Chronique du veilleur (24) – Albert Py, Ultima Thulé

Par |2018-01-07T11:19:18+01:00 30 juin 2016|Catégories : Albert Py, Essais & Chroniques|Mots-clés : |

Albert Py  est né à Bienne, en Suisse, en 1923. Il a fait une car­rière bril­lante de pro­fesseur à l’Université de Genève, a écrit une œuvre cri­tique impor­tante. Mais con­naît-on bien l’œuvre poé­tique de cet homme, qui fut couron­né par le célèbre prix Schiller ?

Ulti­ma Thulé  est le fruit du pieux tra­vail de sa fille Aude qui, après la mort de son père en 2013, a rassem­blé les cen­taines de feuil­lets grif­fon­nés au cray­on pen­dant les 10 dernières années de vie de cet homme, qui avait con­fié à l’écriture poé­tique ses douleurs, ses angoiss­es, ses médi­ta­tions de paralysé et de souffrant.

Albert Py Ultima Thulé Editions Eliane Vernay

Albert Py, Ulti­ma Thulé, Édi­tions Eliane Vernay

Poèmes laconiques et litaniques, Ulti­ma Thulé est un immense chant d’agonie qui touche dès la pre­mière page ce qui, en nous, est le plus pro­fondé­ment inscrit : la peur de la mort, des ténèbres, de la lente descente vers l’abîme. Mais il y a aus­si toutes les pages où la sérénité tâche de vain­cre les affres sans fin ressas­sées, et comme l’apprentissage de la vie éter­nelle. Cet appren­tis­sage ne saurait se pass­er de mots : il sem­ble les choisir déli­cate­ment, les polir, les ajuster par­faite­ment à ce qui se passe dans le plus intime. C’est alors que la sim­ple inscrip­tion des vers se révèle déjà une vic­toire admirable de ce que peut l’homme qui sait qu’il meurt, comme le soulig­nait Pas­cal dans les Pen­sées.

A l’entrée de la mort
j’ai ten­du des antennes
où j’entends que se prennent
encor les derniers mots

je les mets dans mes stances
plus proches du silence.

Dans ces « stances », c’est tout l’être qui se dresse. La « val­lée basse » se décou­vre à sa vue, la val­lée où tous les morts l’attendent. Albert Py se sent déjà de leur innom­brable com­mu­nauté, mais il reste encore un peu sur ce seuil où les mots du poème dis­ent tout son courage d’écrire, toute sa grandeur de « roseau pensant ».

« La vie avait des mots très sim­ples », écrit-il, « ma pau­vreté les réap­prend / pour une prière muette. » La prière, en effet, n’est-elle pas tou­jours présente, et sa récom­pense : la communion ?

J’aurai com­mu­nié
sous l’espèce des mots,
la vie qui se retire
les remet au silence
qui était leur substance ;
me sera-t-il donné
hum­ble­ment, à l’extrême,
d’en goûter l’onction ?

Ain­si, jour après jour, nuit après nuit, le poète égrène le rosaire très secret des prières-poèmes, écoute en lui ce souf­fle qui le main­tient encore un peu en vie et qui déjà le relie à l’autre souf­fle, celui du bel invis­i­ble. Des lueurs lui parvi­en­nent, elles le réchauf­fent et lui par­lent de ce roy­aume, si proche main­tenant,  de la pleine lumière.

Inter­valles de lumière
dans les trouées de mon corps
enfin je me reconnais
au miroir de la misère
et j’ai froid de ma vie.

De quel corps me dévêtir
pour que le som­meil me vienne
de quelle vie me revêtir
pour entr­er dans ma vie

par la nais­sance nouvelle
dont elle doit me vêtir ?

Vers la fin, alors que les feuil­lets ne sont presque plus lis­i­bles, Albert Py peut conclure :

Bien­heureuse défaite
par qui je me refais
à chaque pas de ma chute
sur la ruine d’un corps

immen­sité du silence
et désert du temps.

Un mot suf­fit à la vie
ai-je su le dire
et le don­ner à entendre
au plein de l’absence ?

L’émotion qui nous étreint est la plus juste des réponses

Chronique du veilleur

Retrou­vez l’ensem­ble de la Chronique du veilleur, com­mencée en 2012 par Gérard Bocholier

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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