Catherine Pont-Humbert, Poèmes

Par |2022-09-05T20:16:14+02:00 26 août 2022|Catégories : Catherine Pont-Humbert, Poèmes|

Il existe des lieux de songe
Des lieux clairs et secrets
Où se fab­rique l’imaginaire

Il existe des lieux sauvages
Où une langue intime nous tire de nous-même

Des lieux qui nous entraî­nent sur des chemins imprévus
Nous relient à la présence invis­i­ble du monde

Il existe des lieux boulever­sants qui guéris­sent et qui sauvent
Des lieux par lesquels se con­sol­er de notre condition

*

L’océan s’est dressé en murailles d’écume, dérobant l’horizon

Sa voix m’est parvenue
Il était là, poitrine luisante d’une pluie furieuse
Les yeux dilatés par l’orage
Ses cheveux noirs ruis­se­laient sur mes seins
Des avalanch­es d’eau frap­paient nos corps, bat­taient nos peaux glacées

Il était la terre où j’accosterai
Le pli de mer qui mar­querait mon horizon

Dans un envol pesant, les mou­ettes ont tournoyé en s’insultant
La mer s’est retirée
Tout son sel col­lé sur lui

*

La joie explose
Lumière intérieure qui se déverse au grand jour
Se répand en gouttes claires

Une étoile fil­tre dans le regard
A sur­pren­dre son éclat, on se sent troublé

On croit touch­er le secret du monde
Ce loin­tain mes­sage par­fois lancé jusqu’à nous

 

Extraits de Légère est la vie par­fois, Jacques André édi­teur, 2020

∗∗∗

La page blanche

Une page blanche s’étire devant moi
Draps lis­sés, ten­dus du lit

Plage infinie, ouverte aux vents de mon rêve
Offerte à mes divagations

J’ouvre le lit intact, immaculé
Pages vierges du livre à venir

Par­faite blancheur, ver­tige du vide qui m’appelle

Aveuglée, je caresse la sur­face luisante qui m’attend

Je peux enfin entr­er dans le livre
Me gliss­er entre ses draps
Renouer avec les mots perdus

*

 Au chevet des lits

La soli­tude du pre­mier livre, je la garderai à jamais

J’étais seule et je voulais embrass­er la mémoire du monde

De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et mal­adroit du mot balbutiant

Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai lais­sé quelques traces
Elles attes­tent ma présence
Elles dis­ent que j’ai bien dor­mi là

J’ai dor­mi dans tant de lits
J’ai emprun­té tant de chemins pour arriv­er jusqu’à moi

*

L’attente

Ecrire c’est attendre
Atten­dre que les mots surgissent

Egrenés au fil des heures lentes
Etirés vers une invis­i­ble frontière

Per­les d’un patient collier
Ils roulent dans les embra­sures de la nuit

Ne pas les laiss­er tomber par inadvertance
Ne pas trop les cou­ver non plus

Ephémère con­struc­tion riche de ses seuls doutes

Ils mor­dent la chair du rêve

Dans le buis­son du sommeil
Ils s’envolent sans un cri

Au matin, les mots renais­sent sauvages et impétueux
Enigme du souf­fle tou­jours présent
Aus­si frag­iles qu’un songe chevauchant le petit matin
Avant de se per­dre dans un ailleurs broussailleux

Ils glis­sent sur l’or des fenêtres
Tis­sent un voile somptueux au ban­quet du jour

Un chant s’invente avec eux
Avant de dis­paraître emporté par un vent mousseux

Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux

Écrire c’est attendre

 

Extraits de Les lits du monde, édi­tions La Rumeur libre, 2021

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Cather­ine Pont-Hum­bert est écrivaine, poète, jour­nal­iste lit­téraire, lec­trice et con­cep­trice de lec­tures musi­cales. Pro­duc­trice à France Cul­ture de 1990 à 2010, elle y a réal­isé de très nom­breux grands entre­tiens et doc­u­men­taires. Depuis, elle pro­gramme et ani­me des ren­con­tres lit­téraires. Elle est mem­bre du Comité de rédac­tion de la revue Apulée depuis sa créa­tion, mem­bre du Jury du prix (du métro) Goncourt, respon­s­able du prix du Pre­mier roman des Bib­lio­thèques de la ville de Paris. Elle est notam­ment l’auteur de Car­nets de Mon­tréal, édi­tions du Pas­sage, 2016, La Scène, édi­tions Unic­ité, 2019, Légère est la vie par­fois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), édi­tions La Rumeur libre, 2021. Elle a adap­té et dirigé nom­bre de lec­tures musi­cales par­mi lesquelles Œdipe sur la route d’après Hen­ry Bauchau, Ecrire c’est dire le monde, flo­rilège de textes fran­coph­o­nes, La Scène d’après son réc­it, et Les échap­pées, lec­ture poétique.

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