Chronique du veilleur (10) – Claude Martingay, Les quatrains du silence
Pourquoi ne parler que de l’actualité la plus fraîche, des livres à l’encre à peine séchée, alors que des livres parus il y a quelques années ou quelques siècles gardent à jamais la grande efficience qu’une grâce d’inspiration et d’écriture leur a donnée ?
Le livre de Claude Martingay, Les quatrains du silence (Ad Solem) est de ceux-là.
Claude Martingay est né en 1920 à Genève. A l’âge de 23 ans, il s’est retiré dans la chartreuse de La Valsainte, en Suisse. Durant trois années, il a reçu les plus précieuses leçons de Dom Jean-Baptiste Porion, avec qui il a noué une solide amitié. C’est lui qui a créé en 1968 la collection Ad Solem, une maison d’éditions ascétiques et mystiques, qui a pris par la suite l’envol que l’on sait.
Claude Martingay est lui-même écrivain et poète, auteur de nombreux essais comme : Pour la sainte liturgie, La Mère de Dieu et l’intelligence ou encore La Métaphore bienheureuse. Le livre paru en 2010, Les quatrains du silence, est sans nul doute un de ces chefs d’œuvre où l’on ne sait qu’admirer le plus : la pureté de l’écriture, la densité de la pensée, l’extrême sensibilité spirituelle qui s’y révèle. Le poète, car c’est bien d’un grand poète qu’il s’agit, parle du choix du quatrain comme d’un « encadrement de fenêtre, entre la maison et la fontaine, entre la raison et l’intelligence, entre les idées claires et la vie insaisissable de la vérité. » Sur le blanc de la page, dans le silence d’un recueillement de tout l’être, retentissent des aveux, des émotions, des remuements de l’âme :
Délaissant des idées la poussière
Je sors de la maison.
Aux grappes de la glycine
La réalité m’enivre.
Toute une vie intérieure se lit ici en quelques mots brefs où l’on sent la présence forte, paisible, fraternelle, de l’indicible. L’expérience spirituelle si personnelle de l’auteur semble se communiquer à nous, comme si elle nous attirait à elle, nous ouvrait des portes jusqu’alors restées closes.
Pour trouver l’Autre en son lieu
Je parcourais les montagnes.
Sa main sur mon épaule
Il était derrière moi.
Claude Martingay invente là, quasi sans effort visible, un langage nouveau qui retrouve spontanément les plus beaux accents du lyrisme religieux. La simplicité de ce langage s’allie à une quête profonde et constante où toute l’existence est en jeu. Le poète se voit tel qu’il est, dans ses essais qui ne sont jamais que des ébauches du Verbe-Dieu.
O pauvre, ô pur miroir de l’écriture
Sans lequel je ne saurais pas
Que de part et d’autre nous sommes
Le Verbe-Dieu et moi.
Quatrains égrenés, qu’on désire reprendre encore et encore, pleins des lueurs d’une révélation qui s’offre et se dérobe à chaque fois. « Le quatrain est croix de miséricorde / Sur laquelle s’offre et meurt la vérité. »
Oui, il est bon de se retirer du tumulte des choses éphémères, des éditions et des agitations du moment, pour vivre avec ce magnifique livre comme avec un compagnon et un maître, dans l’humble partage de la contemplation sur le seuil de la prière silencieuse.
Les paupières closes
De la montagne sous la neige
Les mots nichent
Dans l’éternité bleue.