Chronique du veilleur (15) – Gérard Pfister, Présent absolu

  Gérard Pfister vient de publier le troisième et dernier oratorio de sa grande œuvre intitulée : La Représentation des corps et du ciel. Après Le grand silence paru en 2011, Le temps ouvre les yeux paru en 2013, c’est Présent absolu qui vient donc achever cet ambitieux et impressionnant triptyque.

  La note qui suivait le texte du premier volume nous parlait d’entrée d’une « phrase musicale ». C’est bien de cela en effet qu’il s’agit et l’on pourrait presque dire qu’une phrase unique se déroule musicalement, symphoniquement, tout au long de cette œuvre. « La phrase est le seul personnage et le seul décor. Elle porte en elle-même tout l’espace et tout le drame. » Dans la postface qu’il donne à Présent absolu, Gérard Pfister insiste également sur les « résonances » et les « métamorphoses » infinies qui se font entendre dans ce très vaste ensemble. Sans doute ce choix s’est-il imposé au poète dès l’instant où il a plongé dans cette singulière rêverie sur les morts, le temps, les corps, l’humanité entière. Comment dire en effet, comment évoquer autrement le foisonnement invisible, les grouillements « d’énergies », « de viscères » ? Comment ne pas reprendre sans fin les litanies et les danses, les souffles et les haleines, jusqu’à une forme d’ivresse de la parole, d’extase du chant ?

Gérard Pfister, Présent absolu, Arfuyen, 188 pages, 14 euros

Gérard Pfister, Présent absolu, Arfuyen, 188 pages, 14 euros

ce qui vit
dans le chant
ce n’est
pas moi
ce n’est
personne
c’est la matière
sonore
les ondes
me portent
comme une mère
l’enfant       

Cet oratorio, dédié précisément à sa mère « démunie et souveraine », pourrait ne pas avoir de fin. Il n’en a pas, puisque son chant « dans le ciel » demeure, « présent absolu ». Il efface les mots au fur et à mesure qu’ils apparaissent comme les notes sur la partition, mots qui « se nient », « se dilatent », « s’espacent », « disparaissent dans le chant ». Et il nous faut reprendre la lecture, encore et encore, toujours poussés par les merveilleuses pulsations du poème, toujours sous le charme d’une vision fugitive, d’une invocation splendide sur le parvis du silence :

ô seigneur
du chant
comme admirable
est ton silence
dans l’éternelle
enfance

  Ainsi, tout continue, rien n’est perdu, « un inconnu » nous parle, c’est une « présence sans visage ». Nous ne sommes pas seuls, nous sommes entraînés dans la longue chaîne des morts. Le « seigneur du chant » est aussi « seigneur des corps ». Gérard Pfister exprime toute sa foi en lui, lui qui parle sans mots, souffle et chair à la fois. Le poète a su ici rester l’enfant qui sait tout depuis toujours et qui "chante comme en silence".

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier