Christian Saint-Paul, Toiles bretagnes
Christian Saint-Paul, toulousain d’origine, nous propose ici un voyage en terre bretonne. Chaque ville traversée fait l’objet d’un texte qui entrelace à la fois des descriptions de lieux, des rencontres, des sensations ou images fugitives avec des citations empruntées à tous ces poètes bretons qui accompagnent ses pas : G. Perros, Arman Robin, Max Jacob, Yvon Le Men par exemple. Ainsi le cheminement réel se double d’une pérégrination littéraire. L’imaginaire accompagne cette réalité rugueuse et âpre en sa sauvage beauté où il s’agit de se laisser guider et enseigner par le ressac de la mer quelques vérités parfois amères :
Il nous fallut encore apprendre la mer
Cette mer qui va et vient et repart
Vers des énigmes d’îles et de tempêtes
Et s’endort faussement paisible du sommeil
De l’après-désespoir. (p.13)
Ce recueil se présente également comme une sorte d’hymne ou d’ode à la mémoire de tous les disparus dont certains monuments portent encore la trace : naufragés, morts à la guerre, écrivains disparus dont on suit les traces. Tous ces absents accompagnent et guident le poète dans son apprentissage de cette terre bretonne qui « veille dans sa parole » :
Dans l’épaisseur du temps
Les goélettes coulent au fond
Leurs cargaisons d’hommes et de morues
Par milliers leurs noms se gravent
Sur les « Mémoires ». (p.35)
Ainsi escorté par quelques présences spectrales, la houle du vent et des vagues fait écho également à l’onde des souvenirs et l’on devine que ce voyage s’accompagne d’une quête intérieure presque initiatique à l’image de cette citation empruntée à Perros lors du passage à Douarnenez :
C’est l’avenir qui m’intéresse
Ecrire que nous allons vivre
Est vraiment très aventureux.
La menace sévit toujours (p.29)
Le titre du recueil, Toiles bretagnes, renvoie à la fois à sa structure puisque chaque poème est conçu comme un tableau mais aussi fait l’écho à l’enfance. En effet, cette Bretagne fascinante et aimée lui fut révélée à travers une peinture accrochée aux murs de l’école primaire :
Un nuage monte et colore
Ces ciels de Bretagne
Qui font accourir les peintres
Et les poètes
Plein de mots qui brûlent (p.66)
Il y a donc plusieurs bretagnes à découvrir comme nous l’indique cet intitulé. Elle se révèle aussi changeante que ces ciels et ces marées, aussi diverse et incertaine que la vie elle-même sans doute et cette enfance « liquide » qu’il évoque au détour d’une phrase. Parfois la marche prend des allures de pèlerinage et de nombreux lieux consacrés sont évoqués :
Ne pas regarder négligemment vers Dieu
Est-ce vie soumise celle d’une seule espérance ? (p.32)
Dans une conférence publiée à la fin du texte, l’auteur développe sa conception de la poésie comme une forme de résistance et de révolte face à notre fragile destin dont sans doute il aura su trouver un écho métaphorique à travers ses landes ou ses îles bretonnes où affleure sans cesse l’image de quelque naufrage ou danger imminent accoudé à la splendeur des paysages. On peut donc supposer que pour lui Bretagne et poésie se confondent ou se rejoignent. Cette terre étrange du bout du monde est elle-même déjà un poème :
La poésie est une réponse à la détresse de la condition humaine. Elle signe la révolte face à notre finitude. L’acte même d’écrire est une forme de liberté. « …même au creux du fond du noir, écrire ou lire un poème est encore un geste de vivant », affirme Antoine Emaz. Ce geste est un geste de résistance. La poésie niche dans la résistance. (p.123)
C’est à cette affirmation que font écho les vers suivants qui donnent peut être la clé de cette ferveur bretonne auquel C. Saint-Paul rend un riche et vibrant hommage, malgré parfois, peut-être, un petit effet de surabondance dû à la multiplicité des sites dont il veut nous rendre compte. Toutefois la qualité du style et des images compensent cet effet et c’est bien vers un véritable voyage poétique que l’auteur nous embarque contre « vents et marées » :
Des voiles frivoles ce jour
Ne tuent plus que l’ennui
Et détournent l’horreur
De tout ce qui est mort (p.39)