il s’en remet à lui.
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Parfois il ne fait rien. Il voit ce que ça fait, rien. Il se désosse,
réveille des choses au fond du corps.
C’est son regard qu’il doit atteindre, dans le miroir, et se
convaincre qu’il est vivant dans un monde qui existe.
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Il passe sa vie à voir et ne plus voir. Ce qu'il voit, les autres ne
le voient pas. C’est quand il ne voit pas qu'il est avec les autres.
C’est sans fin deux mondes qui se croisent, s'exécutent, et
s'exténuent.
Avant il écrivait pour les autres, un faux les autres. Maintenant il
écrit, c’est tout, mais le poème, tellement le coupe, ne reste rien.
Cette habitude, couper, dévêtir, finir toujours par désosser.
Écrire, il pense, ça n’a pas de sens, ça circule.
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Ce qu’il voit n’est pas ce qu’on voit tous. C’est là, à cet
endroit que lui il tremble, qu’il ne sait pas vraiment s’il est
vivant, s’il existe, s’il est libre, s’il a le droit, le choix. S’il
consultait on lui dirait monsieur vous êtes atteint du défaut
d’être.
Mais les oiseaux il sait les voir, en vol ou pas en vol, les voit
chacun, les reconnaît.