Chronique du veilleur (34) : Judith Chavanne

 Le vrai poète sait « se nourrir de lumière ». Judith Chavanne, à l’évidence, le sait, et sait le transmettre par son écriture poétique. Elle citait, dans le remarquable essai qu’elle avait consacré à Philippe Jaccottet : Philippe Jaccottet, une poétique de l’ouverture (Seli Arslan, 2003), la phrase de Simone Weil : « Il n’y a qu’une faute : ne pas avoir la capacité de se nourrir de lumière. » Son dernier recueil, A l’équilibre, rassemble cinq suites de poèmes, et la dernière, « l’attention, la neige », se termine précisément par le mot lumière. 

Chercher la lumière, c’est murmurer à l’oreille de l’autre, se pencher vers lui, par bonté, tendresse, sollicitude. Judith Chavanne ne conçoit pas la poésie autrement.

Judith Chavanne, A l’équilibre, Editions
Le Bois d’Orion, 15 euros.

Un poème de la suite « Ce qui nous appelle » définit, à mon sens, son propre langage poétique : c’est une façon « de verser des paroles à peine », d’user d’un « langage amenuisé », « le souffle, l’haleine tout juste articulés »

 

                       de doucement fouiller

                      comme dans le sous-bois un rayon de soleil,

                      dans tout le corps depuis l’oreille

                     jusqu’à l’âme, jusqu’à la débusquer.

 

L’enfance, « la rose secrète entre les feuilles », un effleurement, le « frôlement des mots », une « blanche pluie, très douce » des pétales qui se défont, tout est grâce pour le poète qui « tisse dans la lecture des heures lentes. » Ce rythme lent est souvent celui du bonheur simple, il est aussi celui d’une intériorité qui s’approfondit, « se recrée ». La fragilité, parfois extrême, que l’on devine dans l’âme du poète, s’accorde si bien avec le paysage, le jardin où l’enfant est là, l’instant qui s’arrête presque, tant alors « l’équilibre » apparaît comme une grâce divine accordée.

 

L’enfant au jardin cueille une pâquerette

à la tige trop courte, mais elle dira ainsi son amour.

Une femme au soir se pare avec pudeur,

elle suspend les heures.

Parfois, comme en sous mains les livres

aux époques terribles, on échange

dans un dialogue un peu de sens, des bribes.

On n’est prémuni contre rien

mais l’instant vibre, à jamais, dans l’évidence.

 

L’équilibre des poèmes de Judith Chavanne provoque en nous une émotion rare, celle que la beauté et la vérité réservent à ceux qui captent les moindres « gouttes de vie » avec attention, humilité, presque dans le dénuement.  Nous lui sommes reconnaissants de nous offrir, en ce magnifique recueil, « l’étreinte, la lumière, et le dessaisissement. »