UNE SI DOUCE ABSENCE D’ESPOIR
Ce sera,
Dans l’ambiguïté d’un nouveau soir,
Cette hésitation,
Dont on ne sait la véritable
Cause ;
Est-ce le ciel qui trébuche
Au bord du noir ?
Les frondaisons qui se confondent avec
La silhouette charbonneuse
Des nuages ?
Un peu plus de perplexité accrochée
À ce que fut ce jour ?
Rien n’avance de façon certaine et pourtant
Dans le murmure des arbres,
Dans la respiration des pierres,
Dans le silence des corps,
S’écoule une même transparente façon d’aller,
Une si douce absence d’espoir…
***
L’ESCALIER INVISIBLE
Ce carré d’herbe autour de ta maison,
Ces quelques fleurs malmenées par la pluie,
Ces bruits de moteur clairsemés dans la nuit,
Le sommeil de ceux que tu aimes ;
Ce sont les marches d’un invisible
Escalier qui s’enroule dans ton cœur et s’élève
Vers le silence promis à ta soif, le simple silence
De la vie revenue à sa pulsation première ;
Cela s’ouvre dans ta chair au moment même
Où la musique naît de l’effacement familier
De ta volonté comme de celles qui dessinèrent
Les formes du jour passé, nourrirent sa rumeur ;
Tu es seul face à la nuit qui va et multiple pourtant
Puisque l’instant brille encore des feux
Qu’allumèrent en toi, de regards en regards,
Les merveilleux désirs nés de la lumière…
***
DIRE L’ARBRE
De cet arbre il faut d’abord
Dire l’homme,
Le dire et recueillir
Comme un gemmeur recueille la résine du pin ;
Dire comment
Le bois cherche son corps
Dans la rêverie ligneuse
De cette chair ;
En dire la puissance vacante,
Le calme froid tenu jusqu’au frisson,
La nuit rugueuse se faisant
Dans la paume de cette main ;
C’est une imperceptible ascension,
Une folie immobile, une sorte
De corps à corps transparent
Entre ciel et terre ;
Le sommeil s’y montre aussi nu
Que la vie en son premier trébuchement,
Aussi peu soucieux de lui-même
Que le rêve sombre de l’humus ;
Monter ou descendre ainsi
Dans les plis charnels de ta nuit végétale te mène
Aux portes de silence d’on ne sait quelle
Incandescence ;
De l’homme que tu es,
Alors,
Pourrais-tu, les franchissant,
Dire l’arbre ?
***
OUVRIR LES YEUX
Tu dois d’abord ouvrir
Les yeux,
Les ouvrir dans le noir et écouter
Dans ce coin de nuit
La pulsation
Presque inaudible de ce qui n’est
Pas encore un désir mais déjà plus
Cette dérive étrange
De l’innocence parmi les impalpables
Concrétions lumineuses
Du rêve ;
Tu suis un instant les veines
De cette roche obscure
Pauvrement infiltrée de lumière
Et de conscience,
Ce sont
Des traînées indécises, de vagues striures
Dont tu n’as pas encore la force
De démêler ni même
De différencier
Les résonances intérieures et la pure
Obstination sensible ;
Il y a là
Comme un miracle âpre
Auquel,
Matin après matin,
Tu te serais habitué,
Mais
Dont la puissance familière menace chaque jour
De te faire glisser
Hors
De toi-même ;
Pour retrouver un semblant d’équilibre,
Tu dois convertir cette énigme,
Cet embryon informe,
Cette abrupte et confuse réapparition matinale
De l’être,
En un premier oui
Arraché
À ton corps endormi, à ta fatigue,
À cette somme de petites crispations
Qui lient déjà ta chair
Au monde qui s’éveille avec toi
Et en toi ;
Quelque chose peut commencer,
Commandé par la lumière naissante
Et tissé de tous les regards
Qu’elle réengendre et aiguise contre la pierre
Du souci,
Tu appelles cette chose jour,
Puis tu précises : bon, mauvais, passable,
Mais pressens que tu n’es pas
Quitte
Pour autant
À l’égard de ce qui, en elle,
Vient de s’ouvrir à la façon
D’un corps plus ample, d’un corps
Miraculeux,
Insoutenable,
D’un corps parfaitement coupable et innocent
Espérant
Par la force d’un mot devenir
Le corps de ce qui va
Parfois
De la part de nuit d’une chose
À sa part lumineuse…
***
DU BALCON
Du balcon,
Ton regard suit
Les premières voitures,
Des lumières constellent les contreforts
De la montagne proche
Dont le corps enneigé émerge avec
Une secrète puissance
De sa gangue de nuit et de silence ;
Rien ne dit plus que cela,
Plus que cette opacité brune et ces lignes
Qui commencent à se dessiner ainsi,
Sur la soie d’un plaisir inexplicable ;
Te voici pourtant,
Sans qu’il advienne quoi que ce soit
De particulier ni
De remarquable,
Au point de rencontre d’une infinité de fils
Tendus entre tous les points de cette sphère obscure
Dont la surface gravit imperceptiblement
Les degrés du petit jour ;
Minute après minute,
Les roches, les arbres, les maisons, les rues
Reprennent lentement les chemins du gris, du blanc, du vert,
Et la neige, plus loin, plus haut, là-bas,
Quitte l’ambiguïté qui la mêlait à l’encre bleue
Du ciel et aux blancheurs fantomatiques
Des nuages ;
Quelque chose est venu à toi ainsi,
Par l’union matinale
Et sibylline
De ces vies qui s’éveillent et se hâtent
Avec
La vigueur inquiétante et merveilleuse
De cette sphère innocente
Dotée
De pouvoirs monstrueux et incommensurables ;
Quelque chose qui n’est
Ni une pensée,
Ni un rêve,
Ni une attente,
Mais qui contient probablement la clef musicale
De tous tes désirs…