Poésie—prose poétique—prose
Pavese. On va contourner les présentations. Un classique. Mais qui, dégusté à l’aveugle, peut encore étonner, dérouter, donner à rêver d’un rêve granuleux et sensible.
En trois pages de préface, Carlo Ossola vous accueille, vous débarrasse, vous met en accord. Tout de suite on est bien, en bonne compagnie : de Pavese poète Calvino disait qu’il était « la voix la plus isolée de la poésie italienne ». La préface n’est pas bilingue. Tant mieux : ce terme d’« isolée » et ses sens possibles vous accompagneront dans cette marche. On marche beaucoup dans les poésies de Pavese, on croise des gens. Des femmes la nuit vous demandent du feu. Le vers est prosaïque, narratif sans raconter d’histoires.
Trop de mer. On en a assez vu de la mer.
Le soir, quand l’eau s’étend délavé
et fumante dans le néant, mon ami la fixe
et moi je fixe mon ami et personne ne dit rien.
À la nuit on finit par aller s’enfermer au fond d’un bouge,
isolés (isolati) dans la fumée, et l’on boit.(…)
Tout est de ce tonneau-là.
Ce livre de poche est plus qu’un livre, c’est le viatique parfait pour une poche de blouson. On en lit une ou deux pages —le papier est modeste et d’un blond parfait, la police fine, élégante et l’encrage régulier—, aussitôt s’atténue la lumière trop forte de nos transports, de nos officines, de nos salles d’attente. Ça réveille en soi un bout de pénombre, chaude odorante amicale où le meilleur de soi-même se glisse, parle et fume et bavarde. Ou même ne dit rien. Voilà une poésie purement moderne et démocratique.
Cesare Pavese, Travailler use, édition bilingue, choix de Carlo Ossola, traduction de Léo Texier, Rivages poche 2021, 160 pages, 9,10€.
Mais que ça fait du bien de se rêver au fond d’un bouge en ce moment !
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Autre saison. Anne serre a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle. Les mots qui suivent avaient été écrits avant qu’une bande rouge ne ceignît le bleu Mercure. Ces mots parlaient de ces nouvelles comme de poèmes en prose. Combien de lecteurs lisent en dehors des catégories ?
Dans ses joyaux parfaitement facettés, Anne Serre laisse toujours une inclusion, une bulle de mystère immémorial. Continuons la comparaison : ces objets littéraires ne se regardent pas de face, à cause d’un scintillement qui attire le coin de l’oeil ou parce que l’arête qu’on croyait devant est en fait derrière. Ce sont des formes courtes qui nous conduisent à des énigmes, des faux-pas. De familières frustrations viennent lézarder notre prétendue connaissance du monde.
Expérience poétique lumineuse, grave aussi, ces bouts de récits, ces aplats de vie tourneront dans la mémoire comme ces airs que l’on fredonne à moments perdus, en attendant un ascenseur ou le brrzzz qui ouvre une porte.
Combien serons-nous à laisser ainsi agir ce livre, quelques heures, quelques jours avant de commencer le livre suivant ?
Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or, Mercure de France 2020, 144 pages.
Présentation de l’auteur
Présentation de l’auteur
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- Piet Lincken, Edith Södergran, Å Itinéraire suédois - 20 mars 2022
- Écrits spirituels du Moyen-âge, traduits et présentés par Cédric Giraud, Walter Benjamin, Asja Lācis, Alfred Sohn-Rethel, Sur Naples, Jean-Pierre Vidal, Exercice de l’adieu - 1 mai 2021
- Cesare Pavese, Travailler use, Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or - 6 février 2021
- Jean-Luc Maxence, Tout est dit ? - 6 avril 2020
- Benoît Chantre, Le clocher de Tübingen - 26 février 2020
- Trois questions à Jean-Claude Morera, traducteur de Carles Riba - 24 mai 2017
- La collection Folio + collège - 27 avril 2017
- La nouvelle collection Folio Sagesses - 24 mars 2017
- Gille BAUDRY : Sous l’aile du jour - 14 juin 2016
- TRAVERSÉES n°77, septembre 2015 - 16 mai 2016
- Arpa, n°114, octobre 2015 - 8 janvier 2016
- Le viatique (Philippe Jaccottet) - 17 novembre 2015