Chronique du veilleur (29) – Jean-Marie Corbusier, Le Livre des oublis et des veilles

« La parole qui fait halte / veille sur le mur », écrit Jean-Marie Corbusier dans un poème de ce livre qui interroge sans cesse le sol, le mur et l’écriture dans des confrontations nues, exigeantes, sans aucune concession. La parole poétique « fait halte » : elle ne saurait jamais être en repos définitivement, elle qui doit sans fin se reprendre, se relever, comme dans une marche franchissant un à un les obstacles et les retrouvant devant elle comme autant de questions et de mises à l’épreuve.

 Sur une pierre fixe
l’air autour de moi
                    le souffle est court

au bout du mur
la parole tombe

parole
comme un bagage dispersé

       le mur remue
       au coin du jour

Jean-Marie Corbusier, Le Livre des oublis et des veilles, Ed. Le taillis Pré

Jean-Marie Corbusier, Le Livre des oublis et des veilles, Ed. Le taillis Pré

C’est bien la condition humaine qui est en jeu ici, dans une tonalité tragique qui n’est pas sans rappeler celle des grands livres de Pierre Reverdy. L’horizontale de l’homme, souvent au ras du sol qu’il faut pourtant ne pas perdre (« je parle pour toucher terre »), regarde la verticale du mur qui semble narguer ses efforts pour aller  vers le bleu. C’est aussi l’horizontale des vers brefs, ajourés et comme en goutte à goutte, que le silence aussitôt vient combler.

Sitôt levé
le silence des mots
prolifère

Chaque poème apparaît comme un « sursis », un peu de temps vaincu, un peu d’espace conquis. Dans un univers mat, la « parole de l’oubli / sans visage/ oubliée » se dissipe, s’efface à mesure qu’elle s’écrit. Un mot « comme à crédit » jette un peu d’éclat avant de sombrer.

Le poète se devine sous la lampe, tâchant de recueillir quelques braises pour se réchauffer : « je reste sous la lampe / comme un amas glacé. », il  s’appuie sur le vent, pour un instant, avec quelques bribes de mots qui lui semblent encore pouvoir agir. Faible et éphémère victoire !

un instant
ce mur
je l’aurai brisé
d’un mot à froid

tiré du mur

Le bilan est amer : « rien n’aura eu lieu », « j’aurai marché  / en pure perte. »  Mais ces ressassements au long des veilles nous auront fait entendre la respiration profonde d’un poète témoin du plus âpre des désirs, celui de l’absolu. Nous sentons cette respiration intérieure bien proche de la nôtre, bien proche de l’essentiel indicible, et nous en sommes intimement touchés :

à plat je respire
épaisseur ou buée

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier