Catherine Pont-Humbert, Noir printemps

Par |2023-09-06T21:36:57+02:00 6 septembre 2023|Catégories : Catherine Pont-Humbert, Critiques|

Rester présent aux pul­sa­tions du monde, vivre un corps à corps fébrile avec chaque instant, l’accueillir dans la sub­til­ité de toutes ses nuances… Car cha­cun de nous appar­tient à cette vie, avec sa place, si éphémère soit-elle. Et donc il ne faut rien per­dre, pas une seule des notes qu’elle nous donne à enten­dre. Dans Les lits du monde et Légère est la vie par­fois, Cather­ine Pont-Hum­bert empor­tait déjà ses lecteurs dans une explo­ration de l’intime, avec les frôle­ments et les ravisse­ments que pro­cure tout ce qui se tisse d’heure en heure, où que nous soyons, pour peu que nous y prê­tions attention.

La poète pour­suit avec Noir print­emps une quête menée sur un fil tout en acuité, où elle cherche à saisir l’en-deçà de nos pas.  Château de signes /Assiégé de fis­sures / Le monde est vieux, écrit-elle, dans un regard qui embrasse ce qui nous a précédés. S’ouvrir à ce qui vient n’est pas sim­ple aban­don, mais plutôt un chemin recom­mencé dans la con­science de ce qui se fran­chit d’un être à un autre, d’une mémoire à une autre. Bras noués / Dos per­cé de mille flèch­es / Front bar­ré / Pieds minés de crevasses

Si le monde est entasse­ment de quêtes, d’espoirs et de blessures, il est d’abord le lieu que nous habitons ici et main­tenant, en tant qu’êtres humains. Et c’est à l’intérieur de cet espace que la poète rejoint l’émotion de ce qui vit et pal­pite en cha­cun de nous. Sans épuis­er cette fragilité qui nous fait / Nous avançons sur le fil com­mun de nos échanges Alléger le poids du monde et demeur­er con­scient de notre vul­néra­bil­ité préserve un émer­veille­ment, dont l’expérience pre­mière remonte à l’enfance. Nous en gar­dons la mémoire, en même temps que l’aptitude à l’éprouver de nou­veau, même si nous ten­dons sou­vent à l’oublier. La poète nous rap­pelle que nous sommes les danseurs du bal­let d’un roy­aume mil­lé­naire.  Notre refus d’en quit­ter la scène est aus­si notre force, celle de tous ces désirs qui per­sis­tent en nous, êtres minus­cules / Avides, têtus, vio­lents / Instal­lés dans leur souf­france Choisir de désir­er, de garder intacte la capac­ité d’attendre et de recom­mencer sans faib­lir est con­sti­tu­tif de notre humanité. 

Cather­ine Pont-Hum­bert, Noir print­emps, La rumeur libre, col­lec­tion Plu­part du temps, 2023, 64 pages, 14 €.

C’est dans ces pro­fondeurs que nous puisons l’énergie de con­tin­uer, autant que d’éprouver aus­si de la joie. Guet­ter les émois, les trem­ble­ments / Invin­ci­bles et loin­tains / Goûter les mots un à un / Les mâch­er en silence, écrasés sous la langue / Matin et soir / Soir et matin Bien que nous soyons de minus­cules humains, notre entête­ment à vivre, la con­fi­ance placée dans un sabli­er du temps qui est dilué d’or peu­vent nous sauver.

La poète nous rap­pelle à tous ces petits riens, grains de sable où mir­er l’immensité, où bal­ay­er la somme des échecs et des décep­tions pour apercevoir plus loin devant la beauté et ten­ter un bref instant de déchiffr­er l’opacité qui enveloppe notre présence.

Un très beau recueil qui nous touche en plein cœur.

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Cather­ine Pont-Hum­bert est écrivaine, poète, jour­nal­iste lit­téraire, lec­trice et con­cep­trice de lec­tures musicales.

Pro­duc­trice à France Cul­ture de 1990 à 2010, elle y a réal­isé de très nom­breux grands entre­tiens (« A voix nue ») et doc­u­men­taires. Depuis, elle pro­gramme et ani­me des ren­con­tres lit­téraires à l’occasion de fes­ti­vals de lit­téra­ture en France et dans des pays francophones.

Elle est tit­u­laire d’un doc­tor­at de let­tres mod­ernes por­tant sur la lit­téra­ture du Québec qui lui a valu une bouse de recherche du Con­seil des Arts du Cana­da. Elle a vécu à Montréal.

Elle est par ailleurs mem­bre du comité de rédac­tion de la revue Apulée (dirigée par Hubert Had­dad) depuis sa créa­tion, mem­bre de l’équipe du Fes­ti­val de poésie de Sète, et mem­bre du comité de direc­tion du PEN Club français.

Bibliographie 

Elle est l’auteur d’essais, de réc­its, et de livres de poésie. Elle a notam­ment pub­lié Car­nets de Mon­tréal, édi­tions du Pas­sage, 2016, La Scène (réc­it), édi­tions Unic­ité, 2019, Légère est la vie par­fois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), édi­tions la rumeur libre, 2021, Chemins (livre d’artiste avec des encres de Jean-Luc Guina­mant), édi­tions Tran­signum 2022, Noir print­emps (poésie), édi­tions la rumeur libre, 2023, Quand les mots ne tien­nent qu’à un fil. Une épopée poé­tique (prose poé­tique), édi­tions La tête à l’envers, 2025 (prix Vénus Khoury-Gha­­ta, pre­mière sélec­tion du prix Mallarmé).

Sa poésie est parue en revues (Apulée, Les cahiers du sens, Siir­d­en, Ver­so, Con­cer­to pour marées et silence, Recours au poème), dans des antholo­gies (« Feu » édi­tions Hen­ry, « Du corps du poète au corps poé­tique » jeudidesmots.com, « Europoe­sia », « l’Athanor des poètes », « Voix vives de Méditer­ranée » …). Elle est régulière­ment invitée dans des fes­ti­vals de poésie en France et à l’étranger.

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Cécile Oumhani

Poète et roman­cière, Cécile Oumhani a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Elle est l’auteur de plusieurs recueils dont Passeurs de rives, Mémoires incon­nues et La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022. Elle a pub­lié plusieurs romans dont L’atelier des Stre­sor, Les racines du man­darinier, ou encore Tunisian Yan­kee chez Elyzad. Elle a reçu le Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

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