Chaque jour ausculter
J’ai beau faire. C’est toujours par là qu’il me faut passer pour retrouver ma joie intacte, lumineuse, pliée comme un ciel, au fond de mes poches, azuréen, clair comme le plus clair de mes regards : lire.
Petit livre blanc. Et rouge. Bordé de noir tel un crépuscule dans les blés. Editions la Boucherie littéraire. J’ai entre les mains une vie passée de 9 heures à 22 heures, si, si, je vous assure, pendant la pandémie c’était ce rythme-là, et même encore aujourd’hui, au chevet de la douleur, de nos saignements accidentels ou menstruels, maux de tête et de dents, courbatures, infections virales, et autres blagues en tout genre.
Les mains d’un homme entre les miennes, entre les vôtres, chaudes, chaleureuses, page à page, diagnostique arrachant ou cueillant une à une les mauvaises herbes de la maladie pour les poser comme des fleurs dans le vase de notre empathie.
Et surtout ses yeux dans les nôtres lisant derrière nos peurs, nos gestes, l’envers de notre vie. Un peu de beauté arrachée à notre silence comme une douce épine.
On a perdu les numéros des pages. Un souffle les détache du mot à mot de ces poèmes comme une envie de dépasser le temps de la mort, de la douleur.
C’est rare l’intimité d’un médecin offerts à la page blanche du poème. Très. On ne sait jamais ce qu’il pense, celui qui panse nos blessures par son assurance, son écoute, sa chaleur humaine, rassurante.
Est-il de marbre ? Ce livre nous dit non. Sa présence aussi est de frissons, de doutes, d’émerveillement pour le courage, la frivolité, la désinvolture, l’hypocondrie, le déni, la lutte ou l’effondrement de ses patients derrière le masque de celui qui sait.
Jean-Luc Catoir, Chaque jour ausculter, La Boucherie littéraire, collection Sur le billot, 2022, 78 pages, 13 €.
Des souffrances comme une collection de papillon sur le mur d’une chambre. Embaumés avec la tendresse de celui qui soigne, même le chancre de l’oubli.
Imaginez le regard, la patience acharnée de celui qui après chaque consultation griffonne en pensée dans sa tête comme une image, un instantané de ce qu’il vient de vivre, une vérité de l’instant qu’il ne veut pas perdre, et qui l’a touchée en plein cœur.
Pourtant
il faut bien dire
à cette femme en pleurs
que la maladie
de celui qu’elle aime
aura le dessus
Chaque mot cherche la pudeur. Chaque poème à approcher les moments les plus délicats d’une auscultation. On pleure, on rit, on se retrouve dans cette ressemblance des petits instants de consultations que l’on a tous vécus. Les dénouements heureux. Les hontes avouées en secret à celui qui saura quoi en faire. Et comment les dénouer.
On se retrouve nez à nez avec une humanité qui se bat, essaie de survivre. Entre fou-rire et larmes. Mais qu’ils sont beaux les patients, ceux que l’on appelle les patients justement, tellement impatients parfois, dans les yeux de leur docteur.
Antoine Gallardo, il fallait oser, premier lecteur de cette série de poèmes en miroir, nous offre par ce choix éditorial exceptionnel, un ensemble de textes brefs d’une qualité rare par sa sobriété, sa concision et la densité de ses images.
Ces petits éclairs nous guérissent de l’indifférence froide de la médecine pour qui, parfois, nous ne sommes que des numéros de sécurité sociale.
C’est grâce à ce genre de publications précises et précieuses que l’on aime à croire que « La poésie sauve le monde ». Comme elle a aidé à rester debout certaines âmes revenues des camps de concentration pendant la grande guerre. Les hommes attendent de l’histoire qu’elle leur raconte leur propre histoire devenue poème devenue baume devenu lueur d’espoir.
Guérir de quoi ? De ce que notre corps ingurgite par le trop plein de travail, la mal bouffe, la solitude infinie des abandonnés, le manque d’amour, la surproduction et la surconsommation, la dévastation des glaciers et des forêts ? Tous les corps parlent de cela. C’est universel. Et quoi encore ? Guérir de l’ego ? De la peur de mourir ?
Celui qui fut dans notre enfance la figure forte et charismatique, intime du médecin de famille, mélange sous nos yeux « médecine et poésie, poésie et médecine. Les patients, on l’espère s’en portent mieux, la poésie, on ne sait pas. » avoue-t-il. Avec humour en plus.
Vous ne savez rien du regard et des émotions de votre généraliste, non très vague et général qui finalement ne veut plus rien dire. C’est bien cette profondeur que vous allez découvrir tendrement ici. Avec le traitement que nous espérons et que je vous souhaite à tous. Un poème. Un poème parmi ceux-là, à lire comme le remède universel de notre ennui et de notre peur d’aimer.
Ordonnance médicale
Une heure au minimum, avant les repas, et trois fois par jour de lecture poétique, à voix haute ou à voix basse, assis dans le fauteuil blanc comme neige du bureau, ou allongé dans le grand lit mauve de la chambre d’amis, fenêtre légèrement entrouverte à l’air du dehors, profitant du petit courant d’air frais entre le livre et la vitre, un cercle de café noir au fond d’une tasse grise et paisible, suivre des yeux le déroulé méticuleux des pages écrites pour cet apprivoisement des doigts et des lèvres, ne penser à rien d’autre, embrassant la douceur de ce pollen collé comme un baiser à notre bouche, ruminer, savourer, avaler lentement à longues gorgées, avec des fourmillements dans le ventre, dans la tête, des vertiges agréables comme ceux du désir, jusqu’à laisser tomber en poussière toutes nos pensées, tous nos soucis, voilà ce qui peut nous sauver de la grippe de l’indifférence, du cancer des préjugés et de tous les Alzheimer de la trahison.