Chronique du veilleur (13) – Josette Ségura, Dans la main du jour
Depuis longtemps, la poésie dite « du quotidien » s’écrit et se diffuse, avec ses qualités et ses défauts. J’ai tendance à être surtout irrité par ses nombreux défauts : facilité, platitude, tics de langage, etc. Mais il est des exceptions remarquables, le nouveau livre de Josette Ségura en est une, à l’évidence.
Josette Ségura dédie ce livre à Gaston Puel, récemment disparu, qui lui écrivait : « N’oubliez pas que le quotidien mérite un travail de langage –comme tout poème- et qu’il est la préparation, le nid du poétique. » Dans la main du jour réussit parfaitement à nous charmer, parce que ce « travail de langage » a eu lieu, opéré par un vrai poète, comme il en est peu.
Réussite totale, parce que Josette Ségura sait voir ce qui pourrait paraître à bien d’autres pauvre et banal, voir dans la belle clarté de l’invisible. Chaque rencontre, chaque marche dans la nature, chaque heure de rêverie dans un paysage aimé, sont occasions pour elle d’émerveillements, et d’actions de grâce. « Une journée faite de trois fois rien » se révèle alors une aubaine inestimable, Et l’écriture poétique dit cette aubaine d’une manière si juste, si généreusement proche du lecteur, que l’on se sent choisi pour recevoir un trésor.
Après le plateau,
nous voilà sur la route des Baronnies,
l’ensoleillement est tel,
la douceur de l’air,
qu’une trêve est offerte,
nous marchons dans la beauté…
On s’imagine alors marcher avec le poète, s’asseoir avec elle à la table de l’auberge, noter la sensation fugitive, pour ne pas la perdre, pour en faire un poème qui circulera comme un message d’amour. Car « tout est à noter / sur le sable de quelques feuillets. »
noter pour que quelque chose reste, se dépose,
les mots nous entraînent où ils veulent,
c’est de la vie encore,
désencombrée, nettoyée,
qu’un autre recevra un jour.
On ne saurait mieux expliquer le miracle de la poésie : la vie passée au filtre serré de la sensibilité et de l’art du langage, devenue plus pure et plus claire, communiquée au lecteur dans un moment rare, précieux, de véritable « communion ».
Et lorsque Josette Ségura dit « je », c’est comme si elle nous confiait à l’oreille et au cœur quelque chose de ce qui la fait vivre, aimer et espérer.
Il y eut un silence particulier,
le ciel se couvrait au-dessus des monts,
ça allait sans doute tourner à l’orage,
le vent rafraîchissait,
je regardais la montagne que nous allions quitter,
des genêts dévalaient la pente,
je sentis comme un accompagnement soudain.
Ainsi Dans la main du jour témoigne de la construction intérieure de son auteur, qui ne cesse d’avancer dans ce paysage spirituel où elle se sent invinciblement appelée.