Chantal Bizzini, D’un pays inconnu 

Par |2022-09-08T07:39:37+02:00 26 août 2022|Catégories : Chantal Bizzini, Poèmes|

Charles Borromée

Sous l’arcade à hautes baies,
vis­ages lev­és et bras
ten­dus vers lui — mais sans force,
ils se tour­nent comme ils peuvent,

les malades, sur leur natte
ou leur mate­las au sol,
implo­rant qui vient à eux
d’yeux per­dus et brillants.

Le soir tombe, et cette femme,
à la lumière des torches,
voit sa fin et son salut
que ce vis­i­teur lui tend.

La mort est sur le visage
pâle et l’abandon des membres ;
mais voici la Compassion,
en ange blanc, par­mi nous.

4 novem­bre 2021

∗∗

À Esquirol1

Esquirol est là, de bronze
vert bleuté, inaltérable ;
à ses pieds, l’être tombé
qu’il a pris dans son manteau.

Ver­laine en 87,
en 90 aussi,
est tombé à ses genoux,
comme lui, pieds nus et défait.

Dans le grand parc, une femme
demande une cigarette ;
plus loin, un homme qui boite,
l’infirmière l’accompagne ;

dans l’allée, sous les hauts murs,
cou­verts de lierre tombant,
il sem­ble nous regarder,
il nous sem­ble le connaître.

8 novem­bre 2021

∗∗

François, sur le chemin de Bevagna2

Pieds nus, penché vers le sol,
où sont venus les oiseaux -
d’autres arrivent encore… -
il les regarde, absorbé

dans une méditation
qui n’a pas de fin,
sur eux, sur nous et lui-même
son regard intense voit,

sa bouche par­le, et le chant
des oiseaux se fait entendre
dans l’espace vide et bleu
où ses mains volent aussi.

Il n’y a pas de plus bel
olivi­er, d’étonnement
plus vrai que celui du frère,
bouche bée, qui l’accompagne.

20 novem­bre 2021

 

∗∗

Vin­cent de Paul

Vin­cent se tient dans le froid,
devant les portes muettes,
les hauts por­tails des églises
où l’on dépose l’enfant.

Je me le rap­pelle ainsi,
sur une image de livre
d’histoire où sa vie semblait
si sim­ple et faite d’amour.

Mais ce n’est jamais ainsi.
De légende il en est peu
de si vraie et dont on veuille
telle­ment sur cette rive

que de ce berg­er, esclave,
et aumônier d’une reine,
sec­ourable aux galériens,
aux enfants qu’on abandonne.

30 décem­bre 2021

Notes

[1] Jean-Éti­enne Dominique Esquirol, 1772–1840, est un aliéniste français, il est à l’o­rig­ine de la loi de 1838 con­cer­nant les aliénés, qui met fin aux déci­sions d’in­terne­ment arbi­traires. Il tra­vaille à l’amé­nage­ment de la nou­velle Mai­son royale de Char­en­ton en 1825 et for­mera la majorité des aliénistes de son temps.

[2] Vil­lage ital­ien d’Ombrie, près duquel eut lieu le ser­mon de François aux oiseaux.

Présentation de l’auteur

Chantal Bizzini

Chan­tal Bizzi­ni, poète, tra­duc­trice et pho­tographe, vit à Paris où elle enseigne les let­tres dans le sec­ondaire, ain­si que comme tuteur à l’Université améri­caine de Stan­ford in Paris. Elle a pub­lié des poèmes, ain­si que des tra­duc­tions de poésie anglo-sax­onne — notam­ment d’Ezra Pound, Hart Crane, W. H. Auden, Adri­enne Rich, Denise Lev­er­tov, John Ash­bery, Clay­ton Esh­le­man, Quin­cy Troupe, Hen­ri Cole — ital­i­enne et por­tu­gaise dans plusieurs revues : Po&sie, Europe, Poésie, Action Poé­tique, Le Mâche-Lau­ri­er, Rehauts, Siè­cle 21, Fario. Elle a soutenu, en 2001, une thèse en lit­téra­ture com­parée por­tant sur les poètes Ezra Pound et Hart Crane, à l’Université Sor­bonne Nou­velle — Paris 3. Elle a traduit les œuvres poé­tiques com­plètes de Hart Crane, ain­si qu’une antholo­gie de poèmes d’Adrienne Rich. Ses poèmes sont traduits et pub­liés en anglais, en espag­nol, en ital­ien et en grec. Elle a com­posé égale­ment deux livres d’artistes, l’un avec le graveur Jacque­line Ricard, aux Édi­tions de l’émeraude, en 1992 : Nuit ocel­lée de la mémoire, l’autre avec le pein­tre Philippe Hélénon, aux édi­tions le bous­­quet-la barthe, en 2015 : Boule­vard Magen­ta. Son recueil de poèmes : Dis­en­chant­ed City/La ville désen­chan­tée, est paru dans une édi­tion bilingue (français / anglais) chez Black Wid­ow Press, en 2015.

Chan­tal Bizzi­ni tente égale­ment de saisir des yeux Paris, qu’elle par­court et pho­togra­phie ; elle a exposé ses pho­tomon­tages à la Galerie Annette Hus­ter (2009) : « Col­lages », à la Galerie IMMIX (2010) : « En atten­dant mieux », et ses pho­togra­phies à l’espace Car­go 21 (2011), à l’Institut des cul­tures d’Islam (2011) : « L’autre hiv­er », ain­si qu’à la Mai­son de la Grèce (2012) : « Alonis­sos inso­lite », ses pho­togra­phies et pho­tomon­tages à la Galerie Annette Hus­ter (2015) : « Choses délais­sées, lieux fra­cassés ». 

Adresse de son site per­son­nel : https://sites.google.com/site/chantalbizzini/

Elle a par­al­lèle­ment entamé une réflex­ion sur le livre illus­tré de pho­togra­phies, à par­tir de la pre­mière édi­tion de The Bridge de Hart Crane et de Walk­er Evans (Col­loque de Cerisy : 

« Car­refour Stieglitz », juil­let 2010), puis des œuvres de Roden­bach : Bruges-la-Morte, Bras­saï : Paris la nuit, et Walk­er Evans : Many are Called (Uni­ver­sité Paris 4 – Sor­bonne, avril 2011) et tout dernière­ment du roman de Sebald : Auster­litz (NYU in Paris, octo­bre 2012). Ces inter­ven­tions ont été pub­liées sous forme d’articles.

Une antholo­gie de poèmes d’Adrienne Rich : Paroles d’un monde dif­fi­cile. Poèmes 1988 — 2004, qu’elle a traduite et pré­facée, est parue en 2019 aux édi­tions la rumeur libre.

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