Il existe des lieux de songe
Des lieux clairs et secrets
Où se fabrique l’imaginaire
Il existe des lieux sauvages
Où une langue intime nous tire de nous-même
Des lieux qui nous entraînent sur des chemins imprévus
Nous relient à la présence invisible du monde
Il existe des lieux bouleversants qui guérissent et qui sauvent
Des lieux par lesquels se consoler de notre condition
*
L’océan s’est dressé en murailles d’écume, dérobant l’horizon
Sa voix m’est parvenue
Il était là, poitrine luisante d’une pluie furieuse
Les yeux dilatés par l’orage
Ses cheveux noirs ruisselaient sur mes seins
Des avalanches d’eau frappaient nos corps, battaient nos peaux glacées
Il était la terre où j’accosterai
Le pli de mer qui marquerait mon horizon
Dans un envol pesant, les mouettes ont tournoyé en s’insultant
La mer s’est retirée
Tout son sel collé sur lui
*
La joie explose
Lumière intérieure qui se déverse au grand jour
Se répand en gouttes claires
Une étoile filtre dans le regard
A surprendre son éclat, on se sent troublé
On croit toucher le secret du monde
Ce lointain message parfois lancé jusqu’à nous
Extraits de Légère est la vie parfois, Jacques André éditeur, 2020
∗∗∗
La page blanche
Une page blanche s’étire devant moi
Draps lissés, tendus du lit
Plage infinie, ouverte aux vents de mon rêve
Offerte à mes divagations
J’ouvre le lit intact, immaculé
Pages vierges du livre à venir
Parfaite blancheur, vertige du vide qui m’appelle
Aveuglée, je caresse la surface luisante qui m’attend
Je peux enfin entrer dans le livre
Me glisser entre ses draps
Renouer avec les mots perdus
*
Au chevet des lits
La solitude du premier livre, je la garderai à jamais
J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde
De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant
Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là
J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi
*
L’attente
Ecrire c’est attendre
Attendre que les mots surgissent
Egrenés au fil des heures lentes
Etirés vers une invisible frontière
Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit
Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus
Ephémère construction riche de ses seuls doutes
Ils mordent la chair du rêve
Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri
Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Enigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu’un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux
Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour
Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux
Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux
Écrire c’est attendre
Extraits de Les lits du monde, éditions La Rumeur libre, 2021