Cécile Guiv­arch dans nom­bre de ses recueils creuse la ques­tion de la lignée, des trans­mis­sions d’une généra­tion à la suiv­ante. Com­ment existe-t-on dans ce mou­ve­ment ? Com­ment à par­tir des absences ‚des silences,  des dons aus­si se con­stru­it-on ? ces ques­tions sont  ren­for­cées par celle de l’exil, qui est un thème très présent dans ce beau livre de poèmes. Car c’est une vraie langue de poète qui porte trace de ce qui vient des temps de l’enfance.

Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite, Editions Les Carnets du dessert de Lune, Bruxelles, 2017, 78 pages, 13€.

Cécile Guiv­arch, Sans Abue­lo Petite, Edi­tions Les Car­nets du dessert de Lune, Brux­elles, 2017, 78 pages, 13€.

Dans « Sans Abue­lo Petite » il  s’agit d’un grand-père par­ti d’Espagne pour Cuba, et jamais revenu alors que son épouse était enceinte de la mère de la nar­ra­trice, mère qui elle-même vint s’installer en France. Cécile Guiv­arch empoigne sa douleur , celle de sa mère, de sa grand-mère et réus­sit à en faire un poème du désir de l’absent quel qu’il soit, néces­saire à la con­struc­tion de notre identité.

 

m’as-tu imag­inée ?  (p 65)

ton his­toire se cram­ponne à mes épaules (p 65)

 

Au-delà de l’histoire famil­iale pré­cise, ces textes ouvrent une sen­si­bil­ité à l’exil, thème , hélas, forte­ment con­tem­po­rain auquel nous devri­ons davan­tage nous intéresser :

L’exil, le départ :

 

le corps se courbe
Sous le poids de la valise
Quelque chose d’aussi lourd
Le cœur au fond (p 13)

 

L’exil , la perte des langues

 

elle ne con­nait plus la total­ité de sa langue. Elle revient par frag­ments. Puis elle débite. En gali­cien. Ou un mélange des deux. (p 23)

 

L’exil, le fra­casse­ment de soi , de chaque côté du silence et des ques­tions sans réponse

 

tu ne sais pas l’odeur des fleurs de mon jardin (…)
J’ai poussé sans pren­dre racine (p 34)

 

Avec une grande maîtrise , Cécile Guiv­arch évoque , de manière con­cise , ellip­tique mais effi­cace les soubre­sauts du monde qui mènent au départ. On voit l’Espagne, la dic­tature franquiste

 

Même les oiseaux se taisaient
Les uns les bouch­es pleines de terre
Dis­parais­saient dans de grandes fos­s­es (p24)

 

petite les guer­res me fai­saient peur
J’entendais la ter­reur des mères
Le sang se répan­dre hors des corps (p36)

 

 

Tous ces thèmes sont portés on le voit par un impor­tant tra­vail de langue : deux langues , deux gra­phies, deux formes poé­tiques, dual­ité qui con­stitue l’auteure, et par­fois scis­sion dans le partage de l’âme et du corps, douleur de l’absence, mais aus­si dans cette dual­ité , effort de jonc­tion  de soi dans l’autre, force d’amour même séparés.

 

te ten­go en mi corpo
Como un peda­zo de ti (p42)

 

Cécile utilise le poème et la prose poé­tique : dans l’une , les touch­es nar­ra­tives déli­cates  brossent des scènes ou pren­nent  un ton plus réflexif

 

ma mère est née là-bas mais habite ici. Elle dit que là-bas ce n’est plus chez elle. Ici ce n’est pas chez elle non plus (…) p37

Dans nos cabanes on rêve. Moi je pense à mon abue­lo. Un jour il vien­dra peut-être dans ma cabane. Comme un génie. J’essaie de le con­vo­quer. Mais il doit avoir les oreilles bouchées. (p45)

 

Le poème ‚lui, enserre dans sa langue ten­due , l’impossible des retrou­vailles désirées, la douleur de cha­cun , la dif­fi­culté à être dans l’absence, et la plu­part du temps en enraci­nant le poème dans la nature , jardin ou océan.

 

ne plus rien taire
remuer la langue crier
Restera-t-il des fleurs
Le vieux rosier arraché (p 26)

la mer a pris ton vis­age (p 44)

 

Cécile Guiv­arch fait œuvre de ce que sa lignée lui a don­né , langue, iden­tité, images voilées , images per­dues, et ten­dresse pour écrire un livre fort, mag­nifique , inscrit certes dans une his­toire per­son­nelle mais dont tout le tra­vail d’un grand poète per­met des réson­nances pour tous les exilés de fait dans notre monde actuel et pour nous  tous aus­si qui tâton­nons à être.

 

com­ment savoir ce qui nous poursuit 
Et pèse autant ? ( p 67)

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Patricia Cottron-Daubigne

Orig­i­naire de Surgères en Char­ente-Mar­itime, elle vit et tra­vaille aux abor­ds du Marais Poitevin.

Elle a pub­lié des poèmes dans de nom­breuses revues telles que Décharge, Frich­es, Ici è là , Triages, Con­tre-allées, N4728 (etc.) et sur le site de F. Bon (publie.net et remue.net).

Par­ticipe à des lec­tures lors de fes­ti­vals  et marchés de poésie.
Rédi­ge des notes de lec­ture lis­i­bles sur remue.net et  terre à ciel

Derniers recueils parus :Des paniers de fruits dorés, comme aux édi­tions Tara­buste (antholo­gie 2006). Une manière d’aile aux édi­tions Soc et Foc (juin 2008) ; cro­quis urbains, héro chez Con­tre-allées (juin 2010) ; Cro­quis-démo­li­tion chez La Dif­férence (sep­tem­bre 2011) et une adap­ta­tion de « Gil­gamesh » chez Gal­li­mard, folio plus, (sep­tem­bre 2011).