Catherine Pont-Humbert, Poèmes

Il existe des lieux de songe
Des lieux clairs et secrets
Où se fabrique l’imaginaire

Il existe des lieux sauvages
Où une langue intime nous tire de nous-même

Des lieux qui nous entraînent sur des chemins imprévus
Nous relient à la présence invisible du monde

Il existe des lieux bouleversants qui guérissent et qui sauvent
Des lieux par lesquels se consoler de notre condition

*

L’océan s’est dressé en murailles d’écume, dérobant l’horizon

Sa voix m’est parvenue
Il était là, poitrine luisante d’une pluie furieuse
Les yeux dilatés par l’orage
Ses cheveux noirs ruisselaient sur mes seins
Des avalanches d’eau frappaient nos corps, battaient nos peaux glacées

Il était la terre où j’accosterai
Le pli de mer qui marquerait mon horizon

Dans un envol pesant, les mouettes ont tournoyé en s’insultant
La mer s’est retirée
Tout son sel collé sur lui

*

La joie explose
Lumière intérieure qui se déverse au grand jour
Se répand en gouttes claires

Une étoile filtre dans le regard
A surprendre son éclat, on se sent troublé

On croit toucher le secret du monde
Ce lointain message parfois lancé jusqu’à nous

 

Extraits de Légère est la vie parfois, Jacques André éditeur, 2020

∗∗∗

La page blanche

Une page blanche s’étire devant moi
Draps lissés, tendus du lit

Plage infinie, ouverte aux vents de mon rêve
Offerte à mes divagations

J’ouvre le lit intact, immaculé
Pages vierges du livre à venir

Parfaite blancheur, vertige du vide qui m’appelle

Aveuglée, je caresse la surface luisante qui m’attend

Je peux enfin entrer dans le livre
Me glisser entre ses draps
Renouer avec les mots perdus

*

 Au chevet des lits

La solitude du premier livre, je la garderai à jamais

J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde

De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant

Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là

J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi

*

L’attente

Ecrire c’est attendre
Attendre que les mots surgissent

Egrenés au fil des heures lentes
Etirés vers une invisible frontière

Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit

Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus

Ephémère construction riche de ses seuls doutes

Ils mordent la chair du rêve

Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri

Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Enigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu'un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux

Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour

Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux

Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux

Écrire c’est attendre

 

Extraits de Les lits du monde, éditions La Rumeur libre, 2021

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, journaliste littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales. Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires. Elle est membre du Comité de rédaction de la revue Apulée depuis sa création, membre du Jury du prix (du métro) Goncourt, responsable du prix du Premier roman des Bibliothèques de la ville de Paris. Elle est notamment l’auteur de Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène, éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éditions La Rumeur libre, 2021. Elle a adapté et dirigé nombre de lectures musicales parmi lesquelles Œdipe sur la route d’après Henry Bauchau, Ecrire c’est dire le monde, florilège de textes francophones, La Scène d’après son récit, et Les échappées, lecture poétique.

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