Chronique du veilleur (14) – Pierre Chappuis, Entailles

Par |2018-01-07T11:30:47+01:00 25 mai 2014|Catégories : Essais & Chroniques, Pierre Chappuis|Mots-clés : |

On lit un livre de poèmes de Pierre Chap­puis comme on suit un sen­tier fam­i­li­er : le ciel, ses nuages, les arbres, la riv­ière, l’horizon, à chaque pas sem­blent chang­er de couleurs et de formes, et le paysage se renou­vel­er alors, d’éclairs en échap­pées, de souf­fles en silences arrêtés.  L’œuvre compte de nom­breux vol­umes, prin­ci­pale­ment pub­liés chez Cor­ti. Elle est mar­quée par une unité d’écriture où les inter­valles entre les mots et les vers sem­blent tout aus­si inspirés que les syl­labes elles-mêmes. Le poète déclare : « Peut-être avons-nous à admet­tre (…) que notre appréhen­sion des êtres, de toutes choses soit frag­men­taire, lacu­naire, faite d’écarts, de marges, d’attirances réciproques… »

 Entailles en est l’illustration par­faite. La lumière nous arrive par de petites brèch­es de phras­es comme entre deux rochers ou à tra­vers des feuil­lages où joue la clarté du jour.

D’instant en instant
– ponc­tu­a­tion mou­vante et brève –
air, espace se recréent.

Pierre Chappuis, Entailles Editions Corti, 2014, 88 pages, 15 euros

Pierre Chap­puis, Entailles, Edi­tions Cor­ti, 2014, 88 pages, 15 euros

Brisures, scin­tille­ments, fusées des courants d’air, mais aus­si lignes comme d’un dessin à peine esquis­sé par un calame chi­nois, l’écriture sourd d’un con­tact sen­soriel pour s’élever très vite vers de hautes cimes tou­jours insta­bles, hési­tantes, per­dues dans la buée ou la brume, comme dans des inter­ro­ga­tions muettes, insolubles.

Solaire, ce toit,
page où s’engouffre,
fascinée, la lumière.

De nuit s’inscrivit
à l’aveugle
une écri­t­ure de neige.

Poème en haillons.

On ressent à la fois bon­heur dans ces visions ful­gu­rantes et incer­ti­tude quant à leur sens, au rôle émi­nent des hasards. Le poème est comme un crible où soleil et ombre inscrivent leurs inces­santes révéla­tions. Pierre Chap­puis décèle le moin­dre signe annon­ci­a­teur, il choisit de s’effacer pour laiss­er tout l’espace à cette météorolo­gie radieuse. La pre­mière per­son­ne dis­parue, ne reste alors que ce que la poésie a fil­tré de plus pur :

Débris de nuit
con­cassés, blancs,
passés au tamis.

Pointes d’écume
jail­lies d’un brasi­er de neige.

Pous­sière tombée des nues.

Et il faut repren­dre sans cesse la marche comme la lec­ture de ce livre, car rien ne s’épuise de ces paysages effleurés, épurés, ren­dus à leurs qual­ités essen­tielles, qu’un esprit assoif­fé d’absolu peut son­der vrai­ment au plus profond.

A ten­dre, invisibles,
et déten­dre sans cesse
d’invisibles fils.

Fils d’une finesse incom­pa­ra­ble, d’une fragilité et d’une force poé­tique tout à la fois, que le poète tisse et retisse pour nous, admirablement.

 

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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