Chronique du veilleur (17) – Max de Carvalho, Les Degrés de l’incompréhension

Par |2018-01-06T23:57:56+01:00 22 décembre 2014|Catégories : Essais & Chroniques, Max de Carvalho|Mots-clés : |

Max de Car­val­ho est né à Rio de Janeiro en 1961, d’une mère brésili­enne et d’un père polon­ais. Il a beau­coup voy­agé au gré des tournées de réc­i­tals de ses par­ents, tous deux artistes lyriques, qui s’établirent en France en 1970. Il a créé avec des amis la revue La Treiz­ième dont le nom fait directe­ment référence aux Chimères de Ner­val. Sa poésie, pub­liée d’abord chez Obsid­i­ane et à l’Arrière-Pays, a quelque chose du mys­térieux pou­voir des écrits nervaliens.

Après Enquête sur les domaines mou­vants (Arfuyen, 2007), Les Degrés de l’incompréhension témoignent par­faite­ment de la richesse de vision et de pen­sée de ce poète sin­guli­er. Dans un même poème (« L’intérieur même du dépa­triement »), en effet, nous sont offertes, ten­dues à notre admi­ra­tion comme dans un tableau, « la prune du com­poti­er », « les fleurs du cristallisoir », « l’odeur de la cire », mais aus­si, ouvrant l’horizon soudain, « l’inquiétude du vent / loin du rivage natal. » On trou­ve là, dans la con­ci­sion du poème, le goût du poète pour le plus pré­cieux, jusque dans le vocab­u­laire choisi, et pour le plus exal­tant des voy­ages, celui qui vise à l’infini.

Max de Carvalho, Les Degrés de l’incompréhension, 158 pages, Arfuyen, 14 euros

Max de Car­val­ho, Les Degrés de l’incompréhension, 158 pages, Arfuyen, 14 euros

Le poème « Mi rac­co­man­do » dira, mieux qu’un long com­men­taire, com­bi­en cette créa­tion se nour­rit d’inattendu et de fam­i­li­er à la fois, de très secret et de très pur :

Ne va pas t’obstiner à
franchir les miroirs, à
percer les murailles,

inonde plutôt la
cham­bre de clair
de lune.

Une seule haleine unit
le vent et le courant
secret des pièces ;

entre pieds nus dans
la fraîcheur du plus
loin­tain des nuits.

Il y a, sou­vent sous chaque poème, la con­vic­tion très intime que l’absolu se cache dans le plus infime et le plus pau­vre, que l’écriture ne pour­ra jamais tout à fait faire enten­dre les con­nivences  que nous éprou­vons « avec ces joies / si mal com­pris­es » que la vie nous donne. Quelque­fois, une approche à peine esquis­sée s’avère possible :

Le vent a tressailli,
telle­ment obscur que

c’est mer­veille d’en
devin­er le sens.

C’est déjà beau­coup, il suf­fit alors d’accepter le mys­tère là où il est,  là où il nous par­le. Ce qui est « étranger » peut alors devenir proche, à la lisière de l’invisible et de l’ineffable.

Sem­blable au feu qui
sans vis­age fascine,

sem­blable au temps,
essence de la perte,

ton sil­lage d’écumes a
le vent pour feuillage,

qui sans forme dessine
et te voue au nuage.

On ne peut être que touché par la poésie de Max de Car­val­ho, exigeante, sen­si­ble, où chaque éclat de splen­deur s’entoure du plus beau silence.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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