Chronique du veilleur (21) – Alain Suied, Le Visage secret

Par |2019-11-10T19:38:51+01:00 8 janvier 2016|Catégories : Alain Suied, Essais & Chroniques|Mots-clés : |

L’œuvre d’Alain Suied est d’une très rare intégrité. Elle a com­mencé, alors qu’il n’avait que 16 ans, par un poème envoyé à André du Bouchet et pub­lié par la revue L’Ephémère en 1968.  Elle s’est pour­suiv­ie par deux livres pub­liés au Mer­cure de France, puis sa pub­li­ca­tion s’est inter­rompue pen­dant une douzaine d’années, reprise en 1985. Alain Suied, né dans l’ancienne com­mu­nauté juive de Tunis, s’est trou­vé dérac­iné  à l’âge de 8 ans. Il n’a cessé durant toute sa vie, achevée en 2008 à Paris, d’interroger la vie, ses pro­fondeurs obscures, ses orig­ines, sa trans­mis­sion. Très mar­qué par l’étude des grands psy­ch­an­a­lystes con­tem­po­rains, lui-même entré en analyse, il choisit les titres de ses recueils en par­fait miroir de ses han­tis­es et de ses recherch­es : « L’être dans la nuit du monde », « Ce qui écoute en nous », « La lumière de l’origine », « Rester humain »… Ses essais con­sacrés à Paul Celan et au « corps juif » ressas­sent d’une autre manière « la vérité de l’enracinement » et « la com­mune blessure de vivre et de partir. »

Alain Suied Le Visage secret, Arfuyen, 13 euros

Alain Suied, Le Vis­age secret, Arfuyen, 13 euros

Le Vis­age secret, qui paraît chez Arfuyen, son édi­teur très fidèle, qui a pub­lié une dizaine de ses man­u­scrits et qui en pub­liera d’autres encore restés inédits, nous fait retrou­ver Alain Suied habité par « le mirage de l’absence » :

L’absence n’existe que pour les vivants.
Les dis­parus trem­blent dans nos mains
leur souf­fle dans nos cris
leur effroi dans nos fièvres.
Nous nous tenons debout
dans la lumière du jour
pour­tant c’est l’ombre
qui nous porte.

C’est toute l’aventure humaine qui cir­cule dans ces pages, avec ses souf­frances, son passé « de cris / de combats/ qui ne peut revenir ». Pour­tant, le cœur de l’homme a des pou­voirs immenses et le poète peut les saisir dans ses créa­tions, qui tien­nent bon face à  la pous­sière de l’éphémère et aux ténèbres de la mort :

ton cœur est une étoile de sang
et sa lumière secrète
brille au fond de la nuit intime.

Alain Suied parvient à don­ner à chaque vers, à chaque mot, un poids et une lumière qui touchent l’âme au plus pro­fond. Il dit à la fois, dans un même poème, le « feu orig­inel » et l’air si léger qui donne à l’existence humaine fragilité et beauté. Le tutoiement qu’il emploie sou­vent pour son­der son être nous appelle à le suiv­re dans ses paroles « de chair » :

Cette vie que tu construis
vient du non-être, de l’Impossible
elle vient du feu originel.
Mais elle repose sur un rire
d’enfant, sur le cri mourant
d’un incon­nu, sur la soif d’une étoile.

De mag­nifiques poèmes par­lent de l’enfant et de sa con­nais­sance innée de la « douleur de la dis­pari­tion », de cette intu­ition du « mir­a­cle fam­i­li­er de la présence », que le poète quelque­fois partage avec lui. Le « vis­age secret » lui appa­raît en pleine clarté, ce vis­age de vérité que l’homme a tant de mal à retrou­ver dans le tré­fonds de son cœur.

Et il sait d’emblée
recon­naître l’ami et le fantôme
la fiancée du cœur
et la force maternelle.
Et il sait, dans la clarté, le nom oublié.

« Sous nos dif­férences », un « cri unique » cherche à se faire enten­dre. La poésie d’Alain Suied capte ce cri, sou­vent assom­bri de ténèbres, immé­mo­r­i­al, con­tinu. Elle le fait avec une sincérité et une exi­gence incomparables.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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