Gérard Pfister vient de publier le troisième et dernier oratorio de sa grande œuvre intitulée : La Représentation des corps et du ciel. Après Le grand silence paru en 2011, Le temps ouvre les yeux paru en 2013, c’est Présent absolu qui vient donc achever cet ambitieux et impressionnant triptyque.
La note qui suivait le texte du premier volume nous parlait d’entrée d’une « phrase musicale ». C’est bien de cela en effet qu’il s’agit et l’on pourrait presque dire qu’une phrase unique se déroule musicalement, symphoniquement, tout au long de cette œuvre. « La phrase est le seul personnage et le seul décor. Elle porte en elle-même tout l’espace et tout le drame. » Dans la postface qu’il donne à Présent absolu, Gérard Pfister insiste également sur les « résonances » et les « métamorphoses » infinies qui se font entendre dans ce très vaste ensemble. Sans doute ce choix s’est-il imposé au poète dès l’instant où il a plongé dans cette singulière rêverie sur les morts, le temps, les corps, l’humanité entière. Comment dire en effet, comment évoquer autrement le foisonnement invisible, les grouillements « d’énergies », « de viscères » ? Comment ne pas reprendre sans fin les litanies et les danses, les souffles et les haleines, jusqu’à une forme d’ivresse de la parole, d’extase du chant ?
ce qui vit
dans le chant
ce n’est
pas moi
ce n’est
personne
c’est la matière
sonore
les ondes
me portent
comme une mère
l’enfant
Cet oratorio, dédié précisément à sa mère « démunie et souveraine », pourrait ne pas avoir de fin. Il n’en a pas, puisque son chant « dans le ciel » demeure, « présent absolu ». Il efface les mots au fur et à mesure qu’ils apparaissent comme les notes sur la partition, mots qui « se nient », « se dilatent », « s’espacent », « disparaissent dans le chant ». Et il nous faut reprendre la lecture, encore et encore, toujours poussés par les merveilleuses pulsations du poème, toujours sous le charme d’une vision fugitive, d’une invocation splendide sur le parvis du silence :
ô seigneur
du chant
comme admirable
est ton silence
dans l’éternelle
enfance
Ainsi, tout continue, rien n’est perdu, « un inconnu » nous parle, c’est une « présence sans visage ». Nous ne sommes pas seuls, nous sommes entraînés dans la longue chaîne des morts. Le « seigneur du chant » est aussi « seigneur des corps ». Gérard Pfister exprime toute sa foi en lui, lui qui parle sans mots, souffle et chair à la fois. Le poète a su ici rester l’enfant qui sait tout depuis toujours et qui “chante comme en silence”.
- Chronique du veilleur (56) : Rûmî - 6 novembre 2024
- Chronique du veilleur (55) : Yves Leclair - 6 septembre 2024
- Chronique du veilleur (54) : Jean-Marie Corbusier - 6 mai 2024
- Chronique du veilleur (53) : Jacques Robinet - 6 mars 2024
- Chronique du veilleur (52) : Gilles Baudry - 1 novembre 2023
- Chronique du veilleur (51) : Olivier Noria - 5 septembre 2023
- Chronique du veilleur (50) : Gérard Pfister - 29 avril 2023
- Chronique du veilleur (49) : Anne Goyen - 1 mars 2023
- Chronique du veilleur (48) : Gustave Roud - 28 décembre 2022
- Chronique du veilleur (47) : Jean-François Mathé - 30 octobre 2022
- Chronique du veilleur (46) : Paul de Roux - 29 août 2022
- Chronique du veilleur (45) : René Guy Cadou - 6 mars 2022
- Chronique du veilleur (44) : Max Alhau - 30 décembre 2021
- Chronique du veilleur (43) : Jean-Pierre Lemaire - 1 novembre 2021
- Chronique du veilleur (42) : Jean-Marc Sourdillon - 2 mai 2021
- Chronique du veilleur (41) : Jean-Pierre Vidal - 5 janvier 2021
- Chronique du veilleur (40) : William Cliff - 6 septembre 2020
- Chronique du veilleur (39) : Christine Givry - 6 mars 2020
- Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet - 5 janvier 2020
- Chronique du veilleur (37) : Béatrice Douvre - 6 novembre 2019
- Chronique du veilleur (36) : François de Cornière - 4 juin 2019
- Chronique du veilleur (35) : Didier Jourdren - 3 février 2019
- Chronique du veilleur (34) : Judith Chavanne - 3 décembre 2018
- Chronique du veilleur (33) : Béatrice Libert - 3 juin 2018
- Chronique du veilleur (32) : Guillevic - 6 avril 2018
- Chronique du veilleur (31) – Mireille Gansel, Comme une lettre - 18 octobre 2017
- Chronique du veilleur (30) – Pierre Dhainaut, Un art des passages - 2 septembre 2017
- Chronique du veilleur (29) – Jean-Marie Corbusier, Le Livre des oublis et des veilles - 1 mai 2017
- Chronique du veilleur (28) – Stéphane Bataillon, Où nos ombres s’épousent, Vivre l’absence - 28 mars 2017
- Chronique du veilleur (27) – Jean-Claude Martin, Que n’ai-je - 20 janvier 2017
- Chronique du veilleur (26) – Michel Monnereau, Je suis passé parmi vous - 21 novembre 2016
- Chronique du veilleur (25) – Marc Baron, Dans le chemin qui s’ouvre - 23 septembre 2016
- Chronique du veilleur (24) – Albert Py, Ultima Thulé - 30 juin 2016
- Chronique du veilleur (23) – Michael Edwards, L’infiniment proche - 2 mai 2016
- Chronique du veilleur (22) – Béatrice Douvre - 20 février 2016
- Chronique du veilleur (21) – Alain Suied, Le Visage secret - 8 janvier 2016
- Chronique du veilleur (20) – Jacques Robinet, Feux nomades - 16 novembre 2015
- Chronique du veilleur (19) – Une anthologie de la poésie chinoise en pléiade - 1 mars 2015
- Chronique du veilleur (18) – Jean-Claude Pirotte - 1 février 2015
- Chronique du veilleur (17) – Max de Carvalho, Les Degrés de l’incompréhension - 22 décembre 2014
- Chronique du veilleur (16) – Marwan Hoss, La lumière du soir - 13 octobre 2014
- Chronique du veilleur (15) – Gérard Pfister, Présent absolu - 21 juin 2014
- Chronique du veilleur (14) – Pierre Chappuis, Entailles - 25 mai 2014
- Chronique du veilleur (13) – Josette Ségura, Dans la main du jour - 29 mars 2014
- Chronique du veilleur (12) – Monique Saint-Julia, Je vous écris - 31 janvier 2014
- Chronique du veilleur (11) – Anise Koltz, Galaxies intérieures - 6 janvier 2014
- Chronique du veilleur (10) – Claude Martingay, Les quatrains du silence - 25 octobre 2013
- Chronique du veilleur (9) – Yves Namur - 14 septembre 2013
- Chronique du veilleur (8) – Philippe Mac Leod, Le vif, le pur - 18 juillet 2013
- Chronique du veilleur (7) – Autour de Jean Grosjean et de Philippe Jaccottet - 10 mai 2013
- Chronique du veilleur (6) – Alain Suied, Sur le seuil invisible - 22 mars 2013
- Chronique du veilleur (5) – Thierry Metz, Tel que c’est écrit - 26 janvier 2013
- Chronique du veilleur (4) – Georges Bonnet, Entre deux mots la nuit - 16 novembre 2012
- Chronique du veilleur (3) – Janine Modlinger - 7 septembre 2012
- Chronique du veilleur (2) – Gilles Baudry - 16 juin 2012